Les nouveaux horizons paysanssoluble, de pest<strong>ici</strong>des et de machines coûteuses,- <strong>en</strong> semant les plantes trop d<strong>en</strong>ses pourque la photosynthèse et la nécessaireaération des feuilles ne puiss<strong>en</strong>t s’effectuercorrectem<strong>en</strong>t,- <strong>en</strong> les rigidifiant pour comp<strong>en</strong>ser leurt<strong>en</strong>dance à la verse issue de ces pratiques,- <strong>en</strong> ne les choisissant que pour leur aptitudeà la transformation industrielle etaux circuits longs, il sélectionne aussi :- l’atrophie du système racinaire qui n’estplus assez puissant pour explorer un solet s’approprier les nutrim<strong>en</strong>ts qui ne sontpas issus des <strong>en</strong>grais solubles,- l’atrophie de la biomasse aéri<strong>en</strong>ne quipermet à la plante de s’approprier l’énergiesolaire (photosynthèse) et les élém<strong>en</strong>tsaéri<strong>en</strong>s nécessaires à une sainecroissance,- la s<strong>en</strong>sibilité aux maladies, puisque,sélectionnées <strong>en</strong> milieux protégés par lesphytosanitaires, elles n’ont pas lieu dedévelopper des résistances,- le manque total d’adaptabilité aux aléasclimatiques et à des sols variés puisquecultivées <strong>en</strong> conditions “idéales” (desconditions normales sont qualifiées <strong>en</strong>agronomie moderne de “conditions limitantes”!...),- l’inadéquation aux circuits courts, à latransformation artisanale, à la pér<strong>en</strong>nisationde systèmes agraires durables et dequalité, à une économie localisée.Appel au respectdu vivantIl s’agit donc de redonner sa dim<strong>en</strong>siond’écosystème au vivant, autant dans sonext<strong>en</strong>sion sci<strong>en</strong>tifique que culturelle. Si lap<strong>en</strong>sée analytique séparative a une utilité,c’est lorsqu’elle est au service d’uneconsci<strong>en</strong>ce systémique globale, d’unedémarche phénoménologique qui seulepermet le plus important : compr<strong>en</strong>drecomm<strong>en</strong>t, dans quel contexte global, desélém<strong>en</strong>ts singuliers du vivant se port<strong>en</strong>tbi<strong>en</strong>. Cette démarche expérim<strong>en</strong>te avanttout des pratiques et les évalue par leurrésultat. Ce qui motive les choix pratiquespeut être lié à différ<strong>en</strong>ts facteurs :sagesse traditionnelle et populaire, p<strong>en</strong>séeanalogique, int<strong>en</strong>tions, “bon s<strong>en</strong>s” paysan…peu importe si le résultat est là. Ils’agit de ne pas avoir d’a priori prémâché,mais une motivation. Par la suite, uneanalyse des facteurs d’une réussite peutDRNicolas Supiot, <strong>en</strong> discussion avec des paysans, <strong>en</strong> Syrie.s’avérer très intéressante pour :- faire évoluer la recherche sci<strong>en</strong>tifique etremettre <strong>en</strong> question ses croyances lorsqu’ellesni<strong>en</strong>t la réalité de terrain,- permettre de compr<strong>en</strong>dre ces facteurspour les diffuser…La p<strong>en</strong>sée analytique se met <strong>ici</strong> au serviced’une p<strong>en</strong>sée systémique, globale, que larecherche sci<strong>en</strong>tifique dominante a sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>tdiabolisée, disséquée, vidéede son cont<strong>en</strong>u et de son âme pour <strong>en</strong>fin,avec l’aide des législateurs, la criminaliserdans ses applications. Cette perversion dela p<strong>en</strong>sée sci<strong>en</strong>tifique au service d’intérêtsprivés (qui pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t le masquede l’intérêt public) affecte autant l’économiqueque le social, et, s’appuyant sur lejuridique, détruit savamm<strong>en</strong>t l’agri-culturel.Plus grave, elle poste l’homme <strong>en</strong> dictateurpris d’un aveuglem<strong>en</strong>t destructeur,au lieu de lui permettre de pr<strong>en</strong>dre saplace au sein d’un écosystème merveilleux,nourr<strong>ici</strong>er et prodigue s’il sait