Beth sarim
Une villa fut construite en 1929 à San Diego (Californie) par des Témoins de Jéhovah pour accueillir les "princes" d'Israël: Abraham, David, Jacob, Samson et autres. Qu'en est-il résulté?
Une villa fut construite en 1929 à San Diego (Californie) par des Témoins de Jéhovah pour accueillir les "princes" d'Israël: Abraham, David, Jacob, Samson et autres. Qu'en est-il résulté?
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<strong>Beth</strong> Sarim<br />
La luxueuse villa californienne du roi David et<br />
des autres patriarches hébreux<br />
Alexandre Salomon<br />
© Abidjan, Côte d’Ivoire<br />
29 mars 2016<br />
1
“ Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le répéter. „<br />
George Santayana<br />
(1863 – 1952)<br />
2
Table des matières<br />
Contexte historique ...................................................................................... 4<br />
Pourquoi 1925 ? ............................................................................................ 6<br />
<strong>Beth</strong> Sarim : la maison des princes ............................................................ 19<br />
Rutherford, le prince de <strong>Beth</strong> Sarim .......................................................... 34<br />
Vers une nouvelle prophétie ....................................................................... 43<br />
Conclusion .................................................................................................... 46<br />
Bibliographie ................................................................................................ 48<br />
3
Contexte historique<br />
LE<br />
7 mai 1918, le gouvernement fédéral américain émet des<br />
mandats d’arrêt contre Joseph Franklin Rutherford, alors<br />
président de la Société Watch Tower, et contre sept membres du siège<br />
mondial de l’Association des Étudiants de la Bible 1 pour outrage à la<br />
Cour suprême des États-Unis. Moins de deux mois après, Rutherford<br />
et ses associés sont condamnés à de lourdes peines de prison. Cette<br />
situation tue le zèle des fidèles de l’Association. 2 Mais environ neuf<br />
mois après leur condamnation, le 26 mars 1919, le zèle reprendra vie :<br />
les prisonniers seront libérés sous caution et l’année qui suit, ils seront<br />
disculpés. Quelle joie pour les quelques Étudiants de la Bible !<br />
1<br />
Après la mort de Charles Taze Russell (1852-1916), deuxième président de la Zion’s<br />
Watch Tower Tract Society, une crise de leadership éclate parmi les Étudiants de la Bible :<br />
qui allait le succéder ? Certains Étudiants se joignent à Joseph Rutherford, qualifié de<br />
“juge” et l’élisent comme président ; d’autres quittent l’Association-mère pour en former<br />
d’autres. Pour se démarquer de ces autres Étudiants, Rutherford décide à partir de 1931<br />
de choisir une autre appellation pour les Étudiants qui lui sont restés loyaux ; c’est la<br />
naissance historique des “Témoins de Jéhovah”. — Voir mon dossier Un trucage de<br />
l’Histoire, pp. 38-40.<br />
2<br />
Selon les propres termes de la Société Watch Tower : “C’est ainsi qu’en été de 1918, la<br />
voix jusque-là ferme et forte des témoins de Jéhovah et de son Royaume fut réduite au<br />
silence. Leur œuvre fut tuée, figurément parlant, et une inactivité semblable à la mort fut<br />
le lot de ce groupe de chrétiens jadis si actifs. Exilés, comme ils l’étaient, du siège de<br />
Brooklyn depuis le 26 août 1918, ils étaient fermement tenus en esclavage par leurs<br />
vainqueurs babyloniens. Figurément parlant du moins, l’œuvre était morte.” — Les<br />
témoins de Jéhovah dans les desseins divins, 1972, chap. 12, p. 83.<br />
4
En effet, bien avant son incarcération, J. Rutherford avait<br />
prononcé un célèbre discours à Los<br />
Angeles le 24 février 1918, en<br />
pleine guerre mondiale. Son<br />
discours avait pour thème :<br />
“Des millions de personnes<br />
actuellement vivantes ne<br />
mourront jamais.” Après sa<br />
sortie de prison, le même<br />
discours sera à nouveau prononcé le 21 mars 1920 à l’Hippodrome de<br />
New York et publié dans un livre en forme de brochure portant le<br />
même titre, qui sera distribué à l’échelle planétaire à des millions<br />
d’exemplaires. Que laissait entendre cette proclamation qui avait<br />
l’allure d’une propagande?<br />
Selon La Tour de Garde du 1 er novembre 1993, il était question<br />
d’expliquer que “les desseins de Dieu relatifs à la restauration de la<br />
terre en Paradis et à la résurrection des fidèles du passé<br />
commenceraient à s’accomplir en 1925.” 3 Cette mention mérite un<br />
intérêt attentif : à quels fidèles du passé est-il fait allusion ? et<br />
comment Rutherford a-t-il deviné que le Paradis serait restauré sur<br />
terre à partir de l’année 1925 ?<br />
3<br />
La Tour de Garde, 1 er novembre 1993, p. 11.<br />
5
Répondre à ces questions constitue la clé pour comprendre<br />
pourquoi une villa luxueuse nommée “<strong>Beth</strong> Sarim” a été bâtie en<br />
Californie par ceux qui se font aujourd’hui appelés “Témoins de<br />
Jéhovah” mais qui, avant une profonde crise de leadership dans<br />
l’Association, se nommaient “Étudiants de la Bible.” 4<br />
Pourquoi 1925 ?<br />
Possédant une copie de la brochure Des millions de personnes<br />
actuellement vivantes ne mourront jamais (édition française de 1920<br />
publiée par l’Association Internationale des Étudiants de la Bible), je<br />
me permets une courte description. Faisant 96 pages, la page de<br />
couverture est d’un vert tirant au bleu ciel. Joseph F. Rutherford dédie<br />
le livre à “tous ceux qui vivent actuellement sur la terre [en 1920] et<br />
qui désirent la vie, la liberté et le bonheur.” On peut lire dès<br />
l’introduction :<br />
L’affirmation formelle que des millions de personnes qui vivent<br />
maintenant sur la terre ne mourront jamais doit paraître<br />
présomptueuse à beaucoup. Je crois cependant que tout esprit<br />
impartial admettra que cette conclusion est raisonnable, après sérieuse<br />
considération du sujet. (…) Beaucoup d’hommes de talent sont entrés<br />
dans le ministère chrétien des siècles passés. Le grand adversaire<br />
connaissant leurs points faibles en a employé d’autres pour les flatter,<br />
les cajoler et tourner leur esprit vers les choses mondaines. L’immense<br />
4<br />
Voir la note 1, cf. supra.<br />
6
majorité de ces ecclésiastiques cédant à l’influence désastreuse et<br />
séduisante de l’adversaire se sont éloignés de la Bible et ont<br />
aveuglément conduit le peuple dans la mauvaise direction. Ils<br />
paraissent avoir entièrement perdu de vue le fait que Dieu a un grand<br />
plan qu’il exécute avec ordre et majesté. Mais l’heure a sonné où les<br />
peuples vont connaître la vérité et où ceux qui la connaîtront seront<br />
libérés de l’esclavage de l’ignorance et de la superstition, tandis que leurs<br />
esprits se tourneront vers les canaux qui conduisent au bonheur sans<br />
fin. 5<br />
Ces paroles, pleines d’espérance pour un monde qui venait de<br />
sortir d’une affreuse guerre, avaient de quoi attirer l’attention de<br />
plusieurs contemporains. Rutherford prend d’ailleurs le soin de<br />
préciser qu’il présentait là des vérités bibliques et non de la<br />
propagande. 6 Il martèle :<br />
Nous nous proposons ici de prouver que l’ordre de choses social, le<br />
second monde, se termina légalement en 1914, qu’il a passé et passe<br />
encore depuis cette date; que le nouvel ordre de choses s’avance pour<br />
prendre sa place; que dans une période définie, l’ancien ordre de<br />
choses sera complètement effacé et le nouvel établi; que tout cela se<br />
produira pendant la génération présente et que, de ce fait, des millions<br />
parmi les hommes vivant actuellement sur la terre, qui en seront les<br />
témoins et à qui sera offerte la vie éternelle, ne mourront jamais, s’ils en<br />
acceptent les conditions. Si ces faits sont établis sur un témoignage<br />
5<br />
Rutherford, Des millions de personnes actuellement vivantes ne mourront jamais, 1920,<br />
pp. 5-6.<br />
6<br />
Rutherford, Des millions de personnes, p. 7.<br />
7
compétent, à la satisfaction de l’esprit raisonnable, chacun devrait les<br />
