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PHILIPPE_DUCOURNEAU-Alexandre_marsan_ou_letrange_histoire_de_cyril_vassikoff-[Atramenta.net].pdf

Un jeune écrivain trouve l'inspiration pour ses personnages en parcourant les cimetières. Mais cela n'est pas sans danger ...

Un jeune écrivain trouve l'inspiration pour ses personnages en parcourant les cimetières. Mais cela n'est pas sans danger ...

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<strong>Alexandre</strong> Marsan <strong>ou</strong><br />

l'étrange <strong>histoire</strong> <strong>de</strong> Cyril<br />

Vassikoff<br />

Philippe Duc<strong>ou</strong>rneau<br />

Oeuvre publiée s<strong>ou</strong>s licence<br />

En lecture libre sur <strong>Atramenta</strong>.<strong>net</strong><br />

2


Rencontre <strong>de</strong> Cyril Vassikoff<br />

Cyril Vassikoff était un jeune homme bien singulier. D'origine<br />

slave, il avait perdu ses parents dans un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> voiture, quelques<br />

années avant notre rencontre, et il s'était installé peu après dans notre<br />

ville, où il vivait mo<strong>de</strong>stement du petit pécule qu'il avait hérité.<br />

C'était un jeune homme <strong>de</strong> 23 ans, maigre et sec, t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs habillé<br />

à la diable, et qui mettait rarement le nez <strong>de</strong>hors. Dans son quartier,<br />

on ne l'apercevait qu'à <strong>de</strong> brefs intervalles, quand il sortait faire ses<br />

c<strong>ou</strong>rses p<strong>ou</strong>r la semaine. Le reste du temps, Cyril Vassikoff, le<br />

passait enfermé chez lui à c<strong>ou</strong>vrir d'une main fébrile <strong>de</strong>s pages et <strong>de</strong>s<br />

pages d'écriture au long <strong>de</strong>squelles se dér<strong>ou</strong>laient <strong>de</strong>s aventures plus<br />

bizarres les unes que les autres.<br />

Sans d<strong>ou</strong>te, Cyril Vassikoff espérait-il <strong>de</strong>venir un j<strong>ou</strong>r un grand<br />

maître du fantastique et, en attendant son heure <strong>de</strong> gloire, il vivait<br />

dans le plus grand isolement, comme mû par son propre univers.<br />

Jamais je n'aurais connu ce garçon étrange et solitaire sans la<br />

curieuse habitu<strong>de</strong> qu'il avait <strong>de</strong> passer une partie <strong>de</strong> ses dimanches<br />

après-midi dans le cimetière <strong>de</strong> notre ville.<br />

En tant que gardien, sa présence régulière dans ce lieu n'avait pas<br />

manqué <strong>de</strong> m'intriguer, car je le rencontrais t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs en <strong>de</strong>s endroits<br />

différents et jamais je ne l'avais vu se recueillir sur une tombe.<br />

Plusieurs fois, alors que je faisais ma ron<strong>de</strong> <strong>ou</strong> que j'entretenais les<br />

allées, j'avais été frappé <strong>de</strong> l'intérêt qu'il portait aux inscriptions<br />

mortuaires, allant même jusqu'à coller son nez sur une stèle p<strong>ou</strong>r<br />

déchiffrer une épitaphe à <strong>de</strong>mi rongée par le temps.<br />

Un dimanche, l'ayant surpris à gratter la m<strong>ou</strong>sse qui masquait une<br />

inscription mortuaire, je décidai d'intervenir et l'apostrophai<br />

3


vivement. Je savais pertinemment qu'il n'essayait pas <strong>de</strong> profaner une<br />

sépulture, mais je fis semblant <strong>de</strong> me méprendre sur ses intentions<br />

afin <strong>de</strong> connaître la raison <strong>de</strong> son comportement.<br />

En m'apercevant, Cyril Vassikoff arbora l'air penaud d'un enfant<br />

pris en faute et bred<strong>ou</strong>illa quelques mots d'excuse maladroits.<br />

Lorsque je lui <strong>de</strong>mandai quel besoin il avait <strong>de</strong> déchiffrer ainsi les<br />

tombes <strong>de</strong> gens qui lui étaient inconnus, il me répondit avec fort<br />

mauvaise grâce qu'il était écrivain et qu'il venait chercher dans le<br />

cimetière <strong>de</strong>s noms p<strong>ou</strong>r ses personnages.<br />

- Si v<strong>ou</strong>s avez besoin <strong>de</strong> noms lui dis-je, p<strong>ou</strong>rquoi ne prenez-v<strong>ou</strong>s<br />

pas un annuaire téléphonique au lieu <strong>de</strong> v<strong>ou</strong>s donner t<strong>ou</strong>t ce mal ?<br />

Cyril Vassikoff marqua d'abord un silence gêné. Visiblement, il<br />

n'avait guère envie <strong>de</strong> p<strong>ou</strong>rsuivre la conversation, mais choqué par<br />

ma remarque, et désireux sans d<strong>ou</strong>te <strong>de</strong> mettre fin à cette situation, il<br />

finit par sortir <strong>de</strong> sa réserve et me répondit d'un air indigné :<br />

