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Lire le Fenêtres sur cours n°375 (Spécial Université d ... - SNUipp

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12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>HEBDOMADAIREN°37512 NOVEMBRE 2012ISSN1241-0497VENTPORTANTPOURL’ÉCOLEVIVIANE BOUYSSELES PRATIQUES PÉDAGOGIQUESEN MATERNELLEPIERRE LÉNAENSEIGNER C’EST ESPÉRERALAIN SERRES15 ANS DE RUE DU MONDEMARIE-ROSE MOROENFANTS D’IMMIGRÉS :UNE CHANCE POUR L’ÉCOLE


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>f ][ enêTresHebdomadaire du syndicat nationalunitaire des instituteurs, professeursdes éco<strong>le</strong>s et PEGC128 bou<strong>le</strong>vard Blanqui 75013 ParisTél. : 01 40 79 50 00E-mail : fsc@snuipp.frLa Tramontane a soufflé très fort ce samedi 27octobre, deuxième journée de la 12 e édition del’Université d’Automne du <strong>SNUipp</strong> à Port Leucate(Aude). Mais ce n’était pas forcément <strong>le</strong> vent quifaisait chavirer <strong>le</strong>s têtes, c’était plutôt l’amour dutravail bien fait, ou en tout cas la volonté d’apprendre d'enseignertoujours mieux, d’être toujours plus professionnel. Etquel<strong>le</strong> aubaine ! L’UDA comme on dit maintenant est une deces trop rares passerel<strong>le</strong>s entre chercheurs spécialistes del’éducation et enseignants qui œuvrent au jour <strong>le</strong> jour dans<strong>le</strong>ur classe. Une quarantaine de scientifiques et experts venusprésenter <strong>le</strong>s résultats de <strong>le</strong>urs derniers travaux, échanger avec<strong>le</strong>s enseignants, autour des apprentissages, de la scolarisationdes enfants en situation de handicap, de la <strong>le</strong>cture, du langage,de l’histoire, de la littérature de jeunesse avec <strong>le</strong>s 15 ans deRue du monde en feu d’artifice… Pas de doute, à l’heure de lapréparation d’une loi d’orientation et de programmation pourl’éco<strong>le</strong>, c’est ici, à Port Leucate qu’on a senti battre <strong>le</strong> cœur dela refondation. Quiconque veut reformer l’éco<strong>le</strong> doit admettrequ’il faut encourager et développer l’ expertise professionnel<strong>le</strong>des enseignants. À ce titre, la recherche constitue un appuimajeur pour enrichir des savoirs professionnels toujours plusefficaces pour contrer l’échec scolaire. C’est bien de ce ventnouveau dont l’éco<strong>le</strong> a besoin de manière urgente. Il est tempsde redonner confiance aux enseignants et de <strong>le</strong>ur donner <strong>le</strong>smoyens de faire avancer l’éco<strong>le</strong> vers plus de réussite et d’égalité.Une éco<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> vent, en somme !Directeur de la publication : Sébastien SihrRédaction : Fabienne Berthet, A<strong>le</strong>xisBisserkine, Ginette Bret, Lydie Buguet, ClaudeGautheron, Daniel Labaquère, Pierre Magnetto,Vincent Martinez, Philippe Miquel, JacquesMucchielli, Emmanuel<strong>le</strong> Roncin.Photographies : © Mira/NajaConception graphique : Acte Là !Impression : SIEP Bois-<strong>le</strong>-RoiRégie publicité : Mistral Media365 rue Vaugirard 75015 ParisTél. : 01 40 02 99 00Prix du numéro : 1 euro Abonnement : 23 eurosISSN 1241 0497CPPAP 0415 S 07284Adhérent du syndicat de la presse socia<strong>le</strong>est joint à ce numéro un encart publicitaire ADL partner3


SommaireMÉTIER412 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 20128. L'éco<strong>le</strong> entre bonheur et ras-<strong>le</strong>-bol10. Marianne BabyReprendre la main <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur travail12. Frédéric GrimaudHandicap, une loupe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail enseignant14. Francis JollyImage, mise au point <strong>sur</strong> objectifs16. Monica Macedo RouetLecture, une activité comp<strong>le</strong>xe18. Patrick RayouDevoirs, l'envers du décor20. Anne ArmandLangage de l'éco<strong>le</strong>, favoriser la réussiteDOSSIER LOID’ORIENTATION22. Refondation de l'éco<strong>le</strong>,rendez-vous à ne pas manquer24. Nathalie MonsÉgalité pour un système juste !26. Christian ForestierPriorité à l'éco<strong>le</strong> primaire28. Sébastien SihrEt maintenant, du concret !APPRENTISSAGES30. Recherche, la boîte à outils34. Sylvie CèbeLecture, création d'un prototype36. Daniè<strong>le</strong> CogisOrthographe, on refonde !38. A<strong>le</strong>xandre PloyéHistoire, organiser <strong>le</strong> temps40. Joël<strong>le</strong> GonthierArts visuels, urgence scolaire et socia<strong>le</strong>42. Michel Hagnerel<strong>le</strong>Développement durab<strong>le</strong>,enjeux et mise en œuvre44. Marcel Jal<strong>le</strong>tEPS, plus vite que <strong>le</strong> loup...46. Pierre LénaSciences, apprendreet comprendre un mondecomp<strong>le</strong>xe48. Andréa YoungPlurilinguisme, prendreen compte <strong>le</strong>s langues des enfants50. Emmanuel SanderAnalogie, un mécanismed'apprentissage à repérer...


SommaireRUE DU MONDEENFANT ET SOCIÉTÉ12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201253. Quinze ans de Rue du monde !55. Alain SerresPar<strong>le</strong>r aux enfants du monde tel qu'il est61. Max But<strong>le</strong>nDu mieux pour la littératureMATERNELLE62. Maternel<strong>le</strong> ? Évidemment !64. Viviane BouysseMaternel<strong>le</strong> : passer auxpratiques pédagogiques66. Roger LecuyerInné-acquis, <strong>le</strong>s extraordinairescapacités des bébés68. Françoise CarraudJeunes enfants, prendre soin70. Michel FayolMaths, acquisition du nombreGRAND INTERVIEW72. Construire l'éco<strong>le</strong> de la diversité74. Judith FouillardLa crise a des répercussions <strong>sur</strong> la viedes élèves76. Jean-Yves BarreyreProtection de l'enfance, ces enfants« incasab<strong>le</strong>s »78. Édouard DurandVio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>s, sortir du huis clos80. Cendrine MarroÉgalité, fil<strong>le</strong>s-garçons, <strong>le</strong> genre en question82. Michel TibergeSommeil, du biologique au social84. Michel Miail<strong>le</strong>Laïcité, à l'épreuve du concret86. Éric FaveyL'éco<strong>le</strong> de 2012 doit être repenséeet réformée88. Catherine BerthillierShamengo, inventer <strong>le</strong> monde de demain90. Francis VergneL'économie aux portes de l'éco<strong>le</strong> ?94. Bernard LahireL'expérience scolairene se dévalue pas92. Marie-Rose MoroEnfants de l'immigration,une chance pour l'éco<strong>le</strong>6


MÉTIERDOSSIERL’éco<strong>le</strong>,entre bonheur et ras-<strong>le</strong>-bol812 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 2012Les enseignants bénéficient d’un regard positif de la population. Mais,malgré un climat scolaire jugé positif par une large majorité d’entreeux, la profession semb<strong>le</strong> vivre un véritab<strong>le</strong> malaise social attesté parplusieurs rapports et enquêtes. Décryptage d’un métier entre bonheuret ras-<strong>le</strong>-bol qui attend de vrais changements. Maintenant.entre bonheur et ras<strong>le</strong>-bol», l’intitulé de l’enquêtede victimation d’EricDebarbieux et«L’éco<strong>le</strong>Georges Fotinos(lire ci-contre) dit bienl’ambiva<strong>le</strong>nce d’une professionqui garde <strong>le</strong> métier àcœur mais qui peine à l’as<strong>sur</strong>erau quotidien. Dans cetteenquête, 9 enseignants <strong>sur</strong> 10 juge <strong>le</strong> climatscolaire « bon » ce qui rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>srésultats de l’enquête du <strong>SNUipp</strong> de juin2011 dans laquel<strong>le</strong>71% des enseignants« Le climat scolaire estjugé bon par 91,6 % desenseignants »q u i r é p o n d a i e n tdéclaraient trouver<strong>le</strong>ur métier « épanouissant». Un attachementqui ne peutcependant cacher <strong>le</strong>s difficultés d’unmétier qui sont bien réel<strong>le</strong>s.Un sentiment de déconsidérationUn rapport de l’inspection généra<strong>le</strong> rendupublic en juil<strong>le</strong>t 2012, qui dissèque « <strong>le</strong>scomposantes de l’activité professionnel<strong>le</strong>des enseignants outre l’enseignementdans <strong>le</strong>s classes », met en lumière <strong>le</strong>« malaise » de la profession. Le rapportsouligne d’abord un paradoxe. Malgré uneperception positive des enseignants dansl’opinion publique, ceux-ci se sententdéconsidérés. Ils ont <strong>le</strong> sentiment qu’on nepar<strong>le</strong> d’eux qu’en termes négatifsexpliquent <strong>le</strong>s rapporteurs. Une perceptiondominée par « l’impression de ne pas êtreécouté, d’être dirigé de manière bureau-


cratique, non respectueuse » et qui mèneà une « critique viru<strong>le</strong>nte du système hiérarchique» concluent-ils. Pour preuve,dans <strong>le</strong>s entretiens que mènent <strong>le</strong>s IENauprès des enseignants au bout de deuxans de fonction, un tiers d’entre eux sedisent découragés et certains n’envisagentpas de continuer jusqu’à l’âge dela retraite…Le rapport de l’IGEN vient par ail<strong>le</strong>ursconfirmer l’enquête « La vérité des prix »menée par <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong> en octobre 2012. Letemps de travail des enseignants dépasselargement <strong>le</strong>s 40 heures hebdomadaireset déborde <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s vacances scolaires. La« polyva<strong>le</strong>nce fonctionnel<strong>le</strong> de la fonctiond’enseignant du premier degré » est l’unedes composantes du métier qui alourditson temps de travail par des activités horsenseignement que <strong>le</strong>s rapporteursévaluent à 16h hebdomadaires.Car au tempspassé chaque semaine à lapréparation (environ 9h) etaux corrections (environ5h30) s’ajoutent <strong>le</strong>s rencontresavec <strong>le</strong>s parents,l’institution, d’autres professionnels(RASED, ATSEM,intervenants extérieurs, EVS-AVS…), la<strong>sur</strong>veillance des élèves, l’administrationde l’éco<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s concertations informel<strong>le</strong>s, lapréparation du travail en équipe… D’où<strong>le</strong>ur fort mécontentement à l’égard del’inspection, de la paperasse jugée inuti<strong>le</strong>,des évaluations nationa<strong>le</strong>s, de la mise enplace de l’aide personnalisée, des programmestrop lourds et sans arrêts remisen cause ou encore des rythmes scolairescomme <strong>le</strong> montre l'enquête d'Éric Debarbieux.Ces éléments exacerbent <strong>le</strong> hiatusentre <strong>le</strong>ur volonté de faire réussir <strong>le</strong>sélèves et <strong>le</strong> sentiment d’être empêché defaire <strong>le</strong>ur travail.Parlons « boulot »«Malgré une perceptionpositive desenseignants dansl’opinion publique,ceux-ci se sententdéconsidérés »Ce mécontentement se conjugue avec desrevendications fortesen terme de moyens, deformations, etc. Maisces questions liées àl'exercice du métier etaux conditions de travailappel<strong>le</strong>nt aussi uneréf<strong>le</strong>xion en profondeur.Le <strong>SNUipp</strong> a engagé unchantier autour de ces« Le temps de travaildes enseignantsdépasse largement <strong>le</strong>s40 heureshebdomadaires »problématiques avec une équipe de chercheursdu CNAM sous la hou<strong>le</strong>tte de YvesClot. Au travers de col<strong>le</strong>ctifs de travail, decontroverses de métier, il s'agit de mettreà jour ce qui pèse <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s pratiques desenseignants du primaire, ce qui empêchede faire un travail de qualité, ce qui faitdésaccord « entre nous »... De même, unséminaire <strong>sur</strong> « plus de maîtres que declasses », organisé cet automne par <strong>le</strong> syndicat,a pour objectif de démê<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s questionsde métier sous-jacentes à la présenced'un maître supplémentaire dans <strong>le</strong>sclasses. Une démarche au long <strong>cours</strong> pourqu'en parlant « boulot » <strong>le</strong>s enseignantsreprennent la main <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur métier etprennent conscience de <strong>le</strong>ur expertise col<strong>le</strong>ctive.vincent martinez12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>qUn bon climat scolaire entaché de victimations disperséesLe rapport Debarbieux-Fotinos a établi un indice de climat scolaire.Jugé globa<strong>le</strong>ment positif par 91,6 % des enseignants, ce climat révè<strong>le</strong>que « l’éco<strong>le</strong> élémentaire est une éco<strong>le</strong> de proximité, où […]l’enseignant est une référence forte » expliquent <strong>le</strong>s rapporteurs. Laplus grande liberté des enseignants de construire un climat de classeet <strong>le</strong>ur approche de l’enfant dans sa globalité viendraient favorisercette bonne ambiance. Ainsi, <strong>le</strong>s enseignants se sentent trèslargement en sécurité personnel<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>ur éco<strong>le</strong> (94,6 %) etrespectés des élèves (94,7 %).Pourtant, ce climat est entaché par l’enquête de victimation dont sedégage une dispersion des réponses selon <strong>le</strong> lieu d’exercice, lafonction, l’âge ou <strong>le</strong> sexe. « Le risque de victimation est multiplié pardeux dans <strong>le</strong>s zones socia<strong>le</strong>s sensib<strong>le</strong>s » explique Éric Debarbieux. Eten éducation prioritaire ce sont <strong>sur</strong>tout <strong>le</strong>s femmes (18% contre 11%pour <strong>le</strong>s hommes) qui s’estiment non respectées par <strong>le</strong>s parents.Globa<strong>le</strong>ment, ce non-respect est perçu comme diminuant avec l’âge :22 % en début de carrière contre 11 % en fin de carrière. Lesremplaçants considèrent être <strong>le</strong>s moins respectés et <strong>le</strong>s enseignantsspécialisés sont 4 fois plus souvent insultés que <strong>le</strong>urs collègues. Lesdirecteurs restent <strong>le</strong>s plus touchés par la vio<strong>le</strong>nce verba<strong>le</strong>, notammentde la part des parents.Plus <strong>sur</strong>prenant, l’ostracisme entre collègues et <strong>le</strong> harcè<strong>le</strong>ment quitouchent respectivement 14,5 % et 14 % des enseignants interrogés. Cephénomène relève essentiel<strong>le</strong>ment de tensions entre adultes et peude cas de harcè<strong>le</strong>ment sexuel sont recensés (0,3 %). Enfin, 81 % desenseignants critiquent de façon viru<strong>le</strong>nte <strong>le</strong>ur hiérarchie : sentimentd’être un simp<strong>le</strong> exécutant, <strong>sur</strong>charge administrative, injonctions... Unaspect que <strong>le</strong>s rapporteurs qualifient de « vio<strong>le</strong>nce institutionnel<strong>le</strong> ».Le rapport Debarbieux-Fotinos a recueilli <strong>le</strong>s suggestions desenseignants pour améliorer l’éco<strong>le</strong>. La demande d’une autregestion humaine par la hiérarchie (81 %) et de reconnaissancesocia<strong>le</strong> (80 %), en particulier par <strong>le</strong>s parents, dominentlargement. Viennent ensuite la question des moyens et deformation pour as<strong>sur</strong>er correctement <strong>le</strong>urs missions.100 %80 %60 %40 %20 %0 %Une autre gestionhumaine par la hiérarchie81 % 80 % 71 %44,6 %Reconnaissance socia<strong>le</strong>Demande de moyensPouvoir prendre en chargedes élèves en difficulté28 %Formation initia<strong>le</strong> et continue9MÉTIER


MÉTIERDOSSIER« Il est temps que <strong>le</strong>s enseignantsreprennent la main <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail »12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201210Selon une récente enquêtedu sociologue EricDebarbieux, loin dudis<strong>cours</strong> habituel asseznégatif/déprimé <strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong>,plus de 91 % desenseignants ont une bonneopinion du climat scolaire.Comment expliquer cettecontradiction ?M. B. Les enseignants des éco<strong>le</strong>sportent effectivement uneappréciation positive <strong>sur</strong> <strong>le</strong> faitd’enseigner. Cela relève d’unengagement dans <strong>le</strong>ur métierqu’ils ont souvent choisi de façonprécoce <strong>sur</strong> des va<strong>le</strong>urs positivesqui sont cel<strong>le</strong>s d’égalité, d’ouverture,de laïcité, de respect. Etpuis, étant au contact quotidienavec <strong>le</strong>s élèves, <strong>le</strong>ur proposantun travail de qualité, ils pèsentdirectement <strong>sur</strong> ce climat. Ilsdisent faci<strong>le</strong>ment « quand je suisavec mes élèves, ça va », mêmesi <strong>le</strong>s situations ne sont pas identiquespartout, et que certaineséco<strong>le</strong>s concentrent <strong>le</strong>s difficultés.Paradoxa<strong>le</strong>ment, deuxétudes récentes, l’une duCarrefour social 2011, l’autrede l’Inspection généra<strong>le</strong>,montrent qu’il y a de lasouffrance au travail, unsentiment dedévalorisation. Cela n’est-ilpas contradictoire avec <strong>le</strong>ressenti <strong>sur</strong> <strong>le</strong> climatscolaire ?M. B. Ça peut paraître paradoxalmais en effet toutes <strong>le</strong>s étudeset remontées <strong>sur</strong> ce sujet, fontétat de difficultés bien réel<strong>le</strong>s.L’enquête <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail, réaliséel’an dernier par <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong>, partageaitce constat. Aujourd’hui ily a tant de dysfonctionnementsque <strong>le</strong>s enseignants ne s’yretrouvent pas. L’assèchementdu nombre de postes a aggravé<strong>le</strong>s conditions d’enseignement,alourdi <strong>le</strong>s effectifs par classe,réduit <strong>le</strong> nombre d’enseignantsspécialisés... À cela s’ajoutentMarianne babyMarianne Baby est secrétaire généra<strong>le</strong> adjointe du <strong>SNUipp</strong>.des injonctions parfois à contrecourantdes va<strong>le</strong>urs qu’ils portentet de la qualité de <strong>le</strong>ur travail.Des programmes trop lourds,des évaluations qui ne permettentpas d’aider <strong>le</strong>s élèves,des demandes de paperasses quiapparaissent inuti<strong>le</strong>s… On pourraitmultiplier <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s. Lesentiment très fort de ne pas êtresoutenus par l’institution estéga<strong>le</strong>ment assez insupportab<strong>le</strong>.Enfin, si <strong>le</strong>s enseignants sesentent dévalorisés et pas seu<strong>le</strong>ment<strong>sur</strong> <strong>le</strong> plan des salaires quisont parmi <strong>le</strong>s plus bas enEurope, c’est aussi parce que,sans doute, <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de l’éco<strong>le</strong> et <strong>le</strong><strong>le</strong>ur, évoluent dans une sociétéoù <strong>le</strong>s rapports aux enfants,comme ceux aux savoirs, semodifient à grande allure. Celareste peu pensé et fragilise <strong>le</strong>uridentité professionnel<strong>le</strong>. Ils enviennent à considérer que <strong>le</strong>regard que porte la société <strong>sur</strong><strong>le</strong>ur travail se dégrade. Le faitque la démocratisation de l’éco<strong>le</strong>marque un pas et qu’el<strong>le</strong> ne joueplus complétement son rô<strong>le</strong> intégrateurest un élément supplémentaired’insatisfactionprofessionnel<strong>le</strong> : comment sesentir fier de cette situation ?Pour <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong>, quel<strong>le</strong>ssont <strong>le</strong>s clés aujourd’huipour relancer la machine ?M. B. Beaucoup d’enseignants ont<strong>le</strong> sentiment d’avoir été abandonnéspar l’Institution, d’avoirété mis à mal par la hiérarchie ycompris intermédiaire. Or c’estde confiance et de reconnaissancedont ils ont aujourd’huibesoin. Et el<strong>le</strong>s ne seront rétabliesqu’en arrêtant d’infantiliser<strong>le</strong>s enseignants, de <strong>le</strong>ur donnerdes injonctions qui ne tiennentpas compte du travail réel,d’ignorer ce qu’ils disent de <strong>le</strong>urmétier. Pour <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong> il faut que<strong>le</strong>s enseignants reprennent lamain <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail, qu’ils cessentd’être dans des situations de travai<strong>le</strong>mpêché et qu’ils puissent« Il ne suffit pas de direplus de maîtres que declasses, encore faut-ilsavoir comment on vagénéraliser, pour quoifaire, avec quelsmoyens ? »avoir <strong>le</strong>ur mot à dire <strong>sur</strong> lamanière de repenser l’éco<strong>le</strong> pourmieux répondre aux difficultésdes élèves. Il faut mettre l’accent<strong>sur</strong> la formation initia<strong>le</strong> et continue,<strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail en équipe quiest plus que jamais impossib<strong>le</strong>.Ce sont là de formidab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>viersde développement professionnelsans <strong>le</strong>quels la refondationrisque bien de n’être que façade.Alors que <strong>le</strong> gouvernement préparela future loi d’orientation etde programmation et que <strong>le</strong> présidentde la République s’estappuyé <strong>sur</strong> une vieil<strong>le</strong> revendicationdu <strong>SNUipp</strong>, cel<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong>plus de maîtres que de classes,il ne faudrait pas gâcher <strong>le</strong>schances de faire avancer l’éco<strong>le</strong>.Il faut lui permettre de mieuxfonctionner à tous <strong>le</strong>s niveaux,sans oublier <strong>le</strong>s directeurs dontla liste des tâches ne cesse des’allonger, voilà <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> défi.Il ne suffit pas de dire plus demaîtres que de classes, encorefaut-il savoir comment on vagénéraliser, pour quoi faire, avecquels moyens ? Il ne suffit pas deposer la question des rythmes, ilfaut aussi repenser <strong>le</strong> temps detravail global des enseignants entenant compte de ces momentsinvisib<strong>le</strong>s qui représentent selonplusieurs études concordantesplus de 16 heures chaquesemaine en plus des 27 heuresde service devant élèves. Autantde questions <strong>sur</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong><strong>SNUipp</strong> va continuer de travail<strong>le</strong>rpour faire des propositionsconcrètes au ministère.Propos recueillis par Pierre Magnetto


MÉTIERATELIERHANDICAPHandicapUne loupe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travai<strong>le</strong>nseignantFrédéric Grimaud, professeur des éco<strong>le</strong>s spécialisé, a conduit une recherche en ergonomieauprès de professeurs des éco<strong>le</strong>s scolarisant des élèves en situation de handicap dans <strong>le</strong> cadred’un doctorat en sciences de l’éducation. La recherche a permis de poser une loupe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travai<strong>le</strong>nseignant, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s désorganisations et réorganisations de <strong>le</strong>ur activité. El<strong>le</strong> ouvre maintenantdes pistes de discussions <strong>sur</strong> la santé au travail et un chantier prometteur pour <strong>le</strong>s chercheurscomme pour <strong>le</strong>s syndicalistes soucieux de reprendre la main <strong>sur</strong> <strong>le</strong> métier enseignant.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201212q Rester efficace, malgré tout...but de mon métier ?Donner aux élèvesen difficulté bienêtreet apprentis-«Lesages ». C’est ainsique se définit Karine Darriet, enseignanteet directrice d’une petite éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>de deux classes à Malay-<strong>le</strong>-Grand. Lesélèves en situation de handicap, Karine<strong>le</strong>s a accueillis depuis longtemps. Maintenantavec la loi de 2005, el<strong>le</strong> en scolarisechaque année. Sans compétences particulières,hormis trois années passéesdans un RASED en tant que maître E qui,dit-el<strong>le</strong>, peuvent l’avoir aidée dans sonquestionnement <strong>sur</strong> la nature des difficultésdes élèves, et sans formation, Karine atout appris « <strong>sur</strong> <strong>le</strong> tas ». Avec souvent l’angoisseface au saut dans <strong>le</strong> vide : « Qu’estceque je peux lui apporter ? ». Y comprischez <strong>le</strong>s enseignants expérimentés et nedéclarant pas avoir de difficulté particulièreavec <strong>le</strong>s élèves en situation de handicap,<strong>le</strong> flou de la prescription se faitsentir. Alors Karine a décidé de tout baserdans sa classe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> bien-être de cesjeunes enfants-là, en établissant patiemmentdes relations de confiance. Pourqu’ils aient du plaisir à être là, pour qu’ilsse fassent des copains, qu’ils jouent avec<strong>le</strong>s autres, qu’ils acquièrent des savoirs.Mais toujours dans <strong>le</strong> doute et dans <strong>le</strong>questionnement. Après une expériencepersonnel<strong>le</strong> de reconstruction, d’un changementprofond <strong>sur</strong> el<strong>le</strong>-même, Karine saitqu’on peut combattre et dépasser la difficulté,qu’il existe des solutions. C’est avecce regard de bienveillance qu’el<strong>le</strong> aideses élèves, qu’el<strong>le</strong> met en place des stratégiesd’apprentissages, pas à pas. Lesdiscussions avec sa collègue, tous <strong>le</strong>ssoirs, pour re-dérou<strong>le</strong>r la journée de travailautour de ces élèves, l’aident toutautant qu’el<strong>le</strong>s aident sa collègue qui scolarisedeux autres élèves en situation dehandicap. Chacune pour continuer à faire<strong>le</strong>ur travail, en essayant d’être efficaces,« malgré tout ».


« Des gestes ordinaires pourdes situations extraordinaires »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pouvez-vous nous par<strong>le</strong>r dela recherche que vous avezmenée ?F. G. Mon point de départ, au traversde la loi de 2005, est <strong>le</strong> principede scolarisation ordinairedes élèves en situation de handicap.En mai 2011, <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong> avaitlancé une enquête auprès desenseignants des éco<strong>le</strong>s et 63 %avaient souligné la difficulté àscolariser <strong>le</strong>s enfants en situationde handicap. Cette difficultéexprimée est devenue pour moi« une porte d’entrée » dans l’analysedu travail. L’activité de l’enseignantse situe entre ce qu’onlui demande (l’institution, <strong>le</strong>s collègues,lui-même...) et ce que çalui coûte (<strong>le</strong>s élèves, <strong>le</strong>s résistances...).C’est dans cet écart-làque se situe l’activité enseignante,que nous allons regarderselon une méthodologie cliniqueavec des outils comme l’instructionau sosie ou l’auto-confrontation.Comment analyser cetteactivité enseignante ?F. G. L’instruction au sosie faitémerger « <strong>le</strong>s gestes incorporés »(J. Leplat), ces gestes dont on n’apas une conscience directe. Jepropose une situation fictive dutype « Je dois te remplacerdemain matin dans ta classe etpersonne ne doit s’apercevoir quece n’est pas toi. Donne-moi toutes<strong>le</strong>s instructions nécessaires ».Avec l’auto-confrontation, 2enseignants sont filmés dans <strong>le</strong>urclasse. Ensuite, on visionne et onéchange <strong>sur</strong> ce que l’on voit : « tufais ça, là mais tu m’as dit quec’était ça que tu voulais faire, alorsquels choix as-tu opérés? pourquoi?» ou « tu me dis que tuconsidères ton élève handicapé« Instal<strong>le</strong>r lacontroverse <strong>sur</strong> desquestions de métier »Frédéric GrimaudFrédéric Grimaud est enseignant en CLIS et membre de l’équipe derecherche ERGAPE (Ergonomie de l’Activité des Professionnels del’Education) d’Aix-Marseil<strong>le</strong>-Université. Il a publié dans la Nouvel<strong>le</strong> revuede l’adaptation et de la scolarisation n° 57 et dans la revue TFE avec F.Saujat : Des gestes ordinaires dans des situations extraordinaires :approche ergonomique de l’intégration d’élèves en situation dehandicap à l’éco<strong>le</strong> primaire.comme <strong>le</strong>s autres, mais là il ne faitpas comme <strong>le</strong>s autres : pourquoicet écart entre ce que tu dis et ceque tu fais ? ». La controverses’instal<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s enseignants<strong>sur</strong> des questions de métier,autour des mêmes supportsvidéo.Pouvez-vous nous par<strong>le</strong>r decertains résultats produitspar cette recherche ?F. G. Ma recherche a deux objectifs :une visée heuristique, produiredes savoirs <strong>sur</strong> <strong>le</strong> métier et participerau développement professionneldes enseignants. Pourma recherche, j’ai choisi deuxclasses : un CE1 diffici<strong>le</strong> en ZUPavec un élève en situation dehandicap intel<strong>le</strong>ctuel avectroub<strong>le</strong>s associés, ce qui rajoutede la difficulté à la gestion dugroupe, pour une enseignanteavec trois années d’expérience,et un demi-poste d’AVS ; et unCE1-CM1 avec un élève myopathetrès lourdement appareillé, uneenseignante expérimentée. J’aiconstaté d’abord un fort déficitde la prescription1 (des injonctionsofficiel<strong>le</strong>s à la formation) :<strong>le</strong>s enseignants ne savaient pasquoi faire avec ces enfants-là.Certes, beaucoup de termesgénéraux comme socialiser...inclure... mais sans ressourcesopérationnel<strong>le</strong>s pour l’enseignant.Dans la 1ère classe, l’enseignantdoit gérer <strong>le</strong> groupe entierdiffici<strong>le</strong>. Pour <strong>le</strong> faire en préservantsa santé, el<strong>le</strong> a choisi decadrer ses élèves par une tâchescolaire dès <strong>le</strong>ur entrée en classed’une part. D’autre part, el<strong>le</strong>n’utilise pas uniquement l’AVSpour l’élève en inclusion maisplace à côté de cette dernière 2« Ne pas passer de ladifficulté à lasouffrance »élèves particulièrement agitéspour <strong>le</strong>s maintenir au calme.Dans la 2 e classe, l’enseignante amis en place une forme de tutoratafin de faciliter la participationde son élève en fauteuilroulant aux séances d’EPS. Voici« des gestes ordinaires pour dessituations extraordinaires », quiconstituent des pistes pour l’analysedu travail.Quels sont <strong>le</strong>sprolongements de cetterecherche ?F. G. Dans un premier temps, la scolarisationd’un élève en situationde handicap a permis de poserune loupe <strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail enseignant,et pour reprendre l’expressionde René Amigues, de « voirdans une goutte d’eau <strong>le</strong>s propriétésde la rivière ». « Redonner dupouvoir d’agir » (Y. Clot) est unequestion de santé au travail : pasla santé comme absence demaladie, mais comme « la capacitéde l’individu de créer deschoses et des liens entre ceschoses» comme l’avait justementremarqué Canguilhem. La santéau travail, c’est adapter, transformerson milieu pour s’y développer,pour faire « du bon travail ».Et par cette recherche que j’aimenée, ce col<strong>le</strong>ctif d’échangesqui s’est créé, ces moments d’expérimentations,<strong>le</strong>s enseignantsont eu l’opportunité de reprendrela main <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur métier. Et il mesemb<strong>le</strong> qu’un syndicat aurait toutintérêt à développer ses propresoutils d’analyse du travail, pourattaquer de front ces questionsde santé au travail.Propos recueillis par Ginette Bret*Voir artic<strong>le</strong> « <strong>le</strong>s prescriptions sontfloues » à www.snuipp.fr/Les-prescriptions-sont-floues13MÉTIER


MÉTIERATELIERPHOTOImageMise au point <strong>sur</strong> objectifsJusque dans <strong>le</strong>s années 2000, la photographie n’apparaissait <strong>le</strong> plus souvent que commesupport à d’autres disciplines permettant aux enseignants d’obtenir « une trace », unemémoire de ce qui se faisait en classe. La rapide démocratisation des outils numériques afacilité son utilisation et ouvert de nouvel<strong>le</strong>s perspectives pédagogiques : la photographiepeut être un formidab<strong>le</strong> outil d’apprentissages transversaux.© MAISON DU GESTE ET DE L’IMAGE12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201214q ang<strong>le</strong> de vueÀParis, la Maison du Geste etde l’Image (MGI) permet auxenseignants d’inscrire <strong>le</strong>ursprojets dans une démarcheartistique autour de la photographiemais aussi du théâtre et de lavidéo. Des domaines qui peuvent s’entrecroiserindique Francis Jolly, directeuradjoint de la MGI :« si par exemp<strong>le</strong> l’enseignantsouhaite travail<strong>le</strong>r <strong>sur</strong> <strong>le</strong> paysageurbain, on peut lui proposer <strong>le</strong> thème « <strong>le</strong>corps et la vil<strong>le</strong> », qui mobilisera la photographie,la danse et la vidéo ». Car la MGI« part des demandes des enseignants auxquelsel<strong>le</strong> propose un partenariat, des ateliersou une résidence d’artiste » précisesa directrice, Evelyne Panato. Dans <strong>le</strong>s couloirsde cet immense déda<strong>le</strong> qu’est la MGI,où se côtoient œuvres d’artistes et productiond’élèves, on accède aux différentessal<strong>le</strong>s dédiées : studio photo, d’enregistrement,et même une sal<strong>le</strong> de spectac<strong>le</strong>. Carla MGI est aussi « un lieu de présentationdes productions des élèves qui <strong>le</strong>ur permetde voir ce qu’ils ont fait et ce que <strong>le</strong>sautres ont fait » explique Emmanuel<strong>le</strong>Burstein, professeure des éco<strong>le</strong>s détachéeà la MGI. Cette année, <strong>le</strong> projet « théâtre et<strong>le</strong>cture », qui s’adressera aux élèves de lagrande section au CM2, a pour objectif de« dynamiser et de consolider <strong>le</strong>s apprentissagesde la <strong>le</strong>cture tout en permettantaux enseignants d’échanger <strong>sur</strong> <strong>le</strong>urs pratiques» indique Emmanuel<strong>le</strong>. Essentiel<strong>le</strong>mentfinancée par la mairie de Paris, laMGI limite ses interventions à l’Î<strong>le</strong> deFrance. Pourtant, « ce type de structuremériterait d’exister dans chaque départementou région » espère Francis Jolly.Le site de la MGI rend compte des actions menées en milieuscolaire et de projets spécifiques : www.mgi-paris.org


« Mettre <strong>le</strong>s élèves face à l’œuvre »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Comment faire de laphotographie un outil pédagogique?F. J. La photographie peut devenirun merveil<strong>le</strong>ux outil pédagogique,notamment parce qu’el<strong>le</strong>présente cette spécificité deréapprendre la <strong>le</strong>nteur : il va mefalloir fantasmer <strong>le</strong> résultat de maphoto et ensuite exercer unchoix. Je dois me poser éga<strong>le</strong>mentla question du sens : Quelcadrage ? Dans quel but ? Le rô<strong>le</strong>des enseignants va consister àdonner du sens à ces pratiques.L’éducation à l’image resteencore assez margina<strong>le</strong>dans l’éco<strong>le</strong>…C’est une idée assez répandue.Pourtant, la photographie est utiliséeà différents niveaux parquantité d’enseignants. Depuisque je travail<strong>le</strong> en partenariatavec l’éducation nationa<strong>le</strong> j’airemarqué de nettes évolutions. Ily a 10 ans <strong>le</strong>s enseignants étaientencore dans une posture deméfiance, héritée de la prise deconscience que l’image peutvéhicu<strong>le</strong>r des sens cachés et pastoujours « bien intentionnés ».« réapprendre la<strong>le</strong>nteur »Pourtant, la méfiance n’est pas <strong>le</strong>bon ang<strong>le</strong> d’attaque. La connaissanceest préférab<strong>le</strong>. L’accès àl’image par l’artistique est l’un deschemins souhaitab<strong>le</strong>s pouvantconduire à cette connaissance.Pour quel<strong>le</strong>s raisons ?F. J. Tout d’abord parce que la présencede l’artiste en milieu scolaireest un formidab<strong>le</strong> facteur d’ouverture.Le statut même de l’artistepermet aux élèves d’appréhenderdifféremment une œuvre et unedémarche. La démarche artistiqueest différente d’une pratique de laphotographie qui consiste à accumu<strong>le</strong>r<strong>le</strong>s clichés. La <strong>le</strong>nteur liée àFrançois jollyPhotographe professionnel et conseil<strong>le</strong>r Arts visuels à la Mission Arts etCulture du Ministère de l’éducation nationa<strong>le</strong>, au CNDP, pendant dix ans,Francis Jolly est aujourd’hui directeur adjoint de la Maison du Geste etde l’Image à Paris. Son travail consiste à mettre en place avec <strong>le</strong>senseignants et <strong>le</strong>s artistes, des ateliers de pratique artistique tout enfavorisant <strong>le</strong>s apprentissages transversaux. En 2005, il a publié « Desartistes à la maternel<strong>le</strong> » (Paris : SCEREN CNDP).la mise à distance entre ce que jeveux faire et la manière dont jevais utiliser l’outil pour <strong>le</strong> réaliserva déca<strong>le</strong>r <strong>le</strong> rapport à l’imagedonné à priori comme immédiat.Quel<strong>le</strong>s activités est-ilpossib<strong>le</strong> de mener enclasse?F. J. Le photographe est quelqu’unqui fait des choix, et notammentcelui du cadrage. Dans <strong>le</strong>s ateliersque nous menons avec <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>son se pose d’emblée la questionavec l’artiste : « qu’est-ce que jeveux dire ? ». Il y a un exerciceassez simp<strong>le</strong> à mettre en œuvrequi consiste à faire prendre àchaque élève deux photos d’unmême lieu. On aura autant dephotographies différentes qued’élèves parce que chacun aurachoisi de cadrer différemment…On peut aussi demander auxélèves d’interpréter une mêmeimage. Cela permet de faireprendre conscience aux élèvesque la photographie porte en el<strong>le</strong>une polysémie vertigineuse. Cesexercices aident à révé<strong>le</strong>r la diversitéd’une photographie, qu’onsoit celui qui la prend ou celui quila regarde. Ensuite, <strong>le</strong>s activitésdépendent de la démarchepropre à chaque artiste. On peutmener ces activités dès <strong>le</strong> plusjeune âge en évitant l’écueil du « àla manière de ».« la photographie n’estpas la réalité : c’est unchoix »Il y a aussi toute unedimension citoyenne autourdu droit à l’image, de lapropriété intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>…F. J. La réf<strong>le</strong>xion <strong>sur</strong> <strong>le</strong> droit àl’image doit accompagner touttravail avec la photographie : faireprendre conscience aux enfantsqu’être représenté <strong>sur</strong> une photographien’est pas anodin… La posturecitoyenne impose qu’uncliché d’un copain ou d’une copinene soit pas diffusé sans son avis.C’est une des facettes du respectde l’autre. Ce travail citoyen peutaussi être fait par l’analyse d’unemême photo de presse dont <strong>le</strong>scommentaires seront évidemmentdifférents…Le travail <strong>sur</strong> l’imagesuppose aussi la maîtrised’outils de retouche…F. J. En particulier en collège etlycée, <strong>le</strong>s jeunes ont souvent unemeil<strong>le</strong>ure maîtrise du maniementde ces outils que <strong>le</strong>s adultes. Lamaîtrise de ces outils est importanteet démontre que <strong>le</strong> cadrageseul n’est pas suffisant. Cependant,ce ne sont que des outils et la maîtrisetechnique ne doit pas parasiterla question essentiel<strong>le</strong> :qu’est-ce que je veux dire audépart ? Ce n’est pas l’outil quidonne l’idée. La collaboration desenseignants avec des structuresculturel<strong>le</strong>s est indispensab<strong>le</strong> : c’està-diremettre <strong>le</strong>s élèves face àl’œuvre, <strong>le</strong>s faire accéder au musée,<strong>le</strong>ur permettre de rencontrer <strong>le</strong>sartistes. Regarder une photo dansune ga<strong>le</strong>rie provoque un regarddifférent et multip<strong>le</strong> <strong>sur</strong> l’œuvre.Echanger avec un artiste <strong>sur</strong> sadémarche permet une mise à distanceet une perception nouvel<strong>le</strong>de l’œuvre.Propos recueillis par vincent martinez15MÉTIER


MÉTIERATELIERNUMÉRIQUELectureune activité comp<strong>le</strong>xeLa <strong>le</strong>cture est une activité comp<strong>le</strong>xe qui va du décodage à l’interprétation de documentsmultip<strong>le</strong>s. Mônica Macedo Rouet, chargée de mission à l’agence des usages des TICE ducentre national de documentation pédagogique, présente <strong>le</strong>s différents moyens de lire et decomprendre un texte tout en utilisant <strong>le</strong>s technologies numériques. Cel<strong>le</strong>s-ci diversifientl’accès au texte et nécessitent des compétences avancées.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201216q Le moteur de recherche : jouer de pertinence !Mônica Macedo Rouet, chargéede mission à l’agenceNationa<strong>le</strong> des usages desTICE du Centre Nationalde Documentation Pédagogique(CNDP) évoque la nécessité pour<strong>le</strong>s élèves de fin de cyc<strong>le</strong> 3 de savoir faire<strong>le</strong> tri dans des situations de <strong>le</strong>cture, faceaux résultats de moteurs de recherche parexemp<strong>le</strong>. « Il faut décider quels liens sont<strong>le</strong>s plus pertinents pour réaliser <strong>le</strong>ur travailscolaire. Or on sait que <strong>le</strong>s élèves,notamment <strong>le</strong>s plus jeunes, peuvent avoir<strong>le</strong>ur attention détournée par des élémentssans relation avec <strong>le</strong> contenu tels que latypographie ou la mise en saillance. Si desmots clés sont inscrits en majuscu<strong>le</strong>s ouen gras alors même que <strong>le</strong> lien par<strong>le</strong> detout autre chose, <strong>le</strong>s élèves ont tendanceà <strong>le</strong> sé<strong>le</strong>ctionner. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>sur</strong> unerecherche <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s châteaux forts, il suffitqu’un moteur de recherche évoque enmajuscu<strong>le</strong> <strong>le</strong>s châteaux d’eaux pour que<strong>le</strong>s élèves soient attirés par <strong>le</strong> lien et <strong>le</strong>choisissent. Quand <strong>le</strong> mot clé n’est pas enmajuscu<strong>le</strong>, <strong>le</strong> problème s’atténue.Travail<strong>le</strong>r<strong>sur</strong> l’analyse des liens, des mots et la pertinenceest une activité que <strong>le</strong>s enseignantspeuvent s’approprier dans laclasse.


« Les technologies numériquesdemandent des compétences de <strong>le</strong>cture »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Comment définir <strong>le</strong>sdifférentes situations de<strong>le</strong>cture ?M. M. R. La <strong>le</strong>cture correspond à unemultiplicité de situations. Situationsde décodage d’un texte, de<strong>le</strong>cture et de compréhension d’untexte simp<strong>le</strong> qui sont des étapesimportantes d’acquisition. Mais,lire va au-delà de cela. C’est uneactivité qui entre en cause dansde nombreuses situations de lavie quotidienne. Quand on doitrésoudre un problème, parexemp<strong>le</strong>, chercher une adresse,ou choisir une formation, il fautd’abord bien comprendre si on abesoin d’informations pour al<strong>le</strong>rau bout de la question posée. Sitel est <strong>le</strong> cas, ensuite et une foisque cel<strong>le</strong> ci est identifiée, il fautal<strong>le</strong>r chercher <strong>le</strong>s informations, cequi implique, parfois, la confrontationde différents documentset supports. Toutes ces situationsdemandent des compétences de<strong>le</strong>cture et des compétencesgénéra<strong>le</strong>s de compréhension deplus en plus avancées. Et ce, d’autantplus que <strong>le</strong> problème estcomp<strong>le</strong>xe. Et que l’on doit travail<strong>le</strong>ret intervenir avec des documentset supports denses, variéset d’accès divers. C’est <strong>le</strong> cas dessupports numériques parexemp<strong>le</strong>.Les technologiesnumériques instruisent-el<strong>le</strong>sun paradoxe ?M. M. R. Oui, <strong>le</strong> paradoxe instruit par<strong>le</strong>s technologies numériques esttrès net. Au début, lorsqu’el<strong>le</strong>s ont<strong>sur</strong>gi, on a pensé qu’el<strong>le</strong>s faciliteraientla tâche de <strong>le</strong>cture et decompréhension, la recherche d’informationset de documents grâceà un ensemb<strong>le</strong> d’outils simp<strong>le</strong>s àmettre en oeuvre. Ces technologiessont apparues comme unmoyen d’aider <strong>le</strong>s élèves comme<strong>le</strong>s adultes à mieux comprendreun texte. Après plusieurs décenniesde recherche <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet, onse rend compte que ce n’est pasMônica Macedo RouetMônica Macedo Rouet chargée de mission à l’agence nationa<strong>le</strong> et desusages des TICE du Centre National de Documentation Pédagogique(CNDP) est titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de lacommunication. El<strong>le</strong> mène depuis plusieurs années une rechercheexpérimentée de terrain dans des classes au <strong>cours</strong> de séances brèves <strong>sur</strong> la<strong>le</strong>cture et <strong>le</strong>s pratiques informationnel<strong>le</strong>s des élèves à l’ère du numérique.El<strong>le</strong> a présenté quelques pistes d’activité ciblées <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s élèves en fin decyc<strong>le</strong> 3. El<strong>le</strong> a publié « ce que l’usage d’internet nous apprend <strong>sur</strong> la <strong>le</strong>ctureet l’apprentissage ». <strong>le</strong> Français d’aujourd’hui en septembre 2012.forcément <strong>le</strong> cas. Les technologiesnumériques sont aussi plusdemandeuses en termes de compétencesde <strong>le</strong>cture. Il faut doncsavoir décoder un texte, comprendre<strong>le</strong> message qui en provientmais aussi garder la trace desa navigation, ne pas se laisserdésorienter. Cela peut être <strong>le</strong> casavec un site web. Autre enjeu,mettre en relation différentesinformations qui viennent de plusieurssources. Dans ce cas, il fautgérer, dans de nombreux cas, différentssites web. Il s’agit alors decomprendre des informations quiviennent d’auteurs différents avecdes sources, textes, graphiques etanimations multimédia de naturevariab<strong>le</strong>. Et en effet, chacun de cestypes de supports créent des problèmesparticuliers de <strong>le</strong>cture.Comment l’enseignantpeut-il aider ses élèves àétablir ces compétences ?M. M. R. La première chose, pourl’enseignant est d’envisager la<strong>le</strong>cture dans tous <strong>le</strong>s différentscontextes dans <strong>le</strong>squels il estamené à chercher de l’information.Le texte doit être compris etanalysé dans un ensemb<strong>le</strong> desituations différentes. Cettesituation de <strong>le</strong>cture doit être présentedans la classe de françaismais aussi dans toutes <strong>le</strong>s autresdisciplines. Quand on travail<strong>le</strong> enscience, et quand on demandeaux élèves de recueillir des donnéesen dehors de <strong>le</strong>ur classe, derentrer et d’élaborer un tab<strong>le</strong>auavec ce qu’il ont vu, la <strong>le</strong>cture estaussi impliquée, ce qui peut donnerlieu à un travail spécifique.« La <strong>le</strong>cture est uneactivité qui entre encause dans denombreuses situationsde la vie quotidienne »L’enseignant peut aussi aider sesélèves à travers des exercicesciblés <strong>sur</strong> certaines étapes, nécessairesà la compréhension de plusieurssources d’information. Parexemp<strong>le</strong>, qui dit quoi dans un textecomprenant plusieurs citations ouparo<strong>le</strong>s d’auteurs. Chacune de cesétapes pose des défis différents àl’élève. Les activités doivent êtrerégulières et fréquentes.Comment s’approprier cetravail en classe ?M. M. R. Certains exemp<strong>le</strong>s peuventêtre probants. À la fin du cyc<strong>le</strong> 3<strong>le</strong>s élèves peuvent travail<strong>le</strong>r <strong>sur</strong> undossier comme <strong>le</strong> réchauffementclimatique. Ils vont alors faire unerecherche et trouver des documentsqui traitent de ce sujet. Cesderniers ont été écrits probab<strong>le</strong>mentà des dates différentes pardes auteurs divers qui ont chacunplus ou moins de connaissances<strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet. Les élèves doiventdécider quels sont <strong>le</strong>s documents<strong>le</strong>s plus importants pour réaliser cedossier et donc faire un choix. Surquel<strong>le</strong> base est-il fait ? L’enseignantpeut alors travail<strong>le</strong>r <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s critèresd’évaluation du type « commentj’évalue l’auteur d’un texte ? »,« Est-ce que <strong>le</strong> document est suffisammentrécent pour répondrela question posée ? » donc il fautregarder à quel<strong>le</strong> date a t-il étéproduit et publié. Les élèves nevont pas spontanément regardertous ces paramètres et critèresquand ils sont seuls devant <strong>le</strong>urordinateur ou travail<strong>le</strong>nt avec desdocuments papier <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur bureau.L’enseignant peut ainsi motiver etaider <strong>le</strong>s élèves à construire unmodè<strong>le</strong> plus riche. Propos recueillis parfabienne berthet17MÉTIER


MÉTIERATELIERDEVOIRSDevoirsL’envers du décorL’interdiction des devoirs à la maison à l’éco<strong>le</strong> primaire est renouvelée régulièrement parl’éducation nationa<strong>le</strong>. On dénombre pas moins de six rappels à l’ordre de 1956 à 1995.Pourtant la pratique est très répandue, <strong>le</strong> Président vient même d’émettre <strong>le</strong> souhait qu’ils sefassent <strong>sur</strong> <strong>le</strong> temps scolaire. Pour Patrick Rayou, cela s’explique parce que <strong>le</strong>s devoirs sont uninstrument de régulation, non pas de l’apprentissage des élèves, mais du système. Leurorganisation actuel<strong>le</strong> n’est pas, pour lui, sans poser problème aux élèves et aux famil<strong>le</strong>s.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201218q L’inspection généra<strong>le</strong> donne des pistesUn rapport de l’inspectiongénéra<strong>le</strong> rendu public enjuin, s’est interessé à la questiondes devoirs à la maison*.Les inspecteurs généraux yaffirment « qu’une certaine forme de travailà la maison est uti<strong>le</strong> » car « <strong>le</strong>s apprentissagesréalisés restent souvent précaires ets’effacent à terme, faute d’une mémorisationvoire d’une automatisation, suffisante ».Mais <strong>le</strong>s rapporteurs soulignent <strong>le</strong>s inégalitésque peuvent créer <strong>le</strong>s devoirs. Pouroptimiser <strong>le</strong> travail en dehors du temps scolaire,des pistes sont données. Ainsi <strong>le</strong> travailà la maison ne doit pas excéder 20 à40 mn selon l’âge des élèves. Les devoirsdoivent être pensés par <strong>le</strong> maître et intégrésà l’organisation du temps, avec en fin dejournée, un temps dédié à la préparationdu cartab<strong>le</strong>. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> rapport préconised’exploiter en classe <strong>le</strong> travail effectuéen dehors du temps scolaire, que ce soit enterme de corrections ou de re<strong>cours</strong> à lamémoire. Enfin <strong>le</strong>s aspects méthodologiquesne peuvent être ignorés par <strong>le</strong>senseignants. Une clarification des attendusest nécessaire. Que peut-on faire pour comprendreun texte que l’on découvre en <strong>le</strong>cture? Que peut-on faire pour mémoriser ?Qu’est-ce que veut dire apprendre sa<strong>le</strong>çon ? Trois annexes présentent d’ail<strong>le</strong>ursdes aides et indications méthodologiquescréées par des enseignants en CE1 et CM2.Deux enseignants de CM2 de l’éco<strong>le</strong> deCombours (35) ont par exemp<strong>le</strong> réalisé unefiche pour aider <strong>le</strong>s parents à comprendrece qui est visé lors de l’apprentissage des<strong>le</strong>çons. À Saint-Fons (69), une fiche méthodologiqueexplicite pour <strong>le</strong>s CM2 ce queveut dire « apprendre sa <strong>le</strong>çon ».*www.media.education.gouv.fr/fi<strong>le</strong>/2008/46/6/2008-086-IGEN_216466.pdf


