apprentissagesATELIEROrthographeChercher, expérimenterpour progresserL’année dernière, à Port Leucate, Michel Fayol parlait de l’acquisition du nombre par le jeuneenfant. Cette année ce sont les apprentissages orthographiques qu’il interroge avec la mêmerigueur scientifique et la même volonté de mettre au service des enseignants les savoirs issusde la recherche. La distinction qu’il établit ici entre les acquis implicites et l’enseignementexplicite permet de questionner les processus d’apprentissage.© NAJA13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201340q Faire l’expérience de l’expérimentationQuand Michel Fayol suit le travailde deux étudiantes enorthophonie et que celles-cicherchent des classes supportà une expérimentationen orthographe pour leurmémoire de fin d’études, oncomprend que des enseignants soient intéressés.Cela a été le cas pour sept professeuresd’école du Puy-de- Dôme qui se sontlancées il y a deux ans dans une expérimentationsur l’enseignement explicite del’orthographe lexicale. Avec l’aide de laconseillère pédagogique Pascale Jaulhac(Clermont-Ferrand, Terres- Noires), unepetite équipe se constitue et définit defaçon très précise un protocole d’apprentissagequi porte sur 33 mots choisis enfonction de leur fréquence et de leur pertinencepour les enseignants. Des séancescourtes de 20 minutes sont organisées dansles classes pendant 6 semaines. Les motssont lus, épelés, écrits, comparés, copiés,tronqués, complétés… Un apprentissageexplicite en 15 étapes et une démarcheexpérimentale rigoureuse avec groupetémoin, pré et post-tests. Au final les résultatsmontrent que l’enseignement a été efficacequant à l’orthographe des mots dictés.Une expérimentation positive mais aussiune expérience professionnelle pour lesenseignantes concernées qui, selon PascaleJaulhac, ont trouvé beaucoup d’intérêtpédagogique à débattre avec le chercheuret les étudiantes. « Celles qui ont conservéle même niveau de classe ont élaboré uneadaptation personnelle de ce travail pourl’étude de l’orthographe avec leurs élèves »précise-t-elle.
13 e app-« Un enseignement explicitedes irrégularités »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>L’orthographe françaiseest-elle plus difficile àmaitriser que les autres ?MF. Oui car elle présente trois typesde difficultés. La première c’estque notre langue repose sur unsystème alphabétique. Mais c’estune difficulté qui est commune àtous les systèmes alphabétiques.La deuxième est liée au fait quenous ne sommes pas dans un systèmeidéal avec 26 lettres et 26phonèmes. Nous avons entre 32et 36 phonèmes et, au fil de l’histoire,on a voulu garder les différentesorigines de notre langue etles traces de son évolution. L’orthographedes mots ne corresponddonc pas à leur formephonologique. Le mot « beau » a2 phonèmes mais s’écrit avec 4lettres. Donc lorsqu’on entendune forme orale, on peut rarementla transcrire directement, laphonologie ne suffit pas et il fautfaire appel à la morphologie lexicale.La troisième difficulté, elle,est spécifique au français et portesur la morphologie flexionnelle,c’est-à-dire les accords. Cettemorphologie est muette et lesjeunes français ne vont découvrirles marques de la pluralité ou dugenre -masculin/féminin- quequand ils vont apprendre à lire età écrire, au contraire des jeunesespagnols ou allemands qui lesont déjà « dans l’oreille ». Un nouvelapprentissage doit donc avoirlieu et, toute notre vie, il va falloirfaire attention à cela.Quelles formesd’enseignement mettre enœuvre ?MF. Pour le principe alphabétique,ce n’est pas trop difficile. L’apprentissagede la lecture et celui« Les accords, unedifficulté spécifiqueau français. »Michel FayolMichel Fayol est professeur émérite à l’Université Blaise Pascal de ClermontFerrand. Il est également chercheur au Laboratoire de Psychologie Socialeet Cognitive (LAPSCO) du CNRS. Ses activités de recherche portent surl’acquisition, l’apprentissage et l’utilisation des systèmes symboliquesécrits : l’écrit, la numération et le dessin. Il a publié en 2013 « L’acquisitionde l’écrit » et « L’acquisition du nombre », deux livres dans la collection« Que sais-je ? » aux Presses Universitaires de France.de l’écriture vont se faire ensemblepuisqu’ils reposent tous les deuxsur les relations phonèmes-graphèmes.Pour l’orthographe lexicale,c’est plus compliqué. On saitdepuis quelques années que lireet déchiffrer entraine l’apprentissagede la forme orthographiqued’un grand nombre de mots. Onapprend donc de façon implicitesans le vouloir. On s’auto- apprendles formes des mots même lesplus irrégulières si elles sont fréquentes.Malheureusement celane suffit pas car dans certains cas,les formes lexicales posent problèmeet souvent ce sont desmots très fréquents comme« alors, pendant, maintenant, des »qui sont irréguliers c’est-à-direnon calqués sur la forme orale. Onne peut donc pas se passer d’unenseignement lexical explicite.En quoi la recherchepeut-elle nous aider ?MF. Elle peut nous aider à trier parmiles techniques d’enseignementcelles qui sont les plus efficaces.On s’est aperçu par exemple quel’utilisation de petits trucs de soulignementpour mettre en valeurune graphie irrégulière et attirer lesl’attention des élèves n’avait pasd’effet positif sur la mémorisationde ces graphies. Les difficultés nese trouvent pas dans l’encodagemais au niveau de la mémoire quiréorganise ce qui a été vu etencodé à partir des tendances lesplus fréquentes. On ne mémorisedonc pas des mots mais des fréquencesd’apparition de certainesformes. On sait que ce qui fonctionne,ce sont des séances structurées,brèves et espacées, où lesélèves sont incités à retrouver pareux-mêmes à intervalles réguliers© mira / NAJAtout ou partie de l’orthographe desmots, l’effort de rappel étant unfacteur important de l’apprentissageet de sa consolidation.C’est la même chose pourl’orthographegrammaticale ?MF. Non, on a montré il y a quelquesannées, que les accords les plussimples étaient relativement facilesà acquérir pour peu qu’on les pratiqueassez souvent. En revanche,il y a un domaine qui commenceseulement à être exploré c’est celuide la morphologie dérivationnelle,c’est-à-dire les familles de mots,« grand » qui prend un « d » parcequ’on peut faire « grande ». Cettemorphologie est sans doute facilitatricemême si on est gêné par lesexceptions comme l’absence de« t » à la fin d’ « abri » alors qu’on ditabriter.Il vaut donc mieux enseignerd’abord les régularités ?MF. L’enfant a tendance à extraireles régularités tout seul, mais il ya de fortes différences entre lesindividus. Il faudrait donc vérifierque les élèves ont extrait les régularités,les amener à en prendreconscience de façon plus certaine,et, une fois qu’on est sûr de cetteinstallation, alors mettre en placeun enseignement explicite desirrégularités.Tout n’a donc pas déjà étéessayé ?MF. Si les problèmes étaientsimples, il y a longtemps qu’il n’yaurait plus d’erreurs orthographiques.Non, on n’a pas toutessayé parce qu’il y a des chosesqu’on ne connait pas encore. Etcelles qu’on connait ne sont pastoujours diffusées comme ellesdevraient l’être. Pourtant, larecherche apporte de nouvellesdonnées concernant les difficultéset la manière de les prévenirou de les dépasser.Propos recueillis par Alexis Bisserkine41rentis-sages