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DU « SILENCE » DE L’ÉCRITURE JURIDIQUE ET DE SON PARADOXE INTERPRÉTATIF<br />

L’écriture juridique, à son tour, met en scène les mécanismes dont le discours<br />

du droit se sert afin d’imposer l’autorité juridique et la faire accepter par le milieu<br />

social, et qui, en plus, sont censés lui conférer la force et l’autorité. Saisir la<br />

dimension significative du droit revient à déchiffrer ce que les mots cachent, à<br />

réfléchir sur ce qui est dit, mais, pour paraphraser O. Ducrot, sur le dire également 1 .<br />

Ce n’est que de cette manière qu’on peut identifier les moyens par lesquels « le<br />

langage » du droit est légitimé et légitime à son tour l'institution juridique. De ce<br />

point de vue, nous pensons qu’il n’est pas sans raison qu’on a affirmé que « le droit<br />

nous raisonne par l’intermédiaire du langage » 2 .<br />

Ainsi, la tentative de déchiffrer le silence de l’écriture juridique revient à<br />

mettre en évidence les mécanismes qui assignent la force du discours, les<br />

instructions textuelles et symboliques véhiculées par les institutions juridiques<br />

(Parlement, Tribunal) qui évoquent son autorité. La loi, par le biais de son écriture<br />

parle aussi, silencieusement, de son arrière-plan culturel, de ses acteurs, de tout un<br />

ensemble de valeurs qui forment la culture juridique et qui n’ont pas une expression<br />

explicite dans le texte écrit, mais qui participe pleinement à sa signification. Comme<br />

le discours juridique entraîne, on le sait bien, des conséquences concrètes, parfois<br />

dramatiques, dans la vie des gens, le projet de mise en discours se fait souvent à<br />

l’aide des moyens implicites, à même d’exclure toute forme de violence.<br />

Comme organisation énonciative, le discours juridique repose sur une<br />

construction polyphonique, aussi bien au niveau législatif qu’au niveau<br />

juridictionnel. D’un part, le discours législatif est censé se faire l’écho de plusieurs<br />

couches d’émetteurs, à l’intention d’une couche beaucoup plus grande de récepteurs.<br />

Le législateur (dans la loi) assume aussi les idées de l’auteur du projet ou de la<br />

proposition de la loi, de l’exposé des motifs, les rapporteurs des commissions<br />

parlementaires, les orateurs qui posent des questions, font des interventions et des<br />

amendements lors des débats parlementaires) ; le juge (dans sa décision) assume, le<br />

point de vue de l’avocat (dans ses conclusions et sa plaidoirie), du représentant du<br />

ministère public (dans son réquisitoire), du greffier (dans ses écritures), des témoins<br />

(dans les déclarations), des techniciens (experts, consultants…). Il semble,<br />

néanmoins, que, paradoxalement, ces énonciateurs n’assument pas la responsabilité<br />

complète des paroles qu’ils énoncent, et qu’ils préfèrent reléguer à une instance<br />

obscure, cachée, silencieuse. Par conséquent, l’énonciation juridique se caractérise<br />

par une superposition de plans, dont certains, les plus redoutables, restent en ombre,<br />

cachés, implicites. C’est justement ce discours caché qui forge, à nos yeux, en toute<br />

discrétion, silencieusement, le pouvoir juridique, en transformant les menaces et les<br />

punitions réelles en menaces et punitions implicites, mais d’autant plus efficaces.<br />

Le projet discursif du droit sera donc l’un des plus complexes : le Pouvoir<br />

doit être mis en scène comme expression d’une institution, qui cache les véritables<br />

énonciateurs : législateurs, juges, citoyens, etc. Soit qu’il s'agisse du discours<br />

législatif, soit du celui juridictionnel, les émetteurs des « messages » (législateurs ou<br />

juges) s’identifient et se réclament d’une sorte d'instance immuable, censée légitimer<br />

leur pouvoir d’imposer la règle ou la punition.<br />

1 Ducrot O., Le dire et le dit, Paris : Minuit, 1984.<br />

2 Jestaz Ph., « Le langage et la force contraignante du droit », in Le langage du droit, Bruxelles : Editions<br />

Némésis, 1991, p. 70.<br />

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