« Enjeu d’apprentissage ou derégulation du système ? »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quel<strong>le</strong> est aujourd’hui laréalité des devoirs à lamaison ?P. R. L’importance des devoirs à lamaison est grande si on en jugepar <strong>le</strong>s études menées par l’IN-SEE et ceci malgré <strong>le</strong>ur interdictiondans <strong>le</strong>s textes. De plus, ilarrive que <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s soientauto-prescriptrices, en rajoutentpar rapport aux demandes. Lephénomène <strong>le</strong> plus connu estcelui des cahiers de vacances quiont engendré un marché del’édition considérab<strong>le</strong>. Des travauxde l’IREDU ont montré queces devoirs de vacances creusent<strong>le</strong>s inégalités entre <strong>le</strong>s élèves.Qu’est-ce que cettepermanence des devoirs ditde l’éco<strong>le</strong> ?P. R. El<strong>le</strong> dit <strong>le</strong>s difficultés del’éco<strong>le</strong> française à régu<strong>le</strong>r sesrapports avec l’extérieur. Historiquement,<strong>le</strong>s républicains ontvoulu mettre l’éco<strong>le</strong> à l’abri desinfluences socia<strong>le</strong>s avec uneconception méritocratique selonlaquel<strong>le</strong> tous <strong>le</strong>s élèves qui yexercent <strong>le</strong>urs ta<strong>le</strong>nts auront desrésultats qu’ils devront à euxseuls et à l’institution scolaire. Sion vit dans cette fiction, et c’esttoujours <strong>le</strong> cas, alors peu d’objetscircu<strong>le</strong>nt entre l’éco<strong>le</strong> et cequi n’est pas el<strong>le</strong>. J’en vois deuxprincipaux : <strong>le</strong>s notes et <strong>le</strong>sdevoirs. Toutes <strong>le</strong>s tentativespour limiter <strong>le</strong>s devoirs ou minorer<strong>le</strong> poids des notes ont échouéalors même que <strong>le</strong>s acteurs pouvaientêtre d’accord. Les devoirsapparaissent alors comme uninstrument de régulation, nonpas de l’apprentissage desélèves, mais du système. Chacunà un droit de regard voire depression <strong>sur</strong> ce que fait l’autre.Si <strong>le</strong>s parents ne jouent pas <strong>le</strong>jeu, ils sont démissionnaires et sil’enseignant n’en donne pas c’estqu’il n’est pas sérieux. Et je faisl’hypothèse que tant qu’on nedonnera pas un rô<strong>le</strong> raisonnab<strong>le</strong>Patrick RayouPatrick Rayou est professeur de sciences de l’éducation à l’UniversitéParis-VIII et membre du laboratoire Circeft-Escol. Ses travauxconcernent la socialisation des enfants et des jeunes, la formation desenseignants, la construction des inégalités d’apprentissage. Il anotamment dirigé l’ouvrage « Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs etsociaux d’une pratique ordinaire » aux Presses universitaires de Rennesen 2009. Il est aussi l’auteur de « Les inégalités d’apprentissage.Programmes, pratiques et ma<strong>le</strong>ntendus scolaires » avec ÉlisabethBautier (PUF 2009) et de « Devenir enseignant. Par<strong>cours</strong> et formation »,avec Dominique Gelin et Luc Ria (Armand Colin 2007).aux parents dans <strong>le</strong> système, onne règ<strong>le</strong>ra pas la question.Quel<strong>le</strong>s difficultés posent<strong>le</strong>s devoirs ?P. R. La première tient à l’idée que<strong>le</strong> transfert du milieu principald’apprentissage à un milieusecondaire s’opèrerait naturel<strong>le</strong>ment.Or ceux qui ont à traiter <strong>le</strong>travail des élèves ne savent souventpas dans quel esprit il a étédonné. S’agit-il de devoirsd’exercice, d’anticipation, derecherches, de préparationd’une évaluation... ? Je ne suispas certain que <strong>le</strong>s parents saisissentces nuances là, pas plusque <strong>le</strong>s professionnels payés,fussent-ils des enseignants, quin’ont pas connaissance desapprentissages premiers. À ceproblème d’identification de latâche cognitive s’ajoute <strong>le</strong> travaildes élèves. Les devoirs supposentque des notions qui n’ontpas été assimilées pendant <strong>le</strong><strong>cours</strong> puissent l’être au momentoù ils feront l’exercice sans laprésence de <strong>le</strong>ur enseignant. Oron voit bien, quand on assiste àl’aide aux devoirs, combien <strong>le</strong>sma<strong>le</strong>ntendus sont forts <strong>sur</strong> deschoses aussi évidentes qu’apprendresa <strong>le</strong>çon. Enfin, <strong>le</strong>sdevoirs sont une vio<strong>le</strong>nce faiteaux famil<strong>le</strong>s de milieux populairesque l’on sous-estime. Onne voit pas pourquoi des parentsdevraient assumer la honte dene pas savoir faire ce qui estdemandé à un élève de 12 ans !Suivre <strong>le</strong>s études, motiver <strong>le</strong>senfants, veil<strong>le</strong>r à ce qu’ils aient« On ne voit pas pourquoides parents devraientassumer la honte de nepas savoir faire ce quiest demandé à un élèvede 12 ans ! »un espace d’étude, fermer <strong>le</strong>sécrans, tout ceci fait partie durô<strong>le</strong> éducatif des parents. Mais ily a un abus, une défausse de lapart de l’éco<strong>le</strong> à demander auxfamil<strong>le</strong>s de prendre la chargecognitive des devoirs. D’autantqu’à l’ado<strong>le</strong>scence, <strong>le</strong>s devoirssont un moyen de chantage etpeuvent alimenter des conflitsintra-familiaux. Leur visée cognitiveà l’origine est diluée dansdes problématiques socia<strong>le</strong>s decontrô<strong>le</strong> de l’éco<strong>le</strong>, de contrô<strong>le</strong>de la jeunesse.L’internalisationqu’envisage <strong>le</strong>gouvernement est-el<strong>le</strong> unesolution pertinente ?P. R. C’est une bonne solution àcondition d’internaliser vraiment.Les devoirs se feront àl’éco<strong>le</strong>, soit, mais encadrés parqui ? Il faut inventer des modesde collaboration dans <strong>le</strong>séquipes enseignantes pour queceux qui seraient amenés à <strong>le</strong>sencadrer soient au courant desobjectifs et des difficultés desélèves. Dans ce sens, plus demaîtres que de classes est unematrice institutionnel<strong>le</strong> pour cetype de collaboration. La cointerventiondans la classes perme t d e s re m é d i a t i o n sinstantanées mais aussi la prised’indices <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s modes de travailréels des élèves et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s blocages.Des devoirs au sein del’éco<strong>le</strong> organisés par des personnelssusceptib<strong>le</strong>s de dépister <strong>le</strong>sdifficultés pourraient alors êtrel’occasion de débloquer certainsélèves sans empoisonner <strong>le</strong>sfamil<strong>le</strong>s. Propos recueillis par Lydie Buguet19MÉTIER


MÉTIERATELIERLANGAGELangagede l’éco<strong>le</strong>Favoriser la réussitePour Anne Armand, la langue de l’éco<strong>le</strong>, qui participe pourtant de la réussite scolaire, estcel<strong>le</strong> qui est employée partout en classe et qu’un élève n’apprend jamais. Qu’est-ce qui laconstitue, dès l’entrée à l’éco<strong>le</strong>, encore plus à l’entrée au collège ? En quoi <strong>le</strong>s élèves del’éducation prioritaire sont-ils plus que <strong>le</strong>s autres mis en difficulté par cette langue de l’éco<strong>le</strong> ?Les analyses, <strong>le</strong>s solutions possib<strong>le</strong>s dépassent de loin l’enseignement du français.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201220q Lever <strong>le</strong>s ma<strong>le</strong>ntendusAnne Armand reprendl’exemp<strong>le</strong> de Stéphane Bonnéry,dans son livre « Comprendrel’échec scolaire,élèves en difficultés et dispositifspédagogiques » (La Dispute, 2007) . Ils’agit d’une réf<strong>le</strong>xion <strong>sur</strong> ces « ma<strong>le</strong>ntendus» qui peuvent amener <strong>le</strong>s élèves àrenoncer progessivement aux apprentissagesscolaires, mais en construisant desmécanismes de protection de <strong>le</strong>ur estimed’eux-même qui <strong>le</strong>s mettent progressivementen révolte contre une institution qui<strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong> jouer doub<strong>le</strong> jeu. La classe deMohamed apprend avec <strong>le</strong> maître à colorierune carte de géographie pour différencierpar des cou<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s différentes altitudes.Mohamed est sérieux, il s’applique. Lemaître propose un exercice d’évaluationquelques jours plus tard, puis rend <strong>le</strong>sdevoirs. Mohamed a une mauvaise note, i<strong>le</strong>st furieux. Stéphane Bonnéry <strong>le</strong> fait par<strong>le</strong>rde ce devoir. Mohamed est persuadé queceux qui ont eu une bonne note ont triché,ils avaient connaissance de la carte à colorier.Stéphane Bonnéry me<strong>sur</strong>e peu à peuce que Mohamed n’a pas compris dans <strong>le</strong>travail réalisé : il ne s’était pas demandé ceque serait l’exercice d’évaluation. Ou <strong>le</strong>maître n’a pas suffisamment « expliqué » cequ’il attendait de l’évaluation... Et Mohamed,confronté à une nouvel<strong>le</strong> carte, n’a pasété capab<strong>le</strong> de faire <strong>le</strong> travail demandé.D’où son idée que ceux qui ont réussiavaient connaissance du devoir, d’où savision d’une éco<strong>le</strong> injuste, d’où <strong>le</strong> risque aufil des mois, de construire la certitude qu’ilne réussira de toute façon pas à l’éco<strong>le</strong>puisqu’il ne fait pas partie des initiés.


« Le langage des opérations menta<strong>le</strong>sde l’éco<strong>le</strong> pour tous ! »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Qu’est-ce que la langue del’éco<strong>le</strong> ?A. A. En juin 2010, présentant <strong>le</strong>bilan de la politique RAR, je faisaisdeux constats : c’est par laréf<strong>le</strong>xion <strong>sur</strong> la construction desapprentissages que nous répondronsaux difficultés de compréhensiondes élèves. L’articulationentre premier et second degrén’est pas assez travaillée. L’éco<strong>le</strong>est <strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong> langage sert àinterroger un monde qui n’est paslà, où on utilise <strong>le</strong> langage defaçon continuel<strong>le</strong> et essentiel<strong>le</strong>comme vecteur de l’apprentissage,où <strong>le</strong> langage institue l’élève(à l’extérieur, il est un enfant, àl’éco<strong>le</strong>, il est un élève).Pourquoi ce langage del’éco<strong>le</strong> met <strong>le</strong>s élèves del’éducation prioritaire endifficulté ?A. A. À la maison, on ne <strong>le</strong>ur explicitepas <strong>le</strong> sens global de l’éco<strong>le</strong>.Très souvent, <strong>le</strong> langage sert àdésigner simp<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> mondeprésent, à donner un ordre ou àcontester cette injonction. Et <strong>le</strong>séchanges peuvent s’arrêter làentre des parents et <strong>le</strong>urs enfants.Leur pose-t-on des questionspour <strong>le</strong>ur faire dire <strong>le</strong>s apprentissagescomme « Qu’as-tu fait àl’éco<strong>le</strong> aujourd’hui ? Pourquoias-tu eu tel<strong>le</strong> note ? » À la maison,<strong>le</strong>s mots servent à tisser un lienentre <strong>le</strong>s différents moments dutemps, entre <strong>le</strong>s différentsmoments de l’éco<strong>le</strong>, entre <strong>le</strong>s différentsapprentissages. Alorsl’élève qui est privé de ces interactionsverba<strong>le</strong>s avec son entourageest aussi celui qui par<strong>le</strong> uniquementaux copains de la Cité : ilsconnaissent <strong>le</strong>s mêmes lieux,regardent <strong>le</strong>s mêmes émissions,écoutent <strong>le</strong>s mêmes chansons,vivent <strong>le</strong> même rejet de l’éco<strong>le</strong>.Pouvez-vous donner unexemp<strong>le</strong> d’un mot essentielde l’éco<strong>le</strong> ?A. A. Expliquer. Ce verbe, constantAnne ArmandAnne Armand, agrégée de <strong>le</strong>ttres classiques en collège et en lycéedevient inspectrice généra<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ttres et spécialiste des questions liéesà l’éducation prioritaire. El<strong>le</strong> a publié dans <strong>le</strong>s Cahiers Pédagogiques en2012 « Adaptation des enseignants et des enseignements aux élèves del’éducation prioritaire » et en 2011 « Faire du français sans exclure » ;dans la Revue Diversité « Du bon usage de l’évaluation en éducationprioritaire » et el<strong>le</strong> a écrit <strong>le</strong> rapport de l’inspection généra<strong>le</strong> en 2006<strong>sur</strong> « La contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances ».dans <strong>le</strong> langage de l’éco<strong>le</strong>, quelsens a-t-il ? Quand je demanded’expliquer ce qu’est une bissectrice,je demande de faire quoi ?De donner <strong>le</strong> sens du mot. Deréciter exactement la définitionmathématique, avec <strong>le</strong>s mots decette définition et non avec <strong>le</strong>smiens. Quand je demande à unélève d’expliquer <strong>le</strong>s raisons deson retard, je lui demande de fairequoi ? De trouver des causes … àce qui n’en a peut-être pas.Quand je lui demande d’expliquerpourquoi il n’a pas fait son travail,je lui demande de faire quoi ? Deretrouver <strong>le</strong> lien chronologiquequi aurait dû exister entre <strong>le</strong> <strong>cours</strong>qui a eu lieu tel jour passé, <strong>le</strong> travailqui a été demandé à la suitede ce <strong>cours</strong>, l’organisation d’untemps de travail hors scolaire,avoir noté <strong>le</strong> travail à faire dansson agenda, avoir consulté sonagenda. Quand je lui demanded’expliquer ce qu’il n’a pas comprisdans la <strong>le</strong>çon, je lui demandede faire quoi ? De reprendre (demémoire) <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment d’un<strong>cours</strong> (long, abstrait, varié) pouridentifier un point particulier,nœud de la difficulté (c’est <strong>le</strong>propre d’une compétence didactiqueet pédagogique, donc d’unecompétence professionnel<strong>le</strong> del’enseignant et non de l’élève). I<strong>le</strong>st important pour l’enseignantde réfléchir au sens précis du mot« expliquer » et d’avoir conscienceà chaque fois de l’implicite de laquestion qu’il pose.Quels dispositifs voussemb<strong>le</strong>nt opérationnelspour apprendre <strong>le</strong> langagede l’éco<strong>le</strong> ?A. A. Les plus simp<strong>le</strong>s, comme cetexemp<strong>le</strong> : Je suis professeur de« Déc<strong>le</strong>ncher desprocessus de récit,d’explication,d’argumentation »français, j’accueil<strong>le</strong> ma classe(une partie de ma classe, <strong>le</strong>sélèves en difficulté langagière)qui sort du <strong>cours</strong> de SVT. C’estavec moi qu’ils vont rédiger <strong>le</strong>compte-rendu de l’observationfaite en SVT. Or je n’y étais pas :voilà <strong>le</strong> plus beau dispositif, et <strong>le</strong>moins coûteux ! Les élèvesdoivent me raconter, et doncd’abord organiser <strong>le</strong>ur récit dans<strong>le</strong> bon ordre et réfléchir avec moià ce que doit comporter <strong>le</strong>compte-rendu. C’est <strong>le</strong> cœur dumétier d’enseignant, apprendreaux élèves comment fonctionnent<strong>le</strong>s opérations de l’éco<strong>le</strong>et comment el<strong>le</strong>s se disent dans<strong>le</strong>s mots de l’éco<strong>le</strong>. Je peux pratiquercet exercice de constructiond’une connaissance dans undomaine que j’ignore parce queje n’ai pas peur de ne pas savoir,parce que je sais commentsavoir : demander <strong>le</strong> cahier, <strong>le</strong>livre, relire, refaire un exercice,comparer l’exercice fait en classeet celui à faire seul, demanderune explication. Je dois <strong>le</strong> pratiqueravec l’élève pour qu’ilapprenne lui-même à construirecette connaissance avec sesmots (faire l’essai, questionner,demander de l’aide, reprendre,recopier) et avec <strong>le</strong>s mots de ladiscipline. Les enseignantsdoivent être conscients qu’apprendreet faire apprendre, c’estcréer du lien entre <strong>le</strong>s différents<strong>cours</strong>, <strong>le</strong>s mots de ces différents<strong>cours</strong>, ceux du langage des opérationsmenta<strong>le</strong>s de l’éco<strong>le</strong>. Onpeut penser qu’un élève qui acompris pourquoi on apprend àl’éco<strong>le</strong>, qui apprend à dire sesapprentissages avec <strong>le</strong>s mots del’éco<strong>le</strong>, aura <strong>le</strong>s moyens d’y réussir.Propos recueillis par Ginette Bret21MÉTIER


LOID’ORIEN-TATIONDOSSIERRefondationde l’éco<strong>le</strong>Rendez-vous à ne pas manquer12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201222Alors que <strong>le</strong> projet de loi et de programmation pour l’éco<strong>le</strong> devraitêtre présenté mi-décembre, de nombreux points restent à discuter.Si <strong>le</strong>s attentes et <strong>le</strong>s espoirs sont immenses, il faudra aussi entendrela voix des enseignants. Attention à ne pas décevoir !La démocratisation de l’éco<strong>le</strong> est enpanne ! S’il est un sujet <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quel tout<strong>le</strong> monde ou presque s’accorde c’estbien celui-là. Une réalité d’autantmoins supportab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s comparaisonsinternationa<strong>le</strong>s ont sorti l’éco<strong>le</strong> françaisedu huis-clos hexagonal dans <strong>le</strong>que<strong>le</strong>l<strong>le</strong> a trop longtemps baigné. Et là, <strong>sur</strong>prise !Si <strong>le</strong> système éducatif français obtient desrésultats à peine supérieur à la moyenne àPISA, il est <strong>sur</strong>tout marqué par deux phénomènesmajeurs : <strong>le</strong>s écarts entre <strong>le</strong>sélèves <strong>le</strong>s plus faib<strong>le</strong>s et l’élite se creusentet, si 15% à 20% d’unetranche d’âge arrive au collègeavec des lourdes difficultés,une même proportiontrop souvent issue desmilieux défavorisés quittel’éco<strong>le</strong> sans qualification.Cela fait longtemps qu’il y aurgence à réagir, à refonder« S’appuyer <strong>sur</strong> la voixdes enseignants pourque cette refondationne soit en aucun cas unrendez-vous manqué. »<strong>le</strong> système - « refonder » <strong>le</strong> mot est lâché- et c’est toute la promesse faite par <strong>le</strong>nouveau président de la République et songouvernement que de redessiner <strong>le</strong> projetde l’éco<strong>le</strong> du XXI e sièc<strong>le</strong> pour qu’el<strong>le</strong>devienne enfin cel<strong>le</strong> de la réussite de tous.Y parviendra t-il ? Ira-t-il jusqu’au bout ?Tout est loin d’être joué.Le candidat Hollande avait fait de l’éducationun de ses principaux thèmes de campagne,thème réaffirmédepuis son é<strong>le</strong>ctionavec des engagements :l’éco<strong>le</strong> doit bénéficierd‘une loi d’orientationet de programmationdans laquel<strong>le</strong> la prioritésera donnée au primaire.En effet, <strong>le</strong> pri-


maire reçoit beaucoup moins que <strong>le</strong>collège ou <strong>le</strong> lycée alors que c’est dès <strong>le</strong>plus jeune âge que <strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>sà l’éco<strong>le</strong> créent de la difficulté scolaire.Un budget sanctuarisépour créer 60 000 postesVoilà bien de bonnes raisons de refonderl’éco<strong>le</strong>, d‘autant qu’el<strong>le</strong> sort de dix annéesmarquées par des politiques publiques quil’ont affaiblie, tant <strong>sur</strong> <strong>le</strong> plan de ses missionséducatives, de ses contenus d’enseignement,que <strong>sur</strong> celui de ses moyens. Dixannées qui ont aussi généré chez <strong>le</strong>s personnelsperte de confiance à l’heure oùces derniers ont <strong>sur</strong>tout besoin d’être formés,reconnus et revalorisés. Dix annéesbien éloignées de l’ambitieuse promessede l’éco<strong>le</strong> Républicaine qui est de donnerà tous <strong>le</strong>s élèves une égalité de chance etde droit tout en ayant conscience quel’éco<strong>le</strong>, seu<strong>le</strong>, ne peut pas tout.Ce n’est pas en supprimant près de 80 000postes ces cinq dernières années au nomdu non-renouvel<strong>le</strong>ment d’un départ à laretraite <strong>sur</strong> deux dans l’Éducation nationa<strong>le</strong>qu’on pouvait prétendre y parvenircomme l’on fait <strong>le</strong>s ministres qui se sontsuccédés. François Hollande, dans son dis<strong>cours</strong>du 9 octobre à la Sorbonne a soulignéquel était selon lui <strong>le</strong>principal avantage d’une loid’orientation et de programmation: c’est celui de pouvoir« sanctuariser » son budget<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s cinq ans de la mandatureavec l’engagement decréer dans ce laps de temps60000 postes. Le texte devraitêtre présenté en conseil desministres mi-décembre.Depuis cette date plusieursdécisions ont été actées. Il y acel<strong>le</strong> qui concerne la formationprofessionnel<strong>le</strong> desenseignants avec la création dès la rentrée2013 des Éco<strong>le</strong>s supérieures de professoratde l’éducation (ESPE) qui devrait rétablirune véritab<strong>le</strong> formation professionnel<strong>le</strong>universitaire de niveau M2 avec stagesdevant élèves et apports théoriques, pédagogiques,didactiques. Les missions de lamaternel<strong>le</strong> axées <strong>sur</strong> <strong>le</strong> développementbienveillant de l’enfant devraient être éga<strong>le</strong>mentreprécisées. Il s’agit de revenir <strong>sur</strong>l’effet « primarisation » qui ne profite pasaux plus fragi<strong>le</strong>s. Les formes pédagogiquesspécifiques de la maternel<strong>le</strong>doivent faire l’objet d’un effort de formationet la grande section, jusque là un pieden cyc<strong>le</strong> 1, un autre en cyc<strong>le</strong> 2, rattachéeentièrement au cursus PS-MS. La scolarisationdes moins de trois ans devrait êtrerelancée, en premier lieu dans <strong>le</strong>s zone<strong>sur</strong>baines ou rura<strong>le</strong>s diffici<strong>le</strong>s. Des moyens<strong>sur</strong>numéraires devraient dès 2013 êtreaffectés au primaire <strong>sur</strong> ces zones, <strong>le</strong> chefde l’État n’ayant pas hésité à par<strong>le</strong>r de« plus de maîtres que de classes », vieil<strong>le</strong>revendication du <strong>SNUipp</strong> pour changer <strong>le</strong>fonctionnement de l’éco<strong>le</strong> et faire avancer<strong>le</strong> travail en équipe et la réussite desélèves.Des décisions déjà actéeset des sujets comp<strong>le</strong>xesCes dernières semaines <strong>le</strong>s questions desrythmes scolaires (<strong>sur</strong>tout <strong>le</strong> raccourcissementde la journée et <strong>le</strong> passage à lasemaine de 9 demi-journées), des devoirsà la maison, de la place du périscolaire etdes col<strong>le</strong>ctivités, ont largementété commentées. Mais là <strong>le</strong>schoses ont plus de mal à se dessiner.Ces questions sont comp<strong>le</strong>xes,mettant en jeu demultip<strong>le</strong>s acteurs à commencerpar <strong>le</strong>s enfants dont l’intérêtdoit montrer <strong>le</strong> cap à suivre partous. Leur intérêt c’est de bénéficierde conditions d’accueil de qualitéavant et après la classe quelque soit <strong>le</strong>urlieu d’habitation. C’est aussi d’apprendreavec des enseignants plus sereins carmieux reconnus dans<strong>le</strong>ur professionnalité« si 15 % à 20 % d’unetranche d’âge arrive aucollège avec deslourdes difficultés, unemême proportion tropsouvent issue desmilieux défavorisésquitte l’éco<strong>le</strong> sansqualification. »comme dans <strong>le</strong>urtemps de travail.Aujourd’hui, pour 27heures hebdomadairesde services, ceux duprimaire en passent 16à faire ce que l’onappel<strong>le</strong> pudiquementdu « travail invisib<strong>le</strong> »(préparation des<strong>cours</strong>, corrections,relations avec <strong>le</strong>sqDes enseignants sous payésparents et <strong>le</strong>s partenaires…). Leur intérêtest aussi d’avoir des programmes revisités(création d’un conseil des programmes)pour un soc<strong>le</strong> commun repensé (fluiditééco<strong>le</strong>-collège, culture qui fasse sens...).C’est enfin de redire <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> et la place del’enseignement spécialisé, sujet <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quel<strong>le</strong> ministre reste plutôt discret.Alors que <strong>le</strong>s discussions se poursuiventpour préparer la loi, <strong>le</strong>s textes d’accompagnement,<strong>le</strong>scirculaires, <strong>le</strong>s« Le chef de l’État propose« plus de maîtres que declasses », une revendicationdu <strong>SNUipp</strong> pour changer <strong>le</strong>fonctionnement de l’éco<strong>le</strong>. »enseignants ontparfois l’impressionde nepas vraimentêtre écoutés.Dans la loid’orientation etde programmation il n’y a pas qu’ « orientation» il y a aussi « programmation ». La« refondation » ne se décrète pas, el<strong>le</strong> seconstruit dans la durée avec <strong>le</strong>s partiesprenantes et donc avec <strong>le</strong>s enseignants.De nombreux points restent à préciser, deséquilibres à trouver, des finalités à expliciter.Divers textes viendront mettre enmusique <strong>le</strong> cadre législatif. Le <strong>SNUipp</strong>, quia donné la paro<strong>le</strong> aux enseignants du primaireà travers un questionnaire ayantrecueilli plus de 20000 réponses, entendbien s’appuyer <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur voix pour quecette refondation ne soit en aucun cas unrendez-vous manqué. Pierre MagnettoLes enquêtes internationa<strong>le</strong>s ont montré que <strong>le</strong>s enseignants du primaire français sont mal lotis àl’échel<strong>le</strong> internationa<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> plan salarial. Des documents de l’administration mettent éga<strong>le</strong>ment enévidence <strong>le</strong> déclassement des professeurs des éco<strong>le</strong>s à l’échel<strong>le</strong> de la Fonction publique.Aujourd’hui, un professeur des éco<strong>le</strong>s débute à 1 660 euros net, gagne 2 132 euros en milieu decarrière et termine à 2 531 euros. Les rémunérations en milieu de carrière marquent un fortdécrochage des professeurs d’éco<strong>le</strong> à l’intérieur de <strong>le</strong>ur catégorie avec presque 600 euros de moinspar rapport à un professeur certifié. Un écart qui se me<strong>sur</strong>e aussi par rapport aux corps de catégorieB (secrétaires administratifs, techniciens contrô<strong>le</strong>urs ou gardiens de la paix) avec 200 euros demoins qu’un fonctionnaire de police par exemp<strong>le</strong>. En conséquence, <strong>le</strong> corps des professeurs deséco<strong>le</strong>s, de catégorie A, se trouve relégué dans <strong>le</strong>s « professions intermédiaires » du classement del’INSEE, <strong>le</strong>s corps des certifiés et agrégés restant quant à eux, dans la catégorie des « professionsintel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>s supérieures ».12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>23LOID’ORIEN-TATION


LOID’ORIEN-TATIONDOSSIERÉgalitéPour un système juste !Faire tomber des tabous, tel aura été selon la sociologue Nathalie Mons, un des grands méritesde la concertation pour la Refondation de l’éco<strong>le</strong>. Réduire à l’éco<strong>le</strong> <strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>s,territoria<strong>le</strong>s ou de genre… Savoir donner une seconde chance à ceux qui ont échoué, donnervraiment plus à ceux qui ont vraiment moins, prioriser <strong>le</strong> primaire et la formationprofessionnel<strong>le</strong> des enseignants… Derrière <strong>le</strong> masque d’une éco<strong>le</strong> « Une et Républicaine »il reste une justice socia<strong>le</strong> à revisiter pour construire « un système efficace et juste ».12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201224q Plus de maîtres que de classesLe rapport « Refondons l’éco<strong>le</strong> »met en avant la proposition d’affecter,dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s des territoiresen difficulté, « plus demaîtres que de classes ».« Enfin !» pourrait se féliciter <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong> tantcette revendication fait partie du corpusidentitaire de ce syndicat vieux de 20 ans.Plus de maîtres que de classes, promessepour transformer l’éco<strong>le</strong> ? Si l’on en croit<strong>le</strong>s expériences déjà menées dans <strong>le</strong>domaine, il s’agit bien de cela. Dans <strong>le</strong>sdépartements, <strong>le</strong>s formes d’intervention deces maîtres <strong>sur</strong>numéraires ont pris la cou<strong>le</strong>urdes territoires, même si ces postespourtant plébiscités ont été mis à mal par<strong>le</strong>s dernières cartes scolaires. Chargés decréer des liens et du travail d’équipe dansdes réseaux ruraux d’éducation en Corrèze,maître supplémentaire en CP pour favoriserl’apprentissage de la <strong>le</strong>cture dans <strong>le</strong>sBouches-du-Rhône, enseignant du primaireintervenant dans plusieurs éco<strong>le</strong>s d’unECLAIR, etc., il n’existe pas de modè<strong>le</strong>sdéposés même si <strong>le</strong>s objectifs, eux, serejoignent. En 2002, une étude de la DEPPqui analysait <strong>le</strong>s pratiques innovantes etdiversifiées mises en œuvre dans unesoixantaine d’éco<strong>le</strong>s qui disposaient d’unmaître <strong>sur</strong>numéraire, mettait en évidence<strong>le</strong>s objectifs communs des équipes. À lapossibilité de diminuer <strong>le</strong> nombre d’élèvespar maître offrant ainsi une écoute plusgrande aux élèves et une facilité à remédier<strong>sur</strong> l’instant, <strong>le</strong>s équipes pouvaient aussiréduire ou mettre à profit l’hétérogénéitédes classes et pratiquer des approches différenciées.


« Pour une éco<strong>le</strong> de la justicesocia<strong>le</strong> revisitée »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Le 9 octobre vous avezremis au président de laRépublique <strong>le</strong> rapport« Refondons l’éco<strong>le</strong> de laRépublique ». Vous avezparlé de diagnostic partagé,quels sont <strong>le</strong>s points quifont consensus ?« Ces progrès ne serontpossib<strong>le</strong>s qu’avec aussiune rénovation de laformation desenseignants. »N. M. Le dialogue qui s’est instauréentre des acteurs qui ont très peud’occasions de se rencontrer, apermis de construire un diagnosticenfin partagé et de <strong>le</strong>ver de nombreuxtabous <strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong>. Laconcertation a montré que desinégalités aux visages multip<strong>le</strong>sont envahi l’éco<strong>le</strong> d’un pays qui vit<strong>sur</strong> <strong>le</strong> mythe d’une République uneet indivisib<strong>le</strong> : inégalités socia<strong>le</strong>s,de genre, d’origine nationa<strong>le</strong> maisaussi territoria<strong>le</strong>s. Ces inégalités secroisent et se renforcent : <strong>le</strong>s établissementsqui accueil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> plusd’élèves en situation socia<strong>le</strong> diffici<strong>le</strong>ont une équipe d’enseignantspeu expérimentés, disposentd’une offre scolaire pauvre, ontaccès à des ressources des col<strong>le</strong>ctivitésterritoria<strong>le</strong>s limitées parcequ’il s’agit de territoires pauvres.« Ne donne-t-on pas moins à ceuxqui ont déjà moins ? », est unthème qui a animé la concertation.Ça c’est un vrai tabou qui a sauté.Autre constat, l’éco<strong>le</strong> offre peu deseconde chance, de passerel<strong>le</strong>sentre <strong>le</strong>s formations. Même si <strong>le</strong>senseignants font dans <strong>le</strong>ur classeun travail formidab<strong>le</strong>, s’est installéeune éco<strong>le</strong> de la compétition, de laconcurrence scolaire exacerbée,de l’anxiété chez de nombreuxjeunes, du consumérisme scolairechez <strong>le</strong>s parents.Que faut-il changer pourréduire de manièresignificative <strong>le</strong> nombre dejeunes sortant sansqualification ?N. M. Il faut donner à notre systèmeéducatif plus de plasticité, rendre<strong>le</strong>s filières plus poreuses, multiplier<strong>le</strong>s passerel<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong>s différentesvoies d’enseignement. IlNathalie MonsLa sociologue Nathalie Mons fait partie des quatre personnalités ayantpiloté <strong>le</strong>s travaux de la concertation pour la refondation de l’éco<strong>le</strong>. C’estel<strong>le</strong> qui a remis <strong>le</strong> rapport final au président de la République<strong>le</strong> 9 octobre dernier.faut que <strong>le</strong>s élèves aient enfin <strong>le</strong>droit de se tromper dans <strong>le</strong>urorientation sans être acculés àvivre une impasse. Il faut éga<strong>le</strong>mentà l’instar d’autres pays multiplier<strong>le</strong>s dispositifs quipermettent de revenir dans <strong>le</strong> jeuscolaire pour <strong>le</strong>s élèves qui l’ontquitté prématurément.Quel visage devrait avoirl’éco<strong>le</strong> du XXI e sièc<strong>le</strong> ?N. M. C’est une question fort large.Je ne citerai ici que deux orientationsqui sont sorties de façon saillantede la concertation. Laconcertation a tout d’abord réaffirméque nous voulions une éco<strong>le</strong>de la justice socia<strong>le</strong> pour tous,mais une justice socia<strong>le</strong> revisitée.Aux côtés des élites, en appui à laméritocratie, il s’agit aussi d’avoirun souci de tous <strong>le</strong>s élèves. Unpays se construit avec chacun deses citoyens et <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s depays étrangers qui réussissent enéducation nous montrent que soutenirtous <strong>le</strong>s élèves et fabriquerdes élites scolaires ne sont pas desobjectifs alternatifs. Plus de justicesocia<strong>le</strong> à éco<strong>le</strong>, cela signifie investirdavantage dans la première« " Ne donne-t-on pasmoins à ceux qui ont déjàmoins ? ", s’est demandé laconcertation. Ca c’est unvrai tabou qui a sauté.»étape de la scolarité - <strong>le</strong> primaire -,en y mettant plus de maîtres pourenseigner autrement, c’est aussiconsolider <strong>le</strong> soc<strong>le</strong> commun pourgarantir à chaque élève <strong>le</strong>s acquisitionsfondamenta<strong>le</strong>s, c’est réviser<strong>le</strong> fonctionnement del’Éducation prioritaire pour donnerplus à ceux qui ont moins, c’estdonner aux enfants en situation dehandicap toute <strong>le</strong>ur place à l’éco<strong>le</strong>.Ces progrès ne seront possib<strong>le</strong>squ’avec aussi une rénovation de laformation des enseignants pourqu’ils acquièrent l’expertise pédagogiquequi permet d’aiderchaque enfant.La concertation a aussi réaffirméla nécessité d’une éco<strong>le</strong> de laconfiance et du bien-être, car onapprend mieux quand on croit ensoi. Cela signifie par exemp<strong>le</strong>, uneévaluation positive qui aide l’enfantà grandir, une reconnaissancedes rythmes de l’élève, une orientationchoisie par <strong>le</strong> jeune…Justement, <strong>le</strong> mot confiancerevient à plusieurs reprisesdans votre présentation durapport. Que signifie-t-il ici ?N. M. Oui, c’est un terme qui estrevenu de nombreuses fois dansde multip<strong>le</strong>s ateliers. C’est une desva<strong>le</strong>urs qui fait <strong>le</strong> plus défaut ànotre système éducatif, mais defaçon généra<strong>le</strong> à la société française.Il s’agit à la fois de développerla confiance de l’élève enlui-même comme je viens de <strong>le</strong>dire, mais aussi la confiance entrepairs par des dispositifs pédagogiquesnouveaux encourageant laparticipation et la collaborationentre élèves. Il est aussi ressortiqu’il fallait recréer un lien deconfiance entre <strong>le</strong>s personnels del’Éducation nationa<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s élitespolitiques et administratives endonnant des missions claires àl’éco<strong>le</strong>, en suivant une politiqueéducative cohérente avec ces missions,mais aussi en interrogeant<strong>le</strong>s acteurs de terrain qui ont aussiune expertise à apporter. Ces nouveauxdialogues peuvent récréerde nouveaux liens de confiance.Propos recueillis par Pierre Magnetto25LOID’ORIEN-TATION


LOID’ORIEN-TATIONDOSSIERPrioritéà l’éco<strong>le</strong> primaireLe rapport de la concertation remis au Président de la République « Refondons l’éco<strong>le</strong> de laRépublique » insiste <strong>sur</strong> la priorité à donner au primaire. Christian Forestier, ancien recteur etancien directeur de cabinet du ministre de l’éducation nationa<strong>le</strong>, est l’un de ses rapporteurs. Iljustifie cette priorité et décline ses effets concrets que ce soit en terme de créations de postes,de plus de maîtres que de classe, de missions à la maternel<strong>le</strong> et de formation des enseignants.q Une éco<strong>le</strong> sous dotée12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201226Donner la priorité au primaire, c’est uneévidence si on prend la peine deregarder <strong>le</strong>s chiffres. La dépensemoyenne annuel<strong>le</strong> par élève est de5 500 euros en maternel<strong>le</strong> et de 5 800euros à l’éco<strong>le</strong> élémentaire, contre8 300 euros au collège, 11 600 euros aulycée et 15 000 euros en classepréparatoire. Une réalité typicallyfrench. En France, <strong>le</strong> coût d’un élève deprimaire est inférieur de 17 % à celui dela moyenne des pays de l’OCDE, alorsque <strong>le</strong> « coût » d’un lycéen est àl’inverse supérieur à 15 %. Ce sousfinancement se traduit notamment parun taux d’encadrement en élémentairesupérieur de 4 élèves par enseignantau taux moyen des pays de l’Unioneuropéenne.Source OCDE : Regards <strong>sur</strong> l’éducation 2012DÉPENSE MOYENNE POUR UN ÉLÈVE DE L’ÉLÉMENTAIRE EN ÉQUIVALENT DOLLARS DE 2009ÉTATS UNISSUÈDE9 382ROYAUME UNI 9 088ITALIE 8 669AUSTRALIE 8 3287 917JAPON 7 7297 7197 4467 3686 6196 373PAYS BASMOYENNE OCDEESPAGNEFINLANDEALLEMAGNEFRANCE11 1090 2 000 4 000 6 000 8 000 10 000 12 000


« On ne peut pas faire l’impasse<strong>sur</strong> <strong>le</strong> premier degré »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Le primaire est une prioritéaffichée par <strong>le</strong>gouvernement. Y a-t-il euconsensus pendant <strong>le</strong>sconcertations <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet ?C. F. Deux grands objectifs sontaujourd’hui assignés au systèmeéducatif. D’une part il faut qu’unjeune français <strong>sur</strong> deux obtienneun diplôme du supérieur. Etd’autre part, et peut être <strong>sur</strong>tout,il y a une exigence à réduire demanière drastique <strong>le</strong> taux d’élèves« en échec lourd », c’est à dire <strong>le</strong>taux de ceux qui sortent du systèmesans diplôme. Ils sont de 15à 20% d’une génération. Or l’essentielde cet échec lourd seconstruit pendant <strong>le</strong>s premièresannées de la scolarisation etconcerne essentiel<strong>le</strong>ment desenfants de milieux très défavorisés.D’où la nécessité évidente defaire de ces premières années del’éco<strong>le</strong> la priorité de l’engagementéducatif de ce gouvernement.Pendant la concertation, cettepriorité a été non seu<strong>le</strong>ment portéepar <strong>le</strong>s acteurs du premierdegré mais aussi par <strong>le</strong>s parentsd’élèves, <strong>le</strong>s acteurs économiques,<strong>le</strong>s grandes centra<strong>le</strong>s syndica<strong>le</strong>s,etc. On peut par<strong>le</strong>r de très largeconsensus.Comment la priorité sedécline-t-el<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>rapport que vous avezremis au Président ?C. F. S’il est exact que « tout » n’estpas un problème de moyens, auprimaire, <strong>le</strong>s moyens sont un problème.Et <strong>le</strong> rapport préconise deconsacrer prioritairement <strong>le</strong>smoyens nouveaux dégagés dans<strong>le</strong>s futures lois de finances àl’éco<strong>le</strong> primaire. Cel<strong>le</strong>-ci a été victimede sa bonne image. Depuisdes années, quand on interroge<strong>le</strong>s Français, plus <strong>le</strong> niveau monte,plus l’image se dégrade, commesi tout allait bien au primaire etque l’enseignement secondaireportait seul la responsabilité denos résultats médiocres dans <strong>le</strong>sChristian ForestierChristian Forestier est administrateur général du Conservatoire nationaldes arts et métiers (CNAM). Cet ancien recteur a été directeur decabinet du ministre de l’éducation nationa<strong>le</strong> Jack Lang en 2000. Il a étél’un des rapporteurs du rapport de la concertation « Refondons l’éco<strong>le</strong>de la République ».évaluations internationa<strong>le</strong>s. Paradoxe,<strong>le</strong>s moyens donnés à l’éducation,normaux dans l’ensemb<strong>le</strong>,sont au primaire très en deçà dela moyenne de ce qui se fait dans<strong>le</strong>s autres pays alors qu’au lycée<strong>le</strong>s dépenses sont bien supérieures.Autre proposition du rapport,l’affectation de plus demaîtres que de classes dans <strong>le</strong>séco<strong>le</strong>s des territoires en difficultépour permettre aux équipes detravail<strong>le</strong>r autrement et mieux. Il nes’agit pas là de faire seu<strong>le</strong>mentbaisser <strong>le</strong>s effectifs de classecomme dans l’expérimentationdes CP à effectifs réduits maisbien d’avoir une nouvel<strong>le</strong>approche pédagogique.La maternel<strong>le</strong> a été l’objetd’un atelier. Dans <strong>le</strong> rapport,il est dit qu’el<strong>le</strong> doit être«préservée», est-el<strong>le</strong> endanger ?« Le primaire a étévictime de sa bonneimage. »C. F. Dès la première heure, du premieratelier <strong>sur</strong> la maternel<strong>le</strong>, il ya eu un grand nombre d’interventionspour dénoncer <strong>le</strong>s dangersde la primarisation de l’éco<strong>le</strong> primaire.Je ne m’attendais pas à unetel<strong>le</strong> unanimité. On est allé beaucouptrop loin semb<strong>le</strong>-t-il dansl’identification de la GS commepremière année du cyc<strong>le</strong> desapprentissages fondamentaux.C’est pourquoi, nous proposonsde réaffirmer la GS comme partieintégrante du cyc<strong>le</strong> des apprentissagespremiers avec la PS et la MS.Nous avons aussi demandé que lamaternel<strong>le</strong> soit l’objet d’une formationspécifique. Il n’est pasquestion de créer un corps de professeursd’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> mais© BRUNO LEVY« réaffirmer la GS commepartie intégrante ducyc<strong>le</strong> des apprentissagespremiers »de reconnaître une identité et desmissions propres. Et bien évidemmentil est rappelé la nécessité deréserver l’accueil précoce, deuxans révolus, aux zones <strong>le</strong>s plus diffici<strong>le</strong>s.La formation est un élémentphare de la future loid’orientation. Quels sont <strong>le</strong>sprincipes qui ont été définispendant la concertation ?C. F. On reste perp<strong>le</strong>xe <strong>sur</strong> ce quis’est passé durant <strong>le</strong>s cinq dernièresannées pour qu’on en soitarrivé à négliger à ce point touteidée de formation professionnel<strong>le</strong>des enseignants. Il n’y a pas eudébat dans <strong>le</strong>s concertations pourfaire de cette question une nécessité.Bien sûr on pourrait à l’infinidiscuter de la place du con<strong>cours</strong>mais <strong>le</strong> sujet fondamental restequels types de formation on veutau sein des éco<strong>le</strong>s supérieures duprofessorat et de l’éducation.Nous avons émis trois préconisations.La première c’est que l’ensemb<strong>le</strong>des personnels soientformé au sein de la même structureavec une part de curriculumcommun mais que la diversité desmétiers (maternel<strong>le</strong>, élémentaire,collège, lycée professionnel...) soitreconnue dans des cursus propresavec une alternance entre l’académiqueet <strong>le</strong> professionnel. Enfin,dans ces formations des praticiensen activité doivent intervenirau côté des universitaires et desformateurs des ESPE. De plus laformation initia<strong>le</strong> ne doit pascacher l’indigence de la formationcontinue. Il faut que cette obligationsoit rendue effective pourl’état et que <strong>le</strong>s sommes consacréessoient en rapport avec <strong>le</strong>sbesoins. Propos recueillis par Lydie Buguet27LOID’ORIEN-TATION


LOID’ORIEN-TATIONDOSSIER« Et maintenant,12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201228Le secrétaire général du <strong>SNUipp</strong>analyse, depuis l’universitéd’automne où débattent chercheurset enseignants, la situationde l’éco<strong>le</strong> aujourd’hui, <strong>le</strong>sprémices d’une refondationvoulue par <strong>le</strong> gouvernement, etinsiste <strong>sur</strong> la détermination depriorités.Le président de laRépublique a pris desengagements forts <strong>sur</strong> <strong>le</strong>primaire pour unerefondation de l’éco<strong>le</strong>.En êtes-vous satisfait ?S. S. Par l’orientation affichée pourl’éco<strong>le</strong>, oui. On peut penser quec’est la moindre des choses aprèsdes années d’asphyxie, de suppressionsde postes, de remisesen cause de la formation… Disonsqu’il était temps. C’était unenécessité, tant l’exercice dumétier est devenu diffici<strong>le</strong>, <strong>le</strong>sinégalités scolaires criantes.L’éco<strong>le</strong> ne peut plus attendre.C’est pourquoi il faut passer dutemps des déclarations debonnes intentions à uneséquence de concrétisation, dudis<strong>cours</strong> aux actes. Il y a urgence,il faut que des me<strong>sur</strong>es concrètesvoient <strong>le</strong> jour dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s,pour redonner la main aux enseignants,pour s’attaquer à cettecorrélation injuste qui existe àl’éco<strong>le</strong> entre l’échec scolaire etl’origine socia<strong>le</strong>.La priorité au primaire vousconvient donc ?S. S. El<strong>le</strong> n’est pas <strong>le</strong> fruit duhasard. Aujourd’hui, la priorité auprimaire semb<strong>le</strong> al<strong>le</strong>r de soi.Mais, il a fallu mobiliser et s’imposerpour convaincre l’opinionpublique et <strong>le</strong>s élus. Le primaireest victime de sous-investissement.La France lui consacre undes budgets <strong>le</strong>s plus faib<strong>le</strong>s d’Europeà l’heure où l’on compte <strong>sur</strong>l’éco<strong>le</strong> pour doter <strong>le</strong>s générationsfutures d’armes solides face auxSébastien SihrSecrétaire général du <strong>SNUipp</strong>gigantesques défis qui se posentaux sociétés. Il faut changer ladonne et remettre <strong>le</strong> système àl’endroit en consacrant l’intelligenceet <strong>le</strong>s moyens nécessairesau primaire.C’est la première fois qu’unprésident reprend l’idée du<strong>SNUipp</strong> d’aider l’éco<strong>le</strong> parun fonctionnement incluantplus de maîtres que declasses…S. S. C’est une idée forte que <strong>le</strong><strong>SNUipp</strong> développe depuis safondation. L’idée d’une transformationde l’éco<strong>le</strong> basée <strong>sur</strong> <strong>le</strong>travail en équipe et plus demaîtres que de classes – idéetaxée d’utopiste il y a peu encore- a fait peu à peu son chemin. Çaa été une longue gestation. El<strong>le</strong>est reprise avec la perspectived’en faire un des <strong>le</strong>viers de lapriorité au primaire pour faireévoluer <strong>le</strong> fonctionnement del’éco<strong>le</strong> et repenser <strong>le</strong>s conditionsde l‘exercice du métier. Pouraider <strong>le</strong>s élèves à réussir, il fautaider <strong>le</strong>s enseignants dans <strong>le</strong>urprofessionnalité, <strong>le</strong>ur permettrede travail<strong>le</strong>r mieux et autrement.Travail en équipe, plus demaîtres que de classes, <strong>le</strong>senseignants y sont-ilsprêts ?«il faut passer du tempsdes déclarations debonnes intentions à uneséquence deconcrétisation, dudis<strong>cours</strong> aux actes. »« Chaque problème querencontrent <strong>le</strong>senseignants génère uneinitiative pédagogiquenouvel<strong>le</strong>. »S. S. Tout cela ne se décrète pas,c’est parfois diffici<strong>le</strong>, demandede la formation. Philippe Perrenouddit que <strong>le</strong>s enseignantsdevraient travail<strong>le</strong>r en équipe« de manière bana<strong>le</strong> ». Jusqu’àprésent ils n’ont pas eu la formationnécessaire pour <strong>le</strong> faire. Maisje voudrais dénoncer <strong>le</strong> faux procèsque l’on fait aux enseignantsqui ne voudraient pas réformer<strong>le</strong> système éducatif. Tous <strong>le</strong>sjours ils font la preuve de <strong>le</strong>urcapacité à faire évoluer l’éco<strong>le</strong>par ces petits riens du quotidienqui font la grande fierté dumétier. Là un projet avec parents,ail<strong>le</strong>urs un travail d’équipe <strong>sur</strong> <strong>le</strong>handicap, la <strong>le</strong>cture, <strong>le</strong> vivreensemb<strong>le</strong>… Chaque problèmeque rencontrent <strong>le</strong>s enseignantsgénère une initiative pédagogiquenouvel<strong>le</strong>. Tout cela constitueun formidab<strong>le</strong> atout <strong>sur</strong><strong>le</strong>quel <strong>le</strong> ministère serait bien inspiréde prendre appui.J’insiste éga<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> dusyndicat d’imposer des débatséducatifs de qualité.L’éco<strong>le</strong> primaire fournit parfoisun formidab<strong>le</strong> terreau à la démagogie.Que l’on se souvienne despolémiques <strong>sur</strong> la <strong>le</strong>cture ou desprovocations de Darcos <strong>sur</strong> <strong>le</strong>scouche-culottes…Sur <strong>le</strong> primaire, tout <strong>le</strong> mondes’autorise un avis comme si plus<strong>le</strong>s enfants sont petits, plus <strong>le</strong>schoses sont simp<strong>le</strong>s. Notre travail,c’est aussi de faire valoir lacomp<strong>le</strong>xité de notre métier etdes questions éducatives face àdes simplifications scanda<strong>le</strong>uses.D’où cette initiative d’uneuniversité d’automne ?S. S. Exactement. A Leucate, onpar<strong>le</strong> d’apprentissages de lanumérotation, du langage, de larelation aux famil<strong>le</strong>s... On par<strong>le</strong>d’un métier qui a toujours besoinde se professionnaliser, bien loinde toute caricature. La recherchefournit de manière régulière des


