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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

cette notoriété, cette reconnaissance internationale, l’auteur devra connaître d’autres<br />

traductions de ses œuvres. Dans le cas contraire, la traduction d’une unique œuvre<br />

marquera, de nouveau, l’auteur des limites du national qui signifieront aussi les<br />

limites de l’auteur. Ici l’œuvre était bien destinée aux lecteurs nationaux mais la<br />

renommée internationale, par le biais de la traduction, force les lecteurs du pays<br />

d’origine à la lire autrement, à lui accorder une place privilégiée. La traduction sert<br />

de faire valeur de la littérature nationale.<br />

Les Balkans, et plus généralement les pays dits de l’Est, ont connu les<br />

systèmes politiques les plus despotiques. C’est là aussi que se sont perpétrés, depuis<br />

le début du vingtième siècle, plusieurs génocides et où continuent à se perpétrer des<br />

ethnocides. La création littéraire que l’on pourrait plus précisément qualifier de<br />

« production littéraire » n’avait de raison d’être que conforme à l’idéologie étatique.<br />

Selon Milan Kundera, ces pays n’étaient pas favorables au roman, à l’esprit du<br />

roman.<br />

« C’est pourquoi le sourire béat avec lequel on prononce des nécrologies du<br />

roman me paraît frivole. Frivole, parce que j’ai déjà vu et vécu la mort du roman,<br />

sa mort violente (au moyen d’interdictions, de la censure, de la pression<br />

idéologique), dans le monde où j’ai passé une grande partie de ma vie et qu’on<br />

appelle d’habitude totalitaire. Alors, il se manifesta en toute clarté que le roman<br />

était périssable ; aussi périssable que l’Occident des Temps modernes. En tant<br />

que modèle de ce monde, fondé sur la relativité et l’ambiguïté des choses<br />

humaines, le roman est incompatible avec l’univers totalitaire. Cette<br />

incompatibilité […] est non seulement politique ou morale mais ontologique. Cela<br />

veut dire : le monde basé sur une seule Vérité et le monde ambigu et relatif du<br />

roman sont pétris chacun d’une matière totalement différente. La Vérité<br />

totalitaire exclut la relativité, le doute, l’interrogation et elle ne peut donc jamais<br />

se concilier avec ce que j’appellerais l’esprit du roman. 1 »<br />

Des milliers de romans y ont pourtant été publiés et certains avec grand<br />

succès mais ces romans « ne prolongent pas la conquête de l’être », « ne participent<br />

plus à la succession des découvertes » que Kundera 2 appelle « l’histoire du roman ».<br />

Ces romans qui se situent en dehors de cette histoire « sont des romans après la fin<br />

de l’histoire du roman ».<br />

Les auteurs qui veulent écrire des romans qui explorent toutes les possibilités<br />

de l’existence doivent soit quitter le pays et écrire leur roman à l’étranger, soit<br />

trouver le moyen de faire traduire leur roman afin qu’il puisse s’inscrire dans<br />

l’histoire du roman. Ces écrivains ont, depuis longtemps déjà, quitté leur pays<br />

d’origine par leur exil intérieur, dans la langue et la littérature, d’où leur sentiment<br />

permanent de non-authenticité 3 . La langue et la littérature deviennent leur patrie.<br />

Miroslav Krleža (1893-1981), l’un des plus grands écrivains de l’ex-<br />

Yougoslavie, écrira son premier roman : Le retour de Filip Latinovitch 4 , lors d’un<br />

1 Ibidem, pp.25-26.<br />

2 Ibidem.<br />

3 Danilo Kiš : « L’infamie du cosmopolitisme, qui a, dans les pays de l’Est, une signification tout à fait<br />

particulière, étant donc ‘dissident et apatride’ partout, j’ai dû trouver et j’ai trouvé par la force des<br />

choses mon unique patrie dans le patrimoine culturel européen. J’ai cherché et je pense avoir trouvé mes<br />

racines et mon titre de noblesse dans la littérature. » in Le résidu amer de l’expérience, Fayard, 1995,<br />

p.156.Cf. aussi Homo poeticus, 1993, p.101.<br />

4 Miroslav Krleža, Povratak Filipa Latinovicza, Matica Hrvatska, Zora, Zagreb, 1973.<br />

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