L’armée fait l’obj<strong>et</strong> d’une section spéciale (« section IV »). C<strong>et</strong>te insistance <strong>sur</strong> le statutdes forces de sécurité se comprend aisément, si l’on se souvient que celles-ci ont été l’instrumentde « coups de force », le moyen par lequel, précisément, des changements anti constitutionnelsont été opérés dans <strong>la</strong> quasi- totalité des Etats africains en général. Le Protocole insiste donc <strong>sur</strong><strong>la</strong> neutralité politique de l’armée, ainsi que <strong>sur</strong> son caractère « républicain ». Il énonce <strong>la</strong>vocation des forces militaires des Etats, le rôle <strong>et</strong> les fonctions qui doivent être les siens : <strong>la</strong>défense de l’indépendance, <strong>la</strong> participation à des tâches de développement national <strong>et</strong>,éventuellement, à des missions de maintien de <strong>la</strong> paix confiées à l’organe militaire de <strong>la</strong>CEDEAO, l’ECOMOG, dont le Protocole re<strong>la</strong>tif au mécanisme de prévention, de gestion <strong>et</strong> derèglement des conflits avait institutionnalisé l’existence. Le Protocole <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>bonne</strong> gouvernanceva jusqu’à donner des indications <strong>sur</strong> ce que doit être <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite à tenir, pour des militaireschargés de « <strong>sur</strong>veiller » des « manifestations » : interdiction de l’usage d’armes pour disperserdes manifestations pacifiques, nécessité <strong>et</strong> proportionnalité de <strong>la</strong> violence que les forces del’ordre pourraient éventuellement être amenées à utiliser…L’ambition <strong>du</strong> Protocole <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>bonne</strong> gouvernance est également remarquable par le faitqu’il se limite pas à formuler des principes simplement « politiques », touchant des principesfondateurs de l’Etat. Il ne se contente pas non plus de mentionner des libertés de l’hommeabstraitement considéré. Il va plus loin, il cherche à saisir celui-ci dans sa réalité d’être social <strong>et</strong>de suj<strong>et</strong> besogneux, c’est-à-dire d’indivi<strong>du</strong> inséré dans une collectivité <strong>et</strong> pourvu d’aspirations <strong>et</strong>de besoins. On pourrait, en reprenant des catégories développées par le constitutionnalistefrançais G. Burdeau, dire qu’il ne s’attache pas seulement au « citoyen », mais s’intéresseégalement à l’ « homme situé », ou encore, qu’il n’est pas seulement pénétré de « démocratiepolitique », mais également de « démocratie sociale ». En eff<strong>et</strong>, il cite, au titre des devoirs desEtats, « <strong>la</strong> lutte contre <strong>la</strong> pauvr<strong>et</strong>é » <strong>et</strong> « <strong>la</strong> promotion <strong>du</strong> dialoguesocial ». Au titre <strong>du</strong> premier objectif, les Etats doivent faire tout leur possible pour satisfaireles besoins <strong>et</strong> services essentiels des popu<strong>la</strong>tions. Ce<strong>la</strong> passe par <strong>la</strong> création d’un environnementfavorable à l’investissement privé, <strong>et</strong> par <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce de mécanismes de solidarité nationale<strong>et</strong> de répartition équitable des revenus. Quant à <strong>la</strong> promotion <strong>du</strong> dialogue social, il supposel’existence d’un cadre légal favorable aux syndicats ainsi que des mécanismes institutionnalisésd’échanges entre « partenaires sociaux », avec éventuellement <strong>la</strong> participation de l’Etat.Le Protocole évoque aussi, à côté des droits de <strong>la</strong> personne en général, les droits decatégories particulières de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, comme les femmes <strong>et</strong> les enfants. Pour les premières,l’accent est mis <strong>sur</strong> <strong>la</strong> nécessité d’éliminer toute forme de discrimination à leur égard, <strong>et</strong> pour lesseconds, le texte insiste plus particulièrement <strong>sur</strong> le droit à l’é<strong>du</strong>cation, <strong>la</strong> prohibition de toutasservissement, par le biais <strong>du</strong> travail ou de tout « trafic ».L’existence, dans un instrument international comme le Protocole, de mécanismes desanction des obligations des Etats constitue un autre fait assez <strong>sur</strong>prenant. Tel est l’obj<strong>et</strong> <strong>du</strong>« chapitre II ». Le fait confirme ce qui a été dit, au suj<strong>et</strong> <strong>du</strong> caractère quelque peu « téméraire »<strong>du</strong> Protocole. Il n’est en eff<strong>et</strong> pas courant que des textes de c<strong>et</strong>te nature soient assortis desanctions. Or, il s’agit ici, manifestement de « marquer le coup », d’indiquer c<strong>la</strong>irement que l’onentend sortir des « proc<strong>la</strong>mations de principe » pour adopter de véritables engagementsjuridiques, que l’on entend substituer au « droit mou » un droit impératif.4