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>du concret ! »«Nous militonsfortement pour que cesrecherches irriguent <strong>le</strong>métier de manièrenaturel<strong>le</strong>. »pistes aux enseignants pour faireclasse. Pas de recettes mirac<strong>le</strong>sprêtes à l’emploi, mais desapproches pédagogiques donton sait que <strong>le</strong>s élèves <strong>le</strong>s plus fragi<strong>le</strong>stireront profit. Nous militonsfortement pour que cesrecherches irriguent <strong>le</strong> métier demanière naturel<strong>le</strong>. Par là, il y a dequoi redonner des contenussolides aux formations.Êtes-vous prêts aussià changer <strong>le</strong>s rythmesscolaires ?S. S. Il faut remettre ce débat à saplace. Il ne suffira pas de changer<strong>le</strong>s rythmes pour améliorer <strong>le</strong>srésultats de l’éco<strong>le</strong>. Or, ce quifatigue un enfant, et assombrit lajournée d’un enseignant, c’est <strong>le</strong>poids de l’échec scolaire. Laréforme des rythmes est unebonne chose si el<strong>le</strong> permet auxenseignants de mieux faire <strong>le</strong>urmétier et de repenser <strong>le</strong>s contenuspédagogiques.La journée est trop lourde, dit <strong>le</strong>ministre. C’est vrai. Mais alors laréforme doit aboutir à une journéescolaire allégée, avec plus detemps de respirations pour <strong>le</strong>sélèves comme pour <strong>le</strong>s enseignants.De fait, cette question ne peutêtre baclée et réduite aux contingencesbudgétaires <strong>sur</strong> qui doitfinancer la fin de journée...Qu’attendez-vous donc,principa<strong>le</strong>ment, de cetterefondation ?S. S. En premier lieu, la réductiondes inégalités pour la réussite detous <strong>le</strong>s enfants. Les inégalités àl’éco<strong>le</strong> sont insupportab<strong>le</strong>s,injustes socia<strong>le</strong>ment. Décrochage,précarité, exclusion : destin scolaireet destin professionnel sontaujourd’hui étroitement corrélés.Sans diplôme, sans qualification,on n’a pas de travail. Il y a 40 ans,on pouvait s’accomoder del’échec qui ne signait pas automatiquementl’impossibilité à trouverdu travail. Aujourd’hui, c’estimpossib<strong>le</strong>.Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s premièresme<strong>sur</strong>es que vous attendez ?S. S. Tout d’abord, rien ne se ferasans <strong>le</strong>s enseignants. Ils ont unavis qui doit être entendu. C'estun préalab<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>ur redonnerconfiance. Inuti<strong>le</strong> d’ouvrir tous <strong>le</strong>schantiers à la fois. Mieux vaut uncap clair et soutenu que des réformettesmal ficelées, remises deuxans après <strong>sur</strong> <strong>le</strong> tapis. L’éco<strong>le</strong> atrop souffert de ces mouvementsde balancier, el<strong>le</strong> a besoin d’untravail qui s’inscrit dans la durée.Pas seu<strong>le</strong>ment une loi posée <strong>sur</strong><strong>le</strong> papier, mais éga<strong>le</strong>ment devraies possibilités offertes auxenseignants de mettre en musiquedes priorités claires auxquel<strong>le</strong>s setenir.Quel<strong>le</strong>s priorités ?Commençons par la maternel<strong>le</strong>qui doit retrouver des cou<strong>le</strong>ursavec notamment un effort sansprécédent <strong>sur</strong> une formation spécifiqueet adpatée. Ensuite, il fautrepenser <strong>le</strong> rapport au temps(programmes, évaluation, cyc<strong>le</strong>)et s’attaquer aux inégalités enmettant notamment <strong>le</strong> paquet <strong>sur</strong>l’éducation prioritaire. N’oublionspas <strong>le</strong> dossier direction d’éco<strong>le</strong>.Des évolutions sont indispensab<strong>le</strong>sen matière de temps et dereconnaissance de la fonctionavec pourquoi pas une formationqualifiante.Sur tous ces aspects, on toucheaux conditions d’exercice dumétier qui doivent donc êtrerevues.« il ne suffira pas dechanger <strong>le</strong>s rythmespour améliorer <strong>le</strong>srésultats de l’éco<strong>le</strong>. »C’est-à-dire ?S. S. Que <strong>le</strong>s enseignants soientformés, reconnus, revalorisés.Qu’ils retrouvent un rythme detravail apaisé et serein, desespaces pour travail<strong>le</strong>r en équipe,pour trouver des solutions,construire des projets et non remplirdes tab<strong>le</strong>aux d’indicateurs.Seul on s’épuise, parfois même onsouffre. À plusieurs on est plusintelligent, on trouve des solutions,on se soutient.Le <strong>SNUipp</strong> a mené une enquêteauprès de 30 000 enseignants <strong>sur</strong><strong>le</strong> travail invisib<strong>le</strong> : la préparationde la classe, <strong>le</strong>s corrections, l’élaborationd’outils, <strong>le</strong>s recherchespour <strong>le</strong>s séances, <strong>le</strong>s rencontresavec <strong>le</strong>s parents, <strong>le</strong>s échangesavec <strong>le</strong>s collègues. Cette facecachée mais bien réel<strong>le</strong> de notretravail devrait être mieux reconnuedans <strong>le</strong>s heures de service et,conséquemment, la charge d’enseignementbaisser.Vous penchez pour uneréduction des heures faceaux élèves ?S. S. C’est un débat à avoir dans laprofession et avec <strong>le</strong> ministère. Lefait est que, lors des comparaisonsinternationa<strong>le</strong>s, il n’y pas de corrélationentre <strong>le</strong> nombre d’ heuresd’enseignement et la réussite scolaire.La Finlande n’en est pas <strong>le</strong>seul exemp<strong>le</strong>. Toutes <strong>le</strong>srecherches affirment que ce quiest déterminant, c’est <strong>le</strong> tempsréel que <strong>le</strong>s élèves passent à bienapprendre.L’État resserre drastiquementses dépenses, sauf pourl’éducation nationa<strong>le</strong>…S. S. Seu<strong>le</strong>, l’éco<strong>le</strong> ne rég<strong>le</strong>ra pastoutes <strong>le</strong>s inégalités de la société.On a donc besoin d’une politiquepublique volontariste en matièred’accés à l’emploi, au logement, àla santé... Cela passe notammentpar des services publics de qualitédont l’éco<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong>s 60 000postes promis par <strong>le</strong> Président, lapriorité au primaire ne pourra pasêtre la promesse d’un printemps.Il faut que ça se voie, que cela sevive au quotidien avec plus demoyens : “plus de maitres que declasses”, des RASED, mais aussides effectifs réduits qui sontparmi <strong>le</strong>s plus chargés d’Europe.Il est évident que <strong>le</strong> travail n’estpas <strong>le</strong> même dans une classe de30 élèves que dans une de 22.Dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s qui concentrent<strong>le</strong>s difficultés scolaires, l’allègementdoit être significatif.Et la formation ?S. S. Le <strong>SNUipp</strong> exige une formationde haut niveau. Sur ce point,il a gagné <strong>le</strong> retour de la formationprofessionnel<strong>le</strong>. Il ne s’agit paspour autant d’en revenir aux IUFMqui n’étaient pas toujours suffisammentarmés pour véhicu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ssavoirs professionnels propres àl’éco<strong>le</strong> primaire. Sans réel<strong>le</strong> formation,tout se passe comme si chacundans son coin, on devaitréinventer <strong>le</strong> métier. C’est épuisant.Il faut faire entrer à l’universitédes professeurs des éco<strong>le</strong>squi pourront être <strong>le</strong>s formateursde demain tout en alimentantl’éco<strong>le</strong> de nouveaux savoirs professionnelsdont on sait qu’ilsbénéficient aux plus fragi<strong>le</strong>s. C’estaussi cela, la priorité au primaire !Propos recueillis par Jacques Mucchielli29LOID’ORIEN-TATION


APP-RENTIS-SAGESDOSSIERRechercheLa boîte à outils12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201230« Comment faire apprendre ? » la question permanente que se posent<strong>le</strong>s enseignants dans <strong>le</strong>ur vécu professionnel quotidien. Des étudessont menées <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s savoirs initiaux, la reconnaissance et <strong>le</strong>traitement des erreurs, <strong>le</strong>s démarches d’investigation, <strong>le</strong>scompétences clés. Tout au long de la chaîne d’apprentissage, larecherche apporte des réponses structurées aux questions vivessou<strong>le</strong>vées dans l’exercice du métier.Qu’ils soient bébés, en maternel<strong>le</strong> ouscolarisés en cyc<strong>le</strong>s 2 et 3, <strong>le</strong>senfants ignorent des choses maisen savent déjà beaucoup et <strong>le</strong>senseignements ou <strong>le</strong>s activitésdoivent prendre en compte ce savoir déjàprésent pour permettre l’apprentissage.Rien de nouveau, pensera-t-on ? « Quandil se présente à la culture scientifique, l’espritn’est jamais jeune. Il est même trèsvieux, car il a l’âge de ses préjugés, écrivaitGaston Bachelard en 1938, accéder à lascience, c’est spirituel<strong>le</strong>ment rajeunir,c’est accepter une mutation brusque quidoit contredire un passé.» Voilà longtempsque la recherche a appris aux enseignantsque <strong>le</strong>s conceptions initia<strong>le</strong>s pouvaientfaire obstac<strong>le</strong> à la construction de savoirsnouveaux. Emmanuel Sander renouvè<strong>le</strong> cedis<strong>cours</strong> en évoquant <strong>le</strong>s « connaissancesnaïves », formées spontanément et dès <strong>le</strong>plus jeune âge à partir des expériencespropres de l’enfant. Loin d’être des obstac<strong>le</strong>saux apprentissages, el<strong>le</strong>s doivent enêtre <strong>le</strong> support. Il serait vain et contreproductifde tenter de <strong>le</strong>s éradiquer car el<strong>le</strong>ssont valab<strong>le</strong>s dans de nombreux contextes.Daniè<strong>le</strong> Cogis ne dit pas autre chose. El<strong>le</strong>milite pour que, comme en science ou enmathématiques, <strong>le</strong>s erreurs orthographiquessoient considérées comme un étatde la conceptualisation de la norme orthographique,un point de départ propice auxapprentissages. Pierre Léna par<strong>le</strong> lui deces « petites idées » que <strong>le</strong>s élèves ont deschoses à l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong>domaine des sciences, <strong>le</strong>s démarches d’investigationdès <strong>le</strong> plus jeune âge vont per-qChasser l’impliciteet l’invisib<strong>le</strong> desapprentissagesNombre de chercheurs présents à PortLeucate insistent <strong>sur</strong> la nécessaire explicitationdu travail qui est demandé aux élèves. Rendrevisib<strong>le</strong> ce qui est invisib<strong>le</strong>. Dire ce que l’on faitet pourquoi on <strong>le</strong> fait. Annoncer ce qui estderrière la tâche. Traquer tout ce qui dans lapratique fait passer pour acquis ce qui n’a pasété appris. Des préconisations au cœur destravaux du réseau Réseida et de l’équipe Escolde Paris 8. Parmi <strong>le</strong>s facteurs identifiés del’échec scolaire, ils ont mis en évidence <strong>le</strong> faitque <strong>le</strong>s enseignants présupposent souventdes dispositions et <strong>le</strong>s modes de faire cheztous <strong>le</strong>s élèves alors que seuls <strong>le</strong>s plusfamiliers de l’univers scolaire <strong>le</strong>s maîtrisent. Ilspointent éga<strong>le</strong>ment que certains modes d’aideet d’adaptation aux élèves en difficulté, loin deréduire <strong>le</strong>s inégalités, peuvent <strong>le</strong>s renforcer.Culpabilisant ou éclairant pour <strong>le</strong>senseignants qui doivent trouver <strong>le</strong> cadreadapté à <strong>le</strong>ur intervention : ni un guidage tropserré ou un <strong>sur</strong>-étayage qui ne proposeraitaux élèves que des tâches à faib<strong>le</strong> potentielcognitif, ni un guidage trop lâche qui n’offreaucun repère, ni aucune progression..../...


APP-RENTIS-SAGESDOSSIER12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201232qÉvaluation etdispositifsd’apprentissage.../...« Évaluer est moins uti<strong>le</strong> qu’enseigner, <strong>sur</strong>toutsi on évalue ce qu’on n’a pas enseigné.»Chuchotements d’approbation dans la sal<strong>le</strong> àcette intervention de Sylvie Cèbe. Dans cetteuniversité d’automne, l’accent est mis <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ssituations d’apprentissage et <strong>le</strong>s dispositifsd’enseignement plutôt que <strong>sur</strong> l’évaluation.L’évaluation n’est pas reniée bien sûr, nidéclarée inuti<strong>le</strong> mais il semb<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong>reprenne une plus juste place dans <strong>le</strong>sdémarches d’apprentissages. Une évaluationplus positive, au service des élèves, me<strong>sur</strong>ant<strong>le</strong>s progrès plutôt qu’un écart à une norme.Une évaluation au service du maître pourpiloter <strong>le</strong>s apprentissages, me<strong>sur</strong>er comment<strong>le</strong>s élèves automatisent et mémorisent. Ilétait temps de desserrer l’étau d’uneévaluation omniprésente durant ces dernièresannées. Présentée comme une panacéedevant servir tout à la fois aux famil<strong>le</strong>s, àl’institution, aux enseignants et aux élèves,el<strong>le</strong> asphyxiait <strong>le</strong>s pratiques pédagogiques. ÀPort Leucate, cette année, tous sont attentifsaux démarches, aux procédures, au« comment enseigner pour que tous <strong>le</strong>s élèvesapprennent ? »mettre de faire évoluer ces petites idéesvers des notions-clés. Reconnaître, identifier,accueillir <strong>le</strong>s erreurs, comprendre <strong>le</strong>cheminement intel<strong>le</strong>ctuel des élèves,notamment ceux en difficultés, deviennentdonc des nécessités. Dans la chaîne d’apprentissage,bien connaître <strong>le</strong>s compétencesvisées en est une autre. Dans cettearticulation entre <strong>le</strong>s difficultés constatéeschez <strong>le</strong>s élèves et la réf<strong>le</strong>xion <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s compétencesà atteindre, A<strong>le</strong>xandre Ployé proposeune démarche de conceptualisationet de construction progressive de la pluralitédes temps historiques. La constructionhistorique du récit paraît naturel<strong>le</strong>mais el<strong>le</strong> fait appel à des compétencesnombreuses et comp<strong>le</strong>xes qui demeurentparfois des « impensés pédagogiques».Sylvie Cèbe invite el<strong>le</strong> aussi à une réf<strong>le</strong>xion<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s compétences, <strong>sur</strong> cel<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong>appel<strong>le</strong> « <strong>le</strong>s compétences critiques»,cel<strong>le</strong>s qui font la différence à un momentdonné de l’apprentissage et se transformenttrès vite en inégalités de réussite.qOù sont <strong>le</strong>s passeurs ?Fidè<strong>le</strong> à sa volonté de toujours fournir desoutils pédagogiques et didactiques auxenseignants, el<strong>le</strong> détail<strong>le</strong> des pratiquesd’enseignement de la compréhension en<strong>le</strong>cture que <strong>le</strong>s enseignants retrouverontbientôt dans « Lectorino & Lectorinette»,la version CE1/ CE2 de « Lector & Lectrix ».Au centre de l’apprentissage la questiondu sens reste évidemment présente. Unsens qui se construit avec <strong>le</strong>s élèves ensituation dans la relation et l’interactioncomme dans la démarche en activité physiqueque nous détail<strong>le</strong> Marcel Jal<strong>le</strong>t. C’est<strong>le</strong> conte ici qui va faire entrer <strong>le</strong>s jeunesenfants dans l’activité. Autant d’entrées<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s pratiques enseignantes quidonnent, <strong>sur</strong> ces questions et <strong>sur</strong> cel<strong>le</strong>sdes difficultés face aux apprentissages, unregard professionnel nouveau et revigorant.A<strong>le</strong>xis BisserkineEntre la recherche et <strong>le</strong> terrain ? Qui est là ? Qui va aider <strong>le</strong>s enseignants à traduire <strong>le</strong>s savoirsissus de la recherche, à éclairer la comp<strong>le</strong>xité du métier ? Face à l’absence d’espaces demédiation institutionnels, <strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong> tient ce rô<strong>le</strong> de passeur avec son site, la revue Fenêtres <strong>sur</strong>Cours et bien sûr son université d’automne. Les chercheurs sont là, ils partagent. À la sortie desconférences, on peut voir des conseil<strong>le</strong>rs pédagogiques demander aux intervenants <strong>le</strong>ursdiaporamas pour alimenter <strong>le</strong>urs prochaines animations pédagogiques de circonscription, desenseignants échanger <strong>sur</strong> ce qu’ils devraient faire en classe pour tenir compte de ce qu’ils ontentendu et qui <strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong> pertinent. Les chercheurs eux-mêmes deviennent des passeurs : enparcourant de nombreux départements à l’appel des équipes départementa<strong>le</strong>s ou decirconscription, ils diffusent <strong>le</strong>urs travaux. Ou bien encore, ils élaborent des outils pédagogiquesen direction des enseignants. « Le maçon ne doit pas inventer <strong>le</strong> béton et la truel<strong>le</strong>, pourquoi <strong>le</strong>senseignants devraient-il fabriquer <strong>le</strong>urs outils ? » dit encore Sylvie Cèbe.


APP-RENTIS-SAGESATELIERCOMPRÉHENSIONLectureCréation d’un prototypeSylvie Cèbe, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’IUFM d’Auvergne, a travailléavec Roland Goigoux à la conception d’outils pédagogiques et didactiques centrés <strong>sur</strong>l’enseignement de la compréhension à l’éco<strong>le</strong> primaire. Actuel<strong>le</strong>ment, ils achèvent Lectorino &Lectorinette, petit frère de Lector & Lectrix publié en 2009. Destiné aux enseignants des CE1et CE2, ce nouvel outil a d’ores et déjà été mis en œuvre par une trentaine d’enseignantsordinaires dans <strong>le</strong>ur classe et ce sont <strong>le</strong>s résultats de cette première expérimentation qui ontété présentés à l’université d’automne du Snuipp.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201234q Une expérience génia<strong>le</strong>Catherine Chassain a testé pendantdeux mois, <strong>le</strong> prototype« Lectorino & Lectorinettes »créé par Sylvie Cèbe dans saclasse de CE1, à Mercœur.Une éco<strong>le</strong> située en zone Eclair à C<strong>le</strong>rmont-Ferrand.« L’expérience a été trèsconcluante, indéniab<strong>le</strong>ment, cela a changébeaucoup de choses dans la classe. On atravaillé environ deux mois <strong>sur</strong> deuxtextes . Concrètement, c’est un gros travailautour du <strong>le</strong>xique et dans nos classes c’estune vraie nécessité », évoque CatherineChassain. Comment marche <strong>le</strong> prototype ?Grâce à des activités ludiques, Lectorino& Lectorinettes donne des moyens d’apprentissage,qui ont créé un engouementdes élèves pour la maîtrise de mots. Mieux,ce travail est resté ancré dans <strong>le</strong>ur tête, cequi n’est pas forcément évident. « D’ail<strong>le</strong>urs,ma collègue de CE2 qui a repris maclasse cette année a senti un réel changement.Un exemp<strong>le</strong>, Lectorino & Lectorinettesa mis en place une activité pourremplir <strong>le</strong>s blancs dans un texte. On a remplacé<strong>le</strong>s mots qui pouvaient poser problème,être compliqués, par schtroumpf,cela a appris aux enfants à mener <strong>le</strong>urréf<strong>le</strong>xion sans re<strong>cours</strong> au dictionnaire, ens’appuyant <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s éléments extérieurs »explique l’enseignante. C’est d’ail<strong>le</strong>ursdevenu une habitude dans la classe deCatherine Chassain, <strong>le</strong>s élèves n’hésitaientpas à interpel<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur institutrice… « Alorsmadame, ce mot, on va <strong>le</strong> schtroumpfer ».Cela a été un élément de valorisation et aoffert aux élèves la capacité à apprendreet à jouer avec <strong>le</strong>s mots ». Au final CatherineChassain est ravie de Lectorini & Lectorinettes« Cela a modifié mes méthodesd’apprentissage et même si cela nousbouscu<strong>le</strong>, c’est génial ! »


« Des compétences requisesaux pratiques d’enseignement »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourquoi proposer un outilvisant <strong>le</strong> développement dela compréhension en<strong>le</strong>cture ?S C. Quand on s’intéresse à l’enseignementde la <strong>le</strong>cture à l’éco<strong>le</strong>primaire, on constate que celuidu code est très efficace. Toutes<strong>le</strong>s évaluations nationa<strong>le</strong>s etinternationa<strong>le</strong>s montrent que,dans ce cas, l’éco<strong>le</strong> française faitparticulièrement bien son travailpuisqu’on ne compte que 4 % desélèves qui, à l’entrée en sixième,ont encore des difficultés importantesdans ce domaine. Ce quiest plus préoccupant pour notresystème éducatif, ce sont ces 20à 30 % d’élèves qui, en dépit d’undécodage relativement efficace,ont du mal à comprendre cequ’ils lisent. La comparaison desrésultats aux évaluations nationa<strong>le</strong>s(de 1991 à 2008) montreque ce pourcentage ne varie pasbeaucoup malgré <strong>le</strong>s dispositifsde soutien et autres plans personnalisésmis en œuvre. Deplus, la compréhension en <strong>le</strong>ctureest l’un des domaines dans<strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s différences entreélèves de milieux sociauxcontrastés sont <strong>le</strong>s plus importantes.C’est pourquoi à la suitedes résultats de l’évaluation CM2de 2011, la DGESCO a adresséune circulaire aux maîtres <strong>le</strong>senjoignant à enseigner autrementla compréhension.Les différences initia<strong>le</strong>speuvent-el<strong>le</strong>s setransformer en inégalitésde réussite ?« améliorer la qualitédes apprentissages desélvèves »Sylvie cèbeSylvie Cèbe est maître de conférences en sciences de l’éducation àl’IUFM d’Auvergne, Université Blaise-Pascal, C<strong>le</strong>rmont-Ferrand. El<strong>le</strong> estmembre du laboratoire Activité, Connaissance, Transmission, Éducation(ACTé – EA 4281).El<strong>le</strong> a publié plusieurs ouvrages dont Lector & Lectrix : apprendre àcomprendre <strong>le</strong>s textes narratifs avec Roland Goigoux, Paris, Retz, 2009.S C. Chercheurs et enseignantssont mis face à la même question,cel<strong>le</strong> de savoir quel<strong>le</strong>s sont<strong>le</strong>s me<strong>sur</strong>es à prendre pour éviterque <strong>le</strong>s différences d’efficienceinitia<strong>le</strong>s ne setransforment en inégalités deréussite. Pour y répondre, il fautd’abord connaître <strong>le</strong>s compétencescritiques c’est-à-direcel<strong>le</strong>s qui font la différence à unmoment donné, compte tenu del’âge des élèves et qui, à ce titre,doivent être <strong>le</strong>s cib<strong>le</strong>s de l’enseignement.Mais il faut aussi seprononcer <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s pratiques d’enseignement<strong>le</strong>s plus capab<strong>le</strong>s de<strong>le</strong>s faire acquérir efficacement etdurab<strong>le</strong>ment.Comment faire changer <strong>le</strong>spratiques ?S C. Si on veut améliorer <strong>le</strong>s compétencesdes élèves, il ne faut pascompter uniquement <strong>sur</strong> eux maisaussi et <strong>sur</strong>tout <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s maîtres. Etsi tous <strong>le</strong>s maîtres sont d’accordavec cette affirmation, ils nesavent pas toujours comment s’yprendre « autrement ». Et, selonnous, c’est aux chercheurs querevient la charge de <strong>le</strong>s aider enconcevant pour eux et avec eux<strong>le</strong>s outils nécessaires à l’infléchissementdes pratiques.Comment Lectorino &Lectorinette a-t-il étéconçu ?S C. Nous avons rédigé un premierprototype en nous appuyant <strong>sur</strong><strong>le</strong>s recherches menées dans <strong>le</strong>domaine de la compréhension en<strong>le</strong>cture, des difficultés <strong>le</strong>s plusfréquentes des élèves et <strong>le</strong>s pratiqueshabituel<strong>le</strong>s des enseignants.Ce premier prototype a ensuiteété mis à l’épreuve dans <strong>le</strong>sclasses via <strong>le</strong> travail que nousavons mené avec une équipe« resserrée » de six enseignants.Nous n’avons jamais perdu devue la finalité de l’outil : améliorerla qualité des apprentissages desélèves.« Nous préconisonsla mise en œuvre d’unenseignement explicitedans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> maîtreà un rô<strong>le</strong> centralà jouer. »Vous avez donc créé undeuxième prototype ?S C. Oui, au terme du travail menéavec notre équipe « resserrée »,nous avons rédigé un deuxièmeprototype qui a été mis en œuvrepar 20 nouveaux enseignantsn’appartenant pas à l’équipe deconcepteurs. Nos étudiants enMaster sont allés observer danschaque classe la manière dontceux-ci utilisaient l’outil.Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s grandeslignes de ce prototype ?S C. Il se base <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s éléments fondamentauxde la compréhensionen <strong>le</strong>cture et, à ce titre, visentquatre priorités . D'abord l’apprentissageet l’automatisationdu décodage, notamment à traversla recherche de fluidité de la<strong>le</strong>cture à haute voix, <strong>le</strong>s apprentissages<strong>le</strong>xicaux. C'est aussil’amélioration des inférences, soitdes reformulations pour suppléeraux blancs du texte. Troisièmepoint, des explicitationsdes états mentaux des personnageset enfin <strong>le</strong> développementdes compétences narratives enréception et en production.Pour atteindre ces objectifs, nouspréconisons la mise en œuvred’un enseignement explicitedans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> maître à un rô<strong>le</strong>central à jouer. Autrement dit,nous ne choisissons pas de laisseraux élèves la charge de toutdécouvrir par eux-mêmes ou detout construire. Au contraire,nous invitons <strong>le</strong>s enseignants àmettre en œuvre un guidageeffectif et serré. PROpos recueillis parFabienne Berthet35APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIERORTHOGRAPHEOrthographeOn refonde !« On peut continuer à compter <strong>le</strong>s fautes ou avoir une approche qualitative, on peut évaluer <strong>le</strong>smanques ou bien me<strong>sur</strong>er <strong>le</strong>s acquis. On peut ne voir que <strong>le</strong>s programmes ou bien partir desélèves. On peut faire de la norme orthographique un point de départ ou au contraire un but àatteindre ». Daniè<strong>le</strong> Cogis sort <strong>le</strong> débat orthographique du café du commerce pour <strong>le</strong> replacerau cœur de la recherche. El<strong>le</strong> nous invite à un nécessaire changement de pratique, possib<strong>le</strong>pour peu qu’il soit accompagné.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201236q La formation, sans faute !des supports telsque la dictée, <strong>le</strong>senseignants nesavent pas légitimer«Sur<strong>le</strong>urs pratiques quidépendent beaucoup de la façon dont ilsont appris eux-mêmes. L’enjeu de la formationest donc d’importance.» HervéBaud, IEN, introduit la conférence deDaniè<strong>le</strong> Cogis, conviée dans l’Ain pourprolonger la formation des formateurs dudépartement. « Les démarches en orthographesont en retard quand on <strong>le</strong>s compareaux maths avec la résolution deproblèmes ou aux sciences avec ladémarche d’investigation» poursuit l’inspecteurdevant la trentaine de formateursprésents, IEN, CPC et PEMF. « Cette formationnous fait du bien, el<strong>le</strong> nous confortedans l’idée qu’il faut s’attacher aux notionsclés et partir des élèves, si on veut qu’il yait apprentissage, confie une CPC, mais ily a <strong>sur</strong> <strong>le</strong> terrain une demande forte deprogrammations, de planification pour êtresûr de répondre aux demandes de l’institution.»Une collègue poursuit « si <strong>le</strong>s inspecteurss’inscrivent dans la démarche,cela permet plus faci<strong>le</strong>ment de mettre àdistance cette pression des programmeset des progressions. C’est important pournous <strong>sur</strong>tout avec <strong>le</strong>s enseignants débutants».La formation implique un réaménagementde la prescription, la cohérenceentre <strong>le</strong>s formateurs semb<strong>le</strong> l’autoriser. Unautre conseil<strong>le</strong>r confirme « Dans notre circonscription,ça marche. Suite au stage del’année dernière <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s ateliers de négociationgraphique, des équipes entières sesont engagées. El<strong>le</strong>s expérimentent et onpeut <strong>le</strong>s accompagner.»


« L’apprentissage, pas l’obéissance »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Refonder l’orthographe,c’était aussi l’objectif duprécédent ministre del’éducation nationa<strong>le</strong> ?D. C. Oui mais cette circulaire secontentait de recommander « unenseignement explicite et progressifde l’orthographe » ainsiqu’ « une attention permanente »à cel<strong>le</strong>-ci. Mais c’est ce que fonttous <strong>le</strong>s enseignants ! De plus, <strong>le</strong>dépliant qui l’accompagnait proposait« quelques pistes d’exercicesuti<strong>le</strong>s », dans <strong>le</strong> désordre, enfaisant l’impasse <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s nombreusespistes de travail issuesdes recherches de ces 20 dernièresannées en France et ail<strong>le</strong>urs.On était loin d’une réformeen profondeur de l’enseignementde l’orthographe.Pourtant, il y a urgence,vous avez-vous-mêmepointé la baisse de niveaudes élèves.D. C. Oui mais la baisse de niveaune signifie pas une baisse de l’apprentissage: l’éco<strong>le</strong> fait encoreapprendre et <strong>le</strong>s élèves progressenttoujours au <strong>cours</strong> de <strong>le</strong>urscolarité. Il faut tenir compte d’uncontexte diffici<strong>le</strong> : <strong>le</strong>s missions del’éco<strong>le</strong> se multiplient, <strong>le</strong>s exigencessont plus fortes, ondemande aux élèves d’écrirecomme des professionnels alorsque <strong>le</strong> volume horaire du françaisa diminué. Comme <strong>le</strong> dit PierreEncrevé, « on voudrait qu’on fasseaussi bien que <strong>le</strong>s autres alorsqu’on a l’orthographe la plus diffici<strong>le</strong>au monde et aussi bienqu’avant alors qu’on a deux foismoins de temps pour <strong>le</strong> faire ».Pour refonder l’orthographe, ilfaut rompre avec <strong>le</strong> cadre de lafaute. Mais on commente toujours<strong>le</strong>s résultats des élèves par l’irréf<strong>le</strong>xionet la négligence : entre lafaute et la norme il n’y a rien, cequi revient à faire l’impasse <strong>sur</strong>l’apprentissage. Pourquoi cettedifférence entre <strong>le</strong>s sciences etl’orthographe qui, el<strong>le</strong>, n’est pasDaniè<strong>le</strong> CogisDaniè<strong>le</strong> Cogis est chercheuse en linguistique au laboratoire MoDyCo del’Université de Paris Ouest. El<strong>le</strong> a été maître de conférences en sciencesdu langage à l’IUFM de Paris (Université de Paris Sorbonne). El<strong>le</strong>poursuit des recherches <strong>sur</strong> l’acquisition et l’apprentissage del’orthographe, <strong>sur</strong> <strong>le</strong> niveau orthographique des élèves, ainsi que <strong>sur</strong> <strong>le</strong>sdémarches didactiques innovantes et <strong>le</strong>ur appropriation par <strong>le</strong>senseignants. Derniers ouvrages parus : Comment enseignerl’orthographe aujourd’hui (Hatier 2011) avec Catherine Brissaud,Orthographe, à qui la faute ? (ESF 2007) avec Daniè<strong>le</strong> Manesse,Pour enseigner et apprendre l’orthographe (Delagrave 2005).considérée comme un objet deformation ? On considère l’erreurcomme un indice du niveau deconceptualisation en maths, maispas en orthographe.Il faut donc modifier notrereprésentation del’orthographe ?D. C. Nous devons en effet adopterune autre perspective centrée <strong>sur</strong>l’acquisition et l’apprentissage etpas <strong>sur</strong> l’obéissance. C’est-à-diretravail<strong>le</strong>r l’orthographe commeun système en étudiant prioritairementses régularités. Ensuitetravail<strong>le</strong>r « <strong>le</strong> mur invisib<strong>le</strong> desconceptions orthographiques»en permettant qu’el<strong>le</strong>s s’expriment.Enfin travail<strong>le</strong>r l’intégrationde l’orthographe à la productiond’écrits. Il faut en finir avec <strong>le</strong>modè<strong>le</strong> traditionnel : <strong>le</strong>çon,exemp<strong>le</strong>, règ<strong>le</strong>, exercices, dictée,correction. On compte <strong>le</strong>s fauteset on recommence parce que çane marche pas sans remettre encause <strong>le</strong> postulat de départ. Ondoit travail<strong>le</strong>r mieux dans un cadrehoraire qui a diminué . Des dispositifsinnovants existent.Lesquels ?D. C. Dans <strong>le</strong>s recherches didactiquesde ces dernières années, ily a des convergences fortes <strong>sur</strong><strong>le</strong>s principes et <strong>le</strong>s activités à promouvoir.D’abord <strong>le</strong> fait de différentier<strong>le</strong>s connaissances et <strong>le</strong>urmise en œuvre : si un élève ne metpas un « s » au pluriel, cela nesignifie pas qu’il ne connait pas larèg<strong>le</strong>. S’il écrit « ont va aucinéma », ce n’est pas parce qu’il« Des dispositifsinnovants »a confondu avec <strong>le</strong> verbe avoirmais parce qu’il pense que « on »c’est plusieurs et au pluriel on meto-n-t. La réf<strong>le</strong>xion méta linguistiquedoit donc occuper une placecentra<strong>le</strong>. Il ne suffit pas de répéterpour comprendre. Les recherchesmontrent encore l’intérêt des activitésde résolution de problèmes.El<strong>le</strong>s insistent <strong>sur</strong> la durée, l’intensitéet la répétition nécessairesdans <strong>le</strong>s activités orthographiques.Enfin, el<strong>le</strong>s préconisentde partir soit de la norme soit desécrits spontanés des élèves et de<strong>le</strong>s confronter.Des exemp<strong>le</strong>s ?D. C. Dans la « phrase dictée dujour », après la dictée et <strong>le</strong> recueildes différentes graphies, <strong>le</strong>sélèves vont débattre <strong>sur</strong> un mot.Le but est de permettre auxélèves de dire et s’entendre direcomment ils ont fait, pour qu’ilsprennent conscience de <strong>le</strong>ursprocédures et en évaluent <strong>le</strong>bienfondé. C’est un temps capital.La difficulté pour l’enseignantest de ne pas donner la réponse,ne pas valider tout de suite.Ensuite la classe échange pourélaborer la norme et on introduitla notion de preuve. Dans la« phrase dictée donnée », il y adictée, re<strong>le</strong>cture et correctionpersonnel<strong>le</strong>, puis confrontationavec la phrase normée écrite autab<strong>le</strong>au. L’élève doit justifier lanorme avant la formalisation.Nous avons maintenant desétudes qui montrent que <strong>le</strong>s progrèssont accentués avec ces dispositifs.Les difficultésorthographiques persistent maisdavantage d’élèves franchissentdes étapes. On peut donc gagneren se remobilisant <strong>sur</strong> l’enseignementde l’orthographe.Propos recueillis par A<strong>le</strong>xis Bisserkine37APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIERHISTOIREHistoireorganiser <strong>le</strong> tempsL’histoire à l’éco<strong>le</strong> est nourrie du récit, ces histoires au cœur des démarches historiennes etque racontent <strong>le</strong>s enseignants puis que construisent <strong>le</strong>s élèves. Cet objet est souventconsidéré comme naturel. Et pourtant, A<strong>le</strong>xandre Ployé montre que cet allant de soi est pavéde pièges si l’on ne prend pas la peine de mettre à jour <strong>le</strong>s compétences nécessaires à sacompréhension. Et si <strong>le</strong> récit du sacre de Char<strong>le</strong> VII ouvrait <strong>sur</strong> la question du pouvoir auMoyen-Âge et pouvait contribuer à donner du sens à l’Histoire ?12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201238q De Jeanne d’Arc au pouvoir royalDans <strong>le</strong>s repères aux programmesparus au BO de janvierde 2008, Jeanne d’Arc està étudier au CM1. Les élèvesdoivent « être capab<strong>le</strong>s deraconter brièvement <strong>le</strong>s principaux épisodesde la vie de Jeanne d’Arc et <strong>le</strong> récitde ses actions ». Plutôt que de se perdredans des anecdotes <strong>sur</strong> <strong>le</strong> poids de sonarmure ou sa mort <strong>sur</strong> <strong>le</strong> bûcher, A<strong>le</strong>xandrePloyé propose de se concentrer <strong>sur</strong> l’épisodequi emmène cette figure de l’Histoirede France de Domrémy à Reims et décritune démarche qui permet de caractériser<strong>le</strong> pouvoir de la fin du Moyen-Âge. A partirde 4 à 5 documents comprenant carte,textes, iconographie du sacre, chronologie,<strong>le</strong>s élèves sont amenés, partant de l’étayagestructurant d’un questionnaire, à faire lachronique de sa chevauchée. Ce récitconduira <strong>le</strong>s élèves à se questionner <strong>sur</strong><strong>le</strong>s raisons qui l’ont amenée à emmener <strong>le</strong>dauphin à Reims. L’explication « <strong>le</strong> Dauphinn’est pas vraiment roi tant qu’il n’a pas reçul’onction » permet alors de poser la questiondu pouvoir de nature religieuse. Mais<strong>le</strong> travail ne s’arrête pas là. Plus tard dansl’année, la chronique de la prise de la Bastil<strong>le</strong>,sera l’occasion de revenir à ce conceptde « pouvoir ». Le récit de cet épisode permetd’expliquer qu’alors <strong>le</strong> pouvoir royal et<strong>le</strong> pouvoir populaire s’affrontent. Le nouveauconcept de souveraineté nationa<strong>le</strong> quipermettra d’entrer dans <strong>le</strong> 19 e sièc<strong>le</strong> estposé. Ces concepts organisateurs, comme<strong>le</strong> pouvoir, la souveraineté ou <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>pour <strong>le</strong>s 19 e et 20 e sièc<strong>le</strong>s, permettent, selon<strong>le</strong> chercheur, de créer l’unité dans la disparité,de relier ce qui semb<strong>le</strong> délié.


« Mettre en intrigue la matièrehistorique »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>L’enseignement de l’histoirene va, selon vous, pas desoi ?A P. Quand on observe certainespratiques en classe, l’Histoireapparaît quelquefois commeune succession d’événementsqu’il suffirait de posséder, uneapproche qu’on pourrait résumerpar « l’Histoire ça se transmetet ça s’apprend ». Lesenseignants sont porteurs decette représentation comme <strong>le</strong>reste de la population. Or, non,l’Histoire, ça ne va pas de soi. Lamaitrise du vaste matériau historiqueest comp<strong>le</strong>xe. Si onobserve <strong>le</strong>s élèves, on se rendcompte que l’apprentissage del’histoire soulève des besoinsd’apprentissage d’ordres cognitif,psycho-affectif et culturel.Le récit, pratique courante,pose-t-il des difficultésparticulières ?A P. La question du récit mesemb<strong>le</strong> emblématique. Il estconsidéré comme une constanteanthropologique ; il apparaîtnaturel de raconter des histoiresen Histoire. Cette « naturalité »du récit peut s’avérer un piègepour nombre d’élèves ne maîtrisantpas <strong>le</strong>s compétences attachéesà l’usage du récit.Compétences liées à la constructiondu temps, à la maîtrise de lalangue et des concepts sousjacentsà l’Histoire, ou liéesencore aux opérations cognitivesqui décou<strong>le</strong>nt des deuxcompétences majeures composant<strong>le</strong> récit que sont « raconter »et « expliquer ». Les élèveséprouvent parfois des difficultésdans l’organisation logique etconceptuel<strong>le</strong> de ce qu’ilsracontent.«articu<strong>le</strong>r ces récitsà des concepts »A<strong>le</strong>xandre PloyéA<strong>le</strong>xandre Ployé a été treize ans professeur d’histoire-géographie dansplusieurs collèges de Région parisienne. Puis, formé à la prise en chargedes élèves handicapés, il a enseigné l’histoire à des élèves d’UPI (ULIS).Cette expérience lui a permis de réfléchir aux difficultés propres àl’apprentissage de l’histoire et à cel<strong>le</strong>s de son enseignement. Devenuensuite formateur d’enseignants spécialisés, notamment de SEGPA,avec <strong>le</strong>squels il expérimente des dispositifs d’enseignement de l’histoireauprès d’élèves en grande difficulté, il est actuel<strong>le</strong>ment responsab<strong>le</strong> desformations ASH pour l’IUFM de l’académie de Créteil (UPEC). Il est parail<strong>le</strong>urs doctorant en sciences de l’éducation à Paris VIII, l’éco<strong>le</strong> inclusiveconstituant son champ de recherche. Enfin, il co-dirige actuel<strong>le</strong>mentl’écriture de manuels scolaires en histoire.Qu’en est-il des difficultéspsycho-affectives etculturel<strong>le</strong>s ?A P. Mon intérêt se portant <strong>sur</strong> <strong>le</strong>sélèves à besoins spécifiques,re<strong>le</strong>vant du handicap mental, j’aipu constater chez eux des difficultésqu’on pourrait croire singu l i è re s : n é g ation o uécrasement du passé, dilatationdu présent, confusion entre fiction(voire fantaisie) et réalité,etc. Or ces constats meparaissent avoir une va<strong>le</strong>ur heuristiquepour penser <strong>le</strong>s difficultésde certains élèves ordinairesà construire <strong>le</strong> temps historique.Il n’est pas rare de rencontrerencore au collège des élèvesincapab<strong>le</strong>s de penser l’histoireen dehors de <strong>le</strong>ur expériencepropre. Ils n’ont pas construit dereprésentation chronologiquede l’histoire et ne relient pas <strong>le</strong>sévénements entre eux. Lesenjeux mémoriels de l’enseignementde l’Histoire, analysant <strong>le</strong>passé à l’aune des va<strong>le</strong>urs duprésent peuvent aggraver cesdifficultés. L’histoire que l’onenseigne révè<strong>le</strong> <strong>le</strong> point de vuedu pays où el<strong>le</strong> s’enseigne. Or,beaucoup de nos élèves portentdes visions de l’histoire différentesqui peuvent créer un chocentre des visions du monde différentes.Ce n’est pas nouveau,et l’éco<strong>le</strong> laïque a connu des tensionsentre la République etl’Eglise au début du 20 e . Mais cerapport à la matière historiquedoit être pris en compte car l’histoiren’est pas neutre.Quel<strong>le</strong>s pratiques <strong>le</strong>senseignants peuvent-ilsmettre en place pour aider<strong>le</strong>s élèves ?A P. La démarche que je travail<strong>le</strong>notamment avec <strong>le</strong>s enseignantsde SEGPA vise à mettre enintrigue la matière historique par<strong>le</strong> récit et à articu<strong>le</strong>r ces récits àdes concepts. Par exemp<strong>le</strong>, il estdiffici<strong>le</strong> de travail<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s 18 et 19esièc<strong>le</strong>s en visant à l’exhaustivité.Si on enseigne une période sansindiquer quels concepts l’organisent,on risque de créer desarchipels de savoirs que <strong>le</strong>sélèves ne seront pas capab<strong>le</strong>s derelier entre eux. Ils serontcapab<strong>le</strong>s de citer Louis XIV,monarque absolu, et <strong>le</strong> 14 juil<strong>le</strong>t1789 mais ils ne verront pas quece qui définit <strong>le</strong> passage de l’unà l’autre, c’est <strong>le</strong> renversement del’idée de souveraineté. L’usageproblématisé du récit par l’enseignanten lien avec des conceptsuniversels me semb<strong>le</strong> importantpour <strong>le</strong>s élèves. Cela lui offre éga<strong>le</strong>mentla possibilité « d’ordonner» <strong>le</strong>s programmes.Les programmes nedevraient-ils pas guider <strong>le</strong>senseignants en ce sens ?A P. Les programmes proposentune vision spiralaire des périodeshistoriques, ils mettent en avant<strong>le</strong> récit voire font allusion à desconcepts. Mais ils ne sont pasexplicites en termes dedémarches didactiques etlaissent <strong>le</strong>s enseignants démunis.De même la formation ne travail<strong>le</strong>pas suffisamment la didactiquede l’histoire. Le manque detemps contraint parfois <strong>le</strong>s formateursà se focaliser <strong>sur</strong> laremise à niveau en termes decontenus, quitte à perdre de vue<strong>le</strong>s autres aspects.Propos recueillis par Lydie Buguet39APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIERARTSArts visuelsUrgence scolaire et socia<strong>le</strong>Mettre l’enseignement artistique au cœur des apprentissages. Lutter contre <strong>le</strong> sentimentd’incompétence parfois exprimé par <strong>le</strong>s enseignants. Des défis que Joël<strong>le</strong> Gonthier relève enproposant des démarches et des dispositifs pour <strong>le</strong>s outil<strong>le</strong>r. C’est <strong>le</strong> sens de la Grande<strong>le</strong>ssive®, installation artistique éphémère destinée à promouvoir la pratique artistique et àdévelopper <strong>le</strong> lien social. C’est <strong>le</strong> sens aussi des interventions fécondes et complices avec <strong>le</strong>senseignants qu’el<strong>le</strong> renouvel<strong>le</strong> ici pour la 12 e fois.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201240q Déplacer, combiner, transposer, inventerIl suffit à l’enseignant de s’entretenirquelques minutes avec Joël<strong>le</strong> Gonthierpour faire <strong>le</strong> p<strong>le</strong>in d’idées àmettre en œuvre dans sa classe. Pasdes recettes mais des pistes qui introduisentune véritab<strong>le</strong> démarche artistique.On passe souvent à l’éco<strong>le</strong> d’une productionplastique à l’autre en faisant des réalisationsproduites « des reliques » et nondes outils. Or, pour la plasticienne, « <strong>le</strong> désirest indispensab<strong>le</strong> au savoir » et ce désir naîtdu regard qui transforme en matériau <strong>le</strong>straces et <strong>le</strong>ur donne du sens. On s’approcheraalors du travail de l’artiste qui considèrece qu’il a fait la veil<strong>le</strong> pour construiresa démarche, et qui, pour monter une exposition,choisit quoi montrer et comment. Ils’agit aussi d’alimenter la curiosité endiversifiant <strong>le</strong>s modè<strong>le</strong>s. Un seul modè<strong>le</strong>formate et induit la reproduction souventinaccessib<strong>le</strong> d’œuvres comp<strong>le</strong>xes. Lefameux « à la manière d’un artiste » peutainsi être abandonné ou détourné. Dessinerpar exemp<strong>le</strong> « à la manière de son copain »invite au dialogue à propos des caractéristiquesde sa propre réalisation et des objectifset critères communs au groupe. Autredétournement : une séance de motricitéavec des cerceaux. Ces accessoiresdeviennent formes et cou<strong>le</strong>urs qui composent<strong>sur</strong> la <strong>sur</strong>face du sol ou dans l’espacedes dessins que des traits de craie,des fils tendus, puis des photos inviterontà regarder en tant que création plastique.Ainsi se dispose « un véritab<strong>le</strong> apprentissagede la transformation possib<strong>le</strong> grâce àquelque chose de l’art ».


