vers le rationnem<strong>en</strong>tD.R.Le rationnem<strong>en</strong>tpour la paix,la solidaritéet la démocratie"Seul un imm<strong>en</strong>se effort collectif, t<strong>en</strong>du vers l’objectif desociétés sobres ci-dessus esquissé, pourra décrire cet av<strong>en</strong>irdésirable, <strong>en</strong> impliquant les élus, les syndicats et lesassociations, les sci<strong>en</strong>tifiques et les habitants. Cep<strong>en</strong>dant,une contrainte immédiate est celle de l’organisation de ladistribution <strong>en</strong> matière alim<strong>en</strong>taire et énergétique.""ENL’ABSENCE DE RATIONNEMENT SOLI-DAIRE ET DÉMOCRATIQUE, L’ALLOCATION desressources alim<strong>en</strong>taires et énergétiques rares s’effectuera,comme aujourd’hui, par les prix et les rev<strong>en</strong>us,<strong>en</strong> favorisant les plus riches. Un système de prix n’estjamais qu’un système de rationnem<strong>en</strong>t, mais basé surla règle de l’inéquité : qui a de l’arg<strong>en</strong>t achète lesbi<strong>en</strong>s, qui n’<strong>en</strong> a pas s’<strong>en</strong> prive. Un tel systèmeconduit à des inégalités, plus rarem<strong>en</strong>t à la guerrecivile. D’autant qu’<strong>en</strong> période favorable certainsbi<strong>en</strong>s sont remplaçables par d’autres, moins plaisantset confortables, mais dont les plus modestes se cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t.La situation change lorsque c’est dans un secteurvital (l’alim<strong>en</strong>tation, l’énergie) que tous les prix sontélevés. La solidarité, la démocratie et même l’intérêtbi<strong>en</strong> compris des riches redoutant émeutes et vandalisme<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t à organiser le rationnem<strong>en</strong>t sur uneautre base que le seul pouvoir d’achat. A l’image de ladirective europé<strong>en</strong>ne sur les quotas d’émission de gazà effet de serre alloués à toutes les "installations decombustion", des quotas (ou rations) de consommationalim<strong>en</strong>taire et énergétique pourront être allouésaux familles selon le nombre de personnes qui lescompos<strong>en</strong>t, modalité de justice sociale neutralisant lesdiffér<strong>en</strong>ces de rev<strong>en</strong>u."Yves Cochet (député Vert de Paris), Pétroleapocalypse, Fayard, 2005, pp. 212-213Sil<strong>en</strong>ce : Yves Cochet, votre position sur lerationnem<strong>en</strong>t a-t-elle évolué depuis 2005,date à laquelle vous avez publié le texte citéci-contre ?Yves Cochet : J’écrirais <strong>en</strong>core la même chose.Le rationnem<strong>en</strong>t concernerait ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>tl’énergie et l’alim<strong>en</strong>tation. Ce sont les deux bi<strong>en</strong>sde la plus urg<strong>en</strong>te nécessité à l’échelon individuelcomme à l’échelon collectif local. C’est donc surces deux secteurs qu’il faudrait, qu’il faudra (resteà savoir quand et sous quelle forme) organiser lerationnem<strong>en</strong>t.Je disais aussi, à l’époque, qu’on est déjàdepuis longtemps dans un système de rationnem<strong>en</strong>t: le système des rev<strong>en</strong>us et des prix. Celareste vrai : les riches ne se rationn<strong>en</strong>t pas, lespauvres se rationn<strong>en</strong>t, par définition. C’est trèsinégalitaire. Là est l’argum<strong>en</strong>t principal pour lerationnem<strong>en</strong>t. Dans un système où les ressourcesde base vont dev<strong>en</strong>ir plus rares et plus chères, sion reste au système des rev<strong>en</strong>us et des prix, lesinégalités vont se creuser énormém<strong>en</strong>t et il y aurades révoltes. Il faut donc un partage équitable, <strong>en</strong>gros sur la base de l’exist<strong>en</strong>ce humaine : touthumain a le droit à une part, égale pour tous.1 2 S!l<strong>en</strong>ce n°379 mai 2010
vers le rationnem<strong>en</strong>tSelon vous, le rationnem<strong>en</strong>t se justifiait alorspar l’immin<strong>en</strong>ce du pic pétrolier. Où <strong>en</strong> est-onaujourd’hui ?Il est toujours audacieux de donner des dates,mais, à mon avis, le pic de pétrole conv<strong>en</strong>tionnelfut atteint <strong>en</strong> 2005. Pour tous les liquides hydrocarbonés,donc le pétrole non conv<strong>en</strong>tionnel, cefut sans doute <strong>en</strong> 2008. C’est ce que p<strong>en</strong>se la "blogosphèrepeakoiliste", les g<strong>en</strong>s de l’ASPO 1 parexemple. Evidemm<strong>en</strong>t, il faudra att<strong>en</strong>dre unedizaine d’années pour avoir la confirmation quec’était vraim<strong>en</strong>t à ce mom<strong>en</strong>t-là.Bref, je p<strong>en</strong>se que tout ce qu’on peut dire surles changem<strong>en</strong>ts économiques et sociaux considérablesqui nous att<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t, on doit l’<strong>en</strong>visager dansla perspective réelle et réaliste de la déplétionpétrolière et gazière, et plus généralem<strong>en</strong>t de ladéplétion de l’énergie nette qui, elle, a déjà comm<strong>en</strong>cé.Parce que ce qui compte, ce n’est pas seulem<strong>en</strong>tl’énergie ou le pétrole, c’est l’énergie nette,c’est-à-dire celle qui est finalem<strong>en</strong>t accessible auxutilisateurs, industriels, services publics, familles,etc. Et cette énergie nette, oui, elle baisse. 