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FSC n° 390 - SNUipp

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13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>L’école en chantiersDe quelque manière que l’on regardeaujourd’hui l’école, une expression s’imposepour la qualifier : en chantiers. Aux deux sensdu terme, bien sûr. Une école nouvelle, refondée,rerythmée, que Vincent Peillon imagineen grandes envolées. Une école bousculée, désorientée, malréformée, que vivent les enseignants. Cette école en chantiersa été l’objet de toutes les discussions à la treizième universitéd’automne du <strong>SNUipp</strong>-FSU qui s’est tenue avec quinze joursd’avance, en raison du nouveau rythme du calendrier desvacances scolaires.La sociologue Agnès Van Zanten, le psychiatre Serge Tisseron,le sportif Stéphane Diagana ont décortiqué le rapport que lasociété entretient avec son école. Les chercheurs Rémi Brissiaud,Michel Fayol, Mireille Brigaudiot, André Ouzoulias, pourne citer qu’eux, ont analysé le travail enseignant, les apprentissages,le métier de l’élève.Ce numéro spécial de Fenêtres sur cours essaie de rendrecompte de la richesse de ces trois journées, y apportantquelques éclairages inédits. Pour une école de la réussitepour tous.f ][ enêTresHebdomadaire du syndicat nationalunitaire des instituteurs, professeursdes écoles et PEGC128 boulevard Blanqui 75013 ParisTél. : 01 40 79 50 00E-mail : fsc@snuipp.frDirecteur de la publication : Sébastien SihrRédaction : Francis Barbe, Aline Becker, AlexisBisserkine, Ginette Bret, Pierre Magnetto,Vincent Martinez, Philippe Miquel, JacquesMucchielli, Christian Navarro, EmmanuelleRoncin, Sébastien Sihr, Virginie Solunto.Conception graphique : Acte Là !Impression : SIEP Bois-le-RoiRégie publicité : Mistral Media365 rue Vaugirard 75015 ParisTél. : 01 40 02 99 00Prix du numéro : 1 euro Abonnement : 23 eurosISSN 1241 0497 / CPPAP 0415 S 07284Adhérent du syndicat de la presse sociale3


Sommaire13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>MéTIER9. Enseigner, un métier à reconstruirecollectivement12. Séverine KakpoDevoirs : un attachement contre-productif14. Plus de maîtres que de classes :L’an 1 du dispositif16. Sophie DevineauEnseignant(e) : une profession levier féministe ?18. Marc DemeuseÉducation prioritaire : pourquoi évaluer ?20. Marc DaguzonFormation des débutants : initierla transmission du métierAPPRENTISSAGES33. Apprentissages : vite,prendre le temps34. Rémi BrissiaudMathématiques : se réapproprierles petits nombres36. Joël Lebeaume« Éducation à … » Comment s’y prendre ?38. Valérie BarryGéométrie : aider à conceptualiserDOSSIER ENFANTSET NUMERIQUE24. Une éducation au bon usagedu numérique26. « L’enfant et les écrans »Pour un usage académique du numérique40. Michel FayolOrthographe : chercher,expérimenter pour progresser42. Marie-Ange DatLangues vivantes : l’apprentissagede l’altérité28. Serge Tisseron« Faire du numérique la plusnoble conquête de l’homme »...5


Sommaire13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>ARTS À L’ÉCOLE44. Art et enfance : la lectureen partage pour donner sensau monde46. Jean-Pierre SiméonPoésie : un air de liberté48. Joëlle TurinLa littérature pour faire grandir50. Jean-Philippe MartinÀ l’école de la BD : les élèves planchentsur les bulles54. Yvanne ChenoufLittérature de jeunesse :étude d’un auteurMATERNELLE58. La maternelle, en quêted’équilibre60. Catherine DumasRituels : ont-ils encore un sens ?62. Mireille BrigaudiotActivités symboliques :un enjeu décisif ?64. André OuzouliasLecture : dans le cœur des motsSport66. Stéphane Diagana« Le sport, un projet éducatif,pas une contrainte »ENFANT ET SOCIÉTÉ72. Pour une école de la réussitede tous les élèves76. Éric NedelecIllettrisme : des actions éducatives familiales78. Stanislas MorelMédicalisation : les causes de l’échechors de l’école80. José PuigHandicap : quels accompagnements ?82. Géraldine BozecImmigration : les enseignants en porteà faux84. Pierre TournemireLaïcité : apprendre à vivre ensemble86. Arnaud TiercelinÉducation partagéeGRAND INTERVIEW90. Agnès Van Zanten« Le marché « officieux »de l’école française »7


13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>© MIRA / najaEnseigner,un métier à reconstruirecollectivementUne loi de « refondation », des chantiers, de nouveaux dispositifssuffiront-ils à redonner des couleurs à un métier malmené où semêlent à la fois souffrance et professionnalité ?Durant ces dernières années, enseignerest devenu un métier malmené,discrédité, dépouillé de sescontenus et de ses objectifs. Lesministres successifs avaient alors,chacun leur tour, imposé des mesures, desméthodes et des réformes : sur la lecture,sur la formation des enseignants... Le langagede l’entreprise, « culture du résultat »,« critères d’efficacité », « indicateurs deperformance », envahit les écoles et lesclasses. La « souffrance au travail » sedéveloppe à cause d’une intensificationdes tâches, d’un travail « empêché » et d’undéni de reconnaissance institutionnelle.Des blocages et des souffrances qui sontautant de freins à l’action. C’est ce quepointe Marc Daguzon dans une étude portantsur les maîtres-formateurs temporaires: « Un maître qui transforme laprescription institutionnelle ne se sent paslégitime à transmettre son expérience à unjeune débutant ».La loi de « refondation » de l’école, votée cetété, si elle a pu apporter des orientationsintéressantes comme la priorité au primaire,le retour de la formation, une dotation enpostes, semble déjà manquer de souffle àcette rentrée, où seule ne prédomine plusque la réforme des rythmes scolaires. Pourtant,des chantiers pédagogiques (voir cidessous)s’ouvrent pour reconstruire etredonner du sens, conduire la réflexion etengager les actions, impliquer les personnels,acteurs et experts de leur métier. Desdispositifs, inscrits dans la loi, sont mis enplace pour diversifier les offres pédagogiquesà tous les élèves, dès leur plus jeuneâge comme le « Plus de maîtres que declasses » et la scolarisation des moins detrois ans. Parce qu’aujourd’hui, tout commehier, c’est bien la difficulté de certainsélèves à entrer dans les apprentissages scolairesqui nécessite une transformation del’école et une redynamisation du métier,avec un préalable : redonner et faireconfiance aux enseignants.C’est ce que porte le <strong>SNUipp</strong>-FSU et c’estce qu’il permet et développe lors de sonUniversité d’Automne, événement majeurpour une profession sans cesse enrecherche d’efficacité. Cette réunion d’enseignantset de chercheurs, par une véritableimmersion pendant trois jours durant,participe de la reconstruction collective dumétier : poser les problématiques, apporterdes pistes, soulever des controverses, bousculerl’ordre établi, décortiquer les gestesprofessionnels... Parce que professionnaliserle métier, le reconnaître, s’appuyer etdévelopper l’expertise de tous ses acteurs,c’est l’objectif que le <strong>SNUipp</strong>-FSU s’estassigné pour transformer la société et larendre plus juste, plus égalitaire, plusémancipatrice et plus épanouissante. Riende moins. Ginette bretq Métier en chantiers : une école à transformerDes discussions sur le métier et les parcours professionnels sont engagées entre le ministère et lesorganisations syndicales sur la direction et le fonctionnement de l’école (missions,accompagnement et valorisation de la fonction) ; sur les missions et les moyens des RASED ; surles missions des formateurs (PEMF et CPC), en lien avec la formation initiale et continue. De plus,une consultation des enseignants sur les programmes de 2008 a été organisée par le ministère etpar le <strong>SNUipp</strong>-FSU ( snuipp.programmes@snuipp.fr). Cette réflexion nourrira les travaux du Conseilsupérieur des programmes pour de nouveaux enseignements en 2015. Quant à la relance del’Éducation prioritaire, là aussi, des assises sont prévues et une consultation auour de thématiquesorganisée jusqu’à Noël. Plusieurs sujets seront examinés : la révision de la carte de l’EP, les moyensà mettre en œuvre, les conditions d’exercice du métier et le régime indemnitaire des enseignants.L’enjeu est de taille, tant le cœur du métier que représente l’accès aux apprentissages des élèvesdes milieux défavorisés mérite enfin une vraie transformation de l’école.9métier