ypart<strong>ici</strong>per avec sagesse.La sci<strong>en</strong>ce du cadavre analyse lesmembres disséqués d’organismes morts :si elle peut appréh<strong>en</strong>der certains aspectsde la matière inanimée, elle ne peut <strong>en</strong>aucun cas permettre de connaître le plusimportant : les processus systémiquesagissant dans un organisme vivant au seind’un écosystème, facteurs plus vastes desanté ou de maladie. Elle ne peut qu’observeret agir sur des symptômes sansjamais pouvoir connaître et agir sur lescauses. La sci<strong>en</strong>ce du cadavre dénigre,criminalise et détruit tout ce qui la dépasse,c’est le règne par la peur : tout cequ’elle ne compr<strong>en</strong>d pas est dangereux dupoint de vue sci<strong>en</strong>tifique, puis interdit auniveau législatif. Elle condamne le vivant(donc nous !) à être les rouages d’unemachine sans âme. Cette logique se nourritd’une t<strong>en</strong>dance naturelle de l’êtrehumain à avoir peur d’un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tqu’il considère comme hostile dès qu’il aperdu ses racines, sa culture, ses traditions,ses religions, son aptitude à se s<strong>en</strong>tirrelié à un tout plus vaste (écosystème)où il a sa place, son rôle… Cetteconsci<strong>en</strong>ce collective holistique a étéméthodiquem<strong>en</strong>t détruite. Cela a laissél’être humain orphelin du s<strong>en</strong>s, apeurépar un milieu qu’il ne connaît plus. C’estsur la base de l’élimination des connaissanceset savoir-faire traditionnels de lasagesse ancestrale, que des hommesavides de pouvoir et d’arg<strong>en</strong>t ont valoriséSILENCE N°34516Avril 2007
et canonisé la p<strong>en</strong>sée dualiste, le culte duprogrès sci<strong>en</strong>tifique, de la croissance économique,de la supériorité et de laconcurr<strong>en</strong>ce qui se nourriss<strong>en</strong>t de cettepeur de l’inconnu pour élaborer des stratégiesde “sécurité” (alim<strong>en</strong>taire, civile,militaire…). La p<strong>en</strong>sée sci<strong>en</strong>tifique dominantea été à ce point corrompue, pervertie,qu’elle nie la réalité de ce qui pourraitremettre <strong>en</strong> question ses postulats.Cette logique a donné lieu à l’eugénismede sinistre mémoire, au culte d’une racesupérieure qui serait maître et gérante dela création. Elle n’a jamais été remise <strong>en</strong>question dans notre rapport au règne animalet végétal. Notre rapport au mondeest basé sur la quête plus ou moinsconsci<strong>en</strong>te d’une race supérieure, de l’homogénéitéde la nature et de la culture :la négation même de la vie dans sa multipl<strong>ici</strong>té,sa diversité… Alors que ce systèmemorbide s’effrite parce qu’il est malade,la peur augm<strong>en</strong>te et l’autoritarisme sejustifie <strong>en</strong>vers l’homme et la nature pourmaint<strong>en</strong>ir la “sécurité”.Notre civilisation occid<strong>en</strong>tale modernereproduit le mythe de Faust : “tout savoirest un pouvoir, par le savoir tu seras l’égalou le supérieur de Dieu, de cette réalitéqui t’effraie parce qu’elle ne t’émerveilleplus. La sci<strong>en</strong>ce fera de toi un dieu, tudomineras les nations et la création pourton seul profit”.Mais la peur occulte l’objet de la peur !Cette peur <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue a pour effet d’ignorerce dont on a peur : les processus duvivant dépass<strong>en</strong>t tellem<strong>en</strong>t notre compréh<strong>en</strong>sionintellectuelle ! Nous ne pouvonsles appréh<strong>en</strong>der que par la voie inverse :l’émerveillem<strong>en</strong>t, l’amour de cet universinfini à connaître, la mise <strong>en</strong> œuvre passionnéed’une av<strong>en</strong>ture porteuse de s<strong>en</strong>s,d’épanouissem<strong>en</strong>t, de croissance de nosqualités personnelles et collectives, decréativité humaine et de fertilité naturelle.Le meilleur outil face à l’OMC, ce sont lesOLC (Organisations locales du commerce)et nous sommes tous à même de part<strong>ici</strong>perà