« Rechercher la pertinence »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>D’après vous, enseigner cequi permet de devenircréatif est une urgence entemps de crise. Pourquoi ?J. G. Les anciennes solutions nefonctionnent plus et <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>sne doivent rien coûter. La créativités’impose ainsi à tous, bienqu’el<strong>le</strong> ait été jusque-là assimiléeà du temps non productif, voire àune disposition d’esprit excluantde la société et du monde desadultes. Il est temps de rendre <strong>le</strong>spersonnes aptes à appréhender<strong>le</strong>s situations auxquel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong>ssont confrontées, et à construire<strong>le</strong>ur propre démarche. On a faitde nous des consommateurs, ils’agit désormais de passer de laréception à la création.Quel<strong>le</strong>s incidences pourl’éco<strong>le</strong> ?J. G. La refondation de l’éco<strong>le</strong> passepar cel<strong>le</strong> de l’enseignement artistique.Je défends une démarchequi ne s’intéresse pas uniquementà l’art, mais à l’éco<strong>le</strong> en général età la citoyenneté. Si l’enseignementartistique demeure une casehoraire à déplacer pour modifier<strong>le</strong> rythme de la journée, il sera trèsvite considéré comme facultatifvoire exclu de l’éco<strong>le</strong> ce qui renforcera<strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>s. Orl’enseignement artistique estcapab<strong>le</strong> d’irriguer et de soutenir<strong>le</strong>s autres enseignements, tout endéployant sa singularité. L’art estun bien commun né avant l’écritureet <strong>le</strong> calcul, puisqu’il porte <strong>le</strong>spremiers signes inventés parl’Homme. Mais il est situé maintenantau bas d’une hiérarchie quiassimi<strong>le</strong> ce qui est premier au primitifet non au fondamental. Lelangage semb<strong>le</strong> la seu<strong>le</strong> voie pouraccéder à la connaissance : quiddu corps et du pauvre êtrepolysensoriel que nous sommes ?L’enseignement artistique permetune formation du regard et de lapensée, une construction de pratiques,de codes et de références,partagés et critiqués.Joël<strong>le</strong> GonthierJoël<strong>le</strong> Gonthier est plasticienne, agrégée d’arts plastiques, docteure enesthétique. Créatrice de La Grande Lessive® qui aura lieu <strong>le</strong> 28 mars El<strong>le</strong>a travaillé au Jeu de Paume dans l’équipe d’Alfred Pacquement et conçudes dispositifs pour La Bibliothèque nationa<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> dialogue avec desartistes : Aurélie Nemours, Jochen Gerz, Christian Jaccard (entretienpublié par <strong>le</strong>s Beaux-Arts de Paris) et réalise des conférences/performances.www.lagrande<strong>le</strong>ssive.net, <strong>sur</strong> www.bnf.fr : Des clics et des classes, centportraits/cent visages , <strong>sur</strong> www.culturecommunication.gouv.fr :Conference-Performance-Un-conte-pedagogique-de-Joel<strong>le</strong>-GonthierL’enseignant doit doncgarder la main ?J. G. En délégant l’artistique et <strong>le</strong>culturel, il se priverait de plaisirset d’interactions. Son enseignementferait croire qu’il existedeux univers : l’un uti<strong>le</strong>, l’autreaccessoire. Lui-même serait horsjeu. Il est essentiel que <strong>le</strong>s collaborationsavec des médiateursou des artistes s’établissent encomplicité avec l’enseignant pourpartager ce que <strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>sautres savent. L’enseignant n’estpas là pour maintenir l’ordre lorsd’une sortie. Il doit comprendre<strong>le</strong>s objectifs et <strong>le</strong>s enjeux afin deprolonger toute découverte parun enseignement, accompagneret évaluer la démarche des élèvesdans la durée.Que faire de ce sentimentd’incompétence en artsvisuels ?J. G. Ne pas savoir est une bonneraison d’apprendre ! Que seraitl’éco<strong>le</strong> sans ce besoin ? Nouspouvons apprendre à tout âgequelque chose de l’art. L’enseignementartistique et l’art articu<strong>le</strong>ntpratique, réf<strong>le</strong>xion etapprentissage. Ce n’est pas l’arten lui-même, mais <strong>le</strong>s pratiquesscolaires réitérées par habitudeet désinvesties de contenus d’apprentissagequi plombent ! Jepropose souvent aux élèves decollège de revenir <strong>sur</strong> <strong>le</strong>urs réalisationsaccumulées depuis lamaternel<strong>le</strong>. Ils découvrent ainsique certains aspects relèvent dudéveloppement de l’être humain« IUne formation duregard et de la pensée »(bonhomme têtard…), d’autresdu fonctionnement de l’éco<strong>le</strong>(mêmes sujets, techniques etesthétiques) et certains d’euxmêmes.L’enseignant de CM2 quiinitierait un tel travail pourraitnouer avec <strong>le</strong>s élèves, <strong>le</strong>s parentset ses collègues d’autres relations.Le travail en équipe est eneffet indispensab<strong>le</strong> car, si l’art sebâtit <strong>sur</strong> l’art, c’est éga<strong>le</strong>mentune pratique socia<strong>le</strong>.Alors que met-on dans laboîte à outils del’enseignant ?J. G. Des dispositifs. La Grande Lessive®en est un. La classe en estun autre. Si la classe est troppetite pour <strong>le</strong>s arts plastiquesvidons-là et comprenons cequ’est <strong>le</strong> vide ! C’est là une boutadequi dit cependant combienl’art fait feu de tout bois. Si l’onfait de nos corps des sculptureset que l’on immobilise l’éco<strong>le</strong>entière à un moment donné, cequi arrive côtoie quelque chosede l’art. Si on instal<strong>le</strong> une caméradans <strong>le</strong> couloir de l’éco<strong>le</strong> pourenregistrer une expression duvisage de chaque enfant, la successiond’images sera comparab<strong>le</strong>au portrait de l’éco<strong>le</strong>. Sedemander alors « J’ai quoi et j’enfais quoi ? » et <strong>sur</strong>tout « Qu’ai-jeappris et qu’ai-je <strong>le</strong> désir d’apprendre? » devient décisif. Ils’agit de mettre à distance, d’effectuerdes déplacements, descombinaisons, des transpositions.Cela ne requiert pas decompétences techniques, maisde petites inventions. Il ne s’agitpas que l’enseignant soit dansl’excel<strong>le</strong>nce mais dans la pertinenceet l’efficacité pour faireexister quelque chose de l’art àl’éco<strong>le</strong>.Propos recueillis par A<strong>le</strong>xis Bisserkine41APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIERPLANÈTEDéveloppementdurab<strong>le</strong>Enjeux et mise en œuvreMichel Hagnerel<strong>le</strong>, géographe, agrégé de géographie, ancien professeur d’éco<strong>le</strong> norma<strong>le</strong> etaujourd’hui inspecteur général de l’éducation nationa<strong>le</strong>, présente <strong>le</strong>s fondements, <strong>le</strong>sambitions et <strong>le</strong>s enjeux d’une politique de généralisation de l’éducation au développementdurab<strong>le</strong> à l’université d’automne du <strong>SNUipp</strong>. Avec un fer de lance « l’éco<strong>le</strong> à un rô<strong>le</strong> centraldans cette éducation au développement durab<strong>le</strong> ».12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201242q Agenda 21, l’éco<strong>le</strong> dans une démarche planétaire21 de Rio, ratifié par170 chefs d’état en 1992 pourproposer un développementdurab<strong>le</strong> a engendré de nombreusesinitiatives tel<strong>le</strong> l'asso-L’Agendaciation « Agenda 21 scolaire ». Objectif ?Décliner <strong>le</strong>s enjeux à l’échel<strong>le</strong> de l’établissementscolaire de l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> aulycée. Il s’agit de proposer des problématiquesidentifiées au niveau de l’établissementet à celui du territoire. Ainsi tous <strong>le</strong>sacteurs se mobilisent, élèves, parents, communautééducative et col<strong>le</strong>ctivités territoria<strong>le</strong>spour passer à l’action, éduquer audéveloppement durab<strong>le</strong>, par un plan d’actionouvert <strong>sur</strong> <strong>le</strong> territoire qui, au final, vaalimenter l’action pédagogique. Les projetsfondés <strong>sur</strong> des va<strong>le</strong>urs de responsabilitéset de solidarité se retrouvent dans toutes<strong>le</strong>s disciplines. Ce peut-être apprendre àvivre ensemb<strong>le</strong> et développer des notionsd’éthique de respect, d’entraide de connaissancede l’autre. Ce peut-être aussiapprendre par l’action en étudiant <strong>le</strong>sbilans carbone, la mise en place de compost.Toutes <strong>le</strong>s disciplines sont concernées; <strong>le</strong>s mathématiques par <strong>le</strong> calcul del’empreinte écologique ; l’éducation civiquepar la prise en compte de l’effet de serre etde la responsabilité planétaire ; la géographiepar la solidarité nord sud. En pratique<strong>le</strong>s possibilités d’action sont nombreuses,création de classe à projet, démarche pourl’expérimentation pédagogique... « Le dispositifa provoqué une véritab<strong>le</strong> ouverture<strong>sur</strong> <strong>le</strong> monde des élèves. Pour une éco<strong>le</strong>ZEP comme la nôtre, la dimension d’échecscolaire s’efface au profit d’une valorisationdes gestes et des capacités de chacun àagir pour <strong>le</strong> développement. Avec <strong>le</strong>sfamil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s partenaires, nous parvenonsà faire ensemb<strong>le</strong> ce que seuls nous n’aurionsjamais osé faire autrement » évoqueOlivier Hericher, directeur de l’éco<strong>le</strong> primaireAlbert Camus à Fécamp.


« Penser <strong>le</strong> monde autrement »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quels sont <strong>le</strong>s enjeux d’unepolitique nationa<strong>le</strong>d’éducation audéveloppement durab<strong>le</strong> ?M. H. Ils sont considérab<strong>le</strong>s. Audébut des années 2000, lorsque<strong>le</strong> ministre Luc Ferry avaitdemandé à l’Inspection généra<strong>le</strong>de faire dresser un bilan de l’éducationà l’environnement et audéveloppement durab<strong>le</strong>, il étaits’est avéré catastrophique. Alorsmême si, une politique de l’éducationà l’environnement avaitété lancée en 1977, el<strong>le</strong> n’a pas étésuivie ni dans <strong>le</strong>s programmes nidans <strong>le</strong>s grands projets éducatifs,à part par quelques équipes ouprofesseurs passionnés. Alorsque de nombreux pays, au nordde l’Europe notamment, avaientinitié des politiques très avancéeset approfondies touchant <strong>le</strong>sélèves du primaire au lycée. En2004, une circulaire a été publiéedéveloppant <strong>le</strong>s grands principesde cette éducation, avec deuxvo<strong>le</strong>ts principaux. D’une part, inscrirecette éducation dans tous<strong>le</strong>s programmes d’enseignementdu primaire jusqu’au lycée avecune progressivité des apprentissages; d’autre part encourager <strong>le</strong>développement de projetsd’éco<strong>le</strong> et d’établissement scolaire.Chacun devant reposer <strong>sur</strong><strong>le</strong>s trois grands paradigmes dudéveloppement durab<strong>le</strong> : la justicesocia<strong>le</strong>, l’équité économiqueet la prise en compte des grandesquestions environnementa<strong>le</strong>s.Quel<strong>le</strong> est la philosophie deces projets d’éco<strong>le</strong> ?M. H. Les projets doivent êtreconstruits dans la perspective dudéveloppement durab<strong>le</strong>. Cesquestions ont envahi la scène« On doit pouvoir passerd’un futur pesant à unfutur possib<strong>le</strong> »Michel Hagnerel<strong>le</strong>Co-responsab<strong>le</strong> de l’éducation au développement durab<strong>le</strong> à l’Inspectiongénéra<strong>le</strong> de l’éducation nationa<strong>le</strong>, Michel Hagnerel<strong>le</strong> est agrégé degéographie, ancien professeur d’éco<strong>le</strong> norma<strong>le</strong> et aujourd’huiinspecteur général de l’éducation nationa<strong>le</strong>. Il a été chargé d’unemission ministériel<strong>le</strong>, de 2002 à 2010, pour la mise en œuvre de lapolitique de généralisation de l’éducation au développement durab<strong>le</strong>.Il a dernièrement préfacé l’ouvrage col<strong>le</strong>ctif « Pour une éducation audéveloppement durab<strong>le</strong> et solidaire » paru SCEREN—CNDP-CRDP deBesançon en 2012.médiatique au point de frô<strong>le</strong>r la<strong>sur</strong>dose. El<strong>le</strong>s sont l’objet dedébats passionnés, de multip<strong>le</strong>srécupérations et de beaucoupd’incompréhension et de confusion.Ce qui troub<strong>le</strong> beaucoup <strong>le</strong>grand public, <strong>le</strong>s enseignants maisaussi <strong>le</strong>s élèves qui ont besoin des’y retrouver. Il est devenu indispensab<strong>le</strong>de clarifier <strong>le</strong> débat.L’éducation au développementdurab<strong>le</strong> n’est pas une mode, c’estune autre manière de lire <strong>le</strong>monde, de <strong>le</strong> penser, de <strong>le</strong> « raisonner». C’est un grand projet desociétés et d’humanité qui s’interrogent<strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur futur. C’est enfinun grand projet politique puisqu’ilfaut mettre <strong>le</strong>s sociétés et <strong>le</strong>shommes face à <strong>le</strong>urs responsabilitésde gestionnaires de la planète.Il s’agit enfin de réfléchir auxmoyens avec <strong>le</strong>squels l’humanitéva perdurer, à l’avenir de l’humanité<strong>sur</strong> une planète viab<strong>le</strong> etvivab<strong>le</strong>, de définir <strong>le</strong>s grands principeset l’esprit <strong>sur</strong> <strong>le</strong>squels doivents’appuyer ces grands projets.Quels en sont <strong>le</strong>s enjeuxpour <strong>le</strong>s élèves et au-delàpour <strong>le</strong>s générationsfutures ?M. H. Ce sont des enjeux éducatifs.On doit lorsqu’on est enseignantse prémunir de toute tendancemilitante dans la classe. Il ne fautpas en rester aux bons sentiments,à l’affectif ni à la culpabilisationou au catastrophisme. Le« beau geste », c’est-à-dire parexemp<strong>le</strong> fermer <strong>le</strong> robinet d’eaupour éviter la déperdition de ressource,ne suffit pas. Il ne prendune va<strong>le</strong>ur éducative que si onl’explique.« éduquer à la prise deresponsabilité et àl’engagement.»Quels conseilspourriez-vous donner auxenseignants ?M. H. Il s’agit de poser <strong>le</strong>s questionsautrement. Il s’agit aussid’éduquer aux grandes va<strong>le</strong>ursl’équité, la justice, la solidaritéqui sont au cœur des questionsdes développement durab<strong>le</strong>,qu’el<strong>le</strong>s soient loca<strong>le</strong>s ou internationa<strong>le</strong>s.Mais aussi au choixet à l’argumentation : en matièrede développement durab<strong>le</strong>, il n’ya pas de réponse simp<strong>le</strong> auxquestions que l’on pose. Il fautaussi éduquer à la prise de responsabilitéet à l’engagement.Le développement durab<strong>le</strong> c’estapprendre à s’engager, à se lancerdans une action. La col<strong>le</strong>ctivitémais aussi chaque individudoit s’engager éga<strong>le</strong>ment. Enfin,nous éducateurs, sommes directementinterpellés, nous avons<strong>le</strong> devoir d’apprendre aux élèvesà se projeter dans <strong>le</strong> futur. Nousavons un vrai problème de présentismedans notre société. Lefutur est considéré comme trèsinquiétant. Il apparaît commebouché, et noir. À travers <strong>le</strong>sdémarches d’éducation au développementdurab<strong>le</strong>. Il faut montrerà travers ce type dequestions aux élèves que cefutur n’est pas écrit définitivement,qu’il en reste beaucoup àécrire et que <strong>le</strong>s élèves sont <strong>le</strong>sacteurs de cette écriture. C’esttrès important d’ouvrir desperspectives aux enfants à travers<strong>le</strong>s questions du développementdurab<strong>le</strong>. On doit pouvoirpasser d’un futur pesant à unfutur possib<strong>le</strong>. Propos recueillis parfabienne berthet43APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIEREPSEPSPlus vite que <strong>le</strong> loup…Partant du constat qu’il est diffici<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s élèves de maternel<strong>le</strong> de donner du sens auxactivités physiques, l’équipe départementa<strong>le</strong> EPS des Bouches-du-Rhône a élaboré descontes pour faciliter l’entrée dans l’activité. Créant un contexte motivationnel et ludique, lalittérature jeunesse permet aux enseignants de proposer à <strong>le</strong>urs élèves des activitésathlétiques, de la <strong>cours</strong>e d’orientation, des jeux d’opposition et des activités de cirque. Unedémarche d’apprentissage qui confronte <strong>le</strong>s enfants à des situations <strong>le</strong>ur permettant deconstruire progressivement <strong>le</strong> sens des activités physiques.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201244q un contexte motivationnelImpliqués dans la pratique de l’USEP,<strong>le</strong>s enseignants de l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>Marie Curie de Marignane ont trouvéune progression de cyc<strong>le</strong> et un supportidéal dans <strong>le</strong>s contes élaboréspar l’équipe pédagogique EPS. Ainsi, <strong>le</strong>sélèves de la classe de moyens-grandsd’Agnès Rigoard travail<strong>le</strong>nt <strong>sur</strong> l’album« Plus vite que <strong>le</strong> loup ». Inspiré du « PetitChaperon rouge », des « Trois petitsCochons » et du « Loup et des sept Chevreaux», ce conte crée un contexte motivationnelfort pour entrer dans l’activité de<strong>cours</strong>e d’orientation. « Dans <strong>le</strong> parc, <strong>le</strong>sélèves sont munis d’une feuil<strong>le</strong> de route[des photos des lieux où ils trouveront <strong>le</strong>sbalises ndlr] qui doit <strong>le</strong>ur permettre de remplir<strong>le</strong>ur panier avec <strong>le</strong>s ingrédients pour<strong>le</strong> gâteau de la grand-mère » explique l’enseignante.Mais la richesse de l’activité dépasse largementla seu<strong>le</strong> construction d’habi<strong>le</strong>tésmotrices. En plus de la <strong>le</strong>cture, <strong>le</strong>s enseignantstravail<strong>le</strong>nt <strong>sur</strong> <strong>le</strong> langage, dans uneéco<strong>le</strong> qui accueil<strong>le</strong> de nombreux enfantsnon francophones. « Parce qu’ils agissent,<strong>le</strong>s élèves comprennent <strong>le</strong>s albums et parviennentà s’exprimer » insiste Agnès quivoit dans la dimension coopérative unerichesse supplémentaire à cette pluridisciplinarité: « Au-delà des notions d’espace etde temps, cette activité repose <strong>sur</strong> l’entraide.Les élèves apprennent qu’on est plusfort ensemb<strong>le</strong>». En effet, pas de compétitionentre <strong>le</strong>s différents groupes dont l’objectifcommun est de récupérer <strong>le</strong>s ingrédientsavant que <strong>le</strong> loup n’ait eu <strong>le</strong> temps de finirde s’habil<strong>le</strong>r pour al<strong>le</strong>r dévorer la grandmère.


« La littérature donne <strong>le</strong> sens »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Vous dites qu’il faut donnerdu sens aux activitésphysiques dès la petitesection…M. J. Les élèves de maternel<strong>le</strong>sjouent. Mais ils ne jouent qu’à cequ’ils savent déjà faire. Pas audelà.Nous sommes donc partis del’idée que nous pouvions utiliser lalittérature en EPS pour permettreaux élèves de rentrer dans desactivités en <strong>le</strong>ur donnant du sensafin de construire <strong>le</strong>s apprentissages.Car <strong>le</strong> sens n’est pas donnéd’avance, il se construit. C’estpourquoi l’élaboration du sens doitaussi reposer <strong>sur</strong> un ensemb<strong>le</strong> dereprésentations. Enfin <strong>le</strong>s interactionslangagières (corporel<strong>le</strong>s,écrites, ora<strong>le</strong>s…) avec l’adulte ou<strong>le</strong>s pairs vont contribuer àconstruire <strong>le</strong> sens en situation. Cestrois paramètres constituent unparti-pris, celui du sens. S’il n’y apas de but à courir l’élève court,c’est tout… Si on veut que l’enfantjoue pour apprendre cela ne peutse faire que dans des situationsélaborées par l’enseignant.Quels sont vos partis-pris ?« Le sens n’est pasdonné d’avance :il se construit »Marcel jal<strong>le</strong>tMarcel Jal<strong>le</strong>t est conseil<strong>le</strong>r pédagogique départemental en EPS dans <strong>le</strong>sBouches du Rhône depuis 9 ans. Depuis plusieurs années il participeaux travaux d’un groupe issu de l’équipe départementa<strong>le</strong> en EPS pourréfléchir <strong>sur</strong> la mise en œuvre de l’EPS à la maternel<strong>le</strong>. Un des partispris est de permettre à l’élève d’agir avec son corps à partir de contesadaptés lui permettant une identification des actions motrices. Cegroupe a déjà publié deux ouvrages au CRDP d’Aix-Marseil<strong>le</strong>.M. J. Il y a six partis-pris <strong>sur</strong> <strong>le</strong>squelsnous bâtissons nos outils. Toutd’abord la quête du sens et <strong>le</strong> jeupour apprendre, <strong>sur</strong> <strong>le</strong>squels je nereviens pas. Ensuite <strong>le</strong>s compétencesen EPS. L’EPS en maternel<strong>le</strong>ne peut pas se limiter auxpar<strong>cours</strong> de motricité : on agit eton s’exprime avec son corps pourconstruire des habi<strong>le</strong>tés motrices.Les interactions langagières vontaussi constituer une dimensionessentiel<strong>le</strong> : la verbalisation, laplace de la trace, écrite, ora<strong>le</strong>… Unautre de nos partis-pris est qu’onne peut apprendre que dans untout, dans une exploitation pluridisciplinaire.Enfin, nous proposonsdes activités qui favorisent lamise en place d’un vrai travaild’équipe. Nous avons constatéque cet aspect permet aux enseignantseux-mêmes de trouver dusens au travail de cyc<strong>le</strong> et deme<strong>sur</strong>er <strong>le</strong>s apprentissages de lapetite à la grande section.Comment favoriser lacréation de sens ?M. J. Le sens repose aussi <strong>sur</strong> <strong>le</strong>sémotions, <strong>le</strong> plaisir et la motivation.Nous privilégions l’entrée par<strong>le</strong> conte car <strong>le</strong>s mots aident l’élèveà se représenter la tâche qu’il doitréaliser. En outre, <strong>le</strong> conte faitappel au symbolique, à l’imaginaire,ce qui crée à la fois un <strong>le</strong>vierdéc<strong>le</strong>ncheur et un contexte motivationnel.Le conte « Kalikoba et<strong>le</strong> Lion terrib<strong>le</strong> » par exemp<strong>le</strong>, estidéal pour entrer dans des activitésathlétiques. Il s’agit d’un conteafricain dans <strong>le</strong>quel un lion terrib<strong>le</strong>vient croquer tous <strong>le</strong>s soirs unnouvel habitant du village oùhabite <strong>le</strong> jeune Kalikoba. Kalikobava rencontrer <strong>le</strong> sorcier qui lui ditque pour vaincre <strong>le</strong> lion terrib<strong>le</strong> ildevra « courir aussi vite que <strong>le</strong>guépard, sauter aussi loin que lagazel<strong>le</strong> et lancer aussi loin que <strong>le</strong>singe malin ». Le conte s’articu<strong>le</strong>autour de ces actions que Kalikobaréalise en plusieurs tentatives,pour montrer aux élèves quela réussite nécessite de refaire plusieursfois. Au fur et à me<strong>sur</strong>e desa progression l’élève évalue sonaction en gagnant des « pierresmagiques » pour affronter <strong>le</strong> lion,ce qui rejoint la compétence « réaliserune compétence me<strong>sur</strong>ée ».Les trois autres contes élaboréspar l’équipe pédagogique ouvrent<strong>sur</strong> la <strong>cours</strong>e d’orientation, <strong>le</strong>« courir aussi vite que <strong>le</strong>guépard, sauter aussiloin que la gazel<strong>le</strong> etlancer aussi loin que <strong>le</strong>singe malin »cirque ou <strong>le</strong>s jeux d’opposition.Vous abordez la pratique del’EPS dans une dimensionpluridisciplinaire…M. J. En ayant un but et en sereprésentant la tâche à accomplir,l’élève entre dans une activitéréfléchie qui se prête à lapluridisciplinarité. Le questionnement« comment j’ai faitpour ? » favorise <strong>le</strong>s interactionslangagières par exemp<strong>le</strong>. L’autregrand domaine transversal est <strong>le</strong>« vivre ensemb<strong>le</strong> » qui entretientpar essence une relation de réciprocitéavec l’« agir dans <strong>le</strong>monde ». Nous mettons cesdomaines en perspective pourdonner des pistes aux enseignants.Par exemp<strong>le</strong>, je me souviensd’une éco<strong>le</strong> qui était dansun projet <strong>sur</strong> l’Afrique dans <strong>le</strong>domaine « percevoir, sentir,créer » : masques, graphisme,musique et danse. Articulé àl’EPS, ce projet a permis unegrande richesse pluridisciplinaire…Cette démarchepédagogique repose <strong>sur</strong>une certaine conception del’EPS en maternel<strong>le</strong>M. J. Qu’importe <strong>le</strong> type d’activitésque l’on propose aux élèves dumoment que nous <strong>le</strong>s aidons àconstruire des habi<strong>le</strong>tés motricesqui <strong>le</strong>ur permettent d’être biendans <strong>le</strong>ur corps. Et en maternel<strong>le</strong>on peut pratiquer tout type d’activitésphysiques : des jeux col<strong>le</strong>ctifsdès trois ans, de la dansecontemporaine, des activités degrimpe, de la randonnée…Propos recueillis par Vincent Martinez45APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIERSCIENCESSciencesApprendre et comprendreun monde comp<strong>le</strong>xeTrès engagé dans la rénovation de l’enseignement des sciences à l’éco<strong>le</strong> et au collège, PierreLéna a été à l’origine en 1996 avec Georges Charpak et Yves Quéré du programme éducatif Lamain à la pâte, méthode active d’initiation aux sciences dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s primaires. Au milieudes années 90, <strong>le</strong>s sciences n’étaient enseignées que dans 3 à 5 % des classes primairescontre 30-40 % à l’heure actuel<strong>le</strong>. Pour donner une idée du chemin parcouru avec la MAP,il publie un livre qui retrace avec une grande humanité cette formidab<strong>le</strong> aventure d’unedémarche d’investigation scientifique.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201246q Une démarche d’investigation«Je travail<strong>le</strong> avec <strong>le</strong> dispositifla Main à la pâtedepuis que je suis étudiant! » Pour FabienVidal, 31 ans, enseignantde CM1-CM2 à l’éco<strong>le</strong> Pasteur, en zoneECLAIR à Perpignan, la MAP c’est LAdémarche pédagogique scientifique, quirend l’élève acteur de ses savoirs. Fabienlance un défi problématique « pour savoirce qu’ils savent déjà ». Hypothèses, expérimentations,manipulations, observations,modélisations, toujours en groupe. Puisl’analyse col<strong>le</strong>ctive, <strong>le</strong>s ateliers différenciéset la mutualisation permettent auxélèves de dégager « ce qu’il y a à comprendreet à retenir » de la problématiquede départ, <strong>le</strong>s connaissances, <strong>le</strong>s savoirs,<strong>le</strong>s savoirs-faire, <strong>le</strong>s attitudes, <strong>le</strong>s compétences.Deux fois lauréat du prix de la MAP,« Le monde du vivant au service d’uneenquête policière » lui vaudra <strong>le</strong> 1 er prix.Les élèves écrivent une nouvel<strong>le</strong> policièreautour d’un scarabée retrouvé mort. Uneclasse de découverte scientifique de dixjours au Mas Bresson avec sa mare, saprairie, son bois, sera l’occasion de lierécriture, <strong>le</strong>cture, science, arts plastiquespour mener l’enquête. Dessins d’observation,jeu du portrait pour s’intéresser auxdétails, élaboration de fiches d’identité desanimaux avec <strong>le</strong>ur classement selon laclassification de 2008, découverte deschaînes et réseaux alimentaires dans unéco-système, é<strong>le</strong>vages et plantations enclasse, recherche documentaire, cahierpersonnel d’expériences. Les 24 élèvessont captivés. Et ainsi, ils ont pu assouvir<strong>le</strong>ur curiosité, découvrir <strong>le</strong> goût du travail,progresser et devenir maîtres de <strong>le</strong>urssavoirs.


« Enseigner c’est espérer »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourquoi avoir sous-titrévotre livre « plaidoyer pourl’éco<strong>le</strong> de demain » ?P. L. Nous sommes à une annéecharnière avec la nouvel<strong>le</strong> loid’orientation et de programmationen 2013. Il faut en profiterpour changer l’éco<strong>le</strong> en profondeur,comme <strong>le</strong> demandent 80%des français. Ce sont la science etla technique qui font changer <strong>le</strong>monde et la France doit rester ungrand pays industriel et créatif.Dans nos éco<strong>le</strong>s et nos collèges,nous fonctionnons encore <strong>sur</strong> unmodè<strong>le</strong> centré <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s disciplinesavec un travail souvent solitairede l’enseignant dans un systèmefortement hiérarchisé. Au primaire,<strong>le</strong>s enseignants ont peurd’enseigner la science. L’essentiel<strong>le</strong>formation continue n’a faitque se réduire. Par ce livre, j’aivoulu participer à cet espoir dechangement en exprimant <strong>le</strong>sexpériences de la MAP que j’aivécues avec <strong>le</strong>s enseignants et<strong>le</strong>urs élèves. Car malgré tout,beaucoup d’enseignants font deschoses formidab<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>urclasse. Leurs capacités de changementsont majeures, ce livre etl’Académie des sciences entémoignent. Mais il faut <strong>le</strong>saccompagner, c’est impératif !Georges Charpak à l’époque, puisJu<strong>le</strong>s Hoffmann et SergeHaroche, tous prix Nobel, soutiennentnotre objectif d’accompagnerl’éco<strong>le</strong> primaire dans sonenseignement de la science.Quel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>çons tirez-vousdes expériences de la MAP ?P. L. La MAP, c’est partir du concretd’une observation ou d’une expérience,nœud central de l’enseignementde la science. Et c’est ce« Partir du concretd’une observation oud’une expérience »Pierre LénaPierre Léna, astrophysicien, co-fondateur de La main à la pâte, estmembre de l’Académie des sciences, dont il fut <strong>le</strong> délégué à l’éducationet la formation (2005-2011). Il a publié « Enseigner c’est espérer. Plaidoyerpour l’éco<strong>le</strong> de demain » Le Pommier, 2012 ; « Dix notions-clés pourenseigner la science » Le Pommier, 2011 ; 29 notions-clés pour savourer etfaire savourer la science, Le Pommier, 2009 ; « L’Enfant et la Science.L’aventure de La main à la pâte » Ed. O. Jacob, 2005.que j’ai vu pendant toutes cesannées passées dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s.Des enseignants travail<strong>le</strong>rensemb<strong>le</strong>, rompre <strong>le</strong>ur solitudeet agir ensemb<strong>le</strong> pour produiredes ressources, des documents,des analyses, des évaluations <strong>sur</strong><strong>le</strong>ur travail et ceux de <strong>le</strong>urs élèveset se demander « qu’est-ce qu’onveut qu’ils retiennent dans <strong>le</strong>urvision du monde ?». Des enseignantspour faire émerger <strong>le</strong>sconnaissances et <strong>le</strong>s raisonnementsscientifiques, faire découvrirla profondeur de l’histoire dela science, pour construire avec<strong>le</strong>urs élèves une base pour tous,indispensab<strong>le</strong> pour al<strong>le</strong>r plus loin.Et <strong>le</strong>s sciences ne vivent passeu<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s participent à l’acquisitiondu langage et au maniementde la langue, et el<strong>le</strong>sbénéficient <strong>le</strong> plus à ceux quisont éloignés de la langue. Lalangue ne s’apprend pas pourel<strong>le</strong>-même, mais aussi pour fairede la science, comprendre <strong>le</strong>monde et pouvoir l’exprimer. J’aivu des enseignants, soucieuxd’élèves en échec, <strong>le</strong>s aider endéveloppant curiosité, solidaritéet autonomie.Que pensez-vous de lajeunesse actuel<strong>le</strong> ?« La nécessité d’unerénovation profonde del’enseignement dessciences »P. L. J’ai écrit qu’il faut transmettreà la jeunesse l’héritage du passé,l’aider à lire <strong>le</strong> présent, la préparerà l’avenir. Les jeunes vivent àl’échel<strong>le</strong> d’un monde avec internet,monde que nous avonsconstuit et dont nous sommesresponsab<strong>le</strong>s. Ils ont des parentsqui ne sont plus ceux d’antan.Mais l’éco<strong>le</strong> a peu changé, craignantde perdre son identité,son autorité, alors que la mondialisation,<strong>le</strong>s outils numériques,<strong>le</strong> mélange des cultureschangent profondément soncontexte. Nous devons bâtir duneuf, évaluer <strong>le</strong>s élèves <strong>sur</strong> la joied’apprendre, <strong>le</strong>ur donner envied’être professeur à <strong>le</strong>ur tour. Sice métier d’enseignant continueà perdre de sa séduction, si ladésertification des con<strong>cours</strong>s’intensifie, c’est grave pournotre pays. Enseigner, c’estespérer.La MAP s’exporte àl’étranger. Pourquoi ?P. L. Nous rencontrons deux universalités: la curiosité du jeune,la même partout, et la sciencecomme vérité lue <strong>sur</strong> <strong>le</strong> monde.Nous partageons donc nosréponses, tirées des expériencesde la MAP, avec d’autres pays, enlien avec la culture du pays. Denombreux États font <strong>le</strong> mêmeconstat de la nécessité d’unerénovation profonde de l’enseignementdes sciences. La MAPorganise des séminaires internationaux,<strong>le</strong> dernier ayant réuni 36pays. Celui de l’an prochain auralieu à Sévres du 3 au 8 juin 2013,destiné à des formateurs etcadres des systèmes éducatifsétrangers souhaitant se familiariseravec <strong>le</strong>s méthodes et outilsdéveloppés en France. En 2009,faisant écho à la diversité culturel<strong>le</strong>qui caractérise <strong>le</strong>s classesfrançaises et souhaitant valoriser<strong>le</strong> lien entre histoire dessciences et activités expérimenta<strong>le</strong>s,la MAP a lancé un projetdédié aux découvertes en paysd’Islam pour sensibliser à la productionscientifique et techniquede la culture arabo-musulmane.Enseigner, c’est partager... etespérer ! Propos recueillis par Ginette Bret47APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIERLANGUESPlurilinguismePrendre en compte<strong>le</strong>s langues des enfantsLe Conseil de l’Europe promeut une éducation plurilingue et interculturel<strong>le</strong>, une éducation quisoit véritab<strong>le</strong>ment inclusive et équitab<strong>le</strong> et qui permette la réussite scolaire de tous ceux quisont désavantagés, en particulier <strong>le</strong>s enfants de famil<strong>le</strong>s migrantes. Considérer la langue de lamaison comme une richesse et un appui pour <strong>le</strong>s apprentissages devra sans doutes’accompagner d’une « révolution copernicienne » de notre éco<strong>le</strong> et de la formation desenseignants.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201248q UNE éCOLE INCLUSIVE POUR LES FAMILLESÀDidenheim dans <strong>le</strong> Bas-Rhin,l’éco<strong>le</strong> accueil<strong>le</strong> des enfantsde cultures différentes, issusde famil<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>sparfois plusieurs languessont parlées à la maison. Les enseignantessont parties du constat que ces langues,ignorées à l’éco<strong>le</strong>, pouvaient éga<strong>le</strong>mentêtre facteurs de difficulté d’intégration etde discrimination. D’où l’idée d’inviter <strong>le</strong>sfamil<strong>le</strong>s – toutes <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s – à venir présenterà tour de rô<strong>le</strong> dans l’éco<strong>le</strong>, différentsaspects de <strong>le</strong>ur langue et de <strong>le</strong>ur culturedans <strong>le</strong> cadre d’un projet d’éveil aux langues.Ce projet, accompagné par AndreaYoung et Christine Hélot, spécialistes dubilinguisme et du multilinguisme, a donnélieu à un film, « Raconte-moi ta langue », uneode à l’acceptation de l’autre, de tous <strong>le</strong>sautres, dans <strong>le</strong>ur diversité, avec toutes <strong>le</strong>ursdifférences.Écrire et dire la date dans toutes <strong>le</strong>s languesque par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s élèves à la maison,donner l’occasion à une maman de montrerl’écriture arabe, comparer des mots, desprononciations, des sons différents, ne sontpas de simp<strong>le</strong>s exercices de sty<strong>le</strong>. PourJoël<strong>le</strong> Boi<strong>le</strong>au, enseignante dans l’éco<strong>le</strong> deDidenheim, c’est redonner de la fierté auxenfants et aux famil<strong>le</strong>s, c’est <strong>le</strong>ur permettrede considérer l’éco<strong>le</strong> comme un lieu oùchacun est accueilli en tant que porteurd’une identité et d’une richesse singulières,quel<strong>le</strong> que soit sa langue ou sa culture. Un« petit » projet dans une éco<strong>le</strong>, mais « unprojet pour changer <strong>le</strong> monde » !


« La langue est une partde notre identité »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>L’éco<strong>le</strong> devrait-el<strong>le</strong> prendreen compte plus qu’el<strong>le</strong> ne <strong>le</strong>fait aujourd’hui <strong>le</strong>s languesparlées à la maison ?A.Y. Cela se pratique déjà dans <strong>le</strong>séco<strong>le</strong>s internationa<strong>le</strong>s ou européennesdans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s sontscolarisés <strong>le</strong>s enfants d’une élitebilingue ou multilingue qui circu<strong>le</strong>entre différents pays. Leslangues sont alors considéréescomme une richesse <strong>sur</strong> laquel<strong>le</strong>on peut construire la suite del’éducation. En revanche dans <strong>le</strong>séco<strong>le</strong>s « ordinaires », mesrecherches m’ont permis deconstater qu’on ne sait pas tropcomment faire avec ces autreslangues, plutôt vécues commequelque chose de négatif quiempêcherait l’acquisition d’unbon niveau en français. Ce paradoxeest très intrigant : positifpour l’élite et négatif pour <strong>le</strong>senfants de la migration ! En tantqu’éducateur on devrait se préoccuperde l’évolution de l’enfantet de son potentiel, et non pas dela va<strong>le</strong>ur économique de ses langues.Il existe donc à l’éco<strong>le</strong> unehiérarchie des langues ?A.Y. Pas seu<strong>le</strong>ment à l’éco<strong>le</strong> maisdans la société, et éga<strong>le</strong>mentdans <strong>le</strong>s autres pays. La languenationa<strong>le</strong> est une langue trèsimportante pour l’élève car c’està travers el<strong>le</strong> qu’il accède auxsavoirs à l’éco<strong>le</strong> et se socialisedans la société hôte. Ce que jeremets en question c’est <strong>le</strong> faitd’écarter <strong>le</strong>s autres langues alorsqu’il existe d’excel<strong>le</strong>ntes raisonspour développer <strong>le</strong>s deux, la ou<strong>le</strong>s langues de la maison car ilpeut y en avoir plusieurs, et lalangue nationa<strong>le</strong>. De nombreusesrecherches, dans différentscontextes, montrent que plus onsoutient la langue dans <strong>le</strong>quell’enfant se sent à l’aise et disposede compétences plus la secondelangue va se construire solidement<strong>sur</strong> ces bases.Andrea YoungAndrea Young est sociolinguiste, maître de conférences à l’Université deStrasbourg, membre du groupe de recherche GEPE (groupe d’étude <strong>sur</strong><strong>le</strong> plurilinguisme européen, EA 1339). El<strong>le</strong> est l’auteure de nombreuxartic<strong>le</strong>s <strong>sur</strong> la diversité linguistique et culturel<strong>le</strong> à l’éco<strong>le</strong>, la prise encompte des enfants bilingues et de <strong>le</strong>urs famil<strong>le</strong>s à l’éco<strong>le</strong> primaire, lanécessité d’inclure ces questions dans la formation des enseignants.Le transfert de compétencesentre <strong>le</strong>s langues existe-ilréel<strong>le</strong>ment ?A.Y. Malheureusement <strong>le</strong>s professionnelsde l’éducation manquentde formation <strong>sur</strong> ces phénomènescomp<strong>le</strong>xes et il arrive qu’ilsconseil<strong>le</strong>nt aux parents de par<strong>le</strong>r<strong>le</strong> français avec <strong>le</strong>urs enfants. Orsi <strong>le</strong>s parents ne <strong>le</strong> maîtrisent pas,ils vont proposer un modè<strong>le</strong> insatisfaisant.Les recherchesmontrent qu’il faut s’adresser auxenfants dans la langue où l’on est<strong>le</strong> plus à l’aise, par exemp<strong>le</strong> pourlire et raconter des histoires. Plusla langue est riche et imagée, plus<strong>le</strong>s capacités linguistiques de l’enfantvont se développer. El<strong>le</strong>s sontà la base des capacités qu’ils vontacquérir dans une autre langue.On construit toujours ce qui estnouveau <strong>sur</strong> ce qu’on sait déjà. Letransfert des compétences existe,c’est ce que <strong>le</strong>s chercheurs nomment« underlyling language proficiency», une compétencelangagière sous-jacente.C’est à dire ?A.Y. Au lieu d’imaginer dans <strong>le</strong> cerveaudeux ballons correspondantà deux langues isolées, il fautconcevoir un ballon unique oumieux encore un iceberg avec desparties immergées communes etdes parties émergées distinctes.Si on a compris une chose dansune langue, on n’a pas besoin dela réapprendre dans l’autrelangue, on a seu<strong>le</strong>ment besoind’apprendre à l’exprimer différemment,avec des mots nouveaux.À l’inverse comprendre parexemp<strong>le</strong> une théorie en physiquedans une langue seconde est plusdiffici<strong>le</strong> car on cumu<strong>le</strong> la compréhensionde phénomènes abstraitsavec <strong>le</strong> décodage de la languemoins connue. En d’autres termes« Plus la langue estriche et imagée, plus <strong>le</strong>scapacités linguistiquesde l’enfant vont sedévelopper »l’accès à la cognition est plusdirect dans la langue maîtriséeque si l’on doit franchir la barrièrede la langue étrangère.La prise en compte de lalangue de la maisoninflue-t-el<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> bien-êtrede l’enfant ?A.Y. Une langue n’est pas seu<strong>le</strong>mentun code linguistique, c’estune part de notre identité. Notreenfance est encodée dans la premièrelangue (L1), dite maternel<strong>le</strong>.Cette dernière est porteusede beaucoup d’émotions, d’affectif.À l’éco<strong>le</strong> un enseignementde ou dans cette langue L1 nepeut pas toujours être as<strong>sur</strong>é enraison de la « superdiversité »actuel<strong>le</strong>ment présente dansbeaucoup de nos classes, maisnous pouvons simp<strong>le</strong>mentreconnaître, dans l’enfant, dansl’individu, son identité qui estd’avoir grandi avec une autrelangue. Le simp<strong>le</strong> fait d’en par<strong>le</strong>r,de poser la question, serait déjàun gage de reconnaissance etcela peut passer par de petiteschoses, apprendre à dire bonjourdans <strong>le</strong>s langues des élèves parexemp<strong>le</strong>. Il n’est pas possib<strong>le</strong> depenser qu’il faut laisser à la portede l’éco<strong>le</strong> une part de son identité,sa langue, sa culture, safamil<strong>le</strong>. Tout <strong>le</strong> monde apprendensemb<strong>le</strong> et on apprend del’autre. L’éco<strong>le</strong> de la Républiquedoit prendre en compte <strong>le</strong> multilinguismede la France du 21 esièc<strong>le</strong> pour mener une politiqued’inclusion. Tout <strong>le</strong> mondeapprend ensemb<strong>le</strong> et on apprendde l’autre. Pour vivre ensemb<strong>le</strong>,est-il encore possib<strong>le</strong> de l’ignorer? Propos recueillis par Daniel Labaquère49APP-RENTIS-SAGES


APP-RENTIS-SAGESATELIERANALOGIEAnalogieun mécanismed’apprentissage à repérerLes cinquante dernières années ont apporté de nouveaux éclairages <strong>sur</strong> la façon dont <strong>le</strong>senfants apprennent. Si on a pensé lontemps que l’enfant se développait d’un état allogiquevers un état logique qui serait abouti vers l’âge de 12 ans, des travaux comme ceuxd’Emmanuel Sander sont venus montrer que <strong>le</strong>s apprentissages se mettent en place demanière bien moins linéaire. L’homme apprend par analogie et ce n’est pas sans avoirquelques incidences <strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong>.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201250q Catégoriser ? Pas si simp<strong>le</strong> !Cel<strong>le</strong>s et ceux qui pensaient« naïvement » que catégorisersignifiait ranger dans dejolies boîtes préexistantes,recouvrant toutes <strong>le</strong>s entitésdu monde, ont dû revoir <strong>le</strong>ur manière depenser – et de repenser cette boîte-là enparticulier. Lors de sa présentation EmmanuelSander a démonté cette vision classique,à la fois ancienne et inopérante. Unedéfinition précise et homogène des catégoriesest impossib<strong>le</strong> : l’analogie entre moineauet oiseau est immédiate mais <strong>le</strong>srecherches montrent qu’il faut un peu plusde temps au commun des mortels pourassimi<strong>le</strong>r une pou<strong>le</strong> à un oiseau. Autrementdit tous <strong>le</strong>s oiseaux ne sont pas« autant oiseaux » que <strong>le</strong>s autres. Les catégoriesont des frontières floues, comme <strong>le</strong>szones encore légèrement humides au borddes marécages. Les participantes et participantsà l’atelier se sont montrés partagésquant à la question de savoir si unchapeau ou des sanda<strong>le</strong>s rentraient dansla catégorie « vêtement ». Enfin <strong>le</strong> contexteinterfère fortement : <strong>le</strong> musicien ne regarderapas son piano, instrument de musiqueet de travail, comme <strong>le</strong> déménageur pourqui <strong>le</strong> piano sera un meub<strong>le</strong> lourd etencombrant.Tout l’intérêt de la démonstration d’EmmanuelSander réside dans la compréhensionde cette comp<strong>le</strong>xité. Il faut donc voir lacatégorisation comme l’association provisoireet graduée à une catégorie préexistantdans l’esprit d’une personne. Unecatégorie n’est pas une boîte fermée maisune structure menta<strong>le</strong> qui évolue, que l’ondéveloppe et que l’on évoque par analogie.


« Prendre appui <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s connaissancesnaïves pour <strong>le</strong>s dépasser »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourriez-vous définir cequ’est l’apprentissage paranalogie ?E.S. Apprendre par analogie c’ests’appuyer <strong>sur</strong> des connaissancesantérieures pour construire denouvel<strong>le</strong>s connaissances. C’est unmécanisme très profond et trèspuissant, inhérent à la penséehumaine que ce soit dans <strong>le</strong>s opérationsmenta<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus simp<strong>le</strong>sou <strong>le</strong>s plus élaborées. Dans l’ouvrage« Surfaces et Profondeurs »,Douglas Hofstadter et moi-mêmeavons étudié l’exemp<strong>le</strong> du conceptde maman. Au départ, mamanc’est uniquement la propre mèrede l’enfant, c’est la « Maman »unique. Puis par extension analogique<strong>le</strong> mot va pouvoir s’appliquerà d’autres personnes quis’occupent d’enfant. Si <strong>le</strong>s enfantsont au départ une vision restrictivede ce concept, <strong>le</strong> concept vase développer jusqu’à des usagesmétaphoriques comme « la mèrepatrie », « la maison mère ». Il y aun continuum entre <strong>le</strong> cœur duconcept « Maman » jusqu’à cesusages. Faisons <strong>le</strong> parallè<strong>le</strong>avec Galilée. Quand, il a découvertd’autres satellites que la Lune,avec majuscu<strong>le</strong> car unique, l’analogieétait assez forte pour qu’ilnomme <strong>le</strong>s satellites comme étant« des lunes » et qu’il fasse tomberla majuscu<strong>le</strong>. Ce qui est vrai pourGalilée l’est tout autant pour Einsteinet pour tous ces scientifiquesqui étudient un domaine qui <strong>le</strong>urest très familier ; <strong>le</strong> mécanisme estdu même ordre que ce qui sepasse chez <strong>le</strong> petit enfant.Dans <strong>le</strong> contexte de l’éco<strong>le</strong>,comment ce mécanismeopère-t-il ?E.S. À l’éco<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s élèves n’arriventpas vierges de savoirs. Ils s’approprient<strong>le</strong>s connaissances nouvel<strong>le</strong>sà partir de connaissancesanciennes qu’on appel<strong>le</strong> connaissancesnaïves. Plus l’enfant estjeune, plus ces mécanismes sontprégnants. Or ces connaissancesEmmanuel SanderProfesseur de psychologie du développement et de l’éducation àl’Université Paris 8, directeur adjoint du laboratoire Paragraphe etcoresponsab<strong>le</strong> de l’équipe « Compréhension, Raisonnement et Acquisitiondes Connaissances ». Il est l’auteur de L’Analogie, du naïf au créatif chezL’Harmattan en 2000. Il a co-écrit avec Jacques Lautrey, SylvieRémi-Giraud et Andrée Tiberghien, Les Connaissances Naïves chezArmand Colin en 2008. Surfaces et Profondeurs, coécrit avec DouglasHofstadter, paraîtra chez Odi<strong>le</strong> Jacob au premier semestre 2013.naïves construites à l’épreuve duquotidien ne recouvrent que partiel<strong>le</strong>ment<strong>le</strong>s connaissancesscientifiques. En mathématiqueson peut prendre l’exemp<strong>le</strong> del’idée selon laquel<strong>le</strong> « diviser c’estpartager » ou « soustraire c’esten<strong>le</strong>ver ». Dans ce contexte, lamission de l’éco<strong>le</strong> est de permettreà l’enfant d’al<strong>le</strong>r au-delàdes situations premières qu’ilconnaît et de lui offrir de nouveauxcontextes pour approfondir<strong>le</strong>s concepts qu’il a construits, parexemp<strong>le</strong> accepter l’idée que parfoison trouve <strong>le</strong> résultat d’un gainpar une soustraction ou qu’unedivision rend plus grand dans certainscontextes. Pour travail<strong>le</strong>r audépassement des connaissancesnaïves, il faut une pédagogie quise focalise <strong>sur</strong> el<strong>le</strong>s. Mais l’objectifn’est pas de <strong>le</strong>s éradiquer car el<strong>le</strong>ssont valab<strong>le</strong>s dans de nombreuxcontextes. Plutôt que de <strong>le</strong>s voircomme un obstac<strong>le</strong> il faut <strong>le</strong>sconsidérer comme des tremplinsaux apprentissages.Comment <strong>le</strong>s repère-t-on ?E.S. Ces connaissances naïves sont<strong>le</strong>s points de vue spontanémentdéveloppés par <strong>le</strong>s élèves endébut d’apprentissage. Certainesnotions au cœur des apprentissagessont très partagées au seind’une même culture. Un moyende <strong>le</strong>s repérer est l’analyse de laterminologie. L’idée selonlaquel<strong>le</strong> « diviser c’est partager»se retrouve dans la définition duPetit Robert « séparer en plusieursparties <strong>le</strong>s éléments quiconstituent une chose ou unensemb<strong>le</strong> de choses ». Or ceconcept ne répond pas à toutes« Les connaissancesnaïves construites àl’épreuve du quotidienne recouvrent quepartiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>sconnaissancesscientifiques. »<strong>le</strong>s situations de division que l’onpeut rencontrer en mathématiques.Pour <strong>le</strong>s repérer, on peutéga<strong>le</strong>ment observer <strong>le</strong>s erreurs,ce sont des indices des analogies<strong>sur</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s élèves se sontappuyés. Ces connaissancesnaïves sont particulièrement présentesen mathématiques, enphysique, en biologie mais cesont <strong>le</strong>s domaines dans <strong>le</strong>squelson <strong>le</strong>s a <strong>le</strong> plus cherchées, cela nesignifie qu’el<strong>le</strong>s ne sont pas présentesdans <strong>le</strong>s autres disciplines.Cet apprentissage paranalogie est-il valide à toutâge ?E.S. Les adultes dans des domainesqui ne <strong>le</strong>ur sont pas familiers vontmettre en bran<strong>le</strong> des analogiesqui constituent la premièreapproche naïve d’une situation.Les connaissances naïves ne sontdonc pas l’apanage de l’enfance.De ce fait, cette forme d’apprentissagepose question à l’éco<strong>le</strong>mais aussi dans la formation desadultes. En ce qui concerne la formationdes enseignants, il est demon point de vue nécessaire quedans <strong>le</strong>s programmes de formationdes maîtres on introduisel’étude concrète des connaissancesnaïves. Ce serait une aberrationd’attendre que <strong>le</strong>senseignants <strong>le</strong>s identifient euxmêmesalors que beaucoup derecherches ont déjà permisd’identifier <strong>le</strong>s plus courantesd’entre el<strong>le</strong>s. Cela aurait aussi l’intérêtde donner aux enseignantsl’occasion de s’interroger <strong>sur</strong><strong>le</strong>urs propres connaissances.Propos recueillis par Lydie Buguet51APP-RENTIS-SAGES


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quinze ansRue du monde !Pour son 15 e anniversaire, l’éditeur Rue du monde a choisi l’universitéd'automne pour ouvrir en grand <strong>le</strong>s coulisses de la création artistiqueet littéraire. Auteurs, illustrateurs, conteur se sont succédés pour ce quiest devenu un spectac<strong>le</strong> basculant entre enchantement et émotions.Tout a commencé par un simp<strong>le</strong> traitnoir, peint <strong>sur</strong> une toi<strong>le</strong> de papier deprès de 10 mètres de large <strong>sur</strong> environ1,50 de hauteur. Pour Zaü quipuise une part de son inspirationdans ses voyages à travers <strong>le</strong> monde, <strong>le</strong>défi semblait presque anodin : dessinerune fresque <strong>sur</strong> la moitié de la pageblanche déployée devant lui en mêmetemps que <strong>le</strong> conteur Sou<strong>le</strong>ymane Mbodjnarrait et chantait des contes d’origineafricaine, avec la complicité d’un publictombé sous <strong>le</strong> charme. Puis <strong>le</strong> trait noirdevient une corbeil<strong>le</strong> de fruits, posée <strong>sur</strong>la tête d’une femme africaine qui d’unemain soutient sa charge et de l’autre tientson enfant par la main. Puis petit à petitapparait autour d’el<strong>le</strong> tout un village avecses habitants, ses constructions, ses animaux,son marché… Magie des coulissesde la création, la fresque de l’artistesemb<strong>le</strong> <strong>sur</strong>gir par enchantement à la <strong>sur</strong>facedu papier, tout prenant forme, volumeet sens. En p<strong>le</strong>ine Université d’automne,<strong>le</strong> <strong>SNUipp</strong> a souhaité donner une carteblanche à Rue du monde qui fête cetteannée son 15 e anniversaire. Une soiréealternant débats <strong>sur</strong> la littérature jeunesseavec l’auteur Stéphane Servant,l’illustratrice Judith Gueyfier, <strong>le</strong> maître deconférence Max But<strong>le</strong>n avec comme.../...DOSSIER RUE DU MONDERÉALISÉ PARPIERRE MAGNETTO53RUEDUMONDE


RUEDUMONDE12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201254.../...maître de cérémonie l’éditeur Alain Serres.Puis arrive <strong>le</strong> peintre et illustrateur LaurentCorvaisier, à qui revient la redoutab<strong>le</strong>tâche de peindre <strong>sur</strong> l’autre moitié de latoi<strong>le</strong> une illustration inspirée de ces seulsthèmes : vil<strong>le</strong> et nature. Là aussi la magieopère. Les aplats de cou<strong>le</strong>urs colorient latoi<strong>le</strong>, Zaü poursuit sa progression de soncôté. Corvaisier gagne du terrain et petità petit apparaissent des immeub<strong>le</strong>s, desformes végéta<strong>le</strong>s, une rivière toute b<strong>le</strong>ue.Et enfin des coups de pinceau en noir cettefois, qui dessinent ici un visage, là desfenêtres, rehaussent des ombres ail<strong>le</strong>urs,donnent du relief. Les deux dessins serejoignent au centre de la toi<strong>le</strong>, <strong>sur</strong> deslignes de fuite qui <strong>le</strong>s unissent en une symbiosep<strong>le</strong>ine de contrastes. Entre tempsl’auteur et illustrateur Pef raconte des souvenirsd’enfance, ceux qui l’ont conduit <strong>sur</strong><strong>le</strong>s chemins de la création. Des souvenirstout aussi colorés que la toi<strong>le</strong> en arrièreplan, comme cette <strong>cours</strong>e éperdue à lapoursuite d’un train et de sa fumée noireau milieu des champs de lavande, sous <strong>le</strong>ciel b<strong>le</strong>u, jusqu’à ce que <strong>le</strong> train ayant disparuau fin fond du paysage, l’enfant desix ans débou<strong>le</strong> <strong>sur</strong> la place du village oùl’on est en train de tondre des femmes qui« ont eu des affaires avec <strong>le</strong>s al<strong>le</strong>mands »,en <strong>le</strong>ur peignant <strong>sur</strong> <strong>le</strong> crâne une croixgammée orange. Nous sommes à la fin dela seconde guerre mondia<strong>le</strong>, on passe duso<strong>le</strong>il radieux du sud de la France àl’ombre la plus noire des dernières heuresdu nazisme ; du rire aux larmes. Il y a audelàde l’émotion tout un univers qui serévè<strong>le</strong> au public, celui de l’inspiration etde la création littéraire et artistique d’unemaison d’édition pas tout à fait comme <strong>le</strong>sautres : Rue du monde.Le grand hiverdu printemps des poètes ?L’existence de l’association qui organise chaque année près de 12 000manifestations en France est menacée par une baisse de 40% de sasubvention du ministère de l’éducation nationa<strong>le</strong>.qDes livres pour ceux qui n’en ont pasDepuis 2003, Rue du monde mène chaque année avec <strong>le</strong> Se<strong>cours</strong> populaire français l’opération L’été des bouquinssolidaires. De mi juin à mi août l’éditeur met en avant trois de ses albums de littérature jeunesse dans <strong>le</strong>s librairies qui <strong>le</strong>distribuent. Chaque fois que deux de ces trois bouquins sont achetés <strong>le</strong> troisième est donné à l’association caritative quien fait don à un enfant participant à son opération « Les oubliés des vacances ». En moyenne ce sont chaque année 5 000livres qui sont ainsi offerts à des enfants des milieux populaires qui ne partent pas en vacances autrement que par cettejournée organisée par <strong>le</strong> Se<strong>cours</strong> populaire, une manière un peu origina<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ur offrir un moment d’évasion. Par ail<strong>le</strong>urs,<strong>sur</strong> certains albums dont <strong>le</strong>s sujets sont en rapport avec <strong>le</strong>s intéressés, Rue du monde reverse une partie de ses droitsd’auteurs, à l’Unicef ou au Réseau éducation sans frontière par exemp<strong>le</strong>. Le premier livre distribué par Rue du monde lapremière année de mise en place de cette opération fut un album de Pef : Le grand livre des droits de l’enfant.60 000 euros, c’est ce qui manquedans <strong>le</strong>s caisses de l’associationLe printemps des poètes pourbouc<strong>le</strong>r son budget en 2012. « Cen’est ni un effet d’annonce, ni duchantage, ni de la mauvaise volonté : si <strong>le</strong>ministère de l’éducation nationa<strong>le</strong> necomb<strong>le</strong> pas d’une manière ou d’une autre,<strong>le</strong> déficit créé par la baisse de 40% denotre subvention, l’association et la manifestationqu’el<strong>le</strong> porte sont vouées à disparaître». Ce message en forme de SOS deJean-Pierre Siméon, poète et directeur del’association, a été lu publiquement parl’auteur illustrateur Pef, au <strong>cours</strong> de l’Universitéd’automne du <strong>SNUipp</strong> samedi 27octobre. Le Printemps des poètes, c’est12 000 manifestations organisée chaqueannée en France, la prochaine et 15 e éditionde la manifestation étant norma<strong>le</strong>mentprévue du 9 au 24 mars 2013. « Le printempsdes poètes n’est pas un gadget festif,une gentil<strong>le</strong> façon d’égayer <strong>le</strong>s murs dela classe avec des guirlandes poétiques »prévient Siméon. « Notre action vise auquotidien à contribuer à un dispositif éducatifclair et déterminé : offrir à tous <strong>le</strong>senfants et <strong>le</strong>s ado<strong>le</strong>scents, comme unapprentissage fondamental, l’accès à unlangage libre et créateur qui ouvre à unecompréhension du réel affranchie des stéréotypeset des conventions paresseuses ».Alors qu’une <strong>le</strong>ttre-pétition est proposéeen ligne <strong>sur</strong> <strong>le</strong> site de l’association, l’Universitéd’automne du <strong>SNUipp</strong> a souhaités’associer à cet appel et <strong>le</strong> syndicat s’estadressé à Vincent Peillon pour lui réclamerlui aussi <strong>le</strong> rétablissement de la subvention.