saluer avec joie et en être enchanté, même au prix du bouleversement<br />
de ses opinions préconçues, forgées par l’étude des credo et plans<br />
humains. 7<br />
Ainsi, pour Rutherford, la démonstration qu’il était sur le point<br />
de présenter pouvait satisfaire un esprit raisonnable au point même de<br />
bouleverser des opinions préconçues. Partant d’un tel postulat, il lança<br />
cet appel fort décisif :<br />
Nous invitons le lecteur à examiner soigneusement tout ce qui est dit<br />
ici, à comparer l’argumentation avec les passages des Écritures cités, à<br />
voir la chose à la lumière des événements du jour actuel que tout le<br />
monde peut discerner et à tirer une conclusion de toutes ces évidences.<br />
Chacun doit être persuadé en lui-même et ne pas se priver du privilège<br />
d’examiner une question basée sur la Bible sous prétexte qu’un<br />
ecclésiastique ou toute autre personne avance l’insoutenable objection<br />
que c’est une chose dangereuse ou indigne de considération. L’erreur<br />
recherche toujours l’obscurité, tandis que la vérité cherche la lumière.<br />
L’erreur se refuse toujours à l’examen, la lumière réclame une<br />
investigation complète et profonde. 8<br />
Ces propos se passent de commentaire superflu : pour reprendre<br />
la dernière ligne, “la lumière réclame une investigation complète et<br />
profonde.” Ceci dit, que révèle une investigation minutieuse de la<br />
thèse de Rutherford, selon laquelle des millions parmi les hommes de<br />
7<br />
Rutherford, Des millions de personnes, p. 11.<br />
8<br />
Rutherford, Des millions de personnes, p. 11.<br />
8
son époque ne mourraient pas? Écoutons d’abord les explications de<br />
Rutherford :<br />
La compréhension du système des jubilés que Jéhovah installa en<br />
Israël, jette une grande lumière sur les événements d’un avenir très<br />
rapproché. Les Écritures montrent clairement que, tandis que Dieu<br />
avait affaire avec lui pendant plus de dix-huit siècles, Israël était un<br />
peuple typique. Sa loi était typique; elle illustrait les choses plus<br />
grandes et meilleures qui étaient à venir. Le Seigneur commanda à<br />
Moïse d’instituer le système des sabbats l’année où Israël entra dans le<br />
pays de Canaan, c’est-à-dire 1575 ans avant l’an 1 de notre ère<br />
(Lévitique 25 : 1 - 12). Chaque cinquantième année devait être une<br />
année de jubilé. Elle commençait le dixième jour du septième mois, le<br />
jour même de propitiation. (…) D’autres passages des Écritures<br />
montrent que soixante-dix jubilés devaient être observés (Jérémie 25 :<br />
11 ; 2 Chroniques 36 : 17-21). Un simple calcul de ces jubilés nous<br />
conduit à cette remarque importante: soixante-dix jubilés de<br />
cinquante ans chacun forment un total de 3500 ans. Cette période<br />
commençant en 1575 av. J.-C., devrait naturellement se terminer à<br />
l’automne de l’année 1925, date à laquelle le type se termine pour que<br />
le grand antitype commence. A quoi donc pouvons-nous nous<br />
attendre? Dans le type, il devait y avoir une restauration intégrale, c’est<br />
pourquoi le grand antitype doit marquer le commencement du<br />
rétablissement de toutes choses. La chose principale qui doit être<br />
restituée à la race humaine, c’est la vie; et puisque d’autres passages<br />
montrent d’une façon positive qu’Abraham, Isaac, Jacob et les autres<br />
fidèles des temps anciens ressusciteront et qu’ils seront les premiers<br />
favorisés, nous pouvons nous attendre à ce que 1925 voie le retour de la<br />
condition de mort de ces hommes fidèles alors ressuscités et<br />
9
complètement rétablis à la position humaine parfaite, et comme<br />
représentants visibles et légaux du nouvel ordre de choses ici-bas. (…)<br />
Quand ce temps viendra, il y aura la paix et plus de guerre (…).<br />
Comme nous venons de le montrer, le grand cycle du jubilé doit<br />
commencer en 1925. C’est à cette date que sera reconnue la phase<br />
terrestre du royaume. Dans le onzième chapitre des Hébreux, l’apôtre<br />
Paul donne une longue liste des, fidèles qui sont morts avant la<br />
crucifixion du Seigneur et avant le commencement du choix de<br />
l’Eglise. (…) Ils doivent être ressuscités en hommes parfaits et constituer<br />
les princes ou gouverneurs de la terre, selon sa promesse. (Psaume 45:<br />
16, Esaïe 32:1, Matthieu 8: 11.) C’est pourquoi nous pouvons nous<br />
attendre avec confiance à ce que 1925 marque le retour à la condition<br />
de perfection humaine d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et les fidèles<br />
anciens prophètes, particulièrement ceux nommés par l’apôtre dans le<br />
onzième chapitre aux Hébreux. 9<br />
La thèse de Rutherford est explicite : d’après des calculs et<br />
interprétations hérités de l’adventisme 10 , il aboutit à 1925 comme la<br />
date de la résurrection des fidèles de Dieu mentionnés en Hébreux<br />
chapitre 11 qui viendraient restaurer le Paradis terrestre. Ceux-ci<br />
devaient constituer ‘les princes ou gouverneurs de la terre.’ Rutherford<br />
insista même sur l’idée que 1925 est “une date définitivement et<br />
clairement marquée dans les Écritures, même plus clairement que celle<br />
9<br />
Rutherford, Des millions de personnes, pp. 74-76.<br />
10<br />
Comme démontré dans mon dossier Un trucage de l’Histoire, pp. 56-69.<br />
10
de 1914.” 11 Dans l’ouvrage Prédicateurs du Royaume qui retrace leur<br />
origine à nos jours, les Témoins de Jéhovah font ce commentaire :<br />
À l’époque [dans les années 20], on croyait que les hommes fidèles du<br />
passé, tels qu’Abraham, Joseph et David, seraient ressuscités avant la fin<br />
de ce système de choses et seraient des “princes sur toute la terre” en<br />
accomplissement de Psaume 45:16. Cette explication a été rectifiée en<br />
1950, lorsqu’un examen plus approfondi de la Bible a révélé que ces<br />
ancêtres terrestres de Jésus Christ seraient ressuscités après<br />
Harmaguédon. (…) On attendait également pour 1925 la résurrection<br />
des fidèles serviteurs préchrétiens de Dieu, qui seraient sur la terre les<br />
représentants princiers du Royaume céleste. Si ces espoirs devenaient<br />
réalité, cela signifierait que l’humanité était entrée dans une ère où la<br />
mort cesserait de régner, où des millions de personnes auraient<br />
l’espérance de ne jamais mourir. Quelle perspective réjouissante!<br />
Certes, ils se trompaient quant à la date, mais les Étudiants de la Bible<br />
ont fait connaître cette espérance avec empressement. 12<br />
Avec empressement ou pas, le fait d’avoir procédé ultérieurement<br />
à une ‘rectification’ suppose qu’il y avait une faille dans les calculs.<br />
Mais à l’époque, Rutherford et ses Étudiants n’y voyaient aucune<br />
erreur. Confiants en l’année 1925, des campagnes d’évangélisation<br />
furent initiées. Cinémas, salles de conférence, les rues etc., seront<br />
assaillis par ce slogan : des millions de personnes ne mourront jamais.<br />
11<br />
La Tour de Garde (anglais), 15 juillet 1924, p. 211.<br />
12<br />
Les Témoins de Jéhovah: Prédicateurs du Royaume de Dieu, 1993, pp. 76, 632.<br />
11
D’après un annuaire des Témoins de Jéhovah, “peu de<br />
déclarations ont davantage frappé les hommes à notre époque que ce<br />
slogan plein d’espoir.” 13 Mais ‘ce slogan plein d’espoir’ allait très vite<br />
tourner au cauchemar. En témoigne cet autre commentaire des<br />
Témoins :<br />
L’année 1925 s’en vint et l’année 1925 s’en alla, et les disciples oints de<br />
Jésus étaient encore sur la terre en tant que classe. Les fidèles<br />
13<br />
Annuaire des Témoins de Jéhovah, 1973, p. 105.<br />
12
d’autrefois — Abraham, David et d’autres — n’avaient pas été<br />
ressuscités pour devenir princes sur la terre (Ps. 45:16). À ce sujet voici<br />
ce qu’a écrit Anna MacDonald : “1925 fut une année bien triste pour<br />
beaucoup de frères. Il en est qui trébuchèrent ; leurs espérances étaient<br />
anéanties. Ils s’attendaient à voir ressusciter des ‘anciens dignitaires’<br />
[hommes d’autrefois comme Abraham]. Au lieu de voir cela comme<br />
‘une chose probable’, ils ont compris que c’était ‘une chose certaine’, et il<br />
y en eut qui firent des préparatifs pour leurs bien-aimés, s’attendant à<br />
