Sud-NordT<strong>en</strong>sions sociales au Sudet perspective mondialeDaniel Caballero Má Evo Morales, présid<strong>en</strong>t bolivi<strong>en</strong>,part<strong>ici</strong>pant à une marche auxcôtés de représ<strong>en</strong>tants indi<strong>en</strong>s.Actuellem<strong>en</strong>t, dans les pays du Nord, un relatif cons<strong>en</strong>susempêche de p<strong>en</strong>ser une politique respectueuse de la planèteet des peuples. La solution peut-elle v<strong>en</strong>ir des pays du Sud ?Sans doute, mais cela reste diff<strong>ici</strong>le tant la mondialisation estl'affaire des riches.CEN’EST PAS UNE NOUVEAUTÉ, DE NOMBREUXPAYS DU SUD VIVENT DE FORTES TENSIONS SOCIALES.On peut p<strong>en</strong>ser, dans le cas de l’Amérique latine,aux t<strong>en</strong>sions <strong>en</strong> Bolivie <strong>en</strong>tre les mouvem<strong>en</strong>tssociaux et indigènes, représ<strong>en</strong>tés par le gouvernem<strong>en</strong>td’Evo Morales — premier indigène présid<strong>en</strong>t— et les élites traditionnelles blanches et métisses.Ou au V<strong>en</strong>ezuela, avec les t<strong>en</strong>sions <strong>en</strong>tre la droiteet le gouvernem<strong>en</strong>t bolivari<strong>en</strong>, qui ont culminéavec la t<strong>en</strong>tative de coup d’Etat d’avril 2003. Ou<strong>en</strong>core au Pérou, avec le réc<strong>en</strong>t affrontem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trela police et des indigènes cherchant à protéger del’exploitation leurs territoires ancestraux, qui a faitune vingtaine de morts.Ces t<strong>en</strong>sions peuv<strong>en</strong>t s’expliquer, à l’interne,par les profondes injustices que subit depuis dessiècles la majorité du peuple (souv<strong>en</strong>t d’origineindigène), soumis à ses élites blanches et métisses.Dans les pays du Sud, et <strong>en</strong> particulier <strong>en</strong>Amérique — avec la notable exception cubaine —le fossé séparant les majorités pauvres des minoritésriches est particulièrem<strong>en</strong>t profond, significativem<strong>en</strong>tplus que dans les sociétés du Nord.Mais ces t<strong>en</strong>sions sont égalem<strong>en</strong>t liées à des facteursexternes, dus aux caractéristiques du système-mondeglobalisé. Elles ne sont pas toujoursfaciles à compr<strong>en</strong>dre pour le simple citoy<strong>en</strong> duNord.En effet, les t<strong>en</strong>sions qui travaill<strong>en</strong>t profondém<strong>en</strong>tla Bolivie actuelle, avec d’un côté « la gauchequi déf<strong>en</strong>d les pauvres », incarnée par les mouvem<strong>en</strong>tssociaux, indigènes et paysans et représ<strong>en</strong>téspar le gouvernem<strong>en</strong>t d’Evo Morales, et de l’autre «la droite qui déf<strong>en</strong>d les privilèges des riches », c’està-direles élites économiques, <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs,grands propriétaires terri<strong>en</strong>s ou industriels desmines ou du bois, n’exist<strong>en</strong>t plus véritablem<strong>en</strong>tdans nos sociétés développées, où cette polaritégauche-droite a beaucoup perdu de sa pertin<strong>en</strong>ce.Par contre, <strong>en</strong> Bolivie, comme dans d’autres paysdu Sud, on se trouve devant l’affrontem<strong>en</strong>t de systèmessocio-économiques véritablem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>ts.Ou plus précisém<strong>en</strong>t, devant l’affrontem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>treun système anci<strong>en</strong> et un système <strong>en</strong> dev<strong>en</strong>ir, quin’est pas <strong>en</strong>core abouti, d’où de nombreusescontradictions internes.Les t<strong>en</strong>sions politiques au sein des sociétésoccid<strong>en</strong>tales sont <strong>en</strong> réalité très faibles, parce quela frontière <strong>en</strong>tre riches et pauvres, <strong>en</strong>tre lesouvriers et les patrons, a de fait été abolie. A partirdes Tr<strong>en</strong>te Glorieuses (1945-1975), l’imm<strong>en</strong>semajorité des Occid<strong>en</strong>taux sont passés de fait dansla catégorie des « riches absolus ». Même si certainspeuv<strong>en</strong>t avoir l’impression d’être « pauvres »,ils ne le sont que relativem<strong>en</strong>t à leurs concitoy<strong>en</strong>s.Dans une perspective-monde, les Occid<strong>en</strong>taux, quireprés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t 20% de la population mondiale,consomm<strong>en</strong>t 85% des matières premières, et génèr<strong>en</strong>tla même proportion de la pollution mondiale.Au minimum trois planètes serai<strong>en</strong>t nécessaires3 8 S!l<strong>en</strong>ce n°379 mai 2010