- Un annuaire téléphonique, v<strong>ou</strong>s n'y pensez pas ! Je ne vois pas<br />

quelle inspiration je p<strong>ou</strong>rrai tr<strong>ou</strong>ver dans une liste interminable <strong>de</strong><br />

noms énumérés dans l'ordre alphabétique. En fait, ce ne sont pas<br />

seulement les noms qui m'intéressent, mais les <strong>de</strong>stins. V<strong>ou</strong>s qui<br />

passez tant <strong>de</strong> temps dans ce cimetière, v<strong>ou</strong>s <strong>de</strong>vez bien avoir<br />

constaté que quelques mots gravés sur une tombe racontent parfois<br />

t<strong>ou</strong>te une <strong>histoire</strong>. N'avez-v<strong>ou</strong>s pas remarqué par exemple comment<br />

l'am<strong>ou</strong>r et la mort sont s<strong>ou</strong>vent intimement mêlés ? Combien <strong>de</strong> fois<br />

n'ai-je pas vu <strong>de</strong>ux êtres se retr<strong>ou</strong>ver à bref intervalle s<strong>ou</strong>s un même<br />

pied <strong>de</strong> terre. Regar<strong>de</strong>z t<strong>ou</strong>s ces tombeaux et v<strong>ou</strong>s verrez <strong>de</strong>s êtres<br />

inconsolables rejoindre dans la mort ceux qu'ils ont perdu. Or, v<strong>ou</strong>s<br />

voyez, moi c'est cela que je recherche. Des noms qui parlent à mon<br />

imagination, <strong>de</strong>s noms qui me frappent et qui m'inspirent t<strong>ou</strong>t un<br />

<strong>de</strong>stin.<br />

- Et v<strong>ou</strong>s en avez déc<strong>ou</strong>vert beauc<strong>ou</strong>p dans ce cimetière,<br />

m'enquis-je d'un air amusé ?<br />

- Oh beauc<strong>ou</strong>p non. Mais dimanche <strong>de</strong>rnier par exemple, j'en ai<br />

tr<strong>ou</strong>vé un intéressant. C'était sur une très vieille tombe, non loin d'ici.<br />

Il y avait écrit :<br />

" Loetitia Laura the beloved wife of Sir John Chester, died<br />

September 2nd 1859, aged 22 years".*<br />

4


Loetitia Laura ! Quel nom plein <strong>de</strong> romantisme, non, v<strong>ou</strong>s ne<br />

tr<strong>ou</strong>vez pas ? En t<strong>ou</strong>s cas, moi j'en ferai l'un <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> mon<br />

prochain récit.<br />

- Et quel genre <strong>de</strong> récits écrivez-v<strong>ou</strong>s, lui <strong>de</strong>mandai-je ? Si j'en<br />

crois votre s<strong>ou</strong>rce d'inspiration, ça doit être plutôt macabre, non ?<br />

- C'est vrai que la mort me fascine, admit-il. Depuis la disparition<br />

<strong>de</strong> mes parents, c'est un peu comme si je flirtais avec elle. Mais dans<br />

mes récits, elle n<strong>ou</strong>rrit l'élément fantastique et n'est pas forcément<br />

tragique.<br />

- Eh bien bonne chance dans vos recherches, conclus-je, mais<br />

prenez gar<strong>de</strong> à ne pas détériorer les tombes.<br />

- Soyez sans crainte, me lança-t-il et, gêné sans d<strong>ou</strong>te par mon<br />

intervention, il abandonna presque immédiatement ses recherches et<br />

quitta le cimetière.<br />

N<strong>ou</strong>s étions au t<strong>ou</strong>t début <strong>de</strong> l'année 1967 et l'hiver, en ce mois <strong>de</strong><br />

janvier, était particulièrement rig<strong>ou</strong>reux. Il fallait être une peu f<strong>ou</strong>,<br />

pensais-je, p<strong>ou</strong>r se promener dans un cimetière par un froid pareil<br />

sans avoir rien <strong>de</strong> mieux à y faire. Mais après t<strong>ou</strong>t, à chacun son<br />

plaisir.<br />

* Loetitia Laura l'ép<strong>ou</strong>se aimée <strong>de</strong> Sir John Chester, est morte le<br />

2 septembre 1859, à l'âge <strong>de</strong>22 ans<br />

5


<strong>Alexandre</strong> Marsan<br />

Le dimanche suivant, en fin d'après-midi, alors que je quittais ma<br />

maison<strong>net</strong>te p<strong>ou</strong>r aller <strong>net</strong>toyer les abords du cimetière, j'aperçus la<br />

silh<strong>ou</strong>ette sombre et élancée <strong>de</strong> Cyril Vassikoff passer au loin dans<br />

une allée. Le personnage m'intriguait singulièrement et je fus un<br />

instant tenté d'aller prendre <strong>de</strong> ses n<strong>ou</strong>velles, mais sachant son<br />

naturel peu communicatif, je me retins et continuai <strong>de</strong> vaquer à mes<br />

occupations. Fut-ce le fait du hasard <strong>ou</strong> bien avait-il sciemment fait<br />

en sorte que n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s rencontrions, t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs est-il que n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s<br />

retr<strong>ou</strong>vâmes face à face dans la même allée. Après les salutations<br />

d'usage, je lui <strong>de</strong>mandai si il avait fini par tr<strong>ou</strong>ver <strong>de</strong>s personnages<br />

