21.07.2015 Views

LA DIDACTIQUE DES SCIENCES : SES ACQUIS, SES QUESTIONS ...

LA DIDACTIQUE DES SCIENCES : SES ACQUIS, SES QUESTIONS ...

LA DIDACTIQUE DES SCIENCES : SES ACQUIS, SES QUESTIONS ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002 101<strong>LA</strong> <strong>DIDACTIQUE</strong> <strong>DES</strong> <strong>SCIENCES</strong> : <strong>SES</strong> <strong>ACQUIS</strong>,<strong>SES</strong> <strong>QUESTIONS</strong>Jean-Louis ClossetDidactique des Sciences et Pédagogie UniversitaireFaculté Universitaire des Sciences AgronomiquesGemblouxIntroductionNous faisons volontiers remonterl’origine de la didactique dessciences au 4 octobre 1957. Ce jourlà,les Russes mettaient en orbite lepremier satellite Spoutnik 1. Ils’agissait d’une gifle technologiqueconsidérable donnée aux États-Unisen pleine guerre froide. Ceux-cin’étaient pas en mesure de répondreimmédiatement et il fallut attendre1960 pour qu’un président,Kennedy, relève le défi technologique.On était au début des goldensixties et on pensait, surtout auxÉtats-Unis, régler tout à coup demilliards de dollars. La NASA en futlargement arrosée.Mais très vite on se rendit compteque les dollars ne suffisaient pas etqu’il fallait aussi de la matière grise.Les États-Unis en étaient sérieusementdépourvus. Deux solutionss’offraient alors : en acheter et/ou enfabriquer. Ce fut l’époque de la fuitedes cerveaux européens vers lesÉtats-Unis mais aussi la question dela formation d’une élite scientifiqueen s’appuyant sur un renforcement etune plus grande efficacité del’enseignement des sciences dans lesecondaire. Là encore les dollars etles prix Nobel vinrent à la rescousse.Naquirent alors les projets P.S.S.C.,H.P.P. et autres qui conduisirent tousà l’échec. C’est que pour enseignerla physique à John, il faut assurémentconnaître la physique (prixNobel) mais il faut aussi connaîtreJohn. Les premières démarches de ladidactique des sciences prirent alorstimidement naissance aux États-Unis.Revenons-en à l’Europe. Le mêmeproblème de former dès le plus jeuneâge des esprits éveillés aux réalitésscientifiques fut soulevé en Franceavec la mise en place dans les annéesseptante de la commission Lagariguechargée de rénover l’enseignementscientifique dans le secondairefrançais. Fort heureusement, cettecommission se dota d’un laboratoireLa didactique des sciences : ses acquis, ses questions


102 Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002de recherche, le LIRESPT, dirigé àParis par le professeur Delacôte quicentra son action sur le collège(secondaire inférieur). Dans le mêmetemps deux collègues françaises, unprofesseur du secondaire et nousmêmefondions en 1978 àl’Université Paris 7 le LDPES,laboratoire centré sur la didactiquedes sciences physiques dans lesecondaire supérieur et au premiercycle universitaire. Depuis lors, ladidactique des sciences physiques aessaimé un peu partout en France.Des dizaines de didacticiens ont étéformés et sont aujourd’hui enseignantsen IUFM (institut universitairede formation des maîtres) ouchercheurs.Peu après, la didactique des sciencestoucha la chimie et ensuite labiologie. La même démarche eut lieude façon plus ou moins concomitantedans tous les pays européens etanglo-saxons. Le mouvement toucheaujourd’hui les pays du Maghreb. Iln’y a guère qu’une exception, laCommunauté Française de Belgique,mais qui est en voie de sousdéveloppementpédagogique, aumoins en ce qui concernel’enseignement des sciences, commetoutes les enquêtes internationales lemontrent depuis plus de dix ans.Ceci explique sans doutepartiellement cela.Si nous aimons à raconter l’histoiredes débuts de la didactique dessciences en les faisant remonter àSpoutnik 1, c’est qu’aujourd’hui,mutatis mutandis, la situation est lamême. Nous avons à relever le défide la formation en sciences si nousvoulons encore avoir des ingénieurset des professeurs de sciences. Lasituation de pénurie est déjà grave etn’en est qu’à son début. C’est que ledéveloppement technologique qui afait disparaître une multituded’emplois ne les remplace, le plussouvent, que par des emploisqualifiés et est gros consommateurd’emplois à profil scientifique.Allons-nous réagir autrement qu’enimportant des scientifiquesmarocains comme nous le faisonsdéjà ?Comprendre pourquoi ils necomprennent pasDéjà en 1938, Gaston Bachelardécrivait : « J’ai souvent été frappé dufait que les professeurs de sciences,plus encore que les autres si c’estpossible, ne comprennent pas qu’onne comprenne pas » (Bachelard,1938). On peut sans doute dire quela question de savoir pourquoi ils necomprennent pas fut la questioncentrale des débuts de la didactiquepratiquement jusqu’à nos jours.Nous faisions l’hypothèse, banaleaujourd’hui, mais énorme pourl’époque, que derrière les erreurssystématiques rencontrées chez nosélèves et nos étudiants existait unestructure et qu’il était possible de ladécrire. Autrement dit, nous nousproposions de modéliser unfonctionnement qui serait commun,si pas à tous les élèves, au moins àune majorité de ceux-ci.La didactique des sciences : ses acquis, ses questions


Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002 103Bachelard, encore lui, avait déjàperçu quelque chose lorsqu’ilécrivait : « Quand il se présente à laculture scientifique, l’esprit n’estjamais jeune. Il est même très vieux,car il a l’âge de ses préjugés ». MaisBachelard était philosophe (aussienseignant de physique et demathématique) et n’a donc jamaisexpérimenté. Les didacticiens,pratiquement tous scientifiques deformation, fondèrent par contre leurdémarche exclusivement sur desdonnées empiriques. Dans le mêmetemps ils découvraient l’œuvre deJean Piaget, le constructivisme et leconcept de structure cognitive quitombait à point nommé pour fonderles hypothèses de l’époque. Piagetn’était-il d’ailleurs pas zoologiste deformation.L’enfant, dès ses premiers contactsavec la vie, se trouve confronté à unmonde qui l’interroge. Il varapidement chercher à répondre à cesquestions, seul ou en interactionavec son entourage. L’adolescent etl’homme adulte continuent de lamême manière à chercher desréponses aux questions quesoulèvent leurs interactions avec lemonde qui les entoure. Les réponsesfournies, les descriptions de la naturequ’elles engendrent sont cependantbasées sur un nombre restreintd’observations et ne contiennent pasd’interrogation explicite sur la limitede validité du savoir partiel ainsiconstruit que nous appellerons, àl’instar de Bachelard, « connaissancecommune » ou « savoir commun ».Ce savoir se satisfait d’uneexplication plus immédiate et d’unpouvoir prédictif davantage limitéaux cas du vécu quotidien sansexpérimentation systématiquementconstruite pour le vérifier oul’infirmer. Néanmoins cette connaissancese trouve souvent confirmée etrenforcée par le vécu quotidien etdevient rapidement, pour celui qui lapossède, non questionnable, nonfalsifiable. Les faits nouveaux vontde ce fait être ramenés au connu parun système plus ou moins complexed’explications. Rarement desexpériences nouvelles remettront encause la connaissance antérieure,l’individu allant même jusqu’à nierl’expérience.Le savoir ainsi produit est incomplètementstructuré et ne constitue pasun système entièrement cohérent. Ill’est cependant par morceaux, parîlots. Il possède souvent une trèsgrande stabilité mais est totalementimplicite dans sa constructioncomme dans son fonctionnement. Ilrésulte enfin d’un processus deconstruction essentiellement individuel: c’est le savoir d’un individu,même si, comme le montrent de trèsnombreuses études en didactique, onle retrouve chez de nombreuxindividus. A l’opposé, le savoirscientifique ne résulte pas d’uneconstruction individuelle. Il a étéproduit collectivement et historiquement.La connaissance scientifiqueest, autant que faire se peut,totalement explicite, elle est paressence questionnable, entièrementstructurée et cohérente.La didactique des sciences : ses acquis, ses questions