leur résurrection. Pour ma part, j’ai reçu une lettre de la sœur qui<br />
m’avait conduite à la vérité. Elle m’informait qu’elle s’était trompée<br />
dans ce qu’elle m’avait dit (...) [Mais] j’étais reconnaissante d’avoir été<br />
libérée de Babylone. Vers quoi d’autre pourrait-on aller ? J’avais appris<br />
à connaître et à aimer Jéhovah.” Les fidèles serviteurs de Dieu ne<br />
s’étaient pas voués à lui jusqu’à une certaine date seulement. Ils étaient<br />
résolus à le servir pour toujours. Pour ces personnes, le fait que les<br />
choses prévues pour 1925 ne se réalisèrent pas ne posa pas de grand<br />
problème ni n’affecta leur foi. 14<br />
L’année 1925 a donc essuyé un échec prophétique. Tels sont les<br />
faits. Or, les faits sont têtus. Jouer sur les mots en affirmant qu’il fallait<br />
voir en cette prédiction quelque chose de probable plutôt que certaine<br />
est une stratégie de double langage visant à minimiser cet échec, plus<br />
connue sous l’appellation de “dissonance cognitive.” 15 En fait,<br />
14<br />
Annuaire des Témoins de Jéhovah, 1975, p. 146.<br />
15<br />
La loyauté envers l’Association malgré les erreurs doctrinales et prophétiques commises<br />
en son sein n’avait rien de nouveau : le même phénomène s’était produit avec l’échec<br />
prophétique de William Miller (cf. A. Salomon, Un trucage de l’Histoire, pp. 12-13). Pour<br />
une discussion sur la dissonance cognitive dans le contexte des échecs prophétiques et de<br />
13
comment “une date définitivement et clairement marquée dans les<br />
Écritures” et “fixée par la loi de Dieu donnée à Israël” 16 , pouvait-elle<br />
être vue comme une chose probable et non comme une certitude?<br />
Voici un extrait du livre La Harpe de Dieu, écrit par Rutherford<br />
en 1921, qui met fin à toute polémique 17 :<br />
Remarquons que l’annonce est faite “en toute confiance.” Il ne<br />
s’agissait donc pas d’une simple hypothèse, ou d’une chose probable.<br />
Les arguments sont d’ailleurs assaisonnés de versets tirés des Écritures,<br />
comme pour renforcer leur crédibilité. Le livre précité précise en<br />
outre 18 :<br />
la psychologie sociale, voir l’essai classique de Leon Festinger, Henry W. Riecken et<br />
Stanley Schachter, When Prophecy Fails: A Social and Psychological Study of a Modern<br />
Group that Predicted the Destruction of the World, University of Minnesota Press, 1956.<br />
16<br />
La Tour de Garde (anglais), 1 er septembre 1922, p. 262.<br />
17<br />
Rutherford, La Harpe de Dieu, 1921 (édition française), p. 298.<br />
18<br />
Rutherford, La Harpe de Dieu, p. 304.<br />
14
Dans la même veine, un livre intitulé The Way of Paradise (“La<br />
voie du Paradis”) fut publié en 1924 et destiné aux enfants de<br />
l’Association. Il est indiqué que l’année 1925 qui marque le dernier<br />
jubilé chez les Juifs, verra très tôt après la résurrection d’Abel,<br />
d’Énoch, d’Abel, d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Melchisédek, de<br />
Job, de Moïse, de Samuel, de David, d’Ésaïe, de Jérémie, d’Ézékiel, de<br />
Daniel, de Jean le Baptiste, et d’autres mentionnés dans le chapitre 11<br />
des Hébreux. 19 Le rédacteur du livre, William Van Amburgh, l’un des<br />
collaborateurs de Rutherford et pendant longtemps secrétairetrésorier<br />
de la Société Watch Tower, a fait cette affirmation<br />
percutante :<br />
Il ne fait aucun doute que plusieurs garçons et filles qui lisent ce livre<br />
seront encore vivants pour voir Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Daniel,<br />
19<br />
W. E. Van Amburgh, The Way to Paradise, 1924, pp. 223-224.<br />
15
et les autres hommes fidèles du passé (…). Quel privilège d’être vivant<br />
en ce moment et de voir la fin de l’ancien [monde] et la venue du<br />
nouveau ! De tous les temps de l’histoire terrestre, c’est aujourd’hui le<br />
moment le plus merveilleux ! 20<br />
Comme nous le démontre cette documentation ancienne, les<br />
Étudiants de la Bible sous la présidence de Rutherford croyaient dur<br />
comme fer en la prophétie de 1925. Il n’y avait rien de supposé ici,<br />
mais des affirmations péremptoires qui ne se sont jamais accomplies.<br />
Plusieurs avaient “quitté leur travail, renvoyé à plus tard des<br />
20<br />
Van Amburgh, The Way to Paradise, pp. 226-227.<br />
16
opérations médicales, distribué leurs biens aux pauvres, interrompu la<br />
culture des champs en vue du millenium imminent. Rien ne se<br />
produisit, une fois de plus, en 1925, et l’on assista à une nouvelle<br />
‘grande déception.’” 21 Par ailleurs, affirmer que cet échec prophétique<br />
‘ne posa pas de grand problème ni n’affecta leur foi’ est une contrevérité<br />
22 : le livre Prédicateurs du Royaume admet que certains calculs<br />
chronologiques et les espoirs que les Témoins y rattachaient<br />
ont engendré de grandes déceptions. Après 1925, l’assistance aux<br />
réunions a terriblement baissé dans certaines congrégations de France et<br />
de Suisse. 23<br />
Pourquoi y a-t-il eu de grandes déceptions et une baisse d’effectif<br />
drastique 24 si l’échec prophétique de 1925 ‘ne posa pas de grand<br />
problème ni n’affecta leur foi’ ? Rutherford lui-même eût à confesser :<br />
21<br />
Massimo Introvigne, Les Témoins de Jéhovah (Les Éditions du Cerf, 1990), p. 46.<br />
Traduit de l’italien par Philippe Baillet.<br />
22<br />
Dans le livre Prêtons attention à la prophétie de Daniel ! (1999, p. 303), les Témoins de<br />
Jéhovah affirment que la prophétie concernant 1925 était “une opinion très répandue” et<br />
que “beaucoup servaient Dieu avec une date en vue.” Était-ce vraiment une ‘une opinion<br />
très répandue’ ne s’appliquant qu’à beaucoup plutôt qu’à l’ensemble des Étudiants de la<br />
Bible? La Tour de Garde du 1 er août 2009 (p. 16) permet de trancher : “De 1918 à 1925, les<br />
serviteurs de Jéhovah ont présenté dans le monde entier et en plus de 30 langues le<br />
discours ‘Des millions de personnes actuellement vivantes ne mourront jamais’. Ce<br />
discours traitait de l’espérance de la vie éternelle sur la terre.” Ainsi, il ne s’agissait pas<br />
d’une simple opinion partagée par beaucoup, mais d’une croyance ferme de l’ensemble<br />
des Étudiants de la Bible restés loyaux à Rutherford.<br />
23<br />
Prédicateurs du Royaume de Dieu, p. 633.<br />
24<br />
En 1925, le nombre de participants à la Sainte Cène ou Mémorial était de 90 434 (cf.<br />
“Que ta volonté soit faite sur la terre” [angl.], 1958, p. 337 ; La Tour de Garde, 1 er janvier<br />
17
On doit s’attendre à ce que Satan essaye d’insuffler dans l’esprit des<br />
oints la pensée que 1925 doit voir la fin de l’œuvre et, par conséquent,<br />
qu’il n’y a plus rien à faire davantage. 25<br />
Il rejette ainsi la faute sur Satan. Mais La Tour de Garde du 1 er<br />
mai 1985 soulignait sa part de responsabilité :<br />
À propos des déclarations malencontreuses qu’il avait faites sur ce que<br />
nous devions attendre de l’année 1925, frère Rutherford a un jour<br />
reconnu devant toute la famille du Béthel: “Je me suis comporté comme<br />
un imbécile.” 26<br />
Comme si cette déclaration ne suffisait pas 27 , Rutherford<br />
relancera la machine prophétique en acceptant la construction d’une<br />
1975, p. 14). Mais trois années plus tard, en 1928, il n’y a que 17 380 participants ! (cf.<br />
Annuaire des Témoins de Jéhovah 1958 [angl.], p. 284).<br />
25<br />
La Tour de Garde (anglais), 1 er septembre 1925, p. 262.<br />
26<br />
La Tour de Garde, 1 er mai 1985, p. 24 ; voir aussi l’édition anglaise The Watchtower, 1 er<br />
octobre 1984, p. 24.<br />
27<br />
Lors d’une convention des Étudiants de la Bible qui se tint en Suisse, quelqu’un<br />
interrogea Rutherford en ces mots : “Les anciens dignitaires sont-ils de retour ?”<br />
Répondant par la négative, Rutherford souligna qu’il “serait totalement insensé de faire<br />
une telle proclamation.” Et d’ajouter : “Il a été dit dans le livre Des millions que nous<br />
devrions nous attendre raisonnablement qu’ils retourneraient dans une courte période<br />
après 1925 ; mais il ne s’agissait que d’une opinion. Au demeurant, nous sommes toujours<br />
dans cette courte période après 1925. Il n’y a aucune raison d’attendre le retour des<br />