mÉtierEntretien« Le fonctionnement de l’écoledoit être repensé »Depuis la rentrée, le recoursau plus de maîtres que declasse se développe.Quelles sont les attentesdes enseignants ?Ces dispositifs existent depuisquelques années, mais restentlimités à certains secteurs del’éducation prioritaire. Avec lesmaîtres surnuméraires, les équipesont su développer des organisationsnouvelles, décloisonner lesclasses, travailler par petitsgroupes, faire de la co-intervention...Ce qu’attendent aujourd’huiles enseignants, c’est qu’on leurdonne le temps et les moyens depenser ensemble ces formes detravail en équipe. Repenser sonorganisation de classe, apprendreà travailler autrement pourprendre en charge la difficultéscolaire, cela ne s’improvise pas. Ilfaut remettre à plat et confronterses pratiques dans un collectif detravail, ou encore expliciter collectivementles enjeux d’apprentissageet les remédiations possibles,en mettant en place des aménagementspour une différenciationpédagogique. Cela s’apprendaussi. Mais sans formation initialeet continue solide, les attentesrisquent de ne pas trouver lesréponses adaptées.« Le principed’éducabilité de tous doitêtre réaffirmé. »13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201310La rénovation de l’éducationprioritaire est annoncée,qu’est-ce que lesnuipp-FSU entend porterlors des discussions ?L’ouverture du chantier de l’éducationprioritaire doit être l’occasionde tourner le dos à la logiqued’empilement des dispositifs. Leprincipe d’éducabilité de tous doitêtre réaffirmé en repartant de lavolonté de donner plus à ceux quiont le moins. C’est un vrai défi àrelever pour que les inégalitéssociales cessent de se traduire eninégalités scolairesIl faut revoir la cartographie enprenant en compte la ruralité. Maiscela ne suffira pas. Le fonctionnementmême de l’école doit êtreAline BeckerAline Becker est secrétaire générale adjointe du SNUIpp-FSU.repensé. Changer les pratiques enintégrant le plus de maîtres que declasses pour permettre desregards croisés, scolariser lesmoins de trois ans, s’appuyer surl’expertise des RASED, sont desleviers incontournables. Les enseignantsont aussi besoin de tempsinstitutionnel pour travailler, seformer en équipe, accéder auxresultats de la recherche. Lesconditions de travail doivent doncêtre améliorées significativement.Mais l’école ne peut pas tout. Il fautapporter des réponses globalesautour de l’école : mixité sociale,services publics, lieux de soinssont autant de facteurs déterminants.La direction et lefonctionnement d’école sontégalement en discussion...Le dossier est resté trop longtempsen souffrance. Les conditionsde travail se sont dégradéesces dernières années. Les directriceset directeurs s’épuisent dansdes taches administratives toujoursplus chronophages. La diminutiondu temps de concertationen équipe avec la mise en place del’aide personnalisée, ne leur permetplus d’assurer toutes leursmissions. Aujourd’hui, ils sont enpremière ligne pour mettre enœuvre les nouveaux rythmes. Ilfaut redonner toute sa place àcette fonction indispensable aubon fonctionnement de l’école.Les directrices et directeursattendent des réponses concrètesdu ministre. Ils veulent du temps,ce qui est légitime quand 17000écoles de moins de 4 classes fonctionnentsans décharge de direction.Ils veulent aussi unallègement des tâches administrativesinutiles qui les décentrent deleur mission d’animation d’équipe,de relation avec les familles ouavec les partenaires de l’école.Mais il est aussi temps de reconnaîtrecette fonction en la revalorisantfinancièrement et en offrantune réelle formation.© MIRA / najaLes ESPE, est-ce une bonnefaçon de rentrer dans lemétier ?La masterisation de la formation aconduit à la disparition d’uneréelle formation initiale au sein desIUFM. L’ouverture des ESPE àcette rentrée marque la volonté deremettre en œuvre une formationinitiale avec un niveau de qualificationélevé. Les masters "métiersde l’éducation de l’enseignementet de la formation" (MEEF) doiventarticuler une formation universitaireliée à la recherche avec uneformation professionnelle s’appuyantsur des stages en alternance.Mais la mise en œuvre estloin d’être évidente. La culture universitaires’oppose encore à la formationprofessionnelle. Desinégalités commencent déjà à voirle jour concernant les volumes etcontenus de formation entre lesESPE, car il n’existe pas de cadragenational ni de cahier des chargesde la formation. Chaque ESPEbâtit son parcours en fonction desmoyens et ressources dont ellesdisposent. Il y a des réajustementsà faire pour garantir une équité deformation avec des moyens effectifspour toutes les ESPE. D’autantqu’elles ont à prendre en charge laformation continue des enseignants.Or sur ce point les reculsont été si importants, qu’il ne resteplus que les heures d’animationpédagogique pour faire évoluerles pratiques, s’adapter aux nouveauxdispositifs ou prendre encompte les besoins éducatifs particuliers.Or, on ne transformerapas l’école sans donner aux enseignantsles moyens et les outils des’approprier de nouvelles pratiqueset de mener des réflexionscollectives.Propos recueillis par Pierre Magnetto


mÉtierAtelierDevoirsUn attachementcontre-productifLes études de Séverine Kakpo montrent que si l’externalisation du travail personnel des élèvescontribue à la production et à l’accentuation des inégalités sociales de réussite scolaire, laré-internalisation des devoirs, même lorsqu’elle permet de les placer sous la responsabilité desenseignants, n’est pas en soi un gage de réduction de l’échec scolaire.© Treviers / naja13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201312q Devoirs à la maison : interdits ou non ?Un rapport de l’Inspectiongénérale rendu public en2012 sur « Le travail desélèves en dehors de laclasse » interroge une pratiquegénéralisée...bien qu’officiellementinterdite depuis un demi siècle. De fait,l’interdiction des devoirs à la maison estconstamment réaffirmée par les textesofficiel depuis 1956, où une circulaire précisaitqu’ « aucun devoir écrit, soit obligatoire,soit facultatif, ne sera demandé auxélèves hors de la classe. Cette prescription[ayant] un caractère impératif » notent lesrédacteurs du rapport.Rappelée en 1958, l’interdiction fait l’objetd’un nouveau texte en 1964 précisantqu’elle « s’applique également aux élèvesdes cours préparatoires et vise, d’unefaçon plus générale, l’ensemble desélèves de l’école primaire. » En 1971, està nouveau répété qu’ « il reste interdit,dans l’enseignement élémentaire, de donnerdes travaux écrits à exécuter à la maisonou en étude » tandis qu’en 1995 unelettre ministérielle indiquait « dans lalogique de la mise en œuvre cohérentedes études dirigées » que « la suppressiondes devoirs à la maison (…) trouve sapleine justification ». Depuis 1994, et lamise en place de multiples dispositifsd’accompagnement à la scolarité, « lesdevoirs à la maison sont-ils toujours interdits? » s’interrogent les Inspecteurs généraux,avant de constater que « sur le planréglementaire, la réponse est pour lemoins ambiguë. » La question resteaujourd’hui posée, le récent rapport issude la concertation sur la refondation del’école préconisant d’ « intégrer l’aide personnaliséedans le temps scolaire et organiserl’accompagnement du travailpersonnel à l’école même (…) ce quisignifie la suppression effective desdevoirs à la maison ».


mÉtierAtelierEnseignant(e)Une profession levier féministe ?La féminisation des métiers de l’enseignement interroge plus largement la place des femmesdans le salariat. Malmenées dès l’entrée dans le monde du travail par des pratiquesdiscriminatoires, de nombreuses jeunes diplômées se tournent vers cette profession qui a sudonner aux femmes un statut et une visibilité sociale. Malgré une structuration encoreemprunte d’inégalités sexuées, elle sert de levier pour faire avancer l’égalité entre les sexesdans la société.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201316q Les enseignantes de plus en plus nombreusesTraditionnellement la professionenseignante s’avère davantageattractive pour les femmes quepour les hommes. Dans uncontexte professionnel danslequel femmes et hommes ne sont pas traitésà égalité, la profession enseignantedemeure l’une des plus respectueuses desdroits des femmes.D’abord majoritairement engagées dans lepremier degré, les enseignantes ont progressivementinvesti les collèges et leslycées. En 2007, l’enseignement primairecomptait 259.165 femmes sur 321.339enseignants, soit un pourcentage de 80,7%.Depuis, et à l’exception de 2012, la féminisationde la profession n’a cessé de seconfirmer. En 2013, la proportion defemmes dans le primaire atteint 81,9%.Dans le même temps, l’indice moyen derémunération des femmes (524) reste inférieurà celui des hommes (552). En 2013,elles représentent 42,7% des personnelsdu second degré et 37,3% des personnelsdu supérieur.© MIRA / naja


