Sport et éthique: valeurs et normes - Wielersportboeken

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SociétéSociété&Sport et éthique : valeurs et normesSportPROF. JEAN PALSTERMANUNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAINAVEC LA COLLABORATION DUPROF. MARC MAES& SportSOCIÉTÉ & SPORTRapport àla Fondation Roi Baudouin

SociétéSociété&<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> éthique : <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> <strong>normes</strong><strong>Sport</strong>PROF. JEAN PALSTERMANUNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAINAVEC LA COLLABORATION DUPROF. MARC MAES& <strong>Sport</strong>SOCIÉTÉ & SPORTRapport àla Fondation Roi Baudouin


Ce rapport à la Fondation a été réalisé par :Jean Palsterman,Professeur émérite à la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Louvainavec la collaboration de Marc MaesDirecteur du Comité OlympiqueProfesseur aux Facultés d’Education physique de l’Université Catholique de Louvain <strong>et</strong> de laVrije Universiteit Brusseldans le cadre de la réflexion prospective "Société <strong>et</strong> <strong>Sport</strong>"menée par la Fondation Roi Baudouin.Coordination :Guido KNOPS, directeurFrançoise PISSART, directriceAnn DE MOL, chargée de missionPaul MARECHAL, chargé de missionEdition Fondation Roi Baudouin :"Société <strong>et</strong> <strong>Sport</strong>": réflexion prospectiverue Brederode 211000 BruxellesTél.: +32 (0)2/511.18.40Fax: +32 (0)2/511.52.21E-mail: info@kbs-frb.bewww.kbs-frb.beC<strong>et</strong>te étude, ainsi que les autres publications de la Fondation, sont disponibles :Centre de diffusion - Fondation Roi BaudouinBoîte postale 96, Ixelles 1 - 1050 BruxellesTél.: +32 070/23 37 28 - Fax: +32 070/23 37 27E-mail: publi@kbs-frb.beEditeur responsable: Luc TAYART de BORMSISBN: 2-87212-300-8Dépôt légal: D / 2000 / 2848 / 15Mise en page <strong>et</strong> impression: Graphicity - BruxellesAvec l’appui de la Loterie NationaleDécembre 2000


<strong>Sport</strong> <strong>et</strong>éthique : <strong>valeurs</strong><strong>et</strong> <strong>normes</strong>PROF. JEAN PALSTERMANAVEC LA COLLABORATION DU PROF. MARC MAESRapport réalisé à la demande de la Fondation Roi Baudouindans le cadre de la réflexion prospective “Société <strong>et</strong> <strong>Sport</strong>”Décembre 2000


DANS LA MÊME SÉRIEÉTUDES PRÉPARATOIRES DANS LA SÉRIE “Société <strong>et</strong> <strong>Sport</strong>”• <strong>Sport</strong> en economie mars 2000Stefan Késenne, Faculteit Toegepaste Economische W<strong>et</strong>enschappenUniversiteit UFSIA, Antwerpen• <strong>Sport</strong>: cultuur in beweging avril 2000Een verkenning van cultuurtrends in de sportBart Vanreusel <strong>et</strong> Jeroen Scheerder, Faculteit LichamelijkeOpvoeding en Kinesitherapie, Katholieke Universiteit Leuven• Gelijkheid van kansen en sport avril 2000Paul De Knop <strong>et</strong> Agnes Elling, Departement Bewegingsen<strong>Sport</strong>w<strong>et</strong>enschappen, Vrije Universiteit Brussel• <strong>Sport</strong> <strong>et</strong> volontariat mai 2000Hélène Levarl<strong>et</strong> <strong>et</strong> Renée VanfraechemInstitut Supérieur d'Education Physique <strong>et</strong> de KinésithérapieUniversité Libre de Bruxelles• <strong>Sport</strong>(s) <strong>et</strong> médias mai 2000Gérard Derèze, Département CommunicationUniversité Catholique de Louvain-la-Neuve• <strong>Sport</strong> <strong>et</strong> enseignement août 2000Maurice Piéron, Institut Supérieur d’Education PhysiqueUniversité de Liège• <strong>Sport</strong> en tewerkstelling août 2000Marijke Taks, Faculteit Lichamelijke Opvoeding enKinesitherapie, Katholieke Universiteit Leuven• Vrij<strong>et</strong>ijd werkt ook. Over de verhouding tussen arbeid octobre 2000en vrij<strong>et</strong>ijd in de twintigste eeuwEric Corijn, Departement Bewegings- en<strong>Sport</strong>w<strong>et</strong>enschappen, Vrije Universiteit Brussel• Gestion <strong>et</strong> organisation du sport en Belgique octobre 2000Paul De Knop, Departement Bewegings- en<strong>Sport</strong>w<strong>et</strong>enschappen, Vrije Universiteit Brussel<strong>et</strong> Maurice Piéron, Institut Supérieur d'Education PhysiqueUniversité de Liège• <strong>Sport</strong> <strong>et</strong> environnement novembre 2000Patrick Jour<strong>et</strong>, Atelier 50, Urbanisme, Environnement,Communication – Bruxelles• Fysieke activiteit en gezondheid novembre 2000Ilse De Bourdeaudhuij <strong>et</strong> Jacques BouckaertVakgroep Bewegings- en <strong>Sport</strong>w<strong>et</strong>enschappenUniversiteit GentUne synthèse traduite sera disponible pour chaque rapport.3


TABLE DES MATIÈRESPREFACE 7INTRODUCTION 91 ERE PARTIE: Le sport, un lieu de liberté <strong>et</strong> une pratique socialequi interpellent l’éthique du sport <strong>et</strong> la culture 13CHAPITRE 1: Le sport, un lieu de liberté, une pratique de jeu liée au plaisirdu suj<strong>et</strong> 13CHAPITRE 2: La dimension sociale des pratiques sportives 21CHAPITRE 3: La jeunesse, paradigme <strong>et</strong> symbole d'une réalité sportive pluslarge 23CHAPITRE 4: Le sport, paradigme de la modernité 272 E PARTIE: Les <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> les <strong>normes</strong> dans l'éthique du sport 29CHAPITRE 1: L'éthique du sport 29CHAPITRE 2: Les <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> le sport 31CHAPITRE 3: Les <strong>normes</strong> <strong>et</strong> le sport 39CHAPITRE 4: La sagesse pratique 413 E PARTIE: L'éthique du sport <strong>et</strong> les <strong>valeurs</strong> communes qui doiventêtre vécues dans le sport <strong>et</strong> ailleurs 43INTRODUCTION 43CHAPITRE 1: Le souci de la santé <strong>et</strong> de la sécurité 45CHAPITRE 2: Le sport <strong>et</strong> le souci du développement personnel harmonieux 51CHAPITRE 3: Le sport <strong>et</strong> la formation du caractère 61CHAPITRE 4: Le sport <strong>et</strong> l'esprit de camaraderie 65CHAPITRE 5: Le sport, la paix, l'intégration sociale, la rencontre des autres 67CHAPITRE 6: La justice <strong>et</strong> la justice sociale dans <strong>et</strong> par le sport 714 E PARTIE: L'éthique du sport <strong>et</strong> les <strong>valeurs</strong> spécifiques du sport 73INTRODUCTION 73CHAPITRE 1: La performance sportive, le dépassement de soi, la valeur symbolique 75CHAPITRE 2: Le spectacle sportif 81CHAPITRE 3: La passion pour le sport 83CHAPITRE 4: Le risque dans le sport 85CHAPITRE 5: Le sportif, l'entraîneur sportif, les associations sportives 874


5 E PARTIE: La beauté <strong>et</strong> les problèmes du sport 91INTRODUCTION 91CHAPITRE 1: Le surentraînement <strong>et</strong> l'excès de prestations sportives 95CHAPITRE 2: Le dopage <strong>et</strong> l'accompagnement médical inapproprié 97CHAPITRE 3: Les aberrations du spectacle sportif 99CHAPITRE 4: L'argent fou du sport 101CHAPITRE 5: L'eff<strong>et</strong> d'entraînement passionnel dans le sport <strong>et</strong> ailleurs 107CHAPITRE 6: La violence dans <strong>et</strong> autour du sport 111CONCLUSION: Le fair-play dans le sport <strong>et</strong> l'éthique du sport 113POSTFACE par Marc Maes, Directeur du Comité Olympique,Professeur aux Facultés d’Education physique del’Université Catholique de Louvain <strong>et</strong> de la VrijeUniversiteit Brussel• Talent <strong>et</strong> éthique 117• L’éducation physique <strong>et</strong> le sport, générateurs de <strong>valeurs</strong> 125• Le Baron Pierre de Coubertin <strong>et</strong> la formation 135• Bibliographie 1415


Le sport joue un rôle important dans la vie d’une grande partie de lapopulation. On assiste à une véritable emprise du sport sur toute la société.Le sport n’est plus une simple question de loisirs, mais est lié à de nombreuxautres aspects de notre société <strong>et</strong> se manifeste de différentes manières:croissance de la pratique active <strong>et</strong> passive du sport, augmentation de diversesactivités à caractère sportif <strong>et</strong> du nombre d’installations sportives, développement du sport <strong>et</strong>importance croissante du sport dans l’éducation, la santé <strong>et</strong> l’intégration. Le " virus du sport "ne connaît pas de limites : du sport de haut niveau au sport de loisirs, du fitness d’entrepriseaux sports de combat, les médias, l’image des produits…" Le sport est bon pour le corps <strong>et</strong> l’esprit ", voilà une assertion que plus personne ne récuse,même si, parallèlement, de nombreux aspects négatifs apparaissent également.Le sport n’est pas un îlot dans la société, mais fait bien partie intégrante de celle-ci. Lesévolutions de la société exercent une grande influence sur la manière dont les gens peuvent ouveulent pratiquer le sport. Ces évolutions ont donc des répercussions sur le sport, lequel s’inscritau sein de <strong>valeurs</strong>, de <strong>normes</strong> <strong>et</strong> d’habitudes en vigueur dans la société. Aujourd’hui, lesquestions touchant aux <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> aux <strong>normes</strong> suscitent beaucoup d’intérêt dans différentssecteurs de la société <strong>et</strong> le sport n’échappe pas à ce regain d’intérêt <strong>et</strong> à ce jugement critique.Comment le sport – en tant que forme d’épanouissement humain <strong>et</strong> d’intégration sociale –peut-il se développer dans une société en mutation?Quelles sont les influences des différentes évolutions de la société sur le sport ?Qu’attendons-nous du sport, que nous soyons sportifs actifs, passifs ou pas sportifs du tout?C’est en ayant ces questions en tête que la Fondation Roi Baudouin mènera une réflexionprospective sur la relation " société – sport ".Tout d’abord, la Fondation a chargé différents instituts de recherche de rédiger un rapportconcernant divers thèmes liés au sport sur base d’études <strong>et</strong> de recherches existant déjà. Leprésent rapport " <strong>Sport</strong> <strong>et</strong> éthique: <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> <strong>normes</strong> ", est l’un des fruits de ce travail. D’autresrapports abordent notamment les thèmes suivants: " sport(s) <strong>et</strong> médias ", " sport <strong>et</strong> emploi "," sport <strong>et</strong> égalité des chances ", …Une série de trois séminaires, qui se sont tenus au printemps 2000, alimentent ce processusd’exploration du futur. Des personnes de terrain feront part de leurs réactions sur certainsaspects de ces rapports thématiques.Une commission " Société – <strong>Sport</strong> " sera ensuite mise en place. Elle disposera du temps <strong>et</strong> desmoyens nécessaires pour pouvoir rem<strong>et</strong>tre à la Fondation un rapport proposant des pistes deréflexion <strong>et</strong> des recommandations concernant la relation entre la société <strong>et</strong> le sport.PRÉFACEFondation Roi BaudouinDécembre 20007


Le sport est une activité symbolique, qui est de l'ordre du sens, du goût de vivre.Ceux qui le pratiquent y trouvent un accomplissement; ceux qui participentcomme spectateurs à un événement sportif de haut niveau sont portés àconsidérer les personnes qui l'accomplissent avec éclat, de manière prestigieuse,comme des modèles qu'on admire <strong>et</strong> auxquels on aime s'identifier; ceux quicontribuent à l'organisation d'une épreuve sportive peuvent également y trouver satisfaction <strong>et</strong>valorisation. L'éthique du sport doit penser l'activité sportive sous tous ses aspects. Elle doitreconnaître le sens que le sport peut avoir pour l'homme <strong>et</strong> la société. Elle doit réfléchir auxconditions éthiques qui doivent être respectées pour qu'il demeure une activité digne de l'homme.Elle observe également, avec intérêt, tout un ensemble de pratiques corporelles qui ne constituentpas à proprement parler du sport mais qui peuvent en être rapprochées <strong>et</strong> qu'on désigne plussouvent par le terme d'activités de loisirs actifs. Dans tous ces cas, il ne s'agit pas d'activitésd'ordre instrumental, mais d'ordre symbolique.Le sport de performance <strong>et</strong> de compétition ainsi que le spectacle sportif qui en est inséparablepeuvent posséder une valeur symbolique, en ce sens qu'ils sont un lieu où l'être humain découvre<strong>et</strong> manifeste qu'il est habité par un désir de dépassement de soi, qu'il aime ce qui est plus beau<strong>et</strong> plus parfait, qu'il est ravi <strong>et</strong> enthousiasmé par ce qui est grand <strong>et</strong> merveilleux lorsque c'estaccompli par l'homme.L'éthique du sport ne remplit sa tâche que si elle reconnaît les <strong>valeurs</strong> qui sont propres au sport<strong>et</strong> constituent sa spécificité: le dépassement de soi, la valeur symbolique de la performance. Cesréalités ont leur sens en elles-mêmes, même si elles doivent rester ouvertes à l'ensemble des autres<strong>valeurs</strong>. Elles sont de l'ordre de la gratuité <strong>et</strong> relèvent de la liberté. Personne n'est obligé à laperformance ; si on la recherche, c'est librement, parce qu'on aime le faire, parce qu'on veut <strong>et</strong> peuty exprimer une part de son humanité. La manière d'articuler <strong>et</strong> de conjuguer gratuité <strong>et</strong>efficacité, liberté <strong>et</strong> justice ou solidarité, liberté du sportif <strong>et</strong> autorité des associations sportivesreprésente un des principaux problèmes de la morale sportive.INTRODUCTIONL'éthique du sport est particulièrement invitée à redécouvrir sans cesse l'importance du fair-play,sa richesse <strong>et</strong> sa valeur pour le sport <strong>et</strong> pour l'ensemble de l'existence, ses nombreuses dimensions<strong>et</strong> sa profondeur. Elle ne peut être insensible au fait que le sport est souvent considéré comme unegrande école de courage, de persévérance, d'endurance, qu'il est un lieu où la personne peutapprendre à la fois à s'engager personnellement <strong>et</strong> à rencontrer les autres, à collaborer avec eux,à les respecter <strong>et</strong> à tenir compte d'eux.Par ailleurs, la morale sportive ne peut négliger les <strong>valeurs</strong> communes: respect de la santé <strong>et</strong> de lavie, souci de la sécurité, respect des <strong>valeurs</strong> familiales. Se passionner pour le sport, ce qui estlégitime, quoique à certaines conditions, ne se justifie que si on se veut ouvert à l'ensemble des<strong>valeurs</strong>, y compris la justice <strong>et</strong> la paix.L'activité sportive, si elle est bien conduite, peut être au service de la santé ; facteur dedéveloppement personnel <strong>et</strong> de meilleure intégration sociale. Elle peut être la fête de lafraternité <strong>et</strong> de l'amitié, facteur de rencontre entre les personnes, les groupes d'âge, les groupessociaux, les nations. Par là, elle peut contribuer à la paix <strong>et</strong> à la reconnaissance mutuelle dansl'acceptation des différences.9


Mais elle peut aussi, si on n'y prend garde, constituer une menace pour la santé physique ou pourle développement intégral de la personne humaine. Elle peut s'accompagner de violence ou mêmela générer. L'éthique du sport doit s'attacher à discerner <strong>et</strong> à différencier les pratiques sportives <strong>et</strong>corporelles qui sont humanisantes <strong>et</strong> celles qui, loin de l'être, sont aliénantes. Les premièresvalorisent l'être humain dans sa totalité. Les secondes ne tiennent pas compte de l'être humain quipratique le sport <strong>et</strong> qui en constitue la réalité principale. En le subordonnant indûment à desobjectifs extérieurs à lui, elles nient en pratique la primauté de la personne humaine.Le sport est au service de la paix au sens où il diminue la violence <strong>et</strong> accroît la justice sociale,mais seulement si l'homme veut le pratiquer dans c<strong>et</strong> esprit <strong>et</strong> si de justes institutions l'aident àle vivre de c<strong>et</strong>te manière.Le sport ne sera humain <strong>et</strong> juste que si le sportif bénéficie d'une protection légale de ses droits <strong>et</strong>se voit accorder une aide sociale lorsqu'il rencontre dans sa carrière sportive des difficultés liées àl'âge, la maladie, l'accident ou l'absence prolongée de réussite.L'éthique du sport a comme fonction de reconnaître la valeur <strong>et</strong> l'importance de la liberté aveclaquelle une personne humaine <strong>et</strong> un suj<strong>et</strong> social choisissent de pratiquer ou non une disciplinesportive. La liberté de la personne concerne également les modalités selon lesquelles elle vit lespratiques corporelles. Un suj<strong>et</strong> peut opter pour une pratique sportive où la compétition, larecherche de performance, la passion, le risque <strong>et</strong> le spectacle sont des éléments essentiels.D'autres personnes préféreront se consacrer avec mesure à ce qu'on appelle le sport pour tous ous'orienter vers des pratiques corporelles où la compétition n'a qu'une place limitée. La libertécaractérise les choix du sportif lui-même, mais aussi ceux de nombreux autres suj<strong>et</strong>s sociaux:les spectateurs, les organisateurs, les informateurs sportifs, ainsi que les décideurs politiques oules entreprises qui parrainent les activités sportives.L'éthique du sport, parce qu'elle porte intérêt à une pratique corporelle émanant de la libertéd'une personne singulière ou de celle de plusieurs personnes s'associant volontairement, devranécessairement se préoccuper de justice <strong>et</strong> de solidarité. La seule affirmation de la liberté nesuffit pas. Si l'éthique reconnaît que le sport sous ses diverses modalités peut être une valeur quis'offre à la liberté de l'homme, une attitude logique consistera à affirmer en même temps que c<strong>et</strong>tevaleur doit être accessible à tous ceux qui le souhaitent. Comme c'est le cas dans plusieurslégislations européennes, il s'agira de revendiquer le droit pour tous d'avoir la possibilité depratiquer le sport s'ils le souhaitent <strong>et</strong> en ont la possibilité. Toute personne doit avoir le tempsnécessaire <strong>et</strong> les ressources pour m<strong>et</strong>tre ce droit en œuvre. Tout être humain a aussi le droit derecevoir une formation <strong>et</strong> une éducation qui lui perm<strong>et</strong>tront de comprendre la valeur que revêt lesport pour lui, s'il le souhaite. Il doit avoir accès à une information sportive pluralisteafin de réfléchir au sens que peut avoir le sport pour lui <strong>et</strong> à quelles aliénations ou perversions ilpeut aboutir. Il doit être protégé contre des initiatives provenant de mouvements religieux ouidéologiques qui cherchent indûment à le détourner du sport, à rendre très difficile le libre accèsau sport ou au contraire à l'orienter subrepticement vers des pratiques du sport ou vers des pratiquescorporelles déshumanisantes.L'éthique, qui est attachée à la liberté <strong>et</strong> à la libre confrontation entre les personnes, sera aussiattentive à reconnaître toutes les formes inacceptables d'inégalités qui se manifestent dans le10


sport ou dans le domaine des loisirs actifs. Elle n'acceptera pas des inégalités qui m<strong>et</strong>tent en périlla cohésion sociale: une société où des <strong>valeurs</strong> hautement symboliques ne sont accessibles qu'àquelques-uns <strong>et</strong> où au contraire beaucoup sont exclus de ce qui leur paraît vital, est vouée àl'éclatement <strong>et</strong> au désespoir. Dans le domaine du sport <strong>et</strong> des loisirs aussi, les inégalitésprovenant de la libre confrontation entre les personnes ne sont admissibles que dans la mesure oùc<strong>et</strong>te acceptation de la liberté <strong>et</strong> de l'inégalité représente une valeur <strong>et</strong> un profit pour tous, ycompris pour les moins favorisés.L'éthique du sport, parce qu'elle exprime la visée d'une vie bonne <strong>et</strong> libre pour tous, devra êtreattentive à percevoir les situations où la manière de certains de vivre leur liberté comme sportifsou comme agents économiques ou sociaux, représente pour d'autres personnes une menace pourleur liberté ou leur dignité. Si un système sportif aboutit à transformer des êtres humains enmachines à performances ou en purs obj<strong>et</strong>s de spectacle, par le biais de formes de surentraînementou par des pratiques de dopage à la fois nuisibles à la santé, contraires à l'esprit sportif <strong>et</strong>étrangères au sens du sport ou des loisirs, ces personnes sont niées dans leur dignité <strong>et</strong> leurintégrité ; elles sont alors sacrifiées indûment à un objectif, peut-être valable en soi, maisinacceptable par la forme de servitude qui leur est imposée.L'affirmation de la liberté par l'éthique du sport doit être première <strong>et</strong> pourtant elle doit être tempéréepar la volonté de produire une société de loisirs, une culture sportive, un monde sportif oùla vie peut être bonne, libre <strong>et</strong> humaine pour tous, pour les meilleurs ou les plus favorisés par ledestin ou par les circonstances, mais aussi pour tous les autres.Au début du XX e siècle, le monde sportif semblait exemplaire, susceptible de rendre l'existence plushumaine pour beaucoup. A la fin de ce siècle, il devient évident que le monde sportif est peut-êtreplus inhumain <strong>et</strong> plus injuste que de nombreux aspects de la vie économique ou politique. Endécembre 1995, la Cour européenne de Justice n'a-t-elle pas imposé au monde du footballeuropéen le respect de certaines règles essentielles relatives au contrat de travail des sportifs?Au cours de ce siècle, le temps consacré au travail a diminué pour beaucoup en Occident ; le tempsdes loisirs s'est accru. C<strong>et</strong>te évolution est positive. Pourtant, il apparaît en même temps que lesmirages <strong>et</strong> les illusions se rencontrent si fréquemment dans le monde des loisirs <strong>et</strong> détournentbeaucoup de personnes d'une vie responsable <strong>et</strong> engagée. L'éthique doit accompagner lemouvement qui se manifeste actuellement <strong>et</strong> qui tend à vouloir que le degré de justice quiexiste, bien que de façon encore très limitée, au plan social, dans le monde du travail, imprègneaussi le monde du sport <strong>et</strong> peut-être demain l'ensemble des activités symboliques. Le monde dusport <strong>et</strong> des loisirs, parce qu'il est un monde de liberté, ce qui est positif, est susceptible dedevenir un monde d'injustice <strong>et</strong> d'inégalité. L'éthique sportive, tout en valorisant la liberté dans ledomaine du sport <strong>et</strong> des loisirs, est appelée en même temps à indiquer les exigences de la justice<strong>et</strong> de l'équité.Le sport tient une place très importante dans la culture de notre temps. Il est urgent que lessportifs bénéficient d'une protection sociale dans les moments difficiles de leur carrière, lorsquecelle-ci est interrompue par l'âge, la maladie, l'accident ou simplement par l'absence de réussite.Les religions ont joué tantôt un rôle positif, tantôt un rôle négatif, dans le développement du sport<strong>et</strong> d'une culture des loisirs. Certaines formes de vie religieuse ont été sensibles à la liberté de la11


personne humaine. D'autres ont plutôt cherché à limiter la liberté de l'homme, contraignant dès lorscelui-ci soit à choisir de prendre distance par rapport à la religion telle qu'il a appris à la connaître,soit de renoncer en partie mais indûment à sa liberté.Les religions ont souvent aidé les personnes à vivre quelque chose de plus humain; elles ont aussiété associées à des situations inhumaines, injustes, indignes de l'être humain. Actuellement, biendes agents sociaux à leur tour contraignent les grandes religions à devenir plus humaines, sous peinede ne pas être admises comme partenaires de l'échange social.Les religions peuvent-elles contribuer à développer une manière responsable de conjuguer liberté <strong>et</strong>justice? Elles ont parfois eu du mal à affirmer la liberté contre l'autorité dans le domaine religieuxcomme dans le domaine social. Au cours du millénaire qui vient de s'achever, nombreux furent lescourants théologiques en Occident qui fondèrent la foi sur l'autorité, celle de Dieu <strong>et</strong> celle de l'Eglise.Les grandes religions aujourd'hui sont résolues à se préoccuper de justice, en même temps que deliberté, au plan économique, dans le monde du travail. Fort marquées, surtout dans le passé, par lalutte d'influence entre les différentes religions, elles acceptent aujourd'hui la compétitionéconomique, pourvu qu'elle soit soumise à une juste régulation éthique <strong>et</strong> sociale. Seront-elles enmesure d'être un ferment de justice non seulement au plan économique, mais aussi dans les lieuxsymboliques, comme le sport <strong>et</strong> les pratiques de loisirs? Sauf exceptions qu'il faudrait étudierdavantage, elles acceptent <strong>et</strong> encouragent la pratique du sport, y compris le sport de compétition,<strong>et</strong> sont particulièrement sensibles aux conditions éthiques que le sport doit respecter pour être <strong>et</strong>devenir de plus en plus humain. Elles devront aujourd'hui <strong>et</strong> demain être un agent parmi d'autres quiperm<strong>et</strong> au monde sportif de vivre simultanément liberté <strong>et</strong> justice, individualisation <strong>et</strong> solidarité,compétition <strong>et</strong> respect de la dignité de la personne humaine. Actuellement, c'est plutôt le mondeéconomique, politique <strong>et</strong> juridique qui cherche à tempérer la liberté par la justice dans le domainedu sport.L'éthique du sport, comme toute forme authentique de pensée morale, est avant tout attachée àpercevoir les aspects positifs de ce qui se vit dans l'activité qu'elle considère. Mais ce regardinitialement positif ne peut pas empêcher l'éthique d'être sensible aux aspects problématiques deces domaines. L'éthique du sport est sensible à la beauté du sport ; mais elle découvre aussi tout cequi dans le sport <strong>et</strong> dans le domaine des loisirs actifs a cessé d'être beau, juste <strong>et</strong> humain. Elle voitque la justice <strong>et</strong> l'équité ne sont pas toujours respectées, pas plus que la liberté, alors que pourtantc'est au nom de la liberté, alors mal comprise <strong>et</strong> vécue, que beaucoup d'inégalités, d'aliénations <strong>et</strong>d'injustices se vivent.12


1 ÈRE PARTIE:Le sport, un lieu de liberté <strong>et</strong> une pratique sociale qui interpellent l’éthiquedu sport <strong>et</strong> la cultureChapitre 1 : Le sport, un lieu de liberté,une pratique de jeu liée au plaisir du suj<strong>et</strong>1. Le sport est un lieu de liberté, où les suj<strong>et</strong>s ontla responsabilité de vivre les <strong>valeurs</strong> éthiques1.1. Le sport est un lieu de liberté. Nous verrons qu'il est aussi un domaine où la personnehumaine rencontre des exigences <strong>et</strong> des <strong>normes</strong>, des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> des règles. Il est un lieu deliberté, car si tout être humain a le droit de pratiquer le sport, il n'a pas l'obligation de le faire.Dans une culture, comme la culture moderne, où la personne est soumise à beaucoup decontraintes <strong>et</strong> d'obligations sociales, si elle veut vivre une vie vraiment humaine <strong>et</strong> socialisée, lesport apparaît comme une enclave de liberté. Il y a des contraintes diffuses, comme dans touteculture. Mais il y a de plus beaucoup de règles écrites, d'obligations sociales que le suj<strong>et</strong> humainest censé connaître <strong>et</strong> qu'il doit respecter.Dans le domaine du sport, même si la pression peut parfois être très forte, le suj<strong>et</strong> demeure libred'accepter c<strong>et</strong>te proposition ou de la refuser. La pression peut être familiale ou sociale: les parents,les amis, l'omniprésence du sport dans les médias, tout cela peut devenir une influence diffuse trèsforte, à laquelle il devient difficile d'échapper. Mais enfin, même si, comme les documents duConseil de l'Europe l'ont recommandé, le sport est un droit qui doit être ou devenir accessible àtous, le suj<strong>et</strong> reste libre de le vivre ou non. Il n'y a aucune obligation, même si l'incitation peutêtre très appuyée, très enveloppante. L'incitation peut venir de l'intérieur; elle peut aussi venir del'extérieur ; elle peut advenir de plusieurs côtés simultanément; les diverses influences alors serenforcent mutuellement. Le suj<strong>et</strong> peut avoir l'impression d'y échapper difficilement. Mais s'il lechoisit, il peut s'en tenir à distance.Si le suj<strong>et</strong> choisit de pratiquer le sport, plusieurs options s'ouvrent à lui. Il peut sélectionner unsport <strong>et</strong> en délaisser d'autres. Il peut opter pour le niveau auquel il pratique le sport, commeamateur simplement intéressé ou comme spécialiste, comme connaisseur averti ou commeprofessionnel expérimenté, de façon régulière ou épisodique. Il peut y consacrer peu ou beaucoupde temps, peu ou beaucoup d'argent, peu ou beaucoup d'intérêt. S'il est très bon, il sera soumis àde fortes incitations ; mais il n'a pas d'obligation de les suivre. Il peut choisir des activités quisont reconnues comme sportives par tous, notamment par les milieux de l'information. Mais il peutaussi préférer se consacrer à des activités qui ne demandent pas que l'on s'affilie à un club, selivrer à des activités physiques qu'on pratique beaucoup plus librement. Même si on y consacre dutemps <strong>et</strong> de l'argent, même si on tient beaucoup à ce type d'activités; on reste éloigné du sportau sens plus courant. Il est important, nous le verrons plus loin, de maintenir ouverte c<strong>et</strong>te largeperspective de la pratique du sport.Certains pratiquent le sport effectivement. D'autres le vivent comme par délégation, parprocuration. Ils participent à la réalité sportive comme organisateurs, comme entraîneurs, commespectateurs, comme parents, comme proches, comme médecins ou kinésithérapeutes. Participer au13


sport comme spectateur, ou comme téléspectateur, est à la fois valorisé en certains lieux <strong>et</strong> peuvalorisé en d'autres ; mais le suj<strong>et</strong> peut orienter sa vie de c<strong>et</strong>te façon.Nous le verrons plus loin, même si on croit devoir encourager la pratique du sport, il convient delaisser ouvert le plus largement possible l'intérêt pour le sport, de laisser à chacun la possibilitéde choisir s'il pratiquera effectivement un ou plusieurs sports, ou s'il sera surtout porté à suivreles compétitions sportives comme spectateur sur le terrain ou à travers les médias, ou encore s'ils'abstiendra de l'un comme de l'autre, de la pratique sportive comme du plaisir d'être un supporteranonyme de telle ou telle équipe, de tel ou tel athlète ou sportif. Le sport est un lieu de liberté.Il faut encourager ou préserver tout ce qui en fait un lieu de liberté.Parce qu'il est un lieu de liberté, le sport interpelle l'éthique. Il l'interpelle de plusieurs manières.L'éthique du sport a d'abord comme vocation, comme nous venons de l'indiquer, de veiller àrespecter la dimension de liberté du sport. Il y a des raisons éthiques qui fondent la volonté demaintenir ouverte c<strong>et</strong>te possibilité de liberté, c<strong>et</strong>te possibilité de choix personnel <strong>et</strong> d'orientationpropre dans le domaine du sport.L'éthique du sport ne remplit pas sa vocation propre si elle n'est pas habitée par le sens de laliberté, par la conviction qu'il est important qu'elle contribue à maintenir ouverte, le pluslargement possible, la liberté dans ce domaine.Dire que le sport relève de la liberté ne signifie pas qu'il échappe aux <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> aux règles. C'està l'éthique à indiquer quelles sont les <strong>valeurs</strong>, quels sont les différents types de <strong>valeurs</strong> quipeuvent <strong>et</strong> doivent être vécues dans le sport. Il revient à l'éthique d'indiquer que ces <strong>valeurs</strong> nesont pas vécues automatiquement dès qu'on s'intéresse au sport. Il lui revient de montrer quem<strong>et</strong>tre en œuvre ces <strong>valeurs</strong> suppose une volonté de les réaliser, suppose que le suj<strong>et</strong> ait c<strong>et</strong>tevolonté, suppose que l'environnement social veuille le perm<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> le favoriser, que le contextesocial veuille le rendre pratiquement possible. Il revient à l'éthique d'indiquer quelles conditionséthiques doivent être respectées pour que ces <strong>valeurs</strong> puissent être vécues par les personnes <strong>et</strong> lesgroupes, à quelles règles le suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> l'environnement social doivent se plier pour que les <strong>valeurs</strong>soient réalisées effectivement.L'éthique du sport peut encourager la pratique du sport; elle peut montrer le sens de le pratiquerou d'y participer comme spectateur, ou plus activement comme organisateur, comme entraîneur oucomme accompagnateur spécialisé (médecin, kiné, <strong>et</strong>c.). Mais il n'est pas dans sa mission d'enfaire une obligation, explicite ou implicite. Il n'est pas dans sa vocation d'en restreindre le champ<strong>et</strong> de décréter que le sport au sens vrai est uniquement ceci ou cela ; il lui appartient aucontraire, dans les limites du cohérent, de maintenir l'orientation du sport aussi ouverte quepossible. Il lui revient de dire qu'est respectable celui qui pratique le sport, mais aussi celui qui,sans le pratiquer ou peu, aime en être le spectateur sur le terrain ou par la médiation des médias.Il lui appartient d'être ouverte à tout ce qui est déclaré comme sport par les suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> pour lequelune signification peut être énoncée. Il lui revient de dire que le sport peut légitimement êtrepratiqué à divers niveaux.L'éthique du sport n'a pas de sens comme tâche <strong>et</strong> comme travail, si elle ne peut s'ouvrir, avecsympathie <strong>et</strong> compréhension, dans la réflexion <strong>et</strong> la discussion, au sport du niveau le plus élevé<strong>et</strong> percevoir la signification de celui-ci, au moins comme possibilité. Dans le sport, comme ailleurs,les <strong>valeurs</strong> ou le sens ne sont pas donnés automatiquement; il s'agit de possibilités que les suj<strong>et</strong>sdoivent contribuer à m<strong>et</strong>tre en œuvre. Tout ceci, l'éthique du sport doit pouvoir le considérer14


simultanément. Si elle ne peut s'ouvrir à certaines dimensions du sport <strong>et</strong> les valoriser, elle ne peutaccomplir sa mission. Celui qui se consacre à l'éthique du sport, doit être sensible aux problèmesque rencontre le sport, il doit être averti des problèmes <strong>et</strong> des dérives qui interviennent dans lesport, mais son regard ne sera un regard de sagesse, sa parole ne sera une parole de sagesse, ques'il est capable de valoriser ce qui mérite de l'être dans les différentes dimensions du sport. Si onn'en est pas capable, il vaut mieux changer de travail <strong>et</strong> d'orientation.1.2. Parce qu'il est lieu de liberté, le sport est lieu de responsabilité. Parce que le suj<strong>et</strong> doitchoisir ce qu'il fait <strong>et</strong> ne fait pas, l'éthique doit pouvoir indiquer avec clarté en même tempsqu'avec souplesse ce qui est un usage humanisant de la liberté <strong>et</strong> ce qui est manifestationdéshumanisante de la liberté pour soi <strong>et</strong>/ou pour les autres. Dire que le sport relève de la liberté,ne signifie pas que l'éthique s'en désintéresse. Au contraire, c'est parce qu'il est lieu de liberté,que le sport interpelle l'éthique <strong>et</strong> que celle-ci doit pouvoir apporter des éléments de réponse auxquestions qui se posent dans le sport.Si le sport est reconnu comme lieu de liberté, il importe que c<strong>et</strong>te valeur de liberté soit accessibleà tous. La liberté n'est pas seulement négative: il est vrai que nul n'est obligé de pratiquer le sport,ou tel sport, ou à tel niveau. La liberté est aussi à comprendre positivement. Si le suj<strong>et</strong> choisit devivre le sport, il doit en avoir la possibilité. Il faut que les infrastructures nécessaires soientaccessibles. Si le suj<strong>et</strong> veut vivre le sport de manière humaine, de manière éthique, il faut quel'environnement social le perm<strong>et</strong>te; il ne peut être contraint à des pratiques déshumanisantescomme le dopage ou comme le surentraînement. Il est bon d'aider l'enfant à s'ouvrir au sport ; tousles enfants doivent en avoir la possibilité, s'ils le choisissent ; mais nul enfant ne peut êtresoumis, nous le verrons, à un entraînement sportif intense <strong>et</strong> précoce.1.3. Le sport, parce qu'il est lieu de liberté <strong>et</strong> de responsabilité, est un lieu ouvert aux <strong>valeurs</strong>éthiques. Ce n'est pas l'éthique qui crée les <strong>valeurs</strong>. Mais il lui revient de les nommer, de dire leurrichesse, de les proposer à l'attention des personnes <strong>et</strong> des groupes humains, de montrer en quoiconsistent ces <strong>valeurs</strong>, ce qu'elles recouvrent exactement. Il lui revient d'indiquer les conditionséthiques <strong>et</strong> sociales nécessaires pour qu'elles puissent être mises en œuvre <strong>et</strong> notamment demontrer que, si la pratique du sport est confrontée à des <strong>valeurs</strong> qui s'imposent nécessairement,comme la sécurité, d'autres <strong>valeurs</strong> s'offrent aux suj<strong>et</strong>s comme des possibilités, mais non commedes obligations. Dans le sport, certaines <strong>valeurs</strong> doivent être poursuivies, d'autres <strong>valeurs</strong> aucontraire se proposent aux suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> aux groupes de telle manière qu'il est possible de choisir deles réaliser ou pas, quitte à ce qu'on ait le devoir d'en reconnaître la valeur pour ceux qui lespoursuivent. On reviendra plus loin sur ce point qui est important. Par exemple, rechercher desperformances, c'est être ouvert à une valeur que l'on choisit de réaliser ou pas. De même, lapassion pour le sport peut être une valeur; mais elle ne s'impose pas; on la choisit ou non.Il est important pour l'éthique de comprendre c<strong>et</strong>te valeur de la liberté du sport, de s'en faire ledéfenseur, pour tous. Il est important pour l'éthique de valoriser l'aspect de liberté dans le sport,même s'il lui revient aussi d'indiquer les conditions éthiques <strong>et</strong> sociales qui doivent êtrerespectées pour que c<strong>et</strong>te liberté du suj<strong>et</strong> ne dérive pas en aliénation ou endéshumanisation pour le suj<strong>et</strong> ou pour les autres. La liberté doit être promue en cohérence avecle tout de l'homme, qui est aussi voué à la justice <strong>et</strong> à la rationalité. L'homme qui s'engage15


librement dans le sport est aussi appelé à respecter d'autres engagements personnels qu'il aconclus, à vivre en cohérence avec ses choix antérieurs. Le sportif n'est pas quelqu'un dont la seuleraison d'être est de pratiquer le sport; il appartient à une famille, à un cercle d'amis, il estengagé dans une nation, dans une culture, dans un pays. Le sportif est toujours une personne dontla tâche principale est de devenir toujours plus humaine, plus responsable, plus solidaire desautres. Tout sportif qu'il soit, il doit découvrir à la fois qu'il est <strong>et</strong> qu'il doit devenir de plus enplus homme avec d'autres hommes, dans des institutions justes qui le portent, le soutiennent <strong>et</strong>le protègent pour vivre selon la raison, selon la droiture, dans la justice <strong>et</strong> la paix.2. Le sport demeure un jeuLe sport, qui est un lieu de liberté, est aussi une activité qui garde toujours un lien avec leplaisir ou la satisfaction. Il relève de la catégorie anthropologique du jeu. Il y a une réflexionphilosophique à entreprendre sur le jeu. Rares seront aujourd'hui les auteurs qui considéreront lejeu en fonction d'un dualisme qui l'oppose au sérieux <strong>et</strong> qui valorisent le sérieux au détriment dujeu. Un regard marqué par ce dualisme négatif considère que le jeu n'a pas de sens en lui-même,mais a du sens seulement par rapport à autre chose. Dans c<strong>et</strong>te ligne, on en viendrait à sereprésenter les choses ainsi: on joue, on se distrait, pour mieux travailler ensuite. Les meilleursauteurs aujourd'hui, dans la mouvance de E. Fink, considèrent que le jeu, comme le travail, ad'abord un sens en lui-même. Si on veut comprendre quelque chose de l'importance du jeu, ilimporte de ne pas le subordonner du point de vue de sa signification à autre chose que lui-même,de se garder de ne voir sa valeur pour l'homme qu'en fonction d'autre chose. Le jeu a une valeuren lui-même. En disant ceci, il faudra cependant éviter de faire d'une valeur comme le jeu unabsolu, comme s'il s'agissait d'une valeur qui à elle seule remplit tout le champ de la conscience.Considérer que le jeu a un sens en lui-même, n'empêche pas qu'il ait une valeur parmi d'autres <strong>et</strong>que l'être humain en s'ouvrant à une valeur, est appelé aussi à découvrir la diversité des <strong>valeurs</strong>.Si le jeu est une valeur, le travail, l'économie, la justice, la culture, en sont d'autres. Le travail,l'économie, la consommation ne doivent pas remplir tout le champ de la conscience. Mais le jeunon plus. Aucune valeur ne doit être considérée comme un absolu, comme une réalité isolée desautres. C'est à juste titre que la philosophie d'aujourd'hui s'ouvre davantage à laperspective qu'il y a des réalités ou des <strong>valeurs</strong> plus fondamentales que les autres (A. Mac Intyreou encore Ch. Taylor). Reconnaître que certaines <strong>valeurs</strong> sont plus fondamentales, en ce sensqu'elles éclairent la signification des autres, ne consiste pas à considérer que les unes annulent lesautres, qu'il est possible de vivre les unes sans les autres.Le sport est un jeu. Il est un jeu même s’il devient une activité professionnelle, même s’il occupeune grande part de l’activité sociale, s’il dévore une grande partie du temps <strong>et</strong> de l’énergie. Lamusique ne cesse de relever de l’activité artistique, même si elle devient un métier, une profession.Il en va de même du jeu <strong>et</strong> du sport. Même si le sport devient un métier, uneprofession, il demeure anthropologiquement un jeu, dont il conserve à la fois la valeur <strong>et</strong> les limites.3. Le sport demeure un plaisirParce que le sport est une activité de jeu, on y r<strong>et</strong>rouve les traits qui caractérisent celui-ci <strong>et</strong> dontnous parlerons plus loin. Parce qu'il est un jeu, il fait une place importante au plaisir. Même s'ilreprésente un effort, une ascèse, des privations, même s'il requiert courage <strong>et</strong> persévérance, même16


s'il est une pratique systématique <strong>et</strong> méthodique, il demeure un jeu <strong>et</strong> un plaisir, il doit demeurerun jeu <strong>et</strong> une satisfaction. Le sport peut contribuer au plaisir du suj<strong>et</strong> sportif. Il peut aussi êtreordonné au plaisir du spectateur. Pourtant, le sportif ne peut pas être sacrifié au plaisir duspectateur. Le sport est de l'ordre de la communion; le sportif <strong>et</strong> le spectateur communientdans un plaisir commun, dans un enthousiasme commun. Il y a dérive, il y a dérèglement,évolution inacceptable, dès lors qu'une personne est sacrifiée au plaisir d'une autre. Mais ce quiest plaisir pour l'un, est capable d'être plaisir pour d'autres. Le plaisir de la victoire dusportif est plaisir appelé à être partagé par d'autres. Le plaisir de la victoire ne sera pas partagéde la même façon par tous les spectateurs. Il sera un plaisir plus grand pour une partie d'entre eux;il représentera un déplaisir, une déception pour d'autres. Ceci est lié à la nature du sport, du sportde compétition. La victoire de l'un représente la défaite de l'autre. Mais il importe, parce qu'il s'agitd'un jeu, d'apprendre à goûter le plaisir de la victoire, en épargnant l'adversaire <strong>et</strong> ces partisans.Dans la vie sociale, il peut y avoir convergence d'intérêt. Il y a souvent divergence d'intérêt. Danscertains cas, ce qui est source de profits pour les uns, peut être source de profits aussi pourd'autres. Mais il n'en est pas toujours ainsi: ce qui devient source de profits pour les uns peut êtresource de pertes pour d'autres, cause de souffrances <strong>et</strong> de drames personnels <strong>et</strong> familiaux. Au plansocial, les dommages subis par celui qui ne réussit pas socialement, économiquement, peuventreprésenter quelque chose d'inacceptable du point de vue éthique. Ceci concerne l'éthiquesociale. La réussite, la recherche de la réussite est quelque chose de positif au plan économique<strong>et</strong> social; mais la réussite des uns ne peut, selon la justice, représenter une perte, une aliénation,une déshumanisation pour d'autres. Certes, cela arrive fréquemment. Mais l'éthique sociale ne peutl'accepter.Dans le domaine du sport, la défaite n'est certes pas sans regr<strong>et</strong>, elle s'accompagne de déception<strong>et</strong> de déplaisir. Mais celui qui connaît la défaite au plan sportif n'est pas par là privé de sonhumanité. Si néanmoins ceci intervenait dans la vie du sportif, dans la mesure où le sport <strong>et</strong> lacarrière sont souvent intimement liés, la justice sociale devra se préoccuper de ce genre desituations, comme nous le dirons dans la troisième partie de notre travail. L'organisation juste descompétitions sportives implique plusieurs responsabilités, mais consiste aussi à se préoccuper dece que deviennent les sportifs accidentés ou ceux qui ont moins de réussite. La législationsociale d'une part, les associations sportives d'autre part, se trouvent ici confrontées à unproblème considérable, qui à ces jours est insuffisamment pris en compte.Le sport devra être organisé de telle manière que le vainqueur y trouve un réel plaisir, mais de tellemanière aussi que celui qui n'est pas le premier, mais qui va d'échec en échec, trouve une formede protection sociale. Il faut que le sport soit lieu de plaisir pour tous. Forme de plaisir pour lesportif <strong>et</strong> pour le spectateur, forme de plaisir pour le vainqueur mais aussi pour le vaincu,forme de plaisir pour celui qui est un champion <strong>et</strong> aussi pour celui qui n'accède pas à une telleréussite.L'éthique est ouverte au plaisir. L'éthique du sport ne rencontre pas vraiment la réalité du sport,si elle vit une forme de déni, si elle s'aveugle consciemment ou inconsciemment, si elle décided'ignorer la réalité du plaisir <strong>et</strong> du déplaisir. Elle accepte le plaisir; elle le valorise. Elle levalorise au plan humain <strong>et</strong> éthique. Elle sait y reconnaître une réalité, une expérience, unressenti qui perm<strong>et</strong>tent à l'homme de devenir plus pleinement humain. Mais elle s'efforce d'aiderchacun à vivre le plaisir de la victoire, d'une manière humaine, donc de manière modérée.17


L'éthique du sport accepte le plaisir de la victoire mais elle est aussi apprentissage à vivre leplaisir de la victoire en respectant l'adversaire <strong>et</strong> en reconnaissant sa valeur <strong>et</strong> sa dignité. A unautre plan, qui est celui d'une sorte d'initiation <strong>et</strong> où on accède à une forme de sagesse, lamission de l'éthique du sport consiste aussi à faire comprendre qu'une forme immodérée, du plaisirde vaincre n'est pas respectueuse de sa propre dignité humaine de vainqueur. Il s'agit d'aider àcomprendre <strong>et</strong> à voir que la véritable dignité d'un suj<strong>et</strong> ne coïncide jamais avec le seul plaisir dela victoire. Il s'agit de découvrir, ce qui n'est pas simple, que la défaite sportive ne prive pas unsuj<strong>et</strong> de sa dignité fondamentale. Il s'agit de percevoir, à travers une sorte d'initiation, que celuiqui dans la victoire méprise ou humilie l'adversaire, blesse sa propre humanité <strong>et</strong> se prive d'uneforme spécifique de plaisir.L'éthique du sport est capable aussi de considérer <strong>et</strong> d'accepter la réalité amère de la défaite,d'assumer ce qui dans le sport <strong>et</strong> la défaite est cause de déplaisir. Elle valorise la communion dessportifs <strong>et</strong> des spectateurs dans la victoire. Mais elle appréhende aussi, en la louant, la solidarité,dans la défaite, des sportifs <strong>et</strong> des spectateurs ou des organisateurs. Parce que le sport est un jeu,parce qu'il représente une activité réglée <strong>et</strong> organisée, la victoire <strong>et</strong> la défaite, le plaisir <strong>et</strong> ledéplaisir y sont vécus avec d'autres, dans une forme de communion, dans le cadre d'un club, d'uneassociation. Si on y partage <strong>et</strong> y célèbre la victoire, on y partage aussi la défaite <strong>et</strong> on s'enconsole pour se conforter <strong>et</strong> s'affermir. L'alcool n'est pas le seul moyen de fêter une victoire. Iln'est pas non plus le meilleur moyen de se rem<strong>et</strong>tre d'une défaite.Lieu de liberté, le sport interpelle l'éthique. Il l'interpelle de multiples façons, comme nous l'avonsvu. Parce qu'il est de l'ordre du jeu, parce qu'il est double expérience de plaisir <strong>et</strong> de déplaisir, dansle respect de soi <strong>et</strong> des autres, dans la sagesse <strong>et</strong> la vérité; le plaisir de la victoire <strong>et</strong> l'amertumede la défaite. L'éthique du sport peut contribuer à c<strong>et</strong> apprentissage qui n'est pas simple, quidemande que le suj<strong>et</strong> ait accès à une forme de sagesse <strong>et</strong> de sérénité. Le sportif doit apprendre àvivre de manière humaine la difficulté de l'effort <strong>et</strong> de la préparation sportive; il doit tout autantapprendre à vivre de manière humaine la joie de la victoire, ainsi que l'épreuve de la défaite.La préparation sportive se fait avec d'autres, en communion avec d'autres. Le plaisir <strong>et</strong> la joie dela victoire aussi sont partagés avec d'autres <strong>et</strong> célébrés avec eux. L'épreuve de la défaiteégalement est partagée avec d'autres: avec ceux-ci, le suj<strong>et</strong> se souvient de la défaite <strong>et</strong> de sonamertume; mais il peut aussi se rendre compte qu'il a pu participer à un bel événement sportif. Ledéplaisir de la défaite est réel, mais aussi la joie d'avoir participé à un événement sportif, d'avoirpu le vivre avec d'autres, qui restent solidaires avec lui dans l'épreuve. Ce sont là des expériencesprofondes <strong>et</strong> prégnantes auxquelles seront attentifs le sportif, le spectateur <strong>et</strong> les organisateursainsi que l'éthicien. La mission de l'éthique du sport est d'accompagner les sportifs, par la réflexion<strong>et</strong> la discussion, sur ce chemin d'approfondissement.L'éthique du sport ne remplit pas sa fonction, si elle ne valorise pas l'importance de la liberté. Ellene remplit pas non plus sa fonction, si elle ne comprend pas ou ne valorise pas le plaisir, si pourn'avoir pas à l'examiner elle détourne les yeux de la réalité du déplaisir vécu dans le sport. Elle neremplit pas sa mission si elle ne peut montrer que le plaisir de la victoire <strong>et</strong> le déplaisir de ladéfaite peuvent être vécus avec d'autres, de manière humaine <strong>et</strong> partagée, dans la sagesse <strong>et</strong> lasolidarité, dans l'approfondissement <strong>et</strong> l'affermissement de l'être.L'éthique a comme fonction, nous le verrons, de proposer des règles dont les sportifs, lesspectateurs, ainsi que les organisateurs <strong>et</strong> les accompagnateurs, pourront voir la raison d'être. Mais18


elle a une fonction antérieure, plus fondamentale, celle d'orienter positivement les sportifs <strong>et</strong> pluslargement la société vers la liberté <strong>et</strong> la responsabilité, vers le plaisir également, même si toutesces réalités doivent être vécues de manière humaine, avec d'autres, dans de justes institutions.Plaisir <strong>et</strong> déplaisir dans le sport ont des fac<strong>et</strong>tes multiples. Dans le texte qu'on vient de lire, nousavons souligné le plaisir de la victoire <strong>et</strong> de la réussite, ainsi que l'amertume de la défaite <strong>et</strong> del'échec. Défaite <strong>et</strong> victoire sont ici les paradigmes des nombreuses autres formes de plaisir <strong>et</strong> dedéplaisir rencontrées dans le sport.Le plaisir du sport, c'est aussi la joie de participer à un événement collectif. C'est la joie de s'êtredépensé physiquement. C'est la joie de l'effort. C'est la joie du mouvement, du beau geste. Mêmeen cas de défaite, le beau geste qui a pu être accompli, demeure une source de joie <strong>et</strong> de plaisir.Le plaisir du sport, c'est la joie d'avoir pu s'investir totalement, de s'être engagé profondément auxplans psychologique <strong>et</strong> social, d'avoir relevé un défi, d'avoir acquis <strong>et</strong> utilisé un savoir-faire, d'avoireu à imaginer une stratégie. Le plaisir du sport, c'est la joie d'avoir été vu <strong>et</strong> reconnu par les autres.L'obtention de la victoire, c'est une manière de rencontrer la reconnaissance des autres. Mais c<strong>et</strong>tereconnaissance <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te estime des autres peuvent être méritées <strong>et</strong> gagnées, même si la victoiren'a pas été acquise.Le déplaisir dans le sport, c'est celui de n'être pas r<strong>et</strong>enu pour le jeu, celui de ne pas être invitéou admis à participer. C'est celui de la blessure ou de l'accident encouru, celui du geste agressifdont le suj<strong>et</strong> fut l'auteur ou la victime. Même la victoire, celle de l'individu ou celle de l'équipe, nesupprime pas ces autres formes de déplaisir.Il me semble qu'on peut considérer la victoire <strong>et</strong> la défaite comme le symbole <strong>et</strong> le paradigme d<strong>et</strong>outes les autres formes de plaisir ou de déplaisir rencontrées dans le sport. C'est la raison pourlaquelle nous nous sommes concentrés dans les développements qui précèdent, sur le plaisir de lavictoire <strong>et</strong> le déplaisir de la défaite.Le travail, comme le jeu <strong>et</strong> le sport, peut être lieu de plaisir <strong>et</strong> de satisfaction. Mais ils ne le sontpas de la même manière. Comme dans le jeu <strong>et</strong> le sport, la place de la liberté peut grandir dans ledomaine du travail <strong>et</strong> de l'économie, comme dans la société en général. Mais le sport <strong>et</strong> le travailn'ont pas le même rapport à la liberté. Il existe de nombreux liens, de nombreuses connexionsentre l'éthique sociale <strong>et</strong> l'éthique du sport. Mais elles ne se recoupent pas totalement. Dans undeuxième chapitre, nous traiterons brièvement de la dimension sociale du sport. Ici éthique dusport <strong>et</strong> éthique sociale se recoupent encore davantage.19