anciens dignitaires jusqu’à ce que l’église soit complète et que l’œuvre de l’église sur terre<br />
soit achevée.” — La Tour de Garde (anglais), 1 er juillet 1926, p. 196. Cependant, je n’ai<br />
trouvé nulle part dans la brochure Des millions l’idée que la prédiction de 1925 était une<br />
opinion.<br />
18
luxueuse villa sur les hauteurs de San Diégo (Californie). Quel était<br />
son but ?<br />
<strong>Beth</strong> Sarim : la maison des princes<br />
L’incarcération de Rutherford et d’autres hauts responsables de<br />
l’Association des Étudiants de Bible avait pratiquement éteint l’œuvre<br />
consistant à prêcher un retour invisible de Christ en 1914. Après leur<br />
sortie de prison, il fallait raviver les choses et attirer des foules par des<br />
discours sensationnels. C’est ainsi que fut organisée “une série de<br />
conférences publiques qui avait débuté le 25 septembre 1920, et [qui]<br />
avait pour but d’attirer l’attention de millions de personnes.” 28 Bercés<br />
dans l’illusion d’un paradis qui approchait à grands pas, les personnes<br />
conquises s’adonneront à des campagnes de propagande en insistant<br />
sur l’année 1925.<br />
Cette année étant arrivée, aucun paradis sur terre, aucune<br />
résurrection des princes des temps anciens. La déception fut grande.<br />
Plusieurs quittent alors l’Association; certains choisirent d’y demeurer.<br />
Il y avait encore de l’espoir. Et cet espoir, Rutherford en sera encore<br />
l’instigateur. Bien qu’ayant avoué avoir agir en imbécile à propos de<br />
1925, l’homme était loin de se laisser intimider par cet échec. Dès<br />
1929, débuta en Californie la construction d’une villa de luxe nommée<br />
28<br />
Les témoins de Jéhovah dans les desseins divins, chap. 14, p. 98.<br />
19
en hébreu <strong>Beth</strong> Sarim (‘maison des princes’). Pourquoi une telle<br />
maison ? Dans le livre Salut publié en 1939, il est expliqué 29 :<br />
Le même son de cloche qu’en 1925 : la résurrection des “princes”<br />
qui, comme on l’a vu, sont les fidèles de Dieu mentionnés en Hébreux<br />
chapitre 11. Mais cette fois-ci, on se montre un peu plus prudent :<br />
29<br />
Salut, 1939, p. 272.<br />
20
aucune date fixe en vue. Ces “princes” revenus à la vie habiteront alors<br />
dans cette villa construite pour rendre témoignage au nom glorieux de<br />
Jéhovah. Pour prouver que les choses se passeraient bien ainsi,<br />
Rutherford fit appel aux journalistes américains qui furent carrément<br />
subjugués par sa ferme conviction et surtout par le luxe des locaux.<br />
Voici un extrait du célèbre magazine hebdomadaire américain, le<br />
TIME :<br />
21
Grand, les yeux bleus, le juge Joseph Frederick Rutherford vit dans un<br />
manoir espagnol de dix pièces, n°4440 Braeburn Road, San Diego,<br />
Californie. La semaine dernière il a cédé par acte notarié le n°4440<br />
Braeburn Road ; les deux garages à voitures adjacents et une paire<br />
d’automobiles au roi David, à Gédéon, à Barak, à Samson, à Jephté, à<br />
Samuel et divers autres puissants et anciens de la Palestine. Il est sûr et<br />
certain qu’ils vont bientôt réapparaître sur la terre. Il dit : “J’ai<br />
volontairement ménagé le terrain avec des palmiers et des oliviers<br />
pour que les princes de l’univers se sentent chez eux quand ils vont<br />
venir pour offrir aux hommes une chance d’être parfaits.” (…) Sa<br />
conviction (…) est vraisemblablement partagée par un million de<br />
membres de l’Association Internationale des Étudiants de la Bible et de<br />
la Tour de Garde, Société de Bibles et de Tracts, dont il est le<br />
Président. 30<br />
Dans une autre interview qu’il accorda au San Diego Sun et qui<br />
fut publiée le 15 mars 1930, Rutherford fut interrogé sur la manière<br />
dont il comptait reconnaître les “princes” du passé lors de leur venue :<br />
“Mais comment identifierez-vous le roi David ou les autres<br />
représentants de Dieu ?”, fut demandé à Rutherford. “J’ai pensé à tout<br />
ceci avant de rédiger l’acte. (…) J’ai envisagé la possibilité que<br />
quelques vieillards étrangers arrivent de bon matin tout souriant en<br />
déclarant qu’ils étaient David. Les hommes que j’ai désignés pour tester<br />
l’identité de ces hommes sont eux-mêmes consacrés par le Seigneur, ils<br />
30<br />
Time Magazine, volume XV, n°13, 31 mars 1930, p. 60.<br />
22
sont divinement autorisés à différencier les imposteurs des vrais<br />
princes.” 31<br />
À ce sujet, le journal précité rapportera un incident à couper le<br />
souffle qui advint une année plus tard, suite cette interview : un vieux<br />
clochard était venu vers Rutherford, prétendant être le roi David.<br />
Rutherford le renvoya de la villa à cause de son accoutrement. Nous<br />
lisons :<br />
Un clochard émacié et mal rasé fut l’unique réclamant de la ville sud<br />
californienne à 75.000 dollars de David, roi d’Israël, depuis qu’elle<br />
avait été cédée par acte notarié au personnage biblique un an plus tôt.<br />
(…) Dans un des plus originaux actes notariés jamais enregistrés,<br />
Rutherford, président de l’Association Internationale des Étudiants de<br />
la Bible et de la Tour de Garde, Société de Bibles et de Tracts, a placé<br />
en dépôt la luxueuse propriété aux anciens rois et prophètes d’Israël. Le<br />
tueur de Goliath et ses compagnons pourront occuper les dix<br />
chambres modernes de cette maison avec ses jardins aménagés et son<br />
patio dès que leurs lettres de créance auront été approuvées par<br />
Rutherford et les responsables de ses sociétés, divinement habilités à<br />
les reconnaître. “Un matin, comme j’allais de la maison au garage, une<br />
créature étrange s’approcha de moi, pointa son chapeau sale et cria :<br />
‘Salut juge, je suis David.’ Je lui dis : ‘Va dire cela au vent !’ et il partit<br />
sans discuter. J’avais pu voir en un clin d’œil que ce n’était pas David. Il<br />
n’avait pas l’air de ce à quoi je savais que David devait ressembler.” 32<br />
31<br />
Virgil A. Wyatt, “San Diego Mansion – With All Modern Improvements – Awaits Early<br />
Return of Prophets”, San Diego Sun, 15 mars 1930, p. 1.<br />
32<br />
V. A. Wyatt, “David’s House Waits for Owner”, San Diego Sun, 9 janvier 1931, p. 15.<br />
23
Le journal poursuit :<br />
Interrogé sur l’apparence attendue de David et ses frères distingués,<br />
Rutherford, sans hésitation, ouvrit son énorme Bible et pointa sur un<br />
verset disant que les princes de l’univers seraient réveillés de la mort<br />
“en tant qu’hommes parfaits.” “Je pense que cela signifie, déclara le<br />
grand Juge Rutherford plein de dignité, que David, Gédéon, Barak,<br />
Samson, Jephté, Joseph et Samuel seront envoyés ici pour arracher le<br />
monde des griffes de Satan, vêtus de vêtements modernes comme nous,<br />
et capables, avec peu d’efforts, de parler notre langue.” Rutherford<br />
dépeint l’arrivée de la délégation biblique habillée de manteaux, de<br />
grands chapeaux, de canes et de demi-guêtres. À <strong>Beth</strong> Sarim (“maison<br />
des princes”), comme Rutherford a nommé sa villa, David trouvera les<br />
appareils les plus modernes que la science a inventés. Quand les<br />
distingués invités emprunteront la cage d’escalier circulaire menant au<br />
second étage, ils trouveront un grand cabinet avec des chaises en cuir<br />
rouge et un plateau de bureau miroitant surplombé par des lumières<br />
inversées. Des téléphones français attendent également les doigts des<br />
princes. En ouvrant une large porte, les fils natifs de la Palestine<br />
découvriront une grande salle de bain au carrelage noir reluisant, avec<br />
une douche encastrée et un coffre à médecine abondamment rempli.<br />
C’est avec un frisson dans le dos que Samson, qui détruisit un palais à<br />
mains nues, pourra découvrir un rasoir de sécurité en or avec une bande<br />
cuir pour l’aiguiser. Rutherford a construit une chambre au deuxième<br />
étage, qu’il occupe temporairement, suffisamment large afin de pouvoir<br />
recevoir plusieurs de propriétaires attendus. (…) Rutherford a importé<br />
du Cognac et de l’eau de Cologne d’Allemande pour rafraîchir les faces<br />
princières après s’être rasées. Un chapeau noir est accroché à un des<br />
bords du lit. “La venue de David et de ses compagnons sera la<br />