Sud-Nordpour que l’<strong>en</strong>semble des êtres humains puiss<strong>en</strong>tvivre comme un Occid<strong>en</strong>tal moy<strong>en</strong>. Une familleeuropé<strong>en</strong>ne vivant à la limite du seuil de pauvreté,qui ne s’alim<strong>en</strong>terait que de produits bio et locaux,n’aurait pas voiture et consommerait peu et toujoursde façon réfléchie socialem<strong>en</strong>t et écologiquem<strong>en</strong>t,atteint à peine un niveau de consommationpouvant être généralisé à l’<strong>en</strong>semble de la planète.De fait, <strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t, tous tir<strong>en</strong>t à la mêmecorde : pour conserver les exorbitants privilègesmatériels, il faut que le système global demeure. Ilest nécessaire que le Nord puisse continuer àexploiter les richesses matérielles et humaines despays du Sud au plus bas coût, qu’il puisse continuerà générer l’imm<strong>en</strong>se majorité de la pollutionmondiale, tout <strong>en</strong> faisant supporter aux autres lamajorité de ces nuisances. C’est pourquoi le débatpolitique se conc<strong>en</strong>tre sur ce qui n’est <strong>en</strong> fait quedes détails, sur les marges du système, sans l’affecterprofondém<strong>en</strong>t.Dans les sociétés « développées », cet affrontem<strong>en</strong>tn’existe plus vraim<strong>en</strong>t (ou pas <strong>en</strong>core), malgréla crise générale de notre système (économique,sociale, individuelle, écologique, morale, etc.),parce qu’il n’existe pas (<strong>en</strong>core) de véritable alternativeau système <strong>en</strong> place qui se soit constituée <strong>en</strong>force politique d’importance. Que ce soit dans unsystème politique à cons<strong>en</strong>sus, comme <strong>en</strong> Suisse,ou d’alternance, comme <strong>en</strong> France ou aux Etats-Unis, il existe un accord de fond tacite, qui estcelui du système libéral, productiviste, matérialisteet de régulation par le marché. Il n’existe pas devéritable opposition politique, qui proposerait unsystème profondém<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>t. De ce fait, l’arènepolitique se limite à des débats cosmétiques portantsur les détails du système. La droite et lagauche <strong>en</strong> Suisse ou <strong>en</strong> France, les Républicains etles Démocrates aux Etats- Unis, sont de fait d’accordsur l’ess<strong>en</strong>tiel.Par contre, dans les pays du Sud, la barrière quisépare les privilégiés et les exploités est bi<strong>en</strong> prés<strong>en</strong>teet visible. Elle a plutôt t<strong>en</strong>dance à se r<strong>en</strong>forcer,comme celle qui sépare le Sud du Nordd’ailleurs. D’un côté, une minorité qui possède unD.R.niveau de vie aussi élevé que les richesOccid<strong>en</strong>taux, et qui vit le regard vissé sur Paris ouMiami. De l’autre, des majorités pauvres qui n’ont,de loin, pas <strong>en</strong>core atteint un stade où leurs nécessitésde base soi<strong>en</strong>t satisfaites. Accès à l’eau potable,à une nourriture suffisante et satisfaisante, à uneéducation de base selon leurs propres critères culturels,à un logem<strong>en</strong>t digne, à un minimum de servicesde santé <strong>en</strong> conformité avec leurs cultures,sont <strong>en</strong>core loin d’être garantis pour une grandepartie de l’humanité. Ces minorités sont plus oumoins consci<strong>en</strong>tes, selon les pays et les époques,qu’elles pay<strong>en</strong>t le mode de vie des privilégiés dusystème global. Non seulem<strong>en</strong>t de leurs seulesélites, mais égalem<strong>en</strong>t des élites mondiales, dontfont partie l’écrasante majorité des Occid<strong>en</strong>taux.Si l’<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur minier qui exploite sesouvriers ou celui du bois qui chasse les Indi<strong>en</strong>s dela forêt amazoni<strong>en</strong>ne s’<strong>en</strong>richiss<strong>en</strong>t considérablem<strong>en</strong>tde l’exploitation éhontée de la nature et desá Evo Morales apportant son souti<strong>en</strong>à des grèvistes.S!l<strong>en</strong>ce n°379 mai 20103 9