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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

dimensions, si l'on veut. Ses états d'âme et ses émotions changent constamment, et<br />

change par conséquent la musique associée à ce personnage. Il y a donc<br />

contradiction entre le leitmotiv et ce que Janaček appelle mélodie de discours<br />

(speech melody).<br />

« Une mélodie de discours comme l'écrit Janaček en 1919, est l'expression<br />

musicale fidèle d'un moment d'un être humain. C'est toute son âme et tout son être<br />

photographiés en un instant... L'art du compositeur lyrique consiste à créer une<br />

mélodie d'où, comme par magie, va surgir un certain moment de cet être » 1 . Or la<br />

voix d'une personne change à toute heure, elle est modifiée par tout ce qui vient de<br />

l'extérieur comme ce qui vient de l'intérieur. Leoš renonce donc à tout usage du<br />

leitmotiv 2 au profit de la « mélodie de discours ».<br />

Cette mélodie de discours, il faut bien comprendre que pour Janaček, elle est<br />

partout. Le compositeur note à tout moment, sur des carnets ou sur n'importe quel<br />

morceau de papier, la « mélodie » d'enfants qui bavardent, de jeunes filles qui rient,<br />

de la cliente d'un hôtel s'adressant au groom, mais aussi la voix de la fille de<br />

Smetana 3 , et même les derniers moments de sa propre fille Olga...<br />

J'aurais pu vous en donner de multiples exemples. Mais d'abord, Janaček<br />

n'est pas facile à lire – il griffonne pour lui-même, des manières de pense-bête sur<br />

des bouts de papier. Et il m'est difficile surtout de chanter une langue que je ne<br />

comprends pas ; or il faut bien se persuader que pour Janaček, la mélodie d'un enfant<br />

tchèque ne peut se proférer que dans la langue tchèque.<br />

Il est formel aussi à propos du timbre : le souvenir d'une mélodie est<br />

inséparable de son timbre. « La mélodie, si elle est une expression authentique,<br />

n'existe pas sans une coloration particulière 4 » – ce qui semble reléguer toute<br />

transposition instrumentale au magasin des accessoires de la musique artificielle. La<br />

hauteur des sons est elle aussi notée très précisément, et dans la même ligne, la<br />

théorie de Janaček doit aussi refuser la modulation. Sauf bien entendu si elle dit<br />

quelque chose d'une transformation du sujet.<br />

Je dirai aussi que la mélodie des corbeaux tchèques ne peut se proférer qu'en<br />

tchèque. Mais – et c'est là que le texte à nouveau vient se tisser à la musique, et la<br />

fiction aussi – au kra-kra-kra-kra des oiseaux perchés sur un fil, le compositeur<br />

adjoint une syllabe « kra-du » ; « kradu » veut dire « voler » en tchèque, pas comme<br />

des oiseaux mais comme des voleurs. Et voilà les corbeaux transformés en<br />

comploteurs.<br />

[3 extrait du second quatuor]<br />

LE SECOND QUATUOR : LETTRES INTIMES<br />

Le second quatuor fut écrit presque aussi vite que le premier, en trois<br />

semaines, à la fin de 1927.<br />

Il devait porter le titre de Lettres d'amour ; Janaček finit par lui préférer<br />

Lettres intimes. Il s'agit bien là de texte – de texte commentant la musique. De même<br />

qu'à la viole d'amour (viola d'amore, qu'il a utilisée dans ses opéras précédents) il<br />

1 Ibid. p.781.<br />

2 Interview à un journal viennois, 1918.<br />

3 Qu'il interviewe en 1924, à l'occasion du centenaire.<br />

4The Fiddler's child, in Uncollected essays on music, XV/206.<br />

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