2Sommes-nous si dép<strong>en</strong>dants de l’énergiequ’il faille <strong>en</strong>visager de la rationner ?Ceux qui souffriront le moins du peak oil, cesont ceux qui ont une empreinte énergétique trèsfaible, avec des moy<strong>en</strong>s de subsistance extrêmem<strong>en</strong>tsobres. Cela représ<strong>en</strong>te à peu près la moitiéde l’humanité. Alors que nous, occid<strong>en</strong>taux, nousne savons pas survivre <strong>en</strong> nous passant de pétrole,et nous avons aussi totalem<strong>en</strong>t oublié comm<strong>en</strong>tfaire pour vivre sans instrum<strong>en</strong>ts électriques. Sil’électr<strong>ici</strong>té dev<strong>en</strong>ait de plus <strong>en</strong> plus intermitt<strong>en</strong>te,et qu’il se produisait des black-out de plus <strong>en</strong> plusfréqu<strong>en</strong>ts, nous serions assez démunis. Parce quel’électr<strong>ici</strong>té irrigue toute notre vie quotidi<strong>en</strong>ne ettoute notre organisation sociale. Il faut considérertoute la puissance que nous utilisons pour les TGV,les services publics, l’industrie et le confort domestique.C’est absolum<strong>en</strong>t énorme. Alors qu’unebonne partie du monde vit sans électr<strong>ici</strong>té.Alors comm<strong>en</strong>t voyez-vous les choses ?Comm<strong>en</strong>t la fin de l’énergie abondante etbon marché peut-elle nous conduire aurationnem<strong>en</strong>t ?J’imagine deux ou trois étapes dues au peak oil,et plus généralem<strong>en</strong>t à la baisse de l’énergie nettedisponible. Au départ, ce sont les prix qui feront lerationnem<strong>en</strong>t. Il y aura de l’inflation, et les pauvresse serreront la ceinture parce qu’ils ne pourront pasacheter. C’est ce qu’on appelle la destruction de lademande ; ce sera un rationnem<strong>en</strong>t très inégalitaire.Ensuite, peut-être dans les années 2020, il estprobable que les prix seront si hauts, et la situation,tellem<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>due, qu’il faudra un système organisé.Le litre de super à 3 euros fera hurler. Il faudradonc organiser le rationnem<strong>en</strong>t, pour l’énergie etsans doute pour l’alim<strong>en</strong>tation, sous la forme detickets ou de cartes carbone, la forme évoquée parla Grande-Bretagne. Ce rationnem<strong>en</strong>t devra êtreéquitable, sinon les g<strong>en</strong>s se révolteront. Ceci pourraitt<strong>en</strong>ir quelques années, à l’échelle de la Franceou de l’Europe.Enfin, peut-être dans quinze ou vingt ans, cesystème ne sera plus possible car il coûtera tropcher. Il faudra alors une organisation plus locale,<strong>en</strong> Transition Towns peut-être, c’est-à-dire t<strong>en</strong>duevers la solidarité et la sobriété à l’échelon d’un petitterritoire. L’Etat n’aura plus les moy<strong>en</strong>s de gérer àl’échelon national parce que la mondialisation sesera écroulée. La guerre civile éclatera dans la moitiédes pays du monde. Toute la chaîne logistiqued’apport de l’énergie aura du mal à se maint<strong>en</strong>ir.Dans ces circonstances, la résistance au chaossera locale, t<strong>en</strong>due vers la sobriété et l’autonomieénergétique et alim<strong>en</strong>taire. Là où on sera, il faudras’organiser pour partager l’énergie et l’alim<strong>en</strong>tationdisponibles. Il n’y aura pas un modèle unique deGuillaume Paumierá Yves Cochet <strong>en</strong> confér<strong>en</strong>ce sur le pic de production du pétrole,INSA Toulouse, le 6 février 2007.1. Association for the Study of PeakOil and Gas : association pourl’étude du pic du pétrole2. L’énergie nette, c’est l’énergie produite,dont on soustrait l’énergiequi a été utilisée lors de sa production.Yves Cochet : "Il y a un siècleil fallait à peu près 1 baril depétrole pour <strong>en</strong> mettre 100 dans leréservoir de la voiture ; maint<strong>en</strong>ant,il faut 1 baril pour <strong>en</strong> mettre 15seulem<strong>en</strong>t. Donc on voit que le rapport,l’énergie nette, a baissé. Ellediminue parce que c’est du pétroleplus lointain, plus profond, plus visqueux,plus… c’est plus diff<strong>ici</strong>le àextraire. Peut-être que dans dix ans,il faudra 1 baril pour <strong>en</strong> mettre 5simplem<strong>en</strong>t, et non pas 15."S!l<strong>en</strong>ce n°379 mai 20101 3