104 Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002Ces différences de nature entre cesdeux savoirs font problème auniveau de l’enseignement. En effet,l’esprit de l’élève ou de l’étudiantqui aborde une matière nouvellen’est pas vierge : il « connaît » déjàquelque chose au sujet de la matièrequi lui est proposée. Enseigner neconsiste donc pas à écrire sur unepage blanche, d’abord parce que lapage n’est pas blanche et ensuiteparce que ce n’est pas le maître quiécrit mais l’élève. Il aura toujourstendance à replacer la matièreproposée dans le cadre de référenceancien avec lequel il l’appréhende.De nombreuses études ont montréqu’après enseignement d’unematière, la connaissance communereste souvent dominante. L’élèveaccueille dans un savoir possédantdéjà certaines structures les connaissancesqu’on veut lui apporter. Leplus souvent l’enseignement échoueà modifier ces structures préexistantes.Les connaissances nouvellessont seulement plaquées sur le savoirancien sans le modifier. L’enseignementn’atteint qu’un succèsimmédiat : dès qu’on modifie lesconditions qui furent celles del’apprentissage, la connaissancecommune réapparaît. Elle setransfère de préférence au savoirscientifique. Nous avons abondammentillustré cette idée (Closset,1983).On pourrait redire la même chose entermes piagétiens en indiquant quec’est avec ses structures cognitivesmarquées et construites dans le cadrede la connaissance commune quel’élève aborde le savoir nouveau quiest en rupture total avec celles-ci. Legap est trop grand et le mécanismede l’accommodation ne peut avoirlieu, interdisant dès lors l’assimilationmême quelque peu déformante.Les connaissances deviennent alorsdes connaissances de pure mémoire,aussitôt apprises, aussitôt oubliées.« Monsieur, me disait un élève, allezdonc dire à Monsieur XYZ (sonenseignant) qu’on n’y comprendrien ». En d’autres termes encore, lesreprésentations mentales de l’élèvesont l’obstacle principal à l’enseignementdes matières scientifiques.Mais ils ne comprennent toujours pasL’étude des représentations desélèves et des étudiants constitueaujourd’hui l’essentiel du savoir dela didactique des sciences. Endidactique de la physique, on peutconsidérer que l’essentiel a été dit.On sait donc assez bien aujourd’huipourquoi les élèves ne comprennentpas, mais ils ne comprennenttoujours pas. La didactique se trouvedonc devant une impasse : que faireavec cette connaissance desreprésentations des élèves, décritespar les uns en termes de conceptions,par les autres en termes deraisonnements ?Il s’agit donc maintenant, éclairé parles résultats obtenus, de s’intéresseraux processus spécifiques d’apprentissagedes sciences et d’agir surceux-ci. Or l'apprentissage se fait enLa didactique des sciences : ses acquis, ses questions


Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002 105classe. C'est donc en classe que larecherche devra se faire. Agir sur lesprocessus d'apprentissage se fait parla mise en œuvre de séquencesd'enseignement poursuivant desobjectifs spécifiques. Mais de lasimple innovation à la recherche, il ya un monde. La démarche duchercheur doit en effet conduire àconstituer l'objet de sa recherche enobjet d'un savoir progressif(Chevallard, 1982). C'est bien là leproblème essentiel que nousvoudrions maintenant aborder autravers de quelques réflexions à lafois théoriques et méthodologiques.De l'innovation à la rechercheTrop souvent, au titre usurpé de larecherche, on assiste à desproductions où le chercheur met enœuvre lui-même, la "bonne idée" etcompare globalement les résultatsobtenus à ceux qu'obtient unenseignant "ordinaire", certainementpas motivé par la réalisation d'unethèse ou d’une recherche importanteet éventuellement peu informé de cequ'on lui veut. Disons tout de suiteque ceci n'a rien à voir avecune démarche scientifique. Outrel'évidence de la critique méthodologiquequ'on peut faire de ce typede démarche, il est clair qu'une telleaction ne permet pas de constituerson objet en objet d'un savoirprogressif.Pour que, ce qui nous paraît être uncritère, à savoir la participation à laconstruction d'un savoir progressif,soit vérifié, il faudrait à tout le moinsqu'une démarche d'élaborationd'hypothèses soit présente, qu'onindique comment ces hypothèsessont mises à l'épreuve et qu'aprèsanalyse des résultats, un retour versles hypothèses soit prévu. C'estexactement ce que proposent depuisbientôt 20 ans les didacticiens desmathématiques français. Il s'agit dela démarche de l'ingénierie didactiquedécrite par Michèle Artigue(1988) dans un article qui faitréférence.L'ingénierie didactiqueLes didacticiens des mathématiquesfrançais furent les premiers àintroduire le concept d'ingénieriedidactique (Chevallard, 1982). Ilscomparent la réalisation d'uneséquence d'enseignement en classeau travail de l'ingénieur qui s'appuiesur les connaissances scientifiquesde son domaine, accepte de sesoumettre à un contrôle de typescientifique, mais appréhende unesituation beaucoup plus complexeque celles d'habitude étudiées enscience. Ils posent d'embléel'élaboration d'une séquence d'enseignementen situation de classecomme une pratique de recherche. Ilconvient alors d'envisager lesfondements théoriques sur lesquelson s'appuie pour élaborer uneséquence et le type de validation quipeut être mis en œuvre.Une analyse préalable est d'abordpratiquée : analyse épistémologiqueLa didactique des sciences : ses acquis, ses questions