24
meilleure nouvelle de tous les temps, prédit Rutherford. Je ne cherche<br />
pas la publicité, dit prédit Rutherford avec un scintillement dans ses<br />
yeux marrons, mais je sens que le monde doit être au courant de leur<br />
arrivée. Ce sera une excellente nouvelle. (…) Partout où je vais, les gens<br />
m’interrogent à propos de cet endroit, dit Rutherford. À Chicago, un<br />
industriel millionnaire offrit de construire une autre maison pour<br />
David, mais j’ai décliné son offre. Il y a littéralement des milliers de<br />
gens qui sont venus ici pour voir cet endroit, continua Rutherford.<br />
Beaucoup sont venus à la porte et mon secrétaire leur a fait découvrir<br />
les lieux. Le patio, avec sa piscine argentée, ses palmiers et ses oliviers,<br />
est égayé par les fleurs. Descendant en direction du canyon, les sentiers<br />
ont été aménagés pour permettre à David et ses amis d’y méditer en<br />
marchant. Un grand nombre de fruits et d’arbres, originaires de<br />
Palestine, accueilleront les rois quand ils arriveront. Dans les deux<br />
garages à voitures de la maison voisine nouvellement construite, un<br />
coupé 16 cylindrées jaune sera légué aux rois avec tous les biens<br />
personnels de la propriété. Tout sera à eux, la maison, le terrain,<br />
l’ameublement, et même les vêtements s’ils en ont besoin, dit le juge<br />
Rutherford. 33<br />
La Cadillac 16 cylindrées qu’avait achetée Rutherford coûtait<br />
entre 5400 et 9200 dollars, une fortune à l’époque. 34 Une Cadillac V-16<br />
(une berline décapotable) sera également acquise et conservée dans les<br />
quartiers généraux de la Société Watch Tower, à Brooklyn ; seul<br />
33<br />
Ibid., p. 15.<br />
34<br />
Leonard et Marjorie Chretien, Witnesses of Jehovah (Harvest House Publishers: 1988),<br />
pp. 45, 46.<br />
25
Rutherford s’en servi en attendant la venue des “princes” de la terre.<br />
Or, il convient de rappeler un fait : en 1929 où fut construite cette villa,<br />
une grande dépression était en train de bouleverser l’économie des<br />
pays occidentaux industrialisés. Toutes les industries avaient baissé<br />
leurs rendements et leurs bénéfices avaient chuté considérablement.<br />
La consommation était réduite presque à néant. Le Réveillez-vous ! du<br />
8 mars 1992 explique :<br />
La première Guerre mondiale venait tout juste de prendre fin que déjà<br />
le délabrement de l’économie européenne annonçait de nouveaux<br />
malheurs. C’est à la fin du mois d’octobre 1929 que survint la<br />
catastrophe. La bourse de New York s’effondra brutalement, entraînant<br />
un mouvement de panique. Des centaines de banques firent faillite. Des<br />
millions de dollars furent perdus. Des milliers de personnes se<br />
retrouvèrent ruinées; certaines se suicidèrent en se jetant dans le vide du<br />
haut des buildings. La dépression précipita le monde entier dans la<br />
débâcle économique et, en aggravant la situation qui conduisit à la<br />
Seconde Guerre mondiale, elle déclencha également le chaos<br />
politique. 35<br />
Fred Severud, Témoin de Jéhovah, raconte également : “Quand<br />
survint la crise de 1929, j’avais une entreprise prospère. Étant dès lors<br />
dans l’impossibilité de payer mon personnel, je fus obligé de le laisser<br />
partir.” 36 Ces rapports indiquent que la situation économique n’allait<br />
pas pour le mieux. Or, c’est dans un tel contexte que fut construite<br />
35<br />
Réveillez-vous ! 8 mars 1992, p. 21 ; voir aussi le numéro du 22 octobre 1986, p. 8.<br />
36<br />
La Tour de Garde, 15 janvier 1983, p. 13.<br />
26
cette luxueuse villa à des milliers de dollars dans le district le plus<br />
huppé de San Diego, avec l’un des plus célèbres architectes américains<br />
de l’époque : Richard Smith Requa (1881-1941)! Comme la<br />
description qui a précédé l’indique, divers objets de valeur de la villa<br />
avaient été importés d’autres pays ; Samson avait même à sa<br />
disposition un rasoir de sécurité en or ! Leonard et Marjorie Chretien,<br />
un couple de Témoins de Jéhovah, écrivirent :<br />
Pendant que ceux qui travaillaient pour lui vendaient avec assiduité<br />
ses prolifiques ouvrages de porte-à-porte, le juge [Rutherford] vivait la<br />
vie d’un industrialiste important. Il passait ses moments d’hivers à <strong>Beth</strong><br />
Sarim et en été, il voyageait à travers l’Europe au moyen d’un<br />
paquebot. 37<br />
On notera en outre que l’homme avait aussi fait importer du<br />
Cognac et de l’eau de Cologne d’Allemande “pour [soi-disant]<br />
rafraîchir les faces princières après s’être rasées.” À la réalité, tout ceci<br />
(surtout l’alcool) n’était destiné à aucun “prince”, mais à lui-même<br />
comme on le verra. Dans le livre Prédicateurs du Royaume de Dieu, les<br />
Témoins de Jéhovah écrivent à propos de <strong>Beth</strong> Sarim :<br />
“La maison des princes” : En sortant de prison en 1919 après un<br />
internement injuste, frère Rutherford a contracté une grave<br />
pneumonie, qui lui a lésé irrémédiablement un poumon. Dans les<br />
années 20, sous traitement médical, il s’est rendu à San Diego<br />
(Californie), le médecin lui ayant recommandé d’y passer autant de<br />
37<br />
Leonard et Marjorie Chretien, Witnesses of Jehovah, p. 46.<br />
27
temps que possible. À partir de 1929, frère Rutherford travaillait<br />
l’hiver dans une maison de San Diego qu’il avait nommée <strong>Beth</strong>-Sarim.<br />
<strong>Beth</strong>-Sarim avait été construite grâce à un don fait spécialement dans ce<br />
but. L’acte, publié intégralement dans “L’Âge d’Or” du 19 mars 1930 (en<br />
anglais), faisait de Joseph Rutherford le propriétaire de cette maison, et<br />
après lui la Société Watch Tower. (…) Quelques années après la mort<br />
de frère Rutherford, le conseil d’administration de la Société Watch<br />
Tower a décidé de vendre <strong>Beth</strong>-Sarim. Pourquoi? “La Tour de Garde”<br />
du 15 décembre 1947 (en anglais) a expliqué: “Elle avait pleinement<br />
rempli son rôle et n’était plus maintenant qu’un témoignage dont<br />
l’entretien était assez coûteux; notre foi dans le retour des hommes du<br />
passé que le Roi Christ Jésus fera princes par TOUTE la terre (et pas<br />
seulement en Californie) repose, non sur cette maison <strong>Beth</strong>-Sarim,<br />
mais sur la Parole divine de promesse.” 38<br />
On relève quelques éléments assez curieux dans ce commentaire.<br />
Premièrement, on nous dit que <strong>Beth</strong> Sarim aurait “été construite grâce<br />
à un don fait spécialement” dans le but que Rutherford y travaille<br />
l’hiver à cause de son état de santé. Deuxièmement, l’acte notarié qui<br />
fut publié dans L’Âge d’Or du 19 mars 1930 (en anglais) aurait fait “de<br />
Joseph Rutherford le propriétaire de cette maison, et après lui la<br />
Société Watch Tower.” Troisièmement, on nous fait croire que la<br />
luxueuse villa “avait pleinement rempli son rôle.” Quatrièmement, les<br />
Témoins affirment que leur foi en la venue des princes du passé repose<br />
38<br />
Prédicateurs du Royaume de Dieu, p. 76.<br />
28
désormais, non plus sur “<strong>Beth</strong>-Sarim, mais sur la Parole divine de<br />
promesse.” Examinons chacune de ces affirmations.<br />
<strong>Beth</strong> Sarim fut certes bâtie non pas aux frais de la Société ; mais<br />
comme l’a signifié Robert J. Martin, collaborateur de Rutherford qui a<br />
acquis le terrain pour la construction, elle le fut grâce au financement<br />
de loyaux Témoins de cette époque. 39 Martin précise en outre que “le<br />
frère Rutherford a refusé de la posséder pour lui-même à moins de<br />
s’en servir pour l’œuvre du Seigneur. ” 40 On a d’ailleurs vu plus haut,<br />
selon un extrait du livre Salut, que cette propriété appartenait à la<br />
Watch Tower Bible and Tract Society et qu’elle était “à la disposition<br />
du Président de la Société et de ses collaborateurs jusqu’au moment où<br />
elle sera remise aux ‘princes’ de la terre revenus.”<br />
À propos de l’acte notarié publié dans L’Âge d’Or du 19 mars<br />
1939 (The Golden Age, en anglais), acte rédigé conjointement par<br />
Rutherford et Martin, nous apprenons que<br />
la WATCHTOWER BIBLE AND TRACT SOCIETY possèdera le titre de<br />