intéressants p<strong>ou</strong>r ses <strong>histoire</strong>s. Il m'av<strong>ou</strong>a alors, l'air confus, qu'il<br />

n'avait pas fait attention à l'endroit où se tr<strong>ou</strong>vait la sépulture repérée<br />

le dimanche précé<strong>de</strong>nt et qu'il n'arrivait plus à la retr<strong>ou</strong>ver. Amusé, je<br />

me proposai <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong>r et le conduisis jusqu'à l'emplacement où n<strong>ou</strong>s<br />

n<strong>ou</strong>s étions rencontrés p<strong>ou</strong>r la première fois. J'eus même la<br />

gentillesse <strong>de</strong> lui proposer la bi<strong>net</strong>te que j'avais emportée avec moi,<br />

p<strong>ou</strong>r qu'il puisse enlever plus facilement la m<strong>ou</strong>sse qui gênait sa<br />

lecture.<br />

- Je v<strong>ou</strong>s la confie, lui dis-je. V<strong>ou</strong>s n'aurez qu'à me la rapporter<br />

chez moi quand v<strong>ou</strong>s aurez terminé votre besogne.<br />

Il n'y avait pas cinq minutes que j'avais regagné ma <strong>de</strong>meure<br />

lorsque j'entendis frapper <strong>de</strong>s petits c<strong>ou</strong>ps précipités à ma porte.<br />

C'était Cyril Vassikoff qui revenait me voir, le nez r<strong>ou</strong>ge <strong>de</strong> froid,<br />

mais le regard brillant d'une excitation qu'il ne parvenait pas à<br />

contenir.<br />

- Alors, v<strong>ou</strong>s avez déniché quelque chose d'intéressant lui<br />

6


<strong>de</strong>mandai-je ?<br />

- Oui, regar<strong>de</strong>z ce que j'ai tr<strong>ou</strong>vé, s'écria-t-il. Et il me montra la<br />

page d'un calepin sur laquelle il avait griffonné d'une écriture hachée<br />

par le froid les mots suivants :<br />

Ici repose<br />

<strong>Alexandre</strong> Marsan<br />

décédé le 12 février 1927<br />

dans sa vingt-troisième année.<br />

Lorsque j'eus fini <strong>de</strong> lire, il m'interrogea du regard et, ne me<br />

tr<strong>ou</strong>vant sans d<strong>ou</strong>te pas assez enth<strong>ou</strong>siaste à son goût, il aj<strong>ou</strong>ta :<br />

- <strong>Alexandre</strong> Marsan, v<strong>ou</strong>s ne tr<strong>ou</strong>vez pas que c'est un nom<br />

épatant ! Ah je sentais bien que j'allais faire une déc<strong>ou</strong>verte lorsque<br />

v<strong>ou</strong>s m'avez interrompu l'autre fois. Il faut dire qu'il était bien caché.<br />

L'inscription avait presque disparu s<strong>ou</strong>s un amas fongueux.<br />

- Et que lui tr<strong>ou</strong>vez-v<strong>ou</strong>s donc <strong>de</strong> si extraordinaire ?<br />

- Eh bien voyez-v<strong>ou</strong>s, il n'y a pas que le nom qui m'intéresse.<br />

C'était encore un jeune homme quand il est mort, et à en croire la<br />

date, 1927, il n'est pas mort à la guerre, ce qui serait commun.<br />

Moi, je m'imagine un <strong>de</strong>stin tragique et je le vois très bien m<strong>ou</strong>rir<br />

<strong>de</strong> désespoir <strong>ou</strong> <strong>de</strong> chagrin. Peut-être un suici<strong>de</strong>. En t<strong>ou</strong>t cas, je lui<br />

donnerai une mort violente, qui frappe, comme son nom.<br />

- Si ça se tr<strong>ou</strong>ve, il est t<strong>ou</strong>t bonnement mort <strong>de</strong> maladie, ne pus-je<br />

m'empêcher <strong>de</strong> remarquer. Mais si j'étais v<strong>ou</strong>s, je me préoccuperais<br />

un peu plus <strong>de</strong>s vivants, car il se p<strong>ou</strong>rrait bien qu'ils n'apprécient pas<br />

vos emprunts et qu'ils v<strong>ou</strong>s causent un j<strong>ou</strong>r <strong>de</strong>s ennuis. Après t<strong>ou</strong>t, il<br />

y a t<strong>ou</strong>t juste quarante ans que cet <strong>Alexandre</strong> Marsan est mort et il se<br />

p<strong>ou</strong>rrait qu'il ait encore <strong>de</strong> la famille dans notre ville.<br />

- Mais je ne fais rien <strong>de</strong> mal ! s'exclama-t-il d'un air indigné.<br />