106 Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002des contenus à enseigner, analyse del'enseignement habituel et de seseffets, analyse des représentationsdes élèves, analyse des objectifsspécifiques de la séquence, analysedes contraintes auxquelles laréalisation en classe sera soumise.S'appuyant sur cette analysepréalable, la phase d'analyse a prioriva alors permettre d'élaborer leshypothèses mises en jeu. Chez lesdidacticiens des mathématiques, lecadre théorique est celui duconstructivisme et de la théorie dessituations (Brousseau, 1972). Il s'agitd'associer de façon hypothétique lesactions à mener au comportementprévu des élèves. La confrontationdes résultats observés et analysésconstitue la phase d'analyse aposteriori. Un retour est ensuite àfaire sur les hypothèses pour validerla démarche. Il s'agit donc d'un modede validation interne qui ne souffrepas des critiques qui peuvent êtrefaites à une validation externe. Parcontre ce genre de démarche seheurte au problème de lareproductibilité : il s'agit généralementd'études de cas, ce qui est plusquestionnable. Nous y reviendrons.Nous inscrivons notre réflexion dansle contexte de l'ingénierie didactiquemais nous voudrions en ouvrir lecadre tant au plan théorique queméthodologique. La théorie dessituations qui répond à la quête dusens en mathématique s'adaptefacilement dans le domaine dessciences puisque l'objet de celles-ci anaturellement du sens. Mais le cadreconstructiviste des mathématiciensnous semble trop étroit. Par ailleurs,l'absence du maître comme variabledidactique dans leurs travaux est unelacune grave.Le constructivisme et le socioconstructivismeLe modèle de l'équilibrationmajorante de Piaget se fonde surl'interaction de l'enfant avec sonmilieu, mais seulement avec sonmilieu physique. Certains ont à tortdéduit du modèle Piagétien quel'enfant ou l'adolescent pouvait seulconstruire toute espèce deconnaissance pour peu qu'il se trouveen situation de déséquilibre cognitif.Dans cette hypothèse, le rôle duprofesseur dans la classe serait aumieux utile mais pas vraimentnécessaire. Il serait celui quiorganise les situations de conflitcognitif et pourrait donc accélérerl'apprentissage que l'enfant aurait detoute façon fait seul. C’est ce quijustifiait l’absence du maître dans lemodèle d’ingénierie des didacticiensdes mathématiques.Une remarque s'impose d'abord :cette théorie de la redécouverte quasispontanée ignore la façon dont lascience s'est construite et se construitencore aujourd'hui et le parallélismequi peut être mis en évidence entrecette construction et celle queréalisent les élèves (Benséghir &Closset, 1993). C'est aussi faire peude cas du rôle essentiel que joue ledébat scientifique lors des congrès,La didactique des sciences : ses acquis, ses questions


Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002 107des séminaires, des réunionsd'équipe de chercheurs ou dans lesrevues scientifiques.Piaget, qui fait jouer aux interactionsavec le milieu une place centrale,curieusement ne s'est jamaispréoccupé des interactions avecl'environnement humain de l'enfant.L'enfant, lorsqu'il apprend, interagitau moins aussi fréquemment avecson environnement humain qu'avecson environnement physique.Intégrer ce type d'interactionssociales au constructivisme ouvre laporte au socioconstructivisme.Crahay (1999) indique que cettethèse est défendue depuis le débutdes années 70 par les psychologuessociaux genevois : Doise, Deschamps,Mugny et Perret-Clermont. Ilpoursuit citant Doise (1993) : « C'esten coordonnant ses démarches aveccelles de partenaires que l'enfant estconduit à des équilibrationscognitives dont il n'est pas capableindividuellement… Les échangesinterindividuels deviennent sourcede progrès cognitif par les conflitssociocognitifs qu'ils suscitent. C'estla confrontation simultanée dedifférentes approches ou centrationsindividuelles lors d'une interactionsociale, qui rend nécessaire leurintégration dans une structurationnouvelle. Il n'est pas indispensablequ'un des partenaires de l'interactionsoit porteur du modèle correct derésolution de problème ».Nous pensons donc qu'il faut intégrerce socioconstructivisme à la problématiquede l'ingénierie didactiquemais qu'il reste à étudier lesconditions de fonctionnement efficacedu conflit sociocognitif. Pasplus que pour le conflit cognitif, sarésolution ne conduit automatiquementà une équilibration majorante.Le socioconstructivisme à laVygotskySi les psychologues sociauxgenevois intègrent l’interaction avecles condisciples, ils ignorentcependant l’action du maître etseraient prêts à une nouvelle théoriede la redécouverte, non plusindividuelle mais collective. C’estvers Vygotsky (Rivière, 1990) qu’ilfaut sans doute se tourner pourcomprendre le rôle du maître ensituation de classe. L’apprentissagepar l’intermédiaire de l’influence desautres, et en particulier de l’adulte,était, pour Vygotsky, le facteurfondamental du développement.Sans adopter totalement ce point devue qui donne l’image d’unapprentissage parfois artificiel, nouschoisissons d’intégrer le rôle dumaître dans l’analyse des processusd’apprentissage en situation declasse.La première forme d'intervention dumaître est la médiation. Il organise lasituation problème, il pose la bonnequestion au bon moment, suggèreune observation supplémentaire, aideà la synthèse au niveau de la classeou renforce le conflit. Pour essentielLa didactique des sciences : ses acquis, ses questions


108 Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002qu'il soit, ce rôle suffit-il ? Nouspensons que non.Nous pensons qu'il existe dessituations où on ne peut contournerl'obstacle qu'en fournissant ou enproposant un savoir tout fait.Remarquons d'abord que la questionn'est pas sans intérêt, car le modetransmissif est le moded'enseignement le plus rapide. Laquestion est donc de savoir si cetenseignement est de nature àpermettre un apprentissage ou àquelles conditions peut-il permettreun apprentissage à l'élève (DumasCarré et Weil-Barais, 1998).Une réponse nous semble fournie parun travail de Martine Méheut(Méheut & Chomat, 1990) concernantl'introduction d'un modèleparticulaire de la structure de lamatière auprès d'élèves de collège.Une expérience de compression d'ungaz coloré enfermé dans uneseringue est présentée par leprofesseur aux élèves. Vient ensuiteune phase de description. Onpropose alors aux élèves un modèlesimple (particules dotées depropriétés axiomatiques d'invariance)et on leur demande, à l'aidede ce modèle, d'expliquer lephénomène observé. Par la suite lesélèves seront amenés à enrichir lemodèle pour rendre compte dephénomènes plus complexes. Sansentrer dans l'analyse détaillée de laséquence, on peut dire qu'en tout casle modèle initial a été facilementaccepté par les élèves et qu'ils l'ontutilisé (et enrichi) pour rendrecompte d'autres phénomènes.Deux conditions ont été iciremplies : le modèle proposépermettait de répondre à unequestion qui avait du sens pour lesélèves et ils ont eu l'occasion de lemettre en œuvre dans d'autressituations problèmes. Ces deuxconditions me semblent essentielles,faute de quoi les maîtres me feraientpenser à cet homme qui court partouten disant : "J'ai des réponses, j'ai desréponses, n'auriez-vous pas unequestion ?".Ingénierie de recherche ou ingénieriede productionL’expérimentation en situation declasse suppose la mise en œuvred’hypothèses en situation d’apprentissage.Stricto sensu, on pourraitimaginer créer un nouveau savoir enagissant sur l’une ou plusieursvariables didactiques (variablessusceptibles d’influencer la situationdidactique) indépendamment durésultat de l’apprentissage mis enœuvre. Par exemple, on pourraitimaginer qu’agissant sur tellevariable, seuls les élèves les plusdoués progressent cognitivement, lesautres régressant. Non seulementl’éthique mais aussi le réalismecondamneraient de telles pratiques.Ainsi donc l’ingénierie de recherchene pourra se départir de l’obligationd’un certain « mieux » à apporter.Ceci rend difficile la distinctionLa didactique des sciences : ses acquis, ses questions


Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002 109radicale entre ingénierie de rechercheet ingénierie de production, cettedernière visant à produire uneséquence « meilleure », la notion de« mieux » restant à définir ; nous yreviendrons. Ainsi Missonnier(2002), dans sa thèse, a voulu mettreen œuvre, d’ailleurs avec succès, unehypothèse que nous avions formuléeplusieurs fois. Il s’agissait del’existence de chemins cognitifs(Closset, 1992), au moins enélectricité, pouvant devenir deschemins d’apprentissage (Closset,1995). On imagine mal de mettre enœuvre cette hypothèse sans créer lesconditions pour que le chemind’apprentissage soit parcouru, c’est àdire qu’on aboutisse avec unemajorité d’élèves aux objectifs de laséquence. Dans la même démarcheon réalise donc, un tant soit peu, uneingénierie de production.S’agissant d’ingénierie de production,dont nous venons de direque la dimension pouvait êtreprésente dans une ingénierie derecherche, il arrivera fréquemmentque le résultat, s’entendant commemeilleur, ne pourra être obtenu qu’enmettant en œuvre plusieurshypothèses dont il deviendra, par lasuite, difficile de séparer les effetsd’ailleurs éventuellement nonindépendants. Comment dès lorsréaliser une analyse a posteriori si cen’est de l’effet d’un bouquetd’hypothèses. Nous pensons doncque l’ingénierie didactique ne sedépartira pas de la gestion du« mieux » qui reste, à ce stade,problématique. Elle ne se sortira pasdavantage de la question de la miseen œuvre d’une hypothèse et devraanalyser l’effet de la mise en oeuvred’un bouquet d’hypothèses, tant dansl’analyse a priori que dans l’analysea posteriori.L’étude de casLes mathématiciens revendiquaient àpropos de l’ingénierie didactique lanécessaire étude de cas : c’est biencela que nous leur reprochons.Comment revendiquer en effet lanécessité de participer à l’élaborationd’un savoir progressif et la nonreproductibilité. Il y a là quelquechose de contradictoire dont ladidactique des mathématiques nes’est pas sortie puisqu’elle aabandonné l’ingénierie didactique.On se trouve ici au nœud de laquestion de l’administration de lapreuve. Mais faut-il qu’une seulerecherche assure seule cette charge ?Ne peut-on imaginer que cetteexigence ne soit assurée,provisoirement d’ailleurs, qu’avec laconvergence de nombreusesrecherches. Est-ce à dire que nouslégitimons l’étude de cas ?Assurément non. Simplement à côtéde l’étude d’un cas, nous pensonsqu’il existe une place pour l’étude dequelques cas, permettant au moinsde sortir du particularisme par troppointu.C’est ainsi que Masclet (2003)voulant neutraliser quelque peu lavariable « maître » lors d’uneséquence d’enseignement deLa didactique des sciences : ses acquis, ses questions


