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LE RETOUR DU TEXTE TRADUIT OU LE RETOUR DU ROMAN<br />

dimension « universelle » et comme tel ne peut pas être reconnu car ce roman-là<br />

n’est pas connu ? Ce roman créé à l’étranger est considéré comme un romanétranger.<br />

Aussi n’est-il perçu que comme un produit « d’importation », étranger, au<br />

même titre que les « intraductions ». Seule la langue est connue, mais cela suffit-il<br />

pour que le roman soit compris ? Toutefois cette « intraduction » étant le produit<br />

d’un écrivain natif, elle sera instrumentalisée pour la promotion de la littérature<br />

nationale au rang des littératures de renommée internationale.<br />

Quant à l’écrivain, il semble avoir conscience que son écriture ne peut avoir<br />

de raison d’être que dans le « retour », un retour permanent car il ne revient que pour<br />

mieux repartir. Il s’agit, à travers ce retour, de ramener le roman là où il est interdit<br />

de séjour, rendre possible son existence par le biais de l’« intraduction » ou du<br />

moins ce qui est perçu comme tel. Devant l’incompréhension qu’il suscite, il n’a<br />

d’autre alternative que de repartir pour trouver les conditions de sa possible création.<br />

Zoran Kovatchevski, un auteur macédonien contemporain, dans sa nouvelle<br />

« Aristote de Ressen 1 » (Aristotel od Resen) qui a donné le titre au recueil, interroge<br />

« le retour de la pensée » par le retour de l’intellectuel natif. Dans cette nouvelle<br />

l’Aristote inconnu de Ressen (petite ville de Macédoine) est un compatriote parti à<br />

l’étranger et qui s’en revient pour y ramener la pensée qui aurait été « dérobée dès<br />

avant leur naissance » mais, « ramenée à sa source originelle », cette pensée se<br />

salirait dans la poussière. Cette pensée ne semble pas correspondre aux<br />

préoccupations fondamentales de ceux qu’il voudrait voir devenir ses « premiers<br />

élèves », envahis qu’ils sont par le quotidien et le matériel. Cet Aristote qui a<br />

sacrifié les dix plus belles années de sa vie à l’étranger voudrait, peut-être, mettre en<br />

pratique le système qu’Aristote avait développé en son temps montrant que<br />

« l’imitation […] est une relation ascendante par laquelle l’être inférieur s’efforce de<br />

réaliser, avec les moyens dont il dispose, un peu de la perfection qu’il aperçoit dans<br />

le terme supérieur 2 . »<br />

Mais l’imitation d’Aristote est problématique eu égard au rapport du<br />

philosophe lui-même à sa pensée. En effet, « l’Aristote que nous connaissons, dit P.<br />

Aubenque, n’est pas celui qui vivait au IV e siècle av. J.C., philosophe philosophant<br />

parmi les hommes, mais un Corpus plus ou moins anonyme édité au I er siècle av.<br />

J.C. Il n’est pas d’autres exemples dans l’histoire où le philosophe se soit trouvé à ce<br />

point abstrait de sa philosophie. Ce qu’on a pris l’habitude de considérer sous le<br />

nom d’Aristote, ce n’est pas le philosophe ainsi nommé, ni même sa démarche<br />

philosophique effective, mais un philosophème, le résidu tardif d’une philosophie<br />

dont on a vite désappris qu’elle fut celle d’un homme existant 3 ».<br />

Si nous transposons ce questionnement de Kovatchevski sur le plan de la<br />

littérature, ce que nous autorise les notions de corpus et de philosophème prises au<br />

sens générique, nous pouvons y voir une critique de ceux qui pensent que la<br />

littérature « universelle » se trouve en dehors du pays et qu’il faut aller à sa<br />

recherche à l’étranger pour ensuite la rapporter dans le pays d’origine et tenter de la<br />

propager, ou de la « re-semer ».<br />

Lorsque l’Aristote de Ressen tente à son tour d’élever les Macédoniens à la<br />

pensée en se présentant comme le double d’Aristote de Stagire, il ne devient<br />

1 Zoran Kovačevski, Аристотел од Ресен, Мисла, 1984.<br />

2 Pierre Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, PUF, 1983, p.498.<br />

3 Ibidem, pp.3-4.<br />

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