les construire. Les meilleursoutils face à l’agro-toxico-industrie et à ladép<strong>en</strong>dance alim<strong>en</strong>taire et culturelle, cesont les sem<strong>en</strong>ces paysannes et l’agro-écologie.Nicolas Supiot ■Paysan boulanger,Présid<strong>en</strong>t du Réseau sem<strong>en</strong>ces paysannes,membre du Conseil d’administrationde Nature et Progrès.Retour sur le Réseausem<strong>en</strong>ces paysannes“La sem<strong>en</strong>ce est un produit vivant de la natureque les paysans utilis<strong>en</strong>t, multipli<strong>en</strong>tet reproduis<strong>en</strong>t dans leurs champs depuisque l’agriculture existe ; pouvoir la ressemerest un droit inaliénable des paysans, droitpremier qui doit être reconnu et respecté”.Première phrase de la “déclarationd’Auzeville”, rédigée <strong>en</strong> février2003 par les quelques 350 paysans,chercheurs et représ<strong>en</strong>tants d’associationsprés<strong>en</strong>ts aux premières r<strong>en</strong>contresorganisées à Toulouse sur lasauvegarde de la biodiversité cultivée.Après le succès et l’int<strong>en</strong>sité des échangesde ces quelques jours d’hiver 2003, les organisateursont décidé de se regrouperformellem<strong>en</strong>t pour créer un réseau quimettrait <strong>en</strong> application les idées issues deces fructueuses r<strong>en</strong>contres.C’est ainsi qu’au printemps 2003,Nature et Progrès, la FNAB, le Mouvem<strong>en</strong>tde Culture Biodynamique, laConfédération Paysanne et la Coordinationnationale des sem<strong>en</strong>ces de ferme ontmis au jour le Réseau sem<strong>en</strong>ces paysannes.Diverses associations de conservationde la biodiversité, de développem<strong>en</strong>t,des paysans et artisans sem<strong>en</strong>ciers fontégalem<strong>en</strong>t partie de ce vaste regroupem<strong>en</strong>tde structures et de personnes motivéespar le même objectif : préserver labiodiversité des plantes cultivées.Deux logiquesantagonistesAujourd’hui, les agriculteurs pratiquantune agriculture “paysanne”, et plusparticulièrem<strong>en</strong>t les agrobiologistes, ontbesoin de variétés prés<strong>en</strong>tant les caractéristiquessuivantes :• adaptation au terroir et à un mode deculture à faibles intrants ;• adaptation à un mode de transformationartisanal ;• qualités organoleptiques recherchéesdans les marchés de proximité.Face à cela, l’industrie sem<strong>en</strong>cière propose:• un nombre très restreint (pour cause der<strong>en</strong>tabilité) de variétés c<strong>en</strong>sées s’adaptersur tous les terroirs du monde grâceà des béquilles chimiques,• des variétés sélectionnées <strong>en</strong> collaborationavec l’industrie agro-alim<strong>en</strong>tairepour leur adaptation à une transformationde masse par des machines,• des goûts standardisés voire abs<strong>en</strong>tspuisque les produits sont destinés à êtrerécoltés hors maturité pour être transportéssur de longues distances, puis transformésavec aussi force béquilles artif<strong>ici</strong>elles,arômes et exhausteurs de goûts.Or, depuis un siècle que s’opère l’industrialisationde l’agriculture, les paysansont désappris l’art de sélectionnerleurs propres sem<strong>en</strong>ces et plants, toutcomme la plupart ont désappris l’art detransformer et de commercialiser euxmêmesleurs produits. La segm<strong>en</strong>tationdes métiers a conduit à la perte quasi-irrémédiabledes savoir-faire et des variétésdes plantes cultivées. C’est ainsi qu’onestime que, ces cinquante dernièresannées, 80 % des variétés de légumes cultivésont disparu ! En France, trois ouquatre variétés de blé couvr<strong>en</strong>t 60 % de lasuperf<strong>ici</strong>e des terres dédiées à cette céréale,alors que les membres du groupe“Céréales et boulange” du réseausem<strong>en</strong>ces paysannes <strong>en</strong> conserv<strong>en</strong>t plusieursc<strong>en</strong>taines dans leurs champs…Voilà d’où a émergé la nécessité de lacréation de ce réseau.SILENCE N°345 Avril 200717