110 Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002l’astronomie en cycle trois (fin deprimaire en France) en confia lamise en oeuvre à 9 stagiairesd’IUFM qu’il avait formés. Il éviteainsi la question du passé desenseignants, sort de l’étude de caspour mener son investigation sur9 cas et uniformise la question de laformation.La question du mieuxComme nous l’avons montré, laquestion du « mieux » estinséparable de l’ingénierie didactique: qu’on le veuille ou non, on n’yéchappe pas. Ce problème n’est pasgéré par les mathématiciens. Il nousappartient donc de l’aborder. Maisqui dit mieux, dit comparaison. Celarenvoie inévitablement à l’autreterme de la comparaison et à ladéfinition de ce qu’on entendantcomme mieux.La comparaison stricto sensu nousparaît difficile. Il faudrait en effetque dans les deux termes decomparaison tout soit semblable àl’exception de l’action sur quelquesvariables didactiques. On se heurteici à la définition du groupe témoin.Reprenons le cas du travail deMasclet. Comment trouver quelquesstagiaires d’IUFM, non formés à laséquence mais néanmoins formés (àquoi ?) et enseignant tout de mêmeune séquence d’astronomie en cycletrois. Pour n’évoquer que la questionde la motivation, celle-ci est-elleindépendante de la formation ?On voit bien que la question estdifficile. Est-ce à dire qu’il ne fautrien faire. Dans l’état actuel de notreréflexion méthodologique, nouspensons qu’il est prudent de prendredes points de repère dans unenseignement traditionnel poursuivantles mêmes objectifs. Maisvouloir établir des comparaisonsstrictes nous paraît méthodologiquementprématuré et hasardeux.ConclusionNous avons tenté de retracer dans cetarticle l’essentiel de l’histoire de ladidactique des sciences pour aboutirà définir, en terme de questions pasencore bien résolues, ce que nousentrevoyons de son avenir. Mais à cestade en Belgique francophone, unequestion reste posée qui est celle ducadre institutionnel de la didactique.Autrement dit, où peut-onaujourd’hui faire une thèse endidactique d’une discipline. Laréponse est sans doute : nulle part,ou plus exactement : à l’étranger.Lorsque la didactique des sciences selimitait à des études de représentationssa place aurait pu se trouveren faculté des sciences, la référenceau savoir savant étant dominante.Mais aujourd’hui où la questioncentrale touche à l’apprentissage,nous verrions mieux la place de ladidactique des disciplines ensciences de l’éducation. Pourl’instant cela paraît encore biendifficile. Une partie de l’avenir dessciences de l’éducation se trouveLa didactique des sciences : ses acquis, ses questions


Cahiers du Service de Pédagogie expérimentale - Université de Liège - 9-10/2002 111pourtant là : il y a longtemps que lespays anglo-saxons ont comprisqu’on n’enseigne pas « en général »,ou si peu, mais que l’on enseigne descontenus et que ceux-ci résistent,sont spécifiques et doivent être prisen compte. Bref, pour enseigner laphysique à John, il faut certesconnaître John, mais il vaut tout demême mieux connaître aussi laphysique et la façon dont Johnconstruit sa physique.BibliographieArtigue (1988). Ingénierie Didactique,Recherches en Didactique desMathématiques, 9, 3, 281-308.Bachelard (1938). La formation de l’espritscientifique. Paris : Vrin.Benséghir et Closset (1993). Prégnance del’explication électrostatique dans laconstruction du concept de circuitélectrique : points de vue historiqueet didactique. Didaskalia, 2, 31-47Brousseau (1972). Processus de mathématisation.Bulletin de l’APMEP.Chevallard (1982). Sur l’ingénieriedidactique. Texte préparé pour ladeuxième Ecole d’Eté de Didactiquedes Mathématiques, Orléans, Juillet1982.Closset (1983). Le raisonnement séquentielen électrocinétique. Thèse UniversitéParis 7Closset (1989). Les obstacles àl’apprentissage de l’électrocinétique.Bulletin de l’union des physiciens.716, 931-950.Closset (1992). Raisonnements enélectricité et en hydrodynamique.Aster, 14, 143-155.Closset (1995). Raisonnements"électriques" à propos de circuitshydrauliques, In G. Mary & W.Kaminski (Eds), Actes du cinquièmeséminaire national de recherche endidactique des sciences physiques,Reims, 15-17 octobre 1995, 39-55,Université de Reims et IUFM deReims.Crahay (1999). Psychologie del’Education. Paris : Presses Universitairesde France, 203-204.Doise (1993). Logiques sociales dans leraisonnement. Neuchâtel : Delachauxet Niestlé, 127-128.Dumas et Weil-Barais (1998). Tutelle etmédiation dans l’éducationscientifique. Bern : Peter Lang.Masclet (2003). Thèse Université Paris 7,actuellement en cours.Méheut et Chomat (1990). The bounds ofchildren atomism; an attempt to makechildren build up a particulate modelof mater In P. L. Lijnse and al. (Eds)Relating macroscopic phenomena tomicroscopic particles, Utrecht : CDBPress, 266-282.Missonnier (2002). Séquence d’enseignementde l’électrocinétique, ThèseUniversité Paris 7, en cours.Rivière (1990). La psychologie deVygotsky. Liège : Pierre Mardaga.La didactique des sciences : ses acquis, ses questions

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!