Commerce équitableUn av<strong>en</strong>ir incertain…Magama Krakov1. Ce que l'on appelle le gre<strong>en</strong>washing,ou mettre une couche depeinture verte.2. C<strong>en</strong>tre international de rechercheagronomique pour le développem<strong>en</strong>t,www.cirad.fr.3. "Commerce équitable, un av<strong>en</strong>irm<strong>en</strong>acé ?", Cahiers Economie etGestion n°97, 2008.4. Probablem<strong>en</strong>t liée au développem<strong>en</strong>tdes agrocarburants. Voir"Pierre Rabhi, pénuries alim<strong>en</strong>taires,des solutions exist<strong>en</strong>t",Sil<strong>en</strong>ce n°358 p 38.5. La face cachée du commerce équitable,comm<strong>en</strong>t le business faitmain basse sur une idée généreuse,éd. Bourin, 2009, 200 p.6. Multinationale proposant actuellem<strong>en</strong>tdeux cafés "équitables" dansses établissem<strong>en</strong>ts au fonctionnem<strong>en</strong>tinéquitable.SI, DANS UN PREMIER TEMPS, DE GRANDESCHAÎNES DE DISTRIBUTION ONT ACCEPTÉ DE DIFFUSERdes produits portant le logo Max Havelaar, cesmêmes grands magasins ont vite compris comm<strong>en</strong>tils pouvai<strong>en</strong>t détourner l'idée, soit <strong>en</strong> créant leurpropre marque de "commerce équitable" (qui <strong>en</strong>principe garantit un rev<strong>en</strong>u supérieur au producteur)soit <strong>en</strong> adoptant des logos moins contraignants(style "développem<strong>en</strong>t durable"), multipliantainsi les offres et mettant le consommateurdans l'impossibilité de savoir ce qu'il souti<strong>en</strong>t <strong>en</strong>achetant plutôt l'une ou l'autre des marques.Cette confusion, soigneusem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue parles multinationales, leur permet, à peu de frais, decommuniquer sur leur démarche éthique 1 sanspour autant remettre <strong>en</strong> cause l'ess<strong>en</strong>tiel de leurspratiques : peser sur les marchés internationauxpour obt<strong>en</strong>ir les produits aux prix les plus bas et<strong>en</strong>granger une marge maximale.Retour à la case départ ?B<strong>en</strong>oît Daviron et Isabelle Vagneon, chercheursau CIRAD 2 , estim<strong>en</strong>t que se profile à l'horizon uneremise <strong>en</strong> cause importante de la situationactuelle 3 . Avec un commerce équitable qui resteune niche dans le commerce mondial, les coopérativesde producteurs auront toujours des problèmespour écouler leur production et devrontsans cesse essayer de s'adapter à de nouvelles exig<strong>en</strong>ces(bio et équitable, respect de la biodiversité,conditions de travail des salariés…). Ceci impliquepour les producteurs de nombreuses démarches,formations, transports pour assurer leur certification…avec le risque qu'à la fin cela coûte pluscher que le bénéfice apporté par cette certification.Des coopératives mexicaines de café équitableont ainsi déjà <strong>en</strong>registré des baisses de livraison deLe choix de viser la grandedistribution pour promouvoirle "commerce équitable" aprovoqué des réactions desgrandes marques avecaujourd'hui un risqueimportant de "dilution" ducommerce équitable.production, les intermédiaires classiques réussissantà convaincre les producteurs de leur rev<strong>en</strong>dretout ou partie de leur production… sans contrôle.Deuxième grand problème au niveau des producteurs: le manque de débouchés fait que le"commerce équitable" ne profite toujours qu'à unfaible nombre de producteurs, alors que la majoritéreste soumise au marché international, d'oùdes conflits locaux <strong>en</strong>tre coopératives pour placerleur production certifiée… au risque de se heurterà de gros acheteurs (les multinationales) qui peuv<strong>en</strong>talors jouer les prix à la baisse.Enfin, les révoltes de la faim constatées <strong>en</strong>2008, dans de nombreux pays, après une haussebrutale des prix internationaux 4 , a rappelé à l'évid<strong>en</strong>ceque miser sur des cultures d'exportationpeut être dangereux et qu'il est important pour lesproducteurs locaux d'assurer d'abord leur indép<strong>en</strong>dancealim<strong>en</strong>taire. Les grandes filières du commerceéquitable ne répond<strong>en</strong>t pas à cettepréoccupation pourtant ess<strong>en</strong>tielle.Dans son réc<strong>en</strong>t livre, Frédéric Karpyta 5montre bi<strong>en</strong> comm<strong>en</strong>t le capitalisme a su une nouvellefois s'adapter à ce concept… sans ri<strong>en</strong>remettre <strong>en</strong> cause de fondam<strong>en</strong>tal. Même si le petitproducteur de café touche un peu plus à la fin del'année (1050 dollars au lieu de 1000), il n'aaucune consci<strong>en</strong>ce de ce que devi<strong>en</strong>t son café,ignore généralem<strong>en</strong>t ce qu'est Max Havelaar ouune autre marque et n'aura jamais les moy<strong>en</strong>s de sepayer un café dans un magasin Starbucks 6 . Même siles promoteurs du "commerce équitable" à grandeéchelle sont friands de communication montrantquelques paysans heureux, quelques réalisationssociales des coopératives, le monde reste fortem<strong>en</strong>tinéquitable et le commerce dit "équitable" n'y apour le mom<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> changé.3 8 S!l<strong>en</strong>ce n°377 mars 2010