propriété perpétuellement pour l’utilisation de chacun ou de tous les<br />
hommes ci-dessus nommés représentants du royaume de Dieu sur la<br />
terre et que de tels hommes auront la possession et l’utilisation de cette<br />
39<br />
“I am certain that the loyal ones would have been glad to help to finance the house had<br />
opportunity been given…” — R. J. Martin, The Golden Age, 19 mars 1930, p. 406.<br />
40<br />
“Last year, in company with a few brethren, we pressed this matter upon him, at that<br />
time the Lord having provided the means for the building of the house so that it would<br />
not be a burden on the Society. He finally consented that the house might be built only<br />
upon condition that it should be exclusively for the use of the Lord’s work, henceforth and<br />
for ever, and not for any private gain for any one.” — Ibid., p. 405.<br />
29
propriété ci-dessus décrite dans le meilleur intérêt du travail pour<br />
lequel ils sont engagés. 41<br />
41<br />
Ibid., p. 406.<br />
30
31
En 1942, l’année où Rutherford meurt, la Société publie le livre<br />
The New World (“Le monde nouveau”) dans lequel nous lisons :<br />
Le Seigneur Jésus est venu dans son temple pour le jugement (…)<br />
ainsi, on peut désormais s’attendre à voir ces fidèles des temps passés<br />
revenir de la mort à la vie à n’importe quel moment. Les Écritures<br />
fournissent une bonne raison de croire que cela adviendra très peu de<br />
temps avant Armaguédon. Dans cette expectative, la maison de San<br />
32
Diégo, Californie, maison qui fut mise en vedette par les ennemis<br />
religieux dans une intention malveillante, fut construite en 1930 et<br />
appelée “<strong>Beth</strong>-Sarim” signifiant “maison des princes.” En confiance,<br />
elle sera réservée pour l’hébergement des princes lors de leur retour. Les<br />
faits les plus récents démontrent que les religieux de ce monde<br />
condamné grincent des dents à cause du témoignage que cette<br />
“maison des princes” apporte au monde nouveau. 42<br />
42<br />
Le monde nouveau (anglais), 1942, p. 104.<br />
33
Ces documents anciens démantèlent l’argumentation actuelle des<br />
Témoins de Jéhovah. Est-il honnête d’affirmer que <strong>Beth</strong> Sarim “avait<br />
pleinement rempli son rôle” ? Les princes sont-ils revenus ? Ontils<br />
habité cette luxueuse villa ? La réponse est sans appel : non ! Ceux<br />
qui se moquaient de cette prophétie ont finalement eu raison, et la<br />
‘maison des princes’ censée “rendre témoignage au nom glorieux de<br />
Jéhovah” fut vendue. Plutôt, elle rendit témoignage au président de la<br />
Société Watch Tower qui mena une ‘vie à la californienne’, comme un<br />
véritable prince sur terre.<br />
Rutherford, le prince de <strong>Beth</strong> Sarim<br />
Selon le témoignage d’anciens Béthelites (nom qui était donné<br />
aux résidents du siège mondial des Témoins), <strong>Beth</strong> Sarim avait en<br />
réalité été bâtie pour éloigner Rutherford du siège mondial, en raison<br />
de son alcoolisme exagéré. 43 Olin Richmond Moyle (1887—1966) qui<br />
fut Témoin de Jéhovah pendant une vingtaine d’années et l’avocat de<br />
la Société Watch Tower de 1935 à 1939 devant la Cour Suprême des<br />
États-Unis dans des affaires, adressa une lettre de démission à<br />
Rutherford dans laquelle il dénonce ses agissements autoritaires, ainsi<br />
que la place accordée à l’alcool au sein du siège mondial :<br />
Sous votre direction s’est développée la glorification de l’alcool et la<br />
condamnation de l’abstinence totale qui est devenue inconvenante. Si<br />
43<br />
Edmond C. Gruss, Jehovah’s Witnesses: Their Claims, Doctrinal Changes and Prophetic<br />
Speculation. What Does the Record Show?, 2 e éd. 2007, p. 218.<br />
34
un Serviteur de Jéhovah boit une liqueur alcoolisée ce n’est pas mon<br />
affaire, sauf s’il s’agit d’aider un frère qui a trébuché ainsi. Si je<br />
m’abstiens totalement d’alcool, ce n’est l’affaire de personne, mais la<br />
mienne. Mais ce n’est pas ainsi au Béthel. Il semble y avoir une<br />
politique définie de tourner les nouveaux venus vers la consommation<br />
de boissons alcoolisées et on montre du ressentiment contre ceux qui<br />
ne les rejoignent pas. (…) Une sœur de New York a déclaré qu’elle<br />
n’avait jamais utilisée d’alcool ou n’en avait jamais servi avant que<br />
certains des garçons du Béthel aient insisté. Un frère qui a eu<br />
l’habitude de boire de l’alcool à l’excès est devenu un abstinent total<br />
après avoir trouvé la vérité. Il savait qu’une simple consommation<br />
d’alcool le ferait retourner à ses anciennes habitudes de boire, mais<br />
malgré cela les frères de Béthel ont insisté pour qu’il consomme de<br />
l’alcool et en ont déduit qu’il détonnait avec l’organisation par son<br />
refus. Des abstinents totaux sont considérés avec dédain comme des<br />
faibles. Vous avez publiquement étiqueté les abstinents totaux comme<br />
des prudes et devez donc assumer votre part de la responsabilité dans<br />
l’attitude digne de Bacchus que montrent les membres de la famille.<br />
Ceux-ci sont quelques-unes des choses qui ne doivent avoir aucune<br />
place dans l’organisation du Seigneur. (…) Ces déclarations sont les<br />
raisons présentées par la sœur Moyle et moi-même pour notre départ<br />
du Béthel. Si nous parlons faussement ou à tort nous sommes<br />
responsables devant le Seigneur de nos paroles. Si nous parlons<br />
sincèrement et nous soutenons vaillamment que tout ce qui est<br />
rapporté ici est la vérité, il y a alors une responsabilité immédiate de<br />
votre part pour remédier aux conditions ayant nécessité cette<br />
protestation. Que le Seigneur puisse vous guider et vous diriger dans<br />
35
un traitement amical et bon de vos fidèles serviteurs est mon désir et<br />
ma prière. 44<br />
Ces propos de Moyle furent traités par Rutherford et d’autres<br />
hauts responsables comme des calomnies, des mensonges et lui-même<br />
fut considéré comme un “méchant serviteur” (en référence à Mathieu<br />
24 : 48-51). 45 Sans se faire prier, Moyle intenta un procès en<br />
diffamation à tous les directeurs des corporations de Pennsylvanie et<br />
de New York de la Société Watch Tower et remporta le procès. 46 Mais<br />
Olin Moyle ne fut pas le seul à dénoncer Rutherford sur la question de<br />
l’alcool.<br />
Son fils Peter Moyle — qui était pourtant resté loyal à Rutherford<br />
au moment de l’exclusion de son père — a signifié dans un livre<br />
biographique sur Charles Taze Russell, publié par l’auteur juif David<br />
Horowitz, que “c’est un fait bien connu, même si cela est ‘secrètement<br />
caché’, que Rutherford aimait les femmes et le whisky.” 47 En effet,<br />
comme le reconnaissent les Témoins de Jéhovah, “Charles Russell et<br />
44<br />
Olin R. Moyle Court Transcript, lettre datée du 21 juillet 1939 disponible sur le site de<br />
Barbara Anderson, ex-membre du Comité de Rédaction de la Société Watch Tower :<br />
http://watchtowerdocuments.org/documents/1942_Olin_Moyle_Trial.pdf. Voir aussi<br />
Edmund C. Gruss, Apostles of Denial: An Examination and Exposé of the History,<br />
Doctrines and Claims of Jehovah Witnesses, 1970, pp. 295-296.<br />
45<br />
La Tour de Garde (angl.), 15 octobre 1939, pp. 316-317.<br />
46<br />
Tony Wills, A People For His Name: A History of Jehovah’s Witnesses and An<br />
Evaluation, 2 e éd. 2006, pp. 202-205; cf. Gruss, Apostles of Denial, pp. 290-299; Charles<br />
Love, 20 Questions That Jehovah’s Witnesses Cannot Answer, 2005, pp. 29-30.<br />
47<br />
David Horowitz, Pastor Charles Taze Russell: An Early American Christian Zionist (New<br />
York: Philosophical Library, 1986), p. 65.<br />
36
Joseph Rutherford étaient deux hommes très différents, tant par leurs<br />
personnalités que par leurs origines.” 48 Contrairement à Rutherford,<br />
Russell avait un tempérament plus doux et coopératif, prônant<br />
l’abstention totale de l’alcool 49 ; Rutherford, par contre, était quelqu’un<br />
de fougueux 50 et de coléreux qui n’hésita pas à pourfendre la<br />
déclaration du président de la Ligue contre l’alcoolisme aux États-Unis<br />
selon laquelle son organisation était d’origine divine :<br />
… en 1930, le président de la Ligue contre l’alcoolisme aux États-Unis<br />