« Par<strong>le</strong>r aux enfants du mondetel qu’il est »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Vous fêtez cette année 15ans de Rue du monde. Avec<strong>le</strong> recul est-ce une aventureque vous recommenceriez ?A.S. J’ai démarré Rue du mondesans bien prendre la me<strong>sur</strong>e detous <strong>le</strong>s rochers qui se dresseraientdevant ma petite barque.J’ai l’immense bonheur d’avoirréussi à fabriquer avec tous ceuxqui nous ont aidé, un pô<strong>le</strong> éditorialoù l’on peut se permettre des’adresser aux enfants en ayantconscience de notre statutd’adulte sans être condescendantenvers eux. C’est diffici<strong>le</strong> d’y parvenirsans verser dans la démagogie,si nous avons réussi àconstruire cet esprit de libertéc’est peut-être parce que nousavons toujours gardé <strong>le</strong>s pieds <strong>sur</strong>terre. La réalité est toujours bienancrée en moi, mais ma part depoétique que j’ai découvert àl’ado<strong>le</strong>scence avec la poésie m’aaidé à décol<strong>le</strong>r de ce réel et à donnerdu souff<strong>le</strong> à des projets. Dusouff<strong>le</strong> pour imaginer des livrescomplètement improbab<strong>le</strong>scomme « Première année <strong>sur</strong> laterre »* avec Zaü, ou « Au mêmeinstant <strong>sur</strong> la terre » avec ClotildePerrin, qui se présente sous laforme d’un dépliant dans <strong>le</strong>quelon fait <strong>le</strong> tour des fuseaux horairesen découvrant ce qui se passe aumême moment dans différentspays de la planète, et d’autreslivres encore avec <strong>le</strong>squels on aprouvé qu’on pouvait respecterl’enfant tout en ayant des ambitionslittéraires et artistiques.Rue du monde c’est uneligne éditoria<strong>le</strong> qui n’hésitepas à traiter des sujetsgraves comme la guerre, <strong>le</strong>colonialisme, <strong>le</strong> racisme…Comment aborder de telssujets avec <strong>le</strong>s enfants ?A.S. Rue du monde est une maisonengagée, nous <strong>le</strong> revendiquons.Nous voulons par<strong>le</strong>r aux enfantsdu monde tel qu’il est tout enespérant <strong>le</strong>ur donner envie de <strong>le</strong>Alain SerresFondateur et directeur des éditions Rue du monde, Alain Serres a débutésa carrière professionnel<strong>le</strong> comme enseignant. Ayant exercé durant denombreuses années tout en menant une activité d’auteur de littératurejeunesse, il a créé sa propre maison d’édition voici 15 ans.construire autrement. Certes, l’enfantest encore un adulte enconstruction, mais il est d'ores etdéjà une personne qui mérite <strong>le</strong>respect. À Rue du monde on metla barre un peu haut. Ca se voit àtravers nos illustrations, mais aussi« On peut avoir un textelourd, mais il nous fautà côté des images quidonnent de l’espoir. »à travers nos signatures pour cequi est du texte. Mais en mêmetemps on ouvre tout grand <strong>le</strong>sportes du monde dans sa comp<strong>le</strong>xitéet ses contradictions.Mettre l’enfant à l’abri de tout celaserait un peu vain parce que <strong>le</strong>sbruits du monde parviennent àses oreil<strong>le</strong>s. Ce serait prendre <strong>le</strong>risque de <strong>le</strong> laisser grandir à cotédes grands mystères de l’humanité,des grandes problématiques,des enjeux planétaires, des partsd’ombre du monde. Ce à quoi onpense d’abord c’est à partager lalumière avec lui. Nous devons passeraux enfants <strong>le</strong>s témoins de lavie que sont l’amour, la fraternité,la solidarité. Mais cette part delumière, on a aussi envie de l’accompagnerd’un regard <strong>sur</strong> dessujets qui peuvent être graves enveillant à ce qu’à la fin du bouquinl’enfant ait trouvé cette part d’humanitéqui lui donne envie degrandir encore. De ce point devue, <strong>le</strong>s illustrateurs jouent un rô<strong>le</strong>de premier ordre. On peut avoirun texte lourd, mais il nous faut àcôté des images qui respirent etqui nous donnent de l’espoir.Dans <strong>le</strong> contexte de criseéconomique et dediminution des ventesgloba<strong>le</strong>s de livres, comments’en sort Rue du monde ?A.S. Le livre est en crise même si la« Une maison comme lanôtre ne tient que parcequ’el<strong>le</strong> rencontre unvaste réseau desympathie...»littérature jeunesse ne s’en sortpas trop mal. Ceci dit, la crise estlà, el<strong>le</strong> est puissante. S’il y a moinsde personnes dans <strong>le</strong>s librairies,cel<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong>s fréquentent encoresont prêtes à dépenser un petitpeu plus. Il y a un fossé qui secreuse entre ceux qui ont <strong>le</strong>smoyens et ceux qui en ont moins.Cela ne nous satisfait pas d’autantque ça met en péril tous <strong>le</strong>s maillonsde la chaîne de fabrication dulivre. Quand <strong>le</strong>s ventes baissent de2 % ou 3 %, <strong>le</strong>s librairies qui sontdéjà en difficulté franchissent laligne rouge. Or ce sont <strong>le</strong>s petiteslibrairies indépendantes quiportent notre travail. Du coté del’imprimerie et de la reliure c’estaussi une la catastrophe. Le paysest en train de se vider de sonsavoir faire. Beaucoup vont imprimeren Asie où <strong>le</strong>s coûts sont 25 %moins é<strong>le</strong>vés. Nous avons fait <strong>le</strong>choix d’imprimer en France, mais<strong>sur</strong> certains formats nous sommesparfois obligés d’al<strong>le</strong>r ail<strong>le</strong>ursparce qu’il n’y a plus <strong>le</strong>s machinesici. Nous faisons aussi un effortpour fabriquer nos livres dans desconditions écologiques optima<strong>le</strong>s,mais cela a un <strong>sur</strong>coût de 7 % à8 %. Malgré ces difficultés nousparvenons à l’équilibre. Une maisoncomme la nôtre ne tient queparce qu’el<strong>le</strong> rencontre un vasteréseau de sympathie... S’il n’y avaitpas tout ça, <strong>le</strong> livre jeunesse françaisne serait pas cette bel<strong>le</strong>vitrine qu’il est aujourd’hui dans <strong>le</strong>monde. C’est un petit trésor dontnous devons tous prendre soin.* Dans « Première année <strong>sur</strong> la terre »Alain Serres et Zaü regardent <strong>le</strong> mondeet ses saisons à travers un point de vuequ’on ne comprend vraiment qu’à la finde l’histoire : <strong>le</strong> regard d’un renardeau desa naissance à son premier anniversaire.55RUEDUMONDE


RUEDUMONDEqCarte blancheen hommageà KorczackRue du monde et Fenêtres <strong>sur</strong><strong>cours</strong> ont soumis à quatreillustrateurs de la maisond’éditions des phrases écritespar Korczack. Pef, Zaü, JudithGueyfier et Laurent Corvaisiern’ont pas esquivé. Leursillustrations sont publiées dans<strong>le</strong>s pages qui suivent.Et Korczak choisit<strong>le</strong> camp des enfantsPefAuteur etillustrateur12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201256ce que je sais<strong>sur</strong> Korczack ». Lespropos de Pefsonnent un peu«Voilàcomme une confidence,en tout cas ses paro<strong>le</strong>s qui débutentsouvent de manière si drô<strong>le</strong>, sont d’entréeici empreintes de gravité. De la gravité il enfaut sans doute pour illustrer un texte écritpar Philippe Meirieu <strong>sur</strong> ce médecinpédiatrepolonais né au XIX e sièc<strong>le</strong> et mortau camp nazi de Treblinka en 1942. JanuszKorczack a marqué <strong>le</strong>s esprits de sescontemporains par son travail auprès desenfants. « L’enfant ne devient pas une personnecar il en est déjà une », disait-il. Ilavait créé en 1912, il y a cent ans, un orphelinatpour <strong>le</strong>s enfants juifs de Varsovie. Uneinstitution dans laquel<strong>le</strong> ils apprenaient àlire, à écrire, mais aussi ce qu’on appel<strong>le</strong>aujourd’hui la citoyenneté. La vie y étaitorganisée avec un par<strong>le</strong>ment, un tribunal etun journal des enfants. Pédagogue militant,il fut arrêté en 1899 pour avoir ouvert dessal<strong>le</strong>s de <strong>le</strong>cture dans un orphelinat de Varsovie…Korczack ne fut pas épargné par lapremière guerre mondia<strong>le</strong> au <strong>cours</strong> delaquel<strong>le</strong>, comme dit Pef, « il récupérait <strong>sur</strong><strong>le</strong>s lignes de front des enfants qui trainaientà cause de la sauvagerie de la guerre ». Puisaprès 14-18 poursuit l’auteur-illustrateur,« Il a continué son travail mais l’ombre dela guerre s’est de nouveau abattue <strong>sur</strong> laPologne ». En 1942 alors qu’on lui proposaitun passeport américain pour quitter <strong>le</strong> payset que <strong>le</strong>s enfants de l’orphelinat étaientemmenés par <strong>le</strong>s nazis, <strong>le</strong> médecin choisitde ne pas partir, de rester avec eux. Le soirmême tous étaient gazés à Treblinka (en1989 Andrzej Wajda a consacré un film à lavie de Korczack).« Cette histoire que je ne connaissais pas aété un choc », avoue Pef dont la sensibilitéa été ébranlée par <strong>le</strong> texte de Philippe Meirieu.« Ça m’est arrivé comme si j’étais un<strong>le</strong>cteur, tout d’un coup quelque chose amordu à ma ligne que je faisais tremperdans l’eau de l’actualité et ce gros poissonlà c’était Korczack. Je me suis vraimentdéfoncé pour retrouver l’ambiance, la vio<strong>le</strong>ncede la situation dans laquel<strong>le</strong> étaientces enfants. C’est un service que je rendsaux enfants d’il y a longtemps, mais j’enpar<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s enfants de maintenant ».Le sujet est dur, grave, cruel, comme <strong>le</strong> sontparfois bien des bouquins de Rue du mondequi se dérou<strong>le</strong>nt dans un cadre historique,tels « Zappe la guerre » de Pef <strong>sur</strong> la premièreguerre mondia<strong>le</strong>, ou la trilogie <strong>sur</strong> la secondeguerre mondia<strong>le</strong> de Rue du monde (Pef-Daeninckx).Et justement, peut-on par<strong>le</strong>r de toutaux enfants ? Pour Alain Serres en tout cas,« peu de livres permettent aux enfants deréfléchir à la façon dont on <strong>le</strong>s éduque, à<strong>le</strong>urs relations avec <strong>le</strong>urs éducateurs » et cebouquin est de ceux-là*. Au-delà de l’histoirebou<strong>le</strong>versante de Janusz et de ses enfants,c’est aussi une des portes ouvertes par <strong>le</strong>« Korczack » qui vient de paraître. *** En même temps que Korczack, Rue du monde publie Le journalde Blumka, un récit d’enfant inspiré par l’orphelinat dumédecin polonais.** À la fin du livre, six pages documentaires apportent desinformations et un éclairage indispensab<strong>le</strong> pour mieux comprendrel’itinéraire de Janusz Korczak : une chronologie desmoments essentiels de sa vie, un point <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s droits de l’enfant,des repères <strong>sur</strong> <strong>le</strong> ghetto de Varsovie et <strong>sur</strong> la Shoah, de nombreusesphotographies et des extraits de ses écrits.ZaüIllustrateurLaurentCorvaisierpeintreet illustrateurJudithGueyfierIllustratrice


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>« Sans doute, <strong>le</strong>s enfants sont différentsdes adultes : il y a des choses qui manquentdans <strong>le</strong>ur vie, mais ils en ont d’autres quinous manquent à nous. »© IMAGE RÉALISÉE PAR PEF, EXTRAITE DE ON LIT TROP DANS CE PAYS © RUE DU MONDE« L’enfant n’est pas une personne enconstruction, il en est déjà une. »© IMAGE INÉDITE RÉALISÉE POUR FENÊTRES SUR COURS PAR ZAÜ © RUE DU MONDE57RUEDUMONDE


RUEDUMONDE12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201258Stéphane Servant,un écrivain dans la classeAuteur d’une trentaine d’albums et romans Stéphane Servant esttombé tout petit dans la <strong>le</strong>cture, il en est ressorti auteur de littératurejeunesse.Dire que Stéphane Servant esttombé dans la littératurepresque par ennui est sansdoute un peu exagéré. <strong>Lire</strong>,comme il <strong>le</strong> dit lui-même,c’était au temps de l’enfance « <strong>le</strong> bonheurd’explorer d’autres univers », <strong>le</strong>moyen d’oublier un peu <strong>le</strong>s soucis de lamaison où <strong>le</strong>s parents se disputaient.« J’étais souvent seul » confie-t-il, seul avecson livre qui l’emmenait en voyage, ou seulavec sa grand-mère chez qui il partait seréfugier pour qu’el<strong>le</strong> lui lise des contes…À 37 ans Servant a déjà publié une trentainede livres jeunesse, des albumstendres comme « Dans combien de tempsje serai grand » avec Sandra Poirot-Cherif,ou « Envolée » avec Aurélia Fronty, maisaussi quelques ouvrages d’auteur-illustrateurtel « Un tout petit pois ». Chez Rue dumonde, Stéphane Servant c’est aussi desromans pour enfants (à lire dès <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> 3),comme « La cabane <strong>sur</strong> <strong>le</strong> toit », l’histoired’un enfant de la cité qui construit sonjardin secret <strong>sur</strong> <strong>le</strong> toit <strong>le</strong> l’immeub<strong>le</strong>, unecabane, mais qui n’échappera pas à l’environnementdes copains, l’argent, l’action,la musique…« Écrire pour <strong>le</strong>s enfants, ce n’est pas unchoix conscient » confie Stéphane Servantqui publie aussi des romans noirs parmi<strong>le</strong>squels Guadalquivir (Gallimard) qui luia valu <strong>le</strong> prix Chronos en 2010.S’il n’a jamais cessé de remplir des carnetsde notes depuis son enfance, Stéphanea connu tout un par<strong>cours</strong>professionnel dans <strong>le</strong> secteur culturel,dans celui de l’éduction populaire. « Jevoulais devenir éducateur spécialisé, etau final me voilà écrivain » s’amuse-t-il, carbien évidemment cela n’a rien d’une fatalité.Pour autant, son goût pour l’enfanceest resté. L’auteur aime bien pousser laporte des classes et arriver <strong>le</strong>s mains dans<strong>le</strong>s poches, mais la tête p<strong>le</strong>ine de mots àéchanger avec <strong>le</strong>s élèves et <strong>le</strong>s enseignants,pratique qu’il réalise assez souventà la demande de ces derniers.« J’ai toujours considéré <strong>le</strong> livre commeun moyen d’émancipation, d’où mon enviede par<strong>le</strong>r de l’enfance aux enfants ». Al<strong>le</strong>ren classe, « c’est l’occasion pour moi desortir de ma grotte d’écrivain, de me frotterau réel de l’enfance, d’avoir un retour<strong>sur</strong> mes textes ». Mais <strong>sur</strong>tout, dit-il,« j’aime bien l’idée qu’un livre est vivant,qu’il se partage. Il n’y a pas d’un côté unauteur déconnecté du réel et de l’autre un<strong>le</strong>cteur qui serait un simp<strong>le</strong> consommateur.Il y a une rencontre qui se crée àtravers <strong>le</strong> texte avec l’auteur, <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur etl’enseignant qui joue <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de passeur. »Évidemment, ce moment se prépare toujoursen amont, par un échange avec l’enseignant,une <strong>le</strong>cture en classe avant lavenue de l’auteur. Son souhait est alors de« laisser toute la place à la rencontre avec<strong>le</strong>s enfants ». Si l’enseignant souhaitepoursuivre la rencontre par un travaild’écriture ce n’est qu’après que ça se passera.Dans la majorité des cas, on lancedes pistes à la fin de la rencontre, on <strong>le</strong>sexplore avec <strong>le</strong>s enfants de manière ora<strong>le</strong>,<strong>le</strong> travail se fera ensuite avec l’enseignantet moi je <strong>le</strong> suis à distance s’il <strong>le</strong> souhaite».


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>« Comment aimer un enfant ? N’être quebienveillant avec lui ne l’aide pas à se dépasser,l’amollit… N’être qu’exigeant engendre méfiance etrefus... C’est ensemb<strong>le</strong> que bienveillance etexigence permettent à l’enfant de bien grandir. »© IMAGE INÉDITE RÉALISÉE POUR FENÊTRES SUR COURS PAR LAURENT CORVAISIER © RUE DU MONDE« Quand on <strong>le</strong>s prend au sérieux, même <strong>le</strong>s enfants<strong>le</strong>s plus terrib<strong>le</strong>s finissent toujours par se montrerdignes de la confiance qu’on <strong>le</strong>ur accorde. »© IMAGE INÉDITE RÉALISÉE POUR FENÊTRES SUR COURS PAR JUDITH GUEYFIER © RUE DU MONDE59RUEDUMONDE


RUEDUMONDE12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201260Sou<strong>le</strong>ymane Mbodj,<strong>le</strong> griot passeurd’histoiresDepuis plus de vingt ans Sou<strong>le</strong>ymane Mbodj va d’éco<strong>le</strong> en éco<strong>le</strong> tel unconteur pè<strong>le</strong>rin. Guitare et djembé sous <strong>le</strong> bras il transmet des histoiresp<strong>le</strong>ines de poésie, de métaphores et de sens cachés. Rencontre.enfants de l’antilope», tel est <strong>le</strong> titre durecueil de contes toutjuste publié par Sou<strong>le</strong>ymaneBodj chez «LesRue du monde avec la complicité éclairéede Zaü pour <strong>le</strong>s illustrations. La collaborationentre <strong>le</strong>s deux hommes semblait cou<strong>le</strong>rde source. Le premier est d’origine sénégalaise,<strong>le</strong> second a beaucoup voyagé enAfrique, continent qui a marqué une partde son œuvre. Ce n’est pas vraiment parhasard que Sou<strong>le</strong>ymane Bodj est devenuconteur bien qu’au départ il se soit plutôtdestiné à la musique, une orientation qui l’aconduit à venir en France à l’âge de 17 ans,il y a 23 ans donc, et à devenir musicien destudio : « un travail plutôt alimentaire » dit-ilaujourd’hui. Alimentaire peut-être mais quil’a mené à croiser la route d’artistes telsHigelin, Manu Dibango ou encore MichelPetrucciani ce qui a du sens pour lui quiest fan de jazz et participe avec sa guitareà plusieurs formations jazzys. Conteur paspar hasard donc car ses parents étaienteux-mêmes griots à Saint-Louis, cité iliennedu f<strong>le</strong>uve Sénégal au Nord du pays, officiel<strong>le</strong>mentfondée au XVII e sièc<strong>le</strong> en l’honneurde Louis XIV, vil<strong>le</strong> dont il ne manque pasl’occasion de vanter <strong>le</strong>s charmes.Aujourd’hui Sou<strong>le</strong>ymane consacre entièrementson temps à la narration de contesqu’il accompagne en musique (guitare etdjembe), ainsi qu’à des conférences. Sonboulot c’est aussi l’écriture pour coucher<strong>sur</strong> papier des histoires dont la particularitéest de re<strong>le</strong>ver de la tradition ora<strong>le</strong>, cequi fait que « beaucoup d’entre el<strong>le</strong>s ontdisparu avec l’extinction de certaines langues,alors que <strong>le</strong> conte est inscrit parl’Unesco au patrimoine immatériel de l’humanité». Depuis plus de vingt ans Sou<strong>le</strong>ymaneMbodj multiplie <strong>le</strong>s interventionsdans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s. « Il faut d’abord raconter <strong>le</strong>conte aux enfants parce qu’il s’agit d’unehistoire humaine ; d’une histoire d’hier,racontée aujourd’hui, pour <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain »dit-il. C’est <strong>sur</strong>tout malgré <strong>le</strong>s variantesdues aux contextes géographiques, naturels,historiques ou culturels, des histoiresà partager. « Quand je par<strong>le</strong> de justice, detolérance, d’amour, de liberté ou d’égalité,ce sont des thèmes universels » soulignet-il.Le conte pour <strong>le</strong> conte, <strong>le</strong> conte commeoutil de médiation pour entrer dans certainsapprentissages, <strong>le</strong> conte comme vecteurde sens initiatique, philosophique,métaphorique, interculturel, porteur desens caché donc : « <strong>le</strong>s contes permettentd’avoir une vision universel<strong>le</strong> du monde, dese rendre compte que <strong>le</strong>s hommes sontpartout pareils et que la bêtise n’a jamaisde cou<strong>le</strong>ur ».


« Du mieux pour la littérature jeunesseà l’éco<strong>le</strong> »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Vous avez participé auxactions de valorisation de lalittérature de jeunesse àl’éco<strong>le</strong> depuis une trentained’années, diriez-vous quecette littérature y a trouvésa place?M.B. J’ai <strong>le</strong> sentiment que <strong>le</strong>sactions que nous avons initiéespour promouvoir et légitimer <strong>le</strong>smeil<strong>le</strong>urs ouvrages de la littératurede jeunesse, au tout débutdes années 80 ont eu une certaineefficacité. El<strong>le</strong>s ont été lancéesen liaison avec <strong>le</strong>sbibliothécaires et <strong>le</strong>s professionnelsdu livre par quelques formateursd’enseignants, de rareschercheurs, beaucoup de collèguesde terrain. En 2002, <strong>le</strong>ministère de l’Éducation nationa<strong>le</strong>a enfin légitimé cette littératureen la plaçant au cœur deprogrammes de grande qualité.La littérature de jeunesse faitdésormais partie du quotidien dela plupart des classes de primaire,pourtant <strong>le</strong>s projets liés à sa présencedans <strong>le</strong>s apprentissagesappel<strong>le</strong>nt encore des approfondissements.Il reste bien du grainà moudre.Sur quels éléments reposece sentiment ?M.B. Une équipe de recherche quej’ai dirigée a conduit une enquête*<strong>sur</strong> cette présence et <strong>sur</strong> sesusages à l’éco<strong>le</strong> à l’occasion d’uncolloque organisé avec la Bibliothèquenationa<strong>le</strong> de France en2011. La généralisation de la présencede la littérature de jeunessea été confirmée mais il estapparu que <strong>le</strong>s usages pédagogiquesméritent d’être interrogéspour plusieurs raisons.Lesquel<strong>le</strong>s ?Max But<strong>le</strong>nMax But<strong>le</strong>n est maitre de conférences à l’Université de Cergy-Pontoise,IUFM, laboratoire CRTF, fondateur du tout nouveau master littératurede jeunesse à l’UCP.Les programmes de 2002 ontposé comme objectif la constructiond’une première culture littéraire,une culture commune à tous<strong>le</strong>s élèves. Pour l’atteindre, deslistes de références ont été établiespar une commission de laDGESCO tandis que <strong>le</strong>s programmesouvraient de remarquab<strong>le</strong>set audacieuses pistesdidactiques en prenant appui <strong>sur</strong>la recherche et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s expérimentationsde collègues novateurs.Parmi <strong>le</strong>s pistes proposées, je citeraila « mise en réseaux » desouvrages de ces listes, entre euxmais aussi avec d’autres œuvres,pour faciliter l’appropriation, lacompréhension des textes, pourinstal<strong>le</strong>r et partager cette culturetout en ouvrant de nouveaux horizonsde <strong>le</strong>cture. Ces programmesinvitaient aussi à organiser dèsl’âge de cinq ans des « débatsinterprétatifs » ou encore suggéraientla tenue d’un carnet de <strong>le</strong>cteur.Ils ont réhabilité la <strong>le</strong>cture àhaute-voix, démultipliant la pratiquede la « <strong>le</strong>cture offerte ». Or,<strong>le</strong>s programmes suivants, en2008, ont plutôt freiné ce mouvement,alors qu’on attendait qu’ilsapportent <strong>le</strong>s précisions devenuesindispensab<strong>le</strong>s pour répondre auxquestions et aux besoins de formationde collègues confrontésdans <strong>le</strong>ur pratique à desdémarches jugées fécondes maiscomp<strong>le</strong>xes car el<strong>le</strong>s ont reconfiguré<strong>le</strong>s enseignements de la <strong>le</strong>ctureet de la littérature.N’avait-on pas parlé aussid’un renouvel<strong>le</strong>ment etd’une extension de ceslistes de références ?M.B. Effectivement, en 2007, uneliste de référence de 250ouvrages a bien été établie pour<strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> 2, et la liste pour <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong>3 a été actualisée avec ses 300ouvrages adaptés aux objectifspédagogiques et culturels ducyc<strong>le</strong>. Ce n’est qu’ en 2012, que lacommission nationa<strong>le</strong> de laDGESCO a pu reprendre son travail.Avant la fin de l’année, el<strong>le</strong>sera en me<strong>sur</strong>e de publier uneactualisation des listes C2 (avec270 titres) et C3. En 2013, la listequi manquait pour <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> l seraétablie.« La rechercheindéniab<strong>le</strong>ment s’estdéveloppée, même s’ilfaut déplorer <strong>le</strong>sréticences persistantesde certaines instances,voire de certainscollègues»Quel<strong>le</strong>s autres observationsont été faites dans l’état deslieux de la recherche et dela formation ?M.B. La recherche indéniab<strong>le</strong>ments’est développée, même s’il fautdéplorer <strong>le</strong>s réticences persistantesde certaines instances,voire de certains collègues, etmême si <strong>le</strong>s professeurs des universitéshabilités manquentencore cruel<strong>le</strong>ment. Les thèsesen rapport avec la littérature dejeunesse sont beaucoup plusnombreuses et concernent desdisciplines bien au-delà des<strong>le</strong>ttres. On remarque aussi que<strong>le</strong>s séminaires, <strong>le</strong>s colloques, <strong>le</strong>sjournées d’études organisées par<strong>le</strong>s universités se sont multipliés<strong>sur</strong> des thématiques de plus enplus variées, ce que l’on retrouveaussi dans des revues liées à larecherche. Du côté de la formation,l’enseignement de la littératurede jeunesse, au-delà desIUFM, est apparu dans un nombresignificatif de licences. Quelquesmasters existent désormais dontcelui que nous venons de créer àCergy et Antony. Notre publicationdresse un état des lieux, proposeune analyse et confirme quesi la situation est bien meil<strong>le</strong>urequ’à la fin des années 70, l’actiondans ce champ est à poursuivre…et amplifier.*« État des lieux des recherches et desformations en littérature de jeunesse »,sous la directions de Max But<strong>le</strong>n etAnnick Lorant –Jolly, BnF, CNLJ/ La joiepar <strong>le</strong>s livres, 2012.61


MATER-NELLEDOSSIERMaternel<strong>le</strong> ?Évidemment !12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201262Après avoir été malmenée pendant plus de dix ans l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> esten droit de prétendre à davantage de considération et de moyens pourévoluer. Parce qu’el<strong>le</strong> n’est pas la « petite » éco<strong>le</strong> qui précéderait la« grande », la formation des enseignants devra aussi permettre de définiret de diffuser <strong>le</strong>s gestes professionnels propres à une éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>bienveillante et exigeante qui bénéficie aux élèves <strong>le</strong>s plus fragi<strong>le</strong>s.«Le plaisir d’être à l’éco<strong>le</strong>, c’estaussi <strong>le</strong> plaisir d’y réussir ».C’est une des conclusions durapport de l’inspection généra<strong>le</strong><strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>qui devra guider décideurs et enseignantsdans des choix nouveaux en direction desélèves <strong>le</strong>s plus jeunes. Au <strong>cours</strong> des dixdernières années, la baisse constante desmoyens s’est souvent traduite par unehausse des effectifs dans <strong>le</strong>s classes. Fautede lisibilité des prescriptions ministériel<strong>le</strong>s(en particulier par l’écriture bâcléedes programmes de 2008 et des injonctionsdésordonnéesd’IEN), cette dégradationdes conditions de scolarisationen maternel<strong>le</strong> aconduit <strong>le</strong>s enseignants àbeaucoup emprunter dans<strong>le</strong>urs pratiques à l’éco<strong>le</strong>élémentaire (productions« la primarisation abénéficié <strong>sur</strong>tout auxélèves issus des milieuxfavorisés »écrites, évaluations, travail <strong>sur</strong> tab<strong>le</strong>...).Cette dérive de la « primarisation » dénoncéedans <strong>le</strong> même rapport a bénéficié <strong>sur</strong>toutaux élèves issus des milieux favoriséset déjà familiarisés aux formes scolairestraditionnel<strong>le</strong>s et a creusé <strong>le</strong>s écarts entre<strong>le</strong>s élèves de différents milieux. El<strong>le</strong> interrogeaussi bien <strong>le</strong>s conditions d’accueildes enfants que <strong>le</strong>s objectifs assignés àl’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s pratiques pédagogiquesen vigueur.La crise d’identité actuel<strong>le</strong> de l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>est aussi une crise de la professionnalitédes enseignants. Sans formationspécifique, ils se sententpris en otage entre larecherche de l’épanouissementdes enfants etl’exigence professionnel<strong>le</strong>,institutionnel<strong>le</strong> et parenta<strong>le</strong>d’une préparationrigoureuse à la « grande


éco<strong>le</strong> ». Sortir de cette opposition dépasséeentre bien-être et apprentissages est plusque jamais une nécessité. Les enseignantscherchent et revendiquent une bousso<strong>le</strong> etdes conditions d’enseignement qui <strong>le</strong>urpermettent de tenir <strong>le</strong>s deux bouts de cettecorde très sensib<strong>le</strong> et, comme <strong>le</strong> montrentde nombreuses études internationa<strong>le</strong>s, souventdécisive pour l’avenir scolaire des plusfragi<strong>le</strong>s.Une éco<strong>le</strong> bienveillante etexigeantePourtant <strong>le</strong>s connaissances <strong>sur</strong> <strong>le</strong> développementde l’enfant de 0 à 6 ans issues detravaux de recherche plaident en faveurd’une éco<strong>le</strong> accueillante et stimulanteavec des enseignantsen capacité de proposer dessituations à la fois ludiques etpermettant la systématisationdes apprentissages. C’est ceque défend Michel Fayol quifait, dans <strong>le</strong> même temps, l’éloge de la <strong>le</strong>nteurpour <strong>le</strong>s apprentissages numériques etinsiste <strong>sur</strong> la nécessité de manipu<strong>le</strong>r longtemps<strong>le</strong>s très petites quantités, en petitsgroupes et sous <strong>le</strong> regard attentif d’un enseignantqui analyse l’activité de l’enfant, vérifie<strong>le</strong>s progrès et identifie <strong>le</strong>s obstac<strong>le</strong>s.« Toute connaissance est acquise » rappel<strong>le</strong>Roger Lécuyer en s’intéressant plus particulièrementaux bébés (voir page 67). Très tôt,<strong>le</strong> jeune enfant part de ses expériences perceptiveset motrices et entre dans la catégorisationen cherchant des points communs,des régularités entre différents éléments.Mais <strong>le</strong> chercheur met aussi en garde : « la<strong>sur</strong>stimulation crée fina<strong>le</strong>ment la passivité.»Des enseignements dont l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>devra tenir compte.«<strong>le</strong> coup<strong>le</strong> ‘instit/ATSEM’ reste l’un despiliers de la classe. »Des équipes de professionnelsFaute d’avoir pu penser <strong>le</strong>ur évolution, <strong>le</strong>senseignants de l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> ont vu<strong>le</strong>ur identité professionnel<strong>le</strong> fragilisée parla mise en œuvre de pratiques insatisfaisantes.Le travail en petits groupes dontils reconnaissent <strong>le</strong>s bienfaits mais qu’ilsont été contraints à mettre en œuvre dansde mauvaises conditions <strong>le</strong>s a conduits àmodifier <strong>le</strong>ur collaboration avec <strong>le</strong>s autrespersonnels de l’éco<strong>le</strong> que sont en premierlieu <strong>le</strong>s ATSEM. Comme <strong>le</strong> souligne FrançoiseCarraud, <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> « instit/ATSEM »reste l’un des piliers de la classe, même sila définition du rô<strong>le</strong> de chacun en directiondes élèves ne va pas nécessairementde soi. La complémentaritéentre ces deuxprofessionnels, pour seconforter, a besoin des’appuyer <strong>sur</strong> une professionnalitérenforcéede part et d’autre. Laformation initia<strong>le</strong> et continue des maîtresne peut plus ignorer la spécificité de l’enseignementen éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> et doits’attacher à la définition et la transmissiondes gestes professionnels propres à cetteéco<strong>le</strong>. La collaboration avec d’autres professionnelsde la petite enfance, indispensab<strong>le</strong>saux côtés des enseignants, devraêtre pensée voire inventée et des dispositifsnouveaux élaborés en amont de l’éco<strong>le</strong>.L’enjeu est d’importance : permettre à tous<strong>le</strong>s enfants, quel que soit <strong>le</strong> milieu dont ilssont issus, de vivre de premières expériencesscolaires constructives dans unclimat de sécurité et d’attention bienveillantede la part d’enseignants et de professionnelsformés.Claude GautheronTAUX DE SCOLARISATION DES ENFANTS DE MATERNELLE DE 1960 À 2011Une baisse vertigineuse de plus de 20 % en 12 ans pour la scolarisation des enfants demoins de 3 ans ! Faire remonter <strong>le</strong>s taux, une nécessité mais à plusieurs conditions : depetits effectifs dans <strong>le</strong>s classes, des locaux et du matériel adaptés, des personnels forméset la collaboration de tous <strong>le</strong>s partenaires de la petite enfance. Des incontournab<strong>le</strong>s.q Un rapport porteurde perspectivesLe rapport de l’Inspection Généra<strong>le</strong> <strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong>, rendu public cette année, dresse untab<strong>le</strong>au sans concession d’une éco<strong>le</strong> ouverte àtous, gratuite, pour un accueil massif desjeunes enfants mais aussi d’une éco<strong>le</strong> qui« primarise » dès la petite section. En effet, <strong>le</strong>rapport pointe la trop grande place de lapréparation du lire-écrire au détriment des jeuxet manipulations à même d’ancrer <strong>le</strong>sapprentissages. Sur la question du langageoral, <strong>le</strong> rapport suggère d’armer <strong>le</strong>senseignants pour identifier <strong>le</strong>s points d’a<strong>le</strong>rteen la matière à l’aide d’outils conçus par desspécialistes. En accord avec <strong>le</strong> développementde l’enfant et dans une pédagogie del’encouragement, il faut adapter <strong>le</strong>s rythmes en<strong>le</strong>s faisant évoluer des tout-petits aux grands,avec plus de soup<strong>le</strong>sse <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s conditionsd’entrée et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s exigences d’assiduité. Lerapport préconise une plus grande implicationdes parents pour atténuer <strong>le</strong>s effets desruptures, avec l’organisation d’un partenariatéducatif formalisé. Et pour <strong>le</strong>s inspecteursgénéraux, <strong>le</strong> <strong>le</strong>vier <strong>le</strong> plus important pour <strong>le</strong>changement souhaité est sans doute la remiseen route d’une formation initia<strong>le</strong> et continue dequalité, avec une diffusion des gestesprofessionnels propres à la maternel<strong>le</strong>. Dans lalogique d’une conception progressive de lapédagogie, est même envisagé un partenariatavec tous <strong>le</strong>s professionnels du secteur de lapetite enfance. Concernant <strong>le</strong>s ATSEM, <strong>le</strong>rapport évoque l’élaboration de chartes, deformations communes avec <strong>le</strong>s enseignants,d’une redéfinition de <strong>le</strong>ur place dans <strong>le</strong>sinstances de l’éco<strong>le</strong>... Mais au-delà de l’effort deformation, <strong>le</strong> pilotage devra être développé, àtous <strong>le</strong>s niveaux, permettant au systèmeéducatif de se mobiliser davantage <strong>sur</strong> lamaternel<strong>le</strong>, tant au niveau des rectorats, quedes IEN ou des CPC. Un rapport qui ouvre desperspectives d’évolutions intéressantes,bienvenu à l’aube d’une nouvel<strong>le</strong> loid’orientation.12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>100 %80 %60 %40 %20 %0 %2 ans3 ans4 ans5 ans1960 1970 1975 1980 1985 1990 1994 2000 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 201163MATER-NELLE


MATER-NELLEDOSSIER« Maternel<strong>le</strong> : passer aux12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201264Viviane Bouysse, inspectricegénéra<strong>le</strong> revient <strong>sur</strong> pourquoi etcomment l’éco<strong>le</strong> est devenue cequ’el<strong>le</strong> est aujourd’hui. El<strong>le</strong>décrypte ce qu’el<strong>le</strong> pourrait êtrepour répondre au mieux auxbesoins des jeunes enfantsqu’el<strong>le</strong> accueil<strong>le</strong>. Lors de l’universitéd’automne du <strong>SNUipp</strong>,el<strong>le</strong> présente des propositionsconcernant <strong>le</strong>s pratiques professionnel<strong>le</strong>sdes enseignants etrevient <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s spécificités dumétier de professeur des éco<strong>le</strong>sen maternel<strong>le</strong>.Vous évoquez une crised’identité de l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong>. À partir dequels éléments avez vousdressé un état des lieux ?Comment se caractérisecette crise ? Pouvez-vous enpréciser des symptômes ?V. B. L’état des lieux a été dressé àpartir d’une enquête qui a permisdes observations dans une centained’éco<strong>le</strong>s maternel<strong>le</strong>s et s’estbasé <strong>sur</strong> des entretiens <strong>sur</strong> placeavec des enseignants et desdirecteurs, à partir aussi d’entretiensau niveau national avec desreprésentants syndicaux ou associatifs,des universitaires, desélus. Bref, nous avons vu beaucoupd’acteurs, à un titre ou unautre, de l’éco<strong>le</strong> et nous avonsaussi effectué des observationsdans d’autres milieux d’accueil dela petite enfance en France et àl’étranger. Bien sûr, nous avonsaussi lu ou relu ce qui a été écrit<strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>.Les symptômes de la crise semarquent dans l’expression d’uneforme de malaise, de nombreuxenseignants qui sont en quelquesorte « déboussolés » : ils netrouvent plus <strong>le</strong> cap, face à desinjonctions qui <strong>le</strong>s étonnent voire<strong>le</strong>s offusquent mais ils ne sontpas sûrs de ce qu’ils regardentcomme des traditions de l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong>, traditions qu’ils neViviane BOUYSSEInspectrice généra<strong>le</strong> de l’éducation nationa<strong>le</strong> depuis 2005 ; à des titresdivers, « actrice » et observatrice de l’éco<strong>le</strong> primaire depuis 1972.savent pas vraiment justifier. Ilssubissent la pression des parentsen certains lieux pour que lamaternel<strong>le</strong> soit très « scolaire » ;l’encadrement pédagogique n’estpas une situation plus claire nitrès confortab<strong>le</strong>.Quels sont <strong>le</strong>s éléments quipermettent de comprendrece que l1éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>est devenue ?V. B. Il faut prendre en compte unfaisceau d’explications pour comprendrece qui a conduit l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong> à évoluer comme el<strong>le</strong>l’a fait. Il y a d’abord son histoiredans <strong>le</strong>s quarante dernièresannées : structurel<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> estdevenue un vrai cursus continu,de trois ou quatre ans alors quejusque dans <strong>le</strong>s années 1970 trèsrares étaient <strong>le</strong>s enfants qui la fréquentaientaussi longtemps etavec autant d’assiduité qu’aujourd’hui.Mais l’adaptation pédagogiquepour prendre en comptecet allongement du par<strong>cours</strong> n’apas été vraiment pensée. On n’apas assez réfléchi, notamment,aux évolutions du développementdes enfants et à la progressivitéde la pédagogie qui doit <strong>le</strong>saccompagner. Dans la mêmepériode, la pédagogie propre à lamaternel<strong>le</strong> a perdu son originalité,en réponse à une sorte deslogan : « l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> estune éco<strong>le</strong> ». On s’est mis à ycopier des formes d’activités quiont <strong>cours</strong> dans l’éco<strong>le</strong> élémentaire.Les enseignants ont eu desdifficultés à se situer entre préparationde l’écolier et prise encompte des besoins des enfantshic et nunc, la première option« Un enfant qui va bien aenvie de grandir. »« il n’y a pasd’opposition entrebien-être ouépanouissement etapprentissages. »étant devenue prédominante.Tout cela a été possib<strong>le</strong> parce quela formation spécifique a aussibeaucoup décliné.Ensuite, on doit prendre encompte aussi <strong>le</strong>s conséquencesde la « logique des compétences». Quand on définit desprogrammes par « compétences »(et c’est <strong>le</strong> cas depuis 1995), c’estl’horizon qui est donné, pas <strong>le</strong>chemin pour s’en approcher. Lesprogrammes de 2008 ont accentuéce fait : il n’y a pas eu d’explici t ation d e s atte n d u sépistémologiques, didactiquesou autres qui aident à construireun par<strong>cours</strong>. Ce qui est devenuvisib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> programme de lamaternel<strong>le</strong>, c’est ce qui estattendu en grande section.Enfin, on observe une accentuationdes effets de la logique descompétences depuis que l’on ainstallé un « pilotage par <strong>le</strong>s résultats». La centration s’est encoreaccentuée <strong>sur</strong> la section degrands et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s objectifs trèsparticuliers d’acquisition liés àson appartenance au cyc<strong>le</strong> 2 : defait, <strong>le</strong>s objectifs propres au cyc<strong>le</strong>1 perdent <strong>le</strong>ur visibilité. On n’a pasvraiment évité <strong>le</strong>s risques de l’effet-évaluation<strong>sur</strong> l’apprentissage: <strong>le</strong>s formes d’activités del’évaluation et la nature des exigencessont anticipées dans l’apprentissage,et donc on reporte<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s classes antérieures deséléments qui ne devraientconcerner que la grande section.