La « révolution » est d’autant plus profonde que l’événement susceptible de déclencherlesdites sanctions est défini en termes plutôt « généraux », ce qui ne <strong>la</strong>isse pas de <strong>sur</strong>prendre euégard aux graves conséquences qui s’attachent à <strong>la</strong> transgression des dispositions <strong>du</strong> Protocole.Ce fait-condition, c<strong>et</strong>te cause de sanction, c’est en eff<strong>et</strong> <strong>la</strong> « rupture de <strong>la</strong> Démocratiepar quelque procédé que ce soit » ou « <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion massive desdroits de <strong>la</strong> personne dans un Etat membre ». Ces événements ne sont pasdéfinis avec toute <strong>la</strong> rigueur souhaitable, <strong>et</strong> l’on peut craindre qu’ils ne soient interprétés demanière extensive, pour justifier une sanction infligée à un Etat. Il est vrai que l’on peutcomprendre le <strong>la</strong>conisme des rédacteurs <strong>du</strong> Protocole, qui, ce faisant, souhaitaient sans douteménager une part de liberté à <strong>la</strong> Conférence des chefs d’Etat <strong>et</strong> de gouvernement, organe habilitéà prendre les sanctions en question.Dans un ordre de leur gravité, ces sanctions sont les suivantes :- le refus de soutenir les candidatures présentées par l’Etat qui a méconnu ses engagementsà des postes électifs dans les organisations internationales- le refus de tenir une réunion de <strong>la</strong> CEDEAO <strong>sur</strong> le territoire de l’Etat en cause- <strong>la</strong> suspension de c<strong>et</strong> Etat dans toutes les instances de <strong>la</strong> CEDEAO.Il est toutefois précisé que pendant <strong>la</strong> période de suspension, « <strong>la</strong> CEDEAOcontinuera de suivre, d’encourager <strong>et</strong> de soutenir tout effortmené par l’Etat membre suspen<strong>du</strong> aux fins de r<strong>et</strong>our à <strong>la</strong> vieinstitutionnelle démocratique normale ».L’insertion d’une disposition de c<strong>et</strong>te nature est révé<strong>la</strong>trice. Elle atteste que les rédacteurs<strong>du</strong> Protocole <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>bonne</strong> gouvernance, tout soucieux qu’ils ont été de concrétiser des valeursdémocratiques, n’en sont pas moins restés « réalistes », <strong>et</strong> n’ont pas per<strong>du</strong> de vue les difficultés,indépendantes de sa volonté, qu’ un Etat peut rencontrer dans l’exécution de ses engagementsinternationaux. Comme tout instrument juridique, le Protocole pourrait donc, à l’épreuve desfaits, se révéler, au moins provisoirement, totalement ou partiellement inapplicable. Il faut donc,au-delà de l’hypothèse que voilà, se pencher <strong>sur</strong> ses difficultés d’application en général.3 – Les difficultés d’application <strong>du</strong> ProtocoleLa première difficulté d’application <strong>du</strong> Protocole <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>bonne</strong> gouvernance tient à sanature juridique. En eff<strong>et</strong>, il constitue bien un traité international, même si sa structure <strong>et</strong> soncontenu ne se rencontrent pas habituellement. Ce<strong>la</strong> signifie que son destin, c’est-à-dire les suitesqui lui seront réservées, dépendent de ces Etats, libres de les ratifier ou non. A c<strong>et</strong> égard, cesderniers ne sont évidemment soumis à aucune contrainte. S’ils refusent ou rechignent à exprimerleur consentement à être liés par c<strong>et</strong> instrument, nul ne pourra leur en faire grief, <strong>du</strong> moins <strong>du</strong>strict point de vue des principes juridiques.La nature conventionnelle – c’est-à-dire le caractère de traité international – <strong>du</strong> Protocolecomporte ainsi une autre conséquence : c’est l’incertitude susceptible de peser <strong>sur</strong> l’égalité de sesconditions d’application. En d’autres termes, son application pourrait faire apparaître desdistorsions, ou des déphasages, selon les Etats, selon les circonstances. Le risque que les Etats« rusent » avec leurs obligations est d’autant plus grand que le Protocole s’est « ingéré » dans unsecteur sensible de <strong>la</strong> souverain<strong>et</strong>é de ces Etats, qui est celui de leur organisationconstitutionnelle, politique, administrative. On pourrait, en caricaturant un peu les choses,5