« Enseignantes, militantespour l’égalité »13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourquoi vousintéressez-vousspécifiquement auxenseignantes et à laprofession enseignante ?SD. C’est une profession anciennequi a joué et qui joue encore unrôle important pour la promotiondes femmes dans le salariat. Cetteprofession dans laquelle lesfemmes sont majoritaires estvisible, repérable et repérée, trèsstructurée et dotée de syndicatsqui ont su la faire connaître et ladéfendre. Elle a de ce fait unimpact non négligeable en termesde modèles pour la société, etprécisément la place occupée parles enseignantes dans l’histoire dutravail des femmes ne va pas êtresans conséquence sur la questionféministe. En m’attachant particulièrementau travail des enseignantesmilitantes féministes, jemets toutefois en évidence lesobstacles qu’elles rencontrentdans leur action.« Elles incarnent de faitune figure progressistede la femme active. »Quels sont ces obstacles ?SD. Le premier obstacle est la structuresexuée de la profession etdonc la division sexuée du travailscolaire. Il existe en effet uncontraste entre, d’une part lareprésentation commune d’uneprofession qui respecte l’égalité -àtravail égal salaire égal- et, d’autrepart des inégalités quant à la placequ’occupent les acteurs dans lastructure. L’égalité et l’impartialitésont souvent revendiquéescomme piliers d’une éthique professionnelleenseignante alorsmême qu’on constate que cetteégalité est à questionner au seindu système éducatif. Ainsi, plus onmonte dans les degrés plus lesfemmes se raréfient : elles« cette profession n’estpas aussi égalitaire qu’onvoudrait le croire. »Sophie DevineauSophie Devineau est maîtresse de conférences à l’université de Rouen.Sociologue de l’éducation, elle mène depuis une dizaine d’années desrecherches portant sur les inégalités sexuées dans et par l’école (Le genreà l’école des enseignantes : embûches de la mixité et leviers de la parité,l’Harmattan, 2012). Le point de vue adopté est celui du rôle social joué surla longue durée par cette profession certes très féminisée mais surtoutpartie prenante de l’égalité entre les sexes et plus largement dumouvement d’émancipation des femmes.occupent plus de 90 % des postesà l’école maternelle alors qu’ellesne sont plus que 30 % dans l’enseignementsupérieur. Il y a doncbien une ségrégation verticalecomme dans les autres secteursde l’emploi. Pour les jeunes générations,les mêmes phénomènessont observés : quand on interrogedes étudiants inscrits dansles nouveaux masters MEEF sur lafaçon dont ils se projettent dansle métier, on s’aperçoit que lesfemmes, très majoritaires dans cesfilières, déclarent le plus souventvouloir travailler en maternelle ouau CP alors que les hommess’imaginent dans des niveaux plusélevés. Tout n’est donc pas résoludu point de vue de la parité professionnelleet de la mixité au travailet cette profession n’est pasaussi égalitaire qu’on voudrait lecroire. C’est ce qui motive les militantesféministes dans leur action.Un autre obstacle réside dans lefait d’avoir subi soi-même uneéducation sexuée. A l’image desautres acteurs sociaux, lesenseignant(e)s n’échappent pas àla socialisation sexuée dans lafamille pas plus qu’aux rapportssociaux de sexe qu’implique ladomination masculine. Dans laréalité quotidienne de l’école, onobserve des situations pédagogiquesqui attestent encore de laprésence de pratiques d’un autreâge (par exemple des activités enmaternelle autour des jouets supposésde filles ou de garçons),mais on relève aussi un regardsexué des inspecteurs sur la compétenceprofessionnelle. Les militantesvont donc se heurter à desfaits qui existent aussi bien dans© BILAL / najal’organisation professionnelle qu’àl’intérieur des classes ou encoredans les attentes des familles.Autant d’embûches à la mixité quisont au cœur du travail des militantes.En quoi cette professionconstitue-t-elle un levierféministe ?SD. Il faut une fois encore rappelerla place spécifique de la professionenseignante dans le salariatféminin. Elle a été historiquementle secteur le plus ouvert auxfemmes diplômées et le lieu oùelles ont été le mieux traitées d’unpoint de vue salarial. Ensuite, cesfemmes, par leur compétenceprofessionnelle et par la maîtrisequ’elles ont de la langue, vont trèstôt dans l’histoire s’emparer de laparole écrite, animer des associations,fonder des revues... pourdiffuser leurs idées égalitaires.Elles incarnent de fait une figureprogressiste de la femme activeaussi bien sur la scène publiquequ’auprès des élèves ou de leursparents. La minorité agissante desmilitantes va ainsi œuvrer sur tousles fronts de l’école à la cité pourune éducation populaire à l’égalitéentre les sexes au bénéfice del’égalité entre tous. Aujourd’huipar exemple, au regard de lasituation défavorable des femmespour la retraite, défendre lesfemmes comme le font les syndicatsenseignants parce que lesfemmes sont majoritaires dans cemilieu, c’est avant tout défendrel’égalité.En somme, l’étude que j’ai menéeconduit à décrire la dynamiqued’un groupe professionnel, certestraversé par des contradictions,mais aussi moteur de l’émancipation.Propos recueillis par Claude Gautheron17métier


mÉtierAtelierÉducationprioritairePourquoi évaluer ?L’évaluation des politiques d’éducation prioritaire est un moyen puissant demettre en évidence certains hypocrisies ou incohérences des mesures préconisées.Marc Demeuse le prouve à travers quelques exemples.© CADieu / naja13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201318q Évaluer… bon pour le système,mais aussi bon pour la rechercheÉvaluer les politiques publiques,leur mise en œuvre, leur efficacité…cela permet de corrigerle tir, mais aussid’améliorer les pratiquesd’évaluation et la recherche en éducation.Marc Demeuse en donne un exemple auxEtats-Unis où le financement des politiquesd’éducation prioritaire est accrulorsque les solutions adoptées par les établissementsscolaires ont fait leur preuve,scientifiquement. Ce n’est cependant paschose aisée d’apporter la preuve de l’efficacitéde ce genre d’actions. Cela amèneà devoir préciser ce qui est réellementmis en œuvre, mais aussi à développerdes méthodes spécifiques permettant decerner ce qui relève effectivement de cespratiques et ce qui n’en relève pas.Dans ce domaine, les travaux de l’américainRobert Slavin sont très éclairants. Ilest à la fois un excellent spécialiste desapprentissages, le responsable d’un programmebaptisé « Success for All » quipropose aux écoles bénéficiaires des politiquesd’éducation prioritaire un programmecomplet d’intervention, y comprisen termes de formation des enseignants,et un expert en matière d’évaluation desprogrammes. Il n’est pas le seul et c’estpar les échanges, parfois vifs, entre cetype de spécialistes que beaucoup deprogrès peuvent être faits, à la fois enmatière d’outils pédagogiques, deconnaissances scientifiques dans ledomaine des apprentissages et de l’évaluationdes programmes. On trouveencore peu de traces de ces travaux enlangue française. Expérimenter demanière contrôlée semble de ce côté-cide l’océan un problème éthique gravealors que chacun, dans nos classes, nousexpérimentons de manière sauvage toutles jours, sans grand contrôle ni publicationde nos résultats.


« Évaluer l’éducation prioritaire :provocation indécente ou nécessité ?»13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quels types d’hypocrisiel’évaluation des politiquesd’éducation prioritairepermet-elle de dévoiler ?MD. L’idée centrale des politiquesd’éducation prioritaire et doncdes ZEP, en France au moins,s’est construite autour de l’idéede compensation, « donner plusà ceux qui ont moins », pourreprendre le slogan des années1980. Mais est-ce bien vrai ?Donne-t-on ainsi vraiment plusà ceux qui ont moins ? Et c’estquoi « avoir moins » ou « donnerplus » ? L’idée même de compensationinduit celle de déficit,de manque, voire de handicap…qui rend plus difficile la remiseen cause du fonctionnementhabituel de l’École. Pourtant, en1981, à la création des ZEP,celles-ci étaient destinées àconstituer des laboratoires duchangement, de l’innovation.Cette idée a très vite été oubliée.« Quand on évalue, on neconnaît pas lesrésultats à l’avance eton doit donc accepter deprendre des risques. »Alors même que la question du« donne-t-on vraiment plus… »ne reçoit pas une réponse trèsconvaincante et positive, commele montre par exemple les travauxde Benabou, l’approchecompensatoire est, elle aussi,très questionnable. C’est audépart de telles questions ques’est mis en place le projetEuoPEP, piloté par l’INRP, àl’époque. L’objectif est de sortirdes évidences et des habitudesen « ouvrant les fenêtres » et enregardant ce qui se passe dansd’autres systèmes éducatifs, à lafois en termes d’objectifs, deciblage de certaines populations-y compris en questionnantMarc DemeuseMarc Demeuse, psychologue et statisticien, est professeur à la facultéde l’Université de Mons (Belgique) où il dirige l’institut d’Administrationscolaire. Il a coordonnée des équipes de recherche inter-universitaireschargées de contribuer à la mise en place des politiques d’éducationprioritaire en Belgique et a assuré, avec Daniel Frandji, David Greger etJean-Yves Rochex, la coordination d’un projet européen (EuroPEP)impliquant une douzaine d’équipes de recherche dans ce domaine(Ed. ENS Lyon).cette idée de ciblage-, d’actionset d’évaluation des politiques.L’idée n’est pas d’imiter d’autrespays, mais de mieux comprendrenotre propre fonctionnementen ne considérant pasque ce que nous mettons enplace est la seule ou la meilleuresolution. Alors qu’il est périodiquementquestion de changement,de refondation, derelance… ce détour n’est sansdoute pas inutile.Cette évaluation permetaussi de pointer lesincohérences du système.Lesquelles ?MD. Depuis des années, les politiquesd’éducation prioritaireont connu de nombreux changements,mais l’appellation ZEPreste, sans véritable évaluationd’ensemble. On garde, en apparence,le même emballage, quiarrange bien, car on continue às’occuper des plus défavorisés...mais on infléchit la politiquesans vraiment le dire des plusdémunis… pour autant qu’ils leméritent... Alors qu’en Grande-Bretagne, on a abandonné lesZEP pour des politiques plussectorielles, ciblant chacune despublics spécifiques avec unobjectif particulier -par exemple,« Une évaluationréussie, ce n’est pasjuger de la qualité,ou pas, de l’action dugouvernementprécédent. »© BILAL / najapréscolarisation des enfants desfamilles précarisées-, en France,on semble continuer le mêmeprogramme qui pourtant a étécomplètement dénaturé.Quelles sont les conditionsnécessaires pour uneévaluation utile de cespolitiques d’éducationprioritaire ?MD. L’évaluation des politiquespubliques est une nécessité,mais elle doit identifier clairementce qui doit être évalué etmettre à plat à la fois les objectifsde ces politiques, les moyenseffectivement mis en œuvre etles résultats obtenus. Sinon, quelintérêt pour le système ? Quandon évalue, on ne connaît pas lesrésultats à l’avance et on doitdonc accepter de prendre desrisques, ce qui semble particulièrementdifficile pour le politique.La difficulté en France, c’estaussi l’alternance du pouvoirpolitique, avec d’incessantessituations de conflit. Une évaluationréussie, ce n’est pas jugerde la qualité, ou pas, de l’actiondu gouvernement précédent, nis’autoproclamer le meilleur.Pour évaluer, il faut être libre dereconnaître ses erreurs. Celan’implique pas de modifier sesprincipes comme une girouette,mais d’admettre qu’entre ceuxciet leur mise en œuvreconcrète, il existe plusieursvoies, qu’il est nécessaire d’expérimentersans généraliserimmédiatement. Malheureusement,l’expérimentation prenddu temps et elle doit être… évaluée.La tendance actuelle, c’est« on évalue immédiatement uneaction qui vient juste d’être initiéeet après, c’est pour tout lemonde »! Il ne suffit pas de légiférerpour que les choses semettent en place sans délai etde la manière attendue…Propos recueillis par Ginette Bret19métier


