AU PAYS DES ENFANTS TOREROS

AU PAYS DES ENFANTS TOREROS AU PAYS DES ENFANTS TOREROS

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R E P O R T A G E Star. A Tizimin, dans le Yucatán, il affronte un toro de 260 kilos. Le jeune Franco-Mexicain est demandé aux quatre coins du pays, où il effectue une soixantaine de courses par an. 50 • LE FIGARO MAGAZINE - 2 MAI 2009 AU PAYS DES ENFANTS TOREROS A 11 ans, le Franco-Mexicain Michelito a déjà tué une centaine de « toros ». Installé au Mexique, l’eldorado des écoles taurines pour enfants, il est devenu une star. Un phénomène que « Le Figaro Magazine » a voulu essayer de comprendre. DE NOS ENVOYÉES SPÉCIALES ÉMILIE TREVERT (TEXTE) ET AXELLE DE RUSSÉ (PHOTOS) 2 MAI 2009 - LE FIGARO MAGAZINE • 51

R E P O R T A G E<br />

Star. A Tizimin, dans le<br />

Yucatán, il affronte un toro<br />

de 260 kilos. Le jeune<br />

Franco-Mexicain est<br />

demandé aux quatre<br />

coins du pays, où il<br />

effectue une soixantaine<br />

de courses par an.<br />

50 • LE FIGARO MAGAZINE - 2 MAI 2009<br />

<strong>AU</strong> <strong>PAYS</strong><br />

<strong>DES</strong> <strong>ENFANTS</strong><br />

<strong>TOREROS</strong><br />

A 11 ans, le Franco-Mexicain Michelito a<br />

déjà tué une centaine de « toros ». Installé<br />

au Mexique, l’eldorado des écoles taurines<br />

pour enfants, il est devenu une star.<br />

Un phénomène que « Le Figaro Magazine<br />

» a voulu essayer de comprendre.<br />

DE NOS ENVOYÉES SPÉCIALES ÉMILIE TREVERT (TEXTE) ET AXELLE DE RUSSÉ (PHOTOS)<br />

2 MAI 2009 - LE FIGARO MAGAZINE • 51


R E P O R T A G E<br />

<strong>AU</strong> <strong>PAYS</strong> <strong>DES</strong> <strong>ENFANTS</strong> <strong>TOREROS</strong><br />

Rituel. Avant<br />

chaque course,<br />

Michelito prend<br />

toujours le temps<br />

de se recueillir<br />

quelques instants. Il<br />

prie la Vierge de la<br />

Macarena, protectrice<br />

des toreros.<br />

52 • LE FIGARO MAGAZINE - 2 MAI 2009<br />

Angoisse. En<br />

janvier, à Carrillo<br />

Puerto, Michelito<br />

est fébrile. Derrière<br />

le callejón, il jauge le<br />

toro avant d’entrer<br />

dans l’arène.<br />

Impassible, le garçon au visage<br />

poupin se laisse faire. Lentement,<br />

on lui enfile l’habit de lumière.<br />

Plus de 3 kilos sur ses frêles<br />

épaules. Son père noue une petite<br />

cravate noire sur son costume<br />

rose brodé d’or puis l’embrasse<br />

sur le front. On allume une bougie.<br />

Les mains jointes, l’enfant se recueille<br />

quelques instants. Sa mère le coiffe avant de<br />

lui dessiner un signe de croix sur les lèvres.<br />

Une image de la Vierge de la Macarena,<br />

la protectrice des toreros, plaquée<br />

contre sa poitrine, et le voilà prêt.<br />

Il est 17 h 30. La nuit s’apprête à tomber<br />

sur la petite ville mexicaine de Felipe Carrillo<br />

Puerto (Yucatán). Serrées dans les gradins<br />

de fortune d’une arène en bois, un<br />

millier de personnes attendent le petit surdoué<br />

de la tauromachie. Son nom : Michelito.<br />

A 11 ans, ce Franco-Mexicain a déjà<br />

tué une centaine de toros. Sa venue en<br />

France, l’été dernier, avait déclenché la polémique.<br />

Accueilli par des CRS, il avait dû<br />

renoncer à deux de ses courses sous la pression<br />

des manifestants anticorridas. Mais<br />

ici, tous saluent sa bravoure.<br />

Reconnaissant, Michelito fait toujours un tour de piste pendant lequel le public lui lance des pièces, des casquettes ou des sombreros qu’il empile joyeusement<br />

sur sa tête. A 11 ans, il a déjà son fan-club. A la fin de chaque course, des dizaines de gamins se ruent dans l’arène pour être photographiés à ses côtés.<br />

