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TRADUIRE… INTERPRÉTER<br />

prédécesseurs : Dvořak et Smetana. On voit dans ses critiques avec quelle facilité il<br />

passe d'un moyen d'expression à l'autre, et surtout comment il lie l'un à l'autre, et lit<br />

l'un dans l'autre.<br />

Ainsi des poèmes symphoniques que Dvořak compose sur des poèmes de<br />

Erben. Janaček lit véritablement les poèmes à travers la musique instrumentale. Il<br />

devine notamment celles des mélodies calquées sur la prosodie de Erben. « Le sens<br />

des poèmes semblait lui être communiqué, dit un de ses commentateurs, presque en<br />

discours direct » (direct speech).<br />

On peut très grossièrement figurer l'imaginaire du compositeur par deux<br />

hémisphères dont l'un contient la langue tchèque, la liberté créatrice, la<br />

nature ─ symbolisée par le village et la maison natale d'Hukvaldy – la musique<br />

populaire et l'Amour–passion ; l'autre, la langue allemande, les artifices de<br />

composition, les préjugés bourgeois et les conventions sociales. L'un est affèterie ;<br />

l'autre est la Vie, et comme le souligne Guy ERISMANN, la Vérité. L'intransigeance<br />

linguistique de Janaček est telle que ses opéras, en langue tchèque, tarderont à<br />

s'imposer dans le monde. Elle ne facilite pas non plus les rapports avec sa<br />

belle-famille, germanophone.<br />

Le compositeur mercenaire varie le matériau musical à partir de techniques<br />

comme l'imitation. Le compositeur authentique cherche la Vérité. « De la chanson,<br />

écrit Janaček, nous devons apprendre la vérité de la vie. » Je vais revenir sur la<br />

relation musique / chanson.<br />

« La musique, écrit-il encore en 1924, ne signifie rien si elle n'est pas<br />

enfoncée dans la vie, dans le sang, dans l'environnement. Autrement, elle n'est qu'un<br />

jouet sans valeur 1 ». Chercher la Vérité, c'est faire naître chez l'auditeur un sentiment<br />

proche de celui qui anime son personnage à un moment donné.<br />

Pour cela, Janaček dispose d'abord d'une oreille quasi-infaillible (à quoi il<br />

adjoint un étonnant appareil de mesure, qui lui permet d'évaluer la durée d'une note,<br />

d'un mot, d'un bruit avec une extrême précision) ; il a de plus pour l'harmonisation<br />

un don étonnant et très original ; il dispose aussi d'une longue expérience. Janaček<br />

compositeur d'opéras et surtout compositeur célèbre n'est pas en effet un homme<br />

jeune. À l'âge où certains cessent d'écrire, il n'a produit aucun de ses grands opéras,<br />

ni Tarass Boulba, ni la Sinfonietta, ni la messe glagolitique. Sa carrière tient au fond<br />

entre les années 1916 et 1928 2 En 1916, Leoš a déjà soixante-deux ans.<br />

Ces douze années sont aussi, à peu près, les dates extrêmes d'une touchante<br />

(ou pathétique) histoire d'amour que je voudrais vous raconter et qui est sans<br />

conteste à l'origine des deux quatuors entre autres réussites.<br />

PREMIER QUATUOR : « SONATE À KREUTZER »<br />

Le titre en lui-même est quelque chose d'étonnant. Donner le nom de 'sonate'<br />

à un quatuor, cela n'est pas banal !<br />

On sait que la dédicace de cette sonate pour violon et piano de Beethoven fut<br />

tardivement attribuée au virtuose Rodolphe Kreutzer, qui d'ailleurs ne l'aurait jamais<br />

jouée. On sait aussi (relation de la musique au texte) que Tolstoï donna ce titre à un<br />

roman paru en 1889, qui rapporte la confession d'un mari jaloux, devenu le meurtrier<br />

1 John TYRELL : Leoš Janaček, Years of a life, II, p. 914.<br />

2 Or, il avait longtemps cru – de manière tout à fait irrationnelle – qu'il allait mourir en 1917: op. cit.<br />

p.209: « Long ago I thought I was going to die in 1917 ».<br />

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