- De votre point <strong>de</strong> vue non, mais mettez v<strong>ou</strong>s un peu à la place <strong>de</strong><br />

la famille du défunt. V<strong>ou</strong>s aimeriez, v<strong>ou</strong>s, que quelqu'un s'empare <strong>de</strong><br />

votre nom et s'en serve dans une <strong>histoire</strong> ? Un nom est quelque chose<br />

d'intime et votre manière d'en dépossé<strong>de</strong>r les morts p<strong>ou</strong>rrait bien être<br />

ressentie par leurs <strong>de</strong>scendants comme un acte sacrilège <strong>ou</strong><br />

irrespectueux .<br />

7


- Oh, ne dites pas ça, s'exclama-t-il, effrayé. Je ne fais<br />

qu'emprunter <strong>de</strong>s noms aux morts p<strong>ou</strong>r donner vie à mes personnages<br />

selon mon imagination. Ce n'est pas un vol.<br />

Cyril Vassikoff était visiblement tr<strong>ou</strong>blé. Son visage, qui faisait<br />

songer à celui d'un jeune page médiéval, avec ses longs cheveux<br />

blonds tombant rai<strong>de</strong> jusqu'aux épaules, s'était contracté s<strong>ou</strong>s l'effet<br />

d'une intense réflexion et avait perdu t<strong>ou</strong>te d<strong>ou</strong>ceur. Je m'efforçai <strong>de</strong><br />

le rassurer <strong>de</strong> mon mieux.<br />

- Allons, plaisanté-je, il n'y a pas <strong>de</strong> quoi en faire t<strong>ou</strong>te une<br />

<strong>histoire</strong> ! V<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>rrez t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs au besoin transformer légèrement les<br />

noms p<strong>ou</strong>r que personne ne puisse y redire.<br />

Il resta un instant songeur puis me répondit en s<strong>ou</strong>pirant :<br />

- Là n'est pas le problème. Ce ne sont pas tant les vivants que je<br />

crains mais les morts. Je n'avais jamais pensé que mes emprunts<br />

pussent porter préjudice à quiconque.<br />

- En ce cas, c'est que vos <strong>histoire</strong>s v<strong>ou</strong>s montent à la tête lui<br />

rétorquai-je. Et si v<strong>ou</strong>s êtes si superstitieux, tenez-v<strong>ou</strong>s en à mon<br />

premier conseil : utilisez <strong>de</strong>s annuaires téléphoniques. C'est<br />

certainement plus prosaïque mais du moins sans aucun danger.<br />

Ce fut sur ses paroles empreintes d'une certaine ironie que<br />

s'acheva notre <strong>de</strong>uxième rencontre.<br />

8


L'<strong>histoire</strong> d'<strong>Alexandre</strong> Marsan<br />

Le dimanche suivant, Cyril Vassikoff revint au cimetière et en<br />

arpenta les allées comme à son habitu<strong>de</strong>, mais sans paraître être à la<br />

recherche <strong>de</strong> n<strong>ou</strong>veaux noms. Il semblait préoccupé et marchait à<br />

gran<strong>de</strong>s enjambées, les mains profondément enf<strong>ou</strong>ies dans les poches<br />

<strong>de</strong> son long paletot.<br />

Bien que conscient <strong>de</strong> m'être montré un peu ru<strong>de</strong> avec lui lors <strong>de</strong><br />

notre <strong>de</strong>rnière rencontre, je ne pus m'empêcher d'aller à ses <strong>de</strong>vants,<br />

curieux <strong>de</strong> savoir ce que les morts <strong>de</strong> mon cimetière avaient bien pu<br />

inspirer à cet étrange personnage. Il m'accueillit d'abord avec sa<br />

réserve c<strong>ou</strong>tumière mais je crus cependant déceler en lui comme un<br />

vague malaise et peut-être même une envie <strong>de</strong> se confier.<br />

Visiblement, il avait encore à l'esprit ma petite remontrance, car il ne<br />

répondait à mes questions que <strong>de</strong> façon évasive, comme s'il craignait<br />

en m'en disant trop <strong>de</strong> provoquer mes sarcasmes. Je crus néanmoins<br />

comprendre qu'il ne maîtrisait plus vraiment son <strong>histoire</strong> et que ses<br />

personnages lui échappaient. Afin <strong>de</strong> creuser un peu la chose, je lui<br />

<strong>de</strong>mandai :<br />

- La <strong>de</strong>rnière fois que n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s sommes vus, v<strong>ou</strong>s m'aviez parlé<br />

d'une belle mort p<strong>ou</strong>r votre héros. L'avez-v<strong>ou</strong>s déjà imaginée ?<br />

- Finalement, je ne suis pas certain que je le ferai m<strong>ou</strong>rir, me<br />

répondit-il, un peu gêné. Et, voyant mon expression d'étonnement, il<br />

s'empressa d'aj<strong>ou</strong>ter :<br />

- Je lui laisserai peut-être vivre plusieurs aventures. Il vient juste<br />

<strong>de</strong> faire la connaissance <strong>de</strong> Loetitia Laura et t<strong>ou</strong>s <strong>de</strong>ux filent<br />

maintenant le parfait am<strong>ou</strong>r. Au fond, plaisanta-t-il, c'est bien normal,<br />

ils sont t<strong>ou</strong>s <strong>de</strong>ux du même âge et ils étaient presque voisins <strong>de</strong><br />

