vers le rationnem<strong>en</strong>tà Manif-vélos des CRAGs à Londres1 0 S!l<strong>en</strong>ce n°379 mai 2010D.R.D.R.sont désormais cités comme une preuve que l’onpeut effectivem<strong>en</strong>t réduire drastiquem<strong>en</strong>t et rapidem<strong>en</strong>tles émissions individuelles de CO 2 : aucours de leur première année, les Craggers parvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne à réduire leur empreinte carbonede 30 %. Il y a égalem<strong>en</strong>t eu des succès plus spectaculaires: le mouvem<strong>en</strong>t a bénéf<strong>ici</strong>é d’un coup deprojecteur inatt<strong>en</strong>du <strong>en</strong> 2008, suite à un concoursorganisé par Oxfam pour récomp<strong>en</strong>ser les troisBritanniques ayant la plus basse empreinte carbone.Alors que le concours était ouvert à tous, lestrois gagnants se sont avérés être trois Craggers,avec une empreinte de seulem<strong>en</strong>t 0,45 tonne decarbone par an pour le premier 5 . Bref, de quoiasseoir la légitimité de cette jeune association.Le lobbying par la pratiqueEn somme, les CRAGs sont l’application pratiqued’une politique publique déjà étudiée <strong>en</strong> profondeur,une série de mini-expéri<strong>en</strong>ces pilotes.Pour beaucoup des premiers membres des CRAGs,<strong>en</strong> effet, il s’agit de prouver la faisabilité de la cartecarbone <strong>en</strong> <strong>en</strong> faisant l’expéri<strong>en</strong>ce personnelle. Ilssont nombreux à sout<strong>en</strong>ir une politique qu’ilsdécriv<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t comme "progressiste" et "redistributrice".Anna, une des trois gagnantes duconcours Oxfam, juge que "la distribution équitabledes émissions de carbone sout<strong>en</strong>ables est un élém<strong>en</strong>tcrucial de justice sociale, et faire partie d’un CRAG mepermet de part<strong>ici</strong>per activem<strong>en</strong>t à ce débat" 6 . Voilà undes aspects qui font la spécif<strong>ici</strong>té des CRAGs parrapport à de nombreuses initiatives locales deréduction des GES : les Craggers font du lobbying,<strong>en</strong> expérim<strong>en</strong>tant directem<strong>en</strong>t une politiquepublique qu’ils cherch<strong>en</strong>t à faire adopter. Cettestratégie a déjà porté quelques fruits : les universitairesqui font la promotion de la carte carbonesont très intéressés par ce que font les CRAGs. Cesexpéri<strong>en</strong>ces volontaires leur permett<strong>en</strong>t d’améliorerla proposition de carte carbone et de la r<strong>en</strong>dreplus crédible aux yeux des gouvernem<strong>en</strong>ts.Carnets de rationnem<strong>en</strong>tvolontaireC’est sur le même principe du volontariat quese fonde la proposition de la New EconomicsFoundation, qui distribue depuis l’automne dernierdes carnets individuels de rationnem<strong>en</strong>t de l’énergie,émis par un imaginaire Ministry of trying to dosomething about it 7 . Intitulés "Carbon Ration Books",ces carnets se compos<strong>en</strong>t d’une grille de 40 casesvierges – la ration d’énergie pour le mois – et deplusieurs pages de coupons à découper, correspondantchacun à une façon d’utiliser de l’énergie.Eclairage, transport, nourriture… sont convertis<strong>en</strong> unités de carbone, et c’est à chaque volontairede décider comm<strong>en</strong>t utiliser sa ration m<strong>en</strong>suelle de40 unités. "Votre ration de carbone est calculée parrapport à un permis annuel global de 1, 15 tonnesd’équival<strong>en</strong>t CO 2 par personne, lit-on dans les premièrespages du carnet. Cela représ<strong>en</strong>te votre justepart du droit d’émettre des GES dans l’atmosphère.Tous les calculs sont fondés sur un objectif de réductionde 80 % des émissions de GES des pays développés d’<strong>ici</strong>2050." Cet objectif n’est pas farfelu : c’est celui ques’est fixé la Grande-Bretagne, et il correspond aux
vers le rationnem<strong>en</strong>trecommandations du Groupe d'experts intergouvernem<strong>en</strong>talsur l'évolution du climat (GIEC). Lesréductions impliquées sont pourtant sévères : avoirun frigo, éclairer et chauffer la maison, et faire200 km <strong>en</strong> train utilis<strong>en</strong>t déjà la moitié de la rationm<strong>en</strong>suelle, avant même d’avoir comm<strong>en</strong>cé à compterla nourriture, l’habillem<strong>en</strong>t, ou d’avoir alluméun ordinateur.On compr<strong>en</strong>d bi<strong>en</strong> la force pédagogique de cecarnet : la radicalité du changem<strong>en</strong>t nécessairesaute aux yeux du volontaire qui voit d’un côté ses40 petites cases disponibles, et de l’autre les pageset les pages de coupons qu’il aimerait pouvoir ycoller. L’impossibilité matérielle de caser tous lescoupons est l’illustration de l’impossibilité matérielled’aller au-delà des limites de la planète.Comm<strong>en</strong>t vivre avec cette contrainte ? Le Ministryof trying to do something about it invite les volontairesà échanger leurs conseils pour former une"avant-garde de rationnés". Il s’agit donc <strong>en</strong>coreune fois d’organiser une sorte d’expéri<strong>en</strong>ce-piloteradicale. On <strong>en</strong> att<strong>en</strong>d les résultats avec impati<strong>en</strong>ce…Pédagogie du rationnem<strong>en</strong>tMais ces expéri<strong>en</strong>ces de rationnem<strong>en</strong>t volontairesont-elle vraim<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tes d’autres expérim<strong>en</strong>tationsde modes de vie écologiques ? Il y a <strong>en</strong>France des milliers d’objecteurs de croissance ouautres écologistes qui t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de vivre <strong>en</strong> cohér<strong>en</strong>ceavec leurs convictions, sans pour autantcompter leurs émissions et <strong>en</strong>trer dans une logiquede rations m<strong>en</strong>suelles. Ceux-là gagnerai<strong>en</strong>t-ilsquelque chose à tester le rationnem<strong>en</strong>t ?A <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre les témoignages des volontaires durationnem<strong>en</strong>t, on peut p<strong>en</strong>ser que oui. Pour unemajorité de Craggers, et même pour ceux d’<strong>en</strong>treeux qui militai<strong>en</strong>t déjà depuis longtemps, l’expéri<strong>en</strong>ceest un véritable "choc pédagogique". Car, <strong>en</strong>se donnant la peine de compter leurs émissionsposte par poste, beaucoup se sont r<strong>en</strong>dus compteque, malgré tous les efforts déjà cons<strong>en</strong>tis, ilsétai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core loin du compte : certains bilansétai<strong>en</strong>t plombés par un logem<strong>en</strong>t mal isolé,d’autres par la consommation de viande, d’autrespar un seul trajet <strong>en</strong> avion…Heureusem<strong>en</strong>t, l’expéri<strong>en</strong>ce du rationnem<strong>en</strong>tpermet aussi de dépasser ce choc <strong>en</strong> essayant demieux répartir sa ration m<strong>en</strong>suelle, quitte à r<strong>en</strong>oncerà certains luxes : adieu l’avion, bonjour levélo… Mais les volontaires du rationnem<strong>en</strong>t seheurt<strong>en</strong>t alors à un autre obstacle, qui est le seuilde tolérance de leur <strong>en</strong>tourage. Beaucoup deCraggers constat<strong>en</strong>t amèrem<strong>en</strong>t que non seulem<strong>en</strong>tla société ne les aide pas à réduire leurs émissions,mais qu’<strong>en</strong> plus elle semble sans cesse leurmettre des bâtons dans les roues ! En effet, pour nepas dépasser la ration m<strong>en</strong>suelle qui correspond àun mode de vie sout<strong>en</strong>able, il semble inévitable depr<strong>en</strong>dre une série de décisions qui sont étiquetées"radicales" : dev<strong>en</strong>ir végétari<strong>en</strong>, r<strong>en</strong>oncer au congélateuret au frigo, rev<strong>en</strong>dre la voiture… ce qui n’estpas toujours du goût des proches et de la famille.Dans les témoignages des Craggers qui t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t dejouer le jeu jusqu’au bout, le récit des discussionssans fin et des t<strong>en</strong>sions quotidi<strong>en</strong>nes avec l’<strong>en</strong>tourageest un leitmotiv. Certains finiss<strong>en</strong>t par lâcherprise et revoi<strong>en</strong>t leurs objectifs à la baisse, parfatigue d’avoir toujours à se justifier. D’autres ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tbon, mais on a vu des couples se séparer aumotif que l’un des conjoints s’<strong>en</strong>têtait dans sonexpéri<strong>en</strong>ce de rationnem<strong>en</strong>t volontaire…Qu’<strong>en</strong> conclure ? La gestion d’une ration m<strong>en</strong>suellesout<strong>en</strong>able est un vrai casse-tête, même pourdes écologistes <strong>en</strong>durcis… Mais cette expéri<strong>en</strong>cevaut la peine d’être t<strong>en</strong>tée, ne serait-ce qu’un mois,au moins pour sa valeur pédagogique. Et si beaucoupde volontaires du rationnem<strong>en</strong>t admett<strong>en</strong>tque cette expéri<strong>en</strong>ce est diff<strong>ici</strong>le dans une sociéténon rationnée, ils y voi<strong>en</strong>t aussi un argum<strong>en</strong>t deplus pour réclamer un système de rationnem<strong>en</strong>t,national et obligatoire, comme la carte carbone.L. S. & M. S. ■D.R.5. En 2008, la moy<strong>en</strong>ne britanniqueétait de 5,4 tonnes de carbone paran. Celle des Craggers était de3,36 tonnes <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne après unan de rationnem<strong>en</strong>t volontaire. L<strong>en</strong>iveau sout<strong>en</strong>able est estimé à 0,5tonne par an (source : www.carbonrationing.org.uk).6. "A Rational Approach to Carbon",The Ecologist, novembre 20087. Le "Ministère qui essaie de fairequelque chose", voir http://theministryoftryingtodosomethingaboutit.orget http://www.youtube.com/watch?v=DITL-0mSAcE.à Pour augm<strong>en</strong>ter leur résili<strong>en</strong>ce, les militants des CRAGs plant<strong>en</strong>t des arbres qui fourniront le bois de demain.D.R.S!l<strong>en</strong>ce n°379 mai 20101 1