est allé jusqu’à prétendre publiquement que son organisation était<br />
“née de Dieu”. Joseph Rutherford, alors président de la Société Watch<br />
Tower, a profité de l’occasion pour prononcer des discours<br />
radiodiffusés qui montraient qu’une telle allégation équivalait à un<br />
blasphème. Pourquoi? Parce que la Parole de Dieu n’interdit pas la<br />
consommation de vin; que les lois de prohibition ne supprimaient pas<br />
l’ivrognerie qui, elle, est réprouvée par Dieu; et que ces lois ont en réalité<br />
entraîné la production et le trafic clandestins d’alcool et la corruption de<br />
fonctionnaires. Les Témoins de Jéhovah considèrent qu’il revient à<br />
chacun de décider s’il consommera des boissons alcooliques ou s’en<br />
abstiendra. Cependant, ils se conforment à l’exigence biblique selon<br />
laquelle les surveillants doivent ‘être réglés dans leurs mœurs’. (…) Les<br />
48<br />
Prédicateurs du Royaume de Dieu, p. 66.<br />
49<br />
Prédicateurs du Royaume de Dieu, p. 182.<br />
50<br />
La Révélation : Le grand dénouement est proche ! 2006, p. 149.<br />
37
uveurs ne remplissent pas les conditions requises pour obtenir des<br />
privilèges de service particuliers. 51<br />
Pourtant, Rutherford était connu pour être un buveur et<br />
continuait d’occuper le plus haut poste de l’Association, celui de la<br />
présidence. Dans sa brochure La Prohibition et la Ligue des nations :<br />
née de Dieu ou du Diable ? Ce qu’en dit la Bible (angl.), distribuée à 70<br />
millions d’exemplaires, Rutherford tente de justifier l’usage de l’alcool<br />
par de nombreux versets bibliques, précisant que Jésus lui-même et les<br />
apôtres ont bu du vin. Citant par exemple l’épisode où Jésus a institué<br />
la Sainte Cène (cf. Matthieu 26 :27), il commente :<br />
Si le vin n’était pas approuvé par Dieu, alors Jésus ne l’aurait pas utilisé<br />
à cette occasion. D’ailleurs, Jésus<br />
recommande à ses disciples de<br />
continuer de pratiquer cette<br />
cérémonie une fois l’an jusqu’à la<br />
venue de son royaume. Si les<br />
prohibitionnistes avaient raison,<br />
aucun vin n’aurait été utilisé en<br />
obéissance à ce commandement du<br />
Seigneur. Le fait que le Seigneur ait<br />
utilisé du vin à cette occasion est la<br />
preuve concluante qu’en fabriquer, en<br />
posséder et s’en servir est approuvé par Dieu. (…) La Parole de Dieu<br />
dénonce l’usage excessif du vin, ou le fait de boire beaucoup au point<br />
51<br />
Prédicateurs du Royaume de Dieu, p. 182.<br />
38
d’être ivre, mais elle n’interdit pas sa fabrication, sa possession et son<br />
usage. 52<br />
Ainsi, en violation de la loi américaine en vigueur, la filiale<br />
canadienne des Témoins de Jéhovah, via son directeur Walter Salter,<br />
fit acheminer en<br />
contrebande de grandes<br />
quantités d’alcool aux<br />
quartiers généraux de<br />
Brooklyn. 53<br />
On a d’ailleurs vu plus<br />
haut qu’à <strong>Beth</strong> Sarim,<br />
Rutherford avait fait importer du Cognac en provenance d’Allemagne<br />
pour soi-disant les “princes” (Abel, Abraham, David etc.)<br />
À la page 37 de sa brochure précitée, apparaît la caricature ciaprès<br />
qui illustre un prédicateur religieux soutenant la prohibition de<br />
l’alcool (à gauche), une attitude jugée hypocrite et un prophète de<br />
Dieu en train de boire du vin (à droite; le texte d’Amos 9:13,14 étant<br />
cité en appui). La légende indique alors : “Vous devez choisir entre les<br />
deux.” Toute cette apologie de l’alcool et ce zèle pour contrer la loi<br />
américaine contrastent nettement avec l’attitude de son prédécesseur,<br />
52<br />
Rutherford, Prohibition the League of Nations-Born of God or the Devil, Which? The<br />
Bible Proof, 1930, pp. 30-31, 32.<br />
53<br />
M. James Penton, Apocalypse Delayed: The Story of Jehovah’s Witnesses (Toronto:<br />
University of Toronto Press, 3 e éd. 2015), pp. 98-100.<br />
39
Russell. Ce dernier se réjouissait de ce que “les sentiments<br />
antialcooliques se répandent, quoique lentement, pour autant que les<br />
chrétiens professant soient concernés.” 54 Et, bien qu’il reconnu que<br />
Jésus et ses disciples buvaient du vin, il précisa en revanche :<br />
Il peut, toutefois, être dit de l’autre côté de la question, que la plupart<br />
des vins de ces alentours et<br />
de ce temps contenait<br />
beaucoup moins d’alcool<br />
que la plupart des vins<br />
d’aujourd'hui. Il peut<br />
également être noté que des<br />
changements ont eu lieu dans<br />
l’humanité, de sorte que les<br />
habitants, en particulier de la<br />
zone tempérée, sont beaucoup<br />
plus énervés que ceux de<br />
n’importe quelle autre époque.<br />
Ainsi, avec des vins plus forts et<br />
des nerfs plus faibles, il y a<br />
largement une tendance de l’augmentation à l’excès et au préjudice. Il<br />
est de notre avis, par conséquent, que si le Seigneur vivait là où nous<br />
vivons, et à notre époque, il serait un abstinent total de liqueurs<br />
alcooliques, non seulement pour son propre compte, mais aussi comme<br />
un exemple pour les autres.” 55<br />
54<br />
La Tour de Garde (anglais), 15 septembre 1895, p. 211.<br />
55<br />
La Tour de Garde (anglais), 1 er janvier 1899, p. 16.<br />
40
Malheureusement, Rutherford ne suivit pas les sages conseils de<br />
Russell. Pour lui, la règle était : boire de l’alcool sans aboutir à l’ivresse.<br />
Or, qu’ont montré les faits parmi les Témoins de Jéhovah ? La Tour de<br />
Garde du 15 juillet 1983 nous éclaire :<br />
La boisson — Partagez-vous le point de vue de la Bible?<br />
C’ÉTAIT un chrétien [Témoin de Jéhovah] baptisé. Interrogé par les<br />
anciens de sa congrégation qui s’inquiétaient à son sujet, il reconnut<br />
bien avoir bu quelques verres de bière et de whisky. “Mais, protesta-til,<br />
je n’étais pas ivre!” Au dire de ce jeune homme, du moment que l’on<br />
ne s’enivre pas, la quantité d’alcool que l’on absorbe n’a aucune<br />
importance. Êtes-vous de son avis? Malheureusement, certains<br />
serviteurs de Dieu ont adopté ce raisonnement. Mais celui-ci est-il pour<br />
autant conforme aux Écritures? (…) Revenons à cette fameuse idée<br />
reçue selon laquelle ‘du moment que l’on ne s’enivre pas, la quantité<br />
d’alcool que l’on absorbe n’a aucune importance’. Il est vrai que la<br />
Bible condamne formellement l’ivresse. (…) Mais ne proscrit-elle que<br />
l’ivresse? Que dire de celui qui boirait beaucoup sans jamais vraiment<br />
s’enivrer? (…) le chrétien qui désire soit être recommandé afin de<br />
servir comme surveillant ou comme serviteur ministériel, soit<br />
continuer à remplir ces fonctions doit montrer l’exemple par sa<br />
sobriété habituelle. Voici plusieurs années, lors d’un mariage célébré<br />
dans un pays d’Amérique latine, les invités [Témoins de Jéhovah]<br />
avaient bu toute la nuit, jusqu’au petit matin. Cette noce eut pour<br />
conséquence la radiation de tous les anciens et des serviteurs<br />
ministériels. (…) Manifestement donc, les chrétiens devraient bannir<br />
41
non seulement l’ivresse déterminée par l’abus de l’alcool, mais aussi<br />
l’usage immodéré des boissons alcoolisées. 56<br />
On constate que la règle de Rutherford a été suivie par de<br />
nombreux Témoins de Jéhovah. À cela s’ajoute un autre détail<br />
curieux : l’épouse de Rutherford, Mary Fetzer, le quitta avec leur fils<br />
Malcolm Cheveland pour se rendre à Los Angeles (Californie).<br />
Pourquoi ?<br />
Selon les Témoins de Jéhovah, elle “était d’une santé fragile et<br />
supportait mal les hivers à New York (où se trouvait le siège de la<br />
Société Watch Tower); de ce fait, avec Malcolm, elle résidait depuis un<br />
certain temps dans le sud de la Californie, où le climat était meilleur<br />
pour sa santé.” 57 Toutefois, selon une autre publication des Témoins,<br />
en raison d’une grave pneumonie que Rutherford avait contractée<br />
les hivers de New York le mettaient pratiquement dans l’impossibilité<br />
de s’acquitter de ses devoirs de président de la Société. Dans les années<br />
vingt, il suivit un traitement médical à San Diego. Le climat lui<br />
convenait particulièrement bien, et son docteur l’encouragea à passer<br />
le maximum de temps possible à San Diego. Finalement, Rutherford<br />
