Sahara occid<strong>en</strong>talAousserd, c'est où ça ?Jean-Pierre Lepriá Jeunes femmes sahraouis1. Le présid<strong>en</strong>t français et sonépouse ont passé leurs vacancesde Nouvel An 2010 chez leur ami,le roi du Maroc…En 1989, à Berlin, tombe le "mur de la honte". Mais depuis,d’autres "murs de la honte", l’ont remplacé : <strong>en</strong> Palestine, leplus connu, <strong>en</strong>tre le Mexique et les USA, moins connu, ou<strong>en</strong>core, pratiquem<strong>en</strong>t ignoré, celui du Sahara. Depuis 1987, le"mur des sables", long de plus de 2700 km, gardé par plus de100 000 soldats, "conti<strong>en</strong>t" 120 000 personnes hors de leurterritoire (c’est son originalité), au beau milieu du désert.EN 1975, L’ESPAGNE QUI "ADMINISTRAIT"LE SAHARA OCCIDENTAL SE RETIRE. AU MÉPRIS DESpopulations sahraouies qui vivai<strong>en</strong>t alors sur ceterritoire, le Maroc rev<strong>en</strong>dique et <strong>en</strong>vahit la partieOuest (la côte), la plus riche (pêche et phosphat<strong>en</strong>otamm<strong>en</strong>t) ; la Mauritanie <strong>en</strong>vahit la partie Est.Depuis, la Mauritanie a r<strong>en</strong>du le territoire, mais leMaroc continue à occuper "sa" partie et à s’opposerà un référ<strong>en</strong>dum sur l’autodétermination dupeuple natif du lieu et qui y vivait. Pourtant,depuis 1991, soit depuis bi<strong>en</strong>tôt vingt ans, lesNations Unies "prépar<strong>en</strong>t" un référ<strong>en</strong>dum sur l’autodéterminationdu peuple sahraoui — auquel laFrance oppose régulièrem<strong>en</strong>t son veto. Statu quodonc, au bénéfice des intérêts économiques, politiques,hégémoniques… directs du Maroc et indirectsde la France, amie du Maroc 1 . Les dirigeantssahraouis y trouv<strong>en</strong>t certainem<strong>en</strong>t aussi des avantages,comme tous les dirigeants des peuplesopprimés. Autant de raisons donc pour que lasituation perdure.Comm<strong>en</strong>t viv<strong>en</strong>t ces êtres humains, dans lachaleur ou les v<strong>en</strong>ts de sable du désert, sans eau,sans arbres ni autres plantes, sans ressources naturelles,financières, humaines, presque oubliés detous et de l’histoire ?Aousserd est l’un des cinq campem<strong>en</strong>ts de réfugiésSahraouis, à l’extrême Sud-Ouest de l’Algérie.On y vit comme partout ailleurs : production,approvisionnem<strong>en</strong>t, distribution, politique,déchets, famille, école, religion, énergie, déplacem<strong>en</strong>ts…Seules les modalités diffèr<strong>en</strong>t de cellesd’autres <strong>en</strong>droits. Illustrations.Dép<strong>en</strong>dance alim<strong>en</strong>taireRi<strong>en</strong> ne pousse dans le désert, à cause surtoutdes v<strong>en</strong>ts de sable qui détruis<strong>en</strong>t tout. Lesquelques essais de production protégée (sousserre) revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus cher que d’importer deslégumes.Toute la nourriture est donc "importée"d’ailleurs — pour l’ess<strong>en</strong>tiel offerte par divers payset organisations intergouvernem<strong>en</strong>tales. Pour lespays donateurs, c’est, sans doute, politiquem<strong>en</strong>tplus "intéressant" que de r<strong>en</strong>dre sa terre et l’autonomiealim<strong>en</strong>taire à ce peuple. Quelques produits"frais", une fois par semaine : pommes de terre,oignons, carottes, dattes. Sinon : farine, riz, hari-3 2 S!l<strong>en</strong>ce n°377 mars 2010
Sahara occid<strong>en</strong>talDans une boutique… Ücots, l<strong>en</strong>tilles… Biscuits énergétiques et soja sontdistribués, à l’occasion, dans les écoles.On peut aussi acheter, dans quelques boutiques,de la salade, des tomates, des fruits (desbananes d’Équateur, par exemple)… v<strong>en</strong>usd’Algérie, le pays "hôte".On se brosse les d<strong>en</strong>ts avec la tige qui porte lesdattes ou bi<strong>en</strong> avec une tige d’arbre v<strong>en</strong>u d’une partiedu désert <strong>en</strong>core boisé.Pour les toilettes, on creuse un simple puisard, alim<strong>en</strong>tédepuis une cuvette "à la turque", avec un récipi<strong>en</strong>td’eau pour se nettoyer (pas de papier toiletteévidemm<strong>en</strong>t). Le même abri sert aussi pour la"douche" — deux bouteilles de 1,5 l pour les hôtes —,avec une seconde évacuation pour l’eau savonneuse.L’eau provi<strong>en</strong>t de forages, installés par desEspagnols. Des camions-citernes la distribu<strong>en</strong>tdans des citernes familiales de 1000 litres. Elle estpropre et potable. Ensuite, on remplit des bidons.Pour la boisson, la toilette, la vaisselle, la lessive, lacuisine… avec parcimonie.S'abriterLe vêtem<strong>en</strong>t est fourni aussi par l’aide extérieure,de moins <strong>en</strong> moins, et acheté, de plus <strong>en</strong>plus, dans les boutiques.Les hommes ont conservé le turban : 3 m detissu qui <strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t et protèg<strong>en</strong>t la tête et le visage.Les femmes port<strong>en</strong>t