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>pratiques pédagogiques ! »Quels sont <strong>le</strong>s besoins desenfants qu’el<strong>le</strong> accueil<strong>le</strong> ?Pouvez-vous <strong>le</strong>s lister etévoquer <strong>le</strong>ur importance ?V. B. On peut rapidement <strong>le</strong>s énoncersans que la liste soit hiérarchiséecar tout est important et <strong>le</strong>srelations entre domaines sontfortes. Il y a d’abord <strong>le</strong>s besoinsphysiologiques propres au petitenfant et qui évoluent assez vitemais il faut toujours en tenircompte : <strong>le</strong> besoin de repos, derepli, la propreté, la nourriture,l’eau ; c’est l’adulte qui pense pour<strong>le</strong> petit puis qui l’aide à prendreconscience de ses besoins etconduit chacun à <strong>le</strong>s satisfaireseul. Il y a <strong>le</strong>s besoins moteurs etpsychomoteurs : <strong>le</strong> jeune enfantdécouvre <strong>le</strong> monde grâce à lamotricité (globa<strong>le</strong> et fine), il doitêtre mis en situation de prendredes risques à sa me<strong>sur</strong>e bien sûret en sécurité. Certains psychologuesinsistent <strong>sur</strong> <strong>le</strong> besoin desenfants de « désordonner <strong>le</strong>monde » pour comprendre commentil s’ordonne. Les enfantsdoivent pouvoir bouger et manipu<strong>le</strong>rbeaucoup. Ils ont aussi ungrand besoin de jeu, c’est-à-dired’activités gratuites (sans finalitéutilitaire), de rêverie, de création.Ils se projettent dans des rô<strong>le</strong>s, ilsinventent, ils font semblant. Deplus, ils ont aussi des besoins dedécouvertes et de connaissances :ils aiment imiter, explorer, observer,répéter, se remémorer, etc. Unenfant qui va bien a envie degrandir et grandir pour lui c’estpouvoir faire plus de choses toutseul, connaître plus qu’avant ; Ilsont besoin d’expression langagière,de communication : il <strong>le</strong>urfaut des temps d’échanges voirede confidences.« Il faut se représenterl’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>comme une transition. »Comment y répondre aumieux ? Quel rô<strong>le</strong> devraitjouer l’éco<strong>le</strong> idéa<strong>le</strong>ment ?Quel<strong>le</strong>s propositionspeut-on mettre en avant ?V. B. Tous <strong>le</strong>s spécialistes <strong>le</strong> disent,il n’y a pas d’opposition entrebien-être ou épanouissement etapprentissages. Le bien-être estlié à la satisfaction des besoinsdivers de l’enfant, donc aussi desbesoins d’apprendre, de progresser.«Travail<strong>le</strong>r avec despetits groupes pourinteragir »Il faut se représenter l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong> comme une transitionentre des univers marquéspar des manières d’apprendredifférentes, cel<strong>le</strong> du tout petitqui prolongent <strong>le</strong>s manièresd’apprendre du bébé (par imitation,par essais et erreurs, dansdes situations fonctionnel<strong>le</strong>s) etcel<strong>le</strong>s de l’écolier de CP (<strong>le</strong>s<strong>le</strong>çons, <strong>le</strong>s exercices). Il lui fautpour cela une organisation quipermette aux enfants de vivrebien <strong>le</strong>ur petite enfance tout ens’engageant à <strong>le</strong>ur me<strong>sur</strong>e et à<strong>le</strong>ur manière dans <strong>le</strong>s apprentissages.Pour résumer, il y a troismots clés : faire agir, réussir etcomprendre. Les enfants doiventpouvoir agir, c’est-à-dire prendredes initiatives (et non exécuter)et « faire » (essayer, recommencer,etc.). Ils doivent être aidéspour parvenir à réussir, c’est-àdireà al<strong>le</strong>r au bout d’une intention,d’un projet voire de laréponse à une consigne, et demanière satisfaisante. Enfin, ilfaut qu’ils comprennent ce qui aréussi, comment et pourquoi ilssont réussi, ce qui suppose uneprise de distance, une prise deconscience qu’ils ne peuventeffectuer que sous la conduited’un pédagogue. C’est danscette « capacité réf<strong>le</strong>xive » quese construit la posture d’élève.Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>sconséquences pour <strong>le</strong>spratiques professionnel<strong>le</strong>sdes enseignants ?V. B. En matière de pratiques professionnel<strong>le</strong>s,il faudrait que <strong>le</strong>senseignants de maternel<strong>le</strong> parviennentà travail<strong>le</strong>r davantageavec des petits groupes, pourinteragir au mieux avec chaqueenfant, pour mieux <strong>le</strong>s observer,mieux <strong>le</strong>s guider vers la réussiteet la compréhension des activités.Cela suppose que chaqueclasse soit organisée comme unmilieu offrant des occasions d’apprendreet des situations stimulantes.Pour quels objectifs ? Lesenfants doivent pouvoir prendredes initiatives quand ils ne sontpas dans <strong>le</strong> groupe piloté par l’enseignantet, pour cela, il faut unaménagement particulier de laclasse, des ressources importantesdans la classe (du matériel,des jeux, etc.).Propos recueillis par Fabienne berthet65MATER-NELLE


MATER-NELLEATELIERACQUISITIONInné - acquisLes extraordinairescapacités des bébésDepuis son laboratoire, Roger Lécuyer fait des expériences <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s bébés. Mais loin d’être un« professeur fou », <strong>le</strong>s méthodes expérimenta<strong>le</strong>s qu’il applique permettent de mieuxcomprendre <strong>le</strong> développement des nourrissons et d’appréhender <strong>le</strong> fonctionnement del’acquisition des connaissances chez <strong>le</strong>s jeunes enfants. Quel<strong>le</strong> est la part de l’acquis ? La partde l’inné ? Ces connaissances précoces sont-el<strong>le</strong>s <strong>sur</strong>estimées ? Roger Lécuyer nous proposeun fabu<strong>le</strong>ux voyage au cœur des extraordinaires capacités des bébés.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201266q Le principe de « l’habituation »Mais comment sait-on cequ’on sait <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s bébés ?Les méthodes expérimenta<strong>le</strong>sutilisées par RogerLécuyer sont basées <strong>sur</strong><strong>le</strong>s temps de regard des bébés. Sur <strong>le</strong> principede l’habituation suivie d’une phase detests, <strong>le</strong>s expériences menées <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s nourrissonsreposent <strong>sur</strong> <strong>le</strong> constat que lorsque<strong>le</strong>ur temps de regard diminue de moitié, ilsn’ont plus d’intérêt pour ce qu’on <strong>le</strong>ur présente.Ainsi, une des expériences consisteà montrer successivement une imageconnue du bébé puis une image qu’il neconnait pas et de nouveau une imageconnue. Le regard de bébé s’attarde pluslongtemps <strong>sur</strong> la figure inconnue, ce quitend à prouver qu’il différencie et aime cequi est nouveau. Basée <strong>sur</strong> la vue, cetteméthode expérimenta<strong>le</strong> permet aussi dedéduire que, dès trois mois, <strong>le</strong>s bébés ontacquis des connaissances. Roger Lécuyera nommé une de ces connaissances « Quise ressemb<strong>le</strong> s’assemb<strong>le</strong> ». Face à des photosde visages humains, <strong>le</strong>s bébés catégorisent<strong>le</strong>s images en figures masculines etfigures féminines. Leur développementcognitif permet donc aux bébés de chercheret d’iso<strong>le</strong>r des similitudes. Une autreexpérience montre qu’à l’encontre desthéories de Piaget, la permanence de l’objetest acquise très rapidement. Ainsi, <strong>le</strong>bébé s’attend à découvrir derrière unécran un objet qui lui a été présenté avantd’être caché derrière cet écran… Enrevanche, pas de soustraction ni d’additionchez <strong>le</strong> bébé. Il faudra attendre <strong>le</strong>s premièresscolarisations pour appréhenderces compétences numériques. Mais cen’est déjà plus une histoire de bébés…


« Toute connaissance est acquise »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Vous dites que <strong>le</strong>snourrissons élaborent trèstôt des connaissances…R. L. Il faut distinguer deux typesde connaissances. Il y a <strong>le</strong>sconnaissances factuel<strong>le</strong>s commereconnaître la voix de la mère dèsla naissance et <strong>le</strong>s connaissancesdes règ<strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s du fonctionnementde l’environnement (lapermanence de l’objet parexemp<strong>le</strong>). Les connaissances factuel<strong>le</strong>ss’acquièrent dès la viefœta<strong>le</strong> (goûts, sons…). Si lamaman mange des aliments augoût d’anis par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> bébéaura un rapport positif aux alimentsanisé. Concernant <strong>le</strong>srèg<strong>le</strong>s de la physique élémentaire,3 théories s’opposent. Laplus classique, cel<strong>le</strong> de Piaget,selon laquel<strong>le</strong> tout s’acquiert par<strong>le</strong> biais de l’activité sensorimotrice.La théorie nativisteestime qu’un noyau de connaissancesexiste dès la naissance. Le3 e point de vue estime que cesconnaissances sont acquises trèsvite – avant <strong>le</strong>s trois premiersmois – de manière perceptive, enrepérant par exemp<strong>le</strong> que si <strong>le</strong>urmère est à moitié cachée par unmeub<strong>le</strong> el<strong>le</strong> n’en reste pas moinsentière…Comment <strong>le</strong>s bébés font-ilspour découvrir <strong>le</strong> mondeenvironnant ?R. L. Tout dépend de l’âge. Avantcinq mois, <strong>le</strong>s bébés ne peuventpas avoir d’action volontaire vers<strong>le</strong> monde comme attraper unobjet. Toutefois, un bébé quisemb<strong>le</strong> passif dans son transatperçoit des choses. Or, la perceptionest quelque chose de trèsactif. Une de nos expériencesconsiste à montrer à des bébésde 3 mois une succession defigures géométriques à trois élémentsqu’on <strong>le</strong>ur laisse regarder.Au bout d’un certain temps on<strong>le</strong>ur présente en alternance unefigure à 4 éléments et une à 3éléments qu’ils n’ont jamais vue.Roger LecuyerRoger Lecuyer est professeur émérite de psychologie dudéveloppement à l’Université Paris-Descartes. Ses travaux mettent enévidence <strong>le</strong>s connaissances élaborées par <strong>le</strong>s bébés qui, dès trois mois,comprennent un certain nombre de « lois » simp<strong>le</strong>s régissant <strong>le</strong>fonctionnement de <strong>le</strong>ur environnement physique et social. Son ouvrageintitulé « Le développement du nourrisson » (Dunod, Paris, 2004),synthétise l’ensemb<strong>le</strong> des connaissances actuel<strong>le</strong>s <strong>sur</strong> <strong>le</strong> développementdu nourrisson.Les bébés regardent plus longtempsla première car ils ontremarqué une régularité dans <strong>le</strong>sprécédentes. Ces tentativesmontrent que <strong>le</strong> bébé n’est paspassif face aux stimulations quelui offre l’environnement.Ces connaissancesrelèvent-el<strong>le</strong>s de l’innéou de l’acquis ?R. L.. Mon point de vue est qu’il y ades connaissances factuel<strong>le</strong>s dèsla naissance mais que la connaissancede règ<strong>le</strong>s n’apparait quevers 2-3 mois. Si on entend parinné ce qui est présent à la naissance,un savoir peut être à la foisinné et acquis puisqu’on commenceà apprendre avant la naissance.Mais il n’y pas deconnaissance innée (au sens denon apprise) : toute connaissanceest acquise. Il y a cependant descapacités déjà présentes à lanaissance comme <strong>le</strong>s capacitésperceptives ou <strong>le</strong>s capacitésmotrices qui sont plus é<strong>le</strong>vées inutero en raison de la faib<strong>le</strong> musculaturedes nouveau-nés quiévoluent plus aisément en milieuaqueux.Comment créer un terreaufavorab<strong>le</strong> à l’apprentissageprécoce?R. L. Le meil<strong>le</strong>ur moyen de donnerà un bébé ce dont il a besoinc’est de faire ce que l’on a enviede faire. Nombre de nos expériencesconsistent à rechercher<strong>le</strong>s caractéristiques des stimuliqui provoquent l’intérêt desbébés. Il y en a essentiel<strong>le</strong>mentquatre. Le mouvement est unedes premières choses qui va« il n’y pas deconnaissance innée (ausens de non apprise) :toute connaissance estacquise »interpel<strong>le</strong>r <strong>le</strong> nourrisson. Tout cequi est structuré intéresse aussi<strong>le</strong> bébé. Par exemp<strong>le</strong>, il ne s’intéresserapas à un mur blanc tandisqu’un visage humain, avec sarégularité, va attirer son attention.Les bébés sont aussi attentifsà ce qui est nouveau. Pas cequi est « trop » nouveau et qu’ilsne sont pas en capacité d’analysermais du nouveau dans larégularité, comme des grimaces<strong>sur</strong> un visage connu, ou unadulte qui change de vêtements.Enfin, <strong>le</strong>s nourrissons s’intéressentà ce qui est étrange. Lepetit jeu de l’objet qui apparaîtpuis disparaît <strong>le</strong>s passionne. Enconséquence, sa meil<strong>le</strong>uresource de stimulation est la présencede l’humain.N’y a-t-il pas un risque à<strong>sur</strong>-stimu<strong>le</strong>r un nourrisson?R. L. Le risque est énorme. Dansnos recherches, nous travaillonsbeaucoup <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s temps deregard des bébés. Au-delà de cetemps d’attention <strong>le</strong> bébé n’estplus en capacité d’analyser cequ’il perçoit. Prenons l’exemp<strong>le</strong>des programmes de télévisionsdits « pour bébés ». Avant 4-5mois, et même s’ils peuventappréhender la 3D, <strong>le</strong>s bébés necomprennent pas ces images,<strong>le</strong>ur interposition, la perspective,la texture, etc. Les images sontdiffusées trop rapidement etsont trop « simp<strong>le</strong>s » pour <strong>le</strong>sbébés qui manquent d’indicespour <strong>le</strong>s analyser. Le bébé nevoit que des mouvements decou<strong>le</strong>ur désordonnés. La <strong>sur</strong>-stimulationcrée fina<strong>le</strong>ment de lapassivité.Propos recueillis par Vincent Martinez67MATER-NELLE


MATER-NELLEATELIERATSEMJeunes enfantsPrendre soinLe binôme formé par l’enseignant et l’ATSEM est au cœur du fonctionnement des classesmaternel<strong>le</strong>s. Les chartes des ATSEM tentent de préciser <strong>le</strong>s rô<strong>le</strong>s, mais <strong>le</strong>s relations entre <strong>le</strong>sdifférents professionnels sont encore à clarifier. Françoise Carraud nous propose une plongéedans la maternel<strong>le</strong> où el<strong>le</strong> met à jour <strong>le</strong> travail précis de chacun et contribue ainsi à « cettereconnaissance professionnel<strong>le</strong> essentiel<strong>le</strong> à la qualité même du travail et de l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong>. »12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201268q Charte ou règ<strong>le</strong>ment ?Les municipalités sont de plus enplus nombreuses à élaborer deschartes des ATSEM.Face à l’évolution de ce métieret à sa professionnalisation, <strong>le</strong>décret de 1992 suffit en effet rarement àpréciser <strong>le</strong>s missions des ATSEM soumis àcette doub<strong>le</strong> tutel<strong>le</strong> des communes et dupersonnel enseignant. « Les agents spécialisésdes éco<strong>le</strong>s maternel<strong>le</strong>s sont chargésde l’assistance au personnel enseignantpour la réception, l’animation et l’hygiènedes très jeunes enfants ainsi que de la préparationet la mise en état de propreté deslocaux et du matériel servant directementà ces enfants. Ils participent à la communautééducative.» Si la fonction traditionnel<strong>le</strong>et historique liée à l’entretien et àl’hygiène ne semb<strong>le</strong> pas poser de problèmes,la place éducative des ATSEM restetrès floue. Les chartes illustrent, précisentet tranchent mais pas forcément dans <strong>le</strong>même sens. Ici, on lira que « l’ATSEM peutparticiper aux activités [dans ses aspectsmatériels] mais ne peut en aucun cas <strong>sur</strong>veil<strong>le</strong>rseul <strong>le</strong>s enfants (y compris pendant<strong>le</strong>s activités et ateliers) ». Là, on verra que« l’enseignant peut proposer à l’ATSEMd’encadrer ou d’animer un des ateliers.L’ATSEM apporte sa compétence auprèsdes enfants. » Des différences qui semb<strong>le</strong>nts’expliquer par <strong>le</strong>s objectifs et <strong>le</strong> moded’élaboration de ces chartes : un complémentde règ<strong>le</strong>mentation ou bien <strong>le</strong> fruit decol<strong>le</strong>ctifs de travail visant à éclaircir <strong>le</strong>scomplémentarités de chacun des métiersen présence.À lire : Thierry Vasse « ATSEM-enseignants : Travail<strong>le</strong>rensemb<strong>le</strong> » CRDP Pays de la Loire, 2008


« La place des ATSEM dans <strong>le</strong>scol<strong>le</strong>ctifs de travail »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Comment en êtes-vousvenue à vous intéresser autravail des ATSEM ?F. C. Dans <strong>le</strong> cadre d’une recherche<strong>sur</strong> <strong>le</strong> travail des enseignants, jeconduis depuis plusieurs annéesdes observations de type ethnographiquedans différenteséco<strong>le</strong>s. J’ai demandé à des institutricesde maternel<strong>le</strong> de tenir unagenda dans <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong>s doiventnoter face aux évènements de lajournée de classe <strong>le</strong>ur sentimentde satisfaction ou d’insatisfaction.Je me suis aperçue que <strong>le</strong>srelations avec <strong>le</strong>s ATSEM étaientun des points qui avait <strong>le</strong> plusd’impact <strong>sur</strong> <strong>le</strong> ressenti desenseignantes. J’ai donc vouluobserver <strong>le</strong> travail des ATSEM etj’ai conduit des entretiens avecel<strong>le</strong>s.Que disent <strong>le</strong>s unes et <strong>le</strong>sautres ?Françoise CarraudFrançoise Carraud est maitre de conférences en sciences de l’éducationà l’ISPEF (Institut des sciences et des pratiques en éducation etformation) de l’Université Lyon 2. El<strong>le</strong> est éga<strong>le</strong>ment responsab<strong>le</strong> d’unMaster « Métiers de l’enseignement scolaire, de la formation et de laculture », et directrice de l’axe Professionnalités du laboratoireÉducation cultures politiques. El<strong>le</strong> a enseigné el<strong>le</strong>-même en maternel<strong>le</strong>et en ZEP. El<strong>le</strong> participe au suivi scientifique de la plateforme néopass@action de l’Ifé-ENS.F. C. Cela se passe généra<strong>le</strong>mentbien. « Une classe qui rou<strong>le</strong> bien,une ATSEM en or, que demanderde plus ? » Mais l’équilibre est fragi<strong>le</strong>et <strong>le</strong>s tensions apparaissentrapidement. C’est souvent dans<strong>le</strong> manque que s’exprime l’attachementdes institutrices à <strong>le</strong>urATSEM. El<strong>le</strong>s vivent très mal <strong>le</strong>ursabsences qui augmentent lafatigue, <strong>le</strong> stress et désorganisentla classe. El<strong>le</strong>s sont parfois insatisfaitesde <strong>le</strong>ur travail. « El<strong>le</strong>intervient toujours dans monregroupement », « el<strong>le</strong> ne fait pasce que je lui demande.» Lesconflits peuvent éclater à proposde l’heure de réveil des enfants,<strong>sur</strong> la façon de conduire l’habillageou la gestion du passage auxtoi<strong>le</strong>ttes. De <strong>le</strong>ur côté <strong>le</strong>s ATSEMne se sentent pas toujours reconnuesdans <strong>le</strong>ur travail. « On a toujours<strong>le</strong> plus mauvais atelier àfaire, <strong>le</strong> plus salissant, on ne peutpas avoir de contact direct avec<strong>le</strong>s parents. » El<strong>le</strong>s souffrent de sesentir infériorisées. « Je suis uneexécutante mais pas la boniche ! »Chacun des deux corps a l’impressionque l’autre ne travail<strong>le</strong>pas suffisamment.Comment l’expliquer ?F. C. ATSEM est devenu un vraimétier avec ses exigences et sesnormes. Les ATSEM sont maintenantdes fonctionnaires titulairesd’un CAP petite enfance et lauréatesd’un con<strong>cours</strong> diffici<strong>le</strong>. Unmétier qui a évolué, plus motivantparce que plus en contactavec <strong>le</strong>s enfants mais aussi plusexigeant car multitâche. Cetteprofession doit donc affirmer saspécificité face aux autres professionnelsque sont <strong>le</strong>s enseignants.La deuxième source deconflit possib<strong>le</strong> c’est la hiérarchieprotéiforme à laquel<strong>le</strong> sont soumises<strong>le</strong>s ATSEM et qui <strong>le</strong>s amèneà lutter pour <strong>le</strong>ur autonomie. S’iln’y a pas de rapport hiérarchique« ATSEM est devenu unvrai métier »direct entre <strong>le</strong>s ATSEM et <strong>le</strong>senseignantes, <strong>le</strong>ur travail endépend au quotidien. Les ATSEMne souhaitent pas particulièrementavoir de temps col<strong>le</strong>ctif deconcertation avec <strong>le</strong>s instits et <strong>le</strong>stemps d’échange sont réduits.C’est donc en situation que sefont <strong>le</strong>s ajustements de travail.L’autonomie des ATSEM estcontrôlée par <strong>le</strong>s enseignantes<strong>sur</strong> <strong>le</strong> temps scolaire alors qu’el<strong>le</strong>sont la charge des enfants pendant<strong>le</strong> temps de garderie et decantine. Enfin j’ai pu noter quedes principes hétérogènes orientaient<strong>le</strong> travail des ATSEM et desenseignantes. Il y avait auparavantune distinction entre <strong>le</strong> travailde soin et <strong>le</strong> travail éducatifqui était fondatrice de la différenceentre <strong>le</strong>s métiers. Mais <strong>le</strong>slignes de partages sont maintenantplus floues. ATSEM commeinstits réalisent souvent <strong>le</strong>smêmes tâches et <strong>le</strong>s mêmesgestes mais el<strong>le</strong>s ne <strong>le</strong>ur donnentpas la même signification etn’établissent pas la même distanceavec <strong>le</strong>s enfants. Lesenseignantes favorisent l’autonomisationet cherche la réf<strong>le</strong>xivitéalors que <strong>le</strong>s ATSEM sontdavantage dans la proximitéaffective et <strong>le</strong> guidage. Pour l’enseignantun travail scolaire réussipasse par un apprentissage autonome,pour <strong>le</strong>s ATSEM, l’enfantapprend quand on l’aide mêmes’il ne fait pas son travail seul.Peut-on sortir de cette lutteentre <strong>le</strong>s métiers ?F. C. Je pense que <strong>le</strong>s enseignantessont dans une stratégie de distinctionau sens de Bourdieu.Comme <strong>le</strong>s ATSEM ont intégrécertaines des normes du travai<strong>le</strong>nseignant, <strong>le</strong>s institutrices eninventent d’autres, encore plusintel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>s, notamment <strong>sur</strong> laproduction et l’évaluation. Cettereconnaissance du travail enseignantqui ne passe que par l’apprentissageme semb<strong>le</strong> expliqueren partie la primarisation del’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>. Une desfaçons d’en sortir serait de réhabiliteret reconnaître <strong>le</strong> « travail desoin », <strong>le</strong> « care » dont par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ssociologues féministes américaines.Tous ces temps où l’ons’occupe du corps des enfants,des objets, des lieux, toutes cesactivités qui renvoient à la vulnérabilitédes êtres et des choses etqui doivent être prises en comptecomme un véritab<strong>le</strong> travail. Ons’apercevrait que <strong>le</strong>s enseignantescomme <strong>le</strong>s ATSEM assument,de manière différente, unepart de ce travail.Propos recueillis par A<strong>le</strong>xis Bisserkine69MATER-NELLE


MATER-NELLEATELIERMATHSMathsAcquisition du nombreL’acquisition du nombre par <strong>le</strong> jeune enfant fait apparaître un paradoxe : d’une part <strong>le</strong>s enfantssemb<strong>le</strong>nt disposer de capacités précoces d’estimation approximative des quantités, d’autre partl’évolution de <strong>le</strong>urs performances en calcul se révè<strong>le</strong> très <strong>le</strong>nte, bien en deçà de ce que <strong>le</strong>ursproductions langagières conduisent à attendre. Michel Fayol décrit l’évolution des performanceset propose des modalités d’intervention en direction des élèves entre 3 et 6 ans.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201270q Lentement mais sûrement«Je suis contente d’entendredire qu’il fautal<strong>le</strong>r très <strong>le</strong>ntement ennumération, certainsenfants ont vraimentbesoin de consacrer beaucoup de tempsaux premiers apprentissages. Ils avancentdans <strong>le</strong>s classes et chaque maître part duprincipe que ce qui a été vu précédemmentest acquis. Si on va trop vite, on perd <strong>le</strong>splus <strong>le</strong>nts en route et on ne peut plus <strong>le</strong>srattraper. Je suis en éco<strong>le</strong> rura<strong>le</strong> et je suisen contact avec mes anciens élèvesjusqu’à ce qu’ils partent au collège. Je suistoujours désolée de constater que l’éco<strong>le</strong>n’arrive pas à comb<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s inégalités quel’on observe à l’entrée des enfants àl’éco<strong>le</strong>. » Mariange Bard est une habituéedes Universités d’automne. Depuis 17 ansqu’el<strong>le</strong> enseigne en maternel<strong>le</strong> son questionnementest resté vif et c’est avec intérêtqu’el<strong>le</strong> suit la communication de MichelFayol <strong>sur</strong> l’acquisition du nombre chez <strong>le</strong>sjeunes enfants. Il insiste <strong>sur</strong> la nécessairedimension ludique des apprentissages àl’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s situations problématiquesprésentes dans la vie de laclasse. « Je crois qu’on peut trouver des tasde situations de jeu et de classe qui permettentaux enfants de se poser des questionsarithmétiques avec des jeux et dumatériel basiques. La motricité en particulieroffre de nombreuses occasions. Enclasse, je fais aussi toujours attention à utiliseret à faire utiliser des mots justes,même avec <strong>le</strong>s plus jeunes, et qui vont êtreuti<strong>le</strong>s aux apprentissages : il en manque, ily en a plus... Les élèves s’imprègnent duvocabulaire et donnent du sens aux mots,mathématiques ou autres. »


« Précaution, <strong>le</strong>nteur et sensibilité »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quand <strong>le</strong>s enfants arrivent àl’éco<strong>le</strong>, ils ne sont pasvierges de toutecompétence arithmétique.M. F. Quand <strong>le</strong>s enfants arrivent àl’éco<strong>le</strong>, c’est à dire vers l’âge dedeux ou trois ans, <strong>le</strong> bagage sesitue à deux niveaux différents.D’abord à un niveau non verbalqui se traduit par deux capacitésdifférentes : l’une qui <strong>le</strong>ur permetde différencier perceptivementde toutes petites col<strong>le</strong>ctions (2 de3 par exemp<strong>le</strong>), et l’autre plusgénéra<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>ur permet de différencierdes col<strong>le</strong>ctions d’objetsde toutes sortes à condition que<strong>le</strong> rapport entre <strong>le</strong>s deux soit suffisammentgrand, de 1 à 2 (entre8 et 16 ou 16 et 32), mais pas de2 à 3 (entre 8 et 12 ou 18 et 24).La différenciation des quantitésreste approximative. Ce premiersystème non verbal, nous <strong>le</strong> partageonsavec <strong>le</strong>s animaux. Il esten place très tôt, même chez <strong>le</strong>sbébés. Et puis il y a un deuxièmesystème à base symbolique et quiest très précis. Il repose <strong>sur</strong> <strong>le</strong> faitqu’on a des suites de symbo<strong>le</strong>squi avancent par un (un et puisdeux et puis trois...). Alors que <strong>le</strong>premier est très dépendant decontraintes biologiques, cesecond système est culturel etvarie d’une culture à une autre,d’une langue à une autre et bienévidemment d’un milieu social àun autre. Le second système,affecté par <strong>le</strong>s différencessocia<strong>le</strong>s, est celui <strong>sur</strong> <strong>le</strong>quell’éco<strong>le</strong> peut avoir prise.À l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>, quelssont <strong>le</strong>s apprentissages quisont possib<strong>le</strong>s etsouhaitab<strong>le</strong>s ?M. F. L’évolution de la représentationet de l’utilisation des symbo<strong>le</strong>spour marquer la quantité,la cardinalité est extrêmement<strong>le</strong>nte et même à un point inattendu.Un enfant apprend descentaines de mots chaque année,on aurait pu s’attendre à ce queMichel FayolMichel Fayol est professeur émérite à l’Université de C<strong>le</strong>rmontBlaise-Pascal & CNRS (Laboratoire de psychologie socia<strong>le</strong> et cognitive).Il fut auparavant instituteur, maître assistant à l’USTL de Montpellierpuis professeur des Universités à Dijon, puis C<strong>le</strong>rmont. Il enseigne lapsychologie cognitive du développement et de l’apprentissage et adirigé de nombreuses recherches relatives aux apprentissages : <strong>le</strong>cture,orthographe, arithmétique...Il est notamment l'auteur de L’acquisition du nombre aux PressesUniversitaires de France, Paris, 2012.ces mots très simp<strong>le</strong>s liés auxquantités soient appris rapidement.Or ce que montrent toutes<strong>le</strong>s études, c’est que <strong>le</strong>s enfantsmettent très longtemps pourfaire la différence entre <strong>le</strong>s quantitésauxquel<strong>le</strong>s renvoient 1 et 2,2 et 3 ou 4 et 5. Cela suggère qu’ily a, de façon sous-jacente, desobstac<strong>le</strong>s importants. Si l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong> doit faire quelquechose, el<strong>le</strong> doit <strong>le</strong> faire avec précaution,avec <strong>le</strong>nteur et avec unegrande sensibilité au développementdes enfants. Le plus importantest la variété des activités <strong>sur</strong><strong>le</strong>s très petites quantités, <strong>le</strong>temps important qu’on doit passerà reprendre ces petites quantitéspour <strong>le</strong>s intégrer dans desactivités diverses et ainsi asseoirces apprentissages de base avantde se lancer dans des apprentissagesplus formels qui n’ont <strong>le</strong>urplace à l’éco<strong>le</strong> qu’à partir du CP.Les apprentissagesdoivent-ils êtresystématisés ?M. F. Je suis convaincu que la systématisationdes apprentissagesest importante mais aux yeux desélèves ce caractère pourrait nepas apparaître. L’important estqu’ils aient des activités ludiquesqui <strong>le</strong>s amènent à rencontrer dessituations nouvel<strong>le</strong>s posant desproblèmes arithmétiques qu’ilssont appelés à résoudre. Mais queces activités puissent prendre untour presque formel me paraîtproblématique. Il faut que noussoyons capab<strong>le</strong>s de mettre aupoint des activités qui aient pour« La maternel<strong>le</strong> est lapériode de lamanipulation et de lasimulation. »<strong>le</strong>s enfants un caractère ludique,intéressant, et en même tempsqui permettent aux enseignantsde viser la systématisation. Lesenfants ne doivent pas sentir <strong>le</strong>caractère systématique alors que<strong>le</strong>s enseignants doivent être trèsclairs <strong>sur</strong> la nécessité de cettedimension. La formation initia<strong>le</strong>mais aussi continue devrait permettreaux enseignants de seréunir pour construire des outilsavec <strong>le</strong>s chercheurs. Il y a nécessitéd’une interaction entrerecherche et formation.Quel<strong>le</strong> est la place de lamanipulation à l’éco<strong>le</strong>maternel<strong>le</strong> ?M. F. La manipulation qui est possib<strong>le</strong>à l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong> avec denombreuses situations va favoriserla construction du nombre etla mémorisation de certains résultats.Ces manipulations doiventêtre systématiques et régulièresmais doivent rester dans un cadreludique. Une autre activité trèsimportante est cel<strong>le</strong> de la simulation: l’enfant joue mais de façonproche du théâtre, il met en scèneplus qu’il ne joue et par là mêmeil cherche à modéliser, ce qui n’estpas nécessairement <strong>le</strong> cas dans lamanipulation. La simulation relèved’un processus plus élaboré ets’apparente au « faire semblant ».Cela correspond bien à la périodede scolarisation à l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>et ce sont des activités auxquel<strong>le</strong>s<strong>le</strong>s enfants peuvent selivrer dès 2 ans, 2 ans et demi. Lamaternel<strong>le</strong> est la période de lamanipulation et de la simulationet on peut al<strong>le</strong>r jusqu’à des jeuxplus sophistiqués du type « onjoue à la marchande ».Propos recueillis par claude gautheron71MATER-NELLE


ENFANTETSOCIÉTÉDOSSIER12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201272ConstruireL’éco<strong>le</strong> de la diversitéLes murs de l’éco<strong>le</strong> ne sont pas étanches. Les enseignants y reçoiventen même temps que <strong>le</strong>urs élèves toutes <strong>le</strong>s secousses d’une sociétééclatée : inégalités, vio<strong>le</strong>nces, repli <strong>sur</strong> soi... De nouvel<strong>le</strong>s données quipoussent l’éco<strong>le</strong> à évoluer et même parfois à repenser son rô<strong>le</strong> et sonfonctionnement.Porteuse des espoirs des élèves, de<strong>le</strong>urs parents, des enseignants,investie des multip<strong>le</strong>s missions quelui attribue la nation, l’éco<strong>le</strong>, mêmetransformée, même refondée, nepeut pas tout. Car <strong>le</strong>s élèves qu’el<strong>le</strong>accueil<strong>le</strong> sont avant tout des enfantsfaçonnés par <strong>le</strong>ur histoire, <strong>le</strong>ur origine,<strong>le</strong>ur culture, influencés par <strong>le</strong>urs conditionsde vie, <strong>le</strong>ur lieu de résidence. En toutpremier lieu, l’éco<strong>le</strong> est percutée de p<strong>le</strong>infouet par <strong>le</strong> fléau des inégalités socia<strong>le</strong>s,peinant à prendre en charge ces enfantsempêchés d’apprendre qui confrontent <strong>le</strong>senseignants à <strong>le</strong>ur impuissance. C’est <strong>le</strong>cas des jeunes « incasab<strong>le</strong>s » dont <strong>le</strong> sociologueJean Yves Barreyre a reconstitué <strong>le</strong>par<strong>cours</strong> chaotique toujours marqué pardes traumatismes graves dont ils n’arriventpas à se re<strong>le</strong>ver. Ce sont aussi cesenfants décrits par <strong>le</strong> magistrat EdouardDurand ébranlés par des vio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>squi interdisent au « huis-clos familial» de jouer son rô<strong>le</strong> protecteur.Andrea Young l’énonce clairement : « Iln’est pas possib<strong>le</strong> de penser qu’il faut laisserà la porte de l’éco<strong>le</strong> une part de sonidentité, de sa langue, sa culture, safamil<strong>le</strong> .» Pas si simp<strong>le</strong> car certains écueilssont à éviter. Il en va ainsi de l’inégalité degenre souvent impensée et relayée defaçon inconsciente par des enseignantsqui devraient selon Cendrine Marro « prê-q Écrans, réseauxsociaux : de nouvel<strong>le</strong>saddictions ?Ordinateurs, smartphones, écrans plats...Depuis une dizaine d’années, <strong>le</strong>s objetstechnologiques dédiés à l’image, au jeuxvidéo, aux réseaux sociaux ont envahi <strong>le</strong>quotidien de la plupart des famil<strong>le</strong>s ettransforment <strong>le</strong>s comportements, <strong>le</strong>s loisirs,<strong>le</strong>s relations socia<strong>le</strong>s. Nés avec cetterévolution, <strong>le</strong>s enfants sont des utilisateursexperts et réguliers de ces nouveaux outilsqui déterminent de nouvel<strong>le</strong>s manières decommuniquer, de se divertir et d’apprendre.On est encore à l’aube d’une réf<strong>le</strong>xion aboutie<strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet dont s’emparent progressivementphilosophes, scientifiques, chercheurs enéducation. Si Michel Serres par<strong>le</strong> d’ « unerupture anthropologique dans l’histoire de lapersonne humaine », d’autres auteurs commeSerge Tisseron ou Bernard Stieg<strong>le</strong>r invitentparents et éducateurs à prendre <strong>le</strong>ursresponsabilité en accompagnant <strong>le</strong>urs enfantset en proscrivant « <strong>le</strong>s écrans avant trois ans ».Un défi de tail<strong>le</strong> pour l’éco<strong>le</strong> qui ne peutpasser à côté de cette mutation enprofondeur.


q Enfants d’immigrés : à l’encontredes idées reçues12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>On se souvient de la polémique créée par Claude Guéant l’an dernier : <strong>le</strong>s enfantsd’immigrés en échec scolaire massif plomberaient <strong>le</strong>s statistiques de l’éco<strong>le</strong> française.Mais <strong>le</strong>s faits sont têtus, selon des travaux récents (Aline Kieffer, Yannick Brinbaum2009), à catégorie socia<strong>le</strong> comparab<strong>le</strong> ce sont <strong>le</strong>s enfants d’immigrés qui réussissent<strong>le</strong> mieux : ils sont 46 % à décrocher <strong>le</strong> bac pour <strong>le</strong>s fils d’ouvriers ou employés contre40 % chez <strong>le</strong>s Français d’origine. Des résultats confirmés par une récente étude de laDARES* de septembre 2012 qui montre que l’origine socia<strong>le</strong> et <strong>le</strong> diplôme déterminentdavantage la mobilité professionnel<strong>le</strong> que l’origine géographique et que <strong>le</strong>s enfantsd’immigrés sont aussi plus nombreux à faire mieux que <strong>le</strong> statut social de <strong>le</strong>ursparents. N’en déplaise à Claude Guéant, <strong>le</strong> problème à traiter se situe ail<strong>le</strong>urs : dans <strong>le</strong>sprocessus d’exclusion qui frappent certaines populations qui doivent lutter contre desinégalités de traitement liées à <strong>le</strong>ur origine et à <strong>le</strong>ur lieu de résidence.Un déterminisme social qu’il appartient à l’éco<strong>le</strong> de combattre.*Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiquester <strong>le</strong>ur attention à chacun et à chacunedans son individualité » au lieu de valider« des différences socia<strong>le</strong>ment construites ».Même démarche pour la psychiatre Marie-Rose Moro qui invite à dépasser <strong>le</strong>s représentationsstéréotypées et à considérer laprésence des enfants issus de l’immigrationdans une classe comme « une chancepour eux et aussi pour <strong>le</strong>s autres enfantsqui vont bénéficier d’un certain nombrede caractéristiques, <strong>le</strong> plurilinguisme, <strong>le</strong>fait qu’ils connaissent plusieurs mondes,cultures, histoires et religions qui sontessentiel<strong>le</strong>s et sont des éléments importantsdans notre monde contemporain »Faire tomber <strong>le</strong>s mursSi toute seu<strong>le</strong> el<strong>le</strong> ne peut faire de mirac<strong>le</strong>s,l’éco<strong>le</strong> ne manque pas d’outils pourprendre la place qui lui revient dans lalutte contre <strong>le</strong>s inégalités. Michel Miail<strong>le</strong>,président de la Ligue de l’enseignementde l’Hérault réhabilite une laïcité qui permette« d’établir un rapport pacifique aveccelui qui est différent ». Diversité, différencesne doivent pas être subies maisconsidérées comme une richesse et mêmecomme « un sujet d’études » pour Marie-Rose Moro. Enfin l’éco<strong>le</strong> doit évoluer ets’adapter à un environnement qui n’estplus <strong>le</strong> même. Catherine Berthillier, journalisteet grand reporter appel<strong>le</strong> de sesvœux une « vraie formation aux imagestélévisuel<strong>le</strong>s » souvent consommée defaçon grandissante par « <strong>le</strong>s gens <strong>le</strong>s plusdémunis et <strong>le</strong>s moins cultivés ». Jean-YvesBarreyre va encore plus loin , pour lui « <strong>le</strong>ssituations comp<strong>le</strong>xes » de plus en plusnombreuses qui percutent l’éco<strong>le</strong> sontl’occasion de changer de paradigme. « Cene sont plus <strong>le</strong>s personnes qui doivents’adapter à des institutions inamovib<strong>le</strong>smais l’inverse ». Faire tomber <strong>le</strong>s murs del’éco<strong>le</strong> pour répondre aux besoins desélèves tous différents qu’el<strong>le</strong> accueil<strong>le</strong> enassociant <strong>le</strong>s professionnels pour travail<strong>le</strong>ren synergie au service de celui quimérite toutes <strong>le</strong>s attentions parce qu’ilreprésente l’avenir : l’enfant. Philippe Miquelq Vio<strong>le</strong>nce à l’éco<strong>le</strong>et inégalitésRégulièrement, <strong>le</strong>s medias se font l’échod’actes de vio<strong>le</strong>nce en milieu scolaire.Pourtant dans une récente enquête*menée auprès de 12000 enseignants deséco<strong>le</strong>s, Éric Debarbieux a montré que lavio<strong>le</strong>nce à l’éco<strong>le</strong> primaire restaitexceptionnel<strong>le</strong>. Peu de vio<strong>le</strong>nce d’intrusion(0,8 %) et des actes de vio<strong>le</strong>nce re<strong>le</strong>vantprincipa<strong>le</strong>ment d’agressions verba<strong>le</strong>sémanant des parents d’élèves (20 %). Mais<strong>le</strong> sociologue soulignait aussi dans sonrapport <strong>le</strong> risque de victimation multipliédans <strong>le</strong>s zones socia<strong>le</strong>s sensib<strong>le</strong>s et lagrande difficulté des enseignants à faireface aux problèmes posés très tôt par <strong>le</strong>sélèves atteints de troub<strong>le</strong> ducomportement. L’inégalité socia<strong>le</strong> est doncune donnée essentiel<strong>le</strong> à prendre encompte quand on évoque <strong>le</strong>s problèmesde vio<strong>le</strong>nce. C’est vrai aussi en matière devio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>s comme vient de <strong>le</strong>montrer une enquête publiée <strong>le</strong> 23 octobredans La Croix : <strong>le</strong>s femmes <strong>le</strong>s plus pauvress’y déclarent quatre fois plus victimes que<strong>le</strong>s plus aisées. Lutter contre la vio<strong>le</strong>nce,c’est donc aussi lutter contre l’injusticesocia<strong>le</strong>.73ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉDOSSIER« La crise a des répercussions<strong>sur</strong> la vie de nos élèves »12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201274Bernard Lahire estimequ’une partie de l’inégalitéscolaire échappe à l’éco<strong>le</strong>.Par rapport à cela, <strong>le</strong>senseignants sont-ilsdémunis ?J. F. Nous vivons depuis plusieursannées maintenant dans uncontexte de crise économique,socia<strong>le</strong>, politique. Sans que deréel<strong>le</strong>s améliorations soientvisib<strong>le</strong>s. Et il est vrai que <strong>le</strong>s politiquesd’austérité ne sont pas denature à inverser <strong>le</strong>s choses. Fermeturesde sites industriels,plans sociaux qui se multiplient,chiffres du chômage qui necessent d’augmenter...La société actuel<strong>le</strong> est donc fortementimpactée par cette crise.Avec des inégalités qui secreusent entre <strong>le</strong>s plus riches et<strong>le</strong>s plus pauvres.Ce qui se passe dans la sociétén'est pas du ressort exclusif dumonde des adultes et a desrépercussions <strong>sur</strong> la vie desenfants, de nos élèves. Parceque l’éco<strong>le</strong> n’est pas isolée dureste du monde. Le constat estfait depuis de longues années,malheureusement, que notresystème scolaire a tendance àrenforcer <strong>le</strong>s inégalités de lasociété.Les enseignants pourraient êtredémunis si la situation était nouvel<strong>le</strong>,se découvrait aujourd’hui.Or, comme je l’ai dit précédemment,cette situation non seu<strong>le</strong>mentn’est pas récente mais deplus, a tendance à s’accentuer.Les enseignants ont desréponses, des solutions à travers<strong>le</strong>urs pratiques, grâce à <strong>le</strong>ursconnaissances, <strong>le</strong>ur professionnalité.Mais ces solutions nepeuvent être efficaces qu’à certainesconditions. On ne peutpas <strong>le</strong>s laisser seuls, confrontésà la situation. Il y a la nécessitéd’un constat partagé <strong>sur</strong> cesquestions. Constat partagé avec<strong>le</strong>s politiques, avec l’institution,avec <strong>le</strong>s différents partenairesJudith fouillardJudith Fouillard est enseignante dans <strong>le</strong> Doubs,secrétaire généra<strong>le</strong> adjointe du <strong>SNUipp</strong>-FSU.de l’éco<strong>le</strong>. Et Bernard Lahirepointe <strong>le</strong>s axes essentiels pournous : faire baisser des effectifs,mettre un terme aux formes demanagement et de concurrenceentre élèves qui se sont développéesces derniers temps parexemp<strong>le</strong>.Nous ne pouvons en rester auxdis<strong>cours</strong> et aux bonnes intentions.La question de l’égalité, ouplutôt des inégalités, entre <strong>le</strong>sterritoires et de fait entre <strong>le</strong>sélèves, doit être au cœur deschoix politiques à venir. Celapasse par <strong>le</strong>s pistes citées plustôt mais éga<strong>le</strong>ment par uneréel<strong>le</strong> politique en faveur del’éducation prioritaire, par laréhabilitation des RASED et de<strong>le</strong>urs missions ou un réel effortpour <strong>le</strong> « Plus de maîtres que declasses ». Ce sont des revendicationsque nous portons depuisde nombreuses années. El<strong>le</strong>ssont à reprendre, à développer,à construire, à appliquer.La laïcité est-el<strong>le</strong>menacée ?J. F. La laïcité constitue toujoursun enjeu social parce que c’estun principe fondamental duvivre ensemb<strong>le</strong> dans un contexteoù la diversité au sein de lasociété actuel<strong>le</strong> ne devrait pasapparaître comme une menacemais plutôt comme une richesse.Ces dernières années ont ouvertla porte à des manquementsgraves, où <strong>le</strong> principe de laïcité aété instrumentalisé pour stigmatiserune partie de la population.Et on sait où ces stigmatisationspeuvent conduire en période decrise économique et socia<strong>le</strong>.Tout en y faisant respecter <strong>le</strong>srèg<strong>le</strong>s, l’éco<strong>le</strong>, parce qu’el<strong>le</strong> estouverte à tous, parce que c’estun espace de formation, dedéveloppement de l’esprit critiquedoit être un espace où ceprincipe de laïcité peut êtreabordé dans toute sa comp<strong>le</strong>xité.En se donnant <strong>le</strong>smoyens de faire découvrir ce qui« Le constat est faitdepuis de longuesannées, que notresystème scolaire atendance à renforcer<strong>le</strong>s inégalités de lasociété. »fait <strong>le</strong>s différences des uns etdes autres mais éga<strong>le</strong>ment toutce qui rassemb<strong>le</strong>, en affirmant lanécessité de règ<strong>le</strong>s et de principesqui permettent <strong>le</strong> vivreensemb<strong>le</strong>.Les vio<strong>le</strong>nces dans lasociété ont desrépercussions négatives <strong>sur</strong><strong>le</strong>s apprentissages...J. F. Les vio<strong>le</strong>nces, qu’el<strong>le</strong>sviennent de la société ou qu’el<strong>le</strong>ssoient issues du cerc<strong>le</strong> familialont évidement des répercussions<strong>sur</strong> nos élèves. El<strong>le</strong>s s’invitentdans la classe, à l’éco<strong>le</strong> quin’est pas un vase clos, un espacesanctuarisé. Et il est diffici<strong>le</strong>mentpossib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s mômesde se dégager de ces problématiquespour se consacrer uniquementaux apprentissages.L’enseignant est au premier planet il va repérer assez rapidementsi il y a problème. Au-delà, etcela rejoint ce que j’ai développéun peu plus haut, l’enseignant nepeut pas tout, tout seul. Il aurabesoin de partager une situationdiffici<strong>le</strong>, de construire des solutionsen relation avec d’autresprofessionnels, d’autres partenaires.Ces échanges se développentde plus en plus pourrépondre aux besoins. Et pourcela, pour <strong>le</strong> bien-être desélèves, cela nécessite du temps.Du temps qui ne peut plus êtrenié et qui doit être reconnu.Propos recueillis par pierre magnetto


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERPROTECTIONProtectionde l’enfanceCes enfants « incasab<strong>le</strong>s »Réfractaires aux apprentissages, atteints de troub<strong>le</strong>s du comportement, basculant très tôt dansdes conduites à risque, certains enfants, au gré d’un par<strong>cours</strong> chaotique paraissent prédestinésà la précarité et à l’exclusion. Ils mettent en échec <strong>le</strong>s différentes institutions, souventincapab<strong>le</strong>s de <strong>le</strong>s aider. Une « situation comp<strong>le</strong>xe » qui pour Jean-Yves Barreyre doit êtrel’occasion d’apprendre à travail<strong>le</strong>r ensemb<strong>le</strong> comme <strong>le</strong> fait déjà l’équipe de l’AJASUD Landes àSaint-Vincent-de-Tyrosse qui accueil<strong>le</strong> des jeunes en rupture de scolarité.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201276q Combattre <strong>le</strong>s démonsd’êtrevivant. Fait unpacte avec undémon. J’ai tué«Marre<strong>le</strong> démon. Jesuis devenu démon à la place. » Le textedu slam affiché <strong>sur</strong> un mur ne laisse aucundoute <strong>sur</strong> la noirceur des pensées de sonauteur qui n’a pourtant que 16 ans. Locauxrefaits à neuf, sal<strong>le</strong>s de classe, d’informatique,d’arts plastiques cuisine équipée,atelier... <strong>le</strong>s 15 jeunes de 13 à 18 ansaccueillis par AJASUD 40 font l’objet detoute l’attention du Conseil Général desLandes dont dépend la structure. Placésen foyer, en famil<strong>le</strong> d’accueil, en ruptured’éco<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s jeunes sont là pour reprendrecontact avec la scolarité et progresser <strong>sur</strong>la voie d’une insertion socia<strong>le</strong> et professionnel<strong>le</strong>.Depuis 2009, l’académie a détachéun emploi d’enseignant. BrigitteSinzot, maîtresse E en poste depuis deuxans a dû apprendre à composer avec desjeunes qui ont oublié qu’ils étaient élèves,à travail<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong>s éducateurs, <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urssociaux, sous l’autorité d’un chef deservice. « J’essaie <strong>sur</strong>tout de renforcer l’estimede soi qui est chez eux catastrophique» précise Brigitte. « Régulièrementnous nous rendons à l’EHPAD pour desjeux, des ateliers avec <strong>le</strong>s personnesâgées. Les jeunes apprécient ces momentsoù ils peuvent donner une autre imaged’eux-mêmes » El<strong>le</strong> propose éga<strong>le</strong>ment desactivités sportives, artistiques, culturel<strong>le</strong>s.Côté scolaire, <strong>le</strong> niveau oscil<strong>le</strong> entre finCE1 et 5 e , Brigitte pratique une évaluationà l’arrivée de chaque jeune et met en placeun programme personnalisé. Pour <strong>le</strong>s plusavancés, el<strong>le</strong> négocie avec <strong>le</strong>s établissementsdu secteur une rescolarisation partiel<strong>le</strong>.Un travail qui permet à un quart desjeunes accueillis de trouver un métier ouune formation et peut-être d’éviter dedevenir démons...


