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LE RETOUR DU TEXTE TRADUIT OU LE RETOUR DU ROMAN<br />

voyage du 19 janvier au 9 février 1932, dans le calme pragois et dans une solitude<br />

complète à Zbraslava. Il avait écrit des drames et des nouvelles mais l’écriture d’un<br />

roman nécessitera un départ conférant de la sorte un statut singulier au roman.<br />

Parlant des écrivains Krleža dira : « Pour pouvoir faire honnêtement son devoir,<br />

l’écrivain a besoin d’être dans un certain sens dissident, voire défaitiste aussi bien à<br />

l’égard de l’Etat et des institutions qu’envers la Nation et les autorités. Il est le fils<br />

prodigue qui ne revient au foyer paternel que pour pouvoir en repartir. On comprend<br />

mal que le refus est sa manière familière d’accepter le monde. Or, il ne peut être aidé<br />

que par ceux qui sont en mesure de comprendre cette vérité-là précisément. 1 » Si le<br />

roman ne peut naître que dans un « ailleurs » c’est bien parce que cet ailleurs est<br />

synonyme de tous les possibles. Créé dans un « ailleurs », il est cependant envisagé<br />

pour un « retour » au lieu d’origine ; d’où le titre.<br />

Ainsi, devenir véritable écrivain nécessite un exil réel ou intérieur, pour<br />

s’arracher à la censure, à la pression et à la dangereuse uniformité de la nova lingua.<br />

Pour écrire autrement et avoir une vision critique, l’écrivain doit s’éloigner, prendre<br />

du recul, de la distance. Nous retrouvons cette même pensée chez Danilo Kiš, qui se<br />

qualifiait de seul écrivain yougoslave : « Je voulais tout simplement vivre dans un<br />

autre pays – comme l’ont fait tant d’autres écrivains avant moi […] Et je jette un<br />

regard oblique sur les événements qui s’y passent, ou qui se passent ici, ou en<br />

Europe en général. C’est en tout cas un regard à distance. Et même quand je suis ici,<br />

j’observe tout avec une certaine distance. 2 » C’est ce qu’il appelle « se donner une<br />

saine distance 3 » pour guérir de la sclérose mentale qu’induit l’idéologie nationale :<br />

« En ce sens, mon séjour à Paris m’est précieux, comme une convalescence mentale,<br />

une sorte d’exil, au sens joycien du terme – observer son propre monde avec un<br />

maximum d’objectivité, c’est-à-dire avec amour et sans pitié. 4 »<br />

Cette figure de l’enfant prodigue s’intègre dans la métaphore de la nation<br />

chez les « petites » nations. La patrie est « notre maison » dira Krleža et une<br />

« grande famille » dira Kundera, et chaque écrivain avant d’être une individualité<br />

représente l’enfant d’une communauté nationale dont le statut et le rôle seront<br />

déterminés par et en fonction de cette communauté : « Dissimulées derrière leurs<br />

langues inaccessibles, les petites nations européennes (leur vie, leur histoire, leur<br />

culture) sont très mal connues ; on pense, tout naturellement, que là réside le<br />

handicap principal pour la reconnaissance internationale de leur art. Or, c’est le<br />

contraire : cet art est handicapé parce que tout le monde (la critique,<br />

l’historiographie, les compatriotes comme les étrangers) le colle sur la grande photo<br />

de famille nationale et l’empêche de sortir de là. Gombrowicz : sans aucune utilité<br />

(sans aucune compétence, non plus), ses commentateurs étrangers s’escriment à<br />

expliquer son œuvre en discourant sur la noblesse polonaise, sur le baroque<br />

polonais, etc., etc. Comme le dit Proguidis [Lakis Proguidis], ils le ‘polonisent’, le<br />

‘repolonisent’, le repoussent en arrière dans le petit contexte national. Pourtant, ce<br />

n’est pas la connaissance de la noblesse polonaise mais la connaissance du roman<br />

Miroslav Krleza, Le retour de Philippe Latinovicz, traduit su serbo-croate par Mila Djordjevic et Clara<br />

Malraux, Calmann-Lévy, Paris, 1957.<br />

1 Propos recueillis par Predrag Matvejevitch, pour Le Monde du 28.VII.1968.<br />

2 Danilo Kiš, Le résidu amer de l’expérience, op. cit., p.286.<br />

3 Ibidem., p.173.<br />

4 Ibidem.<br />

197

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