mÉtierAtelierFormationdes débutantsInitier la transformationdu métierDepuis quelques années les modalités d’entrée dans le métier d’enseignant obligentenseignants chevronnés et débutants à se côtoyer dans les écoles. Les attentes et les doutesdes uns et des autres quant aux compétences réelles ou supposées de leurs interlocuteurspeuvent être sources d’enrichissement comme de malentendus. Marc Daguzon a étudié leursattitudes, leurs comportements, leurs représentations.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 2013© MIRA / naja20q Expériences partagéesQuand on a 31 élèves, mettre enplace ce qui est préconisé enformation n’est vraiment pastoujours facile. Pamela,contractuelle admissibledepuis la rentrée, le concèdevolontiers en évoquant pourtantavec enthousiasme la journée hebdomadairede classe qu’elle effectue dans uneécole maternelle. Elle a été affectée dans unepetite école et se félicite des relations qu’elleentretient avec les autres enseignantes del’école. « J’avais toujours l’impression de nepas en faire assez. Mes collègues m’ontconseillé d’aller moins vite et c’est vrai quecela se passe mieux. » Olga, tutrice, estimeque la formation est trop théorique alors queles PES de son école ont des demandes quiconcernent essentiellement la gestion de laclasse et la discipline. Elle veut bien donnerdes conseils mais ne se permettrait pas deporter un jugement sur les contenus enseignés.Christine, directrice d’une écoleaccueillant des PES, renchérit : « Les jeunessont très au point sur la terminologie, sur lesprogrammes mais ils doivent se rendrecompte qu’il faut faire la part des choses. »Pour elle, la pression est trop forte, ils ont le« nez dans le guidon » et ne peuvent pasprendre de recul. Stéphanie, MAT, trouve sonexpérience avec les débutants tellementriche qu’elle envisage de devenir maître-formatrice: « Je trouve que c’est passionnant deparler de son métier et de le le partager avecd’autres. Travailler avec des jeunes m’a obligéeà mettre des mots sur mes pratiques etm’a fait avancer pédagogiquement ». MaisOlga reconnaît qu’elle a certainement aussides choses à apprendre de ses jeunes collègues: « Le M2 que j’accompagne, il est vraimenttrès fort en informatique. Moi aussi,j’aimerais bien qu’il m’aide ! »


13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>peut pas attendre 3 ans ! »Vous trouvez que lesenseignants ne sont pasassez reconnus ?SS. C’est certain. Rien ne réussirasans s’appuyer sur les enseignants.Aujourd’hui, la dégradationde leurs conditions de travail,la persistance d’injonctions detoutes sortes et les difficultés de« faire école », les placent dans unmétier sous tensions. Un sentimentde malaise parcourt notreprofession. C’est de confiancedont nos collègues ont besoinpas de contrôles tatillons sur les« Ouvrir le dialogueavec la communautééducative estabsolument nécessairepour préparersereinement la rentréeprochaine. »« Un sentiment demalaise parcourt notreprofession. »en maternelle. Mettre en œuvredes mesures qualitatives pour lamaternelle, les RASED, la directiond’école nécessite un budgetà la hauteur des ambitions affichées.Des groupes de travailvont s’ouvrir. Ils doivent débouchersur du concret. En éducationprioritaire, « le plus de maitresque de classes » s’implante àpetits pas. Moins de 300 postessont prévus pour la rentrée prochaine.Tant mieux pour lesécoles qui en bénéficieront maiscela ne suffit pas à enclencher lagrande transformation de l’école.Il faut aussi accompagner lesenseignants d’une vraie formationcontinue.Le ministre s’y est pourtantengagé...SS. Oui mais pas avant 2015. Toutcela est bien trop lointain. On nepeut pas attendre la mise en placedes nouveaux programmes. C’estmaintenant que les enseignantsdoivent pouvoir revitaliser leurmétier avec des nouvelles connaissancesprofessionnelles. Il faut aiderles enseignants à aider les élèves.Des formations continues solides et« Le " plus de maitres quede classes " s’implante àpetits pas (…) cela nesuffit pas à enclencher lagrande transformationde l’école. »alimentées par les résultats de larecherche, voilà une autre urgenceheures de service par exemple.Certaines de nos missionsdoivent être mieux reconnue. Enéducation prioritaire, parexemple, nous plaidons pour desconditions de travail spécifiquesavec un allégement du serviced’enseignement sans pour autantréduire celui des élèves. Il aussiindispensable que la dimensionde relation aux familles, facteurde réussite notamment pourcelles qui sont les plus éloignéesde l’école, soit davantage intégréeet reconnu dans notretemps de service.Les créations de postesne suffisent pas à votrebonheur ?SS. Elles servent surtout à absorberla hausse démographiquedans les écoles. Et c’est tantmieux car cela redonne un peude souffle après les années desuppressions. Mais un tel retard aété pris qu’il n’est pas rare d’avoirplus de 25 élèves voire 30 élèves23


Enfantset numériqueDossierUne éducation au bonusage du numérique13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201324L’intrusion du numérique et de l’internet dans la sphère publique etprivée n’est pas nouvelle, mais elle semble toujours autantquestionner les missions éducatives de l’école et des enseignants.À en croire des spécialistes de l’éducation au numérique, la maîtrisetechnique de l’outil compte moins que la posture de l’éducateur pourqu’Internet devienne un outil créateur de savoirs et de citoyenneté.«Aucours du XXI e siècle, toutle monde sera « native »,alors il faut passer à l’airede la « sagesse numérique», c’est-à-dire penserà la combinaison de l’humain et de lamachine, faire la bonne symbiose entre lesdeux. Il faut réfléchir aux capacités du cerveauet aux capacités des machines, laisserà ces dernières ce qu’elles font mieux quele premier et réciproquement ». MarcPrensky est d’un naturel enthousiaste. Cetaméricain, est l’auteur du concept controverséde « digital natives » désignant les personnesnées avec le numérique. Auteur denombreux ouvrages, cet ancien enseignantà Harlem (New-York) parcourt le monde,pour y donner des conférences et faire lapromo de ses livres. Une des idées qu’ildéveloppe depuis plus de dix ans et qui acertainement fait son chemin depuis, c’estque le numérique révolutionne le métierd’enseigner. La toile regorge de connaissances,d’informations, elle peut en délivrerbien plus qu’un cerveau humain ou mêmeune bibliothèque classique ne peuvent encontenir. Dès lors estime-t-il, « l’enseignantn’est plus la personne qui a toute la sagesseet qui parle. Avant c’était le conférencier,maintenant c’est le guide, c’est l’entraîneur,c’est le partenaire, c’est celui qui fait monteret remonter la pensée des jeunes, mais lesjeunes apprennent d’eux-mêmes, ils ont lesoutils ».Cette vision du rôle du numérique dans l’enseignementse heurte toutefois à des réalitésà la fois multiples, complexes et plus terreà-terreà commencer par le niveau d’équipementdes écoles. Pour l’enseignant lenumérique intervient à troisniveaux. Tout d’abord il y aune obligation d’enseignement.Tout élève doit pouvoirterminer son CM2 avec le B2i(Brevet informatique et l’internet),c’est-à-dire en maîtrisantcertains des outils dumultimédia et de l’internet. Ledeuxième niveau qui paraît paradoxalementsi simple à Marc Prensky est celui des mutationsque le numérique pourrait générerdans la posture de l’enseignant, dans sespratiques et sa pédagogie. Le troisième, etnon des moindres c’est, celui de l’éducationà l’usage du numérique. Ce dernier niveau,l’école ne peut le porter seule (il y va ausside la responsabilité des parents et desautres structures éducatives fréquentéespar les jeunes) mais elle doit y contribuer.Deux fois plus de temps devantles écrans que devant le maîtreSociologue, professeure à la Sorbonne etspécialiste auprès de l’Unesco des contenus,des comportements à risques et d’éducationaux médias, Divina Frau-Meigs est l’auteured’un kit publié en 2007 sur l’éducation auxmédias et destiné aux parents, enfants etenseignants. « Les enfants passent enFrance et en Europe 1 450 heures devant lesécrans par an, ce qui est près du double dutemps qu’ils passent devant leurs enseignantset énorme parrapport à celui passé« L’enseignant n’est plus lapersonne qui a toute lasagesse et qui parle. Avantc’était le conférencier,maintenant c’est le guide. »avec les parents. C’estleur second tempsaprès le sommeil »,assurait-elle àFenêtres sur cours fin2011. « Croire qu’il n’ya pas d’impact de