« Une image d’eux-mêmes dégradée »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Qui sont <strong>le</strong>s « incasab<strong>le</strong>s » ?J. Y. B. Ce sont des jeunes quimettent en difficulté de façonrécurrente <strong>le</strong>s institutions et <strong>le</strong>sprofessionnels censés <strong>le</strong>s prendreen charge. Au début des années2000, l’Observatoire national del’enfance en danger a lancé unappel à projet de recherche <strong>sur</strong><strong>le</strong>s jeunes à difficultés multip<strong>le</strong>set <strong>le</strong> CEDIAS a été l’une des troiséquipes retenues.Quel<strong>le</strong> est la nature del’étude que vous avezmenée ?J. Y. B. Le premier objectif était deréaliser un travail exhaustif auprèsde tous ceux qui interviennentauprès de l’enfance en danger :Aide socia<strong>le</strong> à l’enfance, protectionjudiciaire de la jeunesse, professionnelsdu secteurmédico-social, enseignants. Il afallu avec eux définir de façonprécise <strong>le</strong> profil de ces jeunes ensituation d’« incasabilité » enexcluant tout ce qui pouvait êtrediscutab<strong>le</strong>. Nous avons circonscritnotre champ d’investigation àdeux départements d’une populationpratiquement équiva<strong>le</strong>nte(1 million 300 000 habitants) <strong>le</strong>Val de Marne et <strong>le</strong> Val d’Oise.Qu’y avez vous constaté ?« Plus de 80% desenfants ciblés avaientsubi un traumatismegrave »Jean-Yves BarreyreJean-Yves Barreyre est sociologue, directeur du CEDIAS (Centred’études, de documentation, d’information et d’action socia<strong>le</strong>s) etresponsab<strong>le</strong> du pô<strong>le</strong> « Études, Recherches et Observation » del’association nationa<strong>le</strong> des centres régionaux d’études et d’animation<strong>sur</strong> <strong>le</strong> handicap et l’insertion. Il est l’auteur de Évaluer <strong>le</strong>s besoins despersonnes en action socia<strong>le</strong> (avec C. Peintre), 2006, Dunod et de Élogede l’insuffisance. Les configurations socia<strong>le</strong>s de vulnérabilité (à paraître).J. Y. B. Nous avons re<strong>le</strong>vé un nombrecomparab<strong>le</strong> de situations, entre42 et 45 par département. Celapeut semb<strong>le</strong>r très peu mais quandon prend en compte l’argentpublic mobilisé et <strong>sur</strong>tout la préoccupationque cela représentepour <strong>le</strong>s personnes concernées,c’est considérab<strong>le</strong>. Une populationde professionnels assiste auxsouffrances d’un enfant pour <strong>le</strong>squelsils sont inefficaces et développeun sentiment de culpabilitéet d’échec.Comment expliquer cetéchec ?J. Y. B. Nous avons travaillé <strong>sur</strong> l’hypothèseque <strong>le</strong>s professionnels neconnaissent pas <strong>le</strong> par<strong>cours</strong> desenfants. Leur formation et <strong>le</strong>ur discipline<strong>le</strong>ur laissent supposer que<strong>le</strong>s quelques informations dont ilsdisposent suffisent pour donnerdu sens à <strong>le</strong>ur action. Noussommes allés chercher tous <strong>le</strong>séléments du par<strong>cours</strong> de vie dechaque enfant en explorant <strong>le</strong>sdonnées venant des professionnels,des parents, des jeunes euxmêmespour construire une gril<strong>le</strong>biographique. Le principal enseignementde ce travail, c’est <strong>le</strong>constat que plus de 80 % desenfants ciblés avaient subi un traumatismegrave (arrachement,mort, rejet, vio<strong>le</strong>nces physiquesimportantes) et que celui-ci n’étaitpas connu des professionnels quiaccueillaient l’enfant au momentde l’enquête. Leur implication et<strong>le</strong>urs compétences ne sont pas encause mais la plupart du temps,par méconnaissance, ils ne s’attaquentpas aux véritab<strong>le</strong>s causesdes difficultés de l’enfant.Quel<strong>le</strong> serait la réponseadaptée ?J. Y. B. Il faut essayer de comprendreavec ces enfants ce qui est insupportab<strong>le</strong>,jamais exprimé et qui <strong>le</strong>sconduit à ce que j’appel<strong>le</strong> un processusd’échappement. Ce n’estpas <strong>le</strong>ur capacité d’attachementqui est en cause, mais une imaged’eux-mêmes tel<strong>le</strong>ment dégradéequ’ils sont incapab<strong>le</strong>s de rentrerdans tout projet.Comment être plus efficacedans la prise en charge deces enfants ?J. Y. B. À l’image d’autres domainescomme <strong>le</strong> handicap, cette situationcomp<strong>le</strong>xe remet en cause l’ensemb<strong>le</strong>du dispositif. La protectionde l’enfance est complètementdépassée. El<strong>le</strong> est structurée par <strong>le</strong>sme<strong>sur</strong>es : AEMO, placements... avectous <strong>le</strong>s écarts entre la prise de décisionset <strong>le</strong>ur mise en place. Onretrouve <strong>le</strong>s mêmes problèmes àl’éco<strong>le</strong> qui a <strong>le</strong> plus grand mal àgérer <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s du comportement,accepte <strong>le</strong>s élèves <strong>le</strong>s plusdoci<strong>le</strong>s quel que soit <strong>le</strong> problème etexclut <strong>le</strong>s perturbateurs. Comme laloi de 2007* a tenté de <strong>le</strong> faire, il fautchanger de paradigme. Face à desenfants particulièrement compétentspour laminer toutes <strong>le</strong>s structuresd’autorité, il faut faire tomber<strong>le</strong>s murs entre <strong>le</strong>s institutions.Chaque professionnel doit réaliserqu’il est nécessaire et insuffisant.Cela suppose une évolutiondes mentalitésJ. Y. B. Oui, cela signifie par exemp<strong>le</strong>que <strong>le</strong>s éducateurs, <strong>le</strong>s soignants,<strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs sociaux doiventpouvoir rentrer à l’éco<strong>le</strong> pour travail<strong>le</strong>ravec <strong>le</strong>s enseignants. Onpasse d’un système mécanique àun système organique capab<strong>le</strong>d’évoluer en fonction des sollicitations.Ce ne sont plus <strong>le</strong>s personnesqui doivent s’adapter à desinstitutions inamovib<strong>le</strong>s mais l’inverse.La situation devient premièrepar rapport aux institutions.Dire ça fait peur à tout <strong>le</strong> mondecar nos identités personnel<strong>le</strong>s etprofessionnel<strong>le</strong>s sont construitespar rapport à nos appartenancesaux institutions. Il nous faut êtreun adulte citoyen responsab<strong>le</strong> quia un rô<strong>le</strong> par rapport à des mineursprotégés ou à toute personne quin’a pas <strong>le</strong>s moyens de s’insérerdans la société.propos recueillis par Philippe Miquel*Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformantla protection de l’enfance77ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERJUSTICEVio<strong>le</strong>ncesconjuga<strong>le</strong>sSortir du huis closL’élève est un enfant qui arrive à l’éco<strong>le</strong> <strong>le</strong>sté d’un cartab<strong>le</strong> parfois trop lourd. Le magistratÉdouard Durand a été confronté quotidiennement dans sa pratique à la vio<strong>le</strong>nce qui faitquelquefois irruption dans <strong>le</strong> « huis-clos familial » et dont <strong>le</strong>s enfants sont aussi victimes. Il estvenu à Leucate partager son expérience avec des enseignants à la recherche de réponses à dessituations de souffrance qu’ils doivent apprendre à repérer. Un questionnement bienvenu quandla loi de 2010 fait de l’éco<strong>le</strong> <strong>le</strong> premier lieu de prévention de la vio<strong>le</strong>nce conjuga<strong>le</strong>.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201278q Quand <strong>le</strong>s profs d’éco<strong>le</strong> s’interrogentQuand un magistrat formateurqui se consacre à l’enfancerencontre des professeursd’éco<strong>le</strong>, <strong>le</strong> dénominateurcommun est vite trouvé. Si<strong>le</strong>s positions et <strong>le</strong>s rô<strong>le</strong>s sont différents, lavolonté de préserver l’enfant de la vio<strong>le</strong>nceest la même. Passionnés et bousculés par<strong>le</strong> dis<strong>cours</strong> d’un juge sorti de son tribuna<strong>le</strong>t prêt à <strong>le</strong>s écouter <strong>le</strong>s participants del’atelier de Leucate l’ont retenu jusqu’à uneheure avancée de la soirée. Anne, formatriceà l’IUFM fait part de l’inquiétude desentrants dans <strong>le</strong> métier <strong>sur</strong> <strong>le</strong>ur aptitude àfaire face aux situations de vio<strong>le</strong>nce : « Ungamin n’est pas qu’un élève. Nos jeunescollègues doivent être outillés pour savoirse positionner devant toutes <strong>le</strong>s situationsd’urgence qu’ils vont rencontrer et l’apportd’un juge peut <strong>le</strong>s y aider ». Eliane qui aexercé 20 ans en maternel<strong>le</strong> raconte cespetits garçons qui tapent <strong>le</strong>s bébés dans<strong>le</strong> coin poupées pour <strong>le</strong>ur apprendre àmanger correctement : « Pas faci<strong>le</strong> desavoir à quel moment, on doit utiliser <strong>le</strong>dispositif d’ information préoccupanteprévu par la loi. Ça nous renvoie aussi aunécessaire travail de l’éco<strong>le</strong> <strong>sur</strong> la mixité ».Sylvie, enseignante dans une maternel<strong>le</strong>de ZEP s’interroge <strong>sur</strong> la neutralité bienveillantedont on doit sortir pour nommer<strong>le</strong>s faits de vio<strong>le</strong>nce « La maîtresse doitgagner la confiance des famil<strong>le</strong>s. Commentconcilier cette nécessité avec l’impératifde dire la loi pour faire obstac<strong>le</strong> à la vio<strong>le</strong>nce? » Un débat loin d’être clos quimontre l’intérêt de confronter <strong>le</strong>s visionsde tous <strong>le</strong>s professionnels qui se préoccupentde l’enfance.


« La vio<strong>le</strong>nce vient toujours nousconfronter au langage »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourquoi vous êtes-vousintéressé particulièrementaux vio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>s ?É. D. Avant d’enseigner à l’éco<strong>le</strong>nationa<strong>le</strong> de la magistrature, j’aiété tour à tour juge des enfants,juge aux affaires familia<strong>le</strong>s, jugeau tribunal correctionnel. Danschacune de ces fonctions, j’ai prisconscience de la fréquence trèsimportante des situations de vio<strong>le</strong>nceconjuga<strong>le</strong>. Au moins 30 %des dossiers qui m’ont été soumisen tant que juge des enfants, qu’ilsaient trait à l’assistance éducativeou à la délinquance des mineursrelèvent de la vio<strong>le</strong>nce conjuga<strong>le</strong>.En faisant quelques recherches, jeme suis aperçu que, particulièrementen France, l’impact des vio<strong>le</strong>ncesconjuga<strong>le</strong>s était assez peupris en considération et j’ai euenvie d’en savoir plus pour mieuxadapter ma pratique professionnel<strong>le</strong>.À partir de quel niveaupeut-on par<strong>le</strong>r de vio<strong>le</strong>nceconjuga<strong>le</strong> ?É. D. Les vio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>s sontde plusieurs formes : physiques,psychologiques, sexuel<strong>le</strong>s ou économiques.Comme toute forme devio<strong>le</strong>nce, il s’agit d’un modè<strong>le</strong>appris car la vio<strong>le</strong>nce n’est pasnaturel<strong>le</strong> mais culturel<strong>le</strong>. Les vio<strong>le</strong>ncesconjuga<strong>le</strong>s s’inscriventdonc dans des rapports de genreinégalitaires entre <strong>le</strong>s hommes et<strong>le</strong>s femmes. Il me semb<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong>sdoivent être pensées comme unrapport de force : la vio<strong>le</strong>nce est unmoyen utilisé par un sujet pourobtenir <strong>le</strong> pouvoir <strong>sur</strong> un autre. Sion ne part pas de là en matière devio<strong>le</strong>nce conjuga<strong>le</strong>, on va se heurterà des diversions successivespour la dénier : ce pourra être « el<strong>le</strong>l’a bien cherché » ou « c’est culturel» ou bien « l’homme est vio<strong>le</strong>ntphysiquement mais la femme l’estde façon beaucoup plus pernicieuseet ça ne se voit pas » ouencore « pourquoi el<strong>le</strong> reste ? ». Ilfaut évacuer toutes ces diversionsÉdouard DurandMagistrat depuis 2004, Édouard Durand a exercé à Aix-en-Provence,puis comme juge à Marseil<strong>le</strong>, exerçant <strong>le</strong>s fonctions de juge des enfantset de juge aux affaires familia<strong>le</strong>s Il est aujourd’hui. détaché commeenseignant à l’Éco<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong> de la magistrature pour <strong>le</strong>s fonctions dejuge des enfants. Édouard Durand est l’auteur d’ouvrages <strong>sur</strong> <strong>le</strong> droit dela famil<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> dernier paru aux éditions Esprit en mai 2012 : « Laplace du père ».car <strong>le</strong>s études montrent que <strong>le</strong>svio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>s ont <strong>sur</strong> lamère et <strong>le</strong>s enfants des impactstraumatiques considérab<strong>le</strong>s.C’est un sujet diffici<strong>le</strong> àaborder sereinementÉ. D. Pour <strong>le</strong> professionnel, cela supposedéjà se confronter à l’intimitéfamilia<strong>le</strong> et à ses propres représentationsdu coup<strong>le</strong> et de lafamil<strong>le</strong>. Il doit aussi al<strong>le</strong>r contre lapeur de chacun face à la vio<strong>le</strong>nceet face à la réponse qu’il doit luidonner. C’est peut-être cette peurqui conduit à une forme de dénique certains auteurs ont pu qualifierde complicité institutionnel<strong>le</strong>.Les juges ne sont pas <strong>le</strong>sseuls professionnelsconfrontés à ces situations ?É. D. Non, <strong>le</strong>s questions que seposent <strong>le</strong>s juges peuvent intéresser<strong>le</strong>s thérapeutes, <strong>le</strong>s éducateurset <strong>le</strong>s assistants sociaux du champde la protection de l’enfance maisaussi <strong>le</strong>s enseignants. Pour <strong>le</strong> juge,<strong>le</strong>s vio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>s peuventêtre identifiées et révélées aumoment d’une plainte mais trèssouvent il y est confronté à partirdes conséquences <strong>sur</strong> <strong>le</strong> développementdes enfants. Cette dernièresituation concerne aussi <strong>le</strong>senseignants. Il faut donc s’interroger<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s signes de l’expositiondes enfants à la vio<strong>le</strong>nce conjuga<strong>le</strong>.Comment <strong>le</strong>urs comportements,<strong>le</strong>urs apprentissages, <strong>le</strong>ssymptômes de souffrance somatico-psychiquespeuvent être desindicateurs de cette exposition.Comment repérer cessignes ?Il y a des signes spécifiques quisont associés au syndrome de«Au moins 30 % desdossiers qui m’ont étésoumis en tant que jugedes enfants relèvent dela vio<strong>le</strong>nce conjuga<strong>le</strong> »stress post-traumatique : cauchemars,réminiscences, penséesenvahissantes... et puis des signesnon spécifiques. Certains relèventd’atteintes à soi-même commel’énurésie, la dépression, d’autressont dirigés vers l’extérieurcomme l’agitation, l’incapacité àse concentrer, <strong>le</strong> refus de reconnaîtrel’autorité d’une femme...Pour un juge comme pour unenseignant, c’est essentiel desavoir analyser ces phénomèneset faire <strong>le</strong> lien avec <strong>le</strong> contexte devie de l’enfant.Comment peuvent intervenir<strong>le</strong>s enseignants ?É. D. Il me paraît essentiel que <strong>le</strong>senseignants et <strong>le</strong>s autres professionnelsqui travail<strong>le</strong>nt avec <strong>le</strong>senfants puissent réfléchir enéquipe lorsqu’ils sont confrontésà ces situations. Il est <strong>sur</strong>toutimportant qu’ils comprennent <strong>le</strong>fonctionnement du phénomènedes vio<strong>le</strong>nces conjuga<strong>le</strong>s et sesressorts. En termes d’action, cequi me semb<strong>le</strong> prioritaire, c’est denommer <strong>le</strong> fait. La vio<strong>le</strong>nce vienttoujours nous confronter au langage. Si la vio<strong>le</strong>nce n’est pas désignéepar un tiers, il est impossib<strong>le</strong>de la penser et donc d’entrevoird’autres possibilités. Il faut doncdans la me<strong>sur</strong>e du possib<strong>le</strong>, utiliser<strong>le</strong>s instances qui permettentde dialoguer avec <strong>le</strong>s enfants et<strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> pour parvenir à nommer<strong>le</strong>s faits. L’éco<strong>le</strong> a, en cedomaine, un rô<strong>le</strong> majeur de préventionet d’éducation comme <strong>le</strong>prévoit la loi du 9 juil<strong>le</strong>t 2010. *propos recueillis par Philippe Miquel*LOI n° 2010-769 du 9 juil<strong>le</strong>t 2010 relativeaux vio<strong>le</strong>nces faites spécifiquement auxfemmes79ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERÉGALITÉÉgalitéFil<strong>le</strong>s-garçons,<strong>le</strong> genre en questionBien que <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs d’égalité et de mixité soient au cœur du système éducatif, l’éco<strong>le</strong> persisteà reproduire (voire produire), malgré el<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s inégalités de sexe. Cendrine Marro s’attacheà observer <strong>le</strong> rapport entre <strong>le</strong>s stéréotypes concernant la différence des sexes et <strong>le</strong>s inégalitésde sexe.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201280q Briser <strong>le</strong> rempart des idées reçuesLes élèves de Jean-Paul de Roubinmilitant actif de la lutte antiracistesont habitués à par<strong>le</strong>rd’égalité. Le « rempart des idéesreçues » décrit par CendrineMarro a subi <strong>le</strong>urs assauts. Accompagnéspar <strong>le</strong>ur maître, <strong>le</strong>s élèves se sont aperçusque, entre ce que <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s pensaient desgarçons et ce que <strong>le</strong>s garçons pensaientque <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s pensaient d’eux (et inversement),il y avait des similitudes très importantes.« Les fil<strong>le</strong>s sont bel<strong>le</strong>s, pas tropmanuel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s garçons sont dragueurs, pasbien beaux mais souvent brutaux... » Tousces clichés ont été consignés et soumis audébat. Quand <strong>le</strong>s élèves ont observé defaçon plus précise la réalité des comportementsdes uns et des autres <strong>le</strong> dis<strong>cours</strong> aévolué. « Oui c’est vrai, <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s savent sebattre ! » admettent-ils en évoquant une fil<strong>le</strong>qui n’hésite pas à al<strong>le</strong>r au contact physiquepour défendre son frère. « Et <strong>le</strong>s garçons ontaussi quelquefois envie de p<strong>le</strong>urer. » pouren arriver à « On est tous pareils ». Le maîtreest alors intervenu pour rappe<strong>le</strong>r qu’il y aquand même une différence : certains sontdes fil<strong>le</strong>s et d’autres des garçons, il y a unedifférence sexuée. Stupeur, <strong>le</strong> maître a utiliséun gros mot : sexe ! A partir de là <strong>le</strong> travail aété long pour délimiter ce qui dans la viede chacun dépendait vraiment de l’appartenanceà un sexe biologique ou l’autre. Il ya eu révélation que pour tout ce quiconcerne <strong>le</strong>s sentiments, <strong>le</strong> ressenti, lamotricité, l’émotion et l’intelligence, il n’y apas de sexe donc que <strong>le</strong>s inégalités sontillégitimes. Peut-être une idée de loi à proposerau par<strong>le</strong>ment des enfants que <strong>le</strong>sélèves sont en train de préparer !


« Le genre habil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s inégalités »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Que signifie pour voustravail<strong>le</strong>r la question dugenre ?C. m. Je travail<strong>le</strong> <strong>sur</strong> <strong>le</strong> genre, etplus précisément <strong>sur</strong> la dépendance/indépendanceà l’égard dugenre, et cela pour faire en sorteque la mixité devienne un outilde l’égalité. Pour moi, <strong>le</strong> genre estun système hiérarchisant denormes de sexe qui légitime <strong>le</strong>sinégalités en <strong>le</strong>s naturalisant. Cesystème situe <strong>le</strong>s individus dansla société en <strong>le</strong>ur assignant uneplace différente et <strong>sur</strong>tout hiérarchiséeen fonction du sexe d’étatcivil attribué à la naissance, <strong>le</strong>sexe masculin bénéficiant d’uneplus-value dans <strong>le</strong>s lieux de pouvoir,à forte reconnaissancesocia<strong>le</strong>. Ce système légitime <strong>le</strong>sinégalités de sexe en <strong>le</strong>s habillantde l’idéologie de LA différence,idéologie qui fonctionne d’autantmieux qu’el<strong>le</strong> est couplée à cel<strong>le</strong>de la complémentarité des sexes(qui el<strong>le</strong>-même se justifie par <strong>le</strong>biologique puisque pour faire unenfant il faut un spermatozoïde,produit par <strong>le</strong> mâ<strong>le</strong> et un ovu<strong>le</strong>produit par la femel<strong>le</strong>). Lesétudes « genre » se sont développéespour mettre en relief etdénoncer ce système et dénaturalisertant <strong>le</strong>s différences que <strong>le</strong>sinégalités qui sont socia<strong>le</strong>s etconstruites et non la suite logiquede différences biologiques. D’oùl’importance d’être formé auxétudes genre.Que peut-on faire, à l’éco<strong>le</strong>en particulier, pour avancer<strong>sur</strong> cette question ?C. m. Si <strong>le</strong> genre habil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s inégalitésavec l’idéologie de la différence,alors il faut en<strong>le</strong>ver l’habitet lutter contre <strong>le</strong> genre ! Il fautmontrer que quand on incite unefil<strong>le</strong> à être sensib<strong>le</strong>, mignonne, àne pas par<strong>le</strong>r fort parce que çafait très féminin, ça va jouercontre el<strong>le</strong> dans certainscontextes. Par exemp<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> neva pas prendre sa place dans uneCendrine MarroCendrine Marro est maîtresse de conférences en psychologie et sciencesde l’éducation à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense. El<strong>le</strong> estresponsab<strong>le</strong> de l’équipe « Genre, Savoirs et Éducation » du Centre deRecherche Education et Formation (CREF-UPOND) et chargée demission « Égalité femmes hommes » à l’Université Paris-Ouest NanterreLa Défense. El<strong>le</strong> est éga<strong>le</strong>ment membre du comité scientifique del’institut Émilie du Chate<strong>le</strong>t, institut de développement et de diffusionde recherches <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s femmes, <strong>le</strong> sexe et <strong>le</strong> genre.assemblée, parce qu’el<strong>le</strong> va hésiterà dire ceci ou cela, parcequ’el<strong>le</strong> va avoir peur de paraîtreméchante et insensib<strong>le</strong> doncmoins femme. Ce que certainespersonnes peuvent aussi luisignifier très explicitement ! Etc’est la même chose quand onincite un garçon à montrer saforce et ne pas exprimer ses sentiments.Concernant l’éco<strong>le</strong>, ladifficulté c’est que <strong>le</strong>s enseignantspartagent comme noustous, à des degrés divers,consciemment ou non, cetteidéologie et s’en servent mêmeparfois pour « gérer » la classe.Quand on confie systématiquementaux garçons certainestâches (comme déplacer dumatériel dans la classe) onapprend aux fil<strong>le</strong>s que ce ne sontpas des tâches pour el<strong>le</strong>s parceque c’est un travail d’homme,parce que <strong>le</strong>s hommes sont forts.Et dans <strong>le</strong> même temps onpousse <strong>le</strong>s garçons à se sentircompétents dans la tâche enquestion. Ces stéréotypes, par<strong>le</strong>s préjugés et attentes qu’ilsproduisent, nous empêchent deprêter attention à chacun et chacunedans son individualité et àl’exprimer p<strong>le</strong>inement au profitde différences socia<strong>le</strong>mentconstruites, très sclérosantespour l’épanouissement et fina<strong>le</strong>mentl’éducation, en termesd’ouverture des possib<strong>le</strong>s.Vous dites que l’éco<strong>le</strong> n’estpas dégagée de cetteidéologie dans sespratiques. Vous pouvez nousdonner des exemp<strong>le</strong>s ?« permettre à l’individud’explorer etd’exprimer sonindividualité. »C. m. De nombreuses observationsse sont intéressées aux sollicitationsdes élèves par <strong>le</strong>s enseignants.On constate par exemp<strong>le</strong>que majoritairement <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>slèvent <strong>le</strong> doigt avant de prendrela paro<strong>le</strong> et attendent (parfoislongtemps!) que l’enseignant la<strong>le</strong>ur donne. Les garçons, de <strong>le</strong>urcôté, la prennent sans la demanderet quelquefois en coupant laparo<strong>le</strong> aux fil<strong>le</strong>s. Ce sont là desconstats classiques quiapprennent aux enfants ce qu’ils/el<strong>le</strong>s peuvent légitimement sepermettre de faire en tant quefil<strong>le</strong>s ou garçons. Quand <strong>le</strong>senseignants sont rendusconscients de cet état de fait etqu’ils essaient de <strong>le</strong> corriger, ilsexpriment l’impression qu’ils ont,en rééquilibrant <strong>le</strong>urs interventions,de délaisser <strong>le</strong>s garçons !Et <strong>le</strong>s garçons expriment parallè<strong>le</strong>mentcelui d’avoir été délaissés.Ces constats reflètentl’emprise du genre <strong>sur</strong> chacun etchacune d’entre nous, emprisequi nous conduit à tolérer <strong>le</strong>scomportements attendus de l’unou l’autre sexe, illustrant ainsiquoi qu’en disent bon nombred’enseignants, que <strong>le</strong>s élèves nesont pas vus comme asexuésmais bien comme des fil<strong>le</strong>s etdes garçons. Et là, on perd toutela richesse des individus et on la<strong>le</strong>ur fait perdre aussi ! L’éco<strong>le</strong> doitavoir à cœur de permettre à l’individud’explorer et d’exprimerson individualité. El<strong>le</strong> doit éviterde toujours l’interpel<strong>le</strong>r auregard de ses identités socia<strong>le</strong>ssexuée avec tout ce que celalégitime comme inégalités. Pourmoi, pour plus d’égalité entre <strong>le</strong>sfil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s garçons, l’éco<strong>le</strong> doitaccompagner chacune et chacunpour cheminer de la dépendanceà l’indépendance à l’égard dugenre. Propos recueillis Claude Gautheron81ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERSOMMEILSommeildu biologique au socialLe sommeil est un comportement vital périodique qui conditionne l’équilibre physique etpsychique de l’être humain. Bien dormir, c’est à la fois récupérer mais c’est aussi préparerl’organisme à être actif pendant la veil<strong>le</strong>, à encoder <strong>le</strong>s informations nécessaires auxapprentissages et à la communication.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201282q Mère et fil<strong>le</strong> par<strong>le</strong>nt de <strong>le</strong>ur sommeilLyson, si el<strong>le</strong> n’a certainementpas tout compris de ce queMichel Tiberge a exposé <strong>sur</strong> <strong>le</strong>sommeil a, avec sa maman JanyVidal, des choses à dire <strong>sur</strong> laquestion. Pour el<strong>le</strong>, qui se couche pourtanttous <strong>le</strong>s soirs d’éco<strong>le</strong> à 20 heures et qui n’apas la télévision à la maison, il est souventdiffici<strong>le</strong> de se <strong>le</strong>ver <strong>le</strong> matin. « Ma mamanest maîtresse, el<strong>le</strong> va tôt à l’éco<strong>le</strong> et moi jevais à la garderie à partir de 7h30. Quelquefoisj’ai sommeil à l’éco<strong>le</strong>. C’est toujours<strong>le</strong> matin parce que j’ai du mal à me réveil<strong>le</strong>r.Après ça va mieux».Sa maman confirme qu’el<strong>le</strong>-même manquecertainement de sommeil : « J’ai un coup defatigue vers 20 heures après <strong>le</strong> coucher deLyson. Mais comme je dois préparer maclasse et que je suis active dans deux associations,je passe de 3 à 4 heures chaquesoir à travail<strong>le</strong>r et je me couche rarementavant minuit. » El<strong>le</strong> affirme que la qualitéde son réveil a été améliorée par l’utilisationd’un simulateur d’aube qui introduitprogressivement une lumière comparab<strong>le</strong>à cel<strong>le</strong> du jour dans sa chambre. El<strong>le</strong> sefélicite néanmoins de ne pas avoir besoinde beaucoup de sommeil et il est rarequ’el<strong>le</strong> en ressente <strong>le</strong> besoin pendant laclasse.Mère et fil<strong>le</strong> sont des adeptes de la siestependant <strong>le</strong> week-end ou <strong>le</strong>s vacances. Lemercredi matin est bien occupé pour l’uneet l’autre et Lyson, contrairement aux joursd’éco<strong>le</strong>, se lève sans difficulté. « J’ai danseafricaine et je n’ai pas envie de me reposer.». Et depuis la rentrée, el<strong>le</strong> est au CE1et prend un livre qu’el<strong>le</strong> lit seu<strong>le</strong> avant des’endormir.


« Des journées trop longues »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quels sont <strong>le</strong>s pointsimportants à connaîtreconcernant <strong>le</strong> sommeil eten particulier celui desenfants scolarisés ?M.T. Sommeil et scolarité peuventapparaître comme antinomiquesmais ce n’est pas <strong>le</strong> cas. Lemédecin que je suis peut vousdire que <strong>le</strong> sommeil est un comportementqui se traduit par unesuspension périodique réversib<strong>le</strong>; contrairement à ce quel’on pourrait croire c’est un phénomèneactif et importantpuisque nous passons enmoyenne un tiers de notre vie àdormir. Il faut d’abord rappe<strong>le</strong>r<strong>le</strong>s fonctions du sommeil etremettre en cause <strong>le</strong>s faussescroyances qui ont encore <strong>cours</strong>comme <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> sommeilserait une perte de temps. Letemps de sommeil est un tempsbiologique qui doit préparernotre temps de veil<strong>le</strong>, temps au<strong>cours</strong> duquel nous devons êtreen me<strong>sur</strong>e d’as<strong>sur</strong>er des activitésde différents types : vie relationnel<strong>le</strong>,intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, socia<strong>le</strong>.On distingue deux types desommeil qui ont des fonctionsdifférentes : <strong>le</strong> sommeil <strong>le</strong>nt etprofond joue un rô<strong>le</strong> dans larécupération physique de l’organisme(anabolisme, croissance,immunité, thermorégulation,consolidation de la mémoire…)alors que <strong>le</strong> sommeil paradoxalpermet la maturation du systèmenerveux, la plasticité neurona<strong>le</strong>,la régulation de noscomportements, <strong>le</strong> traitementdes informations (mémoire),c’est <strong>le</strong> moment privilégié d’apparitiondes rêves élaborés.Que constate-t-on enterme de sommeil chez <strong>le</strong>senfants actuel<strong>le</strong>ment ?M.T. Il faut savoir que, plus généra<strong>le</strong>ment,nous avons perdu plusde deux heures de sommeil envingt ans. Chez <strong>le</strong>s enfants, onconstate <strong>sur</strong>tout des journéesMichel tibergeLe Docteur Michel Tiberge est neurologue, responsab<strong>le</strong> de l’Unité duSommeil du CHU de Toulouse. Il est membre de la Société Française deRecherche <strong>sur</strong> <strong>le</strong> Sommeil et, à ce titre, est impliqué dans l’Institutnational du sommeil et de la vigilance. Cette association, fondée en2000, regroupe l’ensemb<strong>le</strong> de la communauté sommeil : sociétésavante, associations de patients et professionnels de santé. Savocation est de promouvoir <strong>le</strong> sommeil et ses pathologies comme unecomposante de santé publique en sensibilisant, informant et éduquant<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s du sommeil et de la vigilance.« 41 % des parentsd’enfants scolarisésont du mal à réveil<strong>le</strong>r<strong>le</strong>s enfants. »« Il n’est pas possib<strong>le</strong> desolliciter l’attentiondes élèves pendanttrois heuresconsécutives. »trop longues avec très peu oupas de repos en <strong>cours</strong> de journée.La <strong>sur</strong>stimulation à laquel<strong>le</strong>ils sont soumis aussi bien parl’éco<strong>le</strong> que par tous <strong>le</strong>s vo<strong>le</strong>ursde sommeil que sont <strong>le</strong>s écransde toutes sortes (télévision,ordinateur, téléphone portab<strong>le</strong>,jeux é<strong>le</strong>ctronique...) engendreune modification des rythmesavec un endormissement plustardif. La fatigue accumuléeentraîne une plus grande agitationet des difficultés de concentrationque <strong>le</strong>s enseignantspeuvent constater quotidiennement.Une étude a montré que41 % des parents d’enfants scolarisésont du mal à réveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>senfants alors que l’idéal seraitque <strong>le</strong>s enfants et <strong>le</strong>s adultespuissent se réveil<strong>le</strong>r spontanément.On observe aussi la difficultéde nombreux élèves à seconcentrer <strong>le</strong> lundi matin ce quiest un signe manifeste demanque de sommeil. Or <strong>le</strong> weekenddevrait être <strong>le</strong> moment derécupération de la dette de sommeilaccumulée au <strong>cours</strong> de lasemaine et ce n’est manifestementpas <strong>le</strong> cas. Une autredimension est cel<strong>le</strong> de l’inégalitédevant <strong>le</strong> sommeil : il y a desenfants du soir et des enfants dumatin. Les premiers souffrentdavantage à l’éco<strong>le</strong> puisqu’il va<strong>le</strong>ur manquer du sommeil de finde nuit donc du sommeil paradoxalpourtant favorab<strong>le</strong> auxapprentissages. Il faut savoiraussi que <strong>le</strong> manque de sommeilparadoxal favorise l’agressivité,la vio<strong>le</strong>nce et la dépression,manifestations auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>senseignants doivent être toutaussi attentifs qu’à la somno<strong>le</strong>ncequi est plus lisib<strong>le</strong>.Comment l’éco<strong>le</strong> peut-el<strong>le</strong>prendre en compte cesévolutions de mode de viedes élèves ?M.T. À l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>, la siestedoit être possib<strong>le</strong> pour tous <strong>le</strong>senfants, même en grande sectionet des moments plus calmespeuvent être aménagés en <strong>cours</strong>de journée. Les enseignantsdoivent aussi savoir que <strong>le</strong>rythme nocturne (alternance desommeil <strong>le</strong>nt et profond et desommeil paradoxal) se poursuitla journée. Il n’est donc pas possib<strong>le</strong>de solliciter l’attention desélèves pendant trois heuresconsécutives : il faut respecter<strong>le</strong>s cyc<strong>le</strong>s biologiques et prévoirdes temps de repos toutes <strong>le</strong>sheures et demie à l’éco<strong>le</strong> élémentaireaussi. On sait par ail<strong>le</strong>ursque <strong>le</strong> rythme demémorisation varie au <strong>cours</strong> dela journée : la mémoire immédiateest maxima<strong>le</strong> <strong>le</strong> matin alorsque <strong>le</strong> milieu d’après-midi lui estbeaucoup moins favorab<strong>le</strong>. À cemoment-là, <strong>le</strong>s fonctions musculaireset respiratoires doiventêtre privilégiées : <strong>le</strong>s activitésphysiques sont adaptées à cetétat alors que <strong>le</strong>s apprentissagescognitifs et <strong>le</strong>s activités intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>mentsoutenues sont à placer<strong>le</strong> matin.Propos recueillis par Claude Gautheron83ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERLAÏCITÉLaïcitéÀ l’épreuve du concretPour Michel Miail<strong>le</strong>, la laïcité est d’abord un principe constituant de la République. El<strong>le</strong> est ainsiplacée au sommet des normes régissant <strong>le</strong>s institutions. El<strong>le</strong> est d’abord une règ<strong>le</strong> de la viequotidienne. À ce titre l’éco<strong>le</strong> se trouve au cœur de ces questions. Il revient donc au présidentde la Ligue de l’enseignement de l’Hérault lors de cette 12 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong>,d’ouvrir <strong>le</strong>s débats et de proposer des pistes concrètes dans <strong>le</strong> souci d’as<strong>sur</strong>er la paix d’unesociété partagée.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201284q Un par<strong>cours</strong> quotidien à l’éco<strong>le</strong>Suivre <strong>le</strong> par<strong>cours</strong> d’un enfant àl’éco<strong>le</strong> permet de se rendrecompte des défis affrontés parla laïcité au quotidien. Ainsidès que l’enfant entre dans sonéco<strong>le</strong>, des questions se posent. S’il s’agitd’une fil<strong>le</strong>, par exemp<strong>le</strong>, pourra-t-el<strong>le</strong> veniravec un foulard <strong>sur</strong> la tête ? Depuis la loide 2004, cela est impossib<strong>le</strong>, mais enrevanche, l’interdiction ne concerne pasla mère qui l’accompagne. Plus globa<strong>le</strong>ment,el<strong>le</strong> s’adresse à tous <strong>le</strong>s signes religieuxquels qu’ils soient. Deuxième étape,lors de l’entrée dans la classe. Les locauxdoivent être absolument neutres et ce,depuis <strong>le</strong>s lois Ferry de 1881. « Que fairecependant avec <strong>le</strong>s arbres de Noël, quiapparaissent dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s mais aussidans nombre de services publics ? C’estmaintenant une pratique assez répandue,désolidarisée de la religion et donc acceptab<strong>le</strong>» souligne Michel Miail<strong>le</strong>. L’élève suitensuite <strong>le</strong>s <strong>cours</strong> en classe. Tout enseignementreligieux est absent de l’éco<strong>le</strong>publique à l’exception de l’Alsace Mosel<strong>le</strong>.« Mais en histoire, comme en <strong>le</strong>ttres ou ensciences naturel<strong>le</strong>s, l’enseignant doit aborder<strong>le</strong>s faits religieux objectivement c’estparfaitement dans la logique laïque ».Lorsdu sport, là encore, sauf pour des raisonsmédica<strong>le</strong>s aucune absence n’est acceptab<strong>le</strong>,même si dans certains cas, on peutimaginer des aménagements pour ne pasmettre <strong>le</strong>s enfants dans la situation derefus. « Mais tout cela doit faire l’objet dediscussion et chaque cas est un cas particulier» conclut <strong>le</strong> président de la Liguede l’enseignement de l’Hérault.


« Un défi de la vie quotidienne »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Que représente la laïcitéaujourd’hui ?M. m. C’est fina<strong>le</strong>ment une manièrede vivre ensemb<strong>le</strong> et de manièrepacifique. En tant que présidentde la Ligue de l’enseignement enfaisant beaucoup d’activités avec<strong>le</strong>s enfants et avec <strong>le</strong>s scolairesc’est une idée que je mets enavant. Sans la laïcité, nous serionsdans une vie de conflictualitépermanente. Grâce au respectmutuel que nous accordons, nouspouvons nous par<strong>le</strong>r et échanger.C’est une acceptation de ce quequi nous différencie dans <strong>le</strong> respectmutuel.Quel<strong>le</strong> est l’évolution de lalaïcité au fil de l’histoire ?M. m. La laïcité, principe constitutionne<strong>le</strong>st devenue une règ<strong>le</strong>très consensuel<strong>le</strong>. Même s’il y ades débats et des projets de « toi<strong>le</strong>ttage», <strong>le</strong> principe n’est pasréel<strong>le</strong>ment mis en cause. Évidemment,il faut ajouter au tab<strong>le</strong>au,la présence de l’Islam qui revendiqueune visibilité longtempsoccultée. Ce n’est que tardivementque la société française apris conscience du problème.Rappelons nous que loi de 1905a été votée dans une atmosphèreextrêmement tendue et mêmevio<strong>le</strong>nte. Depuis é<strong>le</strong>vée au rangconstitutionnel, la laïcité apparaîtcomme un « totem » irrécusab<strong>le</strong>.La mise en œuvre de la loi a ététrès prudente. Le vote en 1959 dela loi Debré accorde certes dessubventions à l’éco<strong>le</strong> privée maisen même temps lui a imposé desprogrammes et <strong>le</strong>s formations demaîtres contrôlés par l’Etat. Denouveaux problèmes sontensuite apparus avec <strong>le</strong> développementde la religion musulmaneen raison du comportement dejeunes issus de l’émigration qui,à la différence de <strong>le</strong>urs parents,protestent devant l’inégalité dessituations. La situation n’est plusseu<strong>le</strong>ment confessionnel<strong>le</strong> maisproprement socia<strong>le</strong> et politique.Michel Miail<strong>le</strong>Michel Miail<strong>le</strong> est Président de la Ligue de l’enseignement de l’Heraultet professeur émérite de droit public science politique de l’Université deMontpellier 1. Il est ancien directeur du département de sciencepolitique, directeur du centre de la théorie de l’État et doyen de lafaculté de gestion enseignements en droit public et science politique.Il intervient <strong>sur</strong> la laïcité principe constituant de la République, mise audéfi de la vie quotidienne. Il prépare un petit livre de la col<strong>le</strong>ctionDALLOZ (à 3 euros) <strong>sur</strong> la Laicïté, à paraître début 2013.Quels sont <strong>le</strong>s défisauxquels el<strong>le</strong> estconfrontée ?M. m. La laïcité représente la possibilitéd’avoir un rapport pacifiqueavec celui qui est différent.Toutes <strong>le</strong>s sociétés ont rencontréce problème d’intégrer dans <strong>le</strong>ursein des gens différents. Maisaujourd’hui il y a d’autres problèmes.Pendant longtemps l’intimeconviction était organiséepar des institutions, par desc<strong>le</strong>rcs, cadrée par des conventionsexpliquant comment ondevait penser. Tout cela a volé enéclats c’est une espèce de bricolagepour reprendre un terme deLevi-strauss qui fait que chacundoit s’arranger avec sescroyances, ses rituels, sesmanières de faire et son vocabulaire.Pour <strong>le</strong>s populations en difficultéce bricolage va êtreincompréhensib<strong>le</strong>. Un exemp<strong>le</strong>,<strong>le</strong> respect d’un islam en réalitécomplètement fantasmé est, enfait, une manière de défendre uneidentité. On n’est pas très bienpréparé à cette façon dont <strong>le</strong>sgens assument <strong>le</strong>ur identité. Cesformes d’expressions ont toujoursà voir avec des conflitsmajeurs dans notre société, internationauxmais aussi avec nosconflits hexagonaux. C’est ce quela laïcité doit gérer de la manièrela plus compréhensive et la plusouverte qui soit.Comment appliquer cettecompréhension et cetteouverture dans la classe ?M. m. Il existe souvent une mauvaiseinformation des enseignants de cequ’est la laïcité. On navigue entredes clichés mal compris de la III e« Plus <strong>le</strong>s problèmessont chauds plus il fautgarder la tête froide »République. Le premier conseil estd’être au clair <strong>sur</strong> ce qui se passedans la société et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s principesde la laïcité. Plus <strong>le</strong>s problèmessont chauds plus il faut garder latête froide. C’est un thème qui estlié à la vio<strong>le</strong>nce dans la société eton ne <strong>le</strong> résoudra pas sans comprendrepourquoi tel ou tel élèvedit tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> chose. Ce n’estqu’après avoir engagé <strong>le</strong> dialogueque l’on peut comprendre et préciser<strong>le</strong>s limites. Il faut être ferme,rien ne sert de négocier, il y a deschoses <strong>sur</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on ne peutpas revenir, l’égalité entre l’hommeet la femme, <strong>le</strong> respect de l’autreque l’on doit à toute personnequel<strong>le</strong> que soit son origine, la cou<strong>le</strong>urde sa peau. Fermeté <strong>sur</strong> <strong>le</strong>sprincipes et ouvertures dans lamise en œuvre, on est <strong>sur</strong> labonne voie.Peut-on évoquer une« spiritualité laïque » ?M. m. Certainement car la spiritualiténe se limite pas au cerc<strong>le</strong> desreligions. En ce sens, la laïcitén’est pas une coquil<strong>le</strong> vide. El<strong>le</strong>ouvre <strong>sur</strong> des règ<strong>le</strong>s et des positions« positives » que sont <strong>le</strong>sva<strong>le</strong>urs de la République. Lemaître ne doit pas céder devantquelque forme que ce soit,d’éventuels refus de cette spiritualitélaïque. Se pose <strong>le</strong> problèmeaussi des enseignementsqui doivent aborder la questiondes religions. Il faut expliquer auxélèves ce qui différencie un enseignementlaïque fondé <strong>sur</strong> la Raisonet un enseignementdogmatique. Là encore, il ne fautpas céder pour vouloir être« neutre ». La fermeté laique doits’allier à la sagesse du dialogue,en toutes circonstances.Propos recueilliis par fabienne berthet85ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉ« L’éco<strong>le</strong> de 2012 doit êtrerepensée et reformée »12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201286Quel<strong>le</strong> est votre analyse<strong>sur</strong> la loi de refondationde l’éco<strong>le</strong> ?É. F. Il était temps qu’il y ait une loiqui s’attaque véritab<strong>le</strong>ment à larefondation de l’éco<strong>le</strong>. L’éco<strong>le</strong> aété malmenée depuis quelquesannées et el<strong>le</strong> a besoin d’êtreremise d’aplomb. L’éco<strong>le</strong> de 2012,cel<strong>le</strong> du sièc<strong>le</strong> qui s’avance doitêtre repensée et reformée. L’éducationne s’arrête pas aux portesde l’éco<strong>le</strong>. L’éducation est aussil’affaire des famil<strong>le</strong>s. Il s’agit d’unepriorité publique qui dépassel’éco<strong>le</strong>, on <strong>le</strong> voit du point de vuedes col<strong>le</strong>ctivités territoria<strong>le</strong>s. Onpeut aussi regretter que l’État nesoit pas plus présent dans unepolitique de l’enfance et de la jeunesse.On s’aperçoit chaque jourdu grand intérêt pour l’éducationet de la grande angoisse dans <strong>le</strong>squelssont <strong>le</strong>s parents et <strong>le</strong>sjeunes <strong>sur</strong> ce qu’il faut apprendreou pas.Comment la Ligue del’enseignement peut-el<strong>le</strong>intervenir ?É. F. La Ligue de l’enseignement aune histoire particulière avecl’éco<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> fête ses 150 ans. On vase souvenir des étapes de notrehistoire et de notre proximité avecl’éco<strong>le</strong>.Les militants de l’éco<strong>le</strong> ontcréé <strong>le</strong>s conditions de l’installationd’une éco<strong>le</strong> pour tous et d’uneacceptation par <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s decette éco<strong>le</strong>. Après <strong>le</strong>s enfants travail<strong>le</strong>ursdu 19 e sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s enfantsélèves, La ligue souhaite que <strong>le</strong> 21 ene soit pas <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> des enfantsclients. On souhaite offrir auxenfants et aux jeunes une autreperspective pour grandir qued’être des parts de marché. Dansce contexte, la loi qui est en préparation,frustrera forcément maisquel<strong>le</strong> que soit son amp<strong>le</strong>ur, il faudral’accompagner. C’est la premièrefonction de la Ligue. Car,une loi a besoin d’une appropriationcitoyenne par <strong>le</strong>s enseignants,<strong>le</strong>s personnels de l’éco<strong>le</strong>,éric faveyÉric Favey, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement revient <strong>sur</strong><strong>le</strong>s impacts de la loi de refondation de l’éco<strong>le</strong>.<strong>le</strong>s parents, <strong>le</strong>s citoyens qui vontavoir la charge de la traduire dans<strong>le</strong>s faits. Une loi doit être un symbo<strong>le</strong>de progrès, d’améliorationdes conditions de l’apprentissagedes enfants et des enseignants. Àce titre, accompagner une loi estun exercice assez peu compris. Cen’est pas qu’une question demoyens. Les citoyens sont plus aucourant, plus informés. Mais, il nefaut pas <strong>le</strong>s laisser au bord de laroute. L’éco<strong>le</strong> ne doit pas sedébrouil<strong>le</strong>r seu<strong>le</strong>.La Ligue a un caractèrecomplémentaire de l’éco<strong>le</strong> ?É. F. La Ligue se caractérise aussipar son caractère complémentaire,el<strong>le</strong> accompagne et complètel’éco<strong>le</strong> dans un certainnombre d’activités pour développerdes relations apaisées. Lesassociations de la Ligue travail<strong>le</strong>ntà cela avec l’éco<strong>le</strong>. Oncomplète aussi l’éco<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>temps d’une vie. La scolarité s’estallongée donc, et on <strong>le</strong> sait onapprend toute sa vie, parce qu’ilfaut se situer, faire des choix personnelset citoyens. Cela amèneà renouve<strong>le</strong>r son stock de culture.C’est notre travail. Nous sommesattentifs à ce que la loi qui est uneloi <strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong>, ce que nous regrettons,nous aurions préféré une loi<strong>sur</strong> l’éducation, situe <strong>le</strong>s responsabilitéspubliques, de l’état, descol<strong>le</strong>ctivités publiques mais ausside toute la société à l’égard de cetravail qui consiste à permettreaux enfants à s’é<strong>le</strong>ver.La loi va être centrée <strong>sur</strong>l’éco<strong>le</strong> ?É. F. Oui. Principa<strong>le</strong>ment. D’ores etdéjà, on sait que la modificationdes rythmes scolaires va avoirdes effets <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s rythmes éducatifset <strong>sur</strong> l’organisation globa<strong>le</strong>de la vie de l’enfant. On nousannonce aussi <strong>le</strong> retour d’unevéritab<strong>le</strong> formation pour <strong>le</strong>senseignants. Ce qui met tout <strong>le</strong>monde d’accord. C’est prioritairede former des enseignants à <strong>le</strong>ur« que <strong>le</strong> 21 e ne soit pas<strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> des enfantsclients. »métier et à devoir combiner <strong>le</strong>urtravail avec celui d’autres professionnels,du monde associatif,des représentants des col<strong>le</strong>ctivités,du monde de la culture, deservices éducatifs… Il faut al<strong>le</strong>rvers plus de transversalité. Il y ades questions communes àtoutes ces préoccupations. Lapsychologie de l’enfant en estune. De plus en plus, <strong>le</strong>s enseignantsseront amenés à se formerà d’autres métiers del’éducation, il faudra donc réfléchiravec ces éco<strong>le</strong>s aux types demétiers. C’est une vraie avancée.Troisième bonne chose, l’inscriptiondes projets éducatifs territoriauxdans la loi. Certainescol<strong>le</strong>ctivités territoria<strong>le</strong>s veu<strong>le</strong>ntfaire autrement que de simp<strong>le</strong>mentpayer <strong>le</strong>s murs et <strong>le</strong>s personnelsaccessoires. Despolitiques éducatives cohérentessont encouragées, par <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>sdu réseau des vil<strong>le</strong>s éducatricespar exemp<strong>le</strong>, qui évoquent <strong>le</strong>sprojets éducatifs territoriaux. Lefait de <strong>le</strong>s inscrire dans la loi vainciter à un nouvel investissementéducatif. Ces projetsdoivent s’insérer dans une politiqueterritoria<strong>le</strong>, permettre untravail en commun, développéavec la population et <strong>le</strong>s jeunes.Les mouvements d’éducationpopulaire et <strong>le</strong>s mouvementspédagogiques interviennent delongue date dans la promotion etdans la formation. En effet <strong>le</strong>ssavoirs-faire développés dans <strong>le</strong>scadres non formels peuvent êtretrès uti<strong>le</strong>s. À l’inverse il est nécessaireaussi de bien connaître lascolarité des enfants des jeuneset <strong>le</strong>s préoccupations des enseignantspour <strong>le</strong>s combiner avec<strong>le</strong>s nôtres.Propos recueillis par fabienne berthet