Chapitre 2 : La dimension sociale des pratiques sportivesLe sport est une pratique sportive du suj<strong>et</strong>, mais auquel il participe avecd'autres suj<strong>et</strong>s, qui sont ses partenaires ou ses adversaires. Le sport decompétition suppose une organisation, qui est aussi le fait d'un ensemble desuj<strong>et</strong>s. Le sport se vit aussi sous le regard de spectateurs, présents physiquementà la prestation ou qui en sont les spectateurs ou les participants par la médiation dela radio, de la télévision, de la presse. C<strong>et</strong> aspect social du sport interpelle aussi l'éthiquedu sport.L'éthique du sport doit valoriser la liberté, mais aussi d'autres <strong>valeurs</strong>. Parce que le sport est uneactivité sociale, l'éthique du sport doit être attentive à diverses formes de justice. L'éthique dusport valorise l'activité du sportif lui-même, comme suj<strong>et</strong>. Mais elle observe aussi le lienspécifique <strong>et</strong> étroit qui lie le sportif <strong>et</strong> l'entraîneur sportif. Elle voit le sportif, mais aussi ceux quiorganisent la rencontre sportive. Elle considère les personnes qui professionnellementaccompagnent le sportif dans sa préparation <strong>et</strong> sa prestation, médecin, kinésithérapeute,soigneur, psychologue, <strong>et</strong>c..Les qualités humaines du lien entre le sportif, les organisateurs, l'entraîneur <strong>et</strong> ceux quil'accompagnent jouent un rôle très important dans l'ensemble de la rencontre sportive <strong>et</strong>interviennent dans l'évaluation de l'éthique du sport. La nature des rapports, très caractéristiques,à la fois très mouvants <strong>et</strong> très fermes, qui existent entre le sportif <strong>et</strong> les spectateurs, parmi euxles supporters les plus fervents, exerce une influence sur la rencontre sportive qui ne doit pas êtreminimisée. Elle peut contribuer au climat positif de la rencontre, à son esprit sportif, àl'enthousiasme <strong>et</strong> à l'engagement des sportifs. Elle peut aussi dégénérer en violence, en attitudesd'exclusion, en comportements passionnels. L'évaluation du comportement <strong>et</strong> des attitudes desspectateurs <strong>et</strong> des supporters fait partie du souci de l'éthique du sport. L'information sportive estun élément de la réalité sportive qui demande une évaluation éthique. L'éthique pense le bienhumain du sportif, mais aussi de ceux qui l'entourent, qui l'accompagnent, de ceux qui organisent,informent, commentent.La liberté est importante, mais elle n'est pas la seule valeur. L'éthique du sport parle aussi dejustice. Dans la mesure où le sport est orienté vers la victoire mais a comme perspective aussi ladéfaite, la justice doit se soucier du destin de l'un <strong>et</strong> de l'autre. Le sport doit être organisé de tellemanière qu'il soit plaisir <strong>et</strong> valorisation pour le vainqueur; mais qu'il ne soit pas déshumanisant,désespérant pour celui qui n'est pas vainqueur, qui n'obtient pas la victoire, mais subit la défaite.Il importe que l'éthique du sport se soucie de celui qui est champion, mais aussi de celui qui n'estplus capable de l'emporter. Une culture sportive qui ne voit que le bien <strong>et</strong> le destin des vainqueurs,en se désintéressant du bien <strong>et</strong> du destin de ceux qui n'obtiennent pas la victoire, est un dangerpour le sportif, mais aussi pour le monde social en dehors du sport. Si au plan symbolique, on neconsidère que les vainqueurs <strong>et</strong> que les autres tombent dans l'oubli <strong>et</strong> la déchéance, il n'est paspossible que cela ne rejaillisse pas dans le secteur social <strong>et</strong> économique plus largement.Inversement, ce qui se vit au plan de l'éthique sociale, dans le domaine économique, pourra avoirune répercussion dans le domaine de l'éthique du sport. L'éthique sociale se préoccupe de lajustice pour tous, du bien de tous au plan économique. Elle stimule la recherche par chacun de laréussite sociale <strong>et</strong> économique; elle encourage chacun à participer à la vie sociale par le travail<strong>et</strong> par d'autres formes de participation sociale; elle constate la réussite sociale <strong>et</strong> économique decertains <strong>et</strong> la valorise, du moins si elle est obtenue par des moyens justes <strong>et</strong> honnêtes; mais enmême temps elle se préoccupe de la protection sociale des autres. De toute manière elle devra21


22rendre sensible à des <strong>valeurs</strong> antérieures à celles de la réussite, à savoir la cohésion sociale. Demême, dans le domaine du sport, l'éthique du sport accepte la compétition, donc la victoire desuns, la défaite des autres. Mais en même temps, elle valorise <strong>et</strong> promeut des attitudes, des <strong>valeurs</strong>antérieures à celle de la victoire, à savoir l'esprit sportif, la solidarité sportive, la justice sociale.Au cours des dernières années, le respect de la justice sociale, du droit de la concurrence <strong>et</strong> desdroits du travail ont davantage été la préoccupation des instances politiques nationales <strong>et</strong>internationales que des milieux sportifs. Nous avons déjà souligné que, à propos de la question destransferts de joueurs, la Cour européenne de Justice, en décembre 1995, a imposé au monde dufootball le respect de règles qui avaient d'abord été élaborées au niveau économique, dans lemonde des entreprises. Certes, le sport, le football ont une spécificité, mais elle ne dispense jamaisde respecter les règles de la justice <strong>et</strong> de la solidarité sociales.


Chapitre 3 : La jeunesse, paradigme <strong>et</strong> symboled’une réalité sportive plus large1. L'éthique du sport doit tenir compte du fait que le sport est une réalitésociale. Elle doit valoriser le fait qu'il est un lieu de liberté <strong>et</strong> de responsabilité,qu'il est de l'ordre du plaisir <strong>et</strong> de la satisfaction, qu'il est essentiellement un jeu, quepar sa valeur symbolique il est d'un autre ordre que l'ordre de l'instrumentalité, qu'il est del'ordre de la gratuité plutôt que de l'ordre de l'utilité. L'éthique du sport est aussi interpellée, parceque le sport est une réalité multiple. Il concerne différentes catégories de populations. Ilconcerne par excellence les jeunes. Les recommandations adoptées, au sein du Conseil de l'Europe,par le Comité des Ministres du <strong>Sport</strong> <strong>et</strong> adressées aux Etats membres, ainsi que les documentspubliés en annexe de ces recommandations, l'ont bien souligné, qu'il s'agisse de la Charteeuropéenne du sport (1992), du Code d'éthique sportive (1992), de la Recommandation sur lesjeunes <strong>et</strong> le sport (1995) ou du Manifeste européen sur les jeunes <strong>et</strong> le sport (1997).Dans notre réflexion éthique, nous aurons surtout présent à l'esprit le sport pratiqué par les jeunesou par les adultes les plus jeunes. Mais le sport est aussi pratiqué par l'enfant. Si le jeune adulteveut s'engager dans le sport, il doit commencer très tôt, dès l'enfance. Même celui qui à l'âgeadulte ne pratiquera plus régulièrement le sport, aura comme enfant eu le désir de pratiquer un ouplusieurs sports. L'éthique est interpellée par l'importance <strong>et</strong> le développement pris par le sportdans l'enfance. Ce fut le thème d'un colloque interuniversitaire <strong>et</strong> interfacultaire, organisé ennovembre 1997 à Louvain-la-Neuve, sous le titre: Enfant, sport <strong>et</strong> éthique. Nous en reprendronsplus loin les conclusions.Le sport concerne aussi la personne âgée. Il est important de penser la manière éthique dont lesport se vit par l'enfant <strong>et</strong> par le jeune. Mais l'éthique, l'éthique du sport, comme l'éthiquemédicale <strong>et</strong> l'éthique sociale, est interpellée par la personne âgée. Celle-ci se livre moins au sportde performance. Mais il arrive qu'elle désire poursuivre le sport pour tous, le sport de loisirs, tantque c'est possible. Une telle option est à encourager dans bien des cas. Mais il ne faut pasculpabiliser la personne âgée qui s'abstient de pratiquer toute forme de sport. On ne sait pastoujours très bien ce que vit la personne âgée <strong>et</strong> ce qui l'empêche de se consacrer activement ausport. Par contre, le spectacle sportif demeure une réalité accessible à la personne âgée. C<strong>et</strong>intérêt de la personne âgée pour le spectacle sportif, pour le sport pratiqué par d'autres, ne doitpas être dénigré. Il est à respecter <strong>et</strong> même à valoriser. On verra là une manière de communieravec le monde extérieur, de participer à quelques grands événements de la vie sportive. C<strong>et</strong>teattitude participe à une philosophie qui respecte la personne âgée <strong>et</strong> l'encourage à prendre part àla vie sociale <strong>et</strong> à la vie culturelle, dans la société en général <strong>et</strong> dans le sport en particulier.L'éthique sociale <strong>et</strong> l'éthique du sport doivent comprendre pourquoi c<strong>et</strong>te attitude est à valoriser.Mais elles doivent aussi pouvoir m<strong>et</strong>tre en garde contre une attitude trop passive, contre uneparticipation trop extérieure à ce que d'autres vivent.2. La jeunesse est le symbole <strong>et</strong> le paradigme du sport, qui est cependant une réalité plus large,qui déborde le monde de la jeunesse <strong>et</strong> qui ne se laisse pas enfermer dans les représentations dela jeunesse.Le sport concerne des personnes d'âges très variés; il peut devenir une des occasions les plusprécieuses des rencontres intergénérationnelles. Des personnes de tous âges communient dans unmême intérêt, un même goût pour le sport (une même passion pour le sport). Il concerne d'abord23


les jeunes, mais aussi les jeunes adultes. La rencontre entre jeunes <strong>et</strong> jeunes adultes dans le cadredu sport est une perspective de grande valeur pour les personnes <strong>et</strong> les familles, comme pour lasociété.Pourtant, comme nous le verrons encore plus loin, le sport organisé s'est beaucoup développéégalement auprès des enfants. C<strong>et</strong>te évolution est due à l'influence de plusieurs facteurs. L'école,la famille, les médecins conjuguent leur influence pour encourager la pratique du sport par lesenfants. On peut à vrai dire parler d'une pression diffuse dans la société <strong>et</strong> dans les médias qui vadans le même sens. C<strong>et</strong>te évolution interpelle très fort l'éthique du sport, comme nous le dironsplus loin de façon plus précise.Le sport concerne encore, quoique de façon adaptée <strong>et</strong> spécifique, les personnes plus âgées, quidans le sport peuvent trouver un intérêt pour la vie, une insertion dans la vie sociale, uneouverture au monde extérieur. Elles peuvent avoir le sentiment, en ayant contact avec l'univers dusport, sinon de r<strong>et</strong>rouver une nouvelle jeunesse, en tout cas de communier dans une activitétypique des jeunes.La jeunesse est en eff<strong>et</strong> le paradigme <strong>et</strong> le symbole du sport, la figure à laquelle on se réfère pourpenser l'ensemble de l'activité sportive qui est pourtant plus large que celle des jeunes. Lajeunesse éclaire ce qui se pratique dans le monde du sport par des personnes appartenant àd'autres classes d'âge. Elle confère prestige <strong>et</strong> rayonnement au domaine sportif dans son ensembleoù ne se rencontrent pas seulement des jeunes. L'engouement qui se vit dans le sport en généraldoit sans doute beaucoup au fait qu'il évoque spontanément la jeunesse. Il faut éviter un fauxculte de la jeunesse, qui empêche de voir la grandeur, la dignité des autres âges. Une culture quin'aurait que le goût, le sens de la jeunesse, passerait à côté de dimensions importantes del'existence humaine. Mais ce qui se vit aux autres âges en matière sportive, sans se réduire ouse limiter au vécu typique de la jeunesse, est éclairé par la participation des jeunes aux activitéssportives, à commencer par leur goût de l'engagement, de la passion <strong>et</strong> même du risque, par leurvolonté de briller mais aussi de se dépenser totalement avec d'autres. Dans le sport, la participationdes jeunes est active. Sans leur participation, le sport serait quelque chose de très différentde ce qu'il est. Tout ceci doit être réfléchi, pensé, discuté.La catégorie du paradigme a été utilisée par un des grands théoriciens contemporains de ce thème,Hans Jonas. Celui-ci considère la responsabilité parentale comme le paradigme de la responsabilitéen général. A côté de la responsabilité parentale pour l'avenir de leurs enfants, il y a bien d'autresformes de responsabilité. Celle de l'homme politique, du chef d'entreprise ne coïncide pas aveccelle des parents, même si on r<strong>et</strong>rouve des traits de parenté entre ces diverses formes de responsabilité.La responsabilité politique, économique, professionnelle est d'un autre ordre. Et pourtantcelle-ci éclaire la nature <strong>et</strong> les principes de la responsabilité dans ses différentescomposantes. De même, le sport des adultes <strong>et</strong> des jeunes n'est pas identique; ils ont leurscaractéristiques propres. Mais la jeunesse, dans le domaine du sport, a le statut de paradigme, deréférence.Le sport de l'enfant est différent de celui pratiqué par l'adulte ou par le jeune. Il obéit à des règlesadaptées. L'enfant n'est pas un adulte, ni un jeune. Il est un enfant <strong>et</strong> doit être traité comme tel.Une culture qui n'aurait pas le sens de l'enfant, le respect de l'enfant, notamment dans le sport,passerait à côté d'une valeur essentielle. Mais la nature <strong>et</strong> les exigences du sport se comprennentà partir du sport pratiqué par l'adulte <strong>et</strong> le jeune. L'enfant doit être considéré avec respect; sa24


pratique du sport doit r<strong>et</strong>enir l'attention; elle interpelle l'éthique du sport qui doit avoir le soucide rappeler les traits distinctifs de l'enfant <strong>et</strong> de sa pratique du sport dans l'univers du sport. Maisl'enfant <strong>et</strong> sa pratique du sport ne sont pas le paradigme à partir duquel s'éclaire le sens, les exigencesou les possibilités du sport en général.3. Le sport, surtout le sport de performance, est une réalité caractéristique des jeunes. C'est la classed'âge que nous aurons habituellement présente à l'esprit dans ce travail, lorsque noustraitons du sport <strong>et</strong> de l'éthique du sport. Néanmoins l'éthique du sport doit accorder uneattention particulière au sport pratiqué par l'enfant. Dans une société où il devient plus évident quela personne âgée doit pouvoir trouver sa place, une place active, il importe aussi que l'éthique dusport observe avec plus d'attention le sport adapté à l'âge avancé. Il ne s'agit pas ici devaloriser pour la personne âgée le sport de performance qui lui ferait courir un risque excessif. Ils'agit plutôt de reconnaître la valeur pour elle du sport, comme activité physique, comme jeu,comme activité sociale, comme activité de loisirs.Le sport est pratiqué par la personne jeune <strong>et</strong> en bonne santé. Mais il est accessible aussi à lapersonne handicapée <strong>et</strong> à la personne malade, celle qui a été malade, dont les problèmes de santérecommandent diverses formes de réadaptation physique mais aussi bien souvent une pratique dusport accordée à son état. Les personnes greffées dans une institution hospitalière sont invitéespar celle-ci à pratiquer le sport selon une forme qui convient à leur situation. Les personneshandicapées ont bien souvent découvert l'importance pour elles <strong>et</strong> pour leur entourage d'unepratique adaptée du sport. L'éthique est fortement interpellée par ceci. Le sport a été <strong>et</strong> est, oupeut être, un facteur d'intégration sociale de la personne handicapée ou malade. Celle-ci peutparticiper à la réalité sportive aussi bien par la pratique que par le spectacle. Nous reparlerons dusport pratiqué par la personne handicapée dans la quatrième partie de notre rapport, lorsque noustraiterons de la valeur symbolique du sport.Le sport est en train de se féminiser. Il s'agit là d'une évolution heureuse qu'il faut soutenir <strong>et</strong> chercherà amplifier. Les sports masculin <strong>et</strong> féminin n'ont pas progressé selon le même rythme. Ils ontleur histoire spécifique. La situation présente est à comprendre comme un moment d'unehistoire particulière. Des causes d'ordre religieux ou sociologique peuvent freiner c<strong>et</strong>te évolution.Elles doivent être étudiées, discutées, dépassées. L'éthique du sport est fortement impliquée dansla valorisation du sport féminin. Elle est interpellée de diverses manières. Il lui revient de dire quele sport doit être accessible aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Il importe à l'éthiqueégalement de dire que le sport féminin ne doit pas se modeler nécessairement sur le sportmasculin, qu'il est normal qu'il y ait une spécificité du sport féminin, que c<strong>et</strong>te spécificité n'est pasune différence de valeur, qu'elle n'est pas de l'ordre de la supériorité ou de l'infériorité, mais unedifférence de "genre". Il importe à l'éthique d'étudier <strong>et</strong> de dépasser les raisons culturelles quicontrarient une participation active de la femme à la pratique du sport ou à son organisation.Au cours du XX e siècle, le sport s'est fortement internationalisé. Il est marqué lui aussi par une formede mondialisation. Les athlètes les plus populaires ne sont pas ou plus ceux quiappartiennent à la même région, au même pays. Les jeunes de notre pays admirent des athlètes oudes sportifs américains, brésiliens, anglais, allemands, italiens ou français. Les clubs européens lesplus prestigieux ont pu acquérir, souvent à prix d'or, des sportifs africains ou latino-américains.C<strong>et</strong>te pratique pose des questions éthiques <strong>et</strong> sociales considérables, mais témoigne aussi dudynamisme <strong>et</strong>, si on peut dire, de la jeunesse du sport.25


4. Le sport est une activité physique, mais il est aussi une réalité où intervient toute lapersonnalité de l'être humain. Comme activité physique, la force physique, la résistance nerveuse,la rapidité de réaction interviennent de façon prépondérante dans le sport. Celui-ci est cependantaussi une activité où interviennent l'expérience, la stratégie, le calcul, l'anticipation, la ruseparfois. Le sport est une activité physique, mais aussi une activité où l'intelligence, la volonté, lapersévérance <strong>et</strong> la mémoire ont leur part à jouer.Au plan physique, le jeune a une supériorité. Mais si l'âge, ou la maladie, ne perm<strong>et</strong> pas toutes lespratiques sportives aux personnes concernées, d'autres aspects du sport <strong>et</strong> du jeu leur sontaccessibles plus largement. Avoir une vision large du sport, ouverte aux multiples aspects decelui-ci, perm<strong>et</strong> de découvrir qu'il peut intéresser, davantage qu'on ne le pense généralement,plus de personnes, de différents types, de différents âges, de différents "genres". La personnehandicapée, la personne âgée, la personne malade ont chaque fois des raisons de porter intérêt ausport. Elles ne représentent sans doute pas le paradigme ou le symbole de l'activité sportive;mais observer leur intérêt pour le sport <strong>et</strong> réfléchir à son suj<strong>et</strong>, par la discussion <strong>et</strong> l'échange,peuvent contribuer à mieux comprendre la nature <strong>et</strong> les richesses humaines du sport. La réflexionsur le sport de performance pratiqué par des personnes handicapées est une étape décisive dans unparcours intellectuel où on cherche à mieux percevoir le sens de la performance <strong>et</strong> de lacompétition dans le sport en général.5. Le sport ne se définit pas par un trait, mais par une combinaison de plusieurs traits. Il est uneactivité physique, mais il est aussi autre chose, une activité symbolique qui aide à comprendre <strong>et</strong>à aimer le sens de l'existence humaine, qui porte l'homme à se réconcilier avec lui-même <strong>et</strong> avecles autres. Le sport est un jeu, non pas jeu spontané de l'enfant (paideia), mais jeu organisé (ludus),circonscrit dans un lieu <strong>et</strong> un temps, soumis à des règles, comportant un enjeu, lavictoire, la médaille, la coupe, comme jadis la couronne de lauriers. Les travaux classiques deJ. Huizinga <strong>et</strong> de R. Caillois ont apporté des éclairages précieux dans ce domaine. Le sport est unjeu, un plaisir, mais un jeu où l'homme est porté à admirer d'autres hommes, où il s'enthousiasmenon pas seulement pour ce qu'il fait ou possède lui-même, mais pour ce que d'autres ont puobtenir comme résultat grâce à leur préparation <strong>et</strong> à leur persévérance. Le sport est de bien desfaçons un apprentissage du sens de l'altérité.Ce qui importe, ce n'est pas la matérialité de la performance: la personne handicapée ne réalise pasles mêmes performances que la personne valide. Au plan physique, les performances del'homme <strong>et</strong> de la femme ne sont pas identiques. Elles ne doivent pas chercher à le devenir. L'enfant<strong>et</strong> l'adulte ne visent pas le même objectif matériel dans le sport. Mais chacun, à sa manière, chercheà réaliser à travers le sport quelque chose de beau <strong>et</strong> de grand pour lui <strong>et</strong> pour les autres. C<strong>et</strong> aspectesthétique de l'activité sportive mérite d'être pensé <strong>et</strong> réfléchi, dans la ligne des réflexions philosophiquesde E. Fink sur Le jeu, symbole du monde. Aux yeux de l'éthique du sport, il s'agit là d'unedimension essentielle du sport, qu'il convient de reconnaître <strong>et</strong> de respecter. Elle est le fondementde la valeur symbolique du sport.Comme la création artistique, comme la musique ou la peinture, comme la création littéraire, lesport est une réalité multiple, toujours plus largement humaine qu'on ne le supposaitspontanément, de telle sorte que beaucoup de personnes, au statut très différent, selon l'âge oula santé, peuvent y trouver un plaisir <strong>et</strong> un sens proprement humain.26


Chapitre 4 : Le sport, paradigme de la modernitéLe sport est une activité inscrite dans l'histoire. Les recherches historiquestémoignent de l'existence dans de nombreuses cultures du passé, proche oulointain, dans les aires européennes <strong>et</strong> extra-européennes, de pratiquesanalogues à celles du sport moderne, même si des traits importants les différencient.Le sport dans sa version contemporaine est un paradigme de la modernité.1. Le sport est paradigme de la modernité, en raison du caractère de liberté dont nous avons parlédès le début de c<strong>et</strong>te première partie. Dans le sport comme dans la modernité, le suj<strong>et</strong> est d'abordmû, non par des idéaux extérieurs à lui, mais par ses goûts, ses convictions, ses choix.2. Le sport est paradigme de la modernité, car il est lieu de responsabilités multiples.Responsabilité des sportifs, des entraîneurs, des organisateurs, des clubs <strong>et</strong> des fédérations,nationales <strong>et</strong> internationales, des pouvoirs publics, nationaux <strong>et</strong> internationaux, des médecins, deskinésithérapeutes, des fabricants de matériel sportif. C<strong>et</strong>te responsabilité est multiple aussi par lespersonnes concernées: responsabilité à l'égard des sportifs, des spectateurs, de la société.3. Le sport est paradigme de la modernité, en ce qu'il est une valorisation à la fois de laquotidienn<strong>et</strong>é du sport <strong>et</strong> de sa dimension fondamentale, ainsi que de son universalité. C<strong>et</strong>tejonction entre le fondamental <strong>et</strong> le quotidien caractérise la modernité, pense Charles Taylor, dansson important ouvrage Les sources du moi. La formation de l'identité moderne, trad. française, Seuil,1998. La dimension fondamentale du sport est complexe; elle consiste d'une part en une manièrede vouloir l'épanouissement total <strong>et</strong> harmonieux de la personne humaine; elle consiste d'autre partdans une volonté de dépassement de soi par la performance. Mais ces <strong>valeurs</strong> fondamentales sevivent dans la quotidienn<strong>et</strong>é.4. Le sport est paradigme de la modernité par le rôle majeur, dans le sport <strong>et</strong> dans la modernité,des libres choix des suj<strong>et</strong>s, de leurs engagements personnels dans des activités <strong>et</strong> des associationsvolontaires qu'ils choisissent <strong>et</strong> rejoignent librement. Ces libres choix vécus dans le sportmodèlent aussi la vie sociale, la vie culturelle, ainsi que la réalité économique, la société, laculture. L'influence de la culture sportive sur la culture économique <strong>et</strong> sociale ou politique mérited'être reconnue <strong>et</strong> réfléchie. Inversement, les réalités majeures qui sont vécues dans la viesociale <strong>et</strong> économique aujourd'hui, ont un r<strong>et</strong>entissement sur la manière dont se vit le sport dansla modernité. La recherche de la performance est caractéristique du sport aujourd'hui <strong>et</strong> est commeune référence <strong>et</strong> un symbole pour une société <strong>et</strong> une économie marquées elles aussi par larecherche de la performance à un autre plan. Mais par ailleurs, le fait que nous vivons dans unesociété qui pousse à la performance <strong>et</strong> à la compétition au plan professionnel r<strong>et</strong>entit sur lamanière dont le sport est compris <strong>et</strong> pratiqué.5. Le sport est paradigme de la modernité par la place, dans l'un comme dans l'autre, desassociations, de la dynamique des groupes, des relations entres les suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les groupes.27


6. Le sport est paradigme de la modernité, car en lui se rencontrent éthique de la responsabilité<strong>et</strong> éthique de la conviction.7. Le sport est paradigme de la modernité, par son caractère international, par son organisationmondiale. Comme la modernité économique, le caractère international du sport représente à la foisune richesse humaine <strong>et</strong> un problème considérable pour les personnes. Les rencontres sportivesinternationales, les déplacements internationaux des sportifs sont caractéristiques de notre temps.On peut s'en réjouir. Mais les transferts de joueurs, l'émigration des athlètes les plus doués, lesplus talentueux, sans être totalement négatifs, comportent néanmoins des aspects inquiétants. Auplan économique, il en est de même aujourd'hui en ce qui concerne la mondialisation ou laglobalisation.8. Le sport est paradigme de la modernité, dirons-nous enfin, car la pratique sportive est uneactivité physique vécue dans la quotidienn<strong>et</strong>é, <strong>et</strong> pourtant c'est à ce niveau que se vit une visée<strong>et</strong> une éthique de la vie bonne, avec d'autres, dans des institutions justes (Paul Ricoeur). C<strong>et</strong>tevisée éthique dans la quotidienn<strong>et</strong>é du sport, comme dans la quotidienn<strong>et</strong>é de la vie professionnelleou de l'économie, est en même temps inspirée par une éthique des libres engagementspersonnels. Dans la quotidienn<strong>et</strong>é du sport, comme dans celle de l'économie ou de la politiqueinternationale, se vit l'éthique de la responsabilité, mais aussi l'éthique de quelques convictionsfondamentales. La vie économique, la vie politique, la recherche scientifique ne se conçoivent plusen dehors d'une éthique de la discussion; mais une éthique de la discussion ouverte à une éthiquede la vie bonne, à une éthique de la responsabilité, à une éthique de convictions fondamentales.28


2 E PARTIE:Les <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> les <strong>normes</strong> dans l’éthique du sport1. L'éthiqueChapitre 1 : L’éthique du sportL'éthique est une réflexion <strong>et</strong> un jugement qui rapportent à l'homme, au bien del'homme, de la personne humaine, de la société humaine, l'activité qui est l'obj<strong>et</strong>de la réflexion <strong>et</strong> du jugement. Elle est animée, inspirée, mise en mouvement par lavisée d'une vie bonne, avec les autres, dans des institutions justes (Paul Ricoeur).Dans c<strong>et</strong>te réflexion, comme dans ce jugement, penser ce qui est bon pour l'homme, se fait en seréférant à un ensemble de <strong>valeurs</strong>. Les <strong>valeurs</strong> dont nous parlons ici sont simplement des <strong>valeurs</strong>humaines, des <strong>valeurs</strong> éthiques.Pour concrétiser davantage c<strong>et</strong>te visée éthique d'une vie bonne pour tous, la réflexion, quiaboutit à des jugements, cherche à formuler <strong>et</strong> à faire accepter rationnellement des <strong>normes</strong>, quisoient à la fois des <strong>normes</strong> morales <strong>et</strong> des <strong>normes</strong> sociales.L'éthique se réfère donc, à deux plans différents, à des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> à des <strong>normes</strong>. Ces <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> ces<strong>normes</strong> se r<strong>et</strong>rouvent dans tous les domaines de l'activité humaine, aussi bien dans le domaine del'économie, du travail, que dans le domaine du sport ou du jeu.2. L'éthique du sportQuand il s'agit de l'éthique du sport, convient-il de parler de <strong>valeurs</strong> sportives? La réponse à c<strong>et</strong>tequestion n'est pas simple. Ce n'est qu'au terme de tout un parcours intellectuel que nous pourronsrépondre succinctement, mais en même temps de façon précise, à ce type de question. D'une part,ce sont les mêmes <strong>valeurs</strong> que l'on respecte dans tous les domaines de l'existence. D'autre part,cependant, les différents domaines de l'existence s'ouvrent à des <strong>valeurs</strong> spécifiques.La pratique du sport est une activité humaine, dont la personne humaine prend la responsabilité.La personne humaine est libre, donc responsable. Les engagements existentiels volontaires <strong>et</strong> lamise en œuvre des convictions, y compris les plus fondamentales, ne dispensent pas la personnede sa responsabilité éthique <strong>et</strong> de la nécessité de formuler des jugements éthiques sur sesactivités <strong>et</strong> ses choix <strong>et</strong> de s'y conformer. La personne <strong>et</strong> la société portent des jugements éthiquesen référence aux <strong>valeurs</strong> qu'elles reconnaissent <strong>et</strong> à partir de celles-ci se donnent des <strong>normes</strong>. Les<strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> les <strong>normes</strong> sont essentielles dans une vie morale; mais elles ne suffisent pas. Il fautqu'intervienne une forme de sagesse pratique qui découvre <strong>et</strong> décide ce qui est à faire <strong>et</strong> à éviteren tenant compte des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> des <strong>normes</strong>, mais aussi des circonstances singulières. C<strong>et</strong>tesagesse pratique est nécessaire à la fois aux personnes, aux groupes <strong>et</strong> à la société. Comme les<strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> les <strong>normes</strong>, on doit r<strong>et</strong>rouver c<strong>et</strong>te sagesse pratique dans le domaine du sport comme àpropos de l'ensemble de l'existence.29


Chapitre 2 : Les <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> le sportDans le domaine du sport, la personne humaine rencontre deux types de <strong>valeurs</strong>éthiques. Elles ont des liens entre elles mais il est important de pouvoir les distinguer.Elles n'ont pas exactement le même statut anthropologique.1. Les <strong>valeurs</strong> éthiques communes qui doivent êtrereconnues, pratiquées, vécues dans le sport <strong>et</strong> ailleursD'une part, la pratique sportive, comme toute autre activité humaine, doit se référer à un certainnombre de <strong>valeurs</strong> communes <strong>et</strong> correspondre à un certain nombre d'exigences que nousappellerons communes aussi. La personne humaine doit respecter dans toutes ses attitudes <strong>et</strong> danstous ses comportements les exigences de la justice <strong>et</strong> de la vérité. Il s'agit de <strong>valeurs</strong> communes,universelles, qui s'imposent dans tous les secteurs de l'existence. De même, dans le domaine dusport, comme dans celui du travail ou ailleurs, il faut avoir le souci de la sécurité <strong>et</strong> de la santé.Ces exigences en rapport avec la santé ou la sécurité sont des exigences universelles elles aussi,communes à tous les domaines de l'existence.Une entreprise économique ou une asbl qui se désintéresse de la sécurité, qui ne prend pas lesmoyens pour prévenir les accidents de travail pour son personnel, agit d'une façon que l'éthiqueréprouve <strong>et</strong> que la société condamne. De même, les organisateurs d'une activité sportive qui,consciemment <strong>et</strong> délibérément, ou par négligence, ne prennent pas les mesures nécessaires pourassurer la sécurité des sportifs <strong>et</strong> des spectateurs, comm<strong>et</strong>tent une faute grave qui doit êtrecondamnée moralement <strong>et</strong> pénalement. La sécurité peut <strong>et</strong> doit être considérée comme une valeurcommune qui doit être respectée dans toutes les activités humaines, sociales. Le souci de lasécurité peut dégénérer en une attitude mesquine, se transformer en une attitude sécuritaire. Maisla dérive, les excès, les outrances toujours possibles ne suppriment pas le caractère de valeur dela sécurité. La sécurité est certes une question technique, mais qui a des aspects humains, unedimension éthique <strong>et</strong> même un prolongement politique.La santé est une réalité <strong>et</strong> une valeur médicale, mais elle est d'abord une valeur humaine, <strong>et</strong> doncéthique. C<strong>et</strong>te valeur éthique doit être respectée dans toutes les activités, dans tous les domaines.L'organisation du travail, l'organisation de l'agriculture, l'organisation du commerce doivent sesoucier de la santé des travailleurs <strong>et</strong> des consommateurs. La même valeur éthique de la santés'impose également aux organisateurs de rencontres sportives, qu'elles soient de l'ordre de lacompétition, du sport scolaire ou du sport pour tous. La valeur de la santé s'impose au plan de lavie personnelle <strong>et</strong> familiale, elle entraîne des exigences aussi au niveau social, politique <strong>et</strong>juridique.Le premier responsable de la santé, au sens éthique, c'est le suj<strong>et</strong> lui-même. Le suj<strong>et</strong> a certesbesoin de la médiation de personnes spécialisées dans le domaine de la santé, qu'il s'agisse desmédecins, des pharmaciens ou d'autres. Ceux-ci sont responsables de la santé des personnes dontils acceptent librement la charge. Mais le premier responsable demeure le suj<strong>et</strong> lui-même.A un autre plan, les personnes individuelles ou les familles ont besoin, étant donné la complexité dudomaine de la santé dans la modernité, de l'intervention préventive ou subséquente desresponsables de la santé publique. Dans un état moderne, les pouvoirs publics ont une graveresponsabilité éthique vis-à-vis de la santé des citoyens, en contrôlant l'alimentation,31


l'agriculture, les émissions de substances nocives par l'industrie, les décharges, les activitéshumaines en général. La responsabilité des pouvoirs publics est de nature éthique: elle supposecertes des qualifications techniques <strong>et</strong> organisationnelles que chaque personne ou famille ouentreprise ne peut assumer par elle-même. C'est en quelque sorte par une forme de délégation queles pouvoirs publics édictent des règles en matière de santé <strong>et</strong> en assurent le respect.Le particulier n'est pas en mesure de vérifier le taux de Dioxine ou de C0 2 que l'organisme peutsupporter. De même, pour les risques liés à l'utilisation de GSM, d'émissions d'ondes, ou dansl'utilisation d'appareillages électriques, électroniques. La vie sociale requiert ici l'interventionpréventive ou subséquente des pouvoirs publics, qui se dotent des capacités techniques d'étudierles risques <strong>et</strong> de suggérer ou d'imposer les comportements nécessaires.Ce genre de considérations intervient dans tous les domaines de l'existence personnelle <strong>et</strong>sociale. Nous les r<strong>et</strong>rouvons dans le domaine du sport, qui est cependant à bien des égardsdifférent des autres domaines de l'existence. Les pouvoirs publics doivent étudier, discuter,délibérer les pratiques du sport qui sont dangereuses pour la population. Ils doivent songer à laprotection des enfants <strong>et</strong> des jeunes; ils doivent pouvoir s'opposer à des comportementsimprudents de la part des parents. Ils doivent aussi contrôler les responsables sportifs, les clubs,les entraîneurs. Ils ne peuvent tolérer que des pratiques sportives, comme le surentraînement,représentent un risque pour la santé. Ceci est vrai pour le sport de compétition, mais aussi pourle sport scolaire ou universitaire.Ce genre de considérations intervient aussi à propos de la question du dopage, dans le domaine del'accompagnement <strong>et</strong> de la préparation des sportifs. Il n'y a plus aujourd'hui de pratique sportivesérieuse, si le sportif n'est pas accompagné médicalement, s'il n'est pas préparé par d'autres ouavec d'autres à la pratique de son sport en vue d'améliorer ses prestations sportives. Mais c<strong>et</strong>accompagnement, c<strong>et</strong>te préparation ne peuvent évidemment pas représenter une menace sérieusepour la santé des sportifs. Pour des raisons que nous approfondirons plus loin, on ne peut tolérerla pratique du dopage, celui-ci représente un risque grave pour la santé que, pour des raisonséthiques, les sportifs, les organisateurs sportifs, les médecins, les pharmaciens <strong>et</strong> les pouvoirspublics ne peuvent accepter. D'autres considérations éthiques d'un type particulier interviennentaussi dans ce débat sur le dopage, mais la valeur de la santé apparaît ici comme une valeur éthique<strong>et</strong> plus précisément comme une valeur éthique commune.Les exigences de la santé, qui sont à la fois techniques <strong>et</strong> éthiques, sont à ce point complexes qu'ilest indispensable que les pouvoirs publics, en concertation avec les responsables sportifs,indiquent ce qui est acceptable <strong>et</strong> ce qui ne l'est pas, au nom de la santé. Il en va de même,avons-nous vu, en ce qui concerne les exigences au nom de la sécurité. Tout ceci supposeinformation, réflexion, concertation, capacité de décision.Toute activité humaine est soumise à des exigences de justice. Certes, le souci de la justice ne peutdevenir un facteur de paralysie ou de stagnation. Chacun doit trouver le moyen de conjuguerefficacité <strong>et</strong> justice, puissance <strong>et</strong> justice. Cela concerne le domaine économique, mais aussi ledomaine du symbolique, de l'art ou de la spiritualité. Ce souci de la justice peut devenirparalysant <strong>et</strong> étouffer l'initiative, la créativité, l'inventivité. Mais ces dérives possibles ne doiventpas empêcher de voir que dans ces domaines la justice n'est pas un vain mot.C<strong>et</strong>te importance de la justice, qui est une valeur sociale <strong>et</strong> humaine, s'impose aussi dans ledomaine du sport. La difficulté est de reconnaître ce qui est juste <strong>et</strong> ce qui est injuste. C'est la32


aison pour laquelle il est nécessaire de formuler des <strong>normes</strong>, des règles, de préciser ce qui estacceptable <strong>et</strong> ce qui ne l'est pas. Ces <strong>normes</strong> ne sont pas la négation de la visée éthique. Elles nereprésentent pas une perte du sens des <strong>valeurs</strong>. Mais elles les concrétisent, en les précisant; ellesconcrétisent les <strong>valeurs</strong>, elles concrétisent la visée éthique.Une visée éthique qui ne se concrétiserait pas dans des règles plus précises apparaîtrait <strong>et</strong> seraitidéologie; elle représenterait un idéalisme inacceptable, mensonger, trompeur.Il y a cinquante ans, la situation d'une culture extrêmement normée, juridique, portait denombreux auteurs à prôner une diminution des règles. On insistait sur l'importance desintentions, des <strong>valeurs</strong>, des visées éthiques, des orientations fondamentales. Aujourd'hui, lesérieux de la visée éthique se mesure d'après la capacité de faire reconnaître <strong>et</strong> accepter unensemble de règles <strong>et</strong> de <strong>normes</strong>. Ceci a été très bien mis en lumière au plan de l'éthique engénéral dans l'œuvre philosophique de Paul Ricoeur, spécialement dans Soi-même comme un autre(Seuil, 1990) <strong>et</strong>, en ce qui concerne l'éthique du sport, dans les publications de Jean-FrançoisBourg. Une même perspective se r<strong>et</strong>rouve en ce qui concerne l'éthique sociale dans la publicationde l'ancien directeur général du Bureau International du Travail, à Genève, Michel Hansenne, Ungarde-fou pour la mondialisation (Editions Quorum, 1999). Michel Camdessus, qui fut longtempsdirecteur général du Fonds monétaire international, a exprimé la même conviction dans sesdernières publications avant de quitter le F.M.I..Comme la justice, la sincérité, la vérité comme cohérence représentent à la fois des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> desexigences à la fois personnelles <strong>et</strong> sociales. Pourtant, la vie sociale est souvent régie par des règlesde fonctionnement où des formes non seulement de secr<strong>et</strong>, mais aussi de camouflage <strong>et</strong> d<strong>et</strong>ravestissement de la vérité sont comme socialement imposées. Le sens du secr<strong>et</strong>, qui est unmanque à la transparence <strong>et</strong> peut-être à la sincérité, le sens du camouflage ne sont pas seulementacceptés; ils font partie d'une stratégie dont on pense qu'elle s'impose au nom du réalisme. C<strong>et</strong>testratégie est pratiquement perçue comme une règle sociale. Ces attitudes qui sont évidemmentcourantes dans le domaine commercial, se r<strong>et</strong>rouvent aussi structurellement dans le jeu <strong>et</strong> dans lesport. Il n'y a pas de jeu (jeu de cartes), il n'y a pas de sport, sans une stratégie de victoire. Laréussite, le succès supposent évidemment une compétence technique. Elle suppose une force decaractère, une forme de persévérance, une solidité intérieure en même temps qu'une souplesse <strong>et</strong>une capacité d'adaptation, qu'il faut apprendre, que les uns apprennent plus facilement qued'autres. Elle suppose aussi une stratégie, qui n'est jamais quelque chose de simple <strong>et</strong> oùintervient aussi une forme de ruse.Au plan commercial, la stratégie ne consiste pas seulement à découvrir quels sont les besoins desconsommateurs <strong>et</strong> comment les satisfaire. L'efficacité des stratégies commerciales commandeaussi un mélange de clarté <strong>et</strong> de manipulation, caractéristique de la publicité. Une stratégiecommerciale efficace requiert une bonne information. Mais celle-ci ne suffit pas. Il faut lacompléter par une forme de publicité qui se caractérise à la fois par le sens de la vérité <strong>et</strong> del'honnêt<strong>et</strong>é minimales mais aussi par une volonté de convaincre, d'influencer, de persuader. Il sejoue là une forme d'intrigue où se rencontrent la vérité mais aussi autre chose que la vérité. C<strong>et</strong>temanœuvre, c<strong>et</strong>te manipulation, n'est pas <strong>et</strong> ne peut être mensonge, mais elle n'est pas non plusle sens de la pure vérité. On comprend dès lors que en c<strong>et</strong>te matière il soit nécessaire de codifierdes <strong>normes</strong> <strong>et</strong> des règles aussi précises que possible mais où l'on accepte aussi l'esprit de finesse<strong>et</strong> une forme d'invention poétique, mythique.33


Le sport comporte lui aussi une telle forme de jeu avec la sincérité. Dans la compétition, lesportif cache son jeu; il ne dévoile pas ses intentions; il ne peut pas <strong>et</strong> ne doit pas vivre un<strong>et</strong>otale transparence vis-à-vis de l'adversaire. Dans le sport aussi, la compétence technique, la forcede caractère sont indispensables, mais il y a place en même temps pour une forme d'intriguecaractéristique du jeu. Dans ce domaine, au nom de la vérité, le sport a besoin de règles.Celles-ci doivent être à la fois claires <strong>et</strong> souples. Elles ne peuvent accepter la tromperie, latricherie, la violence, la méchanc<strong>et</strong>é, mais elles ne peuvent pas imposer une transparence quirendrait le jeu impossible. La publicité commerciale fait la part belle au rêve, à la poésie, au mythe.Le jeu, tout en respectant la vérité <strong>et</strong> la correction, m<strong>et</strong> en œuvre la vivacité de l'esprit,l'inventivité, l'imagination, la créativité, l'inspiration. Ces attitudes diffèrent de la simpleapplication d'une logique rigide, elles comportent une part de complexité <strong>et</strong> de souplesse. Lapratique du sport suppose réflexion, raisonnement, mais aussi imagination <strong>et</strong> même une formed'inspiration. Le grand sportif, celui qui a du génie, est souvent habité par une telle formed'inspiration. C<strong>et</strong>te complexité ne supprime pas la nécessité de règles <strong>et</strong> de <strong>normes</strong>. Elle rappelleque l'éthique représente une tâche délicate qui demande beaucoup d'écoute, de discussion avec lessportifs, mais en même temps une clarté du jugement éthique. Il faut se réjouir que le Conseil del'Europe, surtout depuis les années 1992, ait investi beaucoup de soin à m<strong>et</strong>tre au point une Charteeuropéenne du sport <strong>et</strong> un Code d'éthique sportive. Il faut encourager la création de comitésd'éthique au sein des fédérations sportives, aux niveaux national <strong>et</strong> international. Leurs avis serontprécieux.On le voit, le sport est soumis à un ensemble de règles éthiques communes, qui doivent êtrerespectées dans le domaine du sport comme dans tous les autres domaines de l'existence sociale. Ilest soumis à un ensemble de <strong>valeurs</strong> éthiques communes, qui doivent éclairer <strong>et</strong> guider la pratiquedu sport, comme elles doivent rendre plus humains tous les autres domaines de l'existence sociale.Ces <strong>valeurs</strong> éthiques communes ne sont pas des <strong>valeurs</strong> sportives, ni au sens strict, ni au senslarge. Ce sont des <strong>valeurs</strong> éthiques, des <strong>valeurs</strong> humaines, qui sont d'application dans le domainedu sport comme ailleurs. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de <strong>valeurs</strong> sportives spécifiques?2. Les <strong>valeurs</strong> spécifiques que le suj<strong>et</strong> poursuit librementdans le sport <strong>et</strong> ailleursA côté des <strong>valeurs</strong> éthiques qui doivent être respectées dans tous les domaines de l'existence, doncaussi dans le domaine du sport, il y a des <strong>valeurs</strong> qui sont caractéristiques du sport, que le suj<strong>et</strong>choisit d'ailleurs librement de poursuivre.La modernité se caractérise par les engagements libres <strong>et</strong> existentiels des suj<strong>et</strong>s dans toute unesérie d'activités ou d'attitudes. Ces engagements libres concernent des domaines très importants.Celui de la fécondité. Celui de l'alliance. Celui des activités symboliques, de l'appartenance auxcommunautés symboliques. L'appartenance à une tradition ou à une communauté religieuse estconsidérée à juste titre, aujourd'hui, comme un engagement de la liberté du suj<strong>et</strong>, des suj<strong>et</strong>s. Lemonde associatif est très caractéristique de c<strong>et</strong>te manière de faire <strong>et</strong> de vivre. Mais aussi le mondede l'entreprise dans le domaine économique. De même, le fait de s'engager dans une activitésportive, de s'affilier à un club sportif <strong>et</strong> de se rattacher à une fédération sportive, de choisir leniveau sportif que l'on cherche à atteindre, tout cela est de l'ordre de la liberté <strong>et</strong> du libreengagement existentiel volontaire.34


