La déliquesc<strong>en</strong>ce politiqueLes élections présid<strong>en</strong>tielles approch<strong>en</strong>t.Mais pour qui et pour quoi s’apprête-t-on à votervraim<strong>en</strong>t ? Pour le plus beau, la plus belle ?Ou pour des idées ?Gilles GessonUne action des faucheurs et faucheuses volontaires à Solomiac (Gers) le 5 septembre 2004.Lorsque nous assistons à une campagnelisse, sans projet novateur,où seuls compt<strong>en</strong>t les coups bas,les règlem<strong>en</strong>ts de compte, les lieux communs,et la poudre aux yeux (un desexemples les plus frappant est le pacteécologique de Nicolas Hulot), et dans laquelleil semble visiblem<strong>en</strong>t préférable dese positionner sur la t<strong>en</strong>ue vestim<strong>en</strong>taireet les appar<strong>en</strong>ces des candidats, au lieu decomparer les projets et les idées.Les représ<strong>en</strong>tantsdu peuple ?Lorsqu’un de ces candidats est considéré,<strong>en</strong> 2007 comme un personnage fréqu<strong>en</strong>table,que personne ne rappelle sonpassé de tortionnaire p<strong>en</strong>dant la guerred’Algérie, ses propos sur les camps deconc<strong>en</strong>tration p<strong>en</strong>dant la deuxième guerremondiale, ses liaisons avec les piresréactionnaires, les néo-nazis, ses proposxénophobes, racistes, ses idées inhumaines,fascisantes et ses recettes d’unautre temps qui font appel à la partie laplus indigne, la plus vile de l’homme.Lorsque tant de g<strong>en</strong>s se laiss<strong>en</strong>t bernerpar ses soi-disant changem<strong>en</strong>ts.Lorsque les candidats, ag<strong>en</strong>ts du productivisme,des milieux financiers,ambassadeurs et zélateurs de la dérivesécuritaire, ont autant de sympathie dansl’opinion, lorsqu’ils ne tir<strong>en</strong>t aucuneleçon de ces vingt-cinq dernières annéesdans tous les domaines. Enfin, lorsqu’unaussi grand nombre de personnes s’apprêteà donner sa voix à l’un de ceux-ci.Alors oui, quand cette élection sepasse dans ces conditions et dans uneindiffér<strong>en</strong>ce fâcheuse, un conformismedangereux, il y a un vrai problème dedémocratie, une vraie interrogation sur lasociété française qui atteint <strong>ici</strong> et maint<strong>en</strong>antson paroxysme.Les sujets donton ne parle pasLes sujets politiques et de société nemanqu<strong>en</strong>t pourtant pas.Les candidats pourrai<strong>en</strong>t parler duproductivisme qui détruit la diversité dela planète, et décime des populations<strong>en</strong>tières, se positionner par rapport auxv<strong>en</strong>tes d’armes, à la dissuasion nucléaire,et d’une façon générale du rôle de l’armée,Ségolène Royal a bi<strong>en</strong> émis le souhait definancer des projets éducatifs à la placed’un porte-avion militaire, mais c’est pouraussitôt préciser qu’il fallait un financem<strong>en</strong>teuropé<strong>en</strong> pour cet appareil. Elle neremet donc pas <strong>en</strong> cause l’utilité de cet<strong>en</strong>gin dangereux et ins<strong>en</strong>sé. Ils pourrai<strong>en</strong>taussi pr<strong>en</strong>dre position, sur les conditionsde vie déplorables dans les prisons, et surla volonté actuelle de ne ri<strong>en</strong> faire pour laréinsertion des dét<strong>en</strong>us, sur la Françafriqueet autres colonialismes masquéssous les termes de développem<strong>en</strong>tdurable, d’aide humanitaire ou du commerceéquitable. Un autre sujet sur lequelles prét<strong>en</strong>dants devrai<strong>en</strong>t se p<strong>en</strong>cher estl’agriculture, domaine vital s’il <strong>en</strong> est,mais dans lequel les décisions prises sontaux antipodes de la vie et du respect de laTerre (Ogm, disparition voulue des paysans,subv<strong>en</strong>tions aux pollueurs), ou<strong>en</strong>core sur le système scolaire qui abrutit,déresponsabilise, fabrique des bons petitssoldats du productivisme, au lieu de préparerles élèves à dev<strong>en</strong>ir des êtres de raison,cultivés, doués d’imagination et des<strong>en</strong>s critique.Il pourrait aussi être intéressant des’interroger sur l’intérêt de travailler dansdes domaines inutiles qui ne serv<strong>en</strong>t qu’à<strong>en</strong>graisser des patrons peu scrupuleux età int<strong>en</strong>sifier une mondialisation inhumaine.Alors qu’une volonté de relocaliser laproduction et la mise <strong>en</strong> place de petitesstructures, locales forcém<strong>en</strong>t, pourraitêtre un thème porteur.Les postulants pourrai<strong>en</strong>t se p<strong>en</strong>chersur le crétinisme affligeant de la cultureoff<strong>ici</strong>elle. Dans ce domaine, il