Du toril surgit une bête de 260 kilos. On<br />

est loin des vachettes d’« Intervilles » que<br />

Michelito avait pu toréer, en août dernier, à<br />

Arles et à Hagetmau. Premières passes.<br />

Etrangement, ce soir-là, son corps semble<br />

rouillé ; ses petits bras s’articulent comme<br />

ceux d’un Playmobil. Dans les tribunes, on<br />

entend les « Olé ! » des enfants et les cris de<br />

panique des mamans. La main posée sur le<br />

cœur, Diana, sa mère, ne rate pas une miette<br />

du duel. Anxieuse, elle jette un œil sur son<br />

fils, puis sur son mari, jamais bien loin du<br />

petit. « C’est un mélange de sentiments contradictoires,<br />

explique-t-elle. Je ressens de la peur,<br />

mais aussi de la joie et de la satisfaction. »<br />

En trois coups, Michelito tue son premier<br />

toro et salue machinalement le public avec<br />

sa montera (coiffe traditionnelle noire). Pas<br />

un sourire ne vient égayer son visage grave.<br />

Son petit frère, Andresito, 9 ans, saute dans<br />

l’arène pour le serrer dans ses bras.<br />

18 h 30. Il fait maintenant nuit noire. Michelito,<br />

en sueur, repose sa tête sur le bois<br />

du minuscule callejón. Sa mère lui apporte<br />

un médicament et lui propose de ne pas<br />

combattre le deuxième toro. Il refuse.<br />

19 heures. C’est à nouveau son tour. Michelito<br />

se tord de douleur, des larmes coulent<br />

sur ses joues rondes. Son père, l’ex-matador<br />

landais Michel Lagravère, lui prend le bras<br />

Triomphe. Devant<br />

des gradins combles,<br />

Michelito exulte.<br />

Dans le public, on<br />

fait virevolter des<br />

foulards blancs<br />

en signe de<br />

reconnaissance.<br />

et le convainc d’y retourner. Le petit sèche<br />

ses larmes, reprend sa cape. Il est faible.<br />

Le toro le renverse. A terre, on dirait une<br />

poupée de chiffon. « Hey, Michelito ! »,<br />

scande le public. Vaillant, il revient à la<br />

charge, muleta à la main. Un seul coup<br />

d’épée et le toro est vaincu. Tête tournée<br />

vers le ciel, le torerito souffle enfin. Les<br />

flashs crépitent, une nuée de gamins l’entoure.<br />

Michelito est ailleurs.<br />

Depuis la veille, le garçon souffre d’une<br />

intoxication alimentaire. « C’est une tête de<br />

mule, il a tenu absolument à toréer, justifie son<br />

père. Mais Mich sait ce dont il est capable. Il est<br />

conscient des risques. A part une grosse chute, •••<br />

2 MAI 2009 - LE FIGARO MAGAZINE • 53


R E P O R T A G E<br />

<strong>AU</strong> <strong>PAYS</strong> <strong>DES</strong> <strong>ENFANTS</strong> <strong>TOREROS</strong><br />