éconciliation mais qui a des traits communs avec celle-ci, ne banalise pas les violences <strong>et</strong> les crises,elle en fait mémoire à travers un travail de remémoration symbolique. L'éthique reconstructivevalorise les identités, mais des identités ouvertes à d'autres identités.C'est dans ce champ des engagements libres des suj<strong>et</strong>s que l'on r<strong>et</strong>rouve l'engagement du suj<strong>et</strong>sportif dans le sport, notamment dans le sport de compétition, dans la recherche de performancesportive. C<strong>et</strong> engagement n'est pas une obligation, ni une nécessité. Il est libre. Il résulte du librechoix d'un suj<strong>et</strong>, de plusieurs suj<strong>et</strong>s. Il est un paradigme de l'engagement libre du suj<strong>et</strong>. Ilsuppose une responsabilité mais aussi des convictions. Il est éthique de responsabilité, mais aussiéthique de la conviction. Il est choix éthique, proj<strong>et</strong> éthique d'un suj<strong>et</strong>, en ce sens qu'il poursuitavec d'autres, un bien, une vie bonne, parce qu'il est à la recherche d'une vie ayant un sens pour lui,un sens avec d'autres. Il suppose organisation, comme toute activité humaine <strong>et</strong> sociale. Il supposenon seulement des convictions personnelles, mais aussi une référence commune à une traditionsportive, une référence commune à un idéal sportif, exprimé dans un logo partagé (La charteolympique) <strong>et</strong> une référence commune à une règle écrite, à un code d'éthique sportive partagé partous. Ceci revient à dire toute l'importance des Comités olympiques <strong>et</strong> de leurs chartes; c'est dir<strong>et</strong>oute l'importance de la Charte européenne du sport <strong>et</strong> du Code d'éthique sportive du Conseil del'Europe.Les <strong>valeurs</strong> poursuivies dans ces formes d'engagements sont des <strong>valeurs</strong> humaines, des <strong>valeurs</strong>éthiques. Sont-elles en même temps des <strong>valeurs</strong> sportives? Elles sont certes marquées par ledomaine où elles sont vécues, par le monde du sport où elles s'expriment, d'autant plus qu'elles sontprégnantes, qu'elles marquent profondément l'existence du sportif. Mais le fait qu'elles soient vécuesdans le domaine du sport, même supposons-le en priorité, ne fait pas de ces <strong>valeurs</strong> àproprement parler des <strong>valeurs</strong> sportives. Il s'agit de <strong>valeurs</strong> humaines, de <strong>valeurs</strong> éthiques. Nous lesr<strong>et</strong>rouverons dans la quatrième partie de notre travail. Il s'agit de la valeur de dépassement de soi.Il s'agit de la valeur symbolique de la performance sportive. Il s'agit de la passion pour le sport. Ils'agit de la relation spécifique à l'entraîneur, vécue dans une double liberté, en vue d'undépassement de soi <strong>et</strong> dans la perspective de la valeur symbolique de la performance pour le suj<strong>et</strong>comme pour les témoins <strong>et</strong> les spectateurs. Ces <strong>valeurs</strong> sont importantes. Elles peuvent êtrecaractéristiques du sport. Il s'agit de <strong>valeurs</strong> spécifiques au sport. Il s'agit de <strong>valeurs</strong> poursuivieslibrement par les suj<strong>et</strong>s avec d'autres. Elles sont liées à la personnalité des sportifs, à leursconvictions, à leur histoire, à leur tradition. Mais ces <strong>valeurs</strong> spécifiques du sport sont à proprementparler des <strong>valeurs</strong> éthiques, des <strong>valeurs</strong> humaines. Celles-ci ne sont pas liées mécaniquement à lapratique du sport. Elles doivent être voulues par les suj<strong>et</strong>s. Elles doivent être le fruit d'une recherchesystématique, méthodique; elles sont l'aboutissement d'une visée éthique <strong>et</strong>, bien souvent aussi,d'une préoccupation politique. Ces <strong>valeurs</strong> sont voulues par des suj<strong>et</strong>s humains en vue de réaliserplus d'humanité dans leur existence propre <strong>et</strong> dans leur environnement social; elles sont voulueslibrement par un ou des suj<strong>et</strong>s humains; comme telles, elles représentent des <strong>valeurs</strong> éthiques. Ellesne sont pas à proprement parler des <strong>valeurs</strong> sportives; elles ne sont pas liées automatiquement à lapratique du sport. En ce sens, leur réalisation dépend essentiellement des dispositions des suj<strong>et</strong>s,parce qu'elles visent en tout cas ultimement, à développer une plus grande humanité.Les <strong>valeurs</strong>, comme le dépassement de soi ou la recherche de performance, dont nous venons deparler à propos du sport, ne sont pas non plus des <strong>valeurs</strong> spécifiques au sport, en ce sens qu’ellesseraient à ce point caractéristiques du sport ou spécifiques au sport, qu'on ne les r<strong>et</strong>rouverait quedans ce lieu. Le lieu d'une pratique est important, mais il n'établit pas un lien d'exclusivité entre le36


topos <strong>et</strong> la pratique, qu'il détermine, qu'il balise un lieu exclusif où seules pourraient se vivre cespratiques <strong>et</strong> ces <strong>valeurs</strong>. Il ne faut pas se représenter le lien entre le lieu sportif <strong>et</strong> les <strong>valeurs</strong> quis'y vivent, comme si ces <strong>valeurs</strong> ne pouvaient être vécues que dans le sport ou en dépendance dusport. Je pense que ces <strong>valeurs</strong>, pourtant spécifiques <strong>et</strong> caractéristiques, peuvent aussi êtrevécues en d'autres lieux, entre autres dans le domaine symbolique de l'attitude religieuse, del'appartenance à une communauté symbolique. La recherche du dépassement de soi se r<strong>et</strong>rouve dansle sport, elle est aussi vécue ailleurs, dans le domaine symbolique par exemple. La relation dusportif à l'entraîneur sportif qui librement cherche à conduire le sportif à un maximum, touten respectant sa liberté, présente des liens d'analogie avec un certain type d'accompagnementspirituel.La recherche scientifique elle-même, si caractéristique de la modernité, est habitée aussi par ce mouvementcontinuel, incessant de dépassement de soi, de dépassement des certitudes acquises, par c<strong>et</strong>terecherche incessante de performances scientifiques <strong>et</strong> de meilleurs résultats au plan de la vérité.Au niveau économique, le monde de l'entreprise, si caractéristique de la modernité, est habité luinon seulement par le vocabulaire mais aussi par ces recherches du dépassement de soi <strong>et</strong> desperformances (Alain Ehrenberg).Par le parrainage des activités sportives par les entreprises, les mondes du sport <strong>et</strong> desentreprises sont d'ailleurs étonnamment proches. La synergie entre la pratique sportive <strong>et</strong> larecherche scientifique est elle aussi assez remarquable aujourd'hui.Le libre engagement dans des associations volontaires est caractéristique du monde du sport; il estparadigmatique. Mais il ne s'agit pas d'un lien d'exclusivité. Les communautés symboliquesconnaissent des relations <strong>et</strong> des appartenances de même nature, du moins de nature analogue; sansêtre identiques, elles ont des traits de parenté, elles sont homologues. Il en est de même pour lacommunauté scientifique, à laquelle on adhère librement, à condition d'être reconnu par les autres<strong>et</strong> d'en accepter les <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> les <strong>normes</strong>.Lorsqu'il s'agit de performances <strong>et</strong> de dépassement de soi dans le sport, des dérives sont possibles,au point de dénaturer ou de pervertir le sens du sport. Ces dérives doivent pouvoir être reconnues<strong>et</strong> combattues. Elles ne sont pas inéluctables. On peut r<strong>et</strong>rouver le même type de dérives dans lemonde scientifique, dans le monde des entreprises <strong>et</strong> d'ailleurs aussi au niveau des communautéssymboliques.37


Chapitre 3 : Les <strong>normes</strong> <strong>et</strong> le sport1. L'éthique est au service de la visée d'une vie bonne, avec les autres, pour lesautres, dans des institutions justes. Elle se réfère à des <strong>valeurs</strong>; à partir decelles-ci, à la lumière de celles-ci, elle se donne, par le jugement <strong>et</strong> la discussion,des <strong>normes</strong>. Ces <strong>normes</strong> sont la mise en œuvre des <strong>valeurs</strong> communes, que l'onr<strong>et</strong>rouve dans le sport <strong>et</strong> ailleurs. Elles sont aussi la mise en œuvre des <strong>valeurs</strong>spécifiques au sport, caractéristiques du sport, mais que l'on r<strong>et</strong>rouve aussi dans certainsautres domaines de l'existence.2. La recherche sérieuse des <strong>valeurs</strong> communes, santé, sécurité, se vérifie à la manière dont lessuj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les groupes se donnent des règles, des <strong>normes</strong>. Ces règles doivent être reçues largement.Les <strong>normes</strong> que l'esprit humain se donne au terme d'une observation <strong>et</strong> d'une analyse attentive, auterme d'une réflexion <strong>et</strong> d'une discussion appropriée, dans le prolongement aussi d'une ouverture àl'altérité <strong>et</strong> à l'extériorité (Emmanuel Lévinas), doivent bénéficier d'une réception très large de lapart d'une communauté elle-même assez large. Dans le monde juif <strong>et</strong> chrétien, les paroles des DixCommandements dans la Bible ont valeur de paradigme. Dans le monde moderne, marqué par l'Agedes lumières, s'est imposée la nécessité d'une recherche de règles morales <strong>et</strong> sociales universelles,acceptées publiquement par l'ensemble des nations libres. La Déclaration universelle des droits del'homme adoptée en 1948 par l'Assemblée générale de l'O.N.U. s'inscrit dans la continuité d'unerecherche apparue nécessaire, en Europe, au cours des trois derniers siècles. Mais les <strong>normes</strong>éthiques <strong>et</strong> les règles morales doivent être réfléchies <strong>et</strong> justifiées par la raison humaine, proposées<strong>et</strong> discutées au travers d'un jugement humain, même si par ailleurs on se réfère à l'extériorité d'un<strong>et</strong>radition, religieuse ou autre, qui nous précède.3. Le caractère sérieux de l'attachement aux <strong>valeurs</strong> spécifiques se vérifie aussi d'après la volontéqu'ont les suj<strong>et</strong>s, les groupes <strong>et</strong> la société globale de se donner des règles qui explicitent ces <strong>valeurs</strong>spécifiques. Celles-ci aussi supposent réflexion <strong>et</strong> jugement, ainsi que discussion <strong>et</strong> échanges. Iciaussi la référence à une tradition joue un rôle, comme celle dans laquelle s'inscrit Pierre de Coubertin<strong>et</strong> à laquelle il donne un élan nouveau. Mais est tout aussi important le débat, aussi loyal quepossible, accompagné d'une information <strong>et</strong> d'une observation pertinente. Les <strong>normes</strong> <strong>et</strong> les règlesque l'éthique du sport se donne en fonction des <strong>valeurs</strong> spécifiques du sport, doivent elles aussi êtrel'obj<strong>et</strong> d'une réception la plus large possible, tant de la part des sportifs que des médecins, desorganisateurs <strong>et</strong> des accompagnateurs, ainsi que de la part des responsables politiques. Lorsqu'ils'agit des règles particulières qui valent pour la pratique sportive des enfants, l'acceptation par desreprésentants des parents est évidemment nécessaire aussi.4. Les règles <strong>et</strong> les <strong>normes</strong> qui régissent la pratique sportive en l'orientant en fonction des <strong>valeurs</strong>communes sont des règles morales <strong>et</strong> sociales. Ce sont des règles communes, que l'on r<strong>et</strong>rouve dansle sport mais aussi dans tous les secteurs de l'existence. Des règles de ce type interdisent parexemple tout ce qui menace de manière irresponsable la vie <strong>et</strong> la santé des personnes, tout ce quiprovoque l'insécurité; elles obligent à refuser tout ce qui est corruption, malhonnêt<strong>et</strong>é outromperie; elles imposent de condamner les abus de biens sociaux, qu'il s'agisse de sport ou d'autresactivités sociales.5. Les règles <strong>et</strong> les <strong>normes</strong> qui gouvernent la pratique sportive en tenant compte <strong>et</strong> en s'inspirantdes <strong>valeurs</strong> spécifiques au sport, sont aussi des règles morales <strong>et</strong> sociales. Elles n'ont cependant39


pas exactement le même statut anthropologique <strong>et</strong> éthique que les précédentes. Elles nes'imposent pas <strong>et</strong> on ne les r<strong>et</strong>rouve pas de la même façon dans tous les domaines de l'existence.La recherche de performances sportives n'est pas une obligation morale. Mais celui qui s'y voue parchoix, dans la liberté, <strong>et</strong> qui le fait avec d'autres, avec leur collaboration, avec leur participationcomme organisateur ou même comme spectateur ou téléspectateur, doit être désireux de parvenir àun ensemble de règles plus précises, acceptées par toutes les personnes concernées. Ces règles sontspécifiques, elles cherchent à déterminer ce qu'est l'esprit sportif, ce qu'est le fair-play. Elles sontd'un autre type, mais elles contribuent à la beauté du sport, elles veillent à ce que le sport,activité libre, devienne pratique toujours plus humaine, plus belle. Ce sont des règles morales d'untype particulier. Lorsque ces règles morales deviennent des règles sociales, elles sont des règlessociales d'un type particulier.6. Les sanctions qui punissent les transgressions des <strong>normes</strong> morales <strong>et</strong> sociales communes,exprimant les <strong>valeurs</strong> communes, doivent être des sanctions communes, amendes, prison; dans lescas graves, déchéance de droits civils. Les sanctions des transgressions des règles qui explicitent les<strong>valeurs</strong> spécifiques du sport sont <strong>et</strong> doivent être d'une autre nature. On ne punit pas de prison unsportif qui contrevient à l'esprit sportif; on peut <strong>et</strong> doit punir pénalement des sportifs qui abusentde biens sociaux ou qui pratiquent le dopage dans la mesure où celui-ci est nuisible pour la santé <strong>et</strong>a été refusé par la législation. Les sanctions pour les cas de transgressions de règles spécifiquesseront des sanctions sportives; privation de participation à des compétitions, suspension del'appartenance à un club ou à une fédération, dans la mesure où l'appartenance à de tellesassociations volontaires résulte d'un choix libre. Les sanctions dans ce cas peuvent aussi être laprivation de gains sportifs, le r<strong>et</strong>rait de médailles ou de trophées sportifs, l'annulation d'un résultatsportif. Un athlète qui ne respecte pas le fair-play ne se verra pas dépouillé des biens qu'il a acquisen dehors du sport.7. Le fair-play, c'est le respect non seulement des règles morales <strong>et</strong> sociales universelles oucommunes, comme celles qui interdisent la violence. C'est aussi le respect des règles sportives, desrègles du jeu, mais aussi le respect des législations sportives dans leur spécificité. Le fair-play estpourtant davantage que le respect des règles. C'est aussi une attitude inventive, créative face auxcrises <strong>et</strong> aux difficultés que le sportif rencontre dans la pratique du sport, en vue de les dépasser defaçon humaine <strong>et</strong> constructive. C'est aussi, comme on le verra plus loin, l'attitude qui perm<strong>et</strong> de faireface aux entraînements passionnels <strong>et</strong> aux débordements si fréquents dans le feu de la compétitionsportive. Le fair-play est une valeur éthique d'un type particulier, concrétisée par des règles moralesplus précises, mais qui sont elles aussi d'un type particulier. Leur transgression a une autresignification que celle des règles morales universelles <strong>et</strong> conduit à des sanctions qui sont unenouvelle fois d'un type particulier.40


Chapitre 4 : La sagesse pratiqueIl y a une forme de sagesse pratique constituée par les <strong>valeurs</strong>, communes ou spécifiques.Le suj<strong>et</strong> se demande comment les vivre dans telle situation déterminée. Onr<strong>et</strong>rouve ici le jugement de la vertu de prudence selon Aristote dont le point de départsont les principes, les <strong>valeurs</strong>.La sagesse pratique, dans sa deuxième configuration, consiste à se demander comment m<strong>et</strong>tre enœuvre non seulement les <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> les principes généraux, mais aussi les <strong>normes</strong> <strong>et</strong> les règles plusprécises. C<strong>et</strong>te seconde forme de sagesse pratique s'impose dans le domaine économique comme dansle domaine du sport.Une troisième forme de sagesse pratique est davantage marquée par les engagements volontaires dessuj<strong>et</strong>s, par leurs convictions, par leur appartenance à une communauté ou à une traditionsymboliques. C<strong>et</strong>te sagesse se réfère aux <strong>valeurs</strong>; elle se réfère aussi aux <strong>normes</strong>, aux règlessocialement acceptées; elle se réfère aux <strong>valeurs</strong> qu'elle choisit, mais aussi à l'ensemble des <strong>valeurs</strong>pourvu qu'elles soient authentiques. Néanmoins, c<strong>et</strong>te sagesse déborde les règles <strong>et</strong> les <strong>normes</strong>, touten les respectant. On trouve en elle une créativité, un dynamisme, une inventivité qui en font engrande partie le prix. Nous verrons la signification de ces réflexions pour la compréhension de lanature du fair-play.41


3 E PARTIE:L’éthique du sport <strong>et</strong> les <strong>valeurs</strong> communes qui doivent être vécues dans lesport <strong>et</strong> ailleursLa santé <strong>et</strong> la sécurité, le développement personnel harmonieux <strong>et</strong> la formation du caractère,l'esprit de camaraderie, la rencontre des autres, l'intégration sociale, la justice <strong>et</strong> la paix: unepréoccupation multiple du sport <strong>et</strong> de l'éthique du sport.IntroductionLa pratique du sport est soumise à un certain nombre de <strong>valeurs</strong> éthiques quiconcernent tous les secteurs de l'existence, qui constituent donc des <strong>valeurs</strong>éthiques communes, ainsi que nous les avons nommées plus haut. Ellesreprésentent des possibilités pour l'homme <strong>et</strong> elles constituent aussi des obligations.Ce terme d'obligation ne doit pas effrayer le lecteur. Il tient une place centraledans le judaïsme <strong>et</strong> dans la tradition judéo-chrétienne, mais aussi dans l'œuvre philosophique deEmmanuel Lévinas <strong>et</strong> de Jean-Paul Sartre.Ces <strong>valeurs</strong> que nous appelons communes, doivent être vécues dans le sport, comme dans tous lesdomaines de l'existence. Elles concernent ceux qui pratiquent le sport, ceux qui les entraînent auplan sportif <strong>et</strong> ceux qui les accompagnent médicalement, ceux qui organisent les activitéssportives, ceux qui y participent comme spectateurs <strong>et</strong> les médias.Avant d'être des "obligations", ces <strong>valeurs</strong> communes dans le sport sont des possibilités, mais despossibilités qui doivent être réalisées <strong>et</strong> mises en œuvre, si on veut que le sport soit vécu demanière humaine. Ces <strong>valeurs</strong> sont ainsi la source d'obligations morales <strong>et</strong> sociales.Comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, l'éthique du sport ne peut se désintéresser de ces<strong>valeurs</strong> communes, même si elle doit en même temps se préoccuper des <strong>valeurs</strong> plus spécifiquesau sport.43


Chapitre 1 : Le souci de la santé <strong>et</strong> de la sécurité1. Le sport est une pratique dont une des significations est de favoriser la santé,de la préserver si le suj<strong>et</strong> en jouit, de prévenir la maladie. Le sport a comme objectifque le suj<strong>et</strong> se sente bien dans son corps, qu'il se sente "en forme". Mais c<strong>et</strong>tesignification est une possibilité. Elle n'est pas donnée automatiquement.Pour devenir réalité, c<strong>et</strong>te valeur doit être comprise par les personnes <strong>et</strong> poursuivie parla volonté des suj<strong>et</strong>s.En même temps, une forme de pratique sportive adaptée peut contribuer à perm<strong>et</strong>tre aux personnesmalades ou handicapées de vivre leur maladie ou leur handicap de façon plus humaine. Elle peut lesaider à être mieux intégrées dans une vie sociale, en acquérant pour elles-mêmes à travers le sport <strong>et</strong>en diffusant dans leur entourage une image plus positive de leur être marqué par lafinitude de la maladie ou du handicap. Elle peut les aider à avoir une plus grande confiance enelles-mêmes <strong>et</strong> ainsi à s'ouvrir davantage aux autres au lieu de se replier dans une mauvaisesolitude.Le sport n'est pratiqué de façon humaine que si chacun, à son niveau, est habité par le souci de lasanté de tous ceux qui participent à l'événement sportif. Le sportif lui-même, surtout si en mêm<strong>et</strong>emps il est appelé à vivre des <strong>valeurs</strong> plus spécifiques comme la recherche de performancessportives <strong>et</strong> le dépassement de soi, doit être attentif à ménager sa santé physique <strong>et</strong> mentale, à nepas la m<strong>et</strong>tre en danger ou à ne pas l'exposer au danger par certains types de comportements.Il y a faute morale, si le sportif de sa propre initiative prend des risques inconsidérés pour sa santéou pour sa vie. Il y a faute aussi lorsque l'organisation du sport est telle que les sportifs sont conduitspresque inévitablement à prendre des risques réels pour la santé. Heureusement, chaque fois qu'unrisque est pris pour la santé, le suj<strong>et</strong> n'est pas frappé effectivement par l'accident ou atteint par lablessure ou la maladie. Mais s'exposer ou accepter d'être exposé à des risques graves disproportionnésconstitue déjà une faute, si ce comportement est induit volontairement <strong>et</strong> sciemment par les organisateursou les sportifs, ou s'il résulte d'une négligence <strong>et</strong> d'une indifférence coupables. Il s'ouvre làune large place pour la responsabilité des sportifs <strong>et</strong> des instances sportives. C<strong>et</strong>te responsabilité estclairement évoquée dans la Charte européenne du sport <strong>et</strong> le Code d'éthique sportive du Conseil del'Europe dont nous voudrions traiter par ailleurs.Le surentraînement des sportifs, un rythme excessivement soutenu de compétitions constituent unemenace pour la santé <strong>et</strong> doivent être évités. Ces pratiques ne peuvent être acceptées. Elles doiventêtre refusées par les sportifs eux-mêmes, qui doivent pouvoir s'exprimer par la voix de leursreprésentants. D'où l'importance d'une représentation professionnelle des sportifs. Ces risquespour la santé ne peuvent être acceptés par les organisateurs des rencontres sportives, quel que soitleur niveau de responsabilité. L'organisation d'une rencontre sportive, comme l'organisation du travail,est une richesse humaine. Mais comme l'organisation du travail ne peut m<strong>et</strong>tre endanger la santé des travailleurs, de même l'organisation des rencontres sportives ne peut m<strong>et</strong>tre endanger la santé des sportifs. Comme une législation sociale adaptée doit sanctionner lesaccidents de travail <strong>et</strong> les responsables de ceux-ci, de même une législation sportive adaptée doitsanctionner les accidents sportifs qui surviennent, par la négligence ou l'indifférence desresponsables, dans le cadre d'une rencontre sportive. La responsabilité des organisateurs doit être clairementreconnue. Les responsables de ces accidents doivent être sanctionnés, comme c'est le cas dansles accidents de travail. Le sport est une activité librement choisie, mais ce fait nesupprime pas l'obligation de veiller à la santé <strong>et</strong> à la sécurité des personnes. Le sport est à la fois lieude liberté <strong>et</strong> de responsabilité. Les documents du Conseil de l'Europe le notent clairement.45


La responsabilité pour la santé est plurielle. Elle concerne les sportifs eux-mêmes <strong>et</strong> leurs organisations;elle concerne les clubs <strong>et</strong> les fédérations sportifs. Elle concerne les médecins du sport quisuivent ou devraient suivre les activités sportives des personnes. Elle concerne aussi le législateur.Dans le cas des enfants <strong>et</strong> des mineurs, la responsabilité incombe aussi aux parents.Les règles à ce suj<strong>et</strong> doivent être précisées <strong>et</strong> rassemblées dans un Code d'éthique sportive (Conseilde l'Europe). La mise en œuvre de ces règles n'est pas toujours aisée. Le souci de la santé doit secombiner avec le sens de la performance <strong>et</strong> de la compétition. La manière d'articuler ces deux axesdépend de la sagesse pratique. Mais la difficulté de m<strong>et</strong>tre en œuvre une valeur humaine ne doitpas conduire à l'indifférence par rapport à elle. Au contraire, elle doit stimuler l'intérêt pour c<strong>et</strong>tevaleur, l'étude, la recherche. Le fair-play est créatif. L'éthique aussi a toujours un aspect créatif,non qu'elle crée les <strong>valeurs</strong>, mais elle doit être inventive lorsqu'il s'agit de trouver, dans lesdifficultés <strong>et</strong> en présence des obstacles, la juste manière de vivre ces <strong>valeurs</strong>.Nous ne voulons pas traiter ici des dommages à la santé liés à la pratique du dopage sportif. C<strong>et</strong>tequestion, complexe, délicate mais importante, devra être abordée plus loin, dans la cinquièmepartie de notre travail.2. La sécurité aussi est une obligation <strong>et</strong> une valeur que l'on r<strong>et</strong>rouve dans tous les secteursde l'existence. Elle concerne le travail, la vie familiale, les déplacements. Elle concerne aussi lesport.La sécurité est une notion complexe, plurielle. Nous ne parlerons pas ici de toutes ses dimensions.Nous parlerons ailleurs de la sécurité sociale qui protège les sportifs contre les accidents de la vie,contre les accidents du sport particulièrement nombreux. De même, nous examinerons ailleurs laréalité de la violence qui affecte le sport. Il s'agit de la violence induite volontairement par despersonnes ou des groupes. Elle crée l'insécurité <strong>et</strong> renforce le sentiment d'insécurité. C<strong>et</strong>teinsécurité liée à la violence concerne évidemment le sport. Nous en parlerons dans un autrecontexte, à la fin de la cinquième partie.Nous parlerons ici de la sécurité dans la mesure où celle-ci est menacée dans le contexte du sportpar des situations ou des comportements qui révèlent, non une volonté de nuire ou de faire malcomme c'est le cas dans la violence, mais un manque de vigilance <strong>et</strong> d'attention pour la sécuritédes joueurs ou des spectateurs ou des témoins. La compétition automobile connaît un grand nombred'accidents, dont certains sont graves <strong>et</strong> même mortels. Les sportifs eux-mêmes ont une obligationde veiller à leur sécurité, à celle de leurs partenaires, à celle de leurs concurrents, mais aussi à celledes spectateurs. C<strong>et</strong>te obligation incombe aussi aux organisateurs. Les problèmes évoqués ici n'ontpas leur origine dans la violence ou l'agressivité, dans la malveillance ou la méchanc<strong>et</strong>é. Ilsproviennent de difficultés liées à la gestion de situations complexes, où d'une part doivent êtreentr<strong>et</strong>enus le suspense de la compétition, l'intérêt du public, la qualité du spectacle; mais oùd'autre part aussi la puissance des moteurs, les défaillances humaines toujours possibles, le hasard,la conjonction des hasards malheureux peuvent provoquer des accidents. Parce que certains sportssont potentiellement dangereux, la précaution impose que les mesures de sécurité soientrenforcées. Les difficultés d'organisation ne suppriment pas la responsabilité. De même, celle-cin'est pas supprimée ou atténuée du fait que le sport en question est pratiqué librement par despersonnes qui l'ont choisi librement.Des problèmes analogues se r<strong>et</strong>rouvent dans bien d'autres sports. L'escalade, le ski, le rafting, sont46


des loisirs ou des sports passionnants; les risques du point de vue de la sécurité sont réels <strong>et</strong>doivent donc entraîner un ensemble de mesures de sécurité appropriées.Ces règles de sécurité concernent d'abord les sportifs eux-mêmes; mais aussi ceux qui organisent cesactivités; le devoir de veiller à la sécurité est évidemment renforcé dans le chef de personnes qui professionnellementou socialement prennent en charge d'autres personnes; les guides demontagne, les moniteurs de ski <strong>et</strong> d'activités nautiques. Il y a tout un art dans la capacitéd'allier le sens de l'aventure qui est une des joies de la vie, <strong>et</strong> le sens de la sécurité. Mais c<strong>et</strong> art doits'apprendre. Il requiert une formation, une sensibilisation. On n'est pas là dans le domaine de la pureimprovisation. Veiller à la sécurité là où elle est exposée, là où il y a une tension entre le goût del'aventure <strong>et</strong> la nécessité d'éviter les situations dangereuses, requiert initiative <strong>et</strong>créativité; mais il faut aussi développer le sens de l'organisation, de la prévoyance, par desformations <strong>et</strong> des entraînements adaptés. La formation des responsables doit viser aussi à leurperm<strong>et</strong>tre de réunir les informations nécessaires.Les exigences de sécurité sont spécialement à souligner lorsqu'il s'agit d'enfants. Les éducateurs, lesmoniteurs qui encadrent les activités sportives ou de loisirs actifs doivent veiller spécialement à lasécurité, lorsque des enfants ou des mineurs sont concernés. Les parents ont une responsabilité dansce domaine qui doit être reconnue par les organisateurs.Le sens de la sécurité est une attitude intérieure; mais elle s'exprime à travers une foule depréoccupations, de tâches pratiquées régulièrement. Lorsqu'il s'agit de la sécurité dans ledomaine du sport <strong>et</strong> des loisirs actifs, il faut noter que la responsabilité des sportifs <strong>et</strong> desorganisations sportives est soutenue par l'activité professionnelle ou bénévole de tout un ensemblede personnes qui à leur manière concourent à l'amélioration de la sécurité. Il y a trop d'accidents liésaux sports ou aux loisirs actifs. Mais, il faut en être conscient, nombre d'accidents ont pu être évitésgrâce au travail diligent de personnes ou d'instances, qui sans nécessairement être eux-mêmes dessportifs, préviennent les utilisateurs des dangers de la montagne, de la mer. Comment pourrait-on pratiquerdans des conditions normales de sécurité les sports nautiques ou de montagne sans la contributiondes spécialistes des services météorologiques? Il y a une grave obligation des sportifs <strong>et</strong> desorganisateurs à prendre connaissance de ces avis <strong>et</strong> à les suivre.A un autre plan, les services d'inspection qui contrôlent la solidité <strong>et</strong> la sécurité des bâtiments publics,le niveau de sécurité des installations sportives, jouent un rôle préventif dont lesorganisations sportives doivent tenir compte. Il en est de même pour les avis des corps depompiers. Leurs avis, qui doivent être consciencieux, doivent être entendus. Ceux qui ne font pascorrectement leur travail comm<strong>et</strong>tent une faute qui doit être sanctionnée. Ceux qui ne tiennent pascompte des avis informés sont en faute également.La sécurité est une responsabilité qui concerne toute une série de personnes <strong>et</strong> d'instances. Elle estle fait des sportifs, professionnels ou amateurs, réguliers ou occasionnels, des organisateurs, des servicesde sécurité <strong>et</strong> du législateur. L'information sportive, dont le premier rôle est de montrer la qualitédu spectacle sportif, doit aussi collaborer à c<strong>et</strong>te conscience collective pour la sécurité.Les services d'assurances pour la prise en charge financière des accidents liés au sport, ont certes unrôle indispensable que le public <strong>et</strong> le législateur ne peuvent ignorer. Mais l'existence d'unsystème d'assurances ne peut pas dispenser du sens de la prudence <strong>et</strong> de la responsabilité morale, personnelle<strong>et</strong> collective, dans le domaine de la sécurité.Certains sports sont notoirement dangereux; on songera par exemple à certains sports de combat.47


Nous ne traiterons pas c<strong>et</strong>te question ici, non parce qu'il s'agit d'un problème irréel, ou parce que sansvéritable gravité morale. On a l'impression qu'on se trouve ici en présence d'une sorte de tabou. Il estcomme interdit, dirait-on, d'aborder ce genre de questions. Les aborder estpratiquement impossible. Il importe néanmoins de rappeler que la liberté ne justifie pas tout. Lessports de combat se pratiquent librement. Mais la liberté de choix, qui n'est pas toujours totaled'ailleurs, ne supprime pas le fait qu'on ne peut pas accepter des pratiques sportives quirégulièrement, <strong>et</strong> de façon prévisible, entraînent des accidents graves, voire mortels. Quelle est alorsla difficulté du discours éthique au point qu'elle nous empêche de développer autant qu'il faudraitnotre réflexion? Le discours éthique, qui est toujours le fait <strong>et</strong> la responsabilité d'unepersonne, qui résulte du travail <strong>et</strong> de la réflexion d'une personne, ne peut exister <strong>et</strong> se développer ques'il est porté par un groupe, par une catégorie de lecteurs ou d'auditeurs. Or il y a undésintérêt, <strong>et</strong> peut-être un refus, lorsqu'il s'agit de réfléchir à certaines pratiques sportives du pointde vue de la sécurité <strong>et</strong> de l'éthique. Rares sont les personnes investies de responsabilitéssportives ou politiques qui osent aborder ce problème. Qui financera les études sur les accidents, lesdécès survenus dans ces contextes? Qui organisera les sessions de réflexion sur ces questions? Uneétude comme celle-ci doit souhaiter que ces questions de sécurité sortent de l'ombre.Dénoncer <strong>et</strong> sanctionner le dopage sportif paraissaient irréalistes il y a vingt ans. Aujourd'hui quioserait encore fermer les yeux devant la gravité de ce problème <strong>et</strong> nier la nécessité d'intervenirlégalement <strong>et</strong> pénalement, d'intervenir auprès des sportifs <strong>et</strong> au niveau des fédérations sportives.J<strong>et</strong>er aujourd'hui un regard éthique, du point de vue de la sécurité, sur des sports comme la boxe,paraît naïf <strong>et</strong> impossible. L'éthique exprime une dimension personnelle; mais c'est aussi uneactivité sociale, qui pour exister socialement a besoin de reconnaissance sociale. Le courageintellectuel consiste non pas à nier la difficulté présente d'aborder certaines questions, mais à fairel'analyse des raisons de c<strong>et</strong>te difficulté. L'éthique est un discours <strong>et</strong> un regard. L'engouement pour unsport comme la boxe est une réalité complexe. Le regard éthique doit être soucieux à la fois de reconnaîtrela beauté de c<strong>et</strong>te discipline (Philomenko; Oates), mais aussi d'en reconnaître <strong>et</strong> d'en faireconnaître les risques pour la santé <strong>et</strong> la sécurité des sportifs. Qu'est-ce qui empêche deprogresser dans c<strong>et</strong>te direction? Le dopage des sportifs qui existe encore aujourd'hui, était connu il ya vingt ans. A l'époque il était difficile d'en traiter ouvertement. Aujourd'hui c<strong>et</strong>te question est sortiede l'ombre. Ne peut-on espérer qu'il en soit bientôt ainsi également pour le problème de la sécuritédans les sports de combat <strong>et</strong> faire le nécessaire pour que ce changement intervienne?3. Le rapport entre le sport <strong>et</strong> la santé (ou la sécurité) est d'abord positif. Le sport peut être pratiquéde diverses manières. Il peut se vivre de telle façon qu'une seule chose compte: la réalisation de telobjectif, l'obtention de telle médaille, la poursuite de telle performance. Pour y parvenir, le sportif <strong>et</strong>ceux qui l'entourent, l'entraîneur <strong>et</strong> les dirigeants sportifs, sont prêts à tout sacrifier, y compris lasanté; y compris la famille, y compris l'équilibre psychique, y compris la sécurité. Ou encorel'objectif est de gagner de l'argent, toujours plus d'argent. Ou bien encore ce qu'on vise, c'est la considération,les titres les plus flatteurs dans les journaux, les commentaires les plus élogieux. On est icidans une sorte de folie, de fanatisme; on se trouve en tout cas en face d'un comportement passionnel.La passion pour le sport est quelque chose de positif, si elle est bien vécue, nous y reviendronsattentivement. Mais les attitudes passionnée <strong>et</strong> passionnelle doivent être clairement distinguées.Une autre attitude consiste à vouloir vivre dans le sport plusieurs <strong>valeurs</strong> simultanément, ledépassement de soi, mais aussi le plaisir de la victoire <strong>et</strong> la performance. Mais le suj<strong>et</strong> veut48


echercher tout cela en voulant positivement la santé, le développement de la santé, de lacapacité de réaliser son proj<strong>et</strong> d'existence.Ce souci positif de la santé est d'abord une disposition intérieure. C'est une attitude du suj<strong>et</strong> quitrouve sa racine dans l'intériorité du suj<strong>et</strong>. Mais c<strong>et</strong>te attitude intérieure se révèle aussi par une séried'attitudes extérieures, de comportements extérieurs. C<strong>et</strong>te attitude personnelle du suj<strong>et</strong>, comme toutce qui est important, ne se vit pas dans l'isolement ou le repli. Le sportif qui recherche positivementla santé, est quelqu'un qui désire être entouré d'autres personnes qui partagent le même goût du sportque lui-même mais qui en même temps savent l'importance de la santé physique <strong>et</strong> mentale. Il n'estpas possible de pratiquer un sport, surtout de manière intensive, sans un suivi médical, sans desconseils <strong>et</strong> des prescriptions de médecins spécialisés <strong>et</strong> consciencieux. Il n'est pas possible depratiquer un sport, surtout de performance, sans qu'épisodiquement ou régulièrement, on ne doivefaire appel aux services d'un kinésithérapeute, compétent, spécialisé <strong>et</strong> une fois encore consciencieux.Le développement du sport s'accompagne du développement de la médecine du sport; le développementdu sport, qui est une chose heureuse <strong>et</strong> qui concerne la santé publique autant qu'individuelle,s'accompagne nécessairement <strong>et</strong> heureusement d'une pratique de kinésithérapie qui soit orientéevers le sport. La médecine du sport, comme la kinésithérapie appliquée au sport, demandent unecompétence professionnelle, scientifique <strong>et</strong> technique. Mais ces spécialisations doivent aussis'accompagner d'une compétence dans le domaine de l'éthique, dans le domaine de l'éthique médicalemais aussi dans le domaine de l'éthique du sport. Les sciences médicales doivent être habitées parla conviction que le sport doit être ordonné à la santé, qu'il ne peut pas représenter une menace gravepour la santé. Mais en même temps elles doivent comprendre ce qu'il y a de spécifique dans le sport,sans perdre de vue néanmoins que les <strong>valeurs</strong> spécifiques au sport n'annulent pas les <strong>valeurs</strong>communes, les obligations morales, légales ou sociales qui concernent la santé, qui doivent se vivredans le sport comme d'ailleurs dans tous les domaines de l'existence.Ce souci de la santé qui est le fait des sportifs, est aussi le fait des organisations sportives.Celles-ci doivent être habitées par un esprit, par une sagesse qui se caractérisent par uneouverture simultanée à une pluralité de <strong>valeurs</strong>: on est ouvert à la beauté du sport <strong>et</strong> aux <strong>valeurs</strong>humaines spécifiques qui s'y vivent, mais on est ouvert aussi au double souci de la santé <strong>et</strong> de lasécurité. L'esprit des associations sportives n'est pas seulement de l'ordre des déclarations ou desintentions. Il s'incarne, il s'exprime dans des pratiques, des règles, des façons de faire, desévidences ou des certitudes qui ne sont pas discutées dans le groupe. Les groupes n'ont pas àproprement parler d'âme, ni d'intériorité. Mais ils ont un esprit. De même, les associationssportives ont un esprit. L'esprit qui habite un club sportif est une réalité perceptible. Il peut êtrepositif <strong>et</strong> humain; il peut être négatif <strong>et</strong> inhumain. Il peut être ouvert à l'ensemble des <strong>valeurs</strong> ou lessacrifier toutes à un seul objectif, qui dès lors cesse d'être humain.La recherche de la santé, l'ouverture à la santé, l'orientation vers la santé, ne sont pas statiques, c'estun mouvement qui comporte un état d'esprit inventif. Mais le souci de la santé n'est pas non plusmarqué par le relativisme, par le cynisme, par le laxisme qui justifient tout, pourvu que ce soit utile.La recherche de la santé dans <strong>et</strong> par le sport est le fait des personnes, des suj<strong>et</strong>s, des sportifs; elleest le fait des organisations, des associations, sportives <strong>et</strong> médicales. Elle est la responsabilité ausside la société <strong>et</strong> de ses organes. Les services publics doivent assurer la formation <strong>et</strong> l'informationnécessaires. La législation elle-même doit intervenir en ce domaine.49


Chapitre 2 : Le sport <strong>et</strong> le souci du développementpersonnel harmonieuxLe développement harmonieux de l'être que le suj<strong>et</strong> peut <strong>et</strong> doit viser, pourlui-même <strong>et</strong> pour les autres, à travers la pratique sportive, c'est un développementoù toutes les facultés du jeune <strong>et</strong> de l'adulte sont interpellées, nourries, activées. Sila culture est trop intellectuelle, il est bon <strong>et</strong> nécessaire de s'ouvrir aux réalités corporelles.Si la culture, <strong>et</strong> notamment la culture sportive, est trop unilatéralement orientée vers lacélébration du corps, du corps de la jeunesse, la recherche du développement harmonieux consisteraà comprendre qu'il est nécessaire de valoriser aussi autre chose que le corps ou que la jeunesse,à comprendre qu'il faut intégrer les <strong>valeurs</strong> culturelles, spirituelles. Il s'agit parfois de s'ouvrirà des <strong>valeurs</strong> ou à des dimensions qui vont à contre-courant de ce qui s'impose habituellement.Le suj<strong>et</strong> perçoit alors le caractère d'obligation de la valeur, car il observe que s'offre à lui une valeurqu'il n'est pas porté spontanément à aimer <strong>et</strong> à poursuivre, mais dont il découvre que c'est bon <strong>et</strong>nécessaire pour lui comme pour les autres s'il veut être pleinement humain.Le sport peut <strong>et</strong> doit devenir un lieu d'accès à un développement plus harmonieux <strong>et</strong> plus compl<strong>et</strong>de l'être humain. Il perm<strong>et</strong> de reconnaître leur juste importance aux réalités corporelles, que laculture, peut-être trop intellectuelle, a négligées à certaines périodes de l'histoire récented'Occident. Mais le sport n'est pas qu'une activité physique. Il est aussi une pratique <strong>et</strong> uneréalité qui concernent toutes les fac<strong>et</strong>tes de la personnalité. Il a un aspect social de rencontred'autrui, nous l'avons indiqué plus haut. Dans le sport, le suj<strong>et</strong> a besoin de l'accompagnement desautres, il aime montrer aux autres ce qu'il peut réaliser comme performance, il se réjouit depouvoir apporter joie <strong>et</strong> enthousiasme aux autres comme à lui-même, aux témoins <strong>et</strong> auxspectateurs comme aux membres de son équipe ou de son club. Le sport est un lieu deresponsabilité, où le sportif se sent responsable de ce qu'il fait vis-à-vis de lui-même <strong>et</strong> vis-à-visdes autres, où d'autres vivent des responsabilités à son égard. Le sport suppose un lourd travaild'organisation. C<strong>et</strong> aspect n'est pas accessoire; il est essentiel dans la pratique du sport. Cespossibilités de rencontre, ces besoins d'organisation, c<strong>et</strong> appel aux responsabilités constituentaussi le sport <strong>et</strong> montrent que, s'il s'agit d'une activité physique, il s'agit aussi de bien autre chose.Par là, on comprend que le sport puisse contribuer au développement intégral de la personne <strong>et</strong>de la société.Le développement harmonieux <strong>et</strong> intégral de la personne dans <strong>et</strong> par le sport n'est pas d'abord uneobligation. Il s'agit plutôt d'une possibilité à ne pas négliger, d'une chance à saisir, d'une grâce àrecevoir. Il est vrai que le suj<strong>et</strong> doit intégrer la dimension corporelle dans l'ensemble de sonexistence. Mais si le sport perm<strong>et</strong> de donner une place plus grande au corps, ce ne sera pas d'abordcompris comme une obligation, mais comme une chance. Si le sport perm<strong>et</strong> de mieux valoriser lajeunesse, ceci ne sera pas perçu par les jeunes comme une contrainte, mais comme une richesse<strong>et</strong> une grâce. Si le sport perm<strong>et</strong> de prendre plus de responsabilité <strong>et</strong> fait appel aux talentsd'organisation des personnes, ceci sera d'abord considéré comme une possibilité <strong>et</strong> une richesse,plutôt que comme une obligation.Si une valeur a été négligée <strong>et</strong> que l'évolution des esprits perm<strong>et</strong> de mieux l'intégrer, on neparlera pas d'abord d'obligation, mais d'heureux changement. Le sport a permis une telle évolutiondes esprits: des réalités peu valorisées, ont été mieux valorisées. En ce sens, il a contribué <strong>et</strong> peutcontribuer encore à favoriser un développement plus harmonieux <strong>et</strong> plus riche de l'être humain. Enle faisant, il ne fait pas appel d'abord à la notion de devoir <strong>et</strong> d'obligation. Son influence estplutôt perçue comme un bienfait.51


Il y a une obligation pour l'homme de s'ouvrir à l'ensemble des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> des dimensions de sonêtre. Il n'est pas possible, il n'y a pas d'obligation, de m<strong>et</strong>tre en œuvre toutes ses possibilités <strong>et</strong>de réaliser effectivement chacune des <strong>valeurs</strong> possibles. Mais il importe de reconnaître l'ensemblede ces <strong>valeurs</strong> comme quelque chose de bon pour soi <strong>et</strong> pour les autres.Quand dans le contexte d'une culture, des <strong>valeurs</strong> ont été largement négligées <strong>et</strong> qu'une évolutionheureuse intervient qui perm<strong>et</strong> de mieux les intégrer, on ne parlera pas d'obligation, mais on diraqu'il s'agit par exemple d'une libération ou d'un dépassement des anciennes étroitesses. Plutôt quede parler de libération, je préfère parler d'intégration. C'est pourquoi nous venons d'évoquer unesituation où, suite à une évolution heureuse, des <strong>valeurs</strong> négligées ont pu en venir à être mieuxintégrées. C<strong>et</strong>te évolution perm<strong>et</strong> de se rapprocher d'un développement intégral, en tout casd'accéder à une valorisation plus complète de l'être humain. Une telle évolution s'est manifestéedans <strong>et</strong> par le sport dans la culture moderne.Le sport peut contribuer à un développement plus harmonieux <strong>et</strong> plus compl<strong>et</strong> de l'être humain,en intégrant des <strong>valeurs</strong> ou des réalités qui ont pu être négligées dans un autre contexte social <strong>et</strong>culturel. Le sport moderne a contribué d'une part à mieux intégrer la jeunesse, la personne desjeunes mais aussi la valeur que constitue la jeunesse. Ce sera notre premier point.Il a contribué d'autre part à faire mieux comprendre la signification du jeu (<strong>et</strong> donc du plaisir) dansl'existence. Ce sera notre deuxième point. Dans un troisième point, nous dirons que le mondesportif ne doit pas se laisser enfermer dans le monde du sport <strong>et</strong> du jeu. En eff<strong>et</strong>, le mondesportif peut être tenté de ne voir que le jeu <strong>et</strong> moins le sérieux, de ne pas manifester assez d'ouverturepour les réalités sociales, économiques <strong>et</strong> politiques. De même, l'intérêt pour le sport nedoit pas détourner le suj<strong>et</strong> d'une juste valorisation des <strong>valeurs</strong> familiales; la vie qui comporte lejeu (<strong>et</strong> le plaisir) doit aussi être une manière de porter le souci de l'existence familiale. Ce seranotre quatrième point. Dans un cinquième point, nous dirons que le monde du sport ne doit passeulement valoriser la jeunesse, mais aussi, outre le monde des adultes, le monde de l'enfant <strong>et</strong> dela personne âgée. Dans un dernier point, nous reprendrons plus attentivement ce qui concerne lapratique du sport par l'enfant <strong>et</strong> les questions éthiques particulières qu'il pose. Nous reprendronsici quelques-unes des conclusions du Colloque interuniversitaire <strong>et</strong> interfacultaire organisé parl'Institut d'Education physique <strong>et</strong> de Réadaptation de l'U.C.L. à Louvain-la-Neuve, en novembre1997, sur le thème: Enfant, sport <strong>et</strong> éthique.1. La valorisation <strong>et</strong> l'intégration de la jeunesse <strong>et</strong> desjeunes dans <strong>et</strong> par le sport1.1. Le sport est susceptible d'orienter la personne humaine vers le développement harmonieux deson être <strong>et</strong> la conduire ainsi vers plus d'humanité. Dans le cas où l'on vit dans une culture plusintellectuelle, où le corps n'a pas beaucoup de place, le sport peut contribuer à un développementhumain plus compl<strong>et</strong>, plus intégral, plus harmonieux, où la réalité corporelle est plus visible, oùla force du corps compte aussi, où la force de la jeunesse est mieux prise en compte.Certes le sport concerne aussi les adultes. Il concerne même les personnes âgées, comme nousavons cherché à le montrer plus haut. Le Conseil de l'Europe, lorsqu'il se préoccupe de l'avenir dusport, est à juste titre davantage tourné vers la jeunesse: dans plusieurs pays européens,l'instance politique chargée des problèmes du sport est désignée par les termes de Ministère de laJeunesse <strong>et</strong> des <strong>Sport</strong>s.52