9


tombe.<br />

- Comment ? m'étonnai-je, v<strong>ou</strong>s m'aviez p<strong>ou</strong>rtant dit que ce n'était<br />

pas seulement son nom qui v<strong>ou</strong>s fascinait mais aussi la mort qu'il<br />

avait tr<strong>ou</strong>vée si jeune. Je croyais que v<strong>ou</strong>s lui <strong>de</strong>stiniez une fin<br />

tragique.<br />

A mesure que je m'exprimais, Cyril Vassikoff paraissait <strong>de</strong> plus en<br />

plus embarrassé. Mes propos semblaient le contrarier et à peine eusje<br />

fini <strong>de</strong> parler, qu'il me lança presque avec dépit :<br />

- Éc<strong>ou</strong>tez, je me f<strong>ou</strong>s <strong>de</strong> ce que v<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>rrez penser. V<strong>ou</strong>s me<br />

traiterez <strong>de</strong> gamin <strong>ou</strong> <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>t ce que v<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>drez. Peu m'importe !<br />

Je vais v<strong>ou</strong>s dire exactement ce qu’il en est. Oui, v<strong>ou</strong>s avez raison;<br />

j'avais bien l'intention <strong>de</strong> faire m<strong>ou</strong>rir <strong>Alexandre</strong> Marsan. Seulement<br />

voilà, lui et Loetitia semblent en avoir décidé autrement. Non, ne<br />

m'interrompez pas ! Prenez-moi p<strong>ou</strong>r un f<strong>ou</strong> si ça v<strong>ou</strong>s chante, mais<br />

laissez-moi p<strong>ou</strong>rsuivre. J'ai besoin <strong>de</strong> clarifier les choses car je ne<br />

sais plus trop où j'en suis et votre gros bon sens p<strong>ou</strong>rra peut-être m'y<br />

ai<strong>de</strong>r.<br />

Dans ma n<strong>ou</strong>velle, <strong>Alexandre</strong> Marsan est un héros romantique,<br />

une sorte <strong>de</strong> jeune Werther s<strong>ou</strong>pirant après un impossible am<strong>ou</strong>r et<br />

acculé au suici<strong>de</strong> par sa passion <strong>de</strong>structrice, t<strong>ou</strong>t comme le fameux<br />

héros <strong>de</strong> Goethe. J'avais choisi p<strong>ou</strong>r lui la mort par pendaison.<br />

Et c'est justement au moment où mon héros, désespéré, songeait à<br />

se pendre que Loetitia est intervenue dans l'<strong>histoire</strong> d'une incroyable<br />

façon. Elle s'est immiscée la nuit dans les rêves d'<strong>Alexandre</strong> Marsan.<br />

Mais ce n'était plus du t<strong>ou</strong>t la jeune fille délicate et timi<strong>de</strong> que j'avais<br />

imaginée au départ, mais au contraire une véritable vamp, une g<strong>ou</strong>le<br />

avi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sexe et <strong>de</strong> chair, venant à la faveur <strong>de</strong>s ténèbres vi<strong>de</strong>r mon<br />

héros <strong>de</strong> sa force vitale.<br />

J'étais tellement fébrile tandis que je rédigeais ce passage que je<br />

pensais être en proie à l'inspiration. Les mots jaillissaient d'euxmêmes<br />

s<strong>ou</strong>s ma plume mais je ne suis plus sûr à présent que la<br />

pensée qui les dictait était vraiment la mienne. Voyez-v<strong>ou</strong>s, j'irais<br />

presque à dire, même si v<strong>ou</strong>s <strong>de</strong>vez en rire, que ce n'était plus moi<br />

qui écrivais alors et que mes personnages m’inspiraient leur propre<br />

volonté.<br />

10


- Et moi je crois t<strong>ou</strong>t bonnement que v<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>s faites <strong>de</strong>s idées.<br />

D’ailleurs <strong>de</strong> quoi v<strong>ou</strong>s plaignez-v<strong>ou</strong>s ? V<strong>ou</strong>s v<strong>ou</strong>liez une <strong>histoire</strong><br />

fantastique, non ? Eh bien, v<strong>ou</strong>s êtes servi !<br />

- Oui, sauf que mes personnages s'émancipent et ne veulent plus<br />

suivre le chemin que je leur ai tracé. J'ai bien tenté p<strong>ou</strong>rtant <strong>de</strong><br />

profiter <strong>de</strong> cette dérive inattendue <strong>de</strong> mon plan initial en obligeant<br />

<strong>Alexandre</strong> Marsan à tuer Loetitia avant <strong>de</strong> se donner lui-même la<br />

mort. Mais mon héros retors se refuse <strong>de</strong> passer à l'acte. Il n'est plus<br />

que l'ombre <strong>de</strong> lui-même et il a tellement Loetitia dans la peau qu'il<br />

ne songe plus qu'à l'heure <strong>de</strong> se consacrer à elle corps et âme. Elle, le<br />

vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>te son énergie comme si elle recherchait l’assimilation<br />

totale. Quand à la fin, j’ai compris qu'ils cherchaient à unir leurs<br />

forces contre moi, je les ai laissés à leur sort inachevé et ai<br />

abandonné là mon récit. Alors qu'en pensez-v<strong>ou</strong>s ? Dites-moi<br />

franchement. V<strong>ou</strong>s me prenez p<strong>ou</strong>r un f<strong>ou</strong> n'est-ce pas ?<br />

