Les murs, médias alternatifsá À Paris6 S!l<strong>en</strong>ce n°376 février 2010peinture, un phénomène à la fois social, politiqueet esthétique. Un processus relativem<strong>en</strong>t procheapparaît dans les années 1980 <strong>en</strong> Amérique latine,à la sortie des dictatures militaires, avec les graffitisdits "ing<strong>en</strong>iosos", ingénieux, ou "de ley<strong>en</strong>da".Poétiques et humoristiques, ils sont aussi des critiquescinglantes du contexte social et politique.Au même titre que le rock’n’roll, le punk etd’autres formes de la contre-culture post-dictatoriale,ils sont subversifs au-delà de leur cont<strong>en</strong>u,brisant par leur abondance les codes de "bonne utilisation"de la ville et sont témoins de la réappropriationde la parole après les années de sil<strong>en</strong>ceimposé par les militaires.Un art clandestinLe graff, ou graffiti hip hop, représ<strong>en</strong>te un autregrand mouvem<strong>en</strong>t de graffitis, et pr<strong>en</strong>d originedans une banlieue de New York à la fin des années1960. Au croisem<strong>en</strong>t du texte et de l’image, lesgraffs sont le plus souv<strong>en</strong>t des signatures au lettragestylisé et haut <strong>en</strong> couleurs, parfois accompagnésde paysages et de personnages. Son corollaireest le tag, la signature de l’auteur, tracée au feutreou à la bombe sur la fresque ou répétée le plus largem<strong>en</strong>tpossible dans la ville. Ce type d’inscriptiona longtemps été associé à la culture hip hop et à larev<strong>en</strong>dication d’une id<strong>en</strong>tité de ghetto, maisaujourd’hui elle dépasse largem<strong>en</strong>t ces cadres. Legraff s’est diffusé dans le monde <strong>en</strong>tier, les "pièces"ont pénétré depuis bi<strong>en</strong> longtemps les galeriesd’arts tout <strong>en</strong> persistant dans la rue comme pratiqueclandestine. Le tag, souv<strong>en</strong>t associé à un actede vandalisme, rompt avec l’ordre urbain, graphiqueet esthétique, et provoque le rejet. Selon lesvilles, on voit apparaître la mise <strong>en</strong> place de dispositifsde nettoyage extrêmem<strong>en</strong>t coûteux.Depuis, beaucoup d’autres formes ont apparu ouse sont développées, de façon globale (grâce à internetnotamm<strong>en</strong>t, qui permet la diffusion libre de photographieset des échanges d’expéri<strong>en</strong>ces). Lespochoirs, collages, stickers, sont autant de manièresChristophe Lhommede marquer l’espace public, que ce soit à des fins politiques,artistiques ou, plus simplem<strong>en</strong>t, expressives.A côté des inscriptions légales (signalétique etpubl<strong>ici</strong>té principalem<strong>en</strong>t), les inscriptions muralessont donc de divers ordres : des plus créatives etrecherchées — qui port<strong>en</strong>t un message universel,aux plus simples et triviales expositions de soi ;avec ou sans finalité artistique. Parler des murscomme médias c’est alors pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte desformes d’expressions "sauvages", c’est-à-dire illégales,mais aussi bi<strong>en</strong> d’autres, acceptées de fait oulégitimées par leur aspect esthétique et qui mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tun autre rapport à la loi et aux institutions.Selon les pays, l’utilisation des murs estassociée aux jeunes et aux marginaux d’une part, etde l’autre aux secteurs politiques les plus radicauxet donc subversifs (de droite comme de gauche).Les inscriptions murales donn<strong>en</strong>t alors lieu à desréactions différ<strong>en</strong>tes : interdiction, répression eteffacem<strong>en</strong>t ou, quand les perceptions chang<strong>en</strong>t,acceptation, institutionnalisation, <strong>en</strong>trée dans laculture, l’économie de l’art ou du tourisme. Le plussouv<strong>en</strong>t, les limites sont floues et les relations <strong>en</strong>trele pouvoir et les auteurs, pour le moins ambiguës.La plus ou moins grande tolérance aux inscriptionsmurales nous ramène à Petrucci, qui formule unequestion c<strong>en</strong>trale : celle du "Dominus" qui régitl’espace graphique ou, <strong>en</strong> d’autres termes, la lutteperman<strong>en</strong>te pour le droit et la légitimité de l’utilisationde l’espace public pour s’adresser à sesconcitoy<strong>en</strong>s. Les murs, aux quatre coins du monde,ont toujours quelque chose à dire, <strong>en</strong> plus, contreou à côté de ce que le pouvoir affiche.Les murs, aux quatre coins du monde,ont toujours quelque chose à dire.Un média alternatif ?L’apparition successive des médias alternatifs,d’une manière plus générale, suit de près celle desautres médias. En effet, la presse alternative, lesradios libres, télévisions associatives, pages webindép<strong>en</strong>dantes, etc., exist<strong>en</strong>t pour dire ce que lesmédias de masse, commerciaux, ne dis<strong>en</strong>t pas(parce que cela va à l’<strong>en</strong>contre de leurs intérêts ouplus simplem<strong>en</strong>t parce que ça ne fait pas v<strong>en</strong>dre).Lorsque le peuple s’approprie une technique, ill’utilise pour passer son message, notamm<strong>en</strong>tquand celui-ci ne correspond pas à la p<strong>en</strong>sée dominante.Avec pour volonté première de communiquer,les médias alternatifs vont à contre-courantdes systèmes médiatiques publics et privés, ils critiqu<strong>en</strong>tun état de faits tout <strong>en</strong> étant un moy<strong>en</strong>d’action politique : celle d’informer, d’intéresser,d’être l'exemple d’autres manières de faire et depercevoir le monde, une parole capable de sortirdes cadres d’une p<strong>en</strong>sée imposée comme la seulepossible. Les médias alternatifs sont désintéressés :ils transmett<strong>en</strong>t une information sans but lucratifet sont <strong>en</strong> cela une réaction à la commercialisationà outrance et à la marchandisation des idées. Ils
Les murs, médias alternatifsÖ À MarseilleMichel B.permett<strong>en</strong>t la visibilité de points de vue minoritaires,niés par les médias de masse.Par ailleurs, certains médias sont plus diff<strong>ici</strong>lem<strong>en</strong>tappropriables et peuv<strong>en</strong>t faire l’objet demonopoles (radio, TV, presse à grand tirage), laissantpeu d'espaces pour les expéri<strong>en</strong>ces alternatives.Le graffiti, la pintada ou d'autres interv<strong>en</strong>tionsurbaines sont par contre beaucoup plusdiff<strong>ici</strong>les à contrôler, au même titre que les fanzines,les tracts ou la parole directe. Ils sont peuonéreux, ne demand<strong>en</strong>t pas de grand savoir-fairetechnique ni beaucoup de matériel ; <strong>en</strong>fin, l’anonymatet la rapidité protège leurs auteurs. On compr<strong>en</strong>dque c’est un excell<strong>en</strong>t moy<strong>en</strong> d’échapper à lac<strong>en</strong>sure ou de la défier ouvertem<strong>en</strong>t.Ainsi, les murs sont parfois le support de discoursalternatifs et le réceptacle de pratiques alternativesde réappropriation de l’espace public. Ondit souv<strong>en</strong>t que les graffitis ou les fresques sont "leslettres des exclus", un dernier recours quand onn’a pas de place ailleurs. On peut égalem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>serque peindre ou écrire sur les murs est un choixdélibéré d’interv<strong>en</strong>ir dans la ville, de s’adresser aupassant, d’avoir un impact particulier <strong>en</strong> occupantactivem<strong>en</strong>t un espace commun.Ecrire ou peindre sur les murs peut être, selonle contexte, un jeu, une voie "pratique" d’expressionindividuelle ou collective, une action politiqueparfois risquée.Les murs, objets de rechercheCe dossier prés<strong>en</strong>te des recherches m<strong>en</strong>éesdans des pays et des contextes différ<strong>en</strong>ts, mais tousparl<strong>en</strong>t de murs qui reflèt<strong>en</strong>t des positions politiqueset transmett<strong>en</strong>t des messages différ<strong>en</strong>ts deceux des médias dominants. Nous observons desexpressions murales qui, avec divers niveaux d’institutionnalisationet de légitimité, sont toutes spontanées,dans