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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

mondial moderne (c’est-à-dire la connaissance du grand contexte) qui nous fera<br />

comprendre la nouveauté, et, partant, la valeur du roman gombrowiczien. 1 » Cette<br />

famille est aussi impitoyable envers ses membres. Chacun surveille chacun ; chacun<br />

jalouse toute manifestation de la liberté chez l’autre. Le moindre écart, la moindre<br />

révolte est une affaire qui concerne la famille et « Si une famille ne réussit pas à<br />

anéantir le fils mal-aimé, avec une indulgence maternelle elle l’abaisse. 2 »<br />

Le retour de Filip Latinovitch, comme je l’ai montré dans un autre travail, 3<br />

n’est que le retour de Miroslav Krleža écrivain à travers son premier roman dont la<br />

structure repose sur un questionnement permanent, une interrogation toujours<br />

ouverte où persiste le doute et où les êtres et les choses restent à définir ou redéfinir.<br />

Une œuvre qu’il est impossible de finir ; elle demeure œuvre ouverte sur les yeux de<br />

Filip qui regarde par la fenêtre les yeux morts mais ouverts de Boba qui semblent<br />

regarder… Regarder qui, regarder quoi, regarder pourquoi ? L’interrogation est<br />

ouverte. Ce roman figure bien la complexité, « la relativité et l’ambiguïté des choses<br />

humaines », il prolonge bien « la conquête de l’être ».<br />

Cependant, le héros Filip Latinovitch, après avoir été symboliquement chassé<br />

du paradis (la maison maternelle) par sa mère pour avoir péché – ce qui induit, en<br />

sous-texte, l’auteur lui-même chassé de sa patrie (dans la sens de mère-patrie) pour<br />

avoir péché par ses prises de position, par ses écrits, sa lutte et ses engagements<br />

politiques –, revient tel l’enfant prodigue, sous les traits d’un peintre de renom qui<br />

signe « Philippe » à la française. Sa renommé internationale, c’est-à-dire son<br />

nouveau nom, lui permet de revenir en Croatie, mais il n’est pas véritablement<br />

reconnu par les Croates, ses compatriotes. Or, à l’imitation de la parabole de<br />

l’Evangile, l’enfant prodigue revient dans le foyer paternel après une longue absence<br />

et une vie « débauchée », des actes « condamnés », « licencieux », « interdits »,<br />

« asociaux », avec l’espoir d’y trouver la compréhension. Dans le roman, il ne sera<br />

reconnu, en d’autres mots compris, que quand il sauvera un taureau d’un incendie,<br />

après avoir entendu le vieux mot kaïkavien (dialecte croate) : « ogenj (feu) » oublié.<br />

Ce vieux mot réveille en Filip « le sentiment très vif de ses attaches avec le pays.<br />

Sans savoir pourquoi, en cet instant, il sentit avec force combien il dépendait<br />

subjectivement et inéluctablement de ce sol : il se sentit chez lui. Et comme si cela<br />

avait été tout naturel, dans un élan de solidarité, poussé par la certitude d’appartenir<br />

à Kostanjevets, il s’habilla en hâte et sortit en courant dans la nuit. 4 » Il n’est plus<br />

l’homme « solitaire » des villes étrangères, l’étranger, il devient tout à coup<br />

« solidaire » de la communauté paysanne croate. En se réappropriant la langue<br />

croate 5 , il redevient un Croate solidaire du paysan croate et conséquemment reconnu<br />

par eux. Il devint « célèbre en une seule nuit. Dans la bouche populaire il était<br />

désormais le monsieur qui avait sauvé le taureau de Hitrets 6 . »<br />

Sur le plan de la littérature, cela signifierait-il que l’auteur a pleinement<br />

conscience qu’il « ramène » le roman dans sa dimension internationale et à sa<br />

1 Milan Kundera, Les testaments trahis, Folio, 2006, pp.225-226.<br />

2 Ibidem, p.228.<br />

3 Frosa Pejoska : « De l’usage des noms propres et la question de l’identité dans Le retour de Filip<br />

Latinovicz de Miroslav Krleža », in Cahiers Balkaniques n°32 « Autour du nom propre », INALCO,<br />

Paris, 2001, pp.209-228.<br />

4 Miroslav Krleza, Le retour de Philippe Latinovicz, op.cit., p.78<br />

5 Le latin a été la langue officielle de la Croatie jusqu’en 1847.<br />

6 Miroslav Krleza, Le retour de Philippe Latinovicz, op. cit., p.79.<br />

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