- Non jeune homme, je ne v<strong>ou</strong>s prends pas p<strong>ou</strong>r un f<strong>ou</strong>. Pas<br />

encore du moins. Mais ça ne saurait tar<strong>de</strong>r si v<strong>ou</strong>s n'abandonnez pas<br />

p<strong>ou</strong>r quelques temps vos récits. Ne laissez pas vos écrits v<strong>ou</strong>s t<strong>ou</strong>rner<br />

la tête. Je v<strong>ou</strong>s conseille <strong>de</strong> prendre plus s<strong>ou</strong>vent l'air et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong><br />

longues promena<strong>de</strong>s. Mais surt<strong>ou</strong>t le plus loin possible <strong>de</strong> ce<br />

cimetière. Suivez mes conseils et v<strong>ou</strong>s verrez que vos idées se<br />

remettront d’elles-mêmes en place. V<strong>ou</strong>s retr<strong>ou</strong>verez un équilibre et<br />

une hygiène <strong>de</strong> vie qui v<strong>ou</strong>s feront voir t<strong>ou</strong>t ça s<strong>ou</strong>s un angle moins<br />

dramatique. Et v<strong>ou</strong>s verrez que v<strong>ou</strong>s terminerez sans problème votre<br />

récit.<br />

Venez me voir alors et n<strong>ou</strong>s bavar<strong>de</strong>rons. Là-<strong>de</strong>ssus, Cyril<br />

Vassikoff me quitta, à ce qu’il me parut, légèrement plus rassuré. .<br />

11


Disparition<br />

Le dimanche d'après, Cyril Vassikoff ne vint pas au cimetière. A<br />

vrai dire, je m’y attendais un peu.<br />

- Bon, me dis-je, mon jeune ami n'est pas encore t<strong>ou</strong>t à fait remis<br />

<strong>de</strong> son surmenage et il aura vraisemblablement préféré ne pas<br />

remettre trop tôt les pieds dans ce cimetière. C'est plutôt raisonnable<br />

et sans d<strong>ou</strong>te le verrai-je dimanche prochain.<br />

Pendant la semaine qui suivit, je me surpris <strong>de</strong> nombreuses fois à<br />

penser à ce curieux garçon, tellement différent <strong>de</strong>s jeunes gens <strong>de</strong> son<br />

âge, lui et sa manie morbi<strong>de</strong> <strong>de</strong> hanter les cimetières et d’occuper sa<br />

solitu<strong>de</strong> en s'effrayant <strong>de</strong> ses propres <strong>histoire</strong>s.<br />

Cela ne faisait qu'un mois, en ce début <strong>de</strong> février, que n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s<br />

connaissions et p<strong>ou</strong>rtant son absence du dimanche m’avait<br />

passablement déçu. N<strong>ou</strong>s étions seuls, l'un et l'autre, et malgré sa<br />

jeunesse, ses idées un peu folles, je me sentais <strong>de</strong> l'amitié p<strong>ou</strong>r lui.<br />

Comme lui, j’avais perdu quelques années plus tôt un être<br />

tendrement aimé et je savais quels ru<strong>de</strong>s moments il avait dû vivre et<br />

vivait peut-être encore. Moi qui n’avais jamais eu d'enfants, je le<br />

considérais un peu comme le fils que je n'avais jamais eu et ne<br />

p<strong>ou</strong>vais m’empêcher <strong>de</strong> m’inquiéter à son sujet.<br />

Lorsque le dimanche d'après je ne le vis t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs pas revenir, mon<br />

inquiétu<strong>de</strong> ne fit que s'accroître. Peut-être était-il profondément<br />

déprimé <strong>ou</strong> mala<strong>de</strong> et qu'il avait besoin d'ai<strong>de</strong> ? Et le pauvre vivait<br />

complètement isolé. Un instant, je fus tenté d'entreprendre <strong>de</strong>s<br />

12


echerches p<strong>ou</strong>r avoir <strong>de</strong> ses n<strong>ou</strong>velles. Mais à quel titre ? Je ne<br />

p<strong>ou</strong>vais quand même pas risquer <strong>de</strong> forcer sa porte sur la foi d'un<br />

mauvais pressentiment. Peut-être, après t<strong>ou</strong>t, que Cyrill Vassikoff<br />

avait fait <strong>de</strong> n<strong>ou</strong>velles rencontres <strong>ou</strong> même qu'il avait décidé <strong>de</strong> ne<br />

plus remettre les pieds dans ce cimetière. Et c'était bien son droit. Je<br />

dus donc, à mon grand regret, me résigner à patienter jusqu'au<br />

prochain dimanche.<br />

Malgré mes nombreuses occupations, je ne cessai <strong>de</strong> penser à<br />

Cyrill Vassikoff pendant t<strong>ou</strong>s les j<strong>ou</strong>rs qui suivirent. Comme cette<br />

n<strong>ou</strong>velle semaine d'attente me parut longue ! J'avais beau chercher à<br />

me raisonner, je ne p<strong>ou</strong>vais m'empêcher <strong>de</strong> repenser à l'extraordinaire<br />

<strong>histoire</strong> que m'avait contée le jeune homme et je craignais que<br />

quelque chose <strong>de</strong> grave ne lui fût arrivé. Cela me préoccupait<br />

tellement que j'en perdais parfois l'envie <strong>de</strong> travailler. J'<strong>ou</strong>bliais <strong>de</strong><br />

faire mes ron<strong>de</strong>s et négligeais l'entretien <strong>de</strong>s allées.<br />