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERMÉDIASShamengoInventer <strong>le</strong> mondede demainCatastrophes, guerres, conflits... <strong>le</strong>s médias font la part bel<strong>le</strong> au malheur et à la destructionquand ils n’éta<strong>le</strong>nt pas complaisamment aux yeux de tous la vie sentimenta<strong>le</strong> des « peop<strong>le</strong> ».Pourtant, tout autour de la planète, des initiatives existent pour créer du lien social, développerune économie plus solidaire, inventer des solutions écologiques. En créant la plate-formeinternet Shamengo, Catherine Berthillier <strong>le</strong>s donne à voir sous la forme de courts portraits vidéode deux minutes.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201288q Un pionnier fait son cirqueSur la plate-forme Internet Shamengo,<strong>le</strong> portrait n°18 nousemmène à Salé, Maroc, 800 000habitants. Sa médina historique,ses plages atlantiques, ses quartiersdéfavorisés sillonnés par des enfantsdéscolarisés cherchant de quoi subsister...Une situation insupportab<strong>le</strong> pour LaurentGachet*, chanteur, acteur, metteur en scènequi implante en 2005 une éco<strong>le</strong> du cirqueorigina<strong>le</strong>. Cirque <strong>le</strong> matin, éco<strong>le</strong> l’après-midi,<strong>le</strong> contrat est clair et recueil<strong>le</strong> l’adhésion denombreux jeunes artistes. Pour Laurent« l’idée est d’adjoindre à l’enseignementune pratique artistique ou artisana<strong>le</strong> pourreconquérir l’estime de soi ». L’initiative vase transformer en « success story. ». 94 %des élèves accueillis, fil<strong>le</strong>s et garçons réintègrentl’éco<strong>le</strong> publique et deviennent souventdes <strong>le</strong>aders dans <strong>le</strong>ur classe. Pour offrirdes débouchés aux jeunes artistes, Laurentmet <strong>sur</strong> pied « une bienna<strong>le</strong> des arts ducirque et du voyage » dont la première éditiona lieu en 2006. La manifestation devientun rendez-vous culturel majeur du pays,accueillant des milliers d’artistes et réunissantla plupart des habitants de la vil<strong>le</strong>.Aujourd’hui <strong>le</strong> relais est pris par l’associationKaracena et son éco<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong> ducirque du joli nom de Shem’sy (<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il selève). Laurent, lui, a déjà la tête à d’autresprojets : « Pour la deuxième année, avec 400élèves de CM1 de Plaine commune (93),nous montons un opéra autour d’un artistemusicien malgache, Rajery ». Le projet travaillétoute l’année dans <strong>le</strong>s classes faitintervenir des musiciens, comédiens, danseursprofessionnels mais aussi des amateursissus des quartiers. En cela Laurentreste fidè<strong>le</strong> à la philosophie qui <strong>le</strong> guide :« Créer et transmettre ».*www.shamengo.com/col<strong>le</strong>ction-portraits


« Chacun peut changer <strong>le</strong> mondeà son niveau »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>En quoi consisteShamengo ?C. B. Shamengo est une plate-formede vidéos et d’informations disponib<strong>le</strong><strong>sur</strong> Internet. Une centainede vidéos sont déjà disponib<strong>le</strong>s,chacune propose <strong>le</strong> portrait filméd’une personne que nous appelonsun pionnier. Un pionnier estquelqu’un qui, quelque part <strong>sur</strong> laplanète, a mis <strong>sur</strong> pied un projetsusceptib<strong>le</strong> de changer la vie quotidiennedes gens et ceci dansquatre grands domaines : prendresoin de soi, créer dans l’éthique,préserver la planète, s’engagerpour <strong>le</strong>s autres. Le projet est defaire bascu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> grand public versces va<strong>le</strong>urs humanistes en montrantque chacun peut changer <strong>le</strong>monde à son niveau.D’où vous est venue cetteidée ?C. B. Je suis grand reporter depuisune quinzaine d’années, j’ai travaillépour des émissions comme« Envoyé spécial » en parcourant<strong>le</strong> monde avec une caméra pourtourner des sujets d’investigationdont bon nombre traitaient deconflits, de guerres, de catastrophes...Un jour, au <strong>cours</strong> d’unreportage en Inde <strong>sur</strong> un traficd’organes dans un village d’enfants,j’ai eu un déclic en observantdes enfants qui s’émerveillaientdevant une lampe solaire. Plutôtque de m’intéresser à ceux quidétruisent <strong>le</strong> monde, j’ai eu alorsl’idée de mettre en va<strong>le</strong>ur ceux qui<strong>le</strong> rendent meil<strong>le</strong>ur, ceux qui développentdes actions positives etqui souvent ne sont pas médiatisés.La crise actuel<strong>le</strong> nous montrequ’on est au bout d’un monde« La crise actuel<strong>le</strong> nousmontre qu’on est aubout d’un monde maisaussi à l’avènement d’unnouveau »Catherine BerthillierCo-fondatrice avec Bernard Vaillot de l’agence Galaxie Presse,Catherine Berthillier a réalisé plus d’une centaine de reportages pourEnvoyé Spécial (France 2), Des Racines et des ai<strong>le</strong>s (France 3), ZoneInterdite (M6), Reportages (TF1), Arte Reportage (ARTE) ainsi que denombreux documentaires pour France 3 et France 5 en coproductioninternationa<strong>le</strong>.mais aussi à l’avènement d’un nouveau. Une révolution dans laquel<strong>le</strong>j’avais envie de m’impliquer personnel<strong>le</strong>ment.Comment est néShamengo ?C. B. J’ai commencé à repérer desgens dans <strong>le</strong> monde entier et àtourner des sujets qui m’ont permisde montrer ce que je voulaisfaire. J’ai pu alors trouver <strong>le</strong> soutiende la MGEN, une mutuel<strong>le</strong> queje connaissais déjà professionnel<strong>le</strong>mentet qui correspondait bienaux va<strong>le</strong>urs humanistes du projet.Le programme a démarré vraimentil y trois ans. J’ai essayé de« vendre » l’idée aux grandeschaînes qui n’en ont pas voulu.D’où l’idée développer un projetdu type « cross-media » qui utilisela télé mais aussi, l’ordinateur, <strong>le</strong>smartphone. Le lancement officielde Shamengo a eu lieu en octobre2011.Pourquoi <strong>le</strong> choix d’unformat standard de deuxminutes ?C. B. Les gens ont de moins enmoins de temps. En télé, <strong>le</strong> formatcourt, c’est 45 secondes maison n’a <strong>le</strong> temps de rien expliquer.Deux minutes, c’est faci<strong>le</strong> à« consommer » pour tout <strong>le</strong>monde et c’est idéal pour ce quej’appel<strong>le</strong> des « pastil<strong>le</strong>s de bonheur» : on s’évade, on découvre<strong>le</strong> par<strong>cours</strong> de quelqu’un et on a<strong>le</strong> temps de comprendre <strong>le</strong>stenants et <strong>le</strong>s aboutissants de lasituation. Le programme de Shamengoest un peu conçu commeun oignon.Quel est <strong>le</strong> premier bilan auterme d’un an d’existence ?C. B. On est aujourd’hui à 10 millionsde vue : 9 millions en télé et 1 million<strong>sur</strong> Internet. Les courbes decroissance <strong>sur</strong> Internet sont trèsrapides à plus de 30 % par moismais il faut dire qu’on partait dezéro ! On a un public qui se fidéliseet fréquente régulièrement <strong>le</strong> siteavec des gens qui apprécient laqualité du travail et sont conquispar <strong>le</strong>s découvertes qu’il y font.Comment lutter contre laconsommation grandissanted’images et d’informationsaxées <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sensationnel,<strong>le</strong> « peop<strong>le</strong> » ?C. B. Cette tendance est d’autantplus inquiétante qu’el<strong>le</strong> toucheprincipa<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s gens <strong>le</strong>s plusdémunis, <strong>le</strong>s moins cultivés. Shamengoau contraire présente desmodè<strong>le</strong>s positifs. Nous racontonsdes bel<strong>le</strong>s histoires qui se terminentbien mais au prix de beaucoupd’efforts et de persévérance.L’idée est d’inciter <strong>le</strong>s gens à sortirde la passivité et à se prendreen charge en développant <strong>le</strong> côtéparticipatif. Je pense qu’il seraitessentiel dans la formation desjeunes de développer une vraieformation aux images télévisuel<strong>le</strong>s: comment sont-el<strong>le</strong>sfabriquées ? Quels sont <strong>le</strong>s ressortsqu’el<strong>le</strong>s activent chez <strong>le</strong>sspectateurs ? Quand on passetrois heures par jour devant desécrans, éviter <strong>le</strong>s programmesabrutissants est fondamental.Des idées à reprendreà l’éco<strong>le</strong> ?C. B. Le voyage autour du monde àla découverte de nos pionniersconstitue déjà une découverted’autres pays, d’autres culturesmais aussi d’une certaine universalité.Au delà, j’ai envie de développerdes plate-formescollaboratives. Les établissementsscolaires pourraient s’engager auxcôtés des pionniers sous la formede messages d’encouragement,de correspondance mais aussireprendre des idées au niveaulocal. On est tous des Shamengoen puissance !Propos recueillis par Philippe Miquel89ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERINÉGALITÉSL’économieaux portes de l’éco<strong>le</strong> ?Selon que vous soyez, puissant ou misérab<strong>le</strong>…. S’il n’est pas ici question de « jugements decour », encore qu’on finisse bien par être sanctionné à la fin de son par<strong>cours</strong> scolaire,paraphraser du La Fontaine n’est pas vide de sens dans une éco<strong>le</strong> qui n’a jamais cessé dereproduire <strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>s et qui vit comme une intrusion l’application en son sein derèg<strong>le</strong>s re<strong>le</strong>vant parfois plus du système économique ambiant que de l’intérêt pédagogique.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201290q La machine à reproduire <strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>sun beau principe del’éco<strong>le</strong> Républicaineque de vouloir donnerde l’égalité des chancesC’estaux enfants des milieuxpopulaires éloignés de la culture scolaire.Mais aujourd’hui encore on réussit mieuxson par<strong>cours</strong> scolaire quand on est unenfant de cadre qu’un enfant d’ouvrier.C’est ce que souligne encore une étude dela DEPP (Direction de l’évaluation, de laprospective et de la performance) datéede 2012. « Si l’accès à l’enseignementsecondaire, puis supérieur, s’est généraliséà la fin du XX e sièc<strong>le</strong> pour l’ensemb<strong>le</strong>de la population française, des disparitésselon l’origine socia<strong>le</strong> de l’élèvedemeurent. El<strong>le</strong>s concernent en particulierl’obtention du baccalauréat, <strong>le</strong> type debaccalauréat obtenu et <strong>le</strong> plus hautdiplôme obtenu ».« Un enfant de cadre obtient plus souvent<strong>le</strong> baccalauréat qu’un enfant d’employéou d’ouvrier : 84 % contre 55 % » soulignela DEPP, cette différence « moins forte quepour <strong>le</strong>s générations des années 1960 »,n’ayant cependant pratiquement pas variédepuis. Par ail<strong>le</strong>urs, s’il y a eu massificationdu nombre de bacheliers, <strong>le</strong> type deBacs délivrés et l’origine socioprofessionnel<strong>le</strong>des famil<strong>le</strong>s sont fortement corrélés.Selon la DEPP, en 2011, 49,8 % des diplômesdélivrés sont des baccalauréats généraux,22,7 % des bacs technologiques et 27,4 %des bacs pros. Mais, si 76,0 % des lauréatsenfants de cadres obtiennent un bac général,14,5 % un bac technologique et seu<strong>le</strong>ment9,4 % un bac pro, la répartition estde respectivement 32,7 %, 26,4 % et 40,9 %pour <strong>le</strong>s enfants d’ouvriers. Enfin, si l’onregarde du côté des diplômes du supérieur<strong>le</strong>s inégalités sont encore pluscriantes. 61% des enfants de cadresaccèdent à un diplôme du supérieurcontre seu<strong>le</strong>ment 31% pour ceux desouvriers. La machine à reproduire à l’éco<strong>le</strong><strong>le</strong>s inégalités socia<strong>le</strong>s se porte bien.


« Une pédagogie de la coopération enrupture avec la pédagogie de compétition »12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Vous posez la question« faut-il réformer l’éco<strong>le</strong> et<strong>sur</strong> quel<strong>le</strong>s bases »,n’êtes-vous pas persuadéqu’une refondation soitnécessaire ?« Les fondements del'éco<strong>le</strong> ont été sapéspar amputation demoyens. »F. V. Il faut savoir prendre de la distancecritique entre des chosesqui sont annoncées comme unerefondation et qui à mon sens ne<strong>le</strong> sont pas vraiment et d’autrepart, indiquer quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>sbases de rupture qu’il faudraitavoir avec l’éco<strong>le</strong> tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong>fonctionne tout en indiquant despistes alternatives. Je pense doncqu’une refondation est nécessairemais <strong>sur</strong> la base d’un diagnosticqui établisse pourquoi et comment<strong>le</strong>s fondations actuel<strong>le</strong>s ontété mises à mal. L’éco<strong>le</strong> n’est pasun champ de ruines mais un certainnombre de ses fondementsont été sapés par amputation demoyens, fermetures de classes...et par l’imposition de normescomptab<strong>le</strong>s, dérivées du newmanagement privé. C’est <strong>sur</strong> cesbases-là qu’il faut refonder.La concertation a mis enavant un diagnosticgénéra<strong>le</strong>ment partagé, c’estcelui de la panne de ladémocratisation de l’éco<strong>le</strong>.N’est-ce pas là <strong>le</strong> principa<strong>le</strong>njeu de la refondation ?F. V. Cette partie du diagnostic jela partage tout à fait. Ce que jeregrette c’est qu’à aucun momenton ne l’aie mise en regard del’évolution de la société et <strong>sur</strong>toutdes politiques néolibéra<strong>le</strong>squi en sont responsab<strong>le</strong>s. Leparadoxe est qu’on se retrouvedans la désignation d’inégalitésdans l’éco<strong>le</strong> sans qu’à aucunmoment cela ne soit lié à ces politiques.Vous avez coécrit Lanouvel<strong>le</strong> éco<strong>le</strong> capitalistedans <strong>le</strong>quel vous dénoncez<strong>le</strong> fait que l’éco<strong>le</strong> seraitgérée selon des critères deFrancis VergneFrancis Vergne est chercheur associé auprès de la FSU et coauteur deLa nouvel<strong>le</strong> éco<strong>le</strong> capitaliste, ouvrage col<strong>le</strong>ctif paru en 2011.gestion capitalistes. Quevou<strong>le</strong>z-vous direconcrètement ?F. V. L’éco<strong>le</strong>, si nous n’y prenonsgarde et suivons <strong>le</strong>s injonctionshiérarchiques, devrait se plier del’intérieur aux normes dominantesde concurrence et compétition,ce qui renforce <strong>le</strong>sinégalités, la dénature et ladétourne de tout objectifd’émancipation. El<strong>le</strong> tend àdevenir en el<strong>le</strong>-même intrinsèquementcapitaliste. Les critèresde valorisation du capital humainsont dans <strong>le</strong> fonctionnementmême de l’éco<strong>le</strong>.Vous pouvez donner unexemp<strong>le</strong> ?F. V. Ce sont par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>srecettes du « management de laperformance » qui sont présentéescomme des modè<strong>le</strong>s censésrépondre à tout, à la fois pour <strong>le</strong>séco<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s maîtres, <strong>le</strong>sélèves :contrats d’objectifs quantifiéset individualisés, évaluation,pilotage par la demande, autonomie,concurrence, transformationdes usagers en « clients ».Le dis<strong>cours</strong> du management estomniprésent et remplace touteréf<strong>le</strong>xion <strong>sur</strong> comment <strong>sur</strong>monter<strong>le</strong>s difficultés apprentissage :ilfaut être performant pour seplier aux classements. Mais eneux-mêmes ces derniers neveu<strong>le</strong>nt pas dire grand chose.Comme PISA par exemp<strong>le</strong>, personnene sait vraiment ce qui estme<strong>sur</strong>é mais l’important est dese soumettre à la dictature de lame<strong>sur</strong>e comptab<strong>le</strong>.Est-ce que votre analysevaut pour l’éco<strong>le</strong> de lamaternel<strong>le</strong> à l’université oùfaites-vous un distingo selon<strong>le</strong>s niveaux ?F. V. Cela me semb<strong>le</strong> clair et net auniveau de l’enseignement supérieur.L’autonomie des universitésinduit ce type defonctionnement avec unmélange public-privé et injonctionaux chercheurs de rentabilitéde recherche. À l’autre boutdans <strong>le</strong> primaire c’est vrai qu’onest dans une situation différentemais l’une des logiques de cetteévolution néolibéra<strong>le</strong> de l’éco<strong>le</strong>c’est d’imposer un fonctionnementde marché même là où iln’y a pas marchandise. Pour <strong>le</strong>primaire il n’y a pas marchandisationdu savoir. Il y a quandmême une situation de pressiondans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s maîtres doiventfonctionner selon ces critères,de toujours être évalués, d’êtreplus rentab<strong>le</strong>s etc.Face à cette situation y a-t-ildes alternatives pour <strong>le</strong>senseignants ?F. V. À mon avis même la pédagogiea été influencée par cesnormes de compétition et derentabilité. À l’heure actuel<strong>le</strong> undes problèmes qui se pose enlien avec <strong>le</strong>s contenus centrés<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s compétences est qu’il y aune cohérence entre <strong>le</strong> soc<strong>le</strong>commun de compétences et deconnaissances et <strong>le</strong> type depédagogie adaptée à son acquisition,pédagogie que j’appel<strong>le</strong>la pédagogie de la compétition.À l’inverse, je prône une pédagogiede coopération, qui soit enrupture avec la précédente. Ondoit pouvoir apprendre sansconcurrence. Le défi est celuid’une invention commune decette pédagogie de la coopération,et pour cela il faut travail<strong>le</strong>rensemb<strong>le</strong> à ce qui recentre <strong>sur</strong>la question des apprentissageset de contenus qui ne soient pasceux de compétences mais desavoirs. Propos recueillis par Pierre magnetto91ENFANTETSOCIÉTÉ


ENFANTETSOCIÉTÉATELIERINTÉGRATION« Enfants de l’immigration :12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201292Marie-Rose Moro, professeurede psychiatrie de l’enfant et del’ado<strong>le</strong>scent et éga<strong>le</strong>mentdirectrice de La Maison del’ado<strong>le</strong>scent de Cochin reçoiten consultation de nombreuxenfants de migrants en proie àl’échec scolaire. El<strong>le</strong> vient depublier « Enfants del’immigration, une chancepour l’éco<strong>le</strong> ». El<strong>le</strong> entend yredessiner <strong>le</strong>s perspectives.« Il faudrait cesser de voir laprésence au sein de l’éco<strong>le</strong>française d’un nombrecroissant d’enfants issus del’immigration comme unproblème ». Il s’agirait depermettre à tous <strong>le</strong>s enfantsd’accéder à une diversité et àune altérité qui <strong>le</strong>s préparent àun monde de plus en plusouvert et comp<strong>le</strong>xe. El<strong>le</strong>présente à l’universitéd’automne, <strong>le</strong>s contours de ceprojet courageux et constructifsusceptib<strong>le</strong> de donner un élannouveau à toute la société.Vous développez l’idée que<strong>le</strong>s enfants de migrants sontune chance pour l’éco<strong>le</strong>.M. R. m. Pour de nombreuses raisons.C’est une chance pour eux et aussipour <strong>le</strong>s autres enfants qui vontbénéficier d’un certain nombre decaractéristiques, <strong>le</strong> plurilinguisme,<strong>le</strong> fait qu’ils connaissent plusieursmondes, cultures, histoires et religionsqui sont essentiels et sontdes éléments importants dansnotre monde contemporain. Lesenfants de migrants ont des compétencessous exploitées dansl’éco<strong>le</strong> française. Par ail<strong>le</strong>urs, ilspossèdent parfois une autrelangue maternel<strong>le</strong> qui n’est pas <strong>le</strong>« Avoir plus d’unelangue est un atoutpour un enfant »Marie Rose MoroProfesseure de psychiatrie de l’enfant et de l’ado<strong>le</strong>scent, Université deParis-Descartes, chef de service de la Maison des ado<strong>le</strong>scents deCochin, Maison de So<strong>le</strong>nn (Paris) et du service de psychopathologie del’enfant et de l’ado<strong>le</strong>scent d’Avicenne, Bobigny, Directrice de la revuetransculturel<strong>le</strong> L’autre, Marie Rose Moro a publié « Les enfants del’immigration, une chance pour l’éco<strong>le</strong>», Bayard, 2012. Nos enfantsdemain. Pour une société multiculturel<strong>le</strong>, O Jacob, 2010. Aimer sesenfants ici et ail<strong>le</strong>urs, Pour une société multiculturel<strong>le</strong>, O Jacob, 2008. Ledernier numéro de L’autre, Pensée sauvage éditeur, Grenob<strong>le</strong>,www.revuelautre.com.français. Tous <strong>le</strong>s travaux linguistiquesmontrent qu’avoir plusd’une langue, est un atout pour unenfant. On <strong>le</strong> sait pour l’anglaismais moins pour <strong>le</strong>s langues desenfants de migrants comme si onfaisait une sorte de hiérarchieentre <strong>le</strong>s langues. Tant que <strong>le</strong>senfants ne sont pas persuadésque c’est une chance, ils ne sedisent pas bilingues, ils ont honted’une partie d’eux-mêmes. Ils sestructurent avec cette idée qu’unepartie d’eux-mêmes est mauvaise.Cette question est l’un des facteursdéterminants dont la reconnaissancemodifierait notre regardet aussi peut-être <strong>le</strong>s méthodespédagogiques. Si on acceptel’idée qu’un enfant qui entre àl’éco<strong>le</strong> ait comme deuxièmelangue, <strong>le</strong> français, on va pouvoirfaire des petites adaptations pourque l’enfant passe de l’une àl’autre. Ces techniques sontconnues, el<strong>le</strong>s sont développéespour <strong>le</strong> Français Langue Etrangère(FLE) mais on ne <strong>le</strong>s utilise jamaispour <strong>le</strong>s enfants de migrants. Soiton nie <strong>le</strong>ur bi-linguisme, soit onconsidère que c’est du semi bilinguisme.C’est une position dépréciative.On n’adapte jamais <strong>le</strong>sméthodes d’apprentissage d’écritureet de <strong>le</strong>cture. Autre exemp<strong>le</strong>,Passer d’une méthode de structurationlinguistique à une autre.Sans être spécialiste, si on prenden compte <strong>le</strong> fait qu’un tiers desenfants ont une autre languematernel<strong>le</strong> que <strong>le</strong> français, <strong>le</strong>sméthodes pédagogiquess’adaptent comme on <strong>le</strong> fait enEurope du Nord… On peut voiravec un petit chinois et lui demanderde réfléchir à ce qu’il feraitdans sa langue maternel<strong>le</strong> avantde <strong>le</strong> traduire en français pour voirla différence. Du coup, c’est unmoyen de faire une <strong>le</strong>çon de linguistiqueà tous <strong>le</strong>s enfants enexpliquant que toute langue estun système de code. Il existe denombreux autres exemp<strong>le</strong>s applicab<strong>le</strong>sen histoire et en géographieetc…Vous estimez qu’il faudraitdavantage valoriser lamigration dansl’enseignement ?M. R. m. Oui. On n’enseigne pas lamigration ou alors très mal. Si onest dans une classe qui compte untiers d’enfants migrants, il seraituti<strong>le</strong> de commencer par raconterl’histoire de ces migrations et d’enfaire un sujet d’enseignementpour la valoriser. Cela représentel’idée que ces enfants sont objetset sujets de savoir, pour eux maisaussi pour <strong>le</strong>s autres. Ce qui nousempêche de faire des choses aussisimp<strong>le</strong>s, est que l’on a une représentationd’égalitarisme abstrait.Il faut que <strong>le</strong>s enfants soient égauxmais de fait, pas seu<strong>le</strong>ment deprincipe ! S’ils n’accèdent pas à la<strong>le</strong>cture, s’ils ne passent pas harmonieusementdu monde de lamaison à celui de l’éco<strong>le</strong>, ils nesont pas égaux, ils vont se retrouverdans un monde d’exclusion etne vont pas accéder au savoir. Il ya un vrai enjeu de reconnaissancede ce qu’apportent <strong>le</strong>s enfants demigrants à l’éco<strong>le</strong>.Vous évoquez un sentimentde déception dans <strong>le</strong> mondede l’enseignement ?M. R. m. Aujourd’hui, il peut y avoirde la déception pas seu<strong>le</strong>ment


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>une chance pour l’éco<strong>le</strong> »« Il y a un vrai enjeu dereconnaissance de cequ’apportent <strong>le</strong>senfants de migrants àl’éco<strong>le</strong> »chez <strong>le</strong>s enseignants mais aussichez <strong>le</strong>s ado<strong>le</strong>scents qui peuventregretter <strong>le</strong> décalage entre cequ’on <strong>le</strong>ur a dit et ce qu’ils peuventfaire. Quand je <strong>le</strong>s vois en consultation,ils se disent déjà cassés orc’est à l’éco<strong>le</strong> que se joue cettepossibilité d’ouvrir des perspectivesvers une vie future.Se pose aussi la question dela place à l’éco<strong>le</strong> des parentsde migrants ?M. R. m. La place des parents demigrants dans l’éco<strong>le</strong> française esttrès diffici<strong>le</strong>. Trop souvent, <strong>le</strong>sparents ne rentrent pas dansl’éco<strong>le</strong>, trop impressionnante poureux. Ils ont souvent une image« déme<strong>sur</strong>ée » des enseignantsdans <strong>le</strong> sens où cela <strong>le</strong>s empêchede se considérer <strong>le</strong>ur égal. Il faudraitque l’éco<strong>le</strong> accepte demettre des moyens au service deces parents qui ont des languesdifférentes et des rapports ausavoir différents. Il faudrait destraducteurs par exemp<strong>le</strong> ce quin’est pas une pratique courante. Ilfaudrait considérer ces parentscomme des parents capab<strong>le</strong>s depar<strong>le</strong>r. Un exemp<strong>le</strong> : certaineschoses ne sont pas encore acceptéespar l’éco<strong>le</strong> notammentlorsque <strong>le</strong>s parents envoient ungrand frère ou une grande sœurà <strong>le</strong>ur place. Or c’est aussi unemanière pour eux de participer àl’éco<strong>le</strong> en envoyant par exemp<strong>le</strong><strong>le</strong>urs aînés. Il faudrait ouvrir l’éco<strong>le</strong>en disant aux parents vous êtes<strong>le</strong>s bienvenus et on a besoin devous pour éduquer vos enfants etpour <strong>le</strong>ur transmettre <strong>le</strong> savoir. Onne s’adapte pas vraiment. Comme<strong>le</strong> français est considéré commesacré, <strong>le</strong>s informations ne sontjamais données dans <strong>le</strong>s languesdes parents. Or ce qui est sacréc’est la compréhension, <strong>le</strong> faitd’accéder à une information. Dansdes éco<strong>le</strong>s parisiennes, une expériencea lieu, deux heures parsemaine, <strong>le</strong>s parents sont invitésà al<strong>le</strong>r à l’éco<strong>le</strong> pour apprendre<strong>le</strong>ur métier de parents d’élèves. Ilsapprennent avec des traducteursce qu’est un carnet de correspondance,une coopérative... Àchaque fois, cela représente pour<strong>le</strong>s parents un grand honneur, ilsen sont très satisfaits. Mais celareste des expériences tout à faitmargina<strong>le</strong>s et pas généralisées.Comment généraliser laformation et mettrel’éducation à la diversité enpriorité absolue ?M. R. m. Une résolution du Par<strong>le</strong>menteuropéen d’avril 2009 <strong>sur</strong> l’éducationdes enfants de migrants enEurope a analysé l’ensemb<strong>le</strong> desétudes à notre disposition <strong>sur</strong> laréussite des enfants de migrantsà l’éco<strong>le</strong> dans toute l’Europe. El<strong>le</strong>en a tiré certaines recommandations,une dizaine, qui s’imposentaux États mais qui pour l’instantne sont mises en œuvre que dans<strong>le</strong> Nord de l’Europe. Cette résolutionpréconise, entre autres, l’existenced’une diversité culturel<strong>le</strong> etsocia<strong>le</strong> des enseignants à l’éco<strong>le</strong>.«L’éducation à ladiversité est unepriorité absolue »C’est de la discriminationpositive ?M. R. m. Oui on peut dire ça. C’estextrêmement diffici<strong>le</strong> à mettre enplace en France. On pourrait dire :<strong>le</strong>s enseignants représentent lasociété et <strong>le</strong>s enfants peuvents’identifier à différents personnages.Cette présence d’unediversité culturel<strong>le</strong> supposeraitque l’on fasse de la discriminationpositive dans <strong>le</strong> recrutement desenseignants mais cela peut sefaire autrement dans l’organisationd’équipes mixtes par exemp<strong>le</strong>autour de projets pédagogiques.Une autre recommandation est defaire de l’éducation à la diversitéculturel<strong>le</strong> une matière scolaire.C’est l’idée que dans notre société,il faut reconnaître <strong>le</strong>s apports multip<strong>le</strong>squi la constitue, utiliser pour<strong>le</strong>s analyser l’histoire, la géographie,la linguistique... et valoriser<strong>le</strong>s liens entre ces apports, <strong>le</strong>smétissages, <strong>le</strong> vivre ensemb<strong>le</strong>...Cela suppose d’apprendre àenseigner cette diversité culturel<strong>le</strong>.Il y a beaucoup de travauxqui ont été réalisés <strong>sur</strong> <strong>le</strong> sujet. Untroisième point qui me semb<strong>le</strong>très important est la reconnaissancede la langue des enfants et<strong>le</strong> fait qu’el<strong>le</strong> se traduit par la possibilitéd’utiliser des compétencespour être des objets pédagogiquespartagés avec l’ensemb<strong>le</strong>de la classe. On a des exemp<strong>le</strong>s,des théories et des pratiques.Après, il faut une véritab<strong>le</strong> volontépolitique pour mettre en placetous ces ingrédients et <strong>le</strong>s généraliserau sein de l’éco<strong>le</strong> française.Propos recueillis par fabienne berthetq Rencontrer un « passeur » !Pour Marie Rose Moro, la rencontre avec un passeur est très importantepour <strong>le</strong>s enfants de l’immigration. « Les enseignants ont une placeessentiel<strong>le</strong>, ils ont l’accès au savoir et à ce titre, ils jouent souvent ce rô<strong>le</strong> ».On <strong>le</strong>s retrouve dans <strong>le</strong> par<strong>cours</strong> des enfants de migrants qui ont réussi àl’éco<strong>le</strong>. Ces enseignants ont comme caractéristiques de donner envie des’approprier <strong>le</strong> monde extérieur mais aussi de reconnaître la différence deces enfants. Être passeur c’est avoir accès aux deux rives, <strong>le</strong> mondefrançais et celui d’où viennent <strong>le</strong>s élèves. « Mais pour être passeur, il fautavoir un certain enthousiasme, un certain idéal, il faut rendre <strong>le</strong> mondefrançais désirab<strong>le</strong> et avoir une connaissance du monde des enfants ». Celasuppose de la formation, de la curiosité, de la pluridisciplinarité… Que <strong>le</strong>senseignants puissent accéder à la linguistique, à l’anthropologie « ce quiest peu <strong>le</strong> cas actuel<strong>le</strong>ment. Effectivement, il existe une sorte d’idéalpartagé. On compte tous <strong>sur</strong> cette utopie. Mais pour y croire, il ne faut pascompter seu<strong>le</strong>ment <strong>sur</strong> des grains de folie individuels, il faut que ce soitporté par la formation, l’institution, la société… Sinon c’est du militantismeet cela ne suffit pas ! »93ENFANTETSOCIÉTÉ


GRANDINTER-VIEWBERNARDLAHIREBernard Lahire, professeur de sociologie à l’Éco<strong>le</strong> norma<strong>le</strong> supérieure de Lyon,a commencé sa carrière de chercheur autour de la question scolaire. Sestravaux ont alors porté <strong>sur</strong> la production de l’échec scolaire à l’éco<strong>le</strong> primaire,<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s modes populaires d’appropriation de l’écrit et <strong>sur</strong> <strong>le</strong>s réussites scolairesen milieux populaires. Il s’est depuis interessé aux pratiques culturel<strong>le</strong>s desFrançais, aux conditions de vie et de création des écrivains et à l’œuvre deFranz Kafka. À l’heure de la refondation <strong>sur</strong> l’éco<strong>le</strong> et vingt ans après la publication de sonpremier ouvrage, il revient <strong>sur</strong> la question scolaire et donne sa vision de l’éco<strong>le</strong>.12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201294© EMMANUELLE MARCHADOUR


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>« L’expérience scolairene se dévalue pas »L’éco<strong>le</strong> est depuis larentrée au coeur dudis<strong>cours</strong> politique.Partagez-vous l’idée quel’éco<strong>le</strong> doit être« refondée » ?Je me méfie des dis<strong>cours</strong> de« refondation », d’où qu’ilsviennent. Tout <strong>le</strong> monde veutmarquer son temps en étant <strong>le</strong>fondateur ou <strong>le</strong> refondateur desinstitutions. Mais après <strong>le</strong>s dis<strong>cours</strong>d’intention ou énonçantdes principes généraux et <strong>le</strong>srencontres diverses et variées,on jugera <strong>sur</strong>tout aux faits et auxactes. Si l’on se contente, parmanque de moyens, de changer<strong>le</strong>s rythmes scolaires et de fairede la mora<strong>le</strong> laïque, on risquebien de vite déchanter. Je ne suispas persuadé que l’Éco<strong>le</strong> aitbesoin d’être refondée. El<strong>le</strong> abesoin d’être soutenue du pointde vue du traitement de ses personnels,renforcée en effectifsdès l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>, pluraliséedans <strong>le</strong>s formes d’excel<strong>le</strong>ncequ’el<strong>le</strong> promeut (plutôt que defaire stupidement <strong>le</strong> tri par <strong>le</strong>sseu<strong>le</strong>s mathématiques) etdébarrassée des formes <strong>le</strong>s plusmalsaines de management et deconcurrence entre élèves, filières,établissements, etc. Si tout celaétait mené de front, peut-êtreque cela conduirait à une espècede refondation, mais on est loindu compte pour l’instant.« L’écart est déjà creuséentre <strong>le</strong>s enfants avantmême <strong>le</strong>ur entrée àl’éco<strong>le</strong>. »Bernard lahireBernard Lahire est né à Lyon en 1963. Actuel<strong>le</strong>ment professeur desociologie à l’Éco<strong>le</strong> norma<strong>le</strong> supérieure de Lyon (depuis 2000),responsab<strong>le</strong> de l’équipe « Dispositions, pouvoirs, cultures,socialisations » et directeur-adjoint du Centre Max Weber (UMR 5283CNRS), il dirige la col<strong>le</strong>ction « Laboratoire des sciences socia<strong>le</strong>s » auxÉditions La Découverte depuis 2002. Il a été lauréat de la médail<strong>le</strong>d’argent du CNRS en 2012.Bernard Lahire a publié à ce jour dix-huit ouvrages, parmi <strong>le</strong>squelscertains traitent de la question scolaire notamment Culture écrite etinégalités scolaires. Sociologie de l’« échec scolaire » à l’éco<strong>le</strong> primaire(PUL, 1993, réédité en 2000 et 2007), Tab<strong>le</strong>aux de famil<strong>le</strong>s. Heurs etmalheurs scolaires en milieux populaires (Gallimard/Seuil, 1995, PointsSeuil « Essais », en 2012) et La Raison scolaire. Éco<strong>le</strong> et pratiquesd’écriture, entre savoir et pouvoir (PUR, 2008).Vous avez mis enévidence, dans <strong>le</strong>s années90, par <strong>le</strong> prisme de l’écritet des formes socia<strong>le</strong>s quil’accompagnent, lamanière dont <strong>le</strong>s inégalitésscolaires se construisent àl’éco<strong>le</strong>. Faites-vous <strong>le</strong>même constataujourd’hui ?Ce que j’ai étudié dans <strong>le</strong>sannées 1990 n’était pas <strong>le</strong> produitd’un air du temps pédagogiqueou d’une conjoncturescolaire : mon travail s’appuyait<strong>sur</strong> l’histoire pluri-séculaire de laforme scolaire et de l’alphabétisationen France, depuis <strong>le</strong>s collègesd’Ancien Régime réservésà l’élite jusqu’à l’éco<strong>le</strong> primairepublique de la fin du XX e sièc<strong>le</strong>.La description et l’analyse desrapports socia<strong>le</strong>ment différenciésà la culture écrite scolaire etdes difficultés éprouvées par <strong>le</strong>sélèves <strong>le</strong>s plus éloignés deslogiques scolaires ont donc uneportée de très longue durée etcontinuent à être pertinentes.Tant qu’il y a aura des formesscolaires d’apprentissage, desformes scolaires de culture écriteet d’enseignement de la langueécrite et des inégalités socia<strong>le</strong>set culturel<strong>le</strong>s de départ (quicontribuent à se reproduire ausein des famil<strong>le</strong>s, puis à l’éco<strong>le</strong>),on observera <strong>le</strong>s mêmes phénomènesde réussite scolaire socia<strong>le</strong>mentdifférenciée.La question des devoirs àla maison mise en avantpar <strong>le</strong> gouvernement nerelève-t-el<strong>le</strong> pas de lamême logique ?Il est certain que <strong>le</strong>s devoirs à lamaison participent du renforcementdes inégalités : il y a ceux,dans <strong>le</strong>s classes moyennes et<strong>sur</strong>tout supérieures, dont <strong>le</strong>sparents (aidés souvent par desamis, des collègues, desouvrages, des habitudes d’accèsà des sites pédagogiques <strong>sur</strong>Internet, etc.) constituent desressources explicatives et correctricestrès uti<strong>le</strong>s et ceux, dans <strong>le</strong>sclasses populaires, dont <strong>le</strong>sparents ne disposent pas desressources, des habitudes culturel<strong>le</strong>s,des compétences et d’unréseau de sociabilité scolairementmobilisab<strong>le</strong>s. Pour rendrela situation moins inéga<strong>le</strong>, il faudraitau moins qu’un soutien audevoir soit organisé pour <strong>le</strong>senfants que <strong>le</strong>s parents nepeuvent pas aider.Comment expliquer que<strong>le</strong>s enfants d’enseignantsont plus que tout autresdes chances de réussite àl’éco<strong>le</strong> ?C’est assez simp<strong>le</strong> à comprendreen définitive. Si <strong>le</strong>s enfants d’enseignantssont ceux qui sont <strong>le</strong>splus adaptés à l’éco<strong>le</strong>, c’est parceque l’éco<strong>le</strong> est pour eux commeune seconde famil<strong>le</strong>. Ils ont étépréparés depuis <strong>le</strong>ur plus tendreenfance à des habitudes scolairementcompatib<strong>le</strong>s : ils ontentendu des manières de par<strong>le</strong>rscolairement rentab<strong>le</strong>s (un françaisstandard, bien prononcé,grammatica<strong>le</strong>ment correct et<strong>le</strong>xica<strong>le</strong>ment précis) ; ils ontentendu des conversations <strong>sur</strong>des sujets scolairement rentab<strong>le</strong>s; ils ont souvent eu droit àdes <strong>le</strong>ctures d’histoires chaquesoir (par <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s ils ont intériorisédes formes d’expressions,l’usage des temps du récit, descadres narratifs, des éléments devocabulaire, etc.) ; ils ont apprisà entrer dans des rapports pédagogiquesd’apprentissage et à95GRANDINTER-VIEW


12 eUNIVERSITÉd’automnedu <strong>SNUipp</strong>« L’éco<strong>le</strong> n’est pasqu’une machine quidistribue des titres :el<strong>le</strong> transmet dessavoirs ou accompagnela construction d’uneculture »développer des formes d’autocontrô<strong>le</strong>; ils ont souvent apprisà lire, écrire et compter avantmême que de <strong>le</strong> faire à l’éco<strong>le</strong> ;ils ont reçu en cadeaux des livres,des abonnements à des magazineset des jouets pédagogiques(des jeux qui permettentd’apprendre à reconnaître desfigures géométriques aux imagiersqui apportent un vocabulairetrès important) ; ils ontfréquenté des bibliothèques, desmusées, des théâtres, des sal<strong>le</strong>sde concert, etc. La liste des compétenceset des dispositions quipréparent une scolarité harmonieuseest loin d’être exhaustive.Quand <strong>le</strong>s enfants d’enseignantsarrivent à l’éco<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong>-ci ne faitque prolonger <strong>le</strong>ur expériencefamilia<strong>le</strong>. Tandis que, dans <strong>le</strong>même temps, d’autres enfantsdécouvrent la culture et <strong>le</strong>smanières de faire scolaires aumoment où ils entrent à l’éco<strong>le</strong>.L’écart est déjà creusé entre <strong>le</strong>senfants avant même <strong>le</strong>ur entréeà l’éco<strong>le</strong>.La massification etl’augmentation du nombrede bacheliers n’empêchepas une forme dedéclassement social. MarieDuru-Bellat par<strong>le</strong>d’inflation scolaire. Est-el<strong>le</strong>inévitab<strong>le</strong> ?D’une certaine façon, on pourraitdire qu’el<strong>le</strong> est parfaitement inévitab<strong>le</strong>,puisqu'el<strong>le</strong> est <strong>le</strong> simp<strong>le</strong>effet d’une augmentation de ladurée de scolarisation et de lamultiplication de propriétaires detitres qui étaient longtemps restéstrès rares, et donc très distinctifs.Je pense néanmoins qu’ilfaut se méfier des raisonnementspar trop économistes. Ceux-cimê<strong>le</strong>nt la va<strong>le</strong>ur relative desdiplômes <strong>sur</strong> un marché de l’emploi,qui effectivement a logiquementtendance à diminuer au furet à me<strong>sur</strong>e que <strong>le</strong> nombre dediplômes augmente (<strong>le</strong> baccalauréatvalait très « cher » <strong>sur</strong> <strong>le</strong>marché des opportunités professionnel<strong>le</strong>sà l’époque où il y avait100 000 bacheliers) ; et la va<strong>le</strong>urformative de l’éco<strong>le</strong> qui, el<strong>le</strong>, n’apas la même relativité. Al<strong>le</strong>rjusqu’au baccalauréat et mêmeaccéder à l’enseignement supérieur,c’est avoir la possibilitéd’accéder et de comprendre destextes littéraires, scientifiques ouphilosophiques, des œuvresd’art, des dis<strong>cours</strong> politiques, desraisonnements, des argumentations,des rhétoriques, etc., et dese défendre face à toutes <strong>le</strong>s tentativesde manipulation symbolique.Cette va<strong>le</strong>ur formative del’expérience scolaire ne se dévaluepas, el<strong>le</strong> est au final la promessed’un gain de démocratie,d’émancipation, de liberté politique,de possibilité de réf<strong>le</strong>xionet de mise en question.L’éco<strong>le</strong> peut apparaîtrecomme un lieu decristallisation desinégalités socia<strong>le</strong>s etpourtant c’est aussi un lieude socialisation. Cel<strong>le</strong>-cin’est-el<strong>le</strong> pas l’enjeuprincipal ?C’est exactement cela. À forced’articu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s formations scolairesaux réalités économiques,et notamment au marché del’emploi, on a commencé à par<strong>le</strong>rde la prétendue inutilité de certainesformations (en <strong>le</strong>ttres,sciences humaines et socia<strong>le</strong>s)en soulignant <strong>le</strong> fait qu’el<strong>le</strong>s nedébouchaient pas <strong>sur</strong> desemplois précis. Ainsi, NicolasSarkozy avait annoncé lors de sapremière campagne é<strong>le</strong>ctora<strong>le</strong>que l’État n’avait pas pour missionde financer des études économiquementnon rentab<strong>le</strong>s (ilcitait alors l’étude des languesanciennes). Et lorsque <strong>le</strong>s sociologuessoulignent <strong>le</strong>s effets perversde l’inflation des diplômes,ils participent, sans toujours enêtre conscients, à cette interprétationde l’éco<strong>le</strong> à partir des rendementsprofessionnels etéconomiques des diplômes. Maisl’éco<strong>le</strong> n’est pas qu’une machinequi distribue des titres (à lamanière d’une banque symbolique): el<strong>le</strong> transmet des savoirsou accompagne la constructiond’une culture, el<strong>le</strong> donne desmoyens de déchiffrer <strong>le</strong> mondeet de s’émanciper. El<strong>le</strong> donneaccès au passé (à travers l’étudedes langues anciennes notamment,l’histoire, la littérature,etc.), à la diversité des cultures(par l’anthropologie, la géogra-qDémocratisation en panneet inflation scolaireAujourd’hui près de 70 % des jeunes d’une classe d’âge accèdentau niveau du bac, contre 5 % en 1950. 40 % des élèves sortentavec un diplôme Bac +2 contre 15 % il y a vingt ans. Mais, MarieDuru-Bellat* montre que la massification n’est pas forcément une« démocratisation ». Certes, il y a un accès plus grand au niveaubac mais tout <strong>le</strong> monde ne fait pas <strong>le</strong> même bac. Près de la moitiédes enfants de cadres (et d’enseignants...) sont en section Scontre 20 % des enfants d’ouvriers non qualifiés. La massificationengendrerait ainsi la dévalorisation des diplômes, d’où <strong>le</strong> titre dulivre. Le phénomène est renforcé par un décalage important entrela qualification des jeunes et <strong>le</strong>s emplois. Ces derniers n’ont pasvu <strong>le</strong>s qualifications requises pour <strong>le</strong>s occuper augmenter alorsque la qualification des personnes qui postu<strong>le</strong>nt ne cessentd’augmenter. Ainsi, aujourd’hui on trouve des facteurs avec <strong>le</strong>niveau Bac ou Bac +2 alors que <strong>le</strong> con<strong>cours</strong> de recrutement estouvert au niveau V, c’est à dire aux titulaires d’un Brevet desCollèges, d’un CAP ou d’un BEP.*« L’inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie », Seuil, 2006© EMMANUELLE MARCHADOUR97GRANDINTER-VIEW


qLes inégalités sous <strong>le</strong> prismede la culture écriteBernard Lahire s’est interessé à la question scolaire notamment sousl’ang<strong>le</strong> du rapport « scriptural-scolaire » à la langue. De « Culture écrite etinégalités scolaires » paru en 1995 à « La raison scolaire. Eco<strong>le</strong> et pratiquesd’écriture, entre savoir et pouvoir » paru en 2008, <strong>le</strong> sociologue a cherchéà comprendre ce que l’écrit et <strong>le</strong>s formes socia<strong>le</strong>s particulières quil’accompagnent, engendrent comme conséquences éducative, cognitiveet comment se construisent concrètement <strong>le</strong>s inégalités de réussite àl’éco<strong>le</strong> au travers de ses enquêtes. L’éco<strong>le</strong> s’étant construite autour d’uneculture écrite, la réussite en son sein nécessite des dispositionsparticulières. L’absence de dispositions réf<strong>le</strong>xives de la part des élèvesissus des milieux populaires entrave la réussite scolaire. Il a par ail<strong>le</strong>ursmontré comment la question du capital culturel ne peut seu<strong>le</strong> expliquer laréussite des enfants. La manière dont <strong>le</strong>s parents envisagent l’éco<strong>le</strong> peutamener ou non <strong>le</strong>urs enfants à se conformer au « jeu » scolaire et àl’intégrer dans <strong>le</strong> contexte familial.phie, la sociologie, etc.) et à lacompréhension des grandsenjeux des temps présents(grâce aux sciences humaines etsocia<strong>le</strong>s comme aux sciences dela vie et de la nature).« Une partie nonnégligeab<strong>le</strong> dessolutions aux difficultésscolaires se trouve <strong>sur</strong><strong>le</strong> terrain pédagogique. »12 e UNIVERSITÉ D’AUTOMNE DU SNUIPP - 26-27-28 OCTOBRE 201298La sociologie a permis demettre en avant <strong>le</strong>smécanismes en jeu dans <strong>le</strong>système scolaire, peut-el<strong>le</strong>aider <strong>le</strong>s enseignants à <strong>le</strong>sdépasser ?Une partie du problème de l’inégalitéscolaire échappe tota<strong>le</strong>ment(et échappera toujours)aux agents de l’institution scolaire.L’état économique, culture<strong>le</strong>t moral des famil<strong>le</strong>s dépend dela qualité et de la stabilité de lasituation professionnel<strong>le</strong> desparents, de l’histoire de la scolarisationdes membres de lafamil<strong>le</strong>, de l’état du moral desmembres de la famil<strong>le</strong> en fonctiondes difficultés d’existenceplus ou moins durab<strong>le</strong>s qu’ils onttraversées, etc. L’éco<strong>le</strong> ne peutrien au fait que <strong>le</strong>s héritagesculturels familiaux avantagent<strong>le</strong>s uns et désavantagent <strong>le</strong>sautres. Cela relève des politiquessocia<strong>le</strong>, économique et culturel<strong>le</strong>; et tout ce que l’histoire afait (mettre en place des éco<strong>le</strong>sdans toutes <strong>le</strong>s communes) oudéfait (dans <strong>le</strong> passé récent,diminuer <strong>le</strong> nombre d’enseignantset d’aides-scolaires recrutés,négliger l’éco<strong>le</strong> maternel<strong>le</strong>ou la formation des enseignants)pèse <strong>sur</strong> la situation présente.Toutefois, une partie non négligeab<strong>le</strong>des solutions aux difficultésscolaires se trouve tout demême <strong>sur</strong> <strong>le</strong> terrain pédagogique: plus on avance dans laconnaissance des modalités del’échec scolaire, plus on se rendcompte que <strong>le</strong>s enseignantsgagneraient, avec <strong>le</strong>s élèves issusdes milieux populaires, à davantageexpliciter <strong>le</strong>s exigences scolaires,à transmettre destechniques ou des recettes pourapprendre des <strong>le</strong>çons ou écrireun texte, à encadrer <strong>le</strong>s élèves, à<strong>le</strong>s entraîner culturel<strong>le</strong>mentcomme on entraîne sportivement,à <strong>le</strong>s gratifier pour soutenir<strong>le</strong>ur effort plutôt qu’à <strong>le</strong>s mettreimmédiatement en concurrenceet en situation d’échec, etc.Autant de choses qui supposentde plus faib<strong>le</strong>s effectifs que ceuxque l’on connaît aujourd’hui, n’endéplaise à ceux qui ne cessent derabâcher – à droite comme àgauche – que ce n’est pas unequestion de moyens, et qu’àmoyens constants on peut obtenirde meil<strong>le</strong>urs résultats.Sciences de l’éducation,psychologie dudéveloppement,didactiques desdisciplines... <strong>le</strong>s entréespour étudier l’éco<strong>le</strong> sontmultip<strong>le</strong>s mais nemanque-t-il pas des relaispour rendre opérationnels<strong>le</strong>s résultats de larecherche ?De manière généra<strong>le</strong>, nousaurions besoin de passeurs entre<strong>le</strong>s productions <strong>le</strong>s plus savanteset <strong>le</strong>s réalités de la pratiquepédagogique. Ce sont <strong>le</strong>s formateursd’enseignants qui seraient<strong>le</strong>s mieux placés pour faire <strong>le</strong> lienentre ces deux mondes. Ils pourraienttirer nombre de travauxsavants des conséquences toutà fait concrètes pour la pratiquede classe. La question n’est pas,à mon sens, d’atteindre un« consensus » mais de s’appuyer<strong>sur</strong> des travaux suffisammentétayés empiriquement et rigoureuxargumentativement pourqu’ils puissent aider à penser <strong>le</strong>spratiques d’enseignement, <strong>le</strong>srapports que <strong>le</strong>s élèves entretiennentà l’égard des savoirs etdes situations didactiques, etainsi de suite. Il y a tel<strong>le</strong>mentd’ang<strong>le</strong>s d’attaque possib<strong>le</strong>s dela réalité scolaire que l’on ne peutpas rêver à un savoir total quiintègrerait tous <strong>le</strong>s acquis desdifférentes sciences travaillant<strong>sur</strong> <strong>le</strong>s faits scolaires et éducatifs.Mais si ces travaux permettaientau bout du compte aux enseignantsd’être plus réalistes, plusefficaces, moins contre-productifs,<strong>le</strong>s élèves <strong>le</strong>s plus en difficultésen retireraient sans doutequelques profits non négligeab<strong>le</strong>s.Propos recueillis par Lydie Buguet© EMMANUELLE MARCHADOUR

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