existe pourtantun bouillonnem<strong>en</strong>t, une vraie créationartistique, culturelle, riche et variée.Mais qui à intérêt à la faire connaîtrequand il est par exemple si commoded’étaler la vie privée des célébrités pourfaire oublier la misère crasse des vies de lamajorité des citoy<strong>en</strong>s.A ce triste tableau rajoutons les choixénergétiques et le danger du nucléaire,l’aberration du coût des logem<strong>en</strong>ts (locatifsou à l’acquisition), les conditionsd’exist<strong>en</strong>ce et de traitem<strong>en</strong>t des sanspapierset des sans dom<strong>ici</strong>le fixe, lesdroits des personnes à vivre leur sexualitécomme bon leur semble. Et la liste dessujets à traiter est loin d’être exhaustive.Mais gageons que tous ces questionnem<strong>en</strong>tsne seront pas abordés.Les chi<strong>en</strong>s de gardeComme pour couronner le tout, desindividus se déclarant intellectuels, parorgueil, pour la notoriété, pour un strapontin,s’abaiss<strong>en</strong>t à rejoindre NicolasSarkozy au lieu de pr<strong>en</strong>dre du recul parrapport à cette campagne électorale etSILENCE N°345 Avril 200734
Politiqued’<strong>en</strong> profiter pour élever le débat. Neserai<strong>en</strong>t-ils donc que des bouffons du roi,des chi<strong>en</strong>s de garde prêts à mordre dèsque quiconque ose bouger le petit doigt ?Il existe pourtant des p<strong>en</strong>seurs qui sontfarouchem<strong>en</strong>t et honnêtem<strong>en</strong>t contempteursde ce système, mais pour des raisonsévid<strong>en</strong>tes ils ne sont pas invités sur laplace publique.Tout cela se passe avec l’aval desmédias dominants qui répand<strong>en</strong>t ce videsidéral de la p<strong>en</strong>sée. Dans ces supportsd’informations, la propagande pour unesoumission au consumérisme fait peur. Ilfait craindre le pire pour l’av<strong>en</strong>ir de ladémocratie. Comm<strong>en</strong>t se fait-il qu’il n’yait plus qu’une radio nationale qui permettede réfléchir et de se cultiver (et<strong>en</strong>core, le mot culture accolé à cette stationsemble parfois usurpé). Comm<strong>en</strong>t sefait-il qu’il n’y ait plus un seul quotidi<strong>en</strong>indép<strong>en</strong>dant, plus que deux ou trois hebdomadairesautonomes, dont un uniquem<strong>en</strong>tsatirique, seulem<strong>en</strong>t une poignée dem<strong>en</strong>suels non assujettis. Sans parler destélévisions d’Etat ou celles au service desintérêts du secteur économique.La régressionsécuritaireMais ce qui est le plus choquant, c’estce que Jean Marc Fedida rappelle, à justetitre, dans son réc<strong>en</strong>t ouvrage (1), lequelpar ailleurs n’est pas exempt de quelquesréserves : le peuple français subit une“horreur sécuritaire” fruit d’au moins tr<strong>en</strong>teannées de lois libert<strong>ici</strong>des.Avec lui, reconnaissons qu’”A chaqueélection, au plus sécuritaire et au plusrépressif revi<strong>en</strong>t la victoire. Tout candidatt<strong>en</strong>ant un discours, on n’ose dire laxiste,mais distancié et modeste à l’égard de lasécurité se voit traité de munichois et attiresur lui la dérision et l’ironie. Alors qu’aujourd’huiil faudrait avoir le courage deregarder <strong>en</strong> face le triste bilan de ces loissécuritaires et de sortir de cette situation deconfrontation qui porte <strong>en</strong> elle les germes dela viol<strong>en</strong>ce contre laquelle elle prét<strong>en</strong>d lutter”.Cette constatation est r<strong>en</strong>forcéeaujourd’hui par la prés<strong>en</strong>ce de trois candidatsqui <strong>en</strong> font une obsession, unemonomanie. Les autres n’étant pas <strong>en</strong>reste d’idées délirantes sur le sujet (à uneou deux exceptions près). Il n’est doncpas superflu d’affirmer, alors, que lesrecommandations de cet auteur sont bi<strong>en</strong>insuffisantes, que la chape de plomb sécuritaire<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre un peuple bâillonné,réduit au sil<strong>en</strong>ce, abruti de niaiseriesd’une pauvreté sans précéd<strong>en</strong>t, maint<strong>en</strong>udans l’ignorance, incapable de réagir, deremettre <strong>en</strong> question l’idéologie dominante.Pire, une partie de la population, sansaucun argum<strong>en</strong>t fondé, valable, sous lasimple pression médiatique et politique,demande, de manière épidermique, <strong>en</strong>coreplus de répressions. Comme si les sanctionsactuelles, qui ont fait la preuve deleur inefficacité, n’étai<strong>en</strong>t déjà pas suffisamm<strong>en</strong>tindignes d’une société civilisée.Comme si la résolution du problème