Quand enfin le dimanche arriva, dès le début <strong>de</strong> l'après-midi, je<br />

me postai en observation à l'entrée du cimetière. Chaque fois qu'un<br />

visiteur apparaissait au loin, l'espoir naissait en moi et je croyais<br />

même parfois reconnaître Cyril Vassikoff dans la silh<strong>ou</strong>ette d'un<br />

visiteur, mais t<strong>ou</strong>t l'après-midi se passa, <strong>de</strong> déception en déception,<br />

sans que le jeune homme apparût.<br />

Vers le soir, voyant que la nuit s'apprêtait à tomber, j'abandonnai<br />

mon poste et regagnai ma maison<strong>net</strong>te. J'étais trop sûr, hélas, que<br />

Cyril Vassikoff ne viendrait plus.<br />

N'ayant ni l'envie, ni la force <strong>de</strong> me préparer à manger, je me<br />

laissai tomber sur une chaise <strong>de</strong> la cuisine et me servis un grand verre<br />

<strong>de</strong> vin p<strong>ou</strong>r me réchauffer. Je ne bois que très rarement mais j'avais<br />

sacrément besoin d'un remontant. Un peu par habitu<strong>de</strong>, j'allumai la<br />

radio mais comme elle me gênait p<strong>ou</strong>r réfléchir, je l'éteignis presque<br />

aussitôt. Le silence avait beau accentuer le poids <strong>de</strong> ma solitu<strong>de</strong>,<br />

j'avais besoin <strong>de</strong> me laisser aller à mes pensées. Et ces pensées<br />

allaient naturellement vers Cyril Vassikoff.<br />

L'étrange personnalité <strong>de</strong> ce garçon m'avait séduit et quelque part,<br />

il me manquait. Cela faisait maintenant <strong>de</strong>ux semaines que n<strong>ou</strong>s ne<br />

n<strong>ou</strong>s étions plus vus. Oui, <strong>de</strong>ux semaines déjà ! Machinalement, mes<br />

yeux s'arrêtèrent sur un calendrier accroché au mur en face <strong>de</strong> moi.<br />

13


Et c'est alors qu'un déclic se fit dans ma tête !<br />

N<strong>ou</strong>s étions le 12 février ! Cette date, à laquelle j'aurais pu ne pas<br />

prêter attention, s'imposait comme une menace du fond <strong>de</strong> ma<br />

mémoire, se superposant à celle qu'avait griffonnée sur un b<strong>ou</strong>t <strong>de</strong><br />

papier Cyril Vassikoff lorsqu'il avait déc<strong>ou</strong>vert le nom d'<strong>Alexandre</strong><br />

Marsan.<br />

Alors, renversant ma chaise dans ma précipitation, je me ruai<br />

<strong>de</strong>hors, en proie à un horrible pressentiment. Il faisait encore<br />

suffisamment j<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>r y voir clair et, <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>te la force <strong>de</strong> mes<br />

vieilles jambes, je me précipitai vers la tombe d'<strong>Alexandre</strong> Marsan.<br />

Une fois sur place, je m'arrêtai un c<strong>ou</strong>rt instant p<strong>ou</strong>r reprendre mon<br />

s<strong>ou</strong>ffle puis, m'approchant plus près <strong>de</strong> la tombe, je me penchai p<strong>ou</strong>r<br />

lire l'inscription que mon jeune ami avait mise à j<strong>ou</strong>r <strong>de</strong>s semaines<br />

plus tôt.<br />

Ma première réaction fut <strong>de</strong> l'étonnement car certaines lettres<br />

étaient usées par le temps alors que d'autres semblaient au contraire<br />

très récentes. La secon<strong>de</strong>, mais pardonnez au vieillard que je suis, je<br />

me sentis défaillir. Ce que je venais <strong>de</strong> lire sur la stèle m'avait<br />

littéralement anéanti. L'épitaphe inscrite dans la pierre était rédigée<br />

ainsi :<br />

Ici repose<br />

Cyril Vassikoff<br />

décédé le 12 février 1967<br />

dans sa vingt-troisième année.<br />

Lorsque je repris mes esprits, je sentis comme un froid glacial<br />

dans t<strong>ou</strong>s mes os. Péniblement, je rentrai chez moi, sans trop savoir<br />

comment. J'étais désemparé. Je fus tenté alors <strong>de</strong> prévenir les<br />

autorités mais je me dis que personne ne v<strong>ou</strong>drait jamais croire cette<br />

<strong>histoire</strong> par trop bizarre à laquelle j'étais bien involontairement mêlé.<br />

On me prendrait p<strong>ou</strong>r un f<strong>ou</strong>. N'avais-je pas été le premier à me<br />

moquer <strong>de</strong> Cyril Vassikoff quand il m'avait fait part <strong>de</strong> ses craintes au<br />

sujet <strong>de</strong>s morts ? Et qu'allait-on tr<strong>ou</strong>ver dans la tombe ? Comprenant<br />

que je ne parviendrais à rien avant d'avoir résolu complètement ce<br />

mystère, je décidai d'attendre la nuit tombée et d'<strong>ou</strong>vrir moi-même la<br />