Commerce équitableD'autres pistes…La fédération Artisans du monde, après desdébats passionnés <strong>en</strong> son sein, a fort heureusem<strong>en</strong>tpris la décision de ne pas emboîter le pas à MaxHavelaar dans le domaine de la grande distribution.Elle a <strong>en</strong>gagé une réflexion intéressante, suiteà des critiques prov<strong>en</strong>ant du réseau Minga, sur laconcurr<strong>en</strong>ce déloyale que pouvait provoquer le faitque ses boutiques sont souv<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ues par desbénévoles 7 .Des coopératives et des ONG du Sud ont poséclairem<strong>en</strong>t la question de mettre <strong>en</strong> place desréseaux de commerce Sud-Sud 8 . Le réseau Minga,<strong>en</strong> relation avec la Confédération paysanne, Nature etProgrès et d'autres, a clairem<strong>en</strong>t posé la questiondu commerce équitable Nord-Nord.Enfin, les réseaux écologistes et décroissants ontprés<strong>en</strong>té des objections importantes à ce commerceSud-Nord : cultures néocoloniales, empreinte écologiqueprovoquée par les distances…Le développem<strong>en</strong>t rapide des AMAP 9 a montréqu'une autre forme de commerce équitable peut semettre <strong>en</strong> place <strong>en</strong> relocalisant l'économie. Une formede "commerce de proximité" qui s'accommode tout àfait de la crise économique actuelle, alors que le commerceéquitable <strong>en</strong> grande surface semble <strong>en</strong> pâtiractuellem<strong>en</strong>t (contrairem<strong>en</strong>t à la bio).Reste que le repli sur une agriculture de proximiténe résout <strong>en</strong> ri<strong>en</strong> la situation économique despetits producteurs du Sud. Comme l'avance Jean-Pierre Boris, dans son livre 10 , c'est par le retour à l'actionpolitique que l'on peut le plus efficacem<strong>en</strong>t agir.Les multinationales ont obt<strong>en</strong>u, via l'OMC(Organisation Mondiale du Commerce) l'abolitionde prix planchers internationaux pour les matièrespremières ; les réinstaurer, avec l'accord des paysproducteurs, permettrait d'apporter un rev<strong>en</strong>u correctd'un seul coup à l'<strong>en</strong>semble des producteurs, aulieu de n'<strong>en</strong> favoriser qu'un minuscule pourc<strong>en</strong>tage.Michel Bernard nL'arbre qui cache la forêt ?P<strong>en</strong>dant que l'on nous prés<strong>en</strong>te, dans lessalons écolos, des défilés de mode de vêtem<strong>en</strong>tséquitables, le coton transgénique se plante deplus <strong>en</strong> plus largem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Afrique sous contrôlede la firme Dagris, importateur pour MaxHavelaar.P<strong>en</strong>dant que l'on nous fait déguster du thééquitable, le phénomène de conc<strong>en</strong>tration desgrandes plantations au Sud continue inexorablem<strong>en</strong>t.Max Havelaar pour se lancer dans le commercedu thé a fait disparaître la notion de "petitproducteur" de son argum<strong>en</strong>tation.Pour le mom<strong>en</strong>t le commerce équitable nesemble pas influer sur la marche du monde.n Fédération Artisans dumonde, 53, boulevard deStrasbourg, 75010 Paris, tél. :01 56 03 93 50, www.artisansdumonde.org.170 points dev<strong>en</strong>te.n Minga, 1, quai du square,93200 Saint-D<strong>en</strong>is, tél. : 01 4809 92 53, www.minga.net. 60structures adhér<strong>en</strong>tes.á Cette affiche nous dit que "la nourriture labellisée commerceéquitable combat la pauvreté" et <strong>en</strong> gros "Achetez" (Buy). Uneaffiche certes efficace (merci à l'ag<strong>en</strong>ce de pub !), mais peuhonnête. Même si Oxfam consacre son énergie à financer desinitiatives sociales dans le Sud, globalem<strong>en</strong>t la pauvreté nerégresse pas avec le développem<strong>en</strong>t du commerce équitable !Magama Krakov7. Donc avec des coûts de fonctionnem<strong>en</strong>tmoins élevés que pourune boutique avec un salarié.8. Voir l'ONG Enda au Sénégal ou lacampagne Afrique Verte m<strong>en</strong>éeavec le souti<strong>en</strong> de Frères deshommes : www.afriqueverte.org.9. Association pour le mainti<strong>en</strong>d'une agriculture paysanne.10. Commerce inéquitable, le romannoir des matières premières,Hachette littératures, 2005.S!l<strong>en</strong>ce n°377 mars 20103 9