q Une école assez équipée mais en manque de ressources13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>MaternellesÉLÉMENTAIREsÉCOLES NUMÉRIQUESRURALES© Rivaud / najaSi on est encore loin d’unordinateur par élève et d’un TNIou TBI par classe, le tauxd’équipement des écoles n’est pasla première source de difficulté, lemanque de maîtrise et deressources reste important.Source ; Repères et références statistiques 201322,1 % 9,3 % 5,5 % 31,2 % 64,4 % 74,2 % 32,1 %Nombre d’écolierspar ordinateur0,6 4,4 12,5Nombre de TNI ou TBIpour 1 000 élèvescette présence d’écran sur leur vie, c’est nierl’évidence ».Et la sociologue d’en énumérer au moins un :« c’est à travers la consommation de messagesque leur renvoie l’écran, qu’ils guidentleurs valeurs, leurs goûts, leurs habitudes etcela peut effacer, voire nier les valeurs et lesgoûts transmis par les familles ou l’école ».Parmi les risques il y a la diffusion d’imagesviolentes ou pornographiques, de messagespublicitaires à outrance, de propos négationnistesou promouvant des idéologiesextrémistes, sectaires. Si la publication detels contenus n’est pas nouvelle, Internet apour caractéristique de la faciliter, de l’accélérer,de la massifier et d’enouvrir l’accès aux mineursplus qu’avant.Et c’est là que la sociologuereplace le rôle de l’éducateuret de l’enseignant, écornant aupassage le concept de « digitalnatives », « car si les jeunesmaîtrisent peut-être mieux lacouche technique de l’internetet du multimédia, au niveaudes contenus, des conditionsde service, de la vie privée, de la propriétéintellectuelle, ils ne maîtrisent rien ». Lechamp de l’éducateur, c’est d’éduquer à desformes d’autorégulation de l’usage desmédias, avec des stratégies d’éducationpour apprendre à l’enfant « à maîtriser lesdifférentes composantes d’un message, latemporalité et éventuellement d’en produirelui même ». Pour Divina Frau-Meigs tout cela« implique une inversion des priorités del’enseignant. Toutes sont déjà là, mais la premièren’est plus la transmission, elle devientsecondaire car Internet est une énormelibrairie en ligne dans laquelle il y a tout etmême plus que ce que l’on veut ». Le rôle del’enseignant : apprendre à trier l’information,Pourcentaged’écoles ayantun projet avecun volet TICEà l’évaluer, à construire des savoirs, àauthentifier les informations. Les compétencessont selon la formule de la sociologue« les 7C » : comprendre, créer, critiquer,citoyenneté, consommation et communiquer.Rien de tout cela n’est très éloigné de la missionde l’école aujourd’hui.Culture numérique et culturelittéraire ne s’opposent pas« Les enfants passent enFrance et en Europe1 450 heures devant lesécrans par an, ce qui estprès du double du tempsqu’ils passent devantleurs enseignants. »69,8 % 71 % 92,8 % 83,6 % 64,5 %Pourcentaged’écoles disposantd’une charte dubon usage del’internetPourcentage d’écolesne disposant pasd’abonnements payantà des ressourcespédagogiques en ligneLe psychiatre et psychanaliste Serge Tisseronestime-lui que pour grandir l’enfant abesoin « d’apprivoiser les écrans » (lire p28).Après avoir participé en 2012 à la rédactiondu rapport de l’Académiedes sciences L’enfantet les écrans (lirep26), il préconise uneprogression en 4 étapesde l’usage du numériquepar les enfants, àdes âges charnières deleur développement, 3,6, 9 et 12 ans. Il semontre furibond devant« Ce qui est primordialc’est que les élèvesintègrent les repères dela culture narrative. Unenfant qui n’apprend pasavec le livre n’apprendrapas plus avec l’écran. »le concept de « digital natives ». « La formulesert d’alibi pour ne rien faire et a été relayéepar tous ceux qui renoncent à l’éducationau numérique » tempête-t-il. Il s’insurgeaussi contre la notion « d’enfants mutants »parfois utilisée, car elle sous-entend « qu’ily aurait quelque chose d’une rupture, deradicalement nouveau qui ferait que nousdevrions regarder ces enfants commeétrangers à nous ». « Non, les enfants d’aujourd’huirestent proches de nous et c’estau contraire à nous de ne pas nous éloignerd’eux. Les enfants sont bien fondamentalementles mêmes, on leur donne simplementun outil de plus » assène-t-il.Du coup, Serge Tisseron replace l’éducateur,l’enseignant, au centre du jeu. « Lesrelations au savoir, aux apprentissages, àl’identité de l’élève et aux liens sociaux » setrouvent bouleversés certes, mais culturelittéraire et culture numérique ne s’opposentpas, au contraire elles s’avèrentcomplémentaires. « Il faut que les enseignantscomprennent que la bonne utilisationdu numérique n’est liée que pour unepetite partie à la connaissance des techniquesdu numérique qui s’apprennent aucours de son utilisation. Ce qui est primordialc’est que les élèves intègrent lesrepères de la culture narrative » ajoute-t-il,estimant que « la culture du livre resteessentielle car un enfant qui n’apprend pasavec le livre n’apprendra pas plus avecl’écran. » Pierre Magnettoq Cause nationale en 2014 ? La nouvelle ligne de fracture« L’écart se creuse entre ceux qui comprennent et qui exploitent pleinement le potentiel dunumérique et ceux qui n’ont pas encore " franchi le pas ", faute d’un accompagnement adapté ». 42organismes se sont associés à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) pourdemander à ce que l’éducation numérique soit une « grande cause nationale » en 2014. Si jusqu’ici lafracture numérique était d’abord définie par le taux d’équipement des familles c’est sans doutemoins le cas aujourd’hui. Et la ligne de fracture semble se déplacer vers le niveau de connaissanceet de maîtrise du multimédia que possède les individus. Pour les signataires de l’appel, il convientdésormais de « permettre à chacun d’entre nous de devenir un citoyen numérique informé etresponsable. » Leurs propositions principales consistent à « lancer un évènement d’envergurenationale sur l’éducation au numérique », à « créer une plate-forme collaborative de mutualisationdes contenus disponibles en ligne gratuitement, pour constituer un lieu où les uns et les autrespeuvent déposer leurs contenus pédagogiques librement et gratuitement accessibles à tous ». Ilssouhaite également « réaliser et diffuser des formats courts, créer des modules d’éducation aunumérique destinés aux enfants de 6-12 ans et lancer des actions de sensibilisation au numérique àdestination des entrepreneurs ». Le numérique grande cause nationale en 2014 ? Réponse dans lesprochaines semaines.25Enfantset numérique