14


tombe p<strong>ou</strong>r voir <strong>de</strong> quoi il ret<strong>ou</strong>rnait. Je m'équipai donc d'une pelle,<br />

d'une pioche, d'un soli<strong>de</strong> levier et d'une lampe-tempête p<strong>ou</strong>r<br />

m'éclairer et, le moment venu, je me dirigeai vers l'emplacement, ô<br />

combien sinistre à mes yeux, où se tr<strong>ou</strong>vait le tombeau. J'av<strong>ou</strong>e que<br />

j'étais terrifié <strong>de</strong> peur à l'idée <strong>de</strong> ce que j'allais déc<strong>ou</strong>vrir et que je<br />

faillis plusieurs fois rebr<strong>ou</strong>sser chemin. Mais il me fallait savoir.<br />

Arrivé sur place, je me mis péniblement à la tâche. Je ne suis plus<br />

très jeune et il me fallut au moins <strong>de</strong>ux <strong>ou</strong> trois heures avant <strong>de</strong><br />

déposer mes <strong>ou</strong>tils. T<strong>ou</strong>t mon être grelotait et j'avais bien du mal à<br />

empêcher mes mains <strong>de</strong> trembler. P<strong>ou</strong>rtant, il ne faisait pas vraiment<br />

froid et la sueur qui me c<strong>ou</strong>lait sur les tempes et le visage n'avaient<br />

pas grand chose à voir avec mon travail. Après avoir <strong>ou</strong>vert le<br />

cercueil, je rassemblai d'un c<strong>ou</strong>p mon c<strong>ou</strong>rage et, brandissant ma<br />

lampe au-<strong>de</strong>ssus du mort, j'osai baisser les yeux.<br />

Malgré l'expression <strong>de</strong> terreur qui b<strong>ou</strong>leversait ses traits, je n'eus<br />

aucune difficulté à i<strong>de</strong>ntifier le cadavre. Il n'y avait aucun d<strong>ou</strong>te,<br />

c'était bien mon pauvre Cyril Vassikoff qui gisait là. Je dét<strong>ou</strong>rnai un<br />

instant ma lumière tant la scène m'était pénible à supporter. Lorsque<br />

je me fus ressaisi, je promenai la lampe le long du corps du défunt<br />

puis la ramenai <strong>de</strong> n<strong>ou</strong>veau lentement vers le visage. Ce que je vis<br />

alors me fit suffoquer. Je venais d'apercevoir t<strong>ou</strong>t aut<strong>ou</strong>r du c<strong>ou</strong><br />

hi<strong>de</strong>usement b<strong>ou</strong>rs<strong>ou</strong>fflé du mort une large traînée violâtre !<br />

Affolé et ne p<strong>ou</strong>vant plus supporter le spectacle que j'avais s<strong>ou</strong>s<br />

les yeux, j'abandonnai précipitamment mes <strong>ou</strong>tils et ma lampe et, mû<br />

par une incontrôlable panique, je m'enfuis dans le noir en buttant sur<br />

les tombes avant <strong>de</strong> retr<strong>ou</strong>ver la sécurité d'une allée.<br />

Jamais je crois je n'ai été aussi près <strong>de</strong> perdre la raison que cette<br />

nuit là. Il m'était impossible <strong>de</strong> dormir et, s'il m'arrivait <strong>de</strong><br />

m'ass<strong>ou</strong>pir, c'était p<strong>ou</strong>r être assailli aussitôt par <strong>de</strong>s visions<br />

cauchemar<strong>de</strong>sques.<br />

Au petit matin, je décidai, avant t<strong>ou</strong>te autre chose, <strong>de</strong> ret<strong>ou</strong>rner<br />

jusqu'à la tombe p<strong>ou</strong>r récupérer mes <strong>ou</strong>tils et réparer un peu le<br />

désordre que j'y avais laissé au c<strong>ou</strong>rs <strong>de</strong> mon expédition nocturne,<br />

afin <strong>de</strong> ne pas attirer les curieux.<br />

Au moment, où j'allais remettre d'aplomb le c<strong>ou</strong>vercle <strong>de</strong> la bière,<br />

j'aperçus un r<strong>ou</strong>leau <strong>de</strong> papier coincé entre le corps et l'une <strong>de</strong>s parois<br />

15


du cercueil. A <strong>de</strong>mi caché par la main du mort, il avait complètement<br />

échappé à mon inspection <strong>de</strong> la nuit. Je m'en emparai et après l'avoir<br />

glissé dans ma poche, je me hâtai <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>t remettre en ordre. Lorsque<br />

j'eus achevé ma besogne, je m'enfermai chez moi et sortis mon<br />

étrange tr<strong>ou</strong>vaille.<br />

C'était le <strong>de</strong>rnier manuscrit <strong>de</strong> mon jeune ami, <strong>ou</strong> si l'on préfère<br />

l'aventure d'<strong>Alexandre</strong> Marsan.<br />

L'<strong>histoire</strong> était en t<strong>ou</strong>t point conforme à ce qu'il m'en avait dit,<br />

sauf qu'à la place du nom <strong>de</strong> Marsan, part<strong>ou</strong>t où apparaissait le héros,<br />

une main inconnue avait écrit : Cyrill Vassikoff !<br />

16


FIN<br />

Merci p<strong>ou</strong>r votre lecture.<br />

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