de ladélinquance et de la viol<strong>en</strong>ce se situaitdans plus de punitions. Mais dans quelmonde souhait<strong>en</strong>t donc vivre ces tristesindividus ?Ce problème ne date pourtant pas demaint<strong>en</strong>ant, puisque dans le texte de soninterv<strong>en</strong>tion à l’occasion d’une journée dedébat sur la critique des médias <strong>en</strong> 2005,Dominique Kalifa relate des articles parusdans des gazettes datant de 1826, faisantétat d’un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d’insécurité dans lapopulation parisi<strong>en</strong>ne à cette époque (2).Ce thème est cep<strong>en</strong>dant tellem<strong>en</strong>t ancréet accepté dans l’opinion que les candidatsactuels n’ont même plus besoin d’<strong>en</strong>faire un sujet de débat.Dev<strong>en</strong>ons des médias alternatifsLe guide des médias alternatifs vi<strong>en</strong>t de paraître aux éditionsdu P’tit gavroche. Les lecteurs de Sil<strong>en</strong>ce retrouveront <strong>en</strong> débutd’ouvrage une première partie “Créons des médias alternatifs”qui est le dossier réactualisé paru <strong>en</strong> février 2006, puis sur une cinquantainede pages, des aspects du fonctionnem<strong>en</strong>t d’une dizaine demédias. Ensuite, sur deux c<strong>en</strong>ts pages, une liste conséqu<strong>en</strong>te de prés<strong>en</strong>tationde plusieurs c<strong>en</strong>taines de titres avec un classem<strong>en</strong>t thématique.Enfin, <strong>en</strong> conclusion, quelques textes qui circul<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>tpour une meilleure reconnaissance des médias différ<strong>en</strong>ts.Sil<strong>en</strong>ce diffuse cet ouvrage <strong>en</strong> remplacem<strong>en</strong>t de son anci<strong>en</strong>ne listede médias. L’<strong>en</strong>semble de 370 pages est v<strong>en</strong>du pour le modesteprix de 10 € (+ 3 € de port), voir bon de commande<strong>en</strong> avant-dernière page.Dans ce contexte d’abrutissem<strong>en</strong>t etde docilité, les plus puissants ont intérêt àce que cette situation perdure. Il n’estdonc pas étonnant que la campagne pr<strong>en</strong>necette tournure.Une vie <strong>en</strong> dehorsdes électionsUne fois de plus ces élections présid<strong>en</strong>tiellesse déroul<strong>en</strong>t sans aucune remise<strong>en</strong> question fondam<strong>en</strong>tale du systèmeéconomique. Il n’est donc pas incongrude parler de délabrem<strong>en</strong>t, de débâcle de lavie sociale et politique dans ce pays. Et ilfaudrait s’y intéresser, pr<strong>en</strong>dre positionpour tel ou tel ? Même parmi ceux désignéscomme “petits candidats” aucun nesemble r<strong>en</strong>dre cette élection attrayante.Aucun v<strong>en</strong>t nouveau ou séduisant nesouffle sur ce scrutin.De même, cette situation s’est installéeet perdure, grâce à la servitude et à lacomplaisance de chacun. Personne n’estobligé de regarder des programmeslam<strong>en</strong>tables à la télévision, de faire sescourses au supermarché, de se déplacer<strong>en</strong> voiture, de travailler pour une <strong>en</strong>treprisedont la seule ambition est de fairedu profit au mépris de l’altruisme le plusélém<strong>en</strong>taire. Mais jusqu’à quand les êtreshumains vont-ils supporter ce néant,cette régression, ces flagorneries totalitaires? Pourtant aucune nécessité, aucunecontrainte n’oblige à s’<strong>en</strong>foncer danscette impasse. Au contraire, la vigilance etla pression du public qui passe, <strong>en</strong>treautres, par l’information, la connaissance,le choix, devrait permettre d’améliorer lesconditions d’exist<strong>en</strong>ce.D’autres voies, d’autres possibles,d’autres vécus sont <strong>en</strong>visageables.Certains sont déjà mis <strong>en</strong> application.Depuis de nombreuses années certainsmédias, dont S!l<strong>en</strong>ce (3), s’<strong>en</strong> font l’échoavec leurs modestes moy<strong>en</strong>s. Mais c’estvisiblem<strong>en</strong>t insuffisant pour l’instant faceau rouleau compresseur de la société marchande.Au delà des élections, il serait peutêtrevital de provoquer un sursaut deliberté, de dialogue, humaniste et hédonisteet de l’organiser pour ne plus avoir àvivre une telle situation.Michel Jarru ■(1) L’horreur sécuritaire : les tr<strong>en</strong>te honteuses, de JeanMarc Fedida, éd. Privé, 2006.(2) Dans Pour une analyse critique des médias sous ladirection d’Eveline Pinto, éd. du Croquant, 2007.(3) Lire Dev<strong>en</strong>ons des médias alternatifs d’Esteban,éd. le p’tit Gavroche, 2006.35SILENCE N°345 Avril 2007