Se préoccuper de faire une place plus grande à la jeunesse dans le sport, ce n'est pas dénierl'importance du respect <strong>et</strong> de l'attention qu'il faut porter à la personne plus âgée. Au contraire. Ils'agit de faire bénéficier les personnes âgées aussi, fut-ce par le canal de la télévision, duspectacle <strong>et</strong> de la richesse de la jeunesse.Le sport est une intégration de la jeunesse. Certes ceci pourrait conduire à une moindre estime dela vie adulte, de la personne âgée. Mais le sens de la jeunesse peut aussi éclairer la valeur proprede l'adulte <strong>et</strong> de la personne âgée. Le sport est intégration de la jeunesse dans un monde qui nevalorise sans doute pas assez les jeunes. Si la jeunesse n'est pas bien intégrée, c'est toute lasociété qui en souffre.Le sport doit être une intégration de la jeunesse <strong>et</strong> il l'est effectivement. Quand une attitudesociale est positive, lorsqu'elle est présente sans que l'on s'en préoccupe beaucoup, presque sansy penser, elle ne cesse pas d'être bonne, d'avoir une valeur morale. Dans ce cas, on est moins frappépar son caractère d'obligation, mais il s'agit d'une réalité bonne que l'éthique vient confirmer.Dans une culture qui est surtout régie par les adultes <strong>et</strong>, en Occident, peut-être par la personneâgée, le sport est sans doute un des rares lieux où les jeunes sont à l'avant-plan, où ils sont commeles moteurs de l'ensemble. Ceci est bon pour les jeunes, c'est bon aussi pour les adultes <strong>et</strong> lespersonnes âgées. C'est bon pour l'ensemble. On r<strong>et</strong>rouve ici une éthique qui se réfère à l'ordre dela création, au bien de l'humanité qui est à la fois jeune <strong>et</strong> adulte, où il y a aussi l'enfant <strong>et</strong> lapersonne âgée.Certes des excès, des dérèglements sont possibles. On peut tellement valoriser le corps jeune <strong>et</strong>fort, qu'on n'est plus capable de voir <strong>et</strong> de reconnaître la richesse humaine de la personne adulte<strong>et</strong> de la personne âgée. L'éthique, comme la sagesse, recommande une vue intégrative.Il est possible, mais regr<strong>et</strong>table, que s'instaure <strong>et</strong> se développe un faux culte de la jeunesse, de laforce <strong>et</strong> de la beauté. La valorisation de la jeunesse peut être excessive. On est tellement centrésur elle qu'on néglige ou mésestime le reste. Mais la culture de notre temps n'est pas une culturenégatrice du sérieux, du souci. On rencontre plutôt une survalorisation du sérieux <strong>et</strong> unedévalorisation de ce qui ne l'est pas. Une réaction est donc justifiée <strong>et</strong> nécessaire. Mais c<strong>et</strong>teréaction peut se faire excessive <strong>et</strong> à ce point valoriser la jeunesse qu'elle nie la valeur de ce quin'est pas jeune <strong>et</strong> fort: le caractère adulte de la culture.Nous dirons la même chose pour la gratuité. Nous sommes plongés dans une culture del'efficacité. Il est donc important que dans le sport on puisse valoriser aujourd'hui la gratuité <strong>et</strong>le symbolique.La valorisation de la jeunesse est une valeur, si celle-ci est vécue de façon intégrative. Le sportvalorise la jeunesse, mais il le fait de telle manière que là où est la jeunesse est célébrée, il y aplace aussi <strong>et</strong> structurellement pour le sérieux, l'efficacité, l'organisation, l'approche méthodique<strong>et</strong> systématique. Ces <strong>valeurs</strong> que l'on peut considérer comme des <strong>valeurs</strong> adultes sont présentesdans le sport, dont le paradigme est pourtant la jeunesse. C'est précisément en cela que dans lesport on rencontre l'intégration, c'est-à-dire la rencontre, la conjonction <strong>et</strong> l'articulation, du souci<strong>et</strong> du jeu, du sérieux <strong>et</strong> de la passion, de l'organisation <strong>et</strong> de l'inventivité de la jeunesse. Le sport,c'est la jeunesse, mais une jeunesse qui désire <strong>et</strong> accepte d'être accompagnée (plutôt qu'encadrée)par le monde des adultes, des dirigeants, des parents, des entraîneurs. Le sport, c'estl'enthousiasme <strong>et</strong> l'engagement de la jeunesse, mais c'est aussi l'efficacité <strong>et</strong> la responsabilité de53


l'adulte. Le sport, ce n'est pas seulement la force de la jeunesse, c'est aussi l'expérience <strong>et</strong> lesavoir-faire d'autres personnes qui comme les jeunes se consacrent au sport. La jeunesse est leparadigme de la réalité sportive, mais celle-ci comporte bien d'autres aspects qui ont aussi leurvaleur.Respecter la jeunesse est une valeur commune qui doit se vivre dans tous les secteurs del'existence. Mais c<strong>et</strong>te valeur trouve un point de cristallisation dans le sport, qui à partir de là peutfaire rayonner une juste valorisation de la jeunesse dans l'ensemble de la vie sociale, on peutl'espérer. Le fait que le sport valorise la jeunesse perm<strong>et</strong> aussi de valoriser la jeunesse dans toutela société.1.2. Si la jeunesse n'est pas valorisée, si par ailleurs elle n'est pas intégrée dans un ensemble commele sport, elle n'en existe pas moins, elle s'exprime, mais éventuellement d'une façon qui peut êtresauvage, "désordonnée". Dans le sport, on rencontre une jeunesse qui intègre des règles <strong>et</strong> des<strong>valeurs</strong>. En se passionnant pour les <strong>valeurs</strong> spécifiques du sport, comme la performance, elle peutêtre encouragée aussi à découvrir la richesse des <strong>valeurs</strong> communes. En acceptant les règles du sport,elle peut être conduite à découvrir la pertinence <strong>et</strong> la nécessité des règles morales <strong>et</strong> sociales. Sansl'apport du sport <strong>et</strong> son sens de la règle <strong>et</strong> de l'organisation, le jeune ne risque-t-il pas de se donnerdes règles folles, qui ne conduisent à rien, qui ne sont pas œuvres de raison, qui cessent d'avoirune valeur humaine, qui au lieu d'humaniser le suj<strong>et</strong> le déshumanisent <strong>et</strong> l'aliènent?Dans le sport, les jeunes sont soumis à des règles, mais à des règles connues, publiques, écrites,discutées. S'ils ne sont pas insérés dans une réalité sociale qui les englobe sans les isoler commedans le sport, les jeunes s'organisent aussi <strong>et</strong> se donnent des règles. Mais celles-ci peuvent lesconduire loin de la sagesse <strong>et</strong> de la raison, <strong>et</strong> les enfermer dans l'absurde, les extrémités du crime<strong>et</strong> de la délinquance. Le sport n'est pas un remède à tous les maux de la société. Il ne faut pas enattendre trop, il ne faut pas en espérer plus qu'il ne peut donner. Mais il peut apporter beaucoupdans le sens d'un développement harmonieux <strong>et</strong> plus total de la personnalité.2. La valorisation du jeu, de la gratuité <strong>et</strong> de la dimensionsymbolique dans <strong>et</strong> par le sportUn développement harmonieux, c'est le résultat d'une activité qui fait une place équilibrée au jeu<strong>et</strong> au travail, au ludique <strong>et</strong> au sérieux, au personnel <strong>et</strong> au social, au corps <strong>et</strong> à l'esprit, àl'affectif <strong>et</strong> au contrôle personnel <strong>et</strong> social des émotions. Le sport a fortement contribué àdévelopper le sens du jeu <strong>et</strong> donc à orienter l'être humain <strong>et</strong> la culture vers un développement plusharmonieux <strong>et</strong> plus compl<strong>et</strong>. Mais il peut aussi à ce point enfermer le suj<strong>et</strong> sportif dans le sportqu'il n'est ouvert à rien d'autre <strong>et</strong> néglige notamment la valeur du travail <strong>et</strong> de la famille. Lecontraire du développement harmonieux dans le sport se trouve induit lorsque un être humain,surtout un enfant, est ainsi conditionné qu'il ne pense à rien d'autre, qu'il n'existe rien d'autre pourlui que le sport, que le sport qu'il pratique, que le club où il joue, ou celui où il espère jouer, oucelui qu'il admire de loin <strong>et</strong> dont il rêve, dont les contre-performances le désole.Les parents, les entraîneurs, les clubs ont évidemment ici une responsabilité importante: la vie duclub a son importance; mais l'école aussi, <strong>et</strong> la famille, ainsi que les relations extra-sportives; ily a tant de choses auxquelles il est bon qu'un enfant s'ouvre. L'enfermer, même dans quelque chosede valable, est regr<strong>et</strong>table, fâcheux, dommageable à long terme, <strong>et</strong> donc malheureux, triste,déplorable.54


L'existence est faite de sérieux <strong>et</strong> de jeu. Les deux ont leur place. Il est assez spontané deconsidérer que le sérieux est plus important que le jeu. On adm<strong>et</strong>, dans ce cas, que le jeu est certesnécessaire, comme le repos <strong>et</strong> la distraction, mais en ajoutant que ces activités de loisirs sontsubordonnées à autre chose, au travail, à la famille. On a besoin de se reposer, on a besoin d'unerécréation <strong>et</strong> d'une détente ou d'un défoulement, mais c'est uniquement pour mieux travaillerensuite.Il y a dans l'existence deux pôles. Dans l'hypothèse envisagée, l'un est subordonné à l'autre. L'unest principal, l’autre secondaire. Les meilleurs auteurs en sont venus au contraire à considérer lesdeux pôles comme deux axes, chacun ayant sa valeur, sa signification pour l'homme, pour la réussited'une existence vraiment humaine. Il faut articuler l'un <strong>et</strong> l'autre, sans les subordonner l'un àl'autre. Il faut les articuler en donnant à chacun sa juste place. La pensée occidentale a eulongtemps une vision dualiste marquée par une structure de hiérarchisation. Dans c<strong>et</strong>te vision deschoses, quand il y a plusieurs domaines d'existence, l'un sera considéré comme supérieur à l'autre,le second subordonné au premier. C<strong>et</strong>te vision se r<strong>et</strong>rouve très n<strong>et</strong>tement dans la traditionaugustinienne. Dans la vision contemporaine des choses, on est davantage porté à considérer dessynergies, des symbioses, où chacun des domaines demande à être reconnu <strong>et</strong> respecté comme ilconvient.Le sport moderne se vit dans une culture marquée par le sérieux; il est important que se développeen contraste aussi l'esprit de jeu, de gratuité. Le jeu, la gratuité, la dimension symbolique sontà percevoir comme des <strong>valeurs</strong> en soi, au même titre que le sérieux, le travail, l'efficacité. Ces deuxpôles sont à reconnaître comme des <strong>valeurs</strong> de nature éthique. Ou du moins elles peuvent ledevenir.3. Le sport <strong>et</strong> le souci des réalités économiques <strong>et</strong> socialesLe développement harmonieux de l'être humain donne de manière intégrative une juste place aujeu <strong>et</strong> au sérieux. Le sport moderne a permis de mieux intégrer dans la culture la valeur du jeu.Ceci est une grande richesse, un grand apport au développement harmonieux <strong>et</strong> intégral despersonnes <strong>et</strong> des sociétés. Mais le sport peut aussi enfermer le suj<strong>et</strong> dans l'activité sportive, dansle monde du sport, <strong>et</strong> le fermer à tout ce qui n'est pas le sport, notamment le travail, les réalitéséconomiques <strong>et</strong> sociales, ou encore la réalité de la famille.Il ne s'agit pas ici de négliger la signification du sport <strong>et</strong> du jeu dans l'existence humaine. Ce dontil s'agit ici, c'est de comprendre que l'éthique a le devoir de rappeler au monde du sport qu'il doitaussi être vécu dans l'ouverture à ce qui est différent du sport, de faire ce qui est nécessaire pourque la pratique du sport, ou l'intérêt pour le sport, soit l'occasion de développer non pas unefaculté, de servir non pas un intérêt, mais tout un ensemble de possibilités <strong>et</strong> d'intérêts, chacunà sa place. Le sport est une activité physique, mais il ne doit pas contrarier, empêcher, banaliserle développement intellectuel, culturel, sociopolitique du sportif <strong>et</strong> des spectateurs. Le sport estune activité ludique, <strong>et</strong> comme jeu, il est important. Nous en avons parlé, nous en parleronsencore. Mais le sport, comme jeu, comme plaisir ne doit pas fermer l'esprit du sportif <strong>et</strong> desspectateurs au sérieux de la vie, du travail, de la famille. Le sport <strong>et</strong> le jeu font partie de l'être del'homme, de sa vocation, mais ils ne doivent pas faire perdre de vue l'importance des réalitéséconomiques <strong>et</strong> politiques. Au contraire, il est bon que la pratique du sport soit en même tempscomme une ouverture à la vie des entreprises, au monde des associations volontaires.L'organisation de la vie d'un club sportif oblige à se préoccuper de la dimension économique <strong>et</strong>55


politique du sport. Le mécénat dans le sport, le parrainage des activités sportives, sont desfacteurs qui contribuent à la rencontre du sport <strong>et</strong> des réalités économiques. De plus en plus, lesrencontres sportives sont confrontées aux réalités économiques. Ceux qui pratiquent le sport ouqui en sont les organisateurs ou les spectateurs rencontrent les entreprises; les noms dessponsors apparaissent dans les stades <strong>et</strong> sur les vêtements. Ceci n'est pas négatif; il y a sans doutedes abus; mais il est bon que le monde du sport soit ouvert aux réalités économiques.Le sport, nous le verrons, a une dimension sociale <strong>et</strong> politique (par la réglementation <strong>et</strong> lessubsides par exemple); il n'est pas bon, pour le bien commun, qu'être sportif en vienne à signifierque l'on se désintéresse des réalités politiques. Lors de la proposition américaine de boycottoccidental des Jeux Olympiques de Moscou en 1980, Madame Simone Veil, alors Présidente duParlement européen, déclarait inacceptable la position de ceux qui disent: "On court, on saute, <strong>et</strong>on ne s'occupe pas du reste". Par contre, les rencontres sportives, qui mobilisent <strong>et</strong> enthousiasmentles foules, ne doivent pas représenter un réveil des nationalismes politiques ou religieux.Le lieu d'expression des engagements politiques <strong>et</strong> religieux est ailleurs que dans le sport. Mais iln'est pas bon que le monde du sport détourne les sportifs de porter un intérêt actif <strong>et</strong> responsableaux réalités politiques, tout comme aux réalités religieuses <strong>et</strong> spirituelles. Tout ceci demandebeaucoup de finesse, de doigté, de désintéressement aussi. Je parle ici de désintéressement, nonpas de désintérêt. Le désintéressement caractérise le véritable intérêt. Ce dont il s'agit ici, c'estde souhaiter non que le sportif soit conduit à un engagement politique ou religieux au nom dusport, en tant que sportif, mais que comme personne il vive une ouverture à la dimensionpolitique ou religieuse de l'existence. C<strong>et</strong>te ouverture peut se vivre de diverses manières, qu'il fautrespecter, si elles sont vécues avec sagesse <strong>et</strong> rectitude.Les rencontres sportives ne peuvent pas devenir des lieux où se cristallisent, s'enflamment lespassions politiques ou religieuses. Dans ces domaines où se rencontrent le sport <strong>et</strong> les convictionspolitiques <strong>et</strong> religieuses <strong>et</strong> où des tensions pourraient survenir, il faut reconnaître aussi, comme àpropos du fair-play, l'importance d'une juste <strong>et</strong> sage forme de création <strong>et</strong> d'invention, qui ne soitni du fanatisme, ni une banalisation.Pierre de Coubertin, en revalorisant le sport, en voulant associer au sport un rituel qu'il acontribué à créer, n'a-t-il pas réussi une telle intégration du sport, des réalités politiques <strong>et</strong> mêmed'une certaine forme de dimension religieuse ou spirituelle? Plus personne ne s'étonne de voir vivrece rituel, le symbolisme sportif, l'exécution des hymnes nationaux.4. L'ouverture du monde du sport aux réalités familialesL'intérêt pour le sport <strong>et</strong> pour le jeu ne doit pas détourner l'attention <strong>et</strong> le souci portés à lasphère plus sérieuse de l'existence, le travail <strong>et</strong> la famille. Il arrive que la pratique du sport oul'intérêt pour le sport provoque une moindre attention aux réalités familiales. C'est laresponsabilité de l'éthique de faire comprendre que, tout en acceptant la valeur du sport dansl'existence, le suj<strong>et</strong> doit aussi se souvenir de tout ce qu'il a reçu dans sa famille, de tout ce qu'ildoit pouvoir apporter aux siens en fait de présence, de souci <strong>et</strong> d'attention. Reconnaîtrel'importance de la famille, consacrer à celle-ci le temps <strong>et</strong> l'énergie requis est quelque chose debon au plan humain <strong>et</strong> social. La famille est une des grandes <strong>valeurs</strong> de l'existence. Le sportif,comme toute personne qui se passionne pour un proj<strong>et</strong> personnel ou professionnel, a le devoir <strong>et</strong>l'obligation de se préoccuper du bien de sa famille. Le caractère d'obligation est ici mieux perçuparce qu'il n'est pas facile, quand on a un intérêt ailleurs, de se soucier aussi de sa famille. Le56


conjoint, les enfants, les parents ont le droit de rencontrer chez le sportif une juste attention. Enmême temps, la famille ne doit pas exercer sur la personne une emprise telle qu'en dehors d'ellerien ne peut se vivre paisiblement. Il y a des milieux familiaux étouffants, où les parents ou lesconjoints réclament un lien fusionnel avec leurs proches <strong>et</strong> adoptent à leur égard une attitudeenveloppante <strong>et</strong> captatrice.Ici encore, créativité <strong>et</strong> sagesse sont nécessaires pour trouver la manière juste <strong>et</strong> équilibrée deconjuguer l'intérêt pour le sport <strong>et</strong> une juste ouverture à la famille. C<strong>et</strong> équilibre n'est pas facileà trouver, mais la difficulté ne supprime pas l'obligation d'apprendre à vivre la rencontre de deuxréalités bonnes pour l'être humain, qui sont ou peuvent être toutes deux des <strong>valeurs</strong> éthiques maisqui sont parfois en tension l'une avec l'autre.5. Le sport <strong>et</strong> les personnes âgéesLe sportif qui est amené à ne porter d'attention qu'à ce qui concerne le sport <strong>et</strong> les sportifs, quia un rapport privilégié <strong>et</strong> souvent intense avec son club où il rencontre préférentiellement uncertain type de personnes <strong>et</strong> de public, doit être capable de porter une juste attention aux enfants<strong>et</strong> à la personne âgée, dans le contexte de la famille <strong>et</strong> dans le contexte plus large de la société.L'ouverture à l'enfant <strong>et</strong> à la personne âgée se vit souvent dans le milieu familial, auquel, le mondedu sport doit demeurer ouvert. Mais l'éthique du sport considère l'enfant <strong>et</strong> la personne âgéeà un plan qui déborde celui de la famille, parce qu'ils constituent aussi une richesse <strong>et</strong> une valeurhumaine dans la société <strong>et</strong> dans la culture.Dans le point suivant, nous traiterons de la question: Enfant, sport, éthique. Ici nous voudrionsreprendre quelques considérations plus rapides sur le sport <strong>et</strong> la personne âgée.Il faut apprécier positivement au plan éthique une juste valorisation de la jeunesse dans le sport<strong>et</strong> ailleurs. C'est un des aspects les plus riches d'une théologie <strong>et</strong> d'une éthique ouvertes à l'ordrede la création. Mais une théologie de l'ordre de la création intègre ce sens de la jeunesse dans unensemble où sont valorisés tout autant l'âge adulte <strong>et</strong> le grand âge.Les personnes du grand âge sont présentes dans le sport, comme spectateurs, actuellement grâceà la technique comme téléspectateurs. Ceci ne doit pas être déconsidéré. Par là en eff<strong>et</strong> lesgénérations plus âgées communient à ce qui fait pour une bonne part la vie de jeunes. Si elles s<strong>et</strong>ournent vers les jeunes par c<strong>et</strong> intérêt commun <strong>et</strong> différencié pour le sport, on peut penserqu'elles auront plus d'ouverture pour le vécu plus large de ces jeunes, <strong>et</strong> notamment pour lesproblèmes qu'ils rencontrent au plan social <strong>et</strong> économique, comme pour leurs problèmes affectifs<strong>et</strong> leurs difficultés d'intégration sociale.6. L'enfant, le sport <strong>et</strong> l'éthiqueL'enfant qui pratique le sport n'est pas un adulte: il est lui-même. Il a l'âge qui est le sien; il faut levoir dans son présent à lui, même si celui-ci est bien entendu ouvert à un avenir qui sera le sien.Le sport a une valeur positive pour chacun, mais spécialement pour les enfants <strong>et</strong> les jeunes. C<strong>et</strong>tevaleur caractérise la pratique sportive de tout niveau, y compris le sport de haut niveau,pourvu qu'il soit adapté à l'âge de l'enfant, à ses possibilités réelles.Un niveau d'activité physique suffisant est indispensable pour le développement harmonieux ducorps <strong>et</strong> de l'esprit de l'enfant. Les spécialistes s'accordent sur l'importance de l'exercice physiquerégulier <strong>et</strong> suivi comme élément préventif de bon nombre de pathologies physiques <strong>et</strong> psychiques57


de nos populations modernes. La majorité de la population en Belgique est insuffisamment activesur le plan physique. Lors de leurs rencontres au niveau européen, les Ministres du <strong>Sport</strong> insistentrégulièrement sur la nécessité de développer <strong>et</strong> d'encourager, en les rendant attractives, lespratiques sportives en Europe, spécialement chez les jeunes.La valeur du sport concerne l'enfant dans sa dimension corporelle, physique, mais aussi dans saréalité psychologique <strong>et</strong> humaine. La pratique du sport par l'enfant forme le caractère; elle peutfavoriser la sociabilité; elle apprend à vivre avec les autres <strong>et</strong> face aux autres. Elle est confrontationaux limites personnelles <strong>et</strong> à celles que créent les autres.La pratique du sport devient problématique, lorsqu'elle manque à l'équilibre <strong>et</strong> à la mesurenécessaires pour que l'enfant ait une existence harmonieuse <strong>et</strong> reste ouvert à l'ensemble de sespotentialités. Elle devient négative lorsqu'elle s'accompagne d'un excès de fatigue ou de stress, d<strong>et</strong>ension psychique <strong>et</strong> nerveuse, de sollicitation dangereuse de l'organisme. Tout ceci estdommageable <strong>et</strong> négatif à tout âge, mais plus spécialement pour l'enfant dont le développementhumain, physique <strong>et</strong> psychique, est en cours. L'hypertrophie du sport <strong>et</strong> du corps, commel'hypertrophie de la raison d'ailleurs, ne peuvent être positives chez un être qui, comme l'enfant,est en route vers la découverte de toute la richesse de son identité personnelle dans l'équilibre <strong>et</strong>l'harmonie. La passion pour le sport, le plaisir dans le sport, ne sont pas exclusifs de la mesure,mais demandent à être accompagnés d'une forme de modération.L'éthique <strong>et</strong> le droit ne peuvent accepter que l'enfant soit soumis à un entraînement intensifprécoce, à des entraînements sportifs inadaptés à son âge par une fréquence <strong>et</strong> une fatigueexcessives, sans proportions avec ce qui est recommandé pour un développement harmonieux. Lesrapports entre l'éthique <strong>et</strong> le droit doivent être développés en c<strong>et</strong>te matière. Ces rapports nedoivent pas être les mêmes dans tous les domaines de l'existence. Le sport est un des lieux où leurconvergence est le plus souhaitable. Une transgression grave au plan éthique, parce que dommageablepour l'enfant, doit pouvoir être sanctionnée légalement <strong>et</strong> pénalement.Le médecin <strong>et</strong> le psychologue rencontrent des jeunes chez lesquels l'absence d'exercice physique<strong>et</strong> la pauvr<strong>et</strong>é de liens sociaux gratifiants entraînent un mal être psychologique. Ils seront souventamenés non seulement à encourager une pratique sportive, mais aussi à aider le jeune àcomprendre <strong>et</strong> à dépasser ses résistances, ses refus, ses peurs devant la pratique du sport <strong>et</strong> lesrencontres qu'elle suppose. Le médecin observe les problèmes de santé liés au sport excessif <strong>et</strong>précoce. Le psychologue est le témoin des dégâts psychologiques <strong>et</strong> humains causés parl'irresponsabilité de parents ou d'entraîneurs qui conditionnent l'enfant à aller au-delà de sespossibilités pour satisfaire leurs propres rêves ou intérêts.Trop souvent des parents, de bonne foi, mais mal informés <strong>et</strong> subissant diverses pressions, ne serendent pas compte de l'importance des décisions qu'ils prennent <strong>et</strong> des influences qu'ils exercentsur leurs enfants dans le domaine du sport. La presse a un rôle déterminant à jouer dans cedomaine. Les informateurs sportifs ont également une responsabilité d'information au niveauéthique <strong>et</strong> humain à l'égard de ce monde, professionnel ou bénévole, qui encadre, au sein des clubs<strong>et</strong> des fédérations, les enfants qui pratiquent le sport. Certes, il leur revient aussi d'attirerl'attention sur les problèmes qui peuvent surgir dans la pratique du sport par les enfants. Mais leurrôle n'est pas seulement, ni même d'abord négatif. Il est d'abord positif. Les professionnels de lacommunication sont des personnes, souvent de grande qualité humaine, qui peuvent faire serencontrer les préoccupations des citoyens, des parents, des cadres sportifs, des responsables58


politiques <strong>et</strong> de tous ceux, nombreux, qui veulent bien investir une partie de leur temps <strong>et</strong> de leurtravail à la réflexion éthique.Le sport est un lieu de liberté <strong>et</strong> de plaisir, de rencontre des autres <strong>et</strong> de confrontation àsoi-même à travers le jeu qui, s'il demeure important à tout âge, est vital pour l'enfant <strong>et</strong> le jeune.C<strong>et</strong> espace de jeu, ce lieu de liberté, ne doit pas devenir, pour certains enfants, incapablessouvent de se protéger autrement que par la révolte ou l'abandon, le lieu d'un abus de pouvoir,que celui-ci soit le fait des parents, des entraîneurs ou des clubs, souvent eux-mêmesconditionnés par un ensemble de pressions sociales <strong>et</strong> culturelles. D'une part, ne sont pas asseznombreux dans la Communauté française de Belgique les lieux où une formation au sport <strong>et</strong> àl'éthique du sport est accessible aux jeunes. D'autre part, certains clubs imposent déjà aux enfants,par diverses pressions, des pratiques sportives où ce qui compte n'est pas l'enfant, mais lerésultat obtenu <strong>et</strong> le prestige du club. Certes l'argent est indispensable pour la pratique du sport,même si celui-ci ne peut se développer sans la participation généreuse <strong>et</strong> bénévole de nombreuxadultes. Mais il peut prendre une place excessive <strong>et</strong>, au lieu d'être un moyen, devenir une fin.59


Chapitre 3 : Le sport <strong>et</strong> la formation du caractèreLe sport est un jeu; il doit être ouverture au plaisir, acceptation <strong>et</strong> mêmerecherche du plaisir, à la fois pour soi <strong>et</strong> pour les autres. Faire l'apprentissagedu plaisir est possible, mais pas automatique. Il est désiré, mais pas toujoursdonné. Le plaisir n'est réel que s'il est partagé par d'autres, qui d'une part seréjouissent de mon plaisir, mais qui d'autre part trouvent poureux-mêmes aussi une forme de plaisir. Les autres ne trouveront du plaisir dans mon plaisir,que si je puis me réjouir moi de leur plaisir. Le plaisir du sportif <strong>et</strong> de son équipe ne peut allersans une forme de plaisir de l'adversaire, même si en même temps on cherche à remporter lavictoire sur lui.Le sport est un jeu, mais il est aussi effort. Il suppose persévérance, continuité, non pas précisémentacharnement, mais continuité dans l'effort, dans l'entraînement, dans la pratique. Le plaisir<strong>et</strong> l'effort ne se contredisent pas; le suj<strong>et</strong> doit apprendre à vivre simultanément l'un <strong>et</strong> l'autre.Le sport est liberté, mais il est aussi discipline, sens de l'ensemble; il est liberté <strong>et</strong> pourtantreconnaît l'autorité de l'arbitre, de l'entraîneur, des dirigeants, du capitaine de l'équipe; il tientcompte de la liberté des autres.Le sport forme le caractère. Celui qui pratique le sport peut chercher à être brillant, performant.Mais il doit aussi être discipliné. Il est brillant, s'il peut faire preuve de talent, d'inventivité, decréation. Le bon sportif est à la fois créatif <strong>et</strong> discipliné, personnel <strong>et</strong> sociable, heureux de vivre<strong>et</strong> capable d'effort, capable de souffrir, sans tomber dans le dolorisme, attitude qui se venge inévitablement.La formation du caractère, c'est aussi l'apprentissage de la réaction rapide, instantanée, mais pasprématurée. Le bon sportif anticipe, mais pas trop. S'il réagit avec r<strong>et</strong>ard, son entraîneur l'aideraà comprendre d'où viennent ses hésitations, ses r<strong>et</strong>ards inadaptés.La force de caractère, c'est à la fois apprendre à aimer la victoire, à préférer la victoire à ladéfaite, <strong>et</strong> c'est apprendre à bien vivre la victoire, de façon humaine. C'est apprendre aussi àaccepter la défaite, ou les secondes places, tout en préférant progresser. C'est apprendre àaccepter la défaite, sans se déconsidérer, sans agresser l'adversaire ou le monde ou l'arbitre; maisaussi sans renoncer à vouloir améliorer la prestation.C'est apprendre la fidélité aux coéquipiers du moment, mais en même temps la liberté intérieurepour accepter une certaine forme de mobilité, pour changer de poste dans l'équipe en tenantcompte de l'ensemble, pour rejoindre un club où on pourra peut-être mieux valoriser ses talents <strong>et</strong>où en même temps on pourra vivre une plus grande ouverture à la vie sociale.La force de caractère, c'est apprendre la confiance en soi, mais avec réalisme, sans faussesillusions sur soi. Le sport peut être une école de confiance en soi, mais aussi de réalisme. La forcede caractère, c'est apprendre la confiance dans les autres, mais là aussi avec réalisme, sans faussesattentes par rapport aux autres, sans perte d'esprit critique <strong>et</strong> de capacité de jugement personnel.On observera l'importance de la figure de l'entraîneur sportif dans l'apprentissage du réalisme <strong>et</strong>de la force de caractère. Celui-ci n'est pas seulement un technicien; il doit aussi avoir le sens des<strong>valeurs</strong>; il doit vouloir contribuer à former chez les athlètes <strong>et</strong> les sportifs la force de caractère.C<strong>et</strong>te formation n'est-elle pas une forme d'initiation?On le voit, le sport est important, parce qu'il peut perm<strong>et</strong>tre tout cela, parce que, en même temps,il demande toutes ces qualités. Notons cependant, une fois encore, qu'il s'agit là de possibilités ou61


d'exigences. Ces qualités ne sont pas données automatiquement par la pratique du sport. Il fautque la volonté intervienne.Le sport est une école de vie. Le sportif peut y apprendre la maîtrise de soi, la force de caractère.Pierre Jan<strong>et</strong>, pour désigner certaines de ces qualités, n'utilise pas le vocabulaire de l'éthique; ilparle de "conduites élémentaires". Celui qui n'a pas appris l'effort, comme celui qui n'a pas apprisà se reposer ou à se recréer par le jeu <strong>et</strong> par l'immersion dans la joie, celui qui n'a pas appris àcommencer l'œuvre qui le requiert <strong>et</strong> à la terminer, n'a pas appris à être pleinement homme; ilrisque de se trouver écrasé par l'existence <strong>et</strong> enfermé dans des comportements pathologiques, soitque le suj<strong>et</strong> se laisse flotter au gré de ses folles inspirations, ou emporter au gré de sa fantaisieou de ses passions, soit qu'il se ferme à la vie affective <strong>et</strong> au sentiment. Les passions constituentle moteur de la vie; elles sont bonnes, l'éthique doit le rappeler sans cesse; mais il faut apprendreà les vivre de façon humaine, c'est-à-dire de façon maîtrisée, contrôlée. Une autre caricature ducomportement humain, c'est l'être qui n'a plus accès à ses sentiments, à ses envies, à ses désirs,qui a été déformé, au point de se laisser conduire uniquement par la volonté d'autrui, parl'intérêt d'autrui, ou par une pression sociale diffuse. L'être humain devient alors un robot <strong>et</strong>exécute mécaniquement ce qu'on lui commande.La maîtrise de soi, la force de caractère ne sont pas une négation du désir; ce n'est pas non plusune domination où l'un exécute <strong>et</strong> l'autre commande. Comme nous l'avons déjà indiqué dans ledeuxième chapitre dans un contexte plus large, le but à poursuivre, c'est une intégration, uneinteraction entre la volonté <strong>et</strong> la raison d'une part, <strong>et</strong> la passion ou le désir d'autre part. Lamaîtrise de soi ne signifie pas que seule la raison commande, que seule la raison donne lesorientations. La véritable maîtrise de soi, celle qui est vraiment humaine <strong>et</strong> qui correspond à laforce de caractère, est celle où des impulsions viennent aussi bien de la raison que de la passion,où le contrôle est autant celui de l'affect que celui de la raison. C<strong>et</strong>te interaction, c<strong>et</strong>teouverture de la raison à la passion, de la passion à la raison, fait l'homme équilibré <strong>et</strong> harmonieux,est la véritable force de caractère.Dans la littérature sportive, on a parlé très souvent de maîtrise de soi. Ce terme peut être reçu.Mais il me paraît préférable de parler de discipline, de capacité de l'effort, de capacité depersévérance, de force de caractère. Si on parle de maîtrise de soi, il faut distinguer la vraie <strong>et</strong> lafausse maîtrise de soi. La maîtrise de soi que l'éthique recommande, ne fait pas violence au suj<strong>et</strong>,ni à soi-même, ni à l'autre. Mais elle représente une capacité de distanciation qui n'est pourtantpas un refus ou une négation; elle est une attention, qui à la fois connaît, reconnaît, favorise <strong>et</strong>oriente l'affectivité, le désir, la passion. C<strong>et</strong>te attitude complexe, composée, qui comporte commedeux pôles, où il y a interaction, intégration de la raison <strong>et</strong> du sentiment, c'est ce que nousappelons ici la force de caractère. C'est là ce que vise la formation du caractère, ce qui supposeaussi apprentissage de la négociation, de la transaction avec soi-même comme avec les autres.La force de caractère est une spontanéité, mais une spontanéité formée, éduquée, une spontanéitéqui a été non pas dressée de l'extérieur, non pas rectifiée par une volonté extérieure, maisqui s'est donnée à elle-même ou qui a reçu <strong>et</strong> accueilli une forme, une structure. C<strong>et</strong>te formationdu caractère suppose une intervention d'une altérité, d'une extériorité. Mais c'est d'abord uneattitude intérieure, par laquelle le suj<strong>et</strong> s'ouvre à une perspective qui lui est offerte <strong>et</strong> proposée.La formation du caractère ne peut être une forme imposée de l'extérieur à un suj<strong>et</strong>, à l'affectivité.La force de caractère concerne l'agressivité, la combativité. On dit parfois que l'agressivité n'est62


pas un mal. Une forme de combativité <strong>et</strong> d'agressivité appartient, il est vrai, à l'être de l'homme;mais pour être humaine, pleinement humaine, l'agressivité doit être non pas refoulée, ni non plusseulement canalisée ou réorientée, mais elle doit être transfigurée, transformée, parce qu'elles'oriente vers un objectif reconnu socialement <strong>et</strong> désiré personnellement, <strong>et</strong> par ailleurs c<strong>et</strong>t<strong>et</strong>ransformation <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te orientation ne sont pas opérées de l'extérieur, mais elles viennent del'intérieur. Pourtant c<strong>et</strong>te transfiguration, c<strong>et</strong>te transformation, c<strong>et</strong>te sublimation de l'agressivitédoivent être soutenues de l'extérieur par les éducateurs, les groupes sociaux, les animateurs, <strong>et</strong>dans le domaine du sport, par les clubs sportifs <strong>et</strong> les entraîneurs.La réflexion éthique peut se nourrir ici du bel essai de Antoine Vergote, La psychanalyse àl'épreuve de la sublimation (Editions du Cerf, 1997). Le désir rencontre l'épreuve, la difficulté; ilconduit le suj<strong>et</strong> à une sublimation, dont Freud a perçu l'importance, mais qu'il n'a pas su traiter àfond. L'agressivité, c'est la force du désir qui rencontre un obstacle, réel ou supposé. Le suj<strong>et</strong> semontre agressif à l'encontre de c<strong>et</strong> obstacle, au nom même du désir, du désir propre ou du désirde ceux dont il se fait proche.Le sport est affaire de liberté <strong>et</strong> de désir, disions-nous dans la première partie; le désir, même dansle cadre du jeu ou du sport, donc de la gratuité, rencontre la difficulté, l'obstacle, la contrariété,plus exactement encore l'épreuve. Le sportif veut gagner; mais ce désir est à la fois contrarié <strong>et</strong>soutenu par l'effort que fait l'autre pour emporter lui aussi la victoire. L'agressivité se vit inévitablementdans le sport <strong>et</strong> le jeu, car le désir de l'un rencontre le désir contraire de l'autre. C<strong>et</strong>tecontrariété fait partie du jeu <strong>et</strong> du sport, comme elle fait partie de l'existence sociale, <strong>et</strong> sansdoute de l'existence humaine.C<strong>et</strong>te contrariété qui fait partie du jeu <strong>et</strong> du sport, qui fait partie de l'existence humaine, n'est pasà nier, ni à banaliser. Elle est à assumer, non passivement, mais activement. La contrariété est unappel au fair-play dont nous parlerons dans les derniers développements de ce rapport. Ici, defaçon plus restreinte, nous considérons la contrariété comme un chemin à parcourir, comme unappel à entendre, à penser <strong>et</strong> à réfléchir la différence, l'altérité <strong>et</strong> l'opposition. Il est possible <strong>et</strong>nécessaire de penser, de comprendre <strong>et</strong> de valoriser la différence <strong>et</strong> l'altérité; il est possible <strong>et</strong>nécessaire de penser, de comprendre <strong>et</strong> de respecter l'opposition, voire même de la valoriser. Entout cas, le but n'est pas de la nier; on peut combattre l'opposition, on peut chercher à ladépasser; mais on ne peut vouloir la dépasser par l'élimination d'un des termes.Dans le sport, le suj<strong>et</strong> apprend ou peut apprendre à rencontrer <strong>et</strong> à affronter la différence, àrencontrer <strong>et</strong> à combattre l'opposition, analyser. Mais on apprend aussi à ne pas vouloir éliminerphysiquement ou psychologiquement l'adversaire. Celui-ci n'est pas un ennemi, mais unpartenaire, en quelque sorte même un allié. Sans lui, il n'y aurait pas de lutte, il n'y aurait pas dejeu ou de compétition. On combat l'adversaire, on le respecte en même temps.La force de caractère ou la maîtrise de soi n'est pas la négation de l'agressivité; elle n'est pas lanégation ou le déni de la contrariété, mais elle cherche <strong>et</strong> réussit parfois à vivre l'agressivité <strong>et</strong> lacontrariété de façon humaine <strong>et</strong> respectueuse. La pratique du sport peut contribuer à développerces attitudes chez le suj<strong>et</strong>. Elles sont des éléments essentiels du fair-play, comme nous nousefforcerons de le montrer. Se vivant dans le sport, elles pourront <strong>et</strong> devront se vivre aussi ailleurs,dans les autres secteurs de l'existence.La formation du caractère, ce n'est pas chercher à former des gens capables de détruire l'autre,l'adversaire. Ce n'est pas non plus, à l'opposé, la volonté ambiguë de vouloir former des gens63


passifs, qui dans la contrariété, face à l'opposition, dans l'épreuve, cèdent d'emblée. On trouveraitlà non une personne formée, mais un manque de personnalité.Former le caractère comporte toujours un aspect relationnel. Il s'agit d'induire la transformationd'un suj<strong>et</strong> dans ses relations aux autres, à l'altérité, à la différence. Il s'agit d'aider quelqu'un àrencontrer la contrariété, l'opposition; de le rendre capable d'observer <strong>et</strong> d'accepter qu'existent desoppositions entre les personnes <strong>et</strong> les groupes, qu'il existe des oppositions dans les objectifspoursuivis <strong>et</strong> désirés. Le sport peut être un lieu où le suj<strong>et</strong> sportif apprend à vivre de manièrehumaine ces contrariétés <strong>et</strong> ces oppositions d'objectifs <strong>et</strong> d'intérêts. L'entraîneur avec le réalismequ'il promeut, dans le cadre du club sportif, peut opérer comme une initiation. Il s'agit en fait defaire comprendre les virtualités d'une relation antagonique; celle-ci peut devenir quelque chose debeau <strong>et</strong> de bon, si elle est vécue sans tromperie, mais non sans feintes dans la mesure où elles nesont pas des tromperies, sans malhonnêt<strong>et</strong>é, sans tricherie, mais dans la correction. C<strong>et</strong>tecorrection, c<strong>et</strong>te absence de tricherie est un aspect important du fair-play, mais elle ne constituepas le tout du fair-play. Le fair-play est le respect des autres, des adversaires, de l'arbitre, des dirigeants;il est le respect de soi <strong>et</strong> de ses équipiers; il est le respect des règles; mais il est quelquechose en plus. Il est une façon humaine, bonne <strong>et</strong> belle, de vivre la contrariété, l'obstacle, la relationantagonique, l'opposition des désirs <strong>et</strong> des objectifs ou des intérêts. En ce sens, le fair-playest une attitude créative, inventive, comme l'est la sublimation du désir face à la difficulté, faceà la crise, comme l'indiquait A. Vergote. Il est une attitude intérieure, lorsque le suj<strong>et</strong> rencontrel'autre dans sa différence <strong>et</strong> son opposition. C<strong>et</strong>te attitude se vit <strong>et</strong> s'apprend, elle se forme oupeut se former dans le sport. Mais elle mérite d'être considérée comme une attitude existentielleimportante dans l'ensemble de l'existence. Elle est la force de caractère. Le sport est un lieu oùc<strong>et</strong>te attitude s'apprend <strong>et</strong> se vit; elle est un de ses objectifs <strong>et</strong> une de ses règles essentielles. Lesport est aussi un lieu d'où c<strong>et</strong>te attitude peut se diffuser dans l'ensemble de l'existence humaine<strong>et</strong> sociale. Le fair-play, c'est la notion qui dit le vrai sens de la force de caractère.La force de caractère, la formation du caractère, c'est l'apprentissage <strong>et</strong> la possibilité à la fois des'engager personnellement de façon très décidée <strong>et</strong> en même temps de tenir compte avecréalisme de la présence des autres, de leur savoir-faire, de leur talent; la force de caractère, c'estêtre soi-même, mais c'est aussi comprendre que le suj<strong>et</strong> est renvoyé à la reconnaissance des autres,à la valorisation par les autres. Charles Taylor, dans Le malaise de la modernité, caractérise lamodernité par une forme d'individualisme, mais il s'y vit également, dit-il, un besoin <strong>et</strong> unerecherche de reconnaissance par les autres. Nous pouvons dire la même chose à propos du sport.D'ailleurs nous avons déjà noté, dans la première partie de ce rapport, que le sport peut êtreconsidéré comme le paradigme de la modernité.64


Chapitre 4 : Le sport <strong>et</strong> l’esprit de camaraderieQuand on évoque la beauté du sport, sa valeur <strong>et</strong> sa richesse humaines, onpense souvent à la camaraderie <strong>et</strong> à l'amitié qui peuvent naître <strong>et</strong> se développerentre les personnes dans le contexte du sport. Effectivement, le sportperm<strong>et</strong> <strong>et</strong> suscite souvent des relations intenses, <strong>et</strong> profondes en ce sens, entresportifs, entre sportifs <strong>et</strong> spectateurs ou supporters, entre sportifs <strong>et</strong> entraîneurs.Mais ce n'est pas toujours le cas. Il y a aussi beaucoup de tensions, de fausses attentes, dedéceptions. Le sport qui est célébré comme lieu d'amitié <strong>et</strong> de camaraderie est l'occasion aussi derelations tendues, mesquines, où chacun recherche son intérêt, sa propre réussite, son prestige, savaleur, sa victoire, son plaisir. Ce n'est que rarement que le sport est l'occasion de relations à lafois profondes <strong>et</strong> durables. Les relations profondes <strong>et</strong> durables ne se fondent que sur une attitudede desappropriation, sur une attitude spirituelle que l'on ne rencontre pas souvent dans le sport.Un théologien du XIII e siècle, Thomas d'Aquin, dans le traité de la charité de sa Somme théologique,parle du sport <strong>et</strong> des liens qui naissent entre les athlètes <strong>et</strong> les spectateurs. Il note que fréquemmentles spectateurs prennent parti de façon enthousiaste pour des inconnus, pour des athlètesqu'ils ne connaissent pas vraiment, auxquels ils ne sont pas liés vraiment. Ce type de réaction <strong>et</strong>d'enthousiasme n'est pas de l'amitié. L'amitié est un lien profond <strong>et</strong> durable entre personnes quise connaissent <strong>et</strong> s'estiment réciproquement.Nous terminions le chapitre 3 en parlant de confiance en soi <strong>et</strong> de confiance dans les autres, maisc<strong>et</strong>te confiance est à vivre avec réalisme, sans illusions sur soi <strong>et</strong> sans fausses attentes vis-à-visdes autres, comme personnes, comme organisation.Le sport est apprentissage de la camaraderie, mais aussi d'une forme de liberté par rapport auxautres. Le sport peut se vivre dans la fidélité, mais le sportif se voit souvent aussi dans lanécessité de changer de partenaires, un ancien équipier devient adversaire, <strong>et</strong> un ancienadversaire peut devenir coéquipier. Ces aléas de la vie sportive réclament du sportif une formationdu caractère, requièrent une personnalité forte. Mais cela demande aussi richesse de relations,possibilité d'ouverture à l'altérité. Le sportif ne peut pas ignorer l'autre. L'autre, c'est lepartenaire, c'est l'adversaire, c'est l'arbitre dont les décisions sont à accepter, c'est l'entraîneur dontle rôle est important. Chaque fois, le sportif, tout en se préoccupant de lui-même, de son proprebien, doit aussi apprendre à connaître l'autre, à le respecter, à en tenir compte.La camaraderie dans le sport peut être quelque chose de beau <strong>et</strong> de bon, mais elle suppose laliberté <strong>et</strong> la force de caractère. Elle doit être vécue dans le respect total des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> des <strong>normes</strong>,des règles morales <strong>et</strong> sportives, dans le respect du fair-play <strong>et</strong> de l'esprit sportif. En même temps,chacun des suj<strong>et</strong>s doit comprendre que l'autre comme lui-même a choisi de poursuivre un objectifsportif, la victoire, la progression, la performance. Dans la camaraderie <strong>et</strong> l'amitié, les sportifsdoivent se soum<strong>et</strong>tre aux <strong>valeurs</strong> éthiques communes <strong>et</strong> en même temps se référer aux objectifssportifs qu'eux-mêmes <strong>et</strong> les autres se sont choisis.Les rapports entre sportifs, entre les personnes concernées ou intéressées par le sport, sontsouvent soutenus par l'alcool, la bière. Ce constat vaut pour les adultes, mais aussi pour les jeunes.Or, l'alcool n'est pas le ciment d'une amitié. Il est le faux-semblant d'une rencontre. Le lien entrele sport <strong>et</strong> l'alcool n'est pas uniquement fortuit. Il est la promesse d'une relation vraie, mais c<strong>et</strong>tepromesse peut être trompeuse. L'éthique du sport, dans la mesure où elle s'intéresse aux <strong>valeurs</strong>qui peuvent naître dans le sport, <strong>et</strong> notamment l'esprit de camaraderie <strong>et</strong> l'amitié, ne doit pasrester mu<strong>et</strong>te devant ce problème. Elle doit aider la culture sportive à prendre conscience quel'alcool est un mirage, qu'il est trop souvent présent dans le contexte du sport, qu'il peut donner65


l'illusion de relations vraies entre personnes. En réalité, l'alcool ne construit pas des relations vraies,des relations profondes <strong>et</strong> durables. Il facilite les relations, les premiers contacts, si on veut. Maisl'alcool, l'emprise de l'alcool, est plutôt un frein à la relation vraie. Il empêche de se connaîtresoi-même, il empêche de connaître les autres en vérité.L'éthique du sport doit m<strong>et</strong>tre en garde contre le dopage qui prom<strong>et</strong> la performance, la réussite, quiperm<strong>et</strong> de tenir le coup <strong>et</strong> de suivre le train; pourtant, le dopage est tricherie <strong>et</strong> en outre dangerpour la santé physique <strong>et</strong> psychique. A un autre plan, le lien entre le sport <strong>et</strong> l'alcool est unproblème aussi sérieux. Certes, la consommation modérée d'alcool est bonne du point de vue del'éthique, comme du point de vue de la santé. Mais l'excès d'alcool nuit à la santé; il coûte cher;mais surtout, du point de vue qui nous occupe ici, il produit un faux-semblant de relationhumaine. Le sport est sans doute actuellement un des lieux où la consommation d'alcool estadmise, tolérée socialement, considérée comme quelque chose de normal.Le problème de l'alcool est un problème différent de celui de la drogue. Celle-ci est une fauss<strong>et</strong>entative d'échapper à la monotonie de la vie, à ses exigences, à ses difficultés <strong>et</strong> à ses souffrances.Le recours à la drogue suppose des complicités, des compagnonnages. Mais ceux-ci conduisent à lamort; à la marginalisation sociale, à la délinquance, à l'exclusion, à la désaffiliation au sens deRobert Castel. L'alcool est différent de la drogue, mais il y a des points communs. Le recours à ladrogue conduit souvent au drame. Mais les drames de l'alcool sont aussi une réalité, même si leursignification n'est pas exactement la même. L'alcool n'est pas seulement recherche de plaisir, ni fuitedu réel, ni moyen de distraction <strong>et</strong> d'oubli. Il est souvent vu comme ciment de la relation. Mais ceciest trompeur. L'amitié, la camaraderie ne se fondent pas sur cela.Le monde sportif devrait se préoccuper davantage des dégâts <strong>et</strong> des dommages causés par l'alcool.L'alcool peut conduire à la violence. Il s'agit là d'un problème social <strong>et</strong> sportif considérable, dontnous reparlerons plus loin. Mais de plus, l'alcool, qui représente un risque pour la santé s'il estconsommé avec excès, ternit la beauté du sport <strong>et</strong> ne conduit pas à une vie plus humaine, ce quiest le souci de l'éthique en général <strong>et</strong> de l'éthique sportive en particulier.La jeunesse est le paradigme de la réalité du sport, avons-nous cherché à montrer dans lapremière partie de ce travail. Mais si dès la jeunesse, l'alcool se rend présent négativement dans lesmilieux sportifs, ce n'est bon ni pour le sportif, ni pour le sport, ni pour la société. Dans la dernièrepartie de ce travail, l'eff<strong>et</strong> d'entraînement passionnel nous apparaîtra comme un des problèmesmajeurs du sport. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d'entraînement, qui est négatif, ne peut qu'être renforcé par l'alcool.66


