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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

aucunement le terme supérieur, seulement le terme moyen qui, de ce fait, ne mérite<br />

pas l’imitation, mais la réprobation, la moquerie ou tout simplement l’indifférence<br />

en tant qu’anonyme-double. Il ne représente pas l’universel, il impose un modèle en<br />

l’important, même s’il pense l’avoir « rapporté ».<br />

Dans La République mondiale des Lettres 1 , Pascale Casanova parlant des<br />

écrivains issus des contrées éloignées des capitales littéraires aborde leur « mesure<br />

du temps littéraire » qui distingue temps réel et temps fictif. Le « présent » est pour<br />

ces écrivains « déterminé par les plus hautes instances critiques légitimant les livres<br />

légitimes, c’est-à-dire contemporains. » L’écrivain Octavio Paz, qui est pris comme<br />

exemple, exprime sa découverte d’un temps central, qui sert de mesure, et d’un<br />

temps excentré dans lequel il est relégué. Ce temps réel, qui se caractérise par<br />

l’unification du politique, de l’historique et de l’artistique, « impose à tous la mesure<br />

commune d’un temps absolu et relègue les autres temporalités (nationales,<br />

familiales, intimes…) à l’extérieur de l’espace. » Une fois prise la mesure de ce<br />

temps, l’écrivain qui veut s’y inscrire en créant une œuvre du « présent » est<br />

contraint d’aller à sa recherche pour le ramener dans son pays : « La quête du<br />

présent n’est pas la recherche d’un paradis sur terre ni de l’éternité sans dates : c’est<br />

la quête de la véritable réalité […]. Il fallait partir à sa recherche et le ramener sur<br />

nos terres. » Cette quête dit P. Casanova est « la sortie hors du ‘temps fictif’ dévolu<br />

à l’espace national et l’entrée dans la concurrence internationale. » Pour Casanova,<br />

Paz réussit dans sa quête grâce à l’obtention du prix Nobel en 1990, la plus grande<br />

reconnaissance littéraire. Lui qui avait décidé d’importer dans son pays le « vrai<br />

présent » y réussit, dit-elle, grâce à cette reconnaissance internationale et en<br />

« devenant analyste de la ‘mexicanité’ » dans ses nombreux essais. Certes, la<br />

renommée internationale de Paz lui permet, ainsi qu’à son œuvre tant poétique qu’en<br />

prose, d’être présent dans tous les espaces, même dans son pays. Mais, pouvonsnous<br />

dire, pour autant, que la réception de l’œuvre de Paz est réelle dans sa contrée<br />

périphérique ? Casanova s’accorde à dire que les écrivains qui se limitent à la<br />

temporalité nationale et qui, par conséquent, ne considèrent que les « normes et les<br />

limites nationales assignées aux pratiques littéraires » ne connaissent pas ce temps<br />

réel qui se réfère aux lois internationales, ni ses créations les plus contemporaines<br />

qui sont le résultat des révolutions esthétiques. Aussi, pensons-nous, leur est-il<br />

impossible de connaître le roman, et tout autre œuvre, qui explore toutes les<br />

possibilités de l’être dans sa contemporanéité.<br />

Il ne suffit pas cependant de prendre la mesure d’un « temps réel » pour<br />

pouvoir s’y intégrer. Les capitales littéraires semblent ne voir dans les écrivains de<br />

la périphérie que des « journalistes d’opinions », des dissidents ou de simples<br />

creusets d’exotisme 2 . Qui, tant qu’ils vivent dans un régime totalitaire, le dénoncent<br />

ou font la guerre, sont « sexy 3 ». En revanche, dès que tombent ces régimes et les<br />

murs qui nous séparent, ils ne méritent plus aucune attention. Les écrivains de la<br />

périphérie, de l’Est ou balkaniques doivent être des homo politicus. Ils ne seront<br />

reconnus qu’à travers leurs œuvres engagées qui, ainsi, répondent aux attentes des<br />

1 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Seuil, 1999. Pour ce paragraphe, voir pp.133-<br />

136.<br />

2 Danilo Kiš, Homo poeticus, op. cit., pp.23-28.<br />

3 Cf. Goran Stefanovski, « Fables du monde sauvage de l’Est. Quand étions-nous sexy ? » in Hôtel<br />

Europa, Editions L’Espace d’un instant, traduit de l’anglais par Séverine Magois, Paris, 2005.<br />

200

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