Entraînement. Après<br />

l’école, Michelito<br />

s’exerce avec son père,<br />

Michel Lagravère<br />

(à gauche), dans<br />

l’arène de Mérida,<br />

que sa mère dirige.<br />

••• il n’a jamais été blessé. » Selon lui, son fils est<br />

« né torero ». A 5 ans et demi, il tuait son<br />

premier toro. Depuis, chaque année, il se<br />

lance des défis : toréer six novillos (jeunes<br />

taureaux) – un record réalisé en janvier<br />

dernier –, puis passer l’alternative (accession<br />

au grade de matador) à 14 ans... En 2008,<br />

le prodige a remporté « 127 oreilles et<br />

26 queues », tient-il à préciser. Est-ce pour lui<br />

un jeu ? Non. Il se dit torero « pour la vie ! ».<br />

« J’essaye de le freiner », assure son père, qui<br />

est aussi son agent, et qui lui organise... une<br />

soixantaine de courses par an.<br />

20 h 30. Après avoir avalé une tortilla, la<br />

petite famille reprend la route. Direction<br />

54 • LE FIGARO MAGAZINE - 2 MAI 2009<br />

Mérida, à plus de 300 kilomètres. Michelito<br />

et Andresito s’endorment dans le coffre du véhicule.<br />

Cinq heures trente de trajet avec une<br />

voiture fumante et un Michelito malade,<br />

souffrant en silence. Déshydraté, il passera<br />

la fin de la nuit sous perfusion, à l’hôpital.<br />

On le retrouve chez lui, le lendemain, en<br />

pleine forme. Ici, aucun signe extérieur<br />

de richesse. Les deux frères partagent la<br />

même chambre où les figurines de Dragon<br />

Ball côtoient les petits taureaux en<br />

plastique. Le cadet, lui aussi, torée, en dilettante,<br />

toujours dans l’ombre de Michelito.<br />

Partout, sur les murs et les tables du<br />

salon, des photos et des trophées de la pe-<br />

« Torerito ». Agé de<br />

4 ans, Jafet est sans<br />

doute le plus jeune<br />

apprenti torero du<br />

monde ! Son cousin,<br />

Michelito, lui a<br />

transmis le virus.<br />

Dans une hacienda, près<br />

de Campeche, les élèves de<br />

l’école taurine de Mérida<br />

donnent une représentation.<br />

Au centre, Michelito.<br />

tite star. Sur un des clichés, il fait face à une<br />

bête de 300 kilos. « Ils nous voient toréer<br />

ça en France, on va en prison ! », plaisante le<br />

père. Son autre passion, c’est la guitare.<br />

En plus de la petite sèche qu’il gratouille<br />

sur les routes, le gamin arbore fièrement<br />

une Fender rouge – cadeau d’un animateur<br />

de télé. Chouchou des médias, il enchaîne<br />

les interviews comme un pro, répétant les<br />

phrases soufflées par son papa.<br />

Après l’école où il excelle, Michelito s’entraîne<br />

dans les arènes de Mérida, dirigées<br />

par sa mère. Trois fois par semaine, son<br />

père y dispense des cours de tauromachie<br />

à une vingtaine d’élèves. Créée en 2007,<br />

<strong>AU</strong> MEXIQUE, LES OPPOSANTS À LA<br />

CORRIDA SONT QUASI INEXISTANTS<br />

ET LES <strong>ENFANTS</strong> S’ENTRAÎNENT<br />

À TUER DÈS LEUR PLUS JEUNE ÂGE<br />

l’école n’est pas subventionnée. On fait donc<br />

avec les moyens du bord. Pour jouer le toro :<br />

des cornes montées sur une roue de vélo !<br />

Une fois par mois, enfants et ados, issus<br />

pour la plupart de milieux populaires, se<br />

frottent à de vraies vachettes. Pépé, 18 ans,<br />

d’origine indienne, a commencé à 8 ans. Sa<br />

passion lui a permis de sortir de la misère<br />

en récoltant quelques pesos dans les fêtes de<br />

villages. Malgré leur motivation, nombre<br />

d’élèves à la silhouette rondouillarde ne<br />

dépasseront jamais le stade de banderillos.<br />

Avec 18 écoles taurines, le Mexique est<br />

un vivier de jeunes toreros, mais rares sont<br />

ceux qui percent. Une dizaine seulement se<br />

Surdoué,<br />

Michelito est<br />

aussi à l’aise<br />

à l’école que<br />

dans une arène.<br />

sont fait un nom, tels Lulu de la Vega<br />

(16 ans), El Canelo (18 ans) ou Joselito Adame<br />

(19 ans)... Leurs idoles, Sébastien Castella<br />

ou El Juli, ont aussi fait leurs armes au Mexique.<br />

Les avantages ? On y torée toute l’année,<br />

les opposants à la corrida sont quasi inexistants,<br />

et le travail des enfants – qui peuvent<br />

s’entraîner à tuer dès le plus jeune âge –,<br />

est toléré. Michelito, décrit comme « la poule<br />

aux œufs d’or » par les antitaurins français,<br />

toucherait de 100 à 200 euros par course.<br />

C’est sa mère, surnommée « la Trésorière »,<br />

qui gère son compte en banque.<br />

De nombreux apoderados (agents taurins)<br />

proposent de juteux contrats à son<br />

Protecteur.<br />

Michelito écoute<br />

avec attention les<br />

conseils du<br />

novillero français<br />

Marco Leal.<br />

père, qui leur répond : « Mon fils n’est pas à<br />

vendre ! » Pour ces agents qui touchent<br />

une commission de 15 à 20 % sur chaque<br />

course, les jeunes espoirs sont un investissement<br />

sur l’avenir. Pedro Haces, qui a<br />

lancé Michelito, est un riche businessman<br />

au look mafieux, patron de plusieurs syndicats.<br />

« Sans son appui, on n’aurait pas pu<br />

y arriver », reconnaît Michel, qui le présente<br />

comme son associé. « Je ne suis pas hypocrite<br />

: si un jour Michelito remplit les arènes<br />

de Mexico et gagne 100 000 euros, tant<br />

mieux ! » Pour l’heure, le temps joue en<br />

faveur de l’enfant torero.<br />

■ ÉMILIE TREVERT<br />

2 MAI 2009 - LE FIGARO MAGAZINE • 55

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