Chapitre 5 : Le sport, la paix, l’intégration sociale,la rencontre des autresLe sport est souvent perçu <strong>et</strong> compris par les sportifs <strong>et</strong> par la population commeun facteur de rencontre sociale, de cohésion sociale, de paix sociale. Ces <strong>valeurs</strong> nese trouvent pas réalisées automatiquement par le sport. Elles sont une possibilité quiest contenue dans le sport, que le sport porte en soi comme un germe. Pour devenir une réalité,ces <strong>valeurs</strong> doivent être voulues <strong>et</strong> poursuivies par une action volontaire des personnes <strong>et</strong> desgroupes sociaux. Sa réalisation dépend de la responsabilité des agents sociaux, des sportifs <strong>et</strong> desautres. La rencontre, la cohésion sociale, la paix <strong>et</strong> l'entente constituent un des objectifs <strong>et</strong> un desaspects majeurs de la responsabilité du monde du sport.Le sport est un lieu de liberté, mais aussi un lieu de responsabilité. La responsabilité dans le mondedu sport concerne une pluralité de suj<strong>et</strong>s, elle vise un ensemble de <strong>valeurs</strong>, elle consiste à prendreles moyens justes <strong>et</strong> bons pour que les <strong>valeurs</strong> deviennent effectives dans la réalité quotidienne dumonde du sport. Ce rapport aux <strong>valeurs</strong> est surtout positif; certes, l'éthique du sport doit dénoncerce qui contredit les <strong>valeurs</strong>, ce qui contredit la paix <strong>et</strong> l'entente sociale dans l'organisation <strong>et</strong> lapratique du sport; elle ne peut rester mu<strong>et</strong>te devant certaines expressions de racisme ou dexénophobie qui se manifestent parfois dans le contexte des rencontres sportives, heureusement dansune mesure encore limitée, mais de toute façon inacceptable. Il s'agit pourtant de voir d'abord commentpositivement le sport peut être occasion d'entente <strong>et</strong> de cohésion sociale.La rencontre que perm<strong>et</strong> <strong>et</strong> que peut favoriser le sport se situe à plusieurs plans.1. Le sport favorise les rencontres internationales. Les compétitions sportives, athlétiques,olympiques sont organisées à un niveau international, régional, national. A chacun de ces niveaux,la valeur de la rencontre se trouve potentiellement présente. Au niveau mondial, le sport favorisedes rencontres internationales <strong>et</strong> intercontinentales. Les Jeux Olympiques, rétablis en 1896 àl'initiative de Pierre de Coubertin, en sont un exemple prestigieux. Beaucoup de rencontres ausomm<strong>et</strong> se déroulent aujourd'hui au niveau mondial: football, tennis, <strong>et</strong>c..Elles sont l'occasion de rencontres pour les sportifs, les athlètes, les joueurs, mais aussi lesspectateurs. Certes les contacts ne sont pas toujours profonds; chacun est concentré sur sonobjectif, la victoire, la progression personnelle ou celle de l'équipe. Les compétitions, lesentraînements, la fatigue, la crispation <strong>et</strong> la décrispation ne perm<strong>et</strong>tent pas beaucoup de rencontrestrès personnalisées. Mais les contacts existent. Nous avons beaucoup de témoignages de sportifsdisant combien ces rencontres internationales les ont marqués. On découvre d'autres pays, leshabitants, les supporters, les autorités. Malheureusement, les contacts demeurent souvent assezéphémères, rapides, superficiels. On ne se parle pas vraiment. La raison n'en est pas seulementl'obstacle de la langue.Les contacts internationaux concernent aussi les organisateurs, les dirigeants, les fédérations, lesinstances responsables au plus haut niveau. Ces rencontres sont plus importantes qu'on nel'imagine, pour que se développent au niveau mondial un esprit sportif <strong>et</strong> une éthique du sport. Ils'agit certes d'abord d'organisation <strong>et</strong> de contrôle de la régularité des compétitions. Mais il s'agitaussi de favoriser le développement du sport <strong>et</strong> celui de l'éthique du sport. Les déplacements dessportifs <strong>et</strong> surtout des autorités sportives entraînent des frais considérables, sans doute excessifs.Certains dirigeants sportifs ont un train de vie comparable à celui d'un souverain. Il est apparu quel'exercice de leur pouvoir était entaché d'irrégularités. Malgré ces traits négatifs, l'éthique du sportdoit être sensible aux é<strong>normes</strong> progrès réalisés au cours des dix dernières années pour que le sport67


soit plus juste <strong>et</strong> plus humain. Elle doit se souvenir de l'inspiration qui fut présente dans lespremiers moments des rencontres sportives au niveau mondial. Ceci perm<strong>et</strong> d'espérer que dansl'avenir aussi l'organisation du sport au niveau mondial tiendra compte davantage de l'éthique dusport que de l'argent <strong>et</strong> du profit.Ces contacts internationaux concernent aussi le grand public. Grâce aux médias, radio, télévision,presse écrite, un public nombreux, de plus en plus nombreux, participe aux compétitions de niveaumondial mais aussi à ce qui les entoure.Pendant la longue guerre froide, qui a suivi la seconde guerre mondiale, les rencontres sportives ontété l'occasion de contacts réguliers entre le bloc occidental <strong>et</strong> le bloc soviétique. Les problèmes nefurent pas absents, comme en témoigne symboliquement le boycott successif des Jeux Olympiquesorganisés par l'U.R.S.S. à Moscou en 1980 de la part des U.S.A. <strong>et</strong> de leurs partenaires; <strong>et</strong> desJeux organisés par les U.S.A. à Los Angeles en 1984 par l'U.R.S.S. <strong>et</strong> ses alliés. Lesrencontres américano-chinoises, au temps du Président américain Richard Nixon <strong>et</strong> de son ConseillerHenry Kissinger, quasiment impossibles à ce moment, ont été symboliquement initiées par desrencontres de ping-pong entre les deux pays.Le Tiers-Monde, connu souvent par ses problèmes de violence, de pauvr<strong>et</strong>é extrême, de corruptiontrès répandue, est présent d'une façon plus positive dans l'imaginaire mondial grâce à l'éclat <strong>et</strong> auprestige de quelques sportifs ou athlètes de très haut niveau.2. Le sport perm<strong>et</strong> des rencontres par-delà les clivages politiques <strong>et</strong> idéologiques. Des mesures desécurité sont certes nécessaires pour accompagner certaines rencontres. Des incidents parfois gravesinterviennent à l'occasion de manifestations sportives, mais les affrontements semblent motivésdavantage par des motifs de compétition sportive mal compris, que par des divergencesidéologiques, politiques ou religieuses. Par ailleurs, on savait <strong>et</strong> on sait mieux encore aujourd'huicombien les compétitions où intervenaient les sportifs ou athlètes des pays de l'Est européen avantle début des années 1990 étaient entachées par le problème du dopage, de la préparationartificielle des athlètes. On a rapporté aussi à quel régime inhumain étaient soumises les gymnasteschinoises pendant leur préparation sportive. Ces graves problèmes ne doivent pas empêcher de voircombien ces rencontres sportives par-delà les clivages sont importantes. Elles favorisent laconnaissance réciproque, la paix par la connaissance <strong>et</strong> l'estime mutuelle.On imagine mal ce que serait la vie internationale sans les échanges sportifs réguliers, organisés,médiatiques au niveau mondial. Sans cela, les échanges concerneraient uniquement les dirigeantspolitiques, les fonctionnaires internationaux, le monde des affaires, les scientifiques, lesjournalistes, les membres des O.N.G, les représentants du monde religieux.Au niveau national, quel pays ne connaît pas ses problèmes internes, aux plans linguistiques,régionaux, politiques, sociaux, idéologiques? Le sport est un lieu de rencontre entre populationsqui sinon ne se croiseraient guère. En Belgique, au plan linguistique, le sport, quelle que soit lastructure des organisations, est toujours l'occasion de rencontres entre francophones <strong>et</strong>néerlandophones.Au plan religieux, idéologique, confessionnel ou non confessionnel, l'histoire du sport a étémarquée par des clivages. Dans notre pays, ceux-ci appartiennent aujourd'hui au passé.68


Des tensions graves <strong>et</strong> violentes se manifestent parfois à l'occasion des rencontres sportives les pluspopulaires. Mais celles-ci ne sont pas enracinées dans les clivages idéologiques. Elles accompagnentdes rivalités entre clubs, entre supporters de clubs qui sont entraînés dans des attitudes qui seréclament du sport, mais qui n'ont rien à voir ni avec l'éthique du sport, ni avec les convictionsidéologiques.Les rencontres sportives ne sont possibles que parce que chacun adopte une attitude de réserve <strong>et</strong>de discrétion dans la manifestation de ses convictions <strong>et</strong> de ses options politiques, philosophiquesou religieuses. C<strong>et</strong>te réserve n'est pas une forme de respect humain au sens négatif du terme, maisse fonde sur l'importance des rencontres entre personnes de convictions différentes <strong>et</strong> sur lesconditions qui doivent être vécues pour qu'elles soient possibles, sans conduire à l'affrontement <strong>et</strong>à la violence.Nous n'aborderons pas ici la question difficile, significative, du racisme. Personne n'ignore que leracisme se manifeste lors de certaines rencontres sportives. Il s'exprime le plus souvent par des cris,des gestes chargés de mépris. Il s'adresse même à certains joueurs d'origine étrangèrelorsqu'ils apparaissent sur le terrain, lorsqu'ils se manifestent par une réussite sportive ou un reverssportif. Il est inacceptable au nom de l'éthique du sport; il devrait certes être combattu par lesresponsables sportifs <strong>et</strong> par les autorités publiques; mais la lutte ne sera efficace que si on peutcomprendre les racines de ces attitudes.Nous ne voyons pas comment il serait possible de traiter c<strong>et</strong>te question ici sous tous ses aspects.Car aspects positifs <strong>et</strong> négatifs voisinent, se chevauchent. Des témoignages sont connus de tous:grâce au sport, toute une population peut en venir à admirer des sportifs étrangers, Maghrébins,Africains, Latino-américains, peut être portée à exprimer c<strong>et</strong> enthousiasme; ces attitudes positivespeuvent rejaillir, pendant un temps, sur l'estime portée à leurs compatriotes.Le sport perm<strong>et</strong> aux sportifs de différentes cultures de se rencontrer <strong>et</strong> de s'apprécier. Ils peuventdécouvrir que des personnes appartenant à d'autres cultures que la leur, sont non seulementbrillantes au plan de la réussite sportive, mais peuvent faire preuve aussi d'un fair-play remarquable.Il en est de même pour les spectateurs <strong>et</strong> le grand public. L'information sportive aurait d'ailleurs unrôle à jouer pour orienter les spectateurs <strong>et</strong> les sportifs vers la valorisation du sportif d'origineétrangère.69


Chapitre 6 : La justice sociale dans <strong>et</strong> par le sportNous avons parlé de l'aspect social du sport <strong>et</strong> de la nécessité de la justice dansle sport.Au début du développement contemporain du sport, on peut noter que le sportapparaissait comme exemplaire. Les autres secteurs, le secteur économique, le secteurprofessionnel étaient invités à se conformer à l'image flatteuse que le sport donnaitde lui-même <strong>et</strong> que la plupart des gens percevait ainsi. On rapprochait ce qui se vivait dans le stade<strong>et</strong> ce qui devrait se vivre dans l'entreprise. Puisque dans le sport, on sait faire preuve de respect,de fair-play, de passion, de persévérance, de fidélité, on est invité à faire de même dans le mondeprofessionnel, où il s'agit de respecter les patrons, les cadres, comme les sportifs respectent lesarbitres <strong>et</strong> les dirigeants de clubs. On admire le dévouement au club <strong>et</strong> on en fait le modèle du comportement,du dévouement par rapport à l'entreprise.Aujourd'hui, c'est le monde sportif, ce sont les associations sportives qui sont appelés <strong>et</strong> contraintslégalement <strong>et</strong> judiciairement à respecter au minimum les règles sociales en vigueur dans le mondeéconomique, dans le monde des entreprises. Il faut des contrats de travail, il faut uneprotection sociale, il faut réguler les transferts; le sportif n'est pas une marchandise, n'est pas unemachine à performance. Le sportif a des droits, même vis-à-vis des instances sportives, qui sontcertes concurrentes, mais adoptent aussi des attitudes corporatistes. Quand on touche à l'une, lesautres font front avec elle.Ceci est une évolution importante. Le monde du sport, jadis exemplaire, doit se modeler sur ce qu'ily a de plus juste <strong>et</strong> humain dans le monde économique. On peut penser que d'autres secteurs,traditionnellement moins soucieux de la législation sociale, devront s'aligner. Il fut un temps où lesorganismes religieux étaient considérés ou se considéraient comme exemplaires: on imaginait qu'onse rapprocherait d'un idéal, si tous les secteurs sociaux pouvaient imiter les qualités supposées dumonde religieux. Aujourd'hui on attend des églises <strong>et</strong> des religions qu'elles reconnaissent les droitsde chacun <strong>et</strong> qu'elles respectent les règles communément admises en matière sociale.Certes le sport a une spécificité: la recherche de performance, le dépassement de soi. Mais unespécificité n'annule pas les <strong>valeurs</strong> communes <strong>et</strong> les règles sociales <strong>et</strong> morales qui les expriment. Ily a un problème d'articulation: comment conjuguer les <strong>valeurs</strong> communes <strong>et</strong> les <strong>valeurs</strong> spécifiques.C'est le rôle de la sagesse pratique d'y pourvoir, comme nous l’avons dit plus haut. Mais la sagessepratique ne nie aucune des <strong>valeurs</strong>; les <strong>valeurs</strong> communes ont même une priorité par rapport aux<strong>valeurs</strong> spécifiques. On ne réalise pas des performances en m<strong>et</strong>tant sa santé ou celle des autres endanger. On ne poursuit pas de performance sportive en ignorant le problème du dopage qui est unemenace pour la santé, en même temps que tricherie. On ne réalise pas de performance en faisant fides règles de justice <strong>et</strong> notamment de justice sociale en vigueur dans la société.Dans le domaine du sport, la justice sociale n'est pas développée de la même manière que dans ledomaine du travail. Mais la législation <strong>et</strong> la déontologie, les codes d'éthique du sport, ne peuventpas perm<strong>et</strong>tre que le sport prenne du r<strong>et</strong>ard sur l'évolution de la législation sociale dans les secteursconnexes.Nous avons parlé des accidents de travail. Si des accidents sportifs surviennent, les organisationssportives ont ou devraient avoir le même genre d'obligation sociale vis-à-vis du sportif blessé.Comment? Par un système d'assurances. Les profits sportifs sont considérables. On dépense de l'argent,des sommes immenses, pour un transfert. La couverture sociale ne doit pas souffrir de cesdépenses.71


La sécurité sociale pour les sportifs malades, vieillissants, doit être pensée <strong>et</strong> appliquée. Un sportifde haut niveau ne se maintient pas très longtemps. Il gagne beaucoup d'argent pendant un tempsdéterminé. Après, plus rien ou beaucoup moins. Un joueur est une personne, un professionnel (pasun travailleur, mais un professionnel) qui doit être protégé.La question des transferts sera étudiée plus systématiquement dans la dernière partie de ce rapport.Elle illustre la rencontre des exigences communes <strong>et</strong> des exigences spécifiques dans le sport.C'est donc à la sagesse pratique à intervenir. Mais la sagesse pratique ne travaille pas à l'articulationdes deux pôles, en niant, sacrifiant l'un de ceux-ci.Parler de justice sociale n'est pas simple au plan économique. Le néolibéralisme dans le sens deA. von Hayek, auteur d'une œuvre qui est devenue un classique de la philosophie socialecontemporaine, considère la justice sociale comme une illusion. Il est plus difficile encore deparler de justice <strong>et</strong> de justice sociale, d'équité <strong>et</strong> de droit des moins brillants dans le domaine dusport. Le sport valorise le succès, la victoire, la réussite personnelle <strong>et</strong> sociale; il est leçond'espérance. Tout ceci mérite d'être valorisé. Mais il y a tromperie <strong>et</strong> dérèglement si c<strong>et</strong>te réussiteest fondée d'une part sur le dopage <strong>et</strong> les risques pour la santé <strong>et</strong> l'esprit sportif, <strong>et</strong> si elle estfondée d'autre part sur l'injustice, l'exploitation, l'aliénation des professionnels du sport ou d'unepartie de ceux-ci.Un autre aspect de la justice, c'est évidemment celui de la correction, de la transparence; une desplaies du sport, c'est la corruption, ce sont les affaires de tentatives d'échapper à l'impôt, lapratique des caisses noires. Nous en parlerons plus loin.72


4 E PARTIE:L’éthique du sport <strong>et</strong> les <strong>valeurs</strong> spécifiques du sportLe sport peut réaliser un certain nombre de <strong>valeurs</strong> humaines, éthiques, qui sontcommunes au sport <strong>et</strong> à bien d'autres secteurs. C'est ce que nous avons appeléles <strong>valeurs</strong> communes. Ces <strong>valeurs</strong> représentent aussi des obligations.Le sport est aussi le lieu où se vivent un certain nombre de <strong>valeurs</strong> spécifiques,qui sont caractéristiques du sport. Il ne s'agit pas ici de revendiquer ces <strong>valeurs</strong> comm<strong>et</strong>ellement propres au sport, qu'on en vient à les considérer comme un monopole du sport, commeappartenant exclusivement au sport. Comme si ces <strong>valeurs</strong> ne se rencontraient que dans le sport<strong>et</strong> nulle part ailleurs. Il ne s'agit pas non plus de les considérer comme des <strong>valeurs</strong> tellement liéesau sport qu'on doive en venir à les désigner comme des <strong>valeurs</strong> sportives. Ces <strong>valeurs</strong> spécifiques,que nous voudrions éviter de nommer des <strong>valeurs</strong> sportives, sont des <strong>valeurs</strong> humaines, des <strong>valeurs</strong>éthiques, mais d'un type particulier.Ce sont des <strong>valeurs</strong> que tous doivent reconnaître comme <strong>valeurs</strong>. Mais elles ne constituent pasd'obligations. Ces <strong>valeurs</strong> sont poursuivies par ceux qui le choisissent, qui le décident, quidécident de les choisir. On peut être pleinement homme sans m<strong>et</strong>tre en œuvre ce genre de <strong>valeurs</strong>.Elles sont libres d'une façon très caractéristique, particulière. Ce sont des possibilités, non desobligations. A la différence des <strong>valeurs</strong> communes.Ces <strong>valeurs</strong> sont caractéristiques du sport, mais souvent on les r<strong>et</strong>rouve dans d'autres secteurs del'existence, marqués aussi par quelque chose de l'ordre de l'exception. Ce sont des <strong>valeurs</strong> qu'onr<strong>et</strong>rouve dans le domaine de la spiritualité, que celle-ci soit religieuse ou non. Pour autant, nousne parlerons pas plus de <strong>valeurs</strong> spirituelles que de <strong>valeurs</strong> sportives. Ce sont des <strong>valeurs</strong> humainescaractérisées par l'exception, le surplus, le plus, le meilleur, le comparatif.Ces <strong>valeurs</strong> spécifiques sont au nombre de deux; il s'agit de la recherche de performance <strong>et</strong>de la recherche du dépassement de soi. Ces deux <strong>valeurs</strong> ont une valeur symbolique. Elless'accompagnent aussi de <strong>valeurs</strong> spécifiques dérivées.Introduction73


Chapitre 1 : La performance sportive, le dépassementde soi, la valeur symboliqueTrois réalités humaines, trois dimensions du sport, liées les unes aux autres <strong>et</strong>vécues dans la liberté.1. La recherche de la performance sportiveLa pratique du sport est caractérisée par la recherche de la performance sportive. Celle-ci est-elleinhérente au sport? On la r<strong>et</strong>rouve particulièrement dans le sport de haut niveau. Le sport decompétition est souvent aussi un sport de performance. Parallèlement, symétriquement, le sportde performance est souvent aussi sport de compétition. Et pourtant, il peut exister des formes depratique sportive où la recherche de performance sportive est fort atténuée, réduite à un minimum.C'est ce que l'on appelle le "sport pour tous", qui est vraiment du sport selon nous, mais qui estune activité sportive d'un type différent de celui du sport de performance.La recherche de performance sportive peut se définir comme la recherche d'un résultat, qui n'estpas seulement bon, mais meilleur. C<strong>et</strong>te recherche de performance sera souvent exprimée par laforme grammaticale du comparatif, de l'adjectif comparatif ou de l'adverbe comparatif: Melior -melius, citior - citius, fortior - fortius. Il s'agit d'être meilleur, plus rapide, plus fort. On reconnaîtles trois adverbes prônés par Pierre de Coubertin.Le suj<strong>et</strong> n'a pas d'obligation morale à être meilleur, à être meilleur que les autres, ou à devenirmeilleur que ce qu'il a réussi à être actuellement. Il n'y a pas d'obligation morale, mais c'est unepossibilité éthique, c'est une valeur. Une valeur qu'il faut reconnaître, que tous doivent reconnaîtrecomme possibilité. Mais c'est une valeur que la personne humaine n'a pas l'obligation éthique,morale de poursuivre <strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre en œuvre.Mais dans notre culture, il y a une forte pression psychologique <strong>et</strong> sociale à devenir toujours plushumain, plus fort, plus brillant, plus productif, meilleur que les autres, ou plus fondamentalementque soi-même au temps présent ou passé.Au plan économique, il ne suffit pas d'être bon; il faut être meilleur, toujours davantage. Au planpolitique aussi, dès lors que l'on dépend du choix des électeurs, on préfère les meilleurs, les plusbrillants.Nous sommes inscrits dans une culture de la réussite, de la performance. Un auteur comme AlainEhrenberg a montré de façon très convaincante dans ses publications que la recherche de laréussite <strong>et</strong> de la performance se r<strong>et</strong>rouve aussi bien dans le sport que dans la vie sociale. Ces<strong>valeurs</strong> sont caractéristiques de la modernité.Une culture de la performance r<strong>et</strong>rouve son image dans le sport, dans la recherche deperformance sportive. Les sportifs, par choix, par libre choix, recherchent la performance. Ils sontéventuellement bons dès le point de départ, mais s'attachent à devenir meilleurs. Ils cherchent àdevenir meilleurs que ce qu'ils sont déjà, à devenir meilleurs que d'autres.C<strong>et</strong>te recherche de performance n'est pas comprise comme une valeur humaine par tous. Certainssont méfiants vis-à-vis d'elle, regr<strong>et</strong>tent c<strong>et</strong>te course à la performance économique ou sportive.D'autres la refusent comme indigne de l'homme, comme contraire à la dignité singulière de chaqueêtre humain.75


Il me semble cependant depuis longtemps, depuis plus de trente ans d'enseignement, quel'éthique, si elle veut intervenir dans le domaine du sport, doit commencer par reconnaître la valeuréthique <strong>et</strong> humaine de la recherche de performance sportive. En même temps, l'éthique doitcomprendre <strong>et</strong> exprimer les conditions éthiques qui doivent être remplies pour que la recherche deperformance soit vraiment humaine, authentiquement humaine. Il importe aussi d'indiquer à la foisdes <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> des <strong>normes</strong>, des règles qui doivent être respectées.Dans la même logique, l'éthique sera appelée à valoriser la performance économique, sociale,politique. La recherche de la réussite sociale, l'ambition comme on dit souvent, sans doute à tort,sont de bonnes choses pour l'homme <strong>et</strong> la société. Et, en même temps, l'éthique doit indiquer làaussi les conditions éthiques qui doivent être respectées, les <strong>valeurs</strong> à reconnaître <strong>et</strong> les <strong>normes</strong>à établir <strong>et</strong> à respecter. La réussite, oui, mais pas à n'importe quelle condition. Comme il estjustifié de dire oui au marché, à la concurrence économique, au profit, mais en même temps il fautdire la nécessité d'une régulation éthique <strong>et</strong> sociale de ces réalités.Dans la cinquième <strong>et</strong> dernière partie de notre rapport, nous verrons combien ces aspects positifsqui font la beauté du sport, s'accompagnent de graves problèmes au plan éthique. La recherche dela performance sportive est à la fois quelque chose de beau <strong>et</strong> de bon, <strong>et</strong> en même temps uneréalité problématique. Il faut considérer ensemble les deux aspects, le positif <strong>et</strong> le problématique,comme nous le dirons au début de la cinquième partie.Socialement, culturellement, la recherche d'un comparatif n'est pas ou plus acceptée dans tous lessecteurs. On n'accepte plus, en Occident, aujourd'hui que, dans le domaine religieux, quihistoriquement a été fortement marqué par le comparatif, chaque religion s'affirme commesupérieure, propose à ses fidèles des chemins qui ont des <strong>valeurs</strong> comparatives différentes,certains choix <strong>et</strong> comportements étant considérés comme supérieurs à d'autres. Dans ce domaine,on situe la grandeur <strong>et</strong> la beauté plutôt dans l'égalité, la reconnaissance mutuelle.Par contre, dans le domaine économique, la recherche de la performance fait partie de l'ordre mêmede la société libérale. C<strong>et</strong>te recherche de la performance n'est pas présentée comme uneobligation, ni comme un devoir moral absolu. Elle est laissée à la liberté des personnes. Elle estprésentée par beaucoup comme une valeur humaine. Elle peut devenir une obligation relative: situ veux être r<strong>et</strong>enu par notre entreprise, tu dois être le meilleur. Si tu veux notre clientèle, lesproduits <strong>et</strong> donc le service devront être les meilleurs.C<strong>et</strong>te recherche de la performance se r<strong>et</strong>rouve au niveau du jeu, au niveau du sport. Laperformance sportive n'est pas une obligation morale. Mais elle est une valeur, elle est fortappréciée par les personnes. Par les institutions <strong>et</strong> les associations aussi. Les clubs, les meilleursd'entre eux, ne vont r<strong>et</strong>enir ou attirer que les meilleurs joueurs, les plus doués, les plusvolontaires, les plus fair-play. Les spectateurs, les jeunes, les plus âgés s'identifient aux meilleurs.2. Le dépassement de soiLa recherche de la performance est aussi liée au dépassement de soi. Le sport de performance, quiest souvent <strong>et</strong> logiquement sport de compétition, est de ce fait aussi recherche, volonté, effort,désir de dépasser ou d'égaler les autres, les meilleurs d'entre eux. Mais le sport de performanceest aussi dépassement de soi, une manière de chercher à la fois à rester soi-même, maisen même temps à être meilleur que ce que l'on est déjà parvenu à être. Le sport, qui est unepratique extrêmement relationnelle comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, est habité76


par un mouvement par rapport à soi, qui est orienté dans la ligne du dépassement, du comparatif.Recherche de performance <strong>et</strong> dépassement de soi demandent à être considérés ensemble. Laperformance est comme la matérialisation du dépassement de soi.Le dépassement de soi n'est une valeur humaine que si c<strong>et</strong>te recherche est habitée en mêm<strong>et</strong>emps par le sens du réalisme, de l'acceptation de soi. Pour être humain, le dépassement de soidoit s'accompagner d'une forme de vérité <strong>et</strong> même d'humilité.Le dépassement de soi n'est pas une forme d'orgueil, de vanité. Le mouvement qui consiste àchercher à se dépasser soi-même est inscrit dans l'être de l'homme. On peut considérer c<strong>et</strong>terecherche de dépassement de soi comme un mouvement humain positif <strong>et</strong> au plan éthique <strong>et</strong> auplan spirituel.Des conditions éthiques doivent être réalisées, pour que le dépassement de soi reste un cheminhumain <strong>et</strong> humanisant. Le dépassement de soi, comme la recherche de performance, peut devenirune entreprise qui contredit la dignité de la personne humaine; c<strong>et</strong>te manière d'être peut connaîtredes dérèglements, des dérives, des perversions. Il faudra y revenir dans le cadre de c<strong>et</strong>te étude. Cequi est positif, ce qui peut être positif, peut aussi être vécu de manière négative.La recherche du dépassement de soi est un mouvement où le suj<strong>et</strong> est confronté à lui-même.C'est une affaire entre le suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> lui-même. Pourtant l'altérité est présente dans c<strong>et</strong>te recherchede dépassement de soi. C'est en présence des autres que le suj<strong>et</strong> recherche la performance<strong>et</strong> le dépassement de soi. C'est en présence des autres, mais c'est aussi, en second lieu, parrapport aux autres, que le suj<strong>et</strong> vit le dépassement de soi. On r<strong>et</strong>rouve ici la structurecompétitive de la performance <strong>et</strong> de la recherche de dépassement de soi. En troisième lieu,l'altérité est présente, car le dépassement de soi, tout en étant l'œuvre du suj<strong>et</strong>, est aussil'œuvre de bien d'autres personnes <strong>et</strong> instances; il suppose la collaboration de plusieurspersonnes <strong>et</strong> organisations, il suppose l'intervention d'un entraîneur dont le rôle est de conduirele sportif à un maximum, à la performance, au dépassement de soi. Ceci est une valeurcaractéristique du sport moderne, mais ce n'est pas un monopole. On r<strong>et</strong>rouve des attitudes de cegenre dans d'autres secteurs d'activité, dans la culture, dans le monde de la recherche scientifique,dans le domaine spirituel ou religieux également.3. La valeur symbolique de la performance <strong>et</strong> du dépassement de soiLe dépassement de soi <strong>et</strong> la performance ont une valeur symbolique. L'éthique du sportreconnaît c<strong>et</strong>te valeur symbolique concrétisée dans une performance. Elle attribue c<strong>et</strong>temême valeur symbolique à la performance sportive. Performance <strong>et</strong> dépassement de soisont intimement liés. Ils représentent deux aspects d'une même réalité. Ils ont l'un <strong>et</strong>l'autre c<strong>et</strong>te valeur symbolique, non pas par eux-mêmes, mais parce qu'ils sont liés chacunà l'autre. Dans notre développement, nous avons parlé d'abord de la performance, puisdu dépassement de soi. En réalité, il faut considérer les deux réalités ensemble, dans lelien qui les unit. Ce qui a valeur symbolique dans la performance, ce n'est pas la matérialitédu résultat ; c'est en raison du dépassement de soi qui la rend possible. Ce qui a <strong>valeurs</strong>ymbolique dans le dépassement de soi, ce n'est pas l'attitude du suj<strong>et</strong> par rapport àlui-même, c'est le fait que c<strong>et</strong>te attitude intérieure conduit à un résultat extérieur,perceptible, offert au regard <strong>et</strong> à l'admiration. Ainsi liée au dépassement de soi, laperformance sportive a une valeur symbolique. En quel sens ? En ce sens qu'elle comporte77


un message, qu'elle contient une leçon d'espérance.Emmanuel Levinas évoque souvent le visage de l'homme. Le visage souffrant, le visage danssa nudité, est un cri, un appel, un signe qui signifie <strong>et</strong> demande quelque chose, uncommandement qui oblige celui qui le perçoit, une interpellation qui s'adresse à l'autre <strong>et</strong>fait appel à sa responsabilité. Une parole peut venir doubler <strong>et</strong> expliciter c<strong>et</strong> appel duvisage souffrant. Mais, même sans parole, le visage souffrant d'une personne, d'un enfant,est déjà un appel à l'autre, une interpellation de sa responsabilité.De même, le geste sportif, dans sa beauté, la belle performance sportive, le dépassementde soi, comportent un message, une leçon d'espérance. Ils contribuent à faire reconnaîtreque l'être humain est ou peut être une réalité belle, merveilleuse, digne d'admiration,chargée de sens. L'existence dans sa quotidienn<strong>et</strong>é est belle, peut être belle. Mais ellecomporte aussi une part de grisaille, de monotonie, d'ennui qui peut certes être transfigurée<strong>et</strong> sublimée, mais dont on cherche aussi à se dégager, à s'évader, qu'on cherche sinonà fuir, du moins à dépasser. Telle peut être la signification de l'art, de la peinture, de lamusique. Telle peut aussi être la nature du sport. Par contre, alcool ou drogue seraientune fuite, non un dépassement.L'exemple du sport pour handicapés est ici éclairant. La performance réalisée par le sportifhandicapé, sa manière adaptée de vivre le dépassement de soi, c'est une leçon d'espérance,pour le sportif lui-même, pour ses proches, sa famille, son entourage, <strong>et</strong> plus largement pourla société qui au départ tient le handicapé à distance.La performance du champion est chargée de valeur symbolique. Beaucoup s'identifient à lui.Sa performance, sa réussite sont une manière de dire au grand nombre <strong>et</strong> de faire comprendrepar beaucoup que l'existence humaine est quelque chose de beau, qui vaut la peine d'être vécu.La performance du commençant, elle aussi, de manière toute relative certes, est pourlui <strong>et</strong> ses proches, une parole, un signe d'encouragement. C'est déjà une promesse, plusseulement une simple possibilité, ce n'est pas encore tout à fait une espérance.La valeur symbolique du sport est aussi significative que sa dimension physique ouludique, ou encore que sa réalité sociale, ou que sa dimension de liberté. C'est une valeur,mais elle est délicate, elle peut être pervertie. Par l'argent, par le cynisme, l'exploitation.Néanmoins les abus possibles ne doivent pas faire douter de la réalité de la valeur, commepossibilité.La valeur symbolique de la performance <strong>et</strong> du dépassement de soi est une possibilité pour lesuj<strong>et</strong> ; elle n'est pas donnée automatiquement par la pratique du sport ou par l'obtention d'unrésultat. Plusieurs conditions doivent être respectées. Elle est l'œuvre du suj<strong>et</strong>, comme lefair-play. Mais c<strong>et</strong>te œuvre est à encourager de l'extérieur, par les autres, par les associationssportives, par la société en général. Elle doit être encouragée par des interventions <strong>et</strong> desaides concrètes. Elle doit aussi parfois être encouragée par la parole qui dit le sens, par l<strong>et</strong>exte. Les Codes sportifs, la Charte européenne du sport doivent pouvoir exprimer lasignification du sport <strong>et</strong> sa valeur symbolique. Pratiquer le sport est bon; parler du sportaussi est bon <strong>et</strong> nécessaire, lorsque c<strong>et</strong>te parole dit ce qui a du sens pour l'homme dans lesport, lorsqu'elle aide à distinguer le sens <strong>et</strong> ses dérives, la richesse <strong>et</strong> ses déformations, lavaleur <strong>et</strong> ses dérèglements.78


4. La libertéLa recherche de performance est une pratique de liberté. Elle n'est pas une obligation. Un suj<strong>et</strong> nepeut pas être contraint à la réaliser. Le suj<strong>et</strong> se détermine lui-même. La recherche deperformance n'est une valeur pour l'homme que si elle est le fait de la liberté du suj<strong>et</strong>. Contrainteou séduction n'ont pas leur place ici.De même, le dépassement de soi conduisant à c<strong>et</strong>te performance, est liberté <strong>et</strong> non obligationmorale ou sociale. La valeur symbolique du sport n'est porteuse de sens que si elle émane de laliberté d'un suj<strong>et</strong>. Les <strong>valeurs</strong> spécifiques au sport sont totalement marquées par c<strong>et</strong>te liberté,nous la r<strong>et</strong>rouvons dans chacun des cinq chapitres de c<strong>et</strong>te quatrième partie.79


Chapitre 2 : Le spectacle sportifLe spectacle sportif est une dimension intégrante, essentielle, non accessoire,du sport de performance <strong>et</strong> de compétition. Il représente une valeur pourl'homme, une valeur humaine, une valeur éthique, en ce sens qu'à travers lui l'êtrehumain peut grandir en humanité. Le spectacle sportif est une valeur, parce que la performance<strong>et</strong> le dépassement ont une valeur symbolique. Celui qui regarde le spectacle sportif <strong>et</strong>qui perçoit le message <strong>et</strong> la leçon d'espérance de la performance, peut grandir en humanité. C'estle cas aussi bien sûr pour les sportifs qui, par leur pratique sportive <strong>et</strong> leur performance, peuventgrandir eux-mêmes en humanité <strong>et</strong> aider d'autres, les spectateurs, les témoins, à grandir eux aussien humanité.La réalité sportive est d'abord une pratique sportive, la pratique des suj<strong>et</strong>s, des athlètes, dessportifs. Mais c<strong>et</strong>te pratique des suj<strong>et</strong>s est inséparable de l'altérité. La performance est celle d'unsuj<strong>et</strong>, mais l'altérité y est très présente: elle se déroule sous le regard des autres, face aux autres,grâce aussi aux autres (organisateurs, équipiers, entraîneurs).Le dépassement de soi dans le domaine du sport, la performance sportive <strong>et</strong> leur <strong>valeurs</strong>ymbolique sont vécus sous le regard de l'autre; on peut même dire qu'ils sont vécus en grandepartie pour être vus, admirés, respectés, célébrés par des spectateurs. La présence du spectateurn'est pas quelque chose de secondaire dans l'événement sportif. C'est autre chose que la pratiquedu sport. Mais la présence du spectateur, son déplacement vers le lieu de l'événement sportif, saparticipation font partie intégrante de la réalité sportive.Le sport est une réalité qui se vit entre le suj<strong>et</strong> sportif <strong>et</strong> lui-même; le dépassement de soi dontnous avons parlé dans le chapitre précédent, c'est un mouvement, un processus qui se joue entrele sportif <strong>et</strong> lui-même. Mais la performance, liée au dépassement de soi, s'offre aussi comme unspectacle. Il est tourné vers les autres, vers les spectateurs. C<strong>et</strong>te dimension de spectacle qui doitêtre considérée comme un aspect intégrant de la réalité <strong>et</strong> de la pratique du sport, peut <strong>et</strong> doitêtre appréciée comme une valeur par l'éthique du sport. Elle est un bien pour l'homme, elle est unbien grâce auquel l'homme devient plus humain, grâce auquel le sportif comme le spectateurpeuvent grandir en humanité. Elle est un bien éthique d'un type particulier. Elle n'est pas unevaleur qui s'impose universellement, elle n'est pas une obligation. Elle est une valeur spécifique,comme nous avons nommé ce type de <strong>valeurs</strong>.C<strong>et</strong>te valeur du spectacle peut être pervertie; souvent, elle est de fait dénaturée par l'argent, lacorruption, le dopage, la violence. Mais ces dérives ne suppriment pas les raisons de la considérercomme une réalité qui peut être positive.Le spectacle sportif s'offre de plusieurs façons au spectateur. Il peut impliquer la présencematérielle, physique de ce dernier, son déplacement vers le lieu du spectacle, sa participation surplace. Le spectacle sportif s'offre également, hors la présence effective du spectateur, grâce à lamédiation de la télévision ou des autres médias. Même médiatisé par l'image télévisée, lespectacle sportif demeure un élément important de l'événement sportif. Même dans ces conditions,il peut être regardé comme une valeur positive même au plan éthique. C<strong>et</strong>te participation par lamédiation de l'image électronique peut contribuer à faire grandir le spectateur <strong>et</strong> le sportif enhumanité, parce qu'elle peut être une manière d'entendre le message que comporte l'événementsportif <strong>et</strong> de percevoir sa dimension symbolique. Le spectacle sportif se poursuit, se prolonge,81


s'approfondit à travers les commentaires écrits ou parlés que lui consacrent la presse ou laradiotélévision. Ces commentaires peuvent être profonds; ils peuvent aussi être superficiels. Ilspeuvent contribuer à mieux discerner la dimension éthique de l'événement sportif; ils peuventaussi être très fermés à c<strong>et</strong>te dimension du sport. Ceci montre qu'il est important, du point de vueéthique, que la r<strong>et</strong>ransmission des événements sportifs <strong>et</strong> les commentaires qui les accompagnentpuissent s'orienter davantage dans le sens d'un sain pluralisme. On ne peut que regr<strong>et</strong>ter lescontrats qui confèrent l'exclusivité des reportages à certaines chaînes de télévision. C<strong>et</strong>te pratique,qui fait grimper le montant des droits de r<strong>et</strong>ransmission, est un indice qu'on ne comprend pas lanature <strong>et</strong> l'importance de la dimension symbolique du sport, qu'on considère celle-ci comme unélément secondaire, accessoire, peu important, qu'on considère le spectacle sportif comme unemarchandise qui se vend au prix du marché. C<strong>et</strong>te pratique contredit la véritable nature duspectacle sportif. Elle ne va pas dans le sens indiqué par l'éthique du sport.L’évenement sportif est une réalité complexe, il est spectacle ou reportage sur les phases de jeusous leur aspect technique; mais il est aussi évaluation d'une réalité humaine. Le fair-play d'unjoueur ou d'une équipe, sa volonté de vaincre, son courage, l'entente entre sportifs, l'espritd'équipe, la possibilité d'être à la fois créatif personnellement <strong>et</strong> d'avoir le sens de l'équipe, toutcela est obj<strong>et</strong> du spectacle, obj<strong>et</strong> de commentaire, d'interprétation. Tout comme l'absence defair-play, la violence, l'agressivité, le manque de respect de l'adversaire, le manque d'entente entrecoéquipiers. L'exclusivité ou le monopole des r<strong>et</strong>ransmissions télévisées <strong>et</strong> des commentaires quiaccompagnent ou pas, l’évenement sportif ne favorise pas l'expression juste de la dimensionéthique du sport. La perception de celle-ci ne peut être que plurielle. Le même événementsportif, la même performance seront perçus <strong>et</strong> commentés de manières différentes par lesdifférents témoins, non seulement en ce qui concerne l'aspect technique de la prestation, maisdavantage encore sous l'angle humain <strong>et</strong> éthique. Si la dimension éthique est essentielle dans laréalité sportive, comme l'ont souligné si vigoureusement, depuis une dizaine d'années surtout,plusieurs documents du Conseil de l'Europe, l'exclusivité des r<strong>et</strong>ransmissions télévisées quiempêche le pluralisme des évaluations éthiques de l'événement sportif, va à contre-courant de lavraie nature du sport.82


Chapitre 3 : La passion pour le sportIl est bon pour l'être humain de se passionner pour quelque chose ou pour quelqu'un.Il n'y a pas de vie humaine achevée si elle n'est pas habitée par une passion.La passion donne un sens à l'existence. Celle-ci est faite de beaucoup dechoses qui n'ont pas toutes la même valeur, la même richesse humaine, la mêmesignification, la même densité. La passion ne nie pas la pluralité des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> dessignifications, mais elle donne une unité à l'existence humaine, elle établit dans l'existenceun centre qui rayonne sur tout le reste. La passion est comme un enchantement qui transfigur<strong>et</strong>out ce qui la concerne.Une passion n'est humaine, que si elle est vécue de façon libre <strong>et</strong> raisonnable, dans l'intelligence<strong>et</strong> la sagesse. On ne se passionne pas pour une cause, pour une personne, pour une activité den'importe quelle manière. Il convient de distinguer l'attitude passionnée <strong>et</strong> l'attitudepassionnelle. Je puis, comme personne humaine, être passionné de justice <strong>et</strong> de vérité, debeauté. Je me consacre à cela de tout mon être.L'attitude passionnelle est l'équivalent du fanatisme, de la folie. Elle est une attitude qui nereconnaît ni la raison, ni la liberté. L'attitude passionnelle est destructive de l'être humain. Elleest contre-valeur. L'attitude passionnée, dont nous parlons ici, donne une valeur à l'existence dusuj<strong>et</strong> <strong>et</strong> de la collectivité. Elle n'est pas une obligation. Mais une valeur.L'obj<strong>et</strong> de la passion doit, pour que celle-ci soit humaine, être bon; mais il doit être vécu parl'homme passionné dans la liberté <strong>et</strong> la raison.Le jeune, le jeune sportif, l'enfant ne doit pas être incité à la passion pour le sport, ou pour unsport. Il importe que l'enfant demeure ouvert à la pluralité des <strong>valeurs</strong>. Se concentrer sur une deces <strong>valeurs</strong>, suppose raison, liberté <strong>et</strong> maturité. L'enfant, le jeune peut être encouragé à êtreouvert au sport, mais non à se passionner de façon exclusive pour le sport ou en pratique pour telsport. La famille, le club sportif, l'école, ne doivent pas encourager l'enfant à s'engager de façonpassionnée pour le sport, ils doivent plutôt le prémunir contre la passion.La passion pour le sport, c'est le désir de donner une unité, un centre à son existence. Le centrene nie pas les autres <strong>valeurs</strong>, mais il les rattache toutes au centre qui les éclaire toutes <strong>et</strong>chacune.La personne ne vit pas nécessairement d'une seule passion. Elle peut vivre, à des plans différents,plusieurs passions en même temps. Dans l'œuvre écrite des grands auteurs, on a souvent tort d'êtreà la recherche d'un centre unique qui condense <strong>et</strong> cristallise tous les autres aspects. Une grandeœuvre comporte souvent plusieurs centres, plusieurs axes. De même, dans une existence humaineriche, il ne faut pas chercher à ramener tout à un seul choix, à une seule option. Une existenceachevée n'est pas une existence morcelée, mais si on entend le récit de ceux qui la vivent, on peutpercevoir plusieurs intérêts, plusieurs passions, qui ne se contredisent pas, mais qui s'unissent <strong>et</strong>s'enrichissent mutuellement.Vivre la passion pour le sport de façon humaine, de façon éthique, suppose, outre qu'elle soit vécuedans la raison <strong>et</strong> la liberté, que le suj<strong>et</strong> demeure ouvert à l'ensemble des <strong>valeurs</strong>.Le suj<strong>et</strong> qui se passionne pour le sport, ne peut pas considérer tout le reste comme si ce n'étaitque des moyens pour réaliser sa passion. En vivant une passion, le suj<strong>et</strong> demeurera ouvert àl'ensemble des <strong>valeurs</strong> humaines, à toutes les autres richesses de l'existence. Il voudra rester ouvertaux différentes formes de relations sociales. Il ne peut sacrifier au sport les <strong>valeurs</strong> familiales, la83


éalité familiale. Il ne peut se désintéresser des grandes questions qui se posent au plan politiqueou social, sous le prétexte que ce qui compte pour lui c'est le sport seul. La passion pour le sportne doit pas conduire à se désintéresser des <strong>valeurs</strong> culturelles ou spirituelles.Les conditions éthiques que nous avons indiquées pour que l'on puisse dire que la passion soitvécue de manière humaine, se r<strong>et</strong>rouvent dans le domaine du sport, mais aussi dans les autresdomaines les plus importants de l'existence humaine: celui du travail, de la science, de l'art, de lajustice, mais aussi celui de la foi, de la religion, de la spiritualité.84


Chapitre 4 : Le risque dans le sportL'existence humaine comporte inévitablement une part de risque. Rien d'importantne se fait au plan personnel ou au plan social, si le suj<strong>et</strong> ou la collectivité neprennent certains risques.Il faut distinguer les risques disproportionnés, démesurés, déraisonnables,irresponsables d'une part <strong>et</strong> les risques mesurés, proportionnés, responsables <strong>et</strong>raisonnables d'autre part. S'engager dans une escalade en montagne sans prendre les précautionsnécessaires, sans s'informer des conditions météorologiques, sans se donner l'expérience <strong>et</strong> les moyenstechniques indispensables, est une faute morale grave. Elle m<strong>et</strong> en danger sa propre vie <strong>et</strong> celled'autres personnes, les sauv<strong>et</strong>eurs. De même, les sports de mer, la navigation sportive requièrent,comme d'ailleurs la navigation commerciale, des précautions. Des compétences, des informations sontévidemment nécessaires. Il en va de même pour la spéléologie <strong>et</strong> tant d'autres pratiques sportivescomportant des risques réels. Les manquements en ce domaine doivent être sanctionnéspénalement.Mais à côté de ces risques disproportionnés, il y a des risques réels, mais raisonnables, qu'il fautpouvoir assumer. Dans le sport, comme ailleurs. Rien de beau ne se fait au plan sportif, si le suj<strong>et</strong> nepeut pas ou ne veut pas assumer les risques liés à la pratique sportive. Rien de beau ne se fait au planéconomique ou social, si les organisateurs, les entrepreneurs ne sont pas disposés à prendre desrisques. Mais ces risques doivent être pris de manière responsable; ils doivent êtreproportionnels à l'importance de l'enjeu. La prise de risque, pour être vécue de manière humaine, estsoumise à des conditions éthiques.Au plan économique, les risques seront essentiellement financiers. Mais au plan social comme au plansportif, les risques concernent aussi la santé physique <strong>et</strong> mentale.Il n'y a pas de vie humaine achevée, avons-nous dit dans le chapitre précédent, sans que le suj<strong>et</strong> nesoit habité par une passion. De même, il n'y a pas de vie humaine achevée, de vie belle, si le suj<strong>et</strong> apeur ou refuse de prendre des risques réels, mais proportionnels, raisonnables, acceptés par le suj<strong>et</strong><strong>et</strong> la société.Les pratiques de sauv<strong>et</strong>age (pompiers, protection civile, secours aux accidentés) sont à l'honneur del'humanité. Ils s'accompagnent de risques. S'adonner à des services de secours, c'est aussiassumer les risques que cela comporte. La responsabilité parentale ou éducative est quelque chose decomplexe: il faudra nécessairement être prêt à prendre certains risques. Même l'organisation d'uneactivité culturelle, sportive ou autre, s'accompagne toujours d'une dose de risque.La prise de risque est une attitude vécue par le suj<strong>et</strong>. Mais c<strong>et</strong>te prise de risque par le suj<strong>et</strong> ne peutfaire abstraction du consentement, d'une forme de reconnaissance par les autres. Le suj<strong>et</strong> ne peut pasprendre les risques s'il est seul, s'il n'est pas en quelque sorte conforté par le regard, la présence, lejugement, la reconnaissance des autres <strong>et</strong> de la société.Le caractère éthique de la prise de risque est soumis à des conditions éthiques: il faut qu'il y aitproportion entre le risque encouru <strong>et</strong> la valeur au plan humain de l'objectif poursuivi. Il faut aussi quele risque soit assumé par des personnes libres <strong>et</strong> correctement informées.Il n'y a pas d'intervention médicale sérieuse, d'intervention chirurgicale, sans que des risques soientencourus par le médecin <strong>et</strong> le patient. Mais ces risques sont pris légitiment par ceux-ci,lorsqu'ils sont proportionnels à l'enjeu; ces risques sont raisonnables <strong>et</strong> devront être reconnus(Ch. Taylor) comme tels par la société, les tribunaux, les juges, la police; les autres.85


Il faut aussi que la personne s'interdise des pratiques condamnées par la loi ou par la morale. Ledopage est un risque; mais c'est un risque lié à un comportement inacceptable moralement <strong>et</strong>légalement. Le manque de sécurité, le manque de sérieux, ne peuvent être acceptés ni dans le sport,ni ailleurs. Il n'y a pas ici d'exception sportive.Il est légitime <strong>et</strong> nécessaire de se protéger contre les risques, par un système d'assurances. Mais unepersonne ou une société ne peut pas s'assurer contre les suites pénales d'un délit. Par contre, il est souhaitableque le sportif s'assure contre les dommages, les accidents, les dégâts, les blessures qu'il provoquechez lui-même ou chez d'autres, sans faute délibérée de sa part, ou sans négligence coupable.La prise de risque suppose la liberté <strong>et</strong> le jugement de la personne qui prend le risque (ou des groupesqui le prennent). Si quelqu’un n'est pas en mesure d'apprécier le risque, son caractère raisonnable ounon, proportionné ou non, il ne peut pas s'engager dans la voie du risque réel <strong>et</strong> caractérisé. Revientici le problème déjà évoqué à propos de la passion: l'enfant, le jeune ne peut être incité, encouragé,contraint à pratiquer un sport, une activité qui comporte des risques caractérisés. Les parents, lesclubs, les entraîneurs ne peuvent pas se substituer à l'enfant pour prendre des risques réels, sérieux,à sa place. Ceci constitue un problème grave, me semble-t-il, dans le sport contemporain.Il faut distinguer les risques bénins des risques importants, sérieux, graves, qu'ils soientraisonnables ou non, proportionnés ou non. Les risques bénins sont des risques réels, mais minimes.L'éducation doit porter les personnes à assumer ce genre de risques bénins. Il n'est pas possible devivre, si on n'est pas en mesure de le faire, si on n'est pas taillé, éduqué pouraffronter ce type de risques. Mais même ces risques bénins demandent aussi à être vécus demanière prudente, raisonnable, sans méchanc<strong>et</strong>é, sans négligence, vis-à-vis de soi <strong>et</strong> des autres. Iciaussi il est sage de prendre les précautions nécessaires, de recevoir les formations <strong>et</strong> lesinstructions utiles, de prévoir des interventions efficaces, rapides, bien coordonnées en cas de chute,blessure, même relativement légère.Il existe des risques imaginaires; des risques irréels, n'existant que dans l'imaginaire. Certes, tout peutarriver, y compris le pire. Mais ce n'est pas pour autant que l'on parlera de risque. Il n'y a de risque,que là où une conséquence négative est de façon prévisible liée à une attitude, unepratique, au moins un certain nombre de fois. Imaginer que le bâtiment où je travaille pourraits'effondrer, alors que les services de sécurité fonctionnent normalement, ce n'est pas se trouver enprésence d'un risque réel. Si cela arrivait, il s'agirait alors d'un accident imprévisible, non d'un risque.Par contre, rouler en voiture dans une forêt par temps de tempête est un risque réel; on peut êtreamené à l'assumer si on veut porter secours à des personnes en difficulté. Faire une escalade enmontagne, quand il y a risque d'avalanche, ou affronter une mer difficile, on s'expose là à des risquesréels; les prendre se justifie, s'il s'agit de faire une intervention de secours urgente <strong>et</strong> si lesprécautions nécessaires sont prises. Intervenir auprès de populations en situation de détresse dans despays déchirés par la guerre civile, comme le font les membres de certaines O.N.G. dans un buthumanitaire, c'est prendre un risque réel. Ceux qui le prennent font une œuvre bonne <strong>et</strong>témoignent que l'être humain, capable des pires dérèglements, peut aussi accomplir des gestesadmirables. On a vu de ces jours-ci des militaires sud-africains portant en hélicoptère, dans desconditions difficiles, des secours d'urgence aux innombrables victimes des inondationscatastrophiques du Mozambique; ces opérations de secours comportaient des risques réels.Mais qui n'était pas sensible à la beauté, au caractère exemplaire de ces interventions dont lecaractère éthique était évident?86