Enfantset numériqueDossier13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 2013©RIVAUD / NAJA26« L’enfant etles écrans »Pour un usage académiquedu numériqueEn janvier dernier, l’Académie des sciences présentait son avis surl’impact du numérique sur les enfants. Le rapport propose une étude etdes recommandations parfois critiquées mais qui peuvent constituer labase d’un débat entre utilisateurs, pédagogues et scientifiques.Le 17 janvier 2013, l’Académie dessciences remettait au gouvernementson avis officiel sur « l’enfantet les écrans ». Jean FrançoisBach et Pierre Léna, membres del’Académie des sciences se sont entourésdu psychologue cognitiviste Olivier Houdéet du psychiatre et psychanalyste Serge Tisseronpour tenter une synthèse des travauxscientifiques en la matière et proposer desrègles de bon usage des écrans. Le rapportcommence par 26 recommandations dontles premières appellent à prendreconscience du phénomène, à l’accepter età s’y adapter pour rester en phase avec lajeunesse tout en prenant du recul par rapportau virtuel. Pas de diabolisation dunumérique mais la volonté d’une « éducationprogressive, adaptée à chaque âge et organiséeen lien avec les parents et les éducateurs,indispensable aux enfants pour lespréparer à bien gérer leur rapport cognitif,social et émotionnel au monde des écrans ».S’en suivent des recommandations adaptéesaux différents âges de l’enfant.À tout âge, pratique modéréeet autoréguléeAvant 2 ans, le rapport rappelle des étudesqui montrent les effets négatifs des écransnon interactifs tels que les DVD et la télévisionsur le développement des enfants. Parcontre les tablettes numériques sont considéréescomme utiles au développementsensori-moteur de l’enfant pour peu queleur utilisation ne soit pas exclusive et solitaire.Après trois ans, l’entrée dans le jeu symboliqueprotègerait davantage l’enfant desécrans car il apprend à distinguer le réel duvirtuel. Mais déjà, le rapport préconise unepratique modérée et autorégulée des écrans.Une nécessité réaffirmée pour les 6-12 ans,car la surconsommation d’écrans à cet âgeaurait des effets délétères sur le sommeil etla vision et surtout, prédéterminerait l’usageexcessif des écrans à l’adolescence. Lesauteurs font donc appel à l’école pour engagerune éducation au numérique.Après 12 ans, internet est présenté commeun outil puissant pour mettre le cerveau enmode hypothético-déductif et donc formerl’esprit et l’intelligence des jeunes. De mêmeles jeux vidéo amélioreraient les capacitésd’attention visuelle et de concentration. Lesjeux en réseau ou les réseaux sociauxauraient pour leur part des effets bénéfiquessur la socialisation des jeunes. Lesdernières recommandations rappellent lesrisques de pathologies liées aux écranssans les dramatiser car souvent liées àl’adolescence plus qu’aux écrans. Parcontre, les effets de la violence à l’écran quisont reconnus doivent être prévenus.Un avis controverséDès sa sortie, certains ont reproché au rapportson manque de scientificité. Pourtant,mi-octobre, le texte a reçu le prix Roberval,mention jeunesse qui récompense uneœuvre consacrée à l’explication de la technologie.Il reflèterait davantage l’opinion etles travaux de ses auteurs plutôt que celuides nombreuses études scientifiques quimettent en évidence un effet des écrans bienplus délétère. D’autres regrettent cet appelà la prise en charge individuelle ou familialede l’éducation au numérique qui ferait fi desréalités sociales du rapport à l’écran et exonèreraitles pouvoirs publics et l’industriede leurs responsabilités. Si Serge Tisseronreconnait que l’urgence de la sortie de l’avisa en effet favorisé la prise en compte destravaux des contributeurs, il rejette l’accusationde laxisme vis-à-vis des écrans. « Laquestion n’est pas de savoir si les écranssont beaucoup ou un peu dangereux, elleest de savoir ce qu’on fait pour qu’ils lesoient moins ». Quant au côté peu social deleur travail, la critique est jugée injuste et ily répond « Nous avons refusé de culpabiliserles parents, mais nous avons au contrairepréconisé des actions avec les écoles, lesvilles, les institutions, si ce n’est pas dusocial, qu’est-ce que c’est ? ». Alexis bisserkine


Le cerveau met lamain à la pâteAttention, arrêt sur images !13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Dans la classe des CE2-CM1 de l’école Chavanne à St-Chamond, on essaie de comprendre ce quise passe dans notre cerveau quand on regarde des écrans. Des séances tirées d’un module de« la main à la pâte » mais adaptées par l’enseignant.Sur le tableau blanc défilent alternativementles images d’unmarteau et d’une bougie. Quandils voient le marteau, les élèvesdoivent taper du poing sur latable. Ils doivent souffler quand c’est la bougiequi apparait, mais seulement si celle-ciest allumée. Fou rire général après ce premieressai chez les écoliers de Chavanne,un hameau de St Chamond (42). « C’est dela science » a dit le maitre Julien Masson.C’est nouveau et drôle pour les CE2 maisles CM1ont déjà vécu l’année dernière cespetites expériences qui permettent de comprendrecomment réagit notre cerveau faceaux écrans. Alors on se prend au jeu. Lavidéo est relancée et on recommence plusconcentrés. « Qu’est-ce qui vous pose problème?» demande le maitre. « Ca va tropvite, l’excitation nous fait rater, c’est la bougie,on souffle tout le temps dès qu’on lavoit » répondent Jeannette, Cyrille et Adrien.« Et à quelles autres situations cela vousfait-il penser ? » poursuit le maitre. Lesélèves pensent au jeu « Jacques a dit », àdes pas de danse, à la conduite automobile.« Oui vous l’avez compris, on parleaujourd’hui des automatismes, des chosesqu’on fait sans y penser. » La maitrise desautomatismes, c’est la 9e des 20 séancesdétaillées dans le module de la main à lapâte intitulé « Les écrans, le cerveau et …l’enfant ». Un module élaboré l’an dernieren relation avec l’avis de l’Académie dessciences sur l’enfant et les écrans. Julienl’utilise pour la 2 e année consécutive.Piégés par les imagesRetour à la séance avec le test de « Stroop ».Cette fois les élèves sont par groupes detrois, avec un chronomètre et une ardoise.Ils doivent mesurer le temps mis par un desleurs pour énumérer d’abord les couleursde 20 carrés disposés en deux lignes surune feuille. Il faudra dire ensuite la couleurde l’encre utilisée pour écrire les noms deces couleurs (ici la couleur de l’encre estconforme au nom de la couleur). Enfin, ilfaut indiquer la couleur de l’encre d’unetroisième série de mots mais là, sans conformité,avec par exemple le mot bleu impriméen rouge. Un diagramme tracé au tableaupar le maitre permet de reporter lesmesures des élèves et bien sûr de se rendrecompte que la troisième lecture est pluslente et génère plus d’erreurs. « On estpiégé, dit Alicianne, parce qu’on a deuxinformations en même temps ». Marie, elle,a mis la feuille à l’envers. « Je lisais moinsbien et je pouvais mieux me concentrer surla couleur de l’encre. » Mais que nousapprennent ces expériences ? Pour les CE2,le côté ludique et utilitaire du travail primedans cette première séance « ça nous aideà nous concentrer » disent-ils. Les CM1vontplus loin en liant les expériences à cellesde l’année passée. « On peut comprendreq La semaine sans écranscomment fonctionne notre cerveau, commenton peut être piégé par les images,comment on réagit face aux écrans ». C’estbien la finalité du module. A travers desséances sur la mémoire, les sensations, laperception, le sommeil, il s’agit de poser unregard scientifique élémentaire sur le cerveauet d’explorer les raisons pour lesquellesles écrans sont si fascinants etcaptivants. Pour Julien les séances aidentles élèves à se connaître en train d’apprendre.« Le module est pertinent mais trèsdense. Je ne le fais pas intégralement, etj’adapte les séances à ma classe».www.fondation-lamap.org/fr/cerveauAlexis BisserkineDans le module de la main à la pate, l’élaboration d’une « charte pour bien utiliser des écrans » sert de filrouge aux différentes séances. Si Julien Masson n’a pas retenu cette modalité c’est que la dimensiond’éducation au bon usage des écrans est très présente au niveau de l’école tout entière qui organisechaque année une « semaine sans écrans ». Cette semaine-là, l’école est ouverte jusqu’à 19h00 etpropose aux enfants des activités et des jeux avec l’aide des parents et des associations. C’est l’occasionde redécouvrir l’intérêt des jeux de société, des jeux extérieurs, des jeux avec les copains. Mais celapermet aussi de parler avec les élèves de leur mode de consommation des écrans. « On s’est aperçu quepour certains élèves, la télé était un mode d’endormissement régulier » dit Julien qui défend le cotémilitant de cet engagement d’équipe. «C’est un défi à relever, il n’y a rien à gagner» poursuit-il. «Oui maisdes fois, on est à deux doigts de craquer ! » conclut une élève.© DR27Enfantset numérique


Enfantset numériqueDossier« Faire du numérique la plus13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201328q Le plan numérique se fait attendre« Faire rentrer l’école dans l’ère du numérique », c’était un des grands objectifsaffichés dans la loi d’orientation et de programmation de l’école. En décembredernier, Vincent Peillon a annoncé une stratégie de développement pour lapériode 2013-2017 mais d’évidence, peu a été fait, mis à part la mise en ligne deSchool for kids tandis que celle de M@gistère se prépare. Il est vrai que le plann’a été ni chiffré ni financé. Il promet pourtant des services numériques pour lesélèves, les parents et les professeurs avec un catalogue de mesures : descontenus pour apprendre l’anglais en primaire, des sujets d’examens avec leurscorrections, la dématérialisation de démarches administratives, un « campusnumérique », un réseau social pour les enseignants, des espaces numériques detravail, le renforcement de la formation au C2I2E... Après avoir mis en place uncomité stratégique et un conseil du numérique éducatif, le ministre a reçu enseptembre dernier un rapport sur la structuration d’une filière dédiée aunumérique éducatif et les préconisations qui en découlent montrent à quelpoint tout ou presque reste à faire. En attendant, la France reste le 24 e paysde l’OCDE sur 27 pour l’utilisation du numérique dans l’éducation.© mira / Naja