suivit ce conseil. 58<br />
Ainsi, M. et Mme Rutherford supportaient mal l’hiver de New<br />
York en raison de leur état de santé fragile. Pourquoi n’ont-ils donc<br />
56<br />
La Tour de Garde, 15 juillet 1983, pp. 25-26.<br />
57<br />
Prédicateurs du Royaume de Dieu, p. 89.<br />
58<br />
Annuaire des Témoins de Jéhovah, 1975, p. 194.<br />
42
pas déménagé et cohabité dans la même ville de Californie, avec leur<br />
fils ? Bien plus curieux, Mary et Malcolm n’ont pas assisté aux<br />
funérailles de Rutherford. Selon l’historien James Penton, l’alcoolisme<br />
exagéré de Rutherford y était pour quelque chose. 59<br />
Quoiqu’il en soit, les données historiques permettent de conclure<br />
qu’à <strong>Beth</strong> Sarim, Rutherford a vécu une vie princière, dans un luxe qui<br />
faisait parler de lui. Mais la vente de cette villa a-t-elle mise fin, parmi<br />
les Témoins de Jéhovah, en l’espérance de la venue proche des<br />
‘princes’ sur la terre ?<br />
Vers une nouvelle prophétie<br />
Rutherford meurt le 08 janvier 1942, convaincu que David,<br />
Samson, Samuel et d’autres saints du passé viendraient loger dans sa<br />
luxueuse villa. Il émit même le désir que ses restes soient enterrés dans<br />
une portion de la propriété. 60 Des boissons alcoolisées, des voitures de<br />
marque et d’autres objets furent importés à <strong>Beth</strong> Sarim. Les années<br />
passant sans que ces ‘princes’ n’apparaissent, il fallait vendre la maison<br />
dont l’entretien coûtait d’ailleurs une fortune. Mais la croyance fut-elle<br />
pour autant dissipée ? Laissons parler les faits.<br />
En 1950 se tint une assemblée internationale au Yankee Stadium<br />
de New York. C’était, au dire de plusieurs Témoins de Jéhovah, un<br />
moment des plus inoubliables. Voici un rapport de la rencontre :<br />
59<br />
Penton, Apocalypse Delayed, p. 98.<br />
60<br />
Consolation, 27 mai 1942, pp. 3-4.<br />
43
Pendant des années le peuple de Jéhovah avait cru que les fidèles<br />
d’autrefois tels qu’Abraham, Joseph et David seraient ressuscités avant<br />
la fin du présent système de choses méchant. On appelait ces<br />
serviteurs de Dieu “anciens dignitaires”, “fidèles d’autrefois” et “les<br />
princes”. (…) C’est pourquoi, quand le peuple de Dieu se rendait à un<br />
congrès, il était toujours plus ou moins dans l’expectative. Peut-être ce<br />
rassemblement serait-il marqué par l’apparition d’un ou de plusieurs<br />
princes ressuscités. En gardant cela présent à l’esprit, joignez-vous<br />
maintenant aux 82 601 congressistes qui écoutent attentivement frère<br />
Franz le samedi soir 5 août 1950. Arrivé à un certain point de son<br />
intéressant discours biblique, il pose cette question : “La présente<br />
assemblée internationale serait-elle heureuse de savoir que ce soir et en<br />
ces lieux il y a parmi nous de futurs PRINCES DE LA NOUVELLE TERRE ?”<br />
Imaginez la surprise de l’auditoire. Voici quelques souvenirs encore<br />
très vivaces : “Je revois encore l’assemblée sursauter de stupéfaction.<br />
Nous nous sommes mis à regarder autour de nous, pleins d’espoir...<br />
David, Abraham, Daniel ou Job étaient-ils là ? Beaucoup de sœurs<br />
avaient les larmes aux yeux.” (Grace Estep). “J’étais si émue que je me<br />
suis assise sur le bord de mon siège, les yeux rivés sur la cage des<br />
joueurs (sorte d’abri à ras du sol pour les joueurs de base-ball). J’étais<br />
certaine que d’un moment à l’autre allait en surgir un ou plusieurs de<br />
ces hommes d’autrefois.” (Sœur Dwight Kenyon). “Ceux qui se<br />
trouvaient dans les couloirs se précipitèrent vers les entrées pour<br />
regarder l’estrade, peut-être dans l’espoir de voir Abraham, David ou<br />
Moïse. L’assistance se leva, l’atmosphère se tendit. Je suis sûr que si à ce<br />
moment-là un homme avec une longue barbe s’était avancé vers<br />
l’estrade, on n’aurait pu contenir la foule.” (L. E. Reusch.) Puis il se fit<br />
44
un profond silence. Chacun tendait l’oreille pour ne rien perdre des<br />
paroles de l’orateur. 61<br />
Scène théâtrale assez pittoresque, ne trouvez-vous pas ? Mettonsnous<br />
mentalement à la place de ces gens : voir Abraham, David,<br />
Daniel et d’autres ‘princes’ apparaître et traverser le Yankee Stadium,<br />
qui n’aurait pas souhaité cela pour lui-même ? Ainsi, <strong>Beth</strong> Sarim avait<br />
été vendue, mais l’espérance de voir le retour des ‘princes’ affectait<br />
toujours l’esprit des Témoins. Dans cet élan, aiguillonnés par l’idée<br />
d’être les seuls approuvés par Jéhovah et disposant d’une “chronologie<br />
biblique digne de foi”, les leaders de l’Association vont se lancer à<br />
nouveau dans le prophétisme sur la fin de ce système de choses et de la<br />
survenue d’Harmaguédon en 1975.<br />
Je n’entrerai point dans les détails sur ce dernier point et vous<br />
renvoie à mon dossier Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été<br />
détruite 62 ?<br />
61<br />
Annuaire des Témoins de Jéhovah, 1975, pp. 213-214.<br />
62<br />
A. Salomon, Quand l’ancienne Jérusalem a-t-elle été détruite, pp. 211-233.<br />
45
Conclusion<br />
<strong>Beth</strong> Sarim est une page sombre du passé des Témoins de<br />
Jéhovah. La construction d’une telle maison de luxe, à une époque où<br />
l’argent se faisait rare, est un panneau indicateur de là où peuvent<br />
mener des calculs basés sur la Bible quant au retour de Jésus et<br />
l’avènement de son Royaume. L’avertissement du Christ semble<br />
pourtant clair : “Il ne vous appartient pas de connaître les temps ou les<br />
époques que le Père a placés sous son propre pouvoir.” 63<br />
Mais les Témoins de Jéhovah ont maintes fois foulé au pied cette<br />
recommandation biblique ; et aujourd’hui, les calculs aboutissant à<br />
1914, empruntés aux Adventistes, continuent d’être exploités<br />
courageusement. Nous terminerons ce présent exposé par une citation<br />
tirée de l’une de leurs publications :<br />
Mais en s’imaginant que la chronologie révèle la date précise de la fin,<br />
ils n’ont pas compris la véritable signification des avertissements<br />
bibliques concernant la fin du présent système de choses. Quelle est,<br />
d’après les propres paroles de Jésus, la bonne attitude à adopter à<br />
propos de la fin ? Doit-on chercher à déterminer une date ? [...] Ce n’est<br />
pas l’attitude d’esprit que conseillait Jésus. [...] ll ne serait pas<br />
raisonnable de concentrer toute notre attention sur une date et de<br />
négliger des choses courantes dont s’occupent ordinairement les<br />
chrétiens. [...] Si quelqu’un a été déçu en ne suivant pas cette manière<br />
63<br />
Actes 1 : 6, Traduction du monde nouveau.<br />
46
de penser, il devrait maintenant veiller particulièrement à redresser<br />
son point de vue, tout en reconnaissant que ce n’est pas la Parole de<br />
Dieu qui a manqué son but ou qui l’a trompé ou déçu, mais que son<br />
raisonnement était fondé sur de fausses conceptions. [...] Plusieurs<br />
textes des Écritures nous disent que lorsque la fin viendra, elle<br />
surprendra complètement le monde. [...] Ces paroles très claires de<br />
Jésus montrent que les serviteurs de Dieu ne connaîtront pas la date de<br />
la ‘venue’ du Christ pour le jugement avant qu’il n’arrive. En fait, c’est à<br />
une heure où ses disciples n’y penseront pas que viendra Jésus. 64<br />
64<br />
La Tour de Garde, 1 er novembre 1976, p. 665.<br />
47
Bibliographie<br />
Des millions de personnes actuellement vivantes ne mourront jamais,<br />
1920.<br />
La Harpe de Dieu, 1921.<br />
Salut, 1939.<br />
The New World, 1942.<br />
Annuaire des Témoins de Jéhovah, 1973, 1975.<br />
Les Témoins de Jéhovah: Prédicateurs du Royaume de Dieu, 1993.<br />
Edmond C. Gruss, Jehovah’s Witnesses: Their Claims, Doctrinal<br />
Changes and Prophetic Speculation. What Does the Record Show?, 2 e<br />
éd. 2007.<br />
M. James Penton, Apocalypse Delayed: The Story of Jehovah’s<br />
Witnesses, 3 e éd. 2015.<br />
48
Pour plus de renseignements :<br />
salomonlesage777@gmail.com<br />
Vous pourrez aussi télécharger mes autres dossiers sur mon blog :<br />
https://salomonlesage777.wordpress.com<br />
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