Chapitre 5 : Le sportif, l’entraîneur sportif,les associations sportives1. La pratique du sport de performance, du sport de compétition, du dépassementde soi est le fait du sportif, des sportifs. Mais c<strong>et</strong>te pratique personnelle dessportifs, des athlètes se fait dans un contexte social. Il faut que la compétition soitorganisée, réglementée, il faut que des infrastructures techniques soient prévues. Cecisuppose des organisations sportives, des clubs sportifs, des fédérations locales, nationales,internationales. C'est ce qu'on appelle ici l'organisation de la pratique sportive.La pratique du sport avec sa dimension symbolique est ouverte au spectacle. Le sport est pratiquépar le sportif, par l'athlète pour un public, pour des spectateurs, présents physiquement dans lestade, ou participant au spectacle par la médiation des r<strong>et</strong>ransmissions radiotélévisées ou de lapresse (spécialisée ou non). Tout ceci aussi suppose organisation, encadrement.Le domaine de l'organisation du sport relève souvent du bénévolat, prend appui sur desassociations libres, volontaires, caractéristiques de la modernité. Le sport occupe aussi des dirigeantsprofessionnels; il occupe du personnel rémunéré.2. La pratique du sport de performance suppose aussi la présence de c<strong>et</strong>te figure typique du sport,qu'est l'entraîneur, le coach.La relation entre le sportif <strong>et</strong> l'entraîneur est une relation caractéristique, spécifique de la réalitésportive, du sport de performance. On r<strong>et</strong>rouve cependant ailleurs que dans le sport des relationsqui ont des traits semblables, qui participent de c<strong>et</strong>te spécificité.La relation entre le sportif <strong>et</strong> l'entraîneur est une relation d'autorité. Mais c'est une relationd'autorité assez caractéristique, différente de bien d'autres formes d'autorité. Il y a des figuresd'autorité, comme dans l'enseignement, où l'enseignant cherche à communiquer un savoir ou descompétences. Il a acquis une compétence, il la communique. Ce qui suppose une formed'autorité, qui est d'abord un service, mais aussi une forme de responsabilité <strong>et</strong> de pouvoir.L'enseignant, par exemple le professeur d'éducation physique, n'a pas comme vocation deconduire les élèves à un maximum. Son but est de conduire chacun selon ses possibilités àacquérir un niveau de compétences <strong>et</strong> de savoir-faire, non de les conduire à des performances, àun maximum, à une supériorité.Par contre, l'entraîneur sportif a, me semble-t-il, comme vocation de conduire l'athlète ou lesportif à son maximum, de le conduire à la performance qui est un plus par rapport à soi <strong>et</strong> parrapport à d'autres, un plus s'exprimant au plan grammatical par la forme comparative. Il a commefonction de conduire, grâce à sa connaissance du sport <strong>et</strong> des personnes, chacun à son maximum,à sa performance la meilleure; s'il s'agit de sports d'équipe, son objectif sera de porter chacun àcoordonner ses efforts, à être à la fois créatif <strong>et</strong> soucieux de l'esprit d'équipe.L'autorité de l'entraîneur sur le sportif ou l'athlète est une forme d'autorité très différente de cellequi s'exerce au niveau de l'enseignement, où l'objectif est plutôt l'équilibre, l'harmonie. Elle estune relation d'autorité, mais très différente de l'autorité politique: celle-ci ne veut pas, n'a pasvocation de conduire les citoyens à la performance, mais d'imposer à chacun le minimumindispensable d'obligations, de fixer à chacun sa forme de participation. La loi de l'impôt estcaractéristique de c<strong>et</strong>te qualité.87


Si l'autorité politique cherche à conditionner les citoyens pour qu'ils orientent toute leurexistence vers la grandeur de leur Etat, de manière à dépasser les autres, on se trouve enprésence d'une forme indue de nationalisme, hormis les cas où le bien de l'Etat serait gravementmenacé.L'entraîneur exerce une forme d'autorité, mais différente aussi de celle que l'on rencontre dansl'entreprise, dans le domaine économique. On trouve dans le monde de l'économie le culte de laperformance. On y célèbre la réussite, la réussite personnelle <strong>et</strong> collective, la réussite professionnelledes personnes comme la performance de l'entreprise. Le travail professionnel, quotidien estde plus en plus marqué par le culte de la performance; la vie des entreprises est polarisée par larecherche de la performance maximale. La culture de l'entreprise est fortement marquée par lesreprésentations <strong>et</strong> les pratiques de la culture sportive. Ceci est-il une évolution heureuse? Nousn'en traiterons pas ici. Il nous suffit de noter que dans le domaine du sport l'entraîneur est unefigure caractéristique qui est au service de la performance, du dépassement de soi <strong>et</strong> de leur <strong>valeurs</strong>ymbolique. Sa fonction peut avoir un caractère éthique, puisqu'il perm<strong>et</strong> de réaliser une prestationsportive qui a une valeur éthique comme nous l'avons montré antérieurement <strong>et</strong> pourvu queles conditions éthiques habituelles soient respectées.La fonction de l'entraîneur consiste à conduire le sportif, l'athlète à la performance, à undépassement, un dépassement de soi qui peut aussi être un dépassement des autres. Le conduireà un maximum, au maximum adapté à ses possibilités. L'entraîneur aide aussi le suj<strong>et</strong> à reconnaîtreà la fois ses limites <strong>et</strong> ses talents, ses possibilités. Un entraîneur qui nierait les limites du suj<strong>et</strong>,de l'athlète ne lui rendrait pas service même au plan sportif. Il n'obtiendrait pas durablement debons résultats; il irait d'accidents en accidents, de problèmes de santé en problèmes de santé. Ilne l'aiderait pas non plus au plan humain, personnel.Ceci est une chose nouvelle dans la culture. On connaît la figure de celui qui accompagne lespersonnes <strong>et</strong> qui les m<strong>et</strong> en garde contre tout ce qui pourrait devenir danger ou menace.L'entraîneur a comme objectif le dépassement de soi. Il veille à ne pas faire courir au sportif desrisques disproportionnés. Il se refuse à conduire le sportif à utiliser des moyens négatifs au planmoral ou légal, contraires à l'éthique commune ou à l'éthique du sport: il refuse le dopage, latricherie, <strong>et</strong> même le surentraînement, l'excès de prestations. Mais tenant compte de ces règles, deces limites, de ces barrières, son objectif est de conduire le sportif, l'athlète à un dépassement desoi, d'abord, c'est-à-dire à une performance, il cherche à lui perm<strong>et</strong>tre d'égaler <strong>et</strong> même dedépasser les meilleurs sportifs, athlètes.C<strong>et</strong>te fonction de l'entraîneur peut être considérée comme quelque chose de positif, pourvu queles conditions éthiques soient respectées. Respecter les règles sportives, les règles éthiques, lefair-play <strong>et</strong> l'ouverture du sportif à l'ensemble des <strong>valeurs</strong> humaines (<strong>valeurs</strong> familiales <strong>et</strong>sociales).3. La relation de l'entraîneur <strong>et</strong> du sportif est une relation d'autorité, de type spécifique. Elle estl'œuvre d'une double liberté, celle de l'entraîneur, celle du sportif. Celui-ci accepte l'entraîneur quiaccepte de l'accompagner <strong>et</strong> de le servir. Il accepte l'entraîneur de l'équipe à laquelle il s'agrègevolontairement, librement. L'entraîneur accepte librement d'entraîner tel sportif, telle équipe danstel club.88


Le respect de c<strong>et</strong>te double liberté est un souci essentiel au niveau de l'éthique du sport. C<strong>et</strong>tedouble liberté doit nécessairement se vivre dans un cadre social, dans le contexte d'uneassociation sportive, qui est d'ailleurs librement acceptée par chacun. Le rôle de l'associationsportive est multiple: elle a une responsabilité au niveau de l'organisation de la compétitionsportive, de la pratique sportive; elle a une responsabilité au niveau de l'infrastructure, del'équipement. Au niveau de l'organisation <strong>et</strong> de l'équipement ou de l'infrastructure, elle a uneresponsabilité du point de vue de la sécurité <strong>et</strong> de la santé des sportifs <strong>et</strong> des spectateurs. Maisune fonction essentielle du club sportif, c'est aussi d'être le garant de la double liberté del'entraîneur <strong>et</strong> du sportif.C<strong>et</strong>te relation de double liberté se r<strong>et</strong>rouve aussi au plan médical, dans la relation entre lemédecin <strong>et</strong> la personne malade. Le médecin a certes un devoir d'assistance à personne en danger.Mais c'est librement qu'il accepte ou refuse d'accompagner un grand malade, un malade en fin devie, un malade psychiatrique, si d'autres peuvent assurer ce travail. Le malade choisit librement lemédecin, le thérapeute auquel il confie sa santé. Il a un devoir, une obligation de se soigner, deveiller à sa santé. En cas de nécessité, il devra prendre l'avis du médecin disponible qui lui aural'obligation en cas de nécessité de répondre affirmativement. Mais pour les cas les plus graves <strong>et</strong>les plus lourds de conséquences, il s'agit d'un contrat, d'une alliance, d'un lien fondé sur unedouble liberté. C<strong>et</strong>te double liberté du médecin <strong>et</strong> de la personne malade doit être vécue,protégée, garantie, par une association, comme l'ordre des médecins.Le club sportif dont les fonctions <strong>et</strong> les responsabilités sont multiples, a comme fonctionessentielle de garantir la double liberté du sportif <strong>et</strong> de l'entraîneur, de conjuguer de façon justec<strong>et</strong>te double liberté desquelles peuvent naître des tensions.4. Le sportif <strong>et</strong> son entraîneur, le club sportif <strong>et</strong> ses dirigeants, les fédérations sportives sont tousorientés vers un même objectif, la performance, le dépassement de soi, dans lesquels ils peuventvoir des réalisations qui perm<strong>et</strong>tent à l'homme de grandir en humanité <strong>et</strong> qui peuvent êtrerevêtues d'une valeur symbolique qui est message d'espérance sur la grandeur <strong>et</strong> la beauté del'existence humaine adressé aux sportifs, aux spectateurs, à l'ensemble de la société humaine. Lapoursuite de c<strong>et</strong> objectif se vit dans la raison, la liberté <strong>et</strong> la sagesse, dans le respect des <strong>valeurs</strong>éthiques communes <strong>et</strong> dans l'ouverture aux <strong>valeurs</strong> plus spécifiques. Elle se vit sous l'éclairaged'une parole, d'un " Logos ", reconnus par l'ensemble des sportifs, qui soit comme une loifondamentale des sportifs <strong>et</strong> qui peut prendre la forme soit du Serment olympique, soit de laCharte européenne du sport, soit de quelque autre grand texte. A un autre plan, le monde sportifdevra se donner <strong>et</strong> respecter un Code d'éthique du sport. Des comités d'éthique devront naître <strong>et</strong>se développer aux divers niveaux de l'organisation du sport, pour être au service des sportifs, pourles aider à comprendre la beauté du sport, ses exigences éthiques, pour les aider aussi à trouverun chemin pour dépasser les graves problèmes qui affectent le sport aujourd'hui <strong>et</strong> dont nousparlerons dans la cinquième <strong>et</strong> dernière partie de notre rapport.89


5 E PARTIE:La beauté <strong>et</strong> les problèmes du sportINTRODUCTIONCe qui a été dit jusqu'ici du sport <strong>et</strong> de l'éthique du sport témoigne d'uneconviction, d'une double conviction. Le sport est quelque chose de beau <strong>et</strong> debon pour l'homme, comme pour la vie sociale. Il est une richesse à valoriser. Eten même temps le sport moderne, comme le sport ancien sans doute, connaît desdérives, est touché par des dérèglements, marqué par des perversions; il rencontredes problèmes extrêmement graves. Il importe de considérer simultanément les deuxaspects du sport, ses aspects positifs, mais aussi ses aspects négatifs.Les aspects positifs du sport ne sont tels que s'ils sont voulus par l'homme, par les personnes, parles groupes sociaux. Le sport n'est pas automatiquement, inévitablement quelque chose de beau.Le sport n'est beau que si les personnes, les groupes, les associations, les Etats, la société, laculture le veulent vraiment <strong>et</strong> prennent les moyens pour qu'il en soit ainsi. Le sport n'est beau quesi l'on veut respecter dans sa pratique un certain nombre de conditions éthiques, de <strong>valeurs</strong>éthiques, de règles morales <strong>et</strong> sociales.Les aspects négatifs aussi ne sont pas inhérents au sport. On les rencontre souvent. Ils marquentprofondément le sport moderne. Ils sont inquiétants. Il y a quelques années, ces aspects négatifsétaient ignorés, voilés, recouverts comme par un tabou. Ils semblaient inéluctables. Aujourd'hui,la gravité de l'enjeu fait qu'on les reconnaît <strong>et</strong> qu'on commence à les combattre, quoique encoreinsuffisamment. Ces aspects négatifs sont présents, marquent le sport parce que des personnes,des groupes, la société, les responsables sont négligents, passifs, complices, résignés, cyniques oufatalistes.Il faut considérer simultanément les aspects positifs <strong>et</strong> les aspects négatifs. Il faut valoriseractivement <strong>et</strong> de façon responsable les premiers; il faut combattre, mais de façon éthique <strong>et</strong>humaine, les seconds, les problèmes, les dérèglements. Il faut croire, être convaincu qu'il estpossible de valoriser les aspects positifs <strong>et</strong> en même temps de combattre les aspects négatifs.Un discours éthique qui ne serait pas fondé sur une valorisation positive du sport, qui nereconnaîtrait pas la beauté du sport, serait inconsistant, inopérant. Un discours éthique sur lesport qui ne valoriserait pas les aspects caractéristiques du sport, comme la performance ou ledépassement de soi <strong>et</strong> leur valeur symbolique, ne serait pas éclairant. Il manquerait de sagesse.De même, un discours qui se prétendrait éthique, mais qui serait mu<strong>et</strong> devant les graves problèmesdu sport, représenterait une idéologie, serait en complicité, en connivence malsaine <strong>et</strong> cyniqueavec la perversion du sport, avec ses dérèglements.L'éthique du sport requiert des convictions, comme la conviction que le sport peut être quelquechose beau, mais requiert aussi le sens de la responsabilité, ainsi que le courage de la vérité, leréalisme, qui impose aussi le principe de précaution.Le sport est lié à l'existence d'associations sportives, qui sont en réalité le plus souvent desassociations volontaires, librement créées par les personnes, <strong>et</strong> auxquelles elles adhèrent librementen en acceptant les règles <strong>et</strong> les objectifs. Ces associations volontaires, caractéristiques de lamodernité, peuvent avoir une grande valeur au plan humain, éthique <strong>et</strong> social, dans le domainedu sport <strong>et</strong> ailleurs. Mais René Kaës, qui a consacré beaucoup d'études remarquées, influencées parIntroduction91


la psychanalyse, rappelle, dans son ouvrage Le Groupe <strong>et</strong> le suj<strong>et</strong> du groupe (Paris, Dunod, 1993),que le groupe peut être marqué par ce qu'il appelle une alliance dénégative: certains groupes, lesgroupes à caractère dénégatif, sont fondés sur la dénégation. Ce qui soude parfois un groupe, uneéquipe, une association, c'est la loi du silence que tous s'imposent face à des faits négatifs, faceà des délits. Une des formes de l'apprentissage humain, c'est de refuser de s'engager dans la voiedes groupes, des alliances fondées sur, soudées par la dénégation. Ces réflexions nous semblentconcerner aussi les clubs sportifs <strong>et</strong> les fédérations, qui peuvent aussi cimenter leur union <strong>et</strong> leurengagement sur la dénégation, des dérèglements <strong>et</strong> des problèmes du sport contemporain.Les problèmes liés au sport sont multiples. Il ne faut nier aucun problème qui se présente. Il n'estpas possible de les prévoir tous. La meilleure méthode est de considérer les problèmes actuels,dans leur réalité présente, de les examiner attentivement, avec courage <strong>et</strong> lucidité. C'est lameilleure manière de se préparer à être lucide <strong>et</strong> vigilant pour les problèmes de demain.Nous allons examiner ici cinq ou six problèmes; ils ne sont pas seulement virtuels, théoriques; ilssont très réels. Ils sont une menace pour les personnes, pour la personne des sportifs pour commencer.C'est aussi une menace pour le sport lui-même. Ils peuvent m<strong>et</strong>tre en péril l'avenir dusport. Ils peuvent surtout représenter un profond désenchantement pour les nombreuses personnesqui sont intéressées ou passionnées par le sport.L'ordre dans lequel nous aborderons les problèmes n'est pas indifférent.1. Nous avons choisi de commencer par un phénomène qui touche directement les sportifs, dansleur vie quotidienne, dans leur vie familiale, dans leur santé <strong>et</strong> leur équilibre. C'est le problème dusurentraînement <strong>et</strong> des excès de prestations sportives.2. Lié à ceci, sans qu'il y ait coïncidence, mais évolution parallèle, le problème du dopage <strong>et</strong> pluslargement celui de l'accompagnement médical inapproprié.3. En troisième lieu, nous observerons les aberrations du spectacle sportif. Il se fait que celui-cien vient à ne plus être organisé en fonction des sportifs, mais en fonction des médias, <strong>et</strong> donc del'argent. Le spectacle sportif est une des composantes importantes du sport. Mais il peut connaîtredes dérèglements, des dérives. Le moment du spectacle sportif doit se déterminer d'abord enfonction des sportifs. Par ailleurs, il est pourtant bon que l'on tienne compte aussi desconvenances des spectateurs, <strong>et</strong> même des heures de plus grande audience à la radio ou à latélévision. Mais un point d'équilibre est à trouver.4. Puis nous toucherons une des causes, sans doute pas la seule, des problèmes <strong>et</strong> desdérèglements du sport, de ses dérives, à savoir l'argent. Nous aurons évoqué les dérèglements dusport par l'argent dans les trois premiers points de c<strong>et</strong>te partie. Dans le quatrième chapitre, nousessaierons de mieux comprendre pourquoi l'argent en vient si facilement à dénaturer le sport, savaleur, sa beauté.5. Dans le cinquième chapitre, nous réfléchirons à l'eff<strong>et</strong> d'entraînement vécu dans <strong>et</strong> autour dusport. Il s'agira de poursuivre notre réflexion sur les dérèglements du sport <strong>et</strong> leurs causes, leurssources, leurs racines, mais de façon plus englobante. Sans méconnaître l'argent comme cause desdérives, nous pensons que l'on n'aperçoit pas suffisamment que, dans le sport lui-même, il y a uneff<strong>et</strong> d'entraînement qui perm<strong>et</strong> lui aussi, pour une part, de comprendre les dérèglements du sport.Nous nous efforcerons de relier c<strong>et</strong>te dernière cause, sans doute plus fondamentale, à la cause plussouvent dénoncée des dérives, qu'est l'argent.92


Nous aurons déjà rencontré, dans les chapitres précédents, l'eff<strong>et</strong> d'entraînement vécu dans le sportlui-même. Lorsque dès le premier chapitre, nous évoquons les excès de prestations sportives <strong>et</strong> dusurentraînement, nous en venons tout naturellement à évoquer aussi l'eff<strong>et</strong> d'entraînement auquelnous consacrons le cinquième chapitre.La réflexion sur l'eff<strong>et</strong> d'entraînement vécu dans le sport <strong>et</strong> autour du sport perm<strong>et</strong> aussi de mieuxcomprendre la violence à laquelle nous consacrons un sixième <strong>et</strong> dernier chapitre. Il y a un eff<strong>et</strong>d'entraînement dans le sport, comme il y en a un dans le recours à l'argent, <strong>et</strong> comme il y en a undans les manifestations de la violence. Le sport, l'argent, la violence, trois réalités à distinguer,mais trois réalités aussi où on r<strong>et</strong>rouve un eff<strong>et</strong> d'entraînement, chaque fois différent, <strong>et</strong>comportant pourtant des traits communs.6. Dans un dernier chapitre en eff<strong>et</strong>, nous traiterons la question très angoissante de la violencedans le sport <strong>et</strong> autour du sport. Nous n'aurons pas l'occasion de développer c<strong>et</strong>te réflexion aussiloin qu'il serait possible <strong>et</strong> nécessaire de le faire. Mais on ne peut la passer sous silence. Nousessaierons de montrer que ce problème de la violence a un lien avec ce qui précède.93


Chapitre 1 : Le surentraînement <strong>et</strong> l’excès deprestations sportivesIl n'y a pas de sport de performance sans entraînement des sportifs.L'entraînement est d'abord un entraînement physique. Il s'agit d'habituerl'organisme à courir, à sauter, à se déplacer; il est une manière de préparer lesportif ou l'athlète à pouvoir faire preuve de force physique, de rapidité dans lesmouvements <strong>et</strong> les déplacements, il est l’apprentissage de la rapidité des réflexes <strong>et</strong> des réactions.L'entraînement est aussi l'apprentissage d'une force de caractère, d'une capacité d'objectiver lasituation, de voir la réalité des enjeux sportifs, de mesurer, d'évaluer, d'avoir le sens del'initiative mais aussi de la discipline technique <strong>et</strong> sociale.L'entraînement est aussi l'apprentissage à se mesurer avec sa finitude, de l'accepter mais pour ladépasser, si c'est possible de façon humaine, de renoncer si ce n'est pas réaliste ou humain. Il estl'apprentissage de l'effort, de la persévérance, de la discipline. Mais il est aussi une manièred'éviter ce qui détruit l'être <strong>et</strong> son ouverture à la diversité des <strong>valeurs</strong> humaines.Les objectifs de l'entraînement doivent être poursuivis par le suj<strong>et</strong> lui-même. Mais le suj<strong>et</strong> a besoind'être accompagné, d'être entraîné par quelqu’un dont c'est la spécialité. L'importance del'entraînement se manifeste aussi dans l'importance accordée à la fonction de l'entraîneur, celuiqui est responsable de l'entraînement. Celui-ci est responsable des aspects physiques, techniques<strong>et</strong> de plus en plus scientifiques de l'entraînement <strong>et</strong> de la prestation physique. De même, ilimporte de tenir compte des facteurs psychologiques <strong>et</strong> sociaux, des eff<strong>et</strong>s de groupe. Pour cedernier point, on a intérêt à se reporter aux travaux de René Kaës.Mais l'entraînement qui fait partie intégrante de la pratique du sport de performance est aussisoumis à la possibilité du dérèglement <strong>et</strong> de la dérive du surentraînement qui fait des sportifs desmachines à performance (Le Monde diplomatique, 1992). Il nie la dignité des personnes humaines,il les instrumentalise d'une façon éthiquement inacceptable.Le surentraînement <strong>et</strong> l'excès de prestations sportives qui l'accompagne souvent, peuvent être liésà l'appât de l'argent. Mais pas uniquement. Ils peuvent aussi être liés à la force d'entraînement, àla recherche de l'exploit, de la réputation; ces attitudes, ces expériences ont leur logique propre,leur poids propre. Elles ont un eff<strong>et</strong> d'entraînement. C'est comme une force impersonnelle, qui n'estimposée par personne ou par rien, si ce n'est par elle-même. C'est ici qu'il faut se méfier de laspontanéité. Les attitudes les plus belles du point de vue éthique, sont le résultat d'une volonté,non pas une volonté crispée, tendue, mais une volonté paisible, réfléchie. Pour penser l'entraînementvraiment humain <strong>et</strong> une pratique du sport qui reste raisonnable, il faut pouvoir réfléchir, s'arrêter,écouter les personnes, ne pas se laisser entraîner par quelques voix ou quelques mouvementsen niant les autres. Il faut pouvoir aller à contre-courant, il faut pouvoir déceler les aspects, lesaspects tus, les aspects reconnus mais méconnus, pour reprendre les termes de Pierre Bourdieulorsqu'il évoque la violence symbolique.Lorsque ces excès d'entraînement <strong>et</strong> de prestations sportives, qu'on ne comprend bien qu'en lesconsidérant comme des eff<strong>et</strong>s d'un entraînement passionnel pour la réussite <strong>et</strong> la performance,sont recouverts par le profit financier, ils peuvent de ce fait sembler être comme cautionnés. Celarapporte de l'argent, donc ne regardons pas trop attentivement les problèmes humains, ou mêmeles risques pour la santé qui y sont liés, attachés.95


Chapitre 2 : Le dopage <strong>et</strong> l’accompagnement médicalinappropriéL'accompagnement des sportifs par un entraîneur fait partie de la réalité dusport. Nous le considérons comme quelque chose de positif, même s'il peut êtreexposé à des dérèglements, comme le surentraînement ou l'excès de prestationssportives, <strong>et</strong> s'il doit en conséquence demeurer soumis à des conditions éthiques.La pratique sportive est aussi accompagnée par des spécialistes de la médecine du sport, par desspécialistes des soins de kinésithérapie. C<strong>et</strong> accompagnement médical est une bonne chose au planéthique. Il est caractéristique du sport de performance, mais on le r<strong>et</strong>rouve dans bien d'autrestypes de pratiques sportives.C<strong>et</strong> accompagnement médical peut cependant prendre des formes inappropriées. Il peut perdre devue le bien global du sportif <strong>et</strong> ne considérer que le succès sportif, la performance. Il peut êtrevécu de telle manière que le premier souci du médecin est de perm<strong>et</strong>tre au sportif de participer àla compétition, même si cela tourne au détriment du sportif, dans l'immédiat ou à plus long terme.Ceci est évidemment un dérèglement que l'on ne peut accepter.De même, le médecin, percevant le désir de réussite du sportif, subissant de la part du club unepression morale allant dans le même sens, peut être tenté d'aider le sportif en lui prescrivant desmédicaments ou des traitements <strong>et</strong> en prenant la responsabilité de le suivre dans c<strong>et</strong>te voie, d<strong>et</strong>elle sorte qu'artificiellement, le sportif obtient des résultats sportifs qu'il n'obtiendrait pas sansc<strong>et</strong>te intervention.Il est difficile de tracer une frontière entre l'intervention acceptable <strong>et</strong> celle qui ne l'est pas, entrel'intervention qui est justifiée <strong>et</strong> celle qui ne l'est plus <strong>et</strong> qui devient une collaboration médicaleà une pratique de dopage.Le dopage est une pratique qui fait des ravages dans les milieux sportifs. Il faut le refuser du pointde vue éthique pour diverses raisons. Tout d'abord, le dopage est nuisible à la santé. Il est àcondamner au nom de ce que nous avons appelé les <strong>valeurs</strong> communes. Ces <strong>valeurs</strong> communes,comme le souci de la santé de soi <strong>et</strong> des autres, sont à respecter dans le sport comme dans tousles secteurs de l'existence.Le dopage doit aussi être refusé par l'éthique du sport, au nom des <strong>valeurs</strong> spécifiques. D'une part,une telle intervention est la négation de la valeur symbolique du sport. La performance sportivepeut comporter un message sur la dignité de la personne humaine, sur sa grandeur, sur la valeur<strong>et</strong> la beauté de l'existence humaine. Ce message, c<strong>et</strong>te valeur symbolique, sont contredits par lapratique du dopage.D'autre part, le dopage est une forme de tricherie. Le monde du sport doit se donner des règleséthiques <strong>et</strong> sociales; celles-ci doivent être justifiées en raison, au terme de discussions,d'échanges <strong>et</strong> de réflexions. Les règles qui refusent les pratiques de dopage, qui m<strong>et</strong>tent au pointdes listes de substances interdites, qui prévoient les procédures de contrôle <strong>et</strong> les sanctions, sontévidemment légitimes <strong>et</strong> nécessaires. Ces règles doivent être respectées par tous. Ceux qui ne lefont pas, au risque de leur santé <strong>et</strong> dans la négation du sens du sport, trichent par rapport auxautres concurrents plus respectueux des règles. En contrevenant à ces règles, les sportifs imposentpratiquement aux autres à faire de même, à suivre le mouvement, <strong>et</strong> ainsi à m<strong>et</strong>tre à leur tour leursanté en danger.97


Le dopage doit être combattu. Pendant de longues années, il a été refusé officiellement, mais misen œuvre effectivement. La lutte contre le dopage doit être juste, elle doit être régulière, elle doitêtre respectueuse à l'égard des sportifs <strong>et</strong> de leur entourage. Mais elle est nécessaire, sous peinede voir s'accentuer les dérèglements du sport.Les pratiques du dopage doivent être sanctionnées. Dans la mesure où elles sont une menace pourla santé propre du sportif qui y a recours <strong>et</strong> pour celle des autres sportifs, elles doivent êtresanctionnées au nom des <strong>valeurs</strong> communes. La lutte contre le dopage est de la responsabilité dessportifs eux-mêmes, mais aussi des responsables sportifs, des clubs sportifs, des fédérations, desautorités sportives, <strong>et</strong> bien sûr des médecins du sport. Toutefois, si les sportifs <strong>et</strong> les dirigeantssportifs sont défaillants, les autorités publiques doivent intervenir pour légiférer <strong>et</strong> condamnerpénalement.Par contre, lorsqu'il s'agit de tricherie ou de désintérêt par rapport à la valeur symbolique du sport,le dopage doit être combattu par les sportifs <strong>et</strong> les responsables sportifs. Les sanctions qui doiventintervenir seront ici de nature sportive. Le vainqueur qui a remporté une compétition <strong>et</strong> quis'avère avoir pratiqué le dopage, doit être privé de sa victoire, des trophées ou des médailles qu'ila reçus, des gains financiers qu'il a obtenus dans la pratique du sport. Les clubs <strong>et</strong> les fédérationspeuvent <strong>et</strong> doivent intervenir. Ils peuvent suspendre un joueur, le priver de participation auxcompétitions, le priver selon des procédures clairement prévues <strong>et</strong> précisées de gains financiersauxquels il pourrait prétendre si le dopage n'était pas intervenu. Les Ministres des <strong>Sport</strong>s duConseil de l'Europe interviennent pour favoriser l'éthique du sport. Il faut s'en réjouir. Néanmoins,la transgression des <strong>valeurs</strong> spécifiques au sport, à supposer qu'elle ne m<strong>et</strong>te pas en danger lasanté ou la sécurité, ne doit pas être sanctionnée par les autorités publiques, mais par les milieuxsportifs. En cas de défaillance de ces derniers, les pouvoirs politiques peuvent faire pression surles responsables sportifs, pour qu'ils prennent les mesures nécessaires.Il va de soi que souvent les problèmes sont liés. Le dopage qui est nuisible à la santé, est aussien même temps une négation du sens spécifique du sport. Dès lors, le combat contre le dopagedoit se faire sur les deux plans, à travers une collaboration entre milieux sportifs <strong>et</strong> autoritésjudiciaires.Le problème du dopage est immense. Il se pratiquait dans l'indifférence générale. Ce n'est que tardivementque les tribunaux se sont saisis du problème. Ce qui a entraîné la mise en mouvementdes fédérations sportives. Les premiers moments de la lutte judiciaire contre le dopage ne furentguère populaires, ni auprès des sportifs, ni auprès des spectateurs ou supporters, ni auprès desresponsables sportifs. Nous vivons une période déterminante. Sans c<strong>et</strong>te lutte, qui doit resteréthique <strong>et</strong> juste, respectueuse des personnes, le sport de compétition serait menacé. Les personnespratiquant le sport ou intéressées par le sport se trouveraient comme prises au piège desdérèglements les plus graves du sport.Ce problème du dopage est évidemment lié à la question de l'argent, de son influence négative surle sport, tout comme le problème évoqué au chapitre précédent, celui du surentraînement <strong>et</strong> del'excès de prestations sportives. L'argent n'est cependant pas la seule cause de la dérive queconstitue le dopage.98


Chapitre 3 : Les aberrations du spectacle sportifLe spectacle sportif est une des composantes importantes du sport. Sasignification est liée à celle de la valeur symbolique du sport. Le sport est uneaffaire entre le sportif <strong>et</strong> lui-même; mais sa pratique est aussi tournée vers lesautres. La performance réalisée par le sportif <strong>et</strong> le dépassement de soi qu'ilexprime, sont des messages d'espérance <strong>et</strong> de confiance dans la valeur de l'homme,un message pour les autres comme pour lui-même. Nous avons beaucoup insisté sur ce pointdans la quatrième partie de notre travail. C<strong>et</strong>te valeur symbolique du sport est un des fondementsdu jugement positif que l'éthique porte sur le sport <strong>et</strong> sur la passion pour le sport.En outre, le spectacle sportif perm<strong>et</strong> à des personnes intéressées par le sport, mais qui ne peuventpas ou ne veulent plus pratiquer le sport, de demeurer en lien avec c<strong>et</strong>te réalité sportive,caractéristique de la modernité. Le spectacle sportif est une manière pour les personnes âgées des'ouvrir au sport.Le spectacle sportif est aussi le lieu où se vit la communion entre les sportifs <strong>et</strong> le public, entr<strong>et</strong>ous ceux qui sont intéressés ou passionnés par le sport. C'est donc quelque chose d'important. Lesdérives qui l'atteignent sont donc très regr<strong>et</strong>tables. Elles doivent être refusées par l'éthique dusport. Il en est de même pour la violence dans le sport <strong>et</strong> autour du sport.En eff<strong>et</strong>, le spectacle sportif peut connaître des dérèglements, des dérives. Il se fait que celui-cien vient à ne plus être organisé en fonction des sportifs, mais en fonction des médias, <strong>et</strong> donc del'argent. Le moment du spectacle sportif doit se déterminer d'abord en fonction des sportifs. Parailleurs, il est pourtant bon que l'on tienne compte aussi des convenances des spectateurs, ainsique des heures de plus grande audience à la radio <strong>et</strong> à la télévision. Mais un équilibre est àtrouver. Le spectacle sportif est un événement vécu par les sportifs pour les spectateurs. Il n'estpas normal, il n'est pas juste, il n'est pas valable du point de vue de l'éthique du sport, qu'il soitsubordonné à de purs impératifs de rendement financier.Au jugement de l'éthique du sport, le spectacle sportif est une bonne chose pour l'homme, pour lesportif, pour le spectateur. Mais de ce fait il doit être organisé aux moments de l'année <strong>et</strong> du jourqui conviennent le mieux à la pratique du sport, qui correspondent le mieux aux attentes dessportifs <strong>et</strong> des spectateurs, <strong>et</strong> non aux moments de plus grande audience télévisuelle quirapportent le plus d'argent aux organisateurs.Les dérives du spectacle sportif sont liées à l'argent, mais aussi à l'eff<strong>et</strong> d'entraînement, deuxfacteurs dont nous parlerons respectivement dans les chapitres 4 <strong>et</strong> 5.L'éthique du sport doit se préoccuper des aberrations du spectacle sportif. Elle doit aussi sepréoccuper du problème de la violence qui accompagne trop souvent le déroulement des rencontressportives <strong>et</strong> qui est particulièrement inquiétant.99


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Chapitre 4 : L’argent fou du sportBeaucoup d'observateurs du sport sont convaincus que les dérives du sportproviennent de l'influence excessive de l'argent sur le sport <strong>et</strong> sur sonorganisation.1. Il est indéniable que le sport fait circuler énormément d'argent. Il est une réalitééconomique qu'on ne peut pas négliger. Il entraîne de l'emploi. Il est source de profit.Le sport a besoin de beaucoup d'argent; il entraîne beaucoup de dépenses; les budg<strong>et</strong>s du sportsont de plus en plus importants; ils atteignent parfois des sommes invraisemblables. Par ailleurs,le sport produit de l'argent, il génère des profits substantiels, grâce aux rec<strong>et</strong>tes des droitsd'accès, des frais d'inscription dans les clubs, grâce aux droits de r<strong>et</strong>ransmission, grâce à lapublicité à travers le sport <strong>et</strong> le spectacle sportif, grâce enfin au commerce <strong>et</strong> à l'industrie quientourent le sport <strong>et</strong> que les clubs gèrent parfois eux-mêmes.Un des traits caractéristiques de l'argent dans le sport, c'est l'inégalité. Il y a des clubs sportifsextrêmement riches <strong>et</strong> d'autres dont les budg<strong>et</strong>s sont fort limités. Il y a des sportifs qui gagnenténormément d'argent <strong>et</strong> d'autres qui sont beaucoup moins favorisés financièrement. Les chiffressont connus. Ils sont publiés, notamment par Jean-François Bourg <strong>et</strong> Jean-François Nys.2. Un autre point que nous devrons examiner est le suivant. L'influence de l'argent sur le sportest-elle négative? Est-ce la seule cause des dérives <strong>et</strong> des dérèglements? Ou faut-il désignerd'autres sources de ces dérèglements? Quel est le lien entre l'argent <strong>et</strong> ces autres causes que nousnous efforcerons de désigner.3. Mais il faut commencer par dire que l'argent dans le sport est nécessaire <strong>et</strong> que son influencepeut être positive. Le sport a une dimension économique. De soi, ceci n'est pas négatif. Nonseulement, c'est normal, puisque toutes les activités humaines, y compris la recherche scientifique,ont une dimension économique. L'argent dans le sport comme ailleurs est une valeur humaine, quifavorise les échanges <strong>et</strong> les activités. L'éthique du sport ne peut pas le nier. L'argent dans le sportn'est pas une réalité négative, monstrueuse, diabolique. De soi, non seulement il est nécessaire,mais il est bon. Mais comme l'ensemble du domaine économique, l'argent du sport suppose unerégulation éthique <strong>et</strong> sociale. On peut dire oui au marché <strong>et</strong> au profit du point de vue de l'éthique.Mais à condition que ces réalités économiques soient soumises à une régulation éthique <strong>et</strong>sociale.4. A quoi sert <strong>et</strong> d'où provient l'argent du sport?4.1. Le rôle de l'argent se manifeste par les salaires exorbitants, les primes de participation dessportifs, les gains liés à des victoires. Mais il y a ici des inégalités considérables. La logique dusport organisé selon la logique de l'argent <strong>et</strong> du profit engendre celles-ci. Ces faits interpellent lesens de la justice sociale.4.2. De même, le prix des transferts des joueurs les mieux payés représente des sommesexorbitantes. Il ne s'agit pas ici des rémunérations ou des primes obtenues par les joueurs euxmêmes,par les athlètes. Mais il s'agit des sommes réclamées <strong>et</strong> obtenues par les clubs pour céder101


leurs joueurs à d'autres équipes. C'est ce qu'on appelle les transferts. Les transferts sont légaux.Ce qui serait illégal, ce serait le refus d'un club de laisser partir un joueur vers un autre club. Onse référera ici à l'arrêt rendu dans l'affaire Jean-Marc Bosman par la Cour européenne de Justice deLuxembourg en décembre 1997.4.3. Un autre aspect de ce problème, c'est la possibilité pour un joueur de quitter son club actuelpour être repris par un autre club, où son salaire serait plus élevé, où les conditions de "travail"<strong>et</strong> les avantages de tous genres seraient plus favorables pour lui <strong>et</strong> sa famille. Le départ du joueurprofite au joueur, mais est source de revenus pour le club qui accepte le départ, <strong>et</strong> source dedépenses pour le club d'accueil. Celui-ci engage des dépenses très élevées, avec l'espoir qu'ilobtiendra des réussites sportives, <strong>et</strong> donc un meilleur renom, <strong>et</strong> donc plus de spectateurs, plus dedroits de télévision, plus de sponsoring <strong>et</strong> d'investisseurs potentiels.4.4. L'argent du sport provient de nombreuses sources. Publicité, sponsoring (lié à la publicité).Droits d'entrée des spectateurs, droits de r<strong>et</strong>ransmission télévisée, avec l'exclusivité desr<strong>et</strong>ransmissions. Mais aussi l'argent investi, comme dans une activité qui rapporte. L'argentinvesti doit rapporter. Si l'argent est massivement présent, il devra obéir à la logique économiquedu profit <strong>et</strong> même du profit le plus élevé. Il devrait aussi obéir aux règles éthiques <strong>et</strong> sociales.Mais celles-ci ont toujours plus de difficultés à s'imposer.5. L'argent du sport, c'est aussi la réalité de la corruption, de la tricherie, c'est aussi ce que l'on aappelé "les affaires". Le nom de Bernard Tapie est devenu un symbole: le symbole de lacorruption, de la tricherie. On paie des joueurs, des arbitres, pour obtenir un résultat favorable àl'équipe que l'on veut favoriser.Est-ce ici le lieu de relever systématiquement les errements? D'autres l'ont fait. Nous suivonsdepuis plusieurs années les bons travaux du Centre de Recherche juridique <strong>et</strong> économique deLimoges, en France, animé par Jean-François Bourg <strong>et</strong> Jean-François Nys.Le Comité Olympique international lui-même a été mis en cause. La sélection des villes olympiques,qui obéit à des règles multiples, où la dimension économique est un paramètre non négligeable,a été influencée par des dons d'argent, non à des clubs ou à des fédérations, mais à des personnes.De nombreuses démissions sont intervenues suite à ces révélations.6. L' influence excessive de l'argent <strong>et</strong> de la recherche du profit dans le sport a comme eff<strong>et</strong> lesurentraînement sportif, les excès de prestations sportives, des prestations à des heures ou à despériodes moins favorables pour les sportifs. On ne joue pas aux heures <strong>et</strong> aux rythmes les plusfavorables du point de vue sportif, ou du point de vue médical, mais aux moments les plusintéressants pour les gains financiers.7. Le dopage, le recours au dopage, coûte de l'argent, mais rapporte aussi de l'argent. Car, s'il n'estpas découvert, il perm<strong>et</strong> des résultats <strong>et</strong> des gains que l'on n'obtient pas sans dopage, sans le suivimédical adapté. Le club doit pouvoir se payer les services des spécialistes si l'on reste dans lalégalité, de personnages de l'ombre si on sort de la légalité.102


8. L'argent exerce un eff<strong>et</strong> de fascination sur les joueurs, sur les spectateurs. L'importance dessommes distribuées r<strong>et</strong>ient toute l'attention, tout l'intérêt. Dans les journaux <strong>et</strong> dans lesconversations, on évoque sans cesse les gains des joueurs, les budg<strong>et</strong>s des clubs. Les clubs les plusriches ont plus de prestige, en raison de leurs réussites, rendues possibles par l'achat, le transfertdes meilleurs joueurs, par le recours aux meilleurs entraîneurs. Mais le prestige vient aussi del'argent dont dispose le club. C<strong>et</strong>te fascination de l'argent a comme conséquence que le mondesportif <strong>et</strong> le public se désintéressent du cas des joueurs peu payés, à la carrière incertaine. Ils nesont pas les meilleurs, ils sont interchangeables; s'ils sont mécontents, dira-t-on, ils n'ont qu'àquitter le club; comme ils ne sont pas les meilleurs, on ne va pas se disputer pour les accueillir.9. Le sport est orienté vers la réussite, vers l'enjeu à la fois symbolique <strong>et</strong> financier. Mais cela acomme conséquence une certaine indifférence pour les situations sportives les plus dramatiquesau plan social. On n'en parle pas. On ne parle que des réussites. D'ailleurs, un sportif dont onparlerait pour évoquer ses malheurs présents, n'en serait pas ravi, car cela le ferait encore sombrerdavantage. Par contre, un sportif qui a eu dans le passé des problèmes, des épreuves, mais qui lesa surmontés, entre de ce fait dans la légende.10. Le problème de l'argent dans le sport est complexe. L'argent est une bonne chose pourl'homme, mais seulement s'il est l'obj<strong>et</strong> d'une régulation. Le profit aussi peut être positif mêmedans le sport, mais il importe qu'il y ait une régulation, à la fois éthique <strong>et</strong> sociale. Tout ce quirapporte de l'argent n'est pas bon, loin de là. La drogue, la prostitution, en sont des exemplesmalheureux. Il est pourtant difficile de faire comprendre que quelque chose n'est pas bon, quandça rapporte de l'argent, quand ça rapporte plus d'argent qu'autre chose, pourtant plus honnête.Pourtant, le marché, le marché du sport, les transferts des joueurs d'un club à un autre, sont desréalités qui peuvent se justifier du point de vue éthique, si des conditions éthiques sontrespectées.L'argent en soi fait abstraction de la façon dont il a été gagné, acquis, obtenu. Grâce à son aspectabstrait, l'argent favorise la circulation des personnes <strong>et</strong> des marchandises. Il perm<strong>et</strong> d'élargir <strong>et</strong>d'accélérer les transactions entre personnes <strong>et</strong> entre groupes. Mais ce caractère abstrait <strong>et</strong> lesrésultats auxquels il conduit, peuvent aussi porter les personnes, les entreprises <strong>et</strong> lesassociations sportives à faire abstraction des problèmes humains rencontrés par les personnes dansle sport <strong>et</strong> ailleurs. Il peut conduire à plus d'humanité pour celui qui en dispose <strong>et</strong> pour ceux avecqui il traite. Mais il peut aussi conduire à une sorte d'indifférence pour ce que vivent les personnes,il peut conduire à ce que l'on s'intéresse à l'argent seul, <strong>et</strong> non aux personnes dont la vie dépendparfois de la possession ou de la non possession de l'argent.L'obtention de la richesse par le sport, la recherche du profit privé, font abstraction de ce quecoûtent aux pouvoirs publics les services d'ordre. La violence engendrée par le sport ouintervenant à l'occasion du sport, a un prix. Elle coûte cher aux pouvoirs publics, en matière deservice d'ordre. Dans quelle mesure ceux à qui le sport perm<strong>et</strong> des profits considérables,interviennent-ils dans ces coûts? Dans quelle mesure interviennent-ils dans la prise en charge desfrais médicaux liés aux nombreux accidents survenant dans la pratique du sport <strong>et</strong> dans lesdépenses de sécurité sociale?Le sport a besoin d'argent, éventuellement de beaucoup d'argent. Le sport fait appel aux subsides103


publics, davantage encore aux subsides privés, au parrainage, au sponsoring. L'organisation dusport, les infrastructures sportives, les équipements de qualité, les mesures de sécurité coûtent del'argent. De même, la juste rémunération des sportifs professionnels requiert de l'argent. C’est aussiune manière d'attirer les meilleurs joueurs, les meilleurs athlètes dans son club. Aujourd'hui, lesmeilleurs éléments jouent dans <strong>et</strong> pour les clubs les plus riches. La libre concurrence a ici aussises eff<strong>et</strong>s. Elle peut être acceptée au plan humain <strong>et</strong> éthique, mais elle doit se donner <strong>et</strong>accepter des règles éthiques <strong>et</strong> sociales. Le résultat de ce processus, c'est que l'on investit del'argent dans l'achat des meilleurs joueurs, pour qu'ils contribuent à augmenter le niveau deréussite du club, pour qu'ainsi ils contribuent à rapporter plus d'argent. Ceci est-il encoreacceptable au plan éthique? Si on l'accepte sans que soient posées des règles, quelque chose estvicié, non dans la performance, mais dans une politique systématique d'attirer les meilleurs joueurslà où il y a le plus d'argent. Tout est subordonné à la réussite, à l'intérêt du spectacle, au résultatfinancier, c'est-à-dire finalement à l'argent; il en résulte que ce qui est visé, ce n'est pas l'homme,ni le sportif, ni le spectateur, c'est l'argent; ce qui est recherché, ce n'est pas le bien humain dusportif, mais son rendement financier. De telles pratiques ne sont bonnes ni pour les personnes,ni pour le sport, ni pour la société <strong>et</strong> la cohésion sociale.11. L'eff<strong>et</strong> d'entraînement de l'argent <strong>et</strong> du sport. L'argent va là où il y en a; l'argent vient de làoù il est. On rencontre ici l'eff<strong>et</strong> d'entraînement de l'argent. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d'entraînement de l'argentrencontre <strong>et</strong> recouvre l'eff<strong>et</strong> d’entraînement du sport; ils se renforcent mutuellement. Celui quipossède de l'argent cherche à le faire fructifier <strong>et</strong> à le faire fructifier le plus possible. C<strong>et</strong>terecherche du profit <strong>et</strong> du profit maximal produit comme un eff<strong>et</strong> d'entraînement <strong>et</strong> rencontre unautre eff<strong>et</strong> d'entraînement, celui que l'on vit dans le sport où l'on est aussi à la recherche de lameilleure performance, où l'on cherche aussi à toujours améliorer le résultat atteint.La source des problèmes du sport est effectivement à chercher bien souvent dans l'argent,spécialement dans l'eff<strong>et</strong> d'entraînement de l'argent. Mais c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d’entraînement de l'argentrencontre <strong>et</strong> s'allie avec un eff<strong>et</strong> d'entraînement du même type dont nous voudrions traiterrapidement dans le cinquième chapitre de c<strong>et</strong>te partie. Conjointement avec l'eff<strong>et</strong> d'entraînementde l'argent, l'eff<strong>et</strong> d'entraînement vécu dans le sport lui-même est sans doute la première sourcedes dérèglements du sport. Les problèmes du sport ne viennent pas seulement de l'extérieur, del'argent ou de la politique (pour ce dernier cas, on pensera à la situation sportive, effrayante dupoint de vue humain, dans les pays de l'Est européen avant les années 1989-1990, avantl'effondrement des régimes communistes dans ces pays). Les problèmes du sport viennent aussi del'intérieur du monde sportif <strong>et</strong> dès lors ils peuvent <strong>et</strong> doivent être traités par les milieux sportifseux-mêmes. La régulation du sport interpelle les pouvoirs publics, mais elle doit d'abord venir dumonde sportif <strong>et</strong> interpelle les responsables sportifs.Le premier problème du sport est de nature sportive. Il dépend de l'inconscience, de lanégligence, de l'irresponsabilité du monde sportif vis-à-vis des dérèglements du sport. Les dérivesdu sport ne sont pas causées par l'argent seulement, mais par un entraînement passionnel verstoujours plus de réussite sportive, toujours plus de performance sportive, à n'importe quel prixhumain. Ces manques sont comme recouverts par l'argent qui blanchit tout. Ce qui est fait pourl'argent, comme ce qui est fait pour la gloire de Dieu, pensent certains, ne peut être que bon,(cfr Sartre). On sait qu'il n'en est rien.104