13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>noble conquête de l’homme »Votre livre « 3, 6, 9, 12,apprivoiser les écrans etgrandir » vient de sortir.Pourquoi faudrait-ilapprivoiser les écrans pourgrandir ?Les écrans peuvent nous apporterénormément à condition desavoir les utiliser mais si nous neles apprivoisons pas, nous risquonsde nous sentir menacés etde ne pas bénéficier de tous leursbienfaits. Les troupeaux de chevauxsauvages étaient menaçantspour les premiers groupes dechasseurs cueilleurs mais, dèsque l’homme a apprivoisé le cheval,il est devenu sa plus nobleconquête. Il faut que l’informatiquedevienne au XXI e siècle laplus noble conquête de l’homme,c’est-à-dire que nos enfants enapprennent toutes les possibilités.Pour ne pas se noyer dans lesécrans, il faut avoir acquis un certainnombre de repères.Des repères sur les écrans euxmêmes,pourquoi et comment ilsnous captivent, nous font perdrela notion du temps, peuvent perturbernotre sommeil, mais aussides repères temporels qui permettrontà l’enfant de trouver sonchemin dans les écrans. C’estpour cela que j’insiste sur laculture narrative que la pratiquedu livre, de l’histoire ou du théâtre« Il faut quel’informatique devienneau XXI e siècle la plusnoble conquête del’homme. »permet d’acquérir. Elle donne lapossibilité de construire sa proprehistoire avec les écrans sansperdre de vue ce qu’on y cherche.Les troupeaux d’écrans sauvagesparcourent sans cesse notre quotidien.Il nous faut les domestiqueren les introduisant au bonmoment, en se préparant à leursdangers et en prenant dans laSerge TisseronSerge Tisseron est psychiatre et psychanalyste, docteur en psychologie,enseignant à l’université Paris-X. Il a publié de nombreux essais,notamment sur les secrets de famille, la résilience et nos relations auximages et aux nouvelles technologies numériques. Il est co-auteur durapport de l’Académie des sciences : « L’enfant et les écrans » et vient depublier « 3, 6, 9, 12, apprivoiser les écrans et grandir » chez Érès. Le livres’accompagne d’une campagne d’éducation aux écrans relayée par lesite « www.apprivoiser les écrans.com ». Il recevra le 6 novembre, unAWARD décerné par la « Family Online Safety Internet » qui récompensechaque année quelques personnalités ayant particulièrement contribuédans le monde à des actions de prévention des dangers des écrans etd’éducation familiale. www.sergetisseron.comculture du livre ce qu’on ne trouverapas dans les écrans.3, 6, 9, 12, pourquoi cetteprogression en 4 étapesdans les usages dunumérique ?Ce sont des chiffres qui parlenttout de suite aux parents et auxenfants. Trois ans, c’est l’âge possiblepour rentrer en maternelle,six ans, c’est le passage au CP,neuf ans, c’est l’âge où l’enfantsait lire et écrire enfin, douze ansc’est l’âge où l’enfant a trouvé sesrepères au collège. L’idée c’estdonc de s’appuyer sur ces repèrespour créer de nouveaux rituelsc’est-à-dire que l’enfant aitconscience de franchir une étapeimportante entre un avant où ilavait certains droits et devoirs etun après où il en a d’autres. Créerdes rituels c’est instituer desmoments où l’enfant verra sonstatut social changer. Pas de téléavant 3 ans, pas de console de jeupersonnelle avant 6 ans, Internetaprès 9 ans et les réseaux sociauxaprès 12 ans. Ce ne sont pas denouvelles interdictions mais despossibilités pour les parents d’anticiperle développement de l’enfantet de pouvoir lui dire parexemple « tu auras un téléphonemobile quand tu entreras au collège». L’éducation, ce n’est passeulement introduire les bonneschoses au bon moment c’est aussifaire que l’enfant développe unecuriosité anticipatrice de ce quiva lui arriver et qu’il soit valoriséau moment où il franchit uneétape. Nous sommes dans uneculture où les rituels ont disparu.Et si les adultes n’en proposentpas, les enfants s’en construisent.On le voit par exemple quand lesgarçons de 11-12 ans jouent à desjeux vidéo hyper violents comme« Call of duty » ou « GTA ». Ils yjouent de façon très répétitive,stéréotypée sans y comprendregrand-chose ni percevoir l’humourou les références que cesjeux contiennent parfois. Il s’agitbien d’un rituel initiatiquepuisqu’ils y jouent un an ou deuxet passent ensuite à « Minecraft »,un jeu où on assemble des cubes !Comment définir cettenouvelle culture numériqueet en quoi s’oppose-t-elle àla culture littéraire ?Le rapport de l’Académie dessciences « L’enfant et les écrans »permet de comprendre que nouspouvons rapporter nos différentesformes d’intelligence, àdeux formes principales. La premièreest celle que les neuroscientifiquesappellentl’intelligence cristallisée ouséquentielle, parce qu’elleassemble différentes unitéscomme les lettres, les mots, lesphrases et est orientée dans letemps. C’est elle qui est mise àcontribution dans les langagesparlé et écrit qui se déroulentdans la durée et racontent deshistoires. La culture du livre quiculmine avec le roman y est associéecar c’est une culture de l’histoireet de la narration. Il y atoujours un avant, un pendant etun après. L’être humain a inventél’écriture puis l’imprimerie pourprendre en relais cette intelligenceséquentielle. Mais il a aussiinventé la peinture, la photographieet maintenant les écrans caril lui fallait aussi satisfaire sa deuxièmeforme d’intelligence, l’intelligencespatialisée. Elle a toujoursexisté mais elle n’avait pas desupport jusqu’à l’invention dunumérique. Bien sûr, on la faisaitfonctionner en regardant untableau ou une photo mais, avecle numérique, les écrans sontdevenus interactifs et cette intelligencepeut être davantageencore mise à contributionnotamment dans une perspectiveéducative.On s’aperçoit par exemple que lesgens qui pratiquent beaucoupInternet sont capables de retrouverleur chemin en mémorisantnon pas des schémas narratifsmais des contigüités d’images.Ces deux formes d’intelligencesont complémentaires, la preuvec’est qu’elles cohabitaient dans laculture orale. Les conteurs traçaientdes images au sol pour alimenterleur récit, les chamanesdéroulaient des images tisséessur des tapis, les hommes préhistoriquesse servaient de leursdessins rupestres comme de« mythogrammes ». Même dansles bibles manuscrites, les enluminuresn’ont pas de fonctionnarrative et l’image et le texteracontent chacun leur propre histoire.C’est bien l’invention dulivre imprimé qui nous a faitperdre cette complémentarité carl’image en a été expulsée ou aservi d’illustration au texte.Aujourd’hui on a la possibilité deretrouver cette complémentaritéavec le numérique.Sur Internet,.../...29Enfantset numérique


apprentissagesATELIERÉducation à...Comment s’y prendre ?Éducation à la paix, éducation au développement durable, éducation à la diversité, àl’égalité... La prolifération contemporaine des « éducations à… » interroge les finalités del’école obligatoire dans ses contenus scolaires mais aussi dans la transmission des valeurspartagées, des gestes citoyens, des conduites sanitaires ou sécuritaires… Pour analyser cephénomène, Joël Lebeaume fait un détour par l’histoire pour comprendre les enjeuxpolitiques et socio-économiques liés à ces éducations dans leur diversité.© BILAL / Naja13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201336q Filles-garçons : ABCD de l’égalitéLe projet « ABCD de l’égalité » misen place à cette rentrée estambitieux. L’objectif est d’ancrerl’égalité entre les filles et lesgarçons dans les pratiques desacteurs de l’école. Une fois encore l’écoleest pointée pour faire cette éducation carla conviction est partagée que c’est dès leplus jeune âge, que s’apprend l’égalitéentre les sexes. Comme le décrit JoëlLebeaume, cette « éducation à... » vise lechangement de pratiques sociales et leurgénéralisation à la génération suivante. Ellefait le pari du changement que, progressivement,les stéréotypes s’estompent etd’autres modèles de comportement seconstruisent basée sur le respect de l’autresexe.Cette « éducation à... » n’est pas nouvelledans l’école et pourtant, menée le plus souventpar les seuls enseignants militants dela question. Le ministère tente de répondreà une des difficultés pointées par le chercheur: le problème des ressources et de laformation. Depuis cette rentrée le programme« ABCD de l’égalité » expérimentédans dix académies prévoit une formationet un ensemble de ressources pour aiderles enseignants de primaire à prendreconscience de la force des préjugés et stéréotypessexistes, y compris dans leurspropres attitudes implicites. Il s’agit desavoir repérer et analyser des situationsscolaires productrices d’inégalités entre lesfilles et les garçons et en tenir compte dansleurs pratiques pédagogiques. 275 écolesélémentaires soit 700 classes sont rentréesdans cette expérimentation qui sera déjàet trop rapidement évaluée en février.