le foulard islamique, mais,à l’extérieur, se voil<strong>en</strong>t complètem<strong>en</strong>t le visage et lecorps (lunettes de soleil, gants, chaussettes…) surtoutpar coquetterie : pour éviter de bronzer et ainsirester blanches. L’un des cosmétiques sert d’ailleursà se blanchir le visage avec un fond de teint blanc.La "ville" est faite de maisons <strong>en</strong> terre et dequelques t<strong>en</strong>tes (données par l’aide internationale).Les nouveaux couples et leur famille s’install<strong>en</strong>t généralem<strong>en</strong>tà côté de la maman de l’épouse. On imaginele "plan" d’urbanisme, les <strong>en</strong>combrem<strong>en</strong>ts et lesréinstallations obligées sur des espaces plus grands.La vie de familleLe mariage est une grande fête, coûteuse pourle futur mari : vingt "robes", vingt couvertures, 2tapis, 2 services à thé, des valises de vêtem<strong>en</strong>ts etde produits de toilette et cosmétiques pour lamariée et sa maman… un dromadaire et cinq moutonsou chèvres pour la fête…Naiss<strong>en</strong>t une bonne dizaine d’<strong>en</strong>fants. Danscette famille, Khadija, l’aînée, dit à sa maman d’arrêteraprès le 11 e <strong>en</strong>fant, mais la maman, ellemêmeseule survivante d’une fratrie de onze luidit : "tu ne sais pas ce que c’est de ne pas avoir defrères et de sœurs". Alors, Khadija ne dit plus ri<strong>en</strong>.L’amour (conjugal) n’est pas un s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tconnu ni cultivé. Les mariages sont surtout desunions de raison, néanmoins librem<strong>en</strong>t cons<strong>en</strong>ties.Le mari peut rompre le mariage du jour au l<strong>en</strong>demainet sans explications ; la femme doit, <strong>en</strong> principe,r<strong>en</strong>dre alors ce qu’elle a reçu.Les <strong>en</strong>fants grandiss<strong>en</strong>t librem<strong>en</strong>t, les plusgrands s’occup<strong>en</strong>t des plus petits, et ils sont traitésavec beaucoup de compréh<strong>en</strong>sion.L’une des filles de la famille s’occupe de ses par<strong>en</strong>tsjusqu’à leur mort, généralem<strong>en</strong>t sans se marier.La femme ti<strong>en</strong>t le foyer, l’homme part ram<strong>en</strong>erce qu’il peut — notamm<strong>en</strong>t la maison elle-même etDistribution de leǵumes ÜJean-Pierre Leprison cont<strong>en</strong>u (murs, toit, portes, tapis, coussins,ust<strong>en</strong>siles de cuisine, cuisinière, etc.). Ainsi, lemari de Khadija est parti <strong>en</strong> Espagne, le l<strong>en</strong>demaindu mariage. Depuis des années maint<strong>en</strong>ant, il ycherche du travail pour, un jour, rev<strong>en</strong>ir etconstruire la maison du "couple".Sobriété énergétiqueLa majorité des personnes se déplac<strong>en</strong>t à pied,dans la "ville". Pour les déplacem<strong>en</strong>ts inter-villes, ily a des taxis collectifs, un bus parfois, ainsi quequelques voitures particulières ou off<strong>ici</strong>elles. Lesvoitures sont offertes par des amis étrangers ou pardes membres de la famille expatriés.Le gazole est à 0,50 € le litre. Le charbon debois est à 10 € le sac de 20-25 litres (pour faire lethé, car, dit-on, "l’eau bouillie avec du charbon debois a meilleur goût que celle bouillie sur le gaz !").L’électr<strong>ici</strong>té n’existe que dans deux villes (dontle c<strong>en</strong>tre administratif) et partiellem<strong>en</strong>t dans unetroisième (2 fois par jour). Le reste du temps etailleurs, comme à Aousserd, on utilise des capteursphotovoltaïques qui charg<strong>en</strong>t une batterie, laquellepermet alors, avec un transformateur (<strong>en</strong> 220 volts)de charger les téléphones portables, dans la journée,et, le soir, de s’éclairer et de regarder la télévision.Deux émetteurs de téléphone pour l’<strong>en</strong>sembledes camps, donc plusieurs "villes" sans téléphone.À certains <strong>en</strong>droits, à Aousserd, <strong>en</strong> montant sur unedune, on peut obt<strong>en</strong>ir une connexion téléphonique.Pour <strong>en</strong> savoir plusn Elisabeth Peltier, Malgré toutDakhla existe, chronique d'uncampem<strong>en</strong>t sahraoui, Paris,L'Harmattan, 2009, 242 p., àcommander de préfér<strong>en</strong>ce, aumême prix (22 €), chezl’auteur : de cette manière, 6 €sont employés à des actionsd’accompagnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveurdes défavorisés sahraouis, tél. :04 90 70 37 81 ou 06 62 6764 58, jelv@club-internet.fr.n Régine Villemont, Avec lesSaharouis. Une histoire solidairede 1975 à nos jours,L’Harmattan, 2009, 354 p., 29 €.n Annaïg Abjean, Zahra Juli<strong>en</strong>,Sahraouis : exil, id<strong>en</strong>tités,L'Harmattan, 2004.Sites :n www.arso.org (association desouti<strong>en</strong> à un référ<strong>en</strong>dum libre etrégulier au Sahara Occid<strong>en</strong>tal)n www.sahara-info.org, le bulletinde l’association française desamis de la RASD.n www.spsrasd.info (ag<strong>en</strong>ce depresse de la RASD)Jean-Pierre Lepri