L'argent lui-même est un entraînement impersonnel, un système, qui non seulement ne voit pas,mais refuse de voir, nie le problème même quand il est reconnu. La violence symbolique, dit PierreBourdieu, c'est un mal connu, mais méconnu; la révolution symbolique, c'est reconnaître non cequi est connu mais méconnu.Il y a l'entraînement de la victoire, de la performance chez le sportif <strong>et</strong> chez les supporters. Il y al'entraînement de l'argent. Les deux entraînements, différents, mais convergents, se conjuguent,se marient, se soutiennent <strong>et</strong> se renforcent mutuellement, de telle sorte que l'un soitinstrumentalisé par l'autre. Le sportif qui croit instrumentaliser l'argent, est en fait possédé <strong>et</strong>instrumentalisé par lui, dépossédé de lui-même <strong>et</strong> de son humanité.Le fair-play dans le sport, c'est le contraire de l'entraînement. Il respecte les règles, les <strong>valeurs</strong>,les personnes. Le sportif qui est inspiré par le fair-play, se respecte lui-même <strong>et</strong> les autres. Il esthabité par le sens de toutes les <strong>valeurs</strong>, il cherche le bien humain, le bien total des personnes, delui-même comme des autres. Tout en étant respectueux des règles, il sait être spontané, mais c<strong>et</strong>tespontanéité ne consiste pas à se laisser emporter par des mouvements <strong>et</strong> des entraînements qui ledétourneraient d'une pratique sportive vraiment humaine. Il est créatif, mais il est aussi capablede résistance. Il sait inventer des chemins nouveaux, mais il sait aussi aller à contre-courant dece qui se fait le plus souvent. Face à l'entraînement de l'argent <strong>et</strong> de la violence, face àl'entraînement passionnel vécu dans le sport, il prend du recul, il prend distance, non parce qu'iln'aime pas le sport, non parce qu'il méprise l'argent, non parce qu'il a peur des rencontres un peuanimées, mais parce qu'il aime le sport <strong>et</strong> tout ce qui en lui est vraiment humain.105


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Chapitre 5 : L’eff<strong>et</strong> d’entraînement passionneldans le sport <strong>et</strong> ailleursNous avons dit l'importance du travail de l'entraînement dans le sport,l'importance de la fonction de l'entraîneur sportif, la spécificité de sa fonction. Lafonction de l'entraîneur est à comprendre à partir de la performance, du dépassementde soi, de leur valeur symbolique.Nous ne traiterons pas du travail <strong>et</strong> de l'effort ou de l'ascèse de l'entraînement sportif, ni de lafonction de l'entraîneur, ni de la relation entre l'entraîneur <strong>et</strong> le sportif ou l'athlète. Nous voudrionsproposer quelques réflexions au suj<strong>et</strong> de l'eff<strong>et</strong> d'entraînement comme nous l'avons appelé, au suj<strong>et</strong>d'une forme d'entraînement passionnel, vécu dans le sport <strong>et</strong> autour du sport.Nous considérons l'eff<strong>et</strong> d'entraînement dans le sport comme le problème central, nodal, premier,principal dans le sport. Beaucoup ont sur ce suj<strong>et</strong> un point de vue différent. Ils considèrent quele problème principal du sport, c'est l'argent, c'est plus exactement le rôle excessif tenu parl'argent dans l'univers du sport, dans l'organisation du sport. L'argent en viendrait à dénaturerl'essence du sport <strong>et</strong> à m<strong>et</strong>tre en péril la valeur du sport.D'autres m<strong>et</strong>tent en cause le sport-spectacle. Comme si le sport-spectacle était la cause de tousles maux, de tous les dérèglements, de toutes les dérives que le sport connaît actuellement. Lerôle envahissant de l'argent <strong>et</strong> du sport-spectacle serait responsable de l'excès de prestationssportives imposé au sportif, qui ne serait plus qu'une machine à performances au lieu d'êtreconsidéré comme une personne capable <strong>et</strong> désireuse de vivre la dimension symbolique du sport. Ilserait la cause du développement du dopage.Certes il est vrai que le sport connaît des dérives, comme le dopage, comme le surentraînement,<strong>et</strong> que souvent à la base de ces maux on trouve le rôle envahissant, excessif, fou de l'argent.Jean-François Bourg m<strong>et</strong> en cause, à juste titre, l'argent fou du sport. Le sport devient uninvestissement comme un autre. Il utilise les sportifs, les athlètes comme des machines àperformances. La rencontre sportive, le spectacle sportif ne sont pas organisés pour les sportifs oupour les spectateurs, mais pour qu'ils rapportent de l'argent. L'argent n'est pas au service du sport<strong>et</strong> des sportifs; c'est le sport <strong>et</strong> ce sont les sportifs qui deviennent des moyens pour gagner del'argent. L'éthique du sport doit affirmer que l'argent est pour le sport, <strong>et</strong> non le sport pourl'argent.Mais il nous semble qu'il y a une racine plus fondamentale aux dérives du sport, qui est en mêm<strong>et</strong>emps une des racines du rôle excessif, envahissant de l'argent. Le concept que je voudraisutiliser ici est celui de l'eff<strong>et</strong> d'entraînement. Le terme d'entraînement désigne le plus souvent lapréparation des sportifs. Ici on parle d'autre chose, d'une sorte d'emballement, d'un mouvementsans fin que plus personne ne contrôle <strong>et</strong> où on recherche toujours plus de performances, plus deréussite, par lequel on veut aller toujours plus loin, être toujours plus fort, toujours plus rapide.Plus haut on a parlé du travail <strong>et</strong> de l'effort de l'entraînement sportif <strong>et</strong> du rôle de l'entraîneur. Iciil s'agit de l'eff<strong>et</strong> d'entraînement.L'eff<strong>et</strong> d'entraînement dans le sport <strong>et</strong> autour du sport est un aspect de la réalité sportive qui estrarement reconnu, qui est rarement perçu comme problématique. Il faut apprendre à en parler à lafois avec rigueur <strong>et</strong> finesse.Selon le Dictionnaire Robert, le terme d'entraînement, en dehors de sa signification sportive de107


préparation à la compétition, désigne plus largement le mouvement par lequel l'homme se trouvedéterminé à agir, indépendamment de sa volonté consciente <strong>et</strong> réfléchie. Le terme est utilisé pourdésigner l'entraînement des passions, des habitudes, ou encore pour évoquer l'entraînement de ladiscussion. Il est dit d'une personnalité qu'elle est capable de soum<strong>et</strong>tre à la raison lesentraînements les plus passionnés de sa nature véhémente.Ici nous parlons moins du mouvement par lequel l'homme est déterminé par quelque chose, maisdavantage par l'eff<strong>et</strong> d'entraînement que l'on observe en soi-même par rapport à quelque chose.C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> d'entraînement donne plutôt l'impression de la spontanéité, d'une certaine forme de liberté.Le sport comme liberté <strong>et</strong> jeu. Mais quand on observe ce qu'est l'eff<strong>et</strong> d'entraînement, on peutvoir que le sport, comme d'autres réalités, attire à ce point, est vécu de telle sorte qu'on se sentemporté, enthousiasmé, séduit, entraîné sans presque s'en rendre compte.L'eff<strong>et</strong> d'entraînement n'est pas une contrainte imposée de l'extérieur, ce n'est pas même uneséduction; c'est un attrait intérieur pour une réalité ou pour une activité. L'eff<strong>et</strong> d'entraînement aceci de caractéristique qu'il entraîne la liberté, au lieu de la déterminer, au lieu de la contraindrede l'extérieur. C'est la liberté qui est mise en mouvement.L'eff<strong>et</strong> d'entraînement dans le sport consiste dans le fait que la pratique du sport, mais aussi lespectacle comportent une fascination, un entraînement. L'homme, même s'il fait preuve de raison,de liberté, de créativité, est mû par une force indépendamment de la liberté <strong>et</strong> de la réflexion.Dans le sport, on est entraîné par quelque chose qui n'est pas mauvais, qui est bon, mais quifascine, qui fait que l'on agit spontanément, volontiers, avec une sorte d'excitation, avec fougue,avec passion.L'eff<strong>et</strong> d'entraînement dans le sport <strong>et</strong> autour du sport mérite d'être considéré plus attentivement.Il excite, mais il protège d'autres excitations. Comme la vitesse, comme le bruit. Comme l'alcoolpeut-être.On connaît l'eff<strong>et</strong> d'entraînement des passions, des sentiments, celui du sentiment amoureux, celuide la colère, celui du désir. Mais déjà, à la fin du IV e siècle, Augustin sait ce qu'est l'entraînementdu jeu, du spectacle sportif.L'eff<strong>et</strong> d'entraînement touche les activités les plus nobles: l'étude, la recherche intellectuelle, larecherche scientifique, l'économie, l'argent, même la religion, <strong>et</strong> aussi le sport. Dès qu'on esttouché par le virus du sport, on est tenté d'y mordre de plus en plus. Celui qui a commencé à suivreun match de foot, ou de rugby, ou de tennis, ou de boxe est porté à le regarder jusqu'au bout. Onpoursuit, non parce qu’on subit une contrainte extérieure, mais parce qu’on est emportéintérieurement vers quelque chose de fascinant, de passionnant.Le sport a en lui quelque chose qui est comme un virus, comme une maladie, comme uneexcitation. Le sport de performance, de compétition est particulièrement sensible à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>d'entraînement. Il est bon pour l'homme d'être passionné <strong>et</strong> on peut considérer la passion pour lesport comme une attitude positive, du point de vue humain <strong>et</strong> éthique, si ce qui passionne dansle sport, c'est la performance comme dépassement de soi avec sa valeur symbolique. C'est ce quenous avons cherché à préciser dans la quatrième partie de notre rapport. Mais l'intérêt <strong>et</strong> lapassion pour le sport, l'enthousiasme <strong>et</strong> l'excitation vécus dans le sport, peuvent devenirirrationnels, passionnels, aliénants. On se trouve enfermé dans une quête sans fin, obsessionnelle,interminable. On n'a jamais fini de combattre, de s'améliorer, de se dépasser, de se perfectionner.108


On veut toujours aller plus loin, plus vite, plus fort. Le match est terminé, mais parfois onprolonge la rencontre sportive par des commentaires sans fin, on revoit des heures durant à la télévisionla reprise des mêmes images de victoire, d'exploits sportifs. Pourquoi c<strong>et</strong>te excitation, c<strong>et</strong>entraînement? Cela reste à creuser. Mais pour notre propos on peut s'en dispenser actuellement.L'eff<strong>et</strong> d'entraînement dans le sport est un fait accepté dans le sport, comme dans l'étude, larecherche, la recherche scientifique. Il y a comme une collusion entre l'eff<strong>et</strong> d'entraînement dansle sport <strong>et</strong> l'eff<strong>et</strong> d'entraînement dans la recherche scientifique. C'est ce que j'appellerai l'eff<strong>et</strong>d'entraînement dans le sport <strong>et</strong> autour du sport.De même, il y a une collusion, une rencontre entre l'eff<strong>et</strong> d'entraînement dans le sport <strong>et</strong> l'eff<strong>et</strong>d'entraînement de l'argent. Il y a homologie de structure. Ce sont des mouvements parallèles,symétriques. Ils sont différents. Mais ils peuvent entrer en connivence, en symbiose. Ils sontcomme appelés à se rencontrer. L'argent fou du sport est une réalité. L'argent, qui peut être bon,peut aussi être comme un système devenu fou, étranger à tout, aux drames des personnes <strong>et</strong> desgroupes. Il se marie facilement avec le sport, où il y a un semblable eff<strong>et</strong> d'entraînement. Deuxeff<strong>et</strong>s d'entraînement se rencontrent <strong>et</strong> se renforcent. L'argent <strong>et</strong> le sport sont deux réalitésdifférentes. L'une ne se réduit pas à l'autre. Mais il y a proximité, <strong>et</strong> il peut y avoir collusion,convergence, rencontre malheureuse.S'il y a eff<strong>et</strong> d'entraînement dans le sport, s'il y a eff<strong>et</strong> d'entraînement dans la recherche del'argent, il y a eff<strong>et</strong> d'entraînement aussi dans la science, dans la recherche scientifique. On asouvent noté le lien entre le sport <strong>et</strong> l'argent, mais les liens se multiplient aussi entre le sport <strong>et</strong>la recherche scientifique <strong>et</strong> technique. Dès que la recherche scientifique <strong>et</strong> médicale s'intéresse ausport, elle sera portée à aller le plus loin possible pour aider les sportifs à progresser dans laperformance sportive, dans le résultat sportif.L'éthique du sport valorise l'intérêt du sportif <strong>et</strong> des spectateurs pour le sport. C<strong>et</strong> intérêt peutdevenir une passion, non une attitude passionnée au sens positif que nous avons cherché àélucider <strong>et</strong> à valoriser, mais une attitude passionnelle, proche de la folie, qui est une excitation <strong>et</strong>un enthousiasme vécus sans le contrôle de la raison <strong>et</strong> de la liberté. C<strong>et</strong> intérêt passionnel pourle sport comporte un eff<strong>et</strong> d'entraînement au sens négatif que nous avons précisé plus haut. Cepremier entraînement rencontre <strong>et</strong> entre en synergie avec deux autres formes d'entraînement, celuide l'argent, celui de la science. On se trouve finalement en présence d'une triade, d'une triple formed’entraînement qui exerce une influence conjuguée <strong>et</strong> en fin de compte négative dans le domainedu sport.A ces trois formes d’entraînement vient se joindre une quatrième forme, celle qui est liée à l'alcool<strong>et</strong> qui est si typique des milieux sportifs. L'alcool lui-même est en rapport avec le problème de laviolence que nous traiterons dans le dernier chapitre de c<strong>et</strong>te dernière partie.Ce qui vaut pour l'alcool, vaut en partie aussi pour le tabac. Quand on boit, on ne s'arrête pasfacilement. Quand on fume, il n'est pas facile de s'arrêter, il est plus facile de continuer que des'arrêter.La rencontre entre le sport <strong>et</strong> l'alcool n'est pas fortuite. Il y a une logique dans c<strong>et</strong>te rencontre,non un lien de cause à eff<strong>et</strong>, mais une affinité, une proximité, une homologie de structure. N'estpas fortuit le fait que le sport soit devenu un support privilégié de la publicité pour l'alcool."Les hommes savent pourquoi", dit une publicité célèbre pour une bière, les sportifs savent109


110pourquoi il est bon de boire une bière, un alcool. Il en est de même pour la publicité pour le tabac.Le sport, non le sport pour tous, mais le sport de compétition, le sport automobile est devenu unsupport quasi incontournable de la publicité pour le tabac. On connaît la difficulté rencontréeen Belgique par le législateur, qui veut interdire <strong>et</strong> sanctionner la publicité pour le tabac, deparvenir à faire accepter l'interdiction de la publicité pour le tabac lors des compétitionsautomobiles internationales sur le circuit de Francorchamps.


Chapitre 6 : La violence dans le sport <strong>et</strong> autour du sportLa valeur symbolique du sport est évidemment sinon annulée, du moinscompromise par la violence des joueurs, comme par celle des spectateurs.La violence des supporters, dans <strong>et</strong> autour du stade, est une réalité à la fois trèstriste <strong>et</strong> effrayante. Les événements au cours de la soirée de mai 1985, au stade duHeyzel, aux portes de Bruxelles, en sont comme le symbole négatif. Mais qui se souvientque des supporters imbibés d'alcool déambulaient dans le centre de Bruxelles dès le début del'après-midi <strong>et</strong> s'y livraient à des actes de vandalisme?La violence est un entraînement, mais d'une autre manière que celui de l'argent, que celui du sport.Dans la rencontre entre le sport <strong>et</strong> la violence, il s'agit non d'une conjonction de formesd'entraînement, mais d'une superposition. Ce qu’on observe, c'est une superposition parallèle,où la violence, comme un parasite, se nourrit d'autre chose. Il n'y a pas de vraie proximitéentre le sport <strong>et</strong> la violence, mais comme une sorte de colonisation du sport par laviolence, dont l'origine, la cause, la signification sont ailleurs, peut-on penser. Une réalité qui peutêtre belle comme le sport, bien que c<strong>et</strong>te valeur soit fragile <strong>et</strong> délicate, est comme envahie parune autre réalité, extérieure à elle, sans véritable rapport avec elle, mais qui vient comme laparasiter, l'occuper, la coloniser. La violence des supporters envahit le territoire, le topos du sport,<strong>et</strong> y exerce ou cherche à y exercer une forme de dictature.L'entraînement passionnel de la violence est d'un autre type que les trois formes d'entraînementque nous avons reconnues précédemment, l'entraînement du sport, de l'argent, de la recherche.L'entraînement du sport a une autre source, une autre signification, une autre logique que laviolence. A la différence du sport, ou de l'argent, ou de la science, la violence ne cherche pas un"plus", une progression. Il y a une escalade de la violence, mais c<strong>et</strong>te escalade n'est pas unerecherche programmée, n'est pas poursuivie méthodiquement, dans l'effort <strong>et</strong> même l'ascèse, mêmesi elle n'ignore pas des formes d'organisation, de partage d'informations. Le sportif recherche laperformance, mais à travers un travail méthodique sur lui-même, à travers une forme dediscipline. Le profit de l'argent aussi est recherché par le biais d'un travail systématique, aussirationnel que possible; les professionnels de l'argent sont voués, dans leur travail, à une formed'austérité. La recherche scientifique est le paradigme aujourd'hui des progrès recherchés parl'homme avec les autres, de façon méthodique, par l'ascèse de la recherche de la vérité. Ces traitsne se r<strong>et</strong>rouvent pas dans l'escalade de la violence qui se manifeste dans le sport. Lorsque laviolence des supporters se manifeste dans <strong>et</strong> autour du stade, c'est une réalité étrangère quiimpose sa présence <strong>et</strong> son image de négativité, qui envahit un territoire dont les caractères sonttout différents.L'entraînement de la violence a par contre une certaine parenté avec l'emprise de l'alcool. L'alcool<strong>et</strong> la violence conjuguent leurs eff<strong>et</strong>s destructeurs. Pourtant, la présence de l'alcool dans le sport<strong>et</strong> la présence de l'alcool dans la violence ont une signification tout à fait différente. Nous avonsvu que, dans le sport, l'alcool était une fausse promesse de rencontre <strong>et</strong> de camaraderie. Dans laviolence, l'alcool n'est pas aussi service de la camaraderie. Il est l'instrument de la négativité <strong>et</strong>de la destructivité.Il importe pour les pouvoirs publics de combattre la violence dans le sport. Il incombe auxresponsables sportifs de prévoir les manières les plus judicieuses pour empêcher la manifestationde la violence dans ce contexte. Mais quand on étudie la violence dans le sport, il faut éviter defaire un amalgame entre le sport <strong>et</strong> la violence. Le sport connaît l'affrontement, il connaît les111


oppositions. Il connaît aussi l'eff<strong>et</strong> d'entraînement. Mais le sport est en même temps le lieu oùl'être humain, où le jeune rencontre <strong>et</strong> veut respecter la règle, la règle sportive, l'autorité del'arbitre, l'autorité des dirigeants sportifs. La violence est d'un autre ordre, appartient à un autrelieu, un autre topos. Ces deux territoires se rencontrent, mais c<strong>et</strong>te rencontre ne les rapproche pas.Nous avons dit, dans les différents chapitres de c<strong>et</strong>te cinquième partie, les problèmes, lesdérèglements <strong>et</strong> les dérives du sport. On peut <strong>et</strong> on doit les combattre au nom de l'éthique. Nousavons dit la valeur du sport pour l'homme. C<strong>et</strong>te valeur doit être poursuivie volontairement, aunom de l'éthique du sport également, par tous ceux qui ont une responsabilité dans le domaine dusport. L'éthique du sport est une alliée du sport; elle est au service du sport. La violence dans lesport n'est pas une alliée du sport, elle n'est pas au service du sport. Elle poursuit son propreobjectif, qui est un objectif de négativité, de destruction, de mort finalement. Ce que cherche laviolence dans le sport, ce n'est pas seulement à blesser, à injurier, à tuer des personnes, maisfinalement elle cherche à détruire tout ce qui n'est pas elle. Le principal allié de la violence, c'estl'alcool.Si on veut combattre la violence dans le sport, comme c'est nécessaire, il faut aussi combattre laprésence de l'alcool dans le sport.La perspective qui s'impose ici, c'est que si le mal peut être vaincu par le bien, il peut arriver aussiqu'une forme de mal soit engloutie par une autre forme de mal, différente, mais éventuellementpire. Comme une dictature est renversée souvent par une autre dictature, parfois pire que lapremière.Le sport peut être un facteur d'intégration sociale. Il est un lieu d'apprentissage de la tolérance,du respect des différences personnelles, de la valorisation des identités ouvertes à d'autresidentités. Il faut étudier le sport dans c<strong>et</strong>te perspective. Pourtant, il ne peut résoudre tous lesproblèmes sociaux. Il peut apporter beaucoup. Mais il ne faut pas attendre que par lui-même ilrésolve les problèmes de l'insécurité urbaine. Il ne faut pas attendre du sport que par lui-même, ilsoit une réponse suffisante aux problèmes de la violence urbaine, de la violence dans les écoles.Le sport est lui-même fort ébranlé par la violence qui le colonise. On veillera par ailleurs à ne pasinstrumentaliser le sport, pour qu'il serve à l'intégration sociale <strong>et</strong> à la lutte conte la criminalité,ou pour qu'il contribue à favoriser l'emploi <strong>et</strong> à lutter contre le chômagePar contre, il faut suivre avec beaucoup d'attention les recherches réalisées à la demande desautorités belges. Il faut suivre avec beaucoup d'intérêt également le recours à des accompagnants,des stewards, la séparation physique, dans les tribunes, des supporters de différentes équipes.112


CONCLUSION:Le fair-play dans le sport <strong>et</strong> l’éthique du sportLe fair-play est un aspect central de la pratique sportive, un aspect nécessaired'une politique du sport, selon le Conseil de l'Europe. Le fair-play est uneattitude intérieure, créatrice, qui surgit des richesses de l'intériorité des suj<strong>et</strong>s,mais qui doit être encouragée <strong>et</strong> promue de l'extérieur par l'altérité.Le sport est un lieu symbolique qui nourrit le rêve <strong>et</strong> l'imagination auprès du jeune quigrandit; le rêve peut être une richesse <strong>et</strong> faire grandir. L'hypertrophie du rêve ne peut être quenégative.Dans sa relation au sportif, la présence du médecin, du kinésithérapeute n'est pas qu<strong>et</strong>hérapeutique. L'un <strong>et</strong> l'autre peuvent accompagner médicalement le sportif dans son effort. Maisil faut se garder d'une médicalisation excessive du sport <strong>et</strong> ne pas entr<strong>et</strong>enir l'illusion d'une toutepuissance dans l'action sur le corps, comme si une technologie d'où le souci éthique de l'humainest absent, était en mesure de rendre possible ce qui n'aurait d'ailleurs plus de sens pour l'hommequ'est le sportif. L'éthique du sport <strong>et</strong> le droit condamnent le dopage; il leur appartient depréciser quelles interventions peuvent être acceptées <strong>et</strong> celles qui ne peuvent l'être. Il doit êtrecombattu dans la clarté <strong>et</strong> la justice, là où il existe. Lorsqu'il est imposé à des jeunes, il est unabus d'autorité <strong>et</strong> doit être sanctionné sans concessions.La violence dans le sport ou dans le contexte du sport est une plaie dans nos sociétés modernes.Elle ne peut être banalisée. Elle doit être étudiée avec lucidité avec l'aide des sciences sociales <strong>et</strong>de la criminologie. Des mesures efficaces, faisant appel à l'imagination, doivent être mises enœuvre.L'enquête menée au niveau de la Communauté française de Belgique <strong>et</strong> au niveau européen par leschercheurs de l'Université de Liège, a pu manifester l'importance attribuée au fair-play chez lesjeunes, chez les garçons comme les filles, plus chez celles-ci que chez ceux-là. D'ailleurs, l'âgeaussi est une variable significative.Le fair-play, dans le sport, n'est pas quelque chose de marginal, périphérique; c'est quelque chosed'essentiel, de central dans le sport. Il est un comportement, une attitude; mais il est aussi unesprit, une manière d'être. Il est une manière d'être qui s'exprime extérieurement, qui devientmanière de faire. L'éducation au fair-play fait appel d'abord à la liberté, aux richesses intérieuresde l'enfant, parce qu'il est lui-même une attitude intérieure, donc libre. L'enfant ou le jeune quel'on veut aider à vivre dans le fair-play ne doit jamais être brimé, humilié; il doit être respecté, sion veut faire appel à sa liberté <strong>et</strong> à sa richesse intérieure, aux énergies positives qui sont en lui.Attitude intérieure, manière d'être, le fair-play doit cependant être encouragé extérieurement.L'enfant <strong>et</strong> le jeune doivent être soutenus, aidés, encouragés par l'environnement social, familial,par le milieu sportif, par les entraîneurs <strong>et</strong> les clubs. Les manques au fair-play doivent êtresanctionnés au plan sportif, parce qu'il s'agit d'éléments essentiels dans le sport.Le fair-play est respect des règles, respect de soi-même <strong>et</strong> des autres. Il est refus de la tricherie,du dopage, de la violence, ouverte ou sournoise. Il est aussi une attitude positive <strong>et</strong> créatrice. Larencontre sportive crée inévitablement des tensions, des mouvements d'humeur. Mais dans cesmoments problématiques, le fair-play réagit positivement, crée, invente une attitude inédite <strong>et</strong>113


positive, qui ne nie pas l'animosité mais la dépasse, précisément en découvrant <strong>et</strong> en adoptant unautre type d'attitude que le ressentiment ou le désir négatif de vengeance.Le fair-play n'est pas l'impassibilité; le fair-play exprime une intention, il dénote une sensibilité;une richesse intérieure produit dans un moment de tension une manière d'être qui la dépasse. C'estpour cela que le fair-play ne peut pas être imposé de l'extérieur. L'impassibilité (des jeunes gymnasteschinoises) peut être obtenue par une sorte de dressage humain. Le fair-play peut <strong>et</strong> doit êtreencouragé de l'extérieur, mais il doit surtout procéder de l'être du jeune sportif lui-même, de sajeune liberté qui peut être abusée mais qui est son plus grand trésor.L'éducation au fair-play chez l'enfant demande un accompagnement, même exigeant, de l'adulte;mais il ne peut être le résultat d'une manière autoritaire de concevoir l'entraînement: un entraînementde ce type, qui a pu servir à l'entraînement ici ou là des militaires, ne peut porter comme fruitle fair-play, manière d'être, choix d'une attitude positive, dans la difficulté.En milieu scolaire, les enseignants, professeurs d'éducation physique, mais en fait chargés aussi, enBelgique comme dans les autres pays européens, de l'éducation sportive, sont conscients del'ampleur <strong>et</strong> de la difficulté de leur tâche. L'éducation au fair-play, le respect de soi comme del'autre, la valorisation de l'autre, coéquipier ou adversaire, partenaire ou concurrent, qui ne sont pasles attitudes socialement les plus répandues, ne deviennent pas comme par enchantement lecaractère dominant dans le cadre de l'éducation sportive, pas plus que dans le cadre des pratiquessportives extra-scolaires.L’observation sociologique des pratiques sportives est une démarche intellectuelle indispensable àqui se préoccupe, comme le recommande le Conseil de l'Europe, du développement du sport <strong>et</strong> del'éthique du sport.La notion de fair-play, aussi pertinente que celle de performance ou de compétition dans le sport,peut être un élément important dans la vie sociale, politique, professionnelle. Le fair-play dans lesport <strong>et</strong> la correction dans les affaires sont des attitudes distinctes, mais contiguës. La vie socialen'est pas faite que de performance <strong>et</strong> de compétition, mais aussi de respect de soi <strong>et</strong> des autres, desens de la justice <strong>et</strong> du droit. Le sport a sa spécificité, mais les règles de justice qui fonctionnenttant bien que mal dans le monde du travail doivent aussi devenir les règles du monde du sport.Le sport est une pratique <strong>et</strong> un spectacle. Il est une réalité personnelle <strong>et</strong> une réalité sociale. Il estune activité physique, mais aussi un jeu qui concerne tous les aspects de la personnalité humaine.Il peut être ouvert à la recherche de la performance sportive, du dépassement de soi <strong>et</strong> recevoir parlà une dimension symbolique. Il est habité alors par un certain nombre de <strong>valeurs</strong>spécifiques au sport, que le suj<strong>et</strong> poursuit librement, mais qu'il doit vivre de manière responsable,dans la raison, la justice <strong>et</strong> la sagesse. Il doit toujours respecter ce que nous avons appelé les<strong>valeurs</strong> communes, les règles morales communes, celles qui doivent se vivre dans le sport <strong>et</strong> dansl'ensemble des activités humaines.En même temps il est nécessaire que le développement du sport s'accompagne d'une éthique dusport, d'une parole qui en dit le sens, sa valeur pour l'homme, les exigences <strong>et</strong> les règles qu'il doitrespecter pour être vraiment humain. Le sport dans sa complexité doit être l'obj<strong>et</strong> de rencontres,d'échanges, de discussions. L'éthique du sport doit observer la réalité du sport, ses aspectspositifs <strong>et</strong> ses aspects négatifs, la beauté du sport <strong>et</strong> son aspect problématique. Elle doit réfléchirà la manière dont le sport peut être pratiqué par les jeunes <strong>et</strong> les jeunes adultes, par les femmes114


comme par les hommes, mais aussi par l'enfant <strong>et</strong> la personne âgée, ainsi que par la personnemalade ou handicapée. Chaque fois, le sport devra être vécu de façon adaptée <strong>et</strong> appropriée àchaque situation.Selon les Recommandations adoptées, surtout depuis les années 1992, par le Comité des Ministreseuropéens du <strong>Sport</strong> dans le cadre du Conseil de l'Europe, le développement du sport doits'accompagner d'un développement corrélatif de l'éthique du sport. L'éthique du sport, le fair-play,l'esprit sportif, sont des éléments essentiels de la réalité sportive. Le Conseil de l'Europe soutientc<strong>et</strong>te dimension éthique du sport.Celui qui s'intéresse à l'éthique du sport, doit être attentif également à la dimension politique <strong>et</strong>suivre la manière dont évoluent les politiques du sport au niveau européen <strong>et</strong> mondial, au niveaunational <strong>et</strong> communautaire ou régional. Il doit y avoir une convergence entre ceux qui comme nousréfléchissent à un niveau éthique <strong>et</strong> juridique <strong>et</strong> ceux qui prennent les décisions au niveaupolitique. Qui n'est pas convaincu de l'importance des rencontres des Ministres chargés du <strong>Sport</strong>, auniveau européen, tous les trois ans, dans le cadre du Conseil de l'Europe? Qui peut douter del'importance de la Charte européenne du sport (1992) <strong>et</strong> du Code d'éthique du sport (1992) publiéspar le Conseil de l'Europe? Qui doute de l'impact que peut avoir sur le sport <strong>et</strong> sur l'éthique du sportl'action de la Communauté européenne <strong>et</strong> de ses institutions?).Quelle que soit la responsabilité des instances politiques dans le domaine de l'éthique du sport, cesont davantage encore les instances sportives, les fédérations nationales <strong>et</strong> internationales, quidoivent se doter de comités d'éthique du sport, à l'instar de ce qu'a fait le Comité Olympique dansnotre pays <strong>et</strong> ailleurs. C'est au sein de ces instances sportives que doit naître <strong>et</strong> se développer unLogos, une parole qui dit le sens, les exigences, la beauté du sport, sans minimiser la réalité desgraves problèmes <strong>et</strong> dérèglements qu'il rencontre encore aujourd'hui.Dans ce domaine de l'éthique du sport, l'école a une fonction de formation initiale essentielle. Lesmédias peuvent contribuer à informer le public sur la manière dont évolue la politique européennedu sport <strong>et</strong> sur la manière dont prend figure l'éthique du sport. Au cours des vingt dernières années,les Eglises notamment se sont aussi préoccupées du sport <strong>et</strong> de l'éthique du sport,davantage qu'on ne pourrait s'y attendre. Elles ont produit des textes d'une grande richesse, disantla beauté <strong>et</strong> la valeur du sport, célébrant la place de la jeunesse dans le sport, acceptant lacompétition sportive <strong>et</strong> la performance, rappelant les règles éthiques essentielles, relevant aussiquelques-uns des problèmes les plus graves du sport du point de vue de l'éthique.115


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POSTFACETalent <strong>et</strong> éthique"Commencez donc par étudier vos enfants car très certainement vous ne lesconnaissez pas": c’est en ces termes que s’ouvre, en 1762, l’Emile deJean-Jacques Rousseau. C<strong>et</strong>te phrase paraît plus actuelle que jamais lorsque l’onexamine les relations que notre société contemporaine entr<strong>et</strong>ient avec le talentsportif des jeunes.Durant l’Antiquité, un talent représentait une fortune équivalant à environ 14 kilos de piècesd’argent. Le talent représente de nos jours notre bien humain le plus précieux, il est toutsimplement hors de prix. Il est à la base de carrières fantastiques <strong>et</strong> peut être synonyme depuissance <strong>et</strong> de gloire, mais dans beaucoup de cas aussi de douleur, de tristesse <strong>et</strong> de misère.La question de savoir s’il existe des prédispositions naturelles a donné lieu à un grand nombre decontroverses tout au long de l’histoire de l’éducation. Le nativisme reposait sur l’idée que tout étaitaffaire de dons naturels, au point que l’éducation <strong>et</strong> la formation ne pouvaient plus rien changerà la prédestination héréditaire d’un individu. Dans c<strong>et</strong>te optique, le développement d’un individudépend entièrement de son patrimoine héréditaire. C<strong>et</strong>te théorie, qui a fait beaucoup d’émules, estapparue sous l’influence d’une conception mécanique de la nature, de la théorie de l’évolution <strong>et</strong>des théories génétiques (seconde moitié du XIX e siècle).Lombrose, Schopenhauer <strong>et</strong> d’autres défenseurs du nativisme pensaient donc que l’être humainétait génétiquement déterminé. La force suggestive qui émanait de quelques exemples de"prédisposition héréditaire" a même favorisé la croyance en une fatalité héréditaire qui allaitjusqu’à conditionner le caractère <strong>et</strong> les comportements.La théorie nativiste a aujourd’hui perdu beaucoup de son influence. On considère à présent que les"dons naturels" ne déterminent plus exclusivement l’évolution ultérieure d’un individu, maisreflètent plutôt ses potentialités évolutives: ce seraient les caractéristiques héréditaires quidétermineraient dans quelle mesure une prédisposition donnée peut éventuellement se développer.Les prédispositions naturelles créeraient donc certaines contraintes de développement:l’éducation <strong>et</strong> la formation ne peuvent pas créer des potentialités qui ne sont pas présentes audépart.A l’opposé des nativistes se trouvent les empiristes, selon qui l’être humain doit être considéré àsa naissance comme une feuille vierge, sans la moindre prédisposition héréditaire. L’empirisme voitdans l’environnement (éducation, formation,…) le seul facteur responsable de l’évolutionultérieure de l’individu <strong>et</strong> dans l’expérience la seule source de connaissances. Il nie l’existence deprédispositions naturelles <strong>et</strong> se fonde sur la toute-puissance du milieu. C’est pourquoi Locke,Rousseau, Kant <strong>et</strong> bien d’autres, qui furent parmi les partisans de c<strong>et</strong>te théorie, attribuèrent uneimportance capitale à l’éducation. C<strong>et</strong> optimisme pédagogique illimité donna même lieu à desaffirmations telles que: "Ouvrez des écoles <strong>et</strong> vous pourrez fermer les prisons" (V. Hugo).Les recherches pédagogiques menées durant ces dernières décennies ont plutôt démontré que ledéveloppement de l’individu était déterminé par l’interaction entre ces deux facteurs: l’hérédité <strong>et</strong>l’environnement. Pour des chercheurs comme Jean Piag<strong>et</strong>, il y a dans l’organisme une série d<strong>et</strong>endances intrinsèques de développement qui, par des processus d’adaptation nés de laconfrontation avec le milieu, perm<strong>et</strong>tent de passer à une nouvelle phase de développement.117


Sans vouloir pour autant nier l’importance particulière de l’environnement pour le développementdu don ou du talent, nous voudrions souligner la fonction cruciale d’un autre facteur à c<strong>et</strong> égard:le "facteur personnel". Nous entendons par là l’ensemble des facteurs dynamico-affectifs quistimulent le processus de développement (motivation, aspirations, besoins, impulsions,mobiles,…).Le talent sportif...Le talent sportif ne peut être activé qu’en donnant un maximum de chances au développementphysique au sens le plus large du terme. Nous songeons par là aussi bien à la motricité de basequ’à la motricité fine <strong>et</strong> à des caractéristiques physiques fondamentales telles que la force, lasouplesse, la résistance, l’endurance, <strong>et</strong>c.. La condition physique, dont parlent tant d’ouvragesspécialisés, est principalement favorisée par une activité physique régulière <strong>et</strong> suffisammentintensive de l’individu durant sa phase de croissance, sans négliger pour autant l’influence exercéepar d’autres facteurs comme l’hygiène, l’alimentation, le repos nocturne, le rythme scolaire,…En ce qui concerne les jeunes, le jeu <strong>et</strong> le sport pourraient sans doute constituer le moyen le plusindiqué, du moins si les possibilités sportives sont parfaitement adaptées à leurs capacités ou,mieux encore, partent de leur personnalité spécifique, tout en veillant bien sûr à offrir lemaximum de chances pour tous.Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que le développement physique n’est pas un phénomèneisolé. Toute forme de comportement, y compris donc moteur, implique une interaction claire entreles différents domaines du développement de la personnalité (cognitif, affectif <strong>et</strong> moteur). Maispour percevoir cela, il faut une compétence qui fait souvent défaut à ceux qui sont chargésd’encadrer les jeunes talents sportifs.Les moments cruciauxLe moment auquel il faut commencer à suivre le développement moteur du jeune suscite pas malde controverses.Très souvent, c’est le désir exacerbé de performance des adultes qui pousse les jeunes à s’engagertrop tôt dans un processus d’entraînement intensif, ce qui ne répond absolument pas aux besoinsde l’enfant <strong>et</strong> exerce dans de nombreux cas un eff<strong>et</strong> contre-productif.Dans les discussions à ce suj<strong>et</strong>, on se laisse fortement influencer par les résultats, les médailles,les records,… de quelques athlètes qui, dès leur plus jeune âge, ont subi les méthodes d’entraînement<strong>et</strong> d’exercices les plus rébarbatives pour les enfants. On a ainsi beaucoup trop tendance àoublier les milliers d’autres qui, dans les mêmes conditions, n’ont pas réussi à percer pour l’une oul’autre raison. Le Docteur Stéphan, qui a longtemps travaillé à l’Institut National de l’EducationPhysique, affirme clairement dans son étude que seuls 5 % des dix meilleurs seniors d’unecatégorie ont participé très jeunes à des compétitions pour minimes ou cad<strong>et</strong>s. Les 95 % restantsont eu la chance de ne pas avoir été sélectionnés <strong>et</strong> entraînés dès leur plus jeune âge. Mais biend’autres auront connu le parcours suivant: cad<strong>et</strong> brillant, junior moyen, senior médiocre, <strong>et</strong> ce àun âge où chacun pense à progresser plutôt qu’à régresser.A côté des problèmes physiques que connaissent beaucoup de jeunes qui s’entraînent trop tôt, ilest tout aussi important de signaler les troubles psychologiques dont ils sont victimes. Dansbeaucoup de cas, ils sont écartés, à un âge très vulnérable, de leur famille <strong>et</strong> du tissu social118


auxquels ils pensaient appartenir pour être soumis à un régime excessif de 15 à 18 heuresd’entraînement par semaine, voire 25 heures dans certains cas. A cela vient s’ajouter l’école, quiprétend certes prévoir des horaires adaptés mais qui, lorsque l’on examine les choses de plus près,impose un programme tout aussi exigeant. Il y a de quoi tuer les plus belles vocations. Et si lejeune ne "perce" pas, il est très souvent abandonné à son sort. Bel exemple d’éthique!La tendance actuelle préconise clairement de proposer au jeune l’éventail le plus large possible dedisciplines sportives ou d’activités physiques. Il sera toujours temps plus tard, à tête reposée, entenant compte de différents facteurs <strong>et</strong> en concertation avec le jeune, ses parents <strong>et</strong> ceux qui lesuivent, de choisir le sport qui lui convient le mieux.Une optimalisation bien réfléchie des aptitudes motrices constitue le fondement d’un pleinépanouissement sportif. La période la plus propice à c<strong>et</strong>te activation se situerait entre 8 <strong>et</strong> 10 ans.Elle est d’ailleurs qualifiée d’âge "d’or" sur le plan moteur. Pour un certain nombre de sports, on atendance à affirmer un peu facilement <strong>et</strong> sans trop y réfléchir que l’entraînement spécifique doitdébuter beaucoup plus tôt. Mais celui-ci peut en fait se réduire au développement optimal decaractéristiques physiques fondamentales (il s’agit dans de nombreux cas de souplesse) typiquesd’une discipline bien précise <strong>et</strong> d’aptitudes motrices générales, <strong>et</strong> donc "multisports", telles quecourir, ramper, soulever, grimper, lancer, attraper,…Pour pouvoir travailler certains éléments plus spécifiques, il faut connaître les périodes sensiblesauxquelles ce travail peut débuter. C’est surtout à propos du développement moteur <strong>et</strong> de celui desaptitudes fondamentales qu’il existe des indications quant aux périodes les plus propices àl’apprentissage <strong>et</strong> à l’exercice de ces aptitudes.Ages auxquels certaines aptitudes peuvent être exercées ou entraînéesLorsque nous avons mené une enquête auprès de champions <strong>et</strong> de médaillés sportifs, nous avonspu constater que seulement 4 % d’entre eux avaient percé dans un sport qu’ils avaient exercédepuis leur plus jeune âge. Les 96 % restants n’avaient définitivement choisi leur sport qu’aprèsla puberté. L’ancien entraîneur soviétique Kariskof témoigne que, sur 660 athlètes internationaux(dont 94 médaillés olympiques), 70 % ont commencé l’entraînement spécifique après l’âge de 19ans <strong>et</strong> 20 % après l’âge de 17 ans. Il s’agit certes en l’occurrence de sports dits "fermés",c’est-à-dire dont les modalités d’exécution n’évoluent pratiquement pas. Par contre, les sports quisollicitent fortement des mécanismes d’adaptation (sports dits "ouverts") exigent sans aucundoute davantage d’expérience, ce qui n’implique pas nécessairement des compétitions précoces.119


Il y a d’innombrables exemples de sportifs de haut niveau qui n’ont pratiqué leur discipline que demanière très sporadique lorsqu’ils étaient jeunes, se sont classés très moyennement durant leuradolescence <strong>et</strong> n’ont réellement "éclaté" qu’à l’âge adulte. Les fédérations qui préconisent unespécialisation <strong>et</strong> des compétitions précoces ne poursuivent en fait que deux objectifs:- augmenter le nombre d’affiliés (ce qui constitue, jusqu’à nouvel ordre, le principal critère desubsidiation);- m<strong>et</strong>tre le grappin sur des jeunes doués pour le sport, même si, dans beaucoup de cas, ils nesont pas spécifiquement doués pour la discipline en question.On impose à des centaines d’enfants un entraînement similaire, rébarbatif <strong>et</strong> spartiate, en laissantimpitoyablement sur le carreau ceux qui craquent, au sens propre comme au sens figuré. Il ne resteau final qu’un p<strong>et</strong>it groupe, qui aura peut-être une chance d’arriver au somm<strong>et</strong>, comme l’a affirméun entraîneur américain: "Vous prenez un panier plein d’œufs <strong>et</strong> vous les j<strong>et</strong>ez contre le mur…ceux qui ne se cassent pas [du moins de manière visible] deviendront plus tard vos champions".L’entraînement précoce est un facteur de blessures !Laissons parler les chiffres:- selon le Docteur Jacques Persone, 40 % des jeunes gymnastes de 6 à 10 ans souffriraientrégulièrement de tendinite;- on aurait constaté des anomalies du radius chez 83 % des gymnastes qui font partie de l’éliteeuropéenne des juniors;- deux chirurgiens américains ont dû opérer 26 des 28 épaules de 14 jeunes espoirs de lanatation. Ceci était dû selon eux à un entraînement excessif – toléré par la société.Combien d’anciens espoirs de la gymnastique, de la natation, de l’athlétisme,… ne sont-ils pascondamnés à vivre le restant de leurs jours dans une chaise roulante ou rivés à leur lit ? Sansparler de la détresse psychologique provoquée par certains systèmes. L’administration d’hormonesou d’inhibiteurs de croissance ainsi que d’autres substances nocives <strong>et</strong> interdites a également faitdes ravages, souvent irréversibles. Des syndromes d’usure précoce ont été observés chez desenfants qui avaient été obligés de passer des dizaines d’heures par semaine sur un court d<strong>et</strong>ennis. A 18 ans, la plupart de ces jeunes sont physiquement épuisés <strong>et</strong> psychologiquement usés,ils souffrent de tendinite <strong>et</strong> d’autres lésions. Ça passe ou ça casse… Aux Etats-Unis, des jeunes de6 ans à peine sont déjà préparés à courir des marathons. Cela dépasse toute imagination!Il y a quelque temps, un club de musculation pour bambins de troisième maternelle a même vu lejour dans l’agglomération bruxelloise.Tout ceci est évidemment lié au fanatisme aveugle de certains parents, accompagnateurs <strong>et</strong>entraîneurs, qui n’ont qu’un seul objectif à l’esprit: la performance, la victoire, le titre dechampion, à n’importe quel prix.C<strong>et</strong>te soif de performances ne devrait jamais passer avant le respect de l’enfant <strong>et</strong> les pratiquesnéfastes pour le bien-être de celui-ci devraient être bannies de tout terrain de sport. Il faudraitplutôt comprendre qu’une lente gradation d’exercices adaptés à l’enfant, agrémentés de jeux <strong>et</strong> demoments de plaisir, sera beaucoup plus profitable à long terme. Beaucoup de championsolympiques ont en fait eu la chance de ne pas avoir été sélectionnés très jeunes, de n’avoir pasdû se spécialiser trop tôt <strong>et</strong> par conséquent de ne pas avoir été surentraînés.120


Les besoins réels de l’enfantLorsqu’on observe des enfants qui, sous la direction d’un entraîneur, pratiquent le football dans unobjectif de compétition, on s’aperçoit immédiatement que ce qui leur est proposé ne répond pasaux besoins <strong>et</strong> donc aux attentes des jeunes. Les besoins psychologiques d’un individu en pleindéveloppement évoluent selon l’âge. Il y a donc certains besoins qui prennent progressivement lepas sur d’autres, mais il faut que le précédent besoin ait suffisamment diminué en intensité avantqu’un nouveau puisse jouer un rôle dominant. Ainsi, un besoin spontané de compétition (tel queles adultes le conçoivent) ne se manifeste que vers la fin de la puberté.L’évolution de l’importance relative des besoins psychologiques selon Maslow(Erwin Hahn, 1987)Il va de soi que les besoins physiques revêtent tout autant d’importance que les besoinspsychologiques. L’envie <strong>et</strong> le plaisir de bouger sont des éléments essentiels qui animent chaqueêtre vivant dès sa naissance. Ce besoin est une condition sine qua non au développement del’appareil moteur <strong>et</strong> de tout ce qui en dépend.Le degré auquel ce besoin de mouvement se manifeste détermine, avec des facteurs environnementaux,dans quelle mesure le potentiel moteur pourra se développer ou se réaliser.Laisser un enfant de 6 ans sur le banc pendant un match de football sous prétexte qu’il n’est "pasassez bon" va directement à l’encontre de c<strong>et</strong>te théorie des besoins <strong>et</strong> produit un eff<strong>et</strong> tellementfrustrant que ce jeune risque de perdre tout intérêt pour le club <strong>et</strong> même pour le sport.Maturité <strong>et</strong> performances des enfantsIl s’agit de deux facteurs d’une importance capitale <strong>et</strong> qu’il faut savoir gérer avec discernementlorsque l’on encadre des jeunes.La maturité correspond à la rapidité à laquelle le processus de développement évolue. L’âge auquelsurvient une poussée de croissance peut fortement varier <strong>et</strong> dépend de facteurs biologiques. Il enrésulte que des jeunes d’un même âge peuvent présenter de très grandes différences de taille.L’écart entre l’âge biologique <strong>et</strong> l’âge officiel peut atteindre quatre ans. Les jeunes qui ont connuune croissance précoce ont un organisme plus développé <strong>et</strong> sont donc capables de meilleuresperformances physiques que ceux du même âge qui connaissent une maturité plus tardive. Ils sonten eff<strong>et</strong> avantagés au niveau des aptitudes physiques fondamentales <strong>et</strong> de paramètres tels que le121


volume cardiaque <strong>et</strong> la masse musculaire, ce qui leur perm<strong>et</strong> de réaliser de meilleures performancessportives. Comme la répartition en catégories d’âge dans le sport de compétition se faitmalheureusement selon l’année de naissance, les jeunes qui connaissent une maturité précoce sontfortement avantagés. Plus de 400 ans avant Jésus-Christ, les Grecs avaient déjà compris qu’ilfallait définir les catégories selon l’apparence physique, <strong>et</strong> non selon l’âge.Le mois de la naissance peut lui aussi contribuer dans une large mesure à une mauvaise estimationdes potentialités du jeune. Ceux qui sont nés en janvier ou en février ont plus de chances dedevenir champions dans leur catégorie d’âge, simplement parce qu’ils ont quelques mois de plus.Il n’empêche que c<strong>et</strong>te maturité précoce est souvent perçue à tort par l’entourage comme unemarque de talent.Il est évident que si le seul objectif de la compétition est la victoire, chaque entraîneur sera tentéd’aligner les jeunes les plus performants. Pour toute une série de sports, il s’agit généralement desplus précoces: ces derniers ont plus de carrure, pèsent plus lourd, ont une plus grande foulée, unemeilleure résistance, <strong>et</strong>c..Cela ne laisse guère de chances à ceux qui deviennent matures plus tard, au risque de lesdémotiver <strong>et</strong> de leur faire abandonner toute pratique sportive.Le cocon familialOn pourrait considérer les parents comme les premiers entraîneurs <strong>et</strong> accompagnateurs du jeuneenfant talentueux. Mais un grand nombre de pères férus de football <strong>et</strong> de mères entichées deball<strong>et</strong> pensent que leur fils ou leur fille leur perm<strong>et</strong>tra de réaliser leur rêve avorté. Dans leur désirde faire éclore un talent supposé, ils peuvent entraver le développement de potentialités réellesou les étouffer avant qu’elles n’aient eu l’occasion de s’épanouir.Malheureusement, il existe des pères qui obligent impitoyablement leur garçon à suivre lesentraînements de football, qui se disputent avec les entraîneurs, qui crient <strong>et</strong> gesticulent le longde la touche. Lorsque Christie Heinrich, une gymnaste d’élite, a dû participer à une compétitionpour la coupe du monde alors qu’elle était blessée au pied, sa mère a déclaré: "Son corps est unemachine… Quand ils ont mal, ils n’y pensent même pas <strong>et</strong> ne sentent rien".La mère de Kristie Philips, qui a récemment abandonné la compétition après une tentative desuicide qui a failli réussir, trouvait que neuf heures d’entraînement par jour, cela n’avait riend’excessif pour sa fille.Les drames familiaux sont très fréquents dans ce p<strong>et</strong>it monde.Une famille doit avant tout créer un climat favorable à l’épanouissement des talents sportifs del’enfant. Les objectifs fixés doivent correspondre aux possibilités, aux compétences <strong>et</strong> auxaptitudes réelles de celui-ci. La capacité de relever un défi <strong>et</strong> de résister à une certaine tension,la satisfaction éprouvée lorsqu’un objectif est atteint <strong>et</strong> l’expérience du succès sont des conditionsimportantes qui favorisent l’épanouissement du talent, tout comme le soutien d’une famillesoudée <strong>et</strong> intéressée par le sport. C’est à l’enfant lui-même de choisir, surtout sous l’impulsion desa motivation intrinsèque, les contraintes qu’il s’impose. L’enfant n’est pas un adulte en modèleréduit. Les techniques d’entraînement <strong>et</strong> les stratégies du monde des adultes ne peuvent pas êtreappliquées aux plus jeunes. Au fur <strong>et</strong> à mesure de son évolution, le jeune éprouve un besoin demouvement de plus en plus grand ainsi qu’une propension naturelle à l’amélioration <strong>et</strong> à la122


perfection. Il contrôle davantage ses performances <strong>et</strong> répète inlassablement les mêmes gestes enm<strong>et</strong>tant la barre de plus en plus haut. Son désir de se faire respecter le pousse à vouloir semesurer avec d’autres afin de pouvoir comparer ses résultats <strong>et</strong> sa propre virtuosité motrice. S’ilpense avoir ses chances, il osera prendre part à une compétition. Il est alors essentiel d’être à sescôtés pour lui apprendre à gérer la victoire comme la défaite. C’est surtout par rapport à lavictoire que beaucoup de parents réagissent mal: le ved<strong>et</strong>tariat précoce n’est pas sain pourl’épanouissement ultérieur de l’enfant.Il est capital, y compris pour la vie sportive ultérieure, d’aider les jeunes à réagir à des expériencespositives <strong>et</strong> négatives en fonction de leur propre développement. Il faut surtout donner l’occasionaux enfants de découvrir eux-mêmes à quel rythme <strong>et</strong> dans quel sens ils veulent évoluer sur le planmoteur. Pour un jeune, le mouvement est en outre indissociablement lié à l’expression <strong>et</strong> aucomportement.Les adultes doivent respecter cela <strong>et</strong> ne pas jouer à ceux qui savent tout. Il faut surtout fairepreuve de beaucoup de patience <strong>et</strong> ne pas vouloir accélérer le processus. Perm<strong>et</strong>tre aux jeunesd’accumuler le maximum d’expérience <strong>et</strong> ne s’engager que plus tard, à la demande de l’enfant, dansla voie de la spécialisation, tel est le message.Il faut aussi que les adultes apprennent à laisser un enfant tranquille. Un enfant ne perd jamaisson temps, <strong>et</strong> encore moins sans doute quand il joue. Notre mission consiste à créer des occasionsde mouvement pour tous les enfants. Des occasions de mouvement qui partent du respect de laspécificité de l’enfant, qui ne peuvent lui nuire ni sur le plan physique ni sur le plan psychique,mais qui sont au contraire une source de joie <strong>et</strong> une garantie de succès.En fin de compte, c’est le respect de l’enfant qui devrait inspirer toute notre attitude d’adultevis-à-vis des jeunes.123