le s<strong>en</strong>s où elles ne sont ni descommandes de l’Etat, ni d’<strong>en</strong>treprises privées, et nesont donc pas financés par eux. Les murs sontalors la voie par laquelle le peuple s’adresse aupeuple, des façons de pr<strong>en</strong>dre place face à et dansla société. Nos travaux port<strong>en</strong>t un regard sur desmurs dont le discours ou la prés<strong>en</strong>ce sont politiques,qui utilis<strong>en</strong>t un langage s<strong>en</strong>sible, symbolique,mobilis<strong>en</strong>t la mémoire et part<strong>ici</strong>p<strong>en</strong>t activem<strong>en</strong>tà la construction des imaginaires locaux, à lare-signification des paysages.Selon nos points de vue, nous observons lecont<strong>en</strong>u de ces inscriptions, les interrogeons parfois<strong>en</strong> tant que pratique (d’écriture ou de lecture)mais c’est avant tout leur rôle dans la société, lesmurs dans leur contexte, qui nous intéress<strong>en</strong>t. Eneffet, les "explosions" et le surgissem<strong>en</strong>t de nouvellesformes d’inscriptions murales reflèt<strong>en</strong>t etaccompagn<strong>en</strong>t toujours des mouvem<strong>en</strong>ts politiques,sociaux ou culturels. Elles sont ainsi aucœur d’<strong>en</strong>jeux de pouvoir, multiples, que nousvous prés<strong>en</strong>tons <strong>ici</strong>.Ainsi, les fresques d’Irlande du Nord et du Paysbasque part<strong>ici</strong>p<strong>en</strong>t, de manière active, aux conflitsqui agit<strong>en</strong>t ces terres, rejouant la guerre sur lesmurs à coup de symboles et de propagande nationaliste,<strong>en</strong> s’inscrivant physiquem<strong>en</strong>t sur des territoires<strong>en</strong> dispute pour se les approprier. Comme <strong>en</strong>Sardaigne, les fresques murales construis<strong>en</strong>t desimaginaires de lutte, devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les monum<strong>en</strong>tsdu peuple, des lieux de mémoires informels <strong>en</strong>voie de patrimonialisation. En effet, les mursd'Orgosolo correspond<strong>en</strong>t à une lutte esthétique,un art militant : un phénomène né des écrits del’urg<strong>en</strong>ce et de l’affichage de la parole contestataire,<strong>en</strong>suite dev<strong>en</strong>us tradition. L’exemple uruguay<strong>en</strong>montre comm<strong>en</strong>t un même sujet de la vie politiqueéveille toute une série de formes d’inscriptionsmurales, la mise <strong>en</strong> scène de différ<strong>en</strong>ts discoursminoritaires, niés par les médias de masse. AMontevideo, les murs étant des zones d’expressionlibre, ils sont propices aux dialogues et à l’émerg<strong>en</strong>ced’une parole créative. Un article à paraîtreultérieurem<strong>en</strong>t revi<strong>en</strong>dra vers Lyon, dans les ruesde la Croix-Rousse, explorant la concurr<strong>en</strong>ce graphiquequi s’y joue <strong>en</strong>tre différ<strong>en</strong>ts acteurs des écrituresurbaines (afficheurs, graffeurs, mun<strong>ici</strong>palité),à travers des points de vue de militants sur la figurede l'affichage libre comme patrimoine culturel mis<strong>en</strong> exergue, <strong>en</strong> tant que réponse aux attaques jud<strong>ici</strong>airesde la mun<strong>ici</strong>palité.Mimmo PuccarelliAriela Epstein ■La lutte des signes40 ans d'autocollants politiquesZvonimir NovakLes éditions libertaires2009 - 204 p. - 30 €Les autocollants permett<strong>en</strong>td'exprimer, souv<strong>en</strong>t de manièreartistique, <strong>en</strong> petit, des slogansde lutte. Eux aussi sont prés<strong>en</strong>tssur les murs. Ce livre <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>teune multitude dans desdomaines variés : anarchistes,trotskistes, maoïstes, alternatifs,écologistes, collectifs de lutte,communistes, socialistes… Lelivre, fort bi<strong>en</strong> illustré, est agrém<strong>en</strong>téd'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s avec des graphistes.Passionnant. FV.à À Lyon
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