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L’éducation physique <strong>et</strong> le sport, générateurs de <strong>valeurs</strong>Evolution historiqueL’un des termes les plus anciens à avoir été utilisés pour décrire l’exercicephysique est sans conteste celui de "gymnastique", emprunté à la culturehellénique.Mais des milliers d’années auparavant, à l’époque des Egyptiens, l’entr<strong>et</strong>ien du corps <strong>et</strong> la formephysique occupaient déjà une place centrale, parce que la force <strong>et</strong> la souplesse étaient considéréescomme des qualités essentielles pour pouvoir subsister <strong>et</strong> défendre ses biens. Les fresques <strong>et</strong>les représentations sur des obj<strong>et</strong>s de toutes sortes nous indiquent l’importance qui était attachéeà l’exercice physique <strong>et</strong> montrent que celui-ci connaissait des applications très diverses <strong>et</strong>systématiques. D’ailleurs, des textes tels que le vingt-troisième livre de l’Iliade attestent que, dansl’esprit de la civilisation hellénique aussi, une personnalité harmonieuse sous-entendait le développementoptimal à la fois de la dimension intellectuelle <strong>et</strong> physique. C’est ce qu’exprimera plustard l’adage ‘mens sana in corpore sano’, même si, en m<strong>et</strong>tant en rapport deux concepts différents,il a pu encore accentuer la dualité du corps <strong>et</strong> de l’esprit. Pour les anciens Grecs par contre, l<strong>et</strong>erme de "gymnastique", dérivé de ‘gymnos’, signifiait le chemin à parcourir vers un mode de viesain <strong>et</strong> équilibré, une symbiose entre le corps <strong>et</strong> l’esprit, ce qui évoque plutôt une vision unitaire.Dès c<strong>et</strong>te époque, ils avaient constaté que l’exercice physique, pratiqué ou non dans un esprit decompétition, pouvait contribuer au développement d’autres aspects que les seules qualitésphysiques, <strong>et</strong> notamment former la volonté <strong>et</strong> le caractère. Outre l’entraînement du corps, lapratique d’exercices physiques visait manifestement la perfection spirituelle <strong>et</strong> morale. C’estpourquoi elle fut élevée au rang de matière culturelle. Elle était d’ailleurs souvent associée àd’autres formes d’expression culturelle <strong>et</strong> plus particulièrement artistique, comme la poésie, leshiéroglyphes, la peinture, la sculpture, <strong>et</strong>c..Au cours des siècles suivants, c<strong>et</strong>te simplicité originelle <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te cohésion entre les différentesdimensions de la personnalité humaine se sont perdues. Une des principales questions pour lesgrands courants philosophiques a été au contraire de définir la relation entre le corps, l’âme <strong>et</strong>l’esprit <strong>et</strong> de délimiter le domaine de ces différentes entités, ce qui n’a pas été sans exercerd’importantes répercussions sur tout le concept de l’éducation, <strong>et</strong> de l’éducation physique enparticulier.C’est principalement le rationalisme qui a complètement cassé la conception unitaire originelle.Il a attaché une telle importance à la réflexion, perçue comme une activité supérieure, que ladimension physique a été de plus en plus négligée. Le corps n’a plus été considéré que comme unobj<strong>et</strong>, un simple support de la raison, qui ne devait être exercé que dans une optique purementfonctionnelle. Du reste, les religions dominantes ne s’intéressaient pas beaucoup non plus à ladimension physique de l’homme.Gardons-nous toutefois de m<strong>et</strong>tre tous les rationalistes dans le même panier. Le rationalismeallemand, par exemple, n’a pas fait preuve d’un dualisme aussi tranché. Au contraire, il va mêmeexercer une influence profonde, par sa méthode spécifique de réflexion (l’analyse), sur la pratiquede l’éducation physique.Bien que la gymnastique allemande soit très proche de la pédagogie herbertienne (le déroulementdu mouvement est en fait une association d’attitudes), elle a été caractérisée par un certaindualisme. Nous pouvons aussi cataloguer la gymnastique suédoise comme un courant très125


ationnel, développé par Per Hendrik Ling. C<strong>et</strong>te gymnastique se limitait à des mouvements dedéveloppement du corps <strong>et</strong> de normalisation des attitudes. L’objectif premier consistait àdévelopper le corps au moyen d’exercices rigides <strong>et</strong> imposés. Lorsque l’éducation physique futintroduite dans nos écoles à la fin du XIX e siècle, il fallut faire un choix entre ces deux courantsrationnels. On trancha finalement en faveur de la gymnastique suédoise. Jusqu’à la fin des années60, il n’a donc pas été question de viser une approche globale des jeunes pendant les activitésphysiques à l’école, <strong>et</strong> encore moins de chercher à former des éléments tels que la dimension affectivedu jeune, son évolution ou sa conscience de la norme. Mais dès la première moitié du XX esiècle, un grand nombre de spécialistes s’opposèrent à c<strong>et</strong>te vision dualiste <strong>et</strong> proposèrent d’envisagerl’activité physique à l’école dans une optique beaucoup plus large. On vit ainsi fleurir unesérie de dénominations nouvelles pour désigner ces courants (éducation motrice, enseignementmoteur, formation motrice, psychomotricité, gymnologie, ...).K. Rijsdorp jugeait par exemple que le mot même "d’éducation physique" portait en lui des tracesde dualisme : “Toute éducation physique doit être une éducation au sens le plus compl<strong>et</strong> du terme.Cela signifie que toute éducation doit viser l’être humain dans son ensemble. Elle ne peut pas avoirune orientation exclusivement biologique ou pédagogique. Les deux aspects du problème ontautant de valeur : un seul ne peut jamais offrir une base suffisante à une éducation physique quivise essentiellement son objectif éducatif. La problématique de l’éducation physique est donc denature biologico-pédagogique”. Bart Crum, qui est lui aussi l’auteur de plusieurs nouvelles dénominationsde c<strong>et</strong>te discipline (comme la ‘bewegingsagogie’, la ‘bewegingsagogiek’ ou la‘bewegingsagologie’), s’est opposé à Rijsdorp en insistant sur le fait que le mouvement n’est passeulement un moyen didactique visant à atteindre certains objectifs plus globaux, mais que le butpremier est de modifier le comportement moteur de l’enfant. Pour lui, il s’agit donc avant tout dechercher à influencer intentionnellement la motricité des jeunes <strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre à leur disposition desmoyens pour réguler celle-ci.Tout ceci montre qu’aux Pays-Bas comme dans d’autres pays, les théoriciens se sont basés sur descourants philosophiques qui s’intéressaient surtout à la relation homme-monde (réalité),c’est-à-dire sur les théories phénoménologiques <strong>et</strong> existentialistes. C’est aussi ce qui expliquepourquoi ils ont préféré parler de mouvement <strong>et</strong> de motricité que d’éducation physique, parce queces termes expriment mieux le côté intentionnel du comportement <strong>et</strong> donc de l’action.Mais chez nous, le débat a longtemps fait du sur-place. Après avoir considéré pendant des sièclesle corps comme un obj<strong>et</strong> qu’il fallait avant tout discipliner, endurcir, entraîner, exercer <strong>et</strong> mêmedompter, on s’est mis p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it à se poser des questions, du côté de la pédagogie, del’orthopédagogie, de la psychologie du développement <strong>et</strong> de la sociologie, sur l’importance de laformation physique dans le développement global du jeune. Ce n’est que vers la fin des années 60qu’on a commencé à se détourner d’une gymnastique qui était surtout une affaire de ligaments, d<strong>et</strong>endons <strong>et</strong> de muscles, <strong>et</strong> ce avec l’ouvrage de Jean Le Boulch : "L’Education par le mouvement".C<strong>et</strong> intitulé avait déjà été utilisé en 1941 par K. Rijsdorp, qui voulait ainsi s’opposer auxvariations mécaniques <strong>et</strong> artificielles qui, à son avis, déterminaient beaucoup trop le contenu del’éducation physique.N’ignorant certainement pas les méthodes de rééducation psychomotrices (Borel, Maisony, Ramain,Pieg <strong>et</strong> Vayer, ...), influencé par des phénoménologues (Buytendyck, Merleau-Ponty) <strong>et</strong> dans lesillage de la psychologie du développement de Piag<strong>et</strong>, Le Bouch est parti de l’idée qu’il fallaits’intéresser à la relation entre les aspects moteurs, cognitifs <strong>et</strong> émotionnels du comportement.126


Y a-t-il effectivement une relation entre ces éléments de lapersonnalité ?Effectivement, chaque action du jeune, s’appuie sur les trois piliers fondamentaux qui constituentla personnalité <strong>et</strong> "l’être". L’action motrice <strong>et</strong> le mouvement jouent un rôle très important dans leprocessus de formation des jeunes, parce qu’il existe, surtout chez l’enfant, un besoin innéd’explorer le monde qui l’entoure, donc d’adopter une attitude active vis-à-vis de soi-même, desautres <strong>et</strong> des obj<strong>et</strong>s.C’est par le mouvement que l’enfant tâte en quelque sorte tout ce qui l’entoure <strong>et</strong> l’explore enl’interrogeant. Ces actions lui apportent des réponses qu’il va tenter d’interpréter <strong>et</strong> d’intégrer danssa personnalité en train de se structurer. Ainsi se m<strong>et</strong>tent en place des structures expérimentalesqui constituent la base du développement perceptif, <strong>et</strong> bien sûr aussi conceptuel, sur lequelrepose la cognition.Le jeu de billes, une affaire de géométrie ...Quand un enfant joue aux billes, il est en fait en train d’acquérir des connaissances géométriques debase. Il mesure, évalue des distances, se sert de sa main pour les comparer, calcule les eff<strong>et</strong>s decertains coups, <strong>et</strong>c..Le jeu de billes contribue inconsciemment au développement cognitif, même si son mobile estl’envie de jouer, le plaisir de la compétition <strong>et</strong> la tension que celle-ci génère.Si l’enfant savait qu’en réalité il explore des données géométriques <strong>et</strong> physiques, il ne joueraitpeut-être pas aux billes!Sur le plan du développement, l’enfant ne perd jamais son temps, <strong>et</strong> encore moins quand il joue ...Ce comportement d’exploration du jeune résulte de l’interaction de deux instances d’égale valeur :l’organisme <strong>et</strong> le milieu. Mais il ne peut voir le jour que s’il y a, dans l’organisme, une certaineimpulsion en ce sens.On peut considérer que l’interaction entre l’organisme <strong>et</strong> le milieu est de type affectif parceque c’est un comportement qui est mis en route par une certaine énergie, par des besoins, desdésirs, ... La dimension dynamique <strong>et</strong> affective constitue donc l’impulsion qui alimente cecomportement. Celui-ci est certes structuré par le bagage cognitif (actes mentaux) ou le bagagemoteur (actions), mais à la base de ceux-ci, il y a toujours un besoin.En r<strong>et</strong>our, le comportement implique un processus <strong>et</strong> entraîne un résultat qui ont eux-mêmes desrépercussions immédiates sur l’impulsion initiale qui l’avait mis en route. Nous pensons dès lorsque la dimension dynamico-affective <strong>et</strong> la motricité sont deux aspects d’un seul <strong>et</strong> même systèmecomportemental, comme c’est également le cas pour le cognitif <strong>et</strong> le dynamico-affectif.Pour passer à l’action, il faut un ressort, une décharge d’énergie émanant d’une motivationintérieure ou extérieure à l’organisme. L’affectif, la motricité <strong>et</strong> le cognitif sont intimement liés,ils ne font pour ainsi dire qu’un.Qu’est-ce qui nous m<strong>et</strong> en mouvement ?Ce qui nous m<strong>et</strong> en mouvement, ce sont des <strong>valeurs</strong>, c’est-à-dire des choses auxquelles nousattachons de l’importance. Le mouvement est la situation par excellence dans laquelle le jeune, en127


étant mobile, peut développer un système de <strong>valeurs</strong>, approfondir <strong>et</strong> intensifier son émotionnalité,parce qu’il s’agit d’une situation très concrète qui fournit des faits concr<strong>et</strong>s pouvant être observés,ressentis, entendus, pensés <strong>et</strong> donc expérimentés.Mais le mouvement ne perm<strong>et</strong> pas seulement au jeune d’intégrer certaines attitudes, il peut aussilui donner l’occasion de se construire un univers émotionnel vis-à-vis du monde qui l’entoure. Ilnous semble parfaitement possible de se forger une échelle de <strong>normes</strong> <strong>et</strong> de <strong>valeurs</strong> dans le cadred’une situation de mouvement dirigée.Le but explicite doit être de dégager un sens profond de la beauté, de l’amitié, de l’espritd’équipe, du respect de la règle <strong>et</strong> de la norme. Lorsque l’on parle de l’aspect dynamique dans leprocessus de formation, cela implique aussi les facteurs liés à la volonté.La volontéIl est curieux de constater que la “volonté” a fait l’obj<strong>et</strong>, au tournant du siècle, de nombreusesrecherches pratiques alors qu’on ne s’y intéresse plus guère aujourd’hui. Pourtant, la constitutionde la volonté peut être considérée, jusqu’à nouvel ordre, comme un aspect important du processusde développement <strong>et</strong> donc de formation.Tout comme un développement intellectuel ou moteur optimal ne se fait pas tout seul, il estimpossible de bien former la volonté sans chercher à l’influencer <strong>et</strong> à la stimuler de manièreintentionnelle <strong>et</strong> systématique.La volonté se manifeste surtout par la force, l’efficacité <strong>et</strong> le choix pertinent de l’objectif. Sesprincipales qualités sont l’intensité, la maîtrise de soi, la concentration, la détermination, laténacité, le courage <strong>et</strong> la synthèse. Autant d’aspects <strong>et</strong> de qualités qui peuvent souvent êtresollicités <strong>et</strong> formés dans une situation de mouvement <strong>et</strong> de pratique d’un sport, du moins si onveille à y être suffisamment attentif.<strong>Sport</strong> <strong>et</strong> mouvement : un climat affectifA côté des attitudes qui se situent surtout sur le plan affectif <strong>et</strong> de la volonté, il est évident queles situations de formation telles que le sport <strong>et</strong> les jeux collectifs peuvent aussi poursuivre desobjectifs de socialisation.C’est d’ailleurs par le mouvement <strong>et</strong> le jeu que l’enfant noue les premiers contacts avec les autres,avec le groupe. Ce mouvement d’exploration lui perm<strong>et</strong> d’aller vers l’autre, de prendre contact avecle groupe, d’apprendre à en faire partie <strong>et</strong> à communiquer.La construction de l’univers relationnel est intimement liée au développement moteur. De mêmeque l’activité physique perm<strong>et</strong> au jeune de faire connaissance avec le monde des choses, lemouvement est un moyen pour découvrir le monde des autres <strong>et</strong> apprendre à la fois à s’endistinguer, à s’y adapter <strong>et</strong> à s’y intégrer. Le fait d’entrer en relation avec d’autres est géré par deuxbesoins fondamentaux <strong>et</strong> complémentaires que le jeune veut assouvir : le besoin de sécurité <strong>et</strong> lebesoin d’autonomie. Comme la satisfaction des besoins est liée à la joie ou au déplaisir procurés,il est logique d’affirmer que c’est surtout sur le plan affectif que se forgent les liens avec le mondedes autres.C’est donc aussi dans un climat affectif que se déroule le processus de développement:128- apprendre à connaître l’autre, à commencer par les parents, les frères <strong>et</strong> sœurs, les autresjeunes ;


- l’extension du champ affectif donne lieu à des sentiments de sympathie <strong>et</strong> d’intérêt, maisaussi de déception, de frustration, de jalousie ... ;- la coopération avec d’autres <strong>et</strong> le plaisir qui résulte du fait de construire, de réfléchir,d’organiser quelque chose ensemble ;- le respect de l’autre, l’acceptation des règles <strong>et</strong> des lois, de ce qui est autorisé <strong>et</strong>interdit. Apprendre à accepter que la liberté personnelle est limitée par celle des autres.La communication <strong>et</strong> les relations que l’on noue, en particulier dans une communauté sportive oùl’équipe est un groupe de jeunes réunis de manière fortuite, peuvent constituer un atelier affectif<strong>et</strong> social dynamique, où le jeune pourra affûter sa personnalité au contact d’une matière brute.Les activités qui se déploient dans un contexte d’équipe ou de club sont régies par desconventions <strong>et</strong> des <strong>normes</strong>, comme l’organisation du club, les règles du jeu, les décisions del’entraîneur, les coéquipiers. Il y a des règles écrites <strong>et</strong> non écrites auxquelles doit obéir le comportementde chaque individu <strong>et</strong> qui peuvent donc constituer d’importantes impulsions pour ledéveloppement de ce comportement.C’est dans le groupe de jeunes sportifs que l’individu, grâce surtout aux activités motrices, peutdévelopper une forte conscience de la norme <strong>et</strong> des modes de comportement socio-fonctionnel. Lasituation sportive invite en eff<strong>et</strong> à l’ouverture <strong>et</strong> à l’authenticité, <strong>et</strong> accroît dès lors la confiance<strong>et</strong> l’appréciation mutuelles. C’est en particulier le cas lorsque l’entraîneur veille à ce que c<strong>et</strong>tesituation soit une source de détente <strong>et</strong> de plaisir.Attitudes socialesIl est préférable que des attitudes sociales comme la coopération, le sens des responsabilités, laserviabilité, l’honnêt<strong>et</strong>é, la maîtrise de soi, l’ouverture <strong>et</strong>c. soient intégrées dans des activités dejeu <strong>et</strong> de mouvement. Les attitudes sont des dispositions d’esprit ou des intentions relativementstables. Elles sont le témoignage le plus n<strong>et</strong> de l’orientation des <strong>valeurs</strong> propres à l’individu <strong>et</strong> elless’expriment clairement dans des types de comportements correspondants. Comme les attitudesdéterminent par excellence la façon d’être de chacun, il est évident qu’elles possèdent toujoursaussi une composante affective. Elles ont par ailleurs, dans une plus ou moins grande mesure, unestructure cognitive, une dynamique de volonté (une recherche de ...) <strong>et</strong> des aspects sensomoteurs(aller vers ...).Mais la formation <strong>et</strong> l’intégration des attitudes ne se font pas toutes seules. Il faut prévoir,observer, analyser <strong>et</strong> faire des choix conscients. Il faut que l’entraîneur sportif manifeste uneintention déclarée de mobiliser les attitudes sociales du jeune <strong>et</strong> du groupe.Ce qui est aussi capital dans la situation sportive, c’est la possibilité qui peut être donnée auxjeunes de connaître la joie du succès <strong>et</strong> de surmonter la peur de l’échec (image de soi). Le jeunea besoin d’un espace pour apprendre à mieux se connaître lui-même <strong>et</strong> à mieux connaître lesautres. Il pourra y prendre davantage de libertés, s’y épanouir pleinement <strong>et</strong> manifester ainsi sonêtre véritable. Nous considérons qu’un climat d’authenticité, de liberté <strong>et</strong> de joie est indispensableà un développement global, social, sain <strong>et</strong> sportif du jeune.A l’opposé du sport perçu comme un générateur de <strong>valeurs</strong>, il y a tous les facteurs qui contribuentà menacer <strong>et</strong> à dégrader le sport. Certains d’entre eux ne sont pas inhérents à la pratique129


sportive, comme le dopage, la violence, la commercialisation effrénée, les excès du nationalisme<strong>et</strong> du chauvinisme, l’appât du gain, la corruption, la fraude, la médiatisation à outrance, …Mais le jeune est aussi confronté à des facteurs plus spécifiquement sportifs tels que la course auxrecords <strong>et</strong> aux exploits, l’esprit de compétition, les méthodes d’entraînement nocives, pour ne citerque ceux-là.Des mesures <strong>et</strong> un changement fondamental de mentalité s’imposent donc.RecommandationsL’enfant doit avoir la possibilité de se développer de manière optimale sur le plan physique <strong>et</strong>sportif <strong>et</strong> d’exploiter ses dons dans les meilleures conditions possibles. Ce faisant, il doit être protégécontre toutes les influences qui risquent de comprom<strong>et</strong>tre son développement sportif <strong>et</strong> ildoit apprendre à se comporter lui-même selon un code éthique <strong>et</strong> des règles de fair-play.Ces deux derniers aspects ne sont donc pas des données marginales, mais doivent constituer unobjectif fondamental pour tous ceux (clubs, parents, responsables politiques) qui s’occupent dusport des jeunes.A. Le pouvoir politique- insister pour que l’on applique des critères éthiques dans tous les domaines collectifs concernéspar le sport ;- encourager <strong>et</strong> aider les organisations <strong>et</strong> les individus qui veulent appliquer des principes éthiquessains à prendre des initiatives en matière de sport ;- donner aux spécialistes de l’éducation physique <strong>et</strong> du sport une place centrale pour l’applicationde règles éthiques dans la promotion du sport ;- accorder la priorité à l’aspect éthique dans l’élaboration des programmes scolaires ;- se fonder sur des principes éthiques pour établir les décr<strong>et</strong>s relatifs au sport des jeunes ;- soutenir toutes les initiatives visant à favoriser l’idée du fair-play dans le sport, surtout auprèsdes jeunes, <strong>et</strong> inciter les organisations sportives à lui accorder la priorité ;- encourager les recherches afin de mieux cerner les problèmes complexes touchant à la pratiquesportive des jeunes, l’ampleur des comportements non désirés <strong>et</strong> les possibilités de favoriser lefair-play ;- m<strong>et</strong>tre sur pied une structure d’encadrement, d’assistance <strong>et</strong> de contrôle du sportif prom<strong>et</strong>teurde haut niveau. Elaborer un code d’éthique de médecine sportive pour les entraîneurs ;- définir des règles en matière d’abus sexuels <strong>et</strong> de maltraitance des enfants dans un but deprévention, de contrôle <strong>et</strong> de répression, dans l’esprit de la convention sur les droits de l’enfant.B. Les organisations sportives• Les fédérations- établir une charte qui fixe les objectifs à atteindre en matière de politique de la jeunesse, enm<strong>et</strong>tant l’accent sur les principes éthiques ;- créer les conditions perm<strong>et</strong>tant à chaque jeune de se perfectionner de manière durable dans lesport ;130


- donner aux dirigeants de clubs une formation permanente qui respecte l’éthique du sport ;- former des accompagnateurs sportifs <strong>et</strong> prévoir des personnes compétentes sur le planpédagogique, sportif <strong>et</strong> technique, capables de s’adapter aux différents stades de développementdes jeunes ;- tenir compte des évolutions actuelles des connaissances sportives pour établir des directivesrelatives aux programmes d’entraînement ;- éviter que des jeunes suivent un entraînement intensif trop précoce ;- interdire la compétition des plus jeunes (pas avant 13-14 ans) ;- sensibiliser l’opinion au fair-play par des campagnes, des incitations, du matériel pédagogique <strong>et</strong>des initiatives de formation. Suivre de près ces campagnes <strong>et</strong> en évaluer l’impact ;- créer un système qui récompense non seulement le résultat, mais aussi le fair-play <strong>et</strong>l’épanouissement personnel ;- inciter les jeunes à pratiquer un sport, notamment en :~ faisant appel à des entraîneurs polyvalents~ perm<strong>et</strong>tant aux jeunes de s’initier à différents sports~ facilitant le passage d’un club à l’autre- m<strong>et</strong>tre sur pied une campagne anti-dopage ciblée sur les jeunes;- créer une réglementation qui empêche l’exploitation des enfants, surtout de ceux qui connaissentune maturité précoce;- répartir les jeunes en catégories qui tiennent compte de l’âge biologique, <strong>et</strong> non de la date denaissance.• Les clubs- veiller à ce que tous ceux qui, dans le cadre des activités du club, sont en contact avec desenfants <strong>et</strong> des adolescents disposent des qualifications requises pour les diriger, les former, leséduquer <strong>et</strong> les entraîner ;- établir à l’intention des entraîneurs des jeunes un code de conduite contenant des principeséthiques <strong>et</strong> des clauses relatives aux abus sexuels, à la maltraitance des enfants <strong>et</strong> àl’entraînement excessif. La protection de l’intégrité totale de l’enfant doit en être le principefondamental ;- prendre régulièrement des initiatives pour favoriser l’intégration des jeunes allochtones <strong>et</strong>défavorisés ;- prévoir des moments de formation pour initier les parents aux <strong>valeurs</strong> du sport, à l’encadrementoptimal des jeunes talents <strong>et</strong> à la manière de gérer la défaite <strong>et</strong> la victoire. Tant les dirigeantsdu club que les parents doivent être capables de gérer le succès ;- m<strong>et</strong>tre sur pied au sein du club un conseil des jeunes, avec la participation de ces derniers ;- perm<strong>et</strong>tre aux jeunes de siéger dans les organes de gestion du club ;- proposer d’autres disciplines que le sport principalement exercé ;- élaborer un programme social pour les jeunes ;- éviter de traiter les enfants comme des adultes en miniature, mais tenir compte des transformationsphysiques <strong>et</strong> psychiques qui caractérisent le processus de développement de l’enfant ;131


- adapter ses attentes à celles de l’enfant ;- faire primer le plaisir <strong>et</strong> la joie que procure la pratique d’un sport ;- associer les parents à la politique du club vis-à-vis des jeunes ;- s’intéresser autant aux jeunes doués qu’à ceux qui le sont moins, m<strong>et</strong>tre en exergue <strong>et</strong>récompenser non seulement le résultat en compétition mais aussi les progrès personnels <strong>et</strong>l’acquisition de compétences nouvelles ;- inciter les jeunes à imaginer eux-mêmes des jeux <strong>et</strong> des règlements, pour ne pas seulementassumer la fonction de participant mais aussi celle d’entraîneur, de dirigeant sportif ou d’arbitre ;- inciter les jeunes à décider eux-mêmes comment encourager <strong>et</strong> récompenser les formes desportivité. Leur apprendre à assumer la responsabilité de leurs actes.C. L’école- prévoir suffisamment de temps dans le programme pour des activités motrices qui, dirigées demanière compétente, doivent avoir une dimension éthique ;- perm<strong>et</strong>tre l’exercice d’activités sportives pendant les moments de détente ;- en concertation <strong>et</strong> en collaboration avec les clubs de sport, les communes <strong>et</strong> les parents,prévoir une initiation sportive active après les heures d’école ;~ école: confort pédagogique~ club: confort technique~ commune: infrastructure~ parents: confort affectif- débattre des <strong>valeurs</strong> <strong>et</strong> des <strong>normes</strong> dans le sport pendant les cours de morale <strong>et</strong> de religion ;- enseignement maternel: utiliser l’envie de bouger des plus p<strong>et</strong>its pour les aider non seulement àacquérir des aptitudes fondamentales de motricité, mais aussi pour stimuler leur développementperceptif <strong>et</strong> conceptuel, ce qui leur servira de base pour s’approprier plus tard des compétencesculturelles ;- enseignement primaire : outre une heure quotidienne d’activités physiques, encadrée par une personnequalifiée, intégrer des séquences de motricité dans les autres cours ;- enseignement secondaire: les cours d’éducation physique doivent être assurés en toutes circonstances<strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre l’accent sur le respect des règles, des conventions <strong>et</strong> des principes éthiques. Ilfaut prévoir des moments de détente physique <strong>et</strong> organiser des activités sportives, si possibledans l’école elle-même, ouvertes à tous les élèves ;- enseignement supérieur: prévoir l’obligation de pratiquer des activités sportives <strong>et</strong> contrôler lacondition physique des étudiants.D. Les parents- doivent être conscients qu’une bonne formation motrice est essentielle pour le développement,la santé <strong>et</strong> l’épanouissement de leurs enfants ;- doivent comprendre qu’ils sont les premiers accompagnateurs sportifs de leurs enfants <strong>et</strong> les premiersà fixer des règles ;- ne doivent pas proj<strong>et</strong>er leurs ambitions sur leurs enfants ;132


- ne doivent pas imposer d’entraînement intensif ;- doivent créer les conditions pour que l’enfant ait le plus de possibilités de faire de l’exercice ;- doivent donner l’occasion à leurs enfants de découvrir le plus possible de disciplines sportives <strong>et</strong>éviter une spécialisation trop précoce ;- doivent aider leurs enfants à choisir un club de sport, en tenant compte des critères suivants :~ tout enfant est-il le bienvenu dans le club ?~ chaque enfant a-t-il les mêmes possibilités de participer aux activités ?~ les méthodes <strong>et</strong> les techniques sont-elles adaptées au niveau de développement ?~ le club adopte-t-il une approche globale de l’enfant ?~ s’intéresse-t-on à ses compétences sociales ?~ les entraîneurs des jeunes ont-ils suivi une formation pédagogique ?~ les parents sont-ils associés à la politique du club vis-à-vis des jeunes ?~ les jeunes ont-ils leur mot à dire à ce niveau ?~ le club organise-t-il aussi d’autres activités, en dehors du sport principal ?~ attache-t-on de l’importance à la sportivité ?~ l’enfant est-il libre de changer de club ?~ il faut aussi tenir compte de certains facteurs tels que le montant de l’affiliation, lesdéplacements, ...- les recommandations suivantes s’adressent aux parents qui assistent à des compétitions :~ n’autoriser un enfant à participer à des compétitions que s’il en exprime lui-même lebesoin ;~ encourager tous les participants, y compris les adversaires ;~ ne jamais contester les décisions de l’arbitre ;~ ne jamais recourir à la violence verbale ou physique ;~ respecter l’entraîneur <strong>et</strong> l’accompagnateur des jeunes, confirmer leurs décisions ;~ encourager l’enfant à respecter les règles du jeu ;~ apprendre à l’enfant qu’il est aussi important de faire de son mieux <strong>et</strong> d’acquérir un bonesprit d’équipe que de gagner ;~ apprendre à l’enfant à accepter la défaite mais aussi <strong>et</strong> surtout la victoire, ne pas enfaire une ved<strong>et</strong>te ;~ féliciter l’enfant pour les efforts <strong>et</strong> les progrès accomplis ;~ veiller à ce que la pratique sportive soit une source de plaisir.E. Les jeunes- comprendre ce qu’est le fair-play ;- être ouvert à la discipline <strong>et</strong> aux règles ;- comprendre certaines <strong>valeurs</strong> éthiques <strong>et</strong> morales ;- faire preuve de respect pour soi-même <strong>et</strong> pour les autres ;- savoir respecter l’arbitre ;- apprendre à assumer des responsabilités ;133


- apprendre à faire preuve de tolérance ;- acquérir une maîtrise de soi ;- chercher à adopter un mode de vie sain ;- rechercher un épanouissement personnel ;- apprendre à gérer la victoire <strong>et</strong> la défaite ;- apprendre à fixer des priorités claires : famille – études – sport.134


IntroductionOn dit volontiers de Pierre de Coubertin qu’il est l’inconnu le plus célèbre. Eneff<strong>et</strong>, c’est surtout comme père du mouvement olympique moderne <strong>et</strong> donc commefondateur des Jeux Olympiques qu’il s’est fait un nom. On lui attribue d’ailleurs souventà tort des citations fréquemment associées à l’olympisme, comme : "Plus vite, plushaut, plus fort" (Père Didon) <strong>et</strong> "L’important, c’est de participer" (Evêque de Pennsylvanie).Mais en réalité, le principal centre d’intérêt de Pierre de Coubertin a été la formation (morale,intellectuelle <strong>et</strong> physique) des jeunes.Pierre de CoubertinNé en 1863, le baron de Coubertin s’est intéressé très tôt à l’éducation <strong>et</strong> à la formation de lajeunesse française. La conviction que les jeunes avaient plus que jamais besoin d’une meilleurecondition physique <strong>et</strong> d’une bonne formation générale s’est surtout imposée dans les années quiont suivi la défaite de 1870 contre la Prusse.La condition physique des jeunesLe Baron Pierre de Coubertin <strong>et</strong> la formationEn Belgique, on estimait à la même époque qu’il fallait accorder plus d’attention à la conditionphysique des jeunes. C’est ainsi que, dès 1874, le conseil communal de la Ville de Bruxelles exigeapour la première fois qu’une heure par jour soit consacrée à l’éducation physique à l’école. De même,des commissions furent mises sur pied pour déterminer quel était le système de gymnastique le plusadapté pour être appliqué dans l’enseignement. Sous la pression du monde médical <strong>et</strong> surtoutmilitaire, la Belgique opta en 1898 pour la gymnastique suédoise (P.H. Ling), après un avis favorablede la commission Lepage.Pierre de Coubertin, qui étudia le droit, les sciences <strong>et</strong> la littérature, se révéla très rapidementcomme un fervent pédagogue <strong>et</strong> se lança dans une quête sans fin pour trouver un système capablede donner des impulsions nouvelles à la formation des jeunes. Il fut un humaniste remarquable quinous laissa ses idées sur le sport, la culture, l’histoire, la morale, <strong>et</strong>c. dans plus de 30 livres,50 brochures <strong>et</strong> 1.200 articles. En matière de sport, il se basa sur les systèmes d’éducationphysique qui étaient alors en vigueur <strong>et</strong> principalement sur le système scolaire anglo-saxon. C’estainsi qu’il se rendit très régulièrement dans des collèges anglais où il fut fortement impressionnépar la grande place accordée au sport <strong>et</strong> à la motricité dans le programme scolaire. Il acquit ainsiune expérience approfondie de différents types de formations orientées sur le sport <strong>et</strong> il apprit trèstôt l’existence de plusieurs initiatives visant à réintroduire les Jeux Olympiques, comme celles duDocteur P. Brookes à Wenlock en Angl<strong>et</strong>erre, d’Evangelos Zappas à Athènes <strong>et</strong> du Père Didon à Paris.C’est ce qui l’incita à se lancer dans une véritable croisade pour introduire le sport dans lesystème scolaire français.A deux reprises, il fit une tentative, au moyen d’une conférence à la Sorbonne, pour convaincre lepouvoir politique du bien-fondé de ses idées. La première fois, ce fut au moyen de son ManifesteOlympique, le 25 novembre 1892, dans lequel il plaidait pour le développement du sport <strong>et</strong>l’organisation de Jeux Olympiques modernes. A ses yeux, le sport était surtout important commemoyen de formation <strong>et</strong> d’éducation de la jeunesse <strong>et</strong> comme lien avec d’autres formes d’expressionculturelle.135


Le Manifeste OlympiqueVu avec un recul de plus de cent ans, le texte que Pierre de Coubertin prononça à l’époque apparaîtaujourd’hui comme le générateur de l’un des plus importants mouvements du XX e siècle: lemouvement olympique. Comme le dit François Amat en commentant ce Manifeste: "Le sport dansl’âge moderne est certainement une nouvelle école de rigueur basée sur la pur<strong>et</strong>é. Echappant à c<strong>et</strong>t<strong>et</strong>errifiante morale bourgeoise où chaque acte se juge bon ou mauvais, c’est la première fois qu’unmouvement s’entrouvre sur un autre monde d’efforts <strong>et</strong> de progrès, de joies <strong>et</strong> de déceptions qui serapproche de l’état d’innocence. L’appel de la Sorbonne est le premier, après deux mille ans, quiprésente la compétition internationale comme un facteur de gain pour l’humanité.C’est en quoi le Manifeste de 1892 porte du nouveau. Réinventant, transformant la compétition,il précise l’importance sociale qu’elle peut prendre… la compétition fait les hommes égaux dans leurcatégorie."Mais pour Pierre de Coubertin, les Jeux Olympiques étaient plutôt un moyen pour faire passer desidées beaucoup plus larges. Les Jeux devaient faire office de vitrine vis-à-vis de la jeunesse <strong>et</strong>servir de pôle d’attraction pour inciter les jeunes à la pratique d’un sport. Ils ne constituaient doncqu’une p<strong>et</strong>ite partie de sa pensée, le somm<strong>et</strong> de l’iceberg du mouvement olympique. Ce que lebaron de Coubertin voulait promouvoir, c’était l’idée olympique, un ensemble de conceptsanthroposophiques dans lequel le sport pouvait être considéré aussi bien comme un but quecomme un moyen.L’olympisme (ainsi qu’il appela le mouvement olympique à partir de 1912) est une philosophie <strong>et</strong>un état d’esprit qui cherchent avant tout à m<strong>et</strong>tre en avant les <strong>valeurs</strong> susceptibles d’êtregénérées au moyen du sport. L’essence de la philosophie olympique était <strong>et</strong> est encore :l’épanouissement culturel de l’individu, compte tenu du contexte social, culturel, pédagogique,national <strong>et</strong> international.Pierre de Coubertin <strong>et</strong> le sport à l’écoleComme nous l’avons dit plus haut, Pierre de Coubertin entreprit une seconde tentative pour faireentrer le sport à l’école, le 23 juin 1894 <strong>et</strong> une nouvelle fois à la Sorbonne.C’est lors de ce Congrès International de l’Athlétisme que la décision fut prise de rem<strong>et</strong>tre sur piedles Jeux Olympiques. Mais dans le même temps, le Congrès déclara la guerre au sport à l’école.L’opposition émanait principalement de trois groupes :- les parents étaient opposés à la pratique sportive par crainte des mauvaises mœurs <strong>et</strong> dumanque d’hygiène, confortés en cela par la hiérarchie catholique qui voyait dans lenéo-olympisme un r<strong>et</strong>our aux idées païennes, même si le Pape Pie X soutenait pour sa part lavision du baron de Coubertin ;- le monde médical était totalement hostile au sport. Si les médecins avaient finalement étépartisans de la gymnastique, surtout suédoise, c’est parce que celle-ci était correctrice <strong>et</strong>comportait les bons exercices physio-anatomiques ;- mais c’étaient surtout les pédagogues qui redoutaient les germes de liberté qui risquaientd’entrer dans les collèges au moyen du sport. Ces collèges étaient en eff<strong>et</strong> encore organisésselon la stricte discipline napoléonienne.Aujourd’hui encore, ces mêmes catégories opposent une vive résistance aux efforts visant à136


développer la pratique du sport <strong>et</strong> de l’éducation physique à l’école. On continue à opposer avecfanatisme l’éthique du travail à la pratique sportive, comme si celle-ci constituait une perte d<strong>et</strong>emps. On considère toujours qu’il n’y a pas de salut en dehors des branches intellectuelles, mêmesi l’on sait que les jeunes d’aujourd’hui acquièrent près de 70 % de leurs connaissances en dehorsde l’école (société de l’information).On s’en tient toujours à l’organisation de la journée scolaire telle qu’elle existait à l’époque deCharlemagne (en 800 après Jésus-Christ), bien que l’on sache que les jeunes ont aujourd’hui untout autre emploi du temps <strong>et</strong> donc aussi des heures de repos entièrement différentes (télévision,loisirs en soirée, …). En les observant, on constate que vers 11 heures du matin <strong>et</strong> 15 heures, plusde 70 % des jeunes bâillent. Le bâillement trahit une diminution de l’irrigation du cerveau (fatigue,faim, désintérêt). Pourtant, on persiste à vouloir plonger les jeunes à ce moment-là dans l’étudede toutes sortes de savoirs alors que la solution ne pourrait venir que de l’exercice d’une activitéphysique.Pierre de Coubertin l’avait déjà compris <strong>et</strong> voulait introduire un temps de repos obligatoire aprèsle déjeuner.Comment le baron de Coubertin en est-il arrivé à s’intéresser tellement au sport à l’école ? C’estsurtout lors de ses nombreux voyages d’étude que son intérêt pour c<strong>et</strong>te question s’est éveillé. Tanten Angl<strong>et</strong>erre qu’en Amérique du Nord, il découvrit des systèmes scolaires orientés sur le sport <strong>et</strong>il constata l’explosion des clubs sportifs. Il se passionna pour des mouvements sportifs basés surles doctrines du chapelain Kinsley <strong>et</strong> de Thomas Arnold <strong>et</strong> fut touché de voir les Anglais pratiquerun sport de leur plein gré. Même s’il jugea la gymnastique allemande superficielle, il l’apprécia pourson efficacité <strong>et</strong> sa discipline. Il pensait que la jeunesse américaine était promise à un bel avenirparce que le système éducatif de ce pays combinait la mentalité désintéressée des Anglais <strong>et</strong> ladiscipline allemande. Il entendait surtout par "mentalité désintéressée" le fait de déciderlibrement de fournir un effort pour l’effort, ce qui produisait au bout du compte une disciplinedoublement efficace puisque librement consentie. Ces observations <strong>et</strong> d’autres études approfondiesl’amenèrent à la conclusion qu’il y avait une corrélation significative entre la mentalité, lesambitions <strong>et</strong> les pratiques des peuples d’une part, <strong>et</strong> la façon dont les exercices physiques étaientcompris <strong>et</strong> organisés d’autre part. Tout cela incita de Coubertin à écrire des dizaines depublications sur ce suj<strong>et</strong>, mais aussi à élaborer différents modèles scolaires qui cherchaient àréaliser un développement parfaitement harmonieux des principaux éléments de la personnalité. Ala demande de Léopold II, qui était un ardent défenseur de l’olympisme, il mit au point unmodèle scolaire adapté au contexte belge.Le Collège Léopold IIAvec le soutien du gouverneur de la province de Hainaut, il répondit favorablement à la demandedu Roi des Belges <strong>et</strong> développa un nouveau modèle d’école, "le Collège Léopold II", en se basantsur les principes aussi bien du gymnase grec que des systèmes anglo-saxons dont nous avons parléplus haut (Locke, Arnold, …). Un programme pédagogique original <strong>et</strong> très futuriste à bien deségards comprenait tous les éléments qui visaient une formation complète. La journée devaitsystématiquement commencer avec une demi-heure de gymnastique correctrice (suédoise enl’occurrence). Dans le courant de la journée, une demi-heure était consacrée à la gymnastiqueutilitaire, qui perm<strong>et</strong>tait d’introduire, de différentes manières <strong>et</strong> avec différents moyens, deséléments de sauv<strong>et</strong>age, de défense <strong>et</strong> de motricité. Enfin, deux heures <strong>et</strong> demie de sport étaient137


encore prévues deux fois par semaine (crick<strong>et</strong>, rugby, football, tennis, aviron, …). Des formes decompétition ne pouvaient être organisées que pour les années supérieures. En plus du sport <strong>et</strong> del’exercice physique, le baron de Coubertin prévoyait de consacrer beaucoup de temps à d’autresmatières culturelles comme le chant, la musique, la déclamation, la photographie, le théâtre. Cesystème fut manifestement un précurseur des systèmes de demi-journées que l’on a vu sedévelopper chez nous dans la première moitié des années cinquante à Cuesmes, Vlezenbeek, ...Bien que ces proj<strong>et</strong>s aient globalement donné d’excellents résultats, ils ne furent pas généralisésparce que la mentalité dans notre système d’enseignement n’était pas encore mûre pour cela. Ellene l’est d’ailleurs toujours pas, malgré les études alarmantes qui font état de la mauvaisecondition physique de notre jeunesse…La valeur formatrice de la pratique sportive"L’alpha <strong>et</strong> l’oméga de la pédagogie sportive consistent à susciter ou à encourager une formationmorale par une formation physique", affirmait Pierre de Coubertin, ce qu’il résumait par uneformule très forte : "du bronzage de l’âme par le bronzage du corps".Selon lui, le sport moderne devait être adapté à la société moderne, qui n’avait évidemment plusrien à voir avec celle de l’Antiquité grecque. Sur le plan pédagogique, il s’agissait de briser laforteresse d’un système aux méthodes rigides <strong>et</strong>, par le biais du sport, de libérer l’énergieindispensable à la formation des jeunes. Pas question de réduire les heures de sport à de p<strong>et</strong>itstrucs didactiques: l’ensemble devait s’appuyer sur des <strong>valeurs</strong> formatrices. Le sport devait avoir unedimension éthique.L’éducation du corps s’intégrait dans un concept éducatif plus large. "Le muscle doit donner lesarmes à l’esprit" ou encore "Le sport sera intellectuel ou il ne sera pas – il sera le rempartsilencieux <strong>et</strong> bien surveillé derrière lequel l’individu réalisera son ascension cérébrale".Nous voudrions conclure en citant quelques principes de Pierre de Coubertin.Il voulait que les jeunes générations ne grandissent pas dans un système scolaire fossilisé, maisreçoivent une éducation capable de stimuler la force morale, le dynamisme <strong>et</strong> l’optimisme, <strong>et</strong> dedonner à l’organisme toutes ses chances pour que les individus deviennent des êtres valeureux,solides <strong>et</strong> sains, dotés d’un caractère bien trempé."Toute éducation doit inclure le sport si l’on veut qu’elle soit bonne <strong>et</strong> complète"."Il faudrait apprendre à l’athlète à apprécier les plaisirs intrinsèques que l’on peut r<strong>et</strong>irer du sport<strong>et</strong> à minimiser la signification de la récompense extrinsèque"."L’homme n’est pas constitué de deux parties, mais de trois: le corps, l’esprit <strong>et</strong> le caractère"."Le sport plante dans le corps des graines de qualité qui restent localisées autour de l’exercice quileur a donné naissance… La tâche de l’éducateur est de s’assurer que la graine porte ses fruitsdans tout l’organisme, de la transporter d’une situation particulière à un éventail de situations,allant d’une catégorie spéciale d’activités à toutes les actions de l’individu"."Nous devons enseigner aux participants que l’excellence ne se mesure pas aux résultats descompétitions, mais à la tentative de dépasser ses propres limites"."Notre programme sportif doit offrir à chaque participant la possibilité de chérir la beauté, de célébrerla diversité <strong>et</strong> d’honorer la quête de l’excellence".138


On pourrait consacrer un article détaillé à chacune de ces citations. Lorsque Pierre de Coubertinassista au développement des Jeux Olympiques, il se montra de plus en plus désappointé par leurcommercialisation croissante <strong>et</strong> le côté barnumesque que prenaient les Jeux d’après lui.Il se r<strong>et</strong>ira de la présidence en 1925 <strong>et</strong> continua à se consacrer à l’éducation <strong>et</strong> à la formation dela jeunesse. Il fonda différentes organisations mondiales de pédagogie, créa une universitépopulaire <strong>et</strong> j<strong>et</strong>a les bases d’une académie olympique internationale. Pour lui, le sport devaitsurtout avoir une dimension éthique…139


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Fondation Roi BaudouinLa Fondation Roi Baudouin est un établissement indépendant d’utilité publique.Lorsqu’en 1976 la Nation célébra le 25e anniversaire de Son accession au Trône,le Roi Baudouin souhaita la création d’une fondation au service de la population.L’article 3 des statuts décrit en ces termes la mission de la Fondation: prendre"toutes initiatives tendant à l'amélioration des conditions de vie de la population,en tenant compte des facteurs économiques, sociaux, scientifiques <strong>et</strong> culturels."La Fondation entend donc s’attaquer à des enjeux <strong>et</strong> à des défis de société enstimulant la solidarité <strong>et</strong> la générosité <strong>et</strong> en agissant comme catalyseur de changementsdurables.Afin de promouvoir la générosité, la Fondation donne la possibilité à des particuliers,des associations <strong>et</strong> des entreprises d’instituer des fonds qui appuient desréalisations <strong>et</strong> des proj<strong>et</strong>s novateurs. La formule de ‘Transnational Giving Europe’<strong>et</strong> la création de la King Baudouin Foundation U.S., Inc. visent à favoriserune solidarité transfrontalière. Outre les dons d’innombrables sympathisants(au CCP 000-0000004-04), qui constituent un encouragement de tous les instants,la dotation de la Loterie Nationale est également indispensable pour garantirl’impact de la Fondation.Les proj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> les campagnes de la Fondation s’articulent autour de trois thèmes :promouvoir la prospérité <strong>et</strong> le bien-être de la population, favoriser une cohabitationharmonieuse au sein de la société, contribuer au développement <strong>et</strong> à l’épanouissementpersonnels. Concrètement, cela signifie que la Fondation développe desinitiatives centrées sur la pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> l’exclusion sociale, le travail <strong>et</strong> l’emploi,le développement durable dans les secteurs socio-économiques, la justice <strong>et</strong> lespouvoirs locaux, le développement de la société civile, les médias, la formation, laculture <strong>et</strong> le sport.La Fondation Roi Baudouin exerce une fonction de forum en réunissant autour d’unemême table des experts <strong>et</strong> des citoyens. Elle stimule également une réflexion à longterme <strong>et</strong> sensibilise la population à des thèmes qui lui sont chers.144


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