13 e app-« Des éducations à... penser ? »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quelle définitiondonnez-vous aux« éducations à » ?JL. Les éducations à la paix, à lasanté, au développement durablesont autant d’« éducations à »que je définis par opposition aux« enseignements de ». Ce ne sontpas des matières scolaires ausens premier du terme, elles sontsouvent implicites au programmeet apparaissent au travers de circulaires.Alors que l’ « enseignementde » concerne ce que l’onsait déjà, les « éducations à » sontplus de l’ordre de la prospectionet visent le changement de pratiquessociales et leur généralisationà la génération suivante.Elles font le pari du changement.« Elles font le pari duchangement. »Joël LebeaumeJoël Lebeaume, professeur de sciences de l’éducation à l’universitéParis Descartes, est didacticien de la technologie. Ses recherchesconcernent l’évolution de l’éducation scientifique et technologique etde ses relations dans l’ensemble des matières et actions éducatives. Il arédigé l’article “Effervescence contemporaine des propositions« d’éducations à…» Regard rétrospectif pour le tournant curriculaire àvenir” dans le n°50 de la revue Spirale consacré aux “éducations à”. Il estpar ailleurs l’auteur de Comprendre comment ça marche et d’Inventionset inventeurs chez Nathan.La présence des« éducations à » dans l’écoleest-elle nouvelle ?JL. Non, ce phénomène était déjàà l’œuvre dans l’école de JulesFerry dans une forme d’enseignementmoral implicite. A côté del’enseignement agricole qui traitaitles enjeux de la production, setravaillait une éducation à la terrequi visait le maintien de la populationrurale. On peut aussi citerl’enseignement antialcoolique.Des enseignements sont devenusdes « éducations à » dans lesannées 60/70. Ce changement devocable a eu des conséquencessur leur contenu, leur modalité etleur finalité. Si l’ « enseignement »se plaçait du côté d’une forme deconditionnement, avec l’éducationil s’est alors agi de faireconstruire par les enfants lesbonnes conduites à généraliserdans une approche plus socioconstructiviste.L’actuelle proliférationde « ces éducations à... »marque une nouvelle modificationde leur approche et de leursfinalités. Aujourd’hui, elles favorisentl’analyse par les publics scolairesdes conduites sociales etleur changement.Quel est l’enjeu social deces éducations à ?JL. Trois mots anglais permettent demesurer les enjeux de ce phénomène: « empowerment », « accountability» et « commitment ». Lepremier fait appel au contrôle desoi. Un exemple : pour éduquer àla santé et lutter contre l’obésité ils’agit de réfléchir sur son alimentation,ses conséquences et depenser à une alternative. L’accountabilitya à voir avec la responsabilité.L’objectif est de développerdes citoyens responsables individuellementet collectivement.Enfin le commitment développel’idée d’un engagement dans uneaction collective. Avec le ramassagedes poubelles sur les rives dufleuve, il s’agit de participer à uneaction collective et de la promouvoir.Cela marque un changementde projet éducatif qui travailledorénavant à construire des individuscompatibles avec le XXI esiècle en développant leur penséecritique dans un souci d’attentionà soi et aux autres. Ces fins politiquesne sont pas neutres. Ellessont aussi liées à des enjeux économiquesforts. L’éducation à lasanté est un enjeu de santé publicavec les implications économiquesqui l’accompagnent.Et pour l’école, quel est l’enjeu ?JL. La prolifération dont je parle visele collège qui est organisé commeun ensemble d’ « enseignements© mira / Naja« L’école a besoinde cette utopie. »de » et pas d’ « éducation à ». Auprimaire, les professeurs sont trèsattentifs à ces questions, à la transmissionet à la consolidation de cesvaleurs. Les enjeux sont plutôt liésà l’âge des élèves. Comment développerl’esprit critique d’élèves demoins de onze ans sur des controversescomme celles liées à l’implantationd’éoliennes parexemple ? Autre question délicate,comment armer les maîtres enterme d’expérience et de contenu ?Les ressources pédagogiques nesont pas toujours à la hauteur desambitions.Le risque n’est-il pas alorsde laisser ces questions àd’autres acteurs ?JL. Le problème n’est pas tant laprésence d’autres acteurs sur cesquestions au sein de l’école maiscelle de la nature du partenariat. Ilpeut être utile voire bénéfiquequ’une personne autre que l’enseignantvienne aborder avec lesélèves des questions commel’éducation à la sexualité ou à laparité. Mais dans ce cas commentfaire en sorte que ces éducationsne soient pas juxtaposées auxenseignements scolaires ? Autreproblème, cette éducation estsouvent proposée par des enseignantsconvaincus. Il existe peud’études sur les curriculums enFrance mais un rapport de l’Inspectiongénérale a montré parexemple que l’éducation à l’environnementau collège depuis prèsde trente ans était un échec. Fautilfaire comme en Irlande où ilexiste un temps dédié isolé dureste pour traiter certaines de ceséducations ? Malgré ces difficultés,il me semble que l’école a besoinde cette utopie. Elle mérite unevision large et ambitieuse. Proposrecueillis par lydie buguet37rentis-sages


apprentissagesATELIERGéométrieAider à conceptualiserLa géométrie est un domaine disciplinaire difficile à enseigner si on n’a pas analysé avecprécision les étapes d’apprentissages des élèves et les dimensions de l’espace géométrique.Valérie Barry, forte de son travail sur les élèves à besoins spécifiques, donne des clés pourdépasser ces difficultés. Un appui théorique qu’elle décline sous forme d’activités destinéesaux élèves comme dans la classe de CP de Pascale Ferrari en Seine- et-Marne.© DR13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201338q Dans les pas de Géo-matouDans la classe de Pascale Ferrarià Bourron-Marlotte (77),les séquences de mathématiquesont parfois des airs derépétitions théâtrales. Les CPde Pascale expérimentent depuis le débutd’année la méthode qu’elle a développéeavec Valérie Barry. Dans le cadre de missionsqui correspondent toutes à une compétencemathématique précise, il endossent à tour àtour les rôles d’architecte, comptable, journaliste...aiguillés par de petits personnagesqui ont pour nom Monsieur Jevoistoutflou,Chrono-matou ou Géo-matou. La méthodeassocie chaque semaine des rituels, des activitésde recherche à partir de problèmesmathématiques et l’usage d’un fichier quipermet le réinvestissement écrit. La géométrieprend toute sa place dans la démarcheaux côtés des activités de mesure à unrythme hebdomadaire. Pour introduire lecercle, Pascale commence à présenter à sesélèves un tableau doté d’un cadre à la formecirculaire. On s’essaie ensuite au tracé àl’aide d’une attache parisienne et d’un boutde laine. Puis les enfants partent à larecherche, dans leur environnement, d’objetsfamiliers où ils identifient cette formeavant de se lancer dans la production decercles à main levée. Une démarche vécuepar tous les sens impliquant la gestuelle corporelle.Pascale constate chez ses élèves« une passion pour les séquences de mathématiqueset l’absence d’élèves en échec ».Pour elle, « la méthode développe des capacitésde réflexion au-delà des mathématiques.» Témoins, ces élèves de CP quiexpliquent des concepts à leurs camaradesplus âgés le soir pendant l’étude surveillée.


13 e app-« Des besoins topologiques, projectifset euclidiens »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quelle géométrie enseignerà l’école ?VB. La géométrie, comme touteautre discipline scolaire, nécessitepour son enseignement que leprofesseur prenne en compte lesbesoins d’apprentissage desélèves. Dans ce domaine mathématique,j’en identifierais trois. Enpremier lieu des besoins topologiques,en lien avec la dispositiondes objets de l’espace ou du plan.En effet, les formes planes et envolume que l’on peut observer àl’école n’existent pas ex-nihilo, ellessont intégrées à un contexte.Répondre à des besoins topologiquesconsiste à aider les élèves às’approprier des positions relatives:devant, derrière, à droite de,à gauche de, en contact avec, etc.Ensuite des besoins projectifs, enlien avec la notion de ligne. Celaconcerne la distinction entre ce quiest droit et courbe, fini et infini,horizontal, vertical et oblique, ainsique le fait de pouvoir anticiper ceque va donner un prolongementde droite ou de plan. Enfin desbesoins euclidiens, que l’on peutassocier aux formes(quadrilatères,solides, etc.) et auxtransformations que l’on applique àcelles-ci (rotations, agrandissements,réductions, symétriesaxiales, translations). Il est importantque les élèves construisentsimultanément un "regard photo"sur la géométrie, par une identificationrapide des formes et de leurspropriétés (angles droits, côtés delongueur égale, etc.), et un « regardcinéma », par la capacité à imaginerdes modifications opérées sur cesformes : par exemple le déplacementd’un carré, le passage dupatron d’un cube au cube en 3D etréciproquement, etc...Pourquoi cette disciplineest-elle nécessaire auxapprentissages ?VB. Parce qu’elle représente enelle-même un apprentissage.Mesurer des longueurs, évaluerValérie BarryValérie Barry est maîtresse de conférences en sciences de l’éducation etagrégée de mathématiques. Elle enseigne dans les formations pourl’adaptation scolaire et la scolarisation des élèves handicapés de l’ESPEde l’Université Paris-Est de Créteil. Elle vient de publier deux guidespédagogiques : Les rituels Mathé-matous avec Christine Bonnieu, ParisHatier 2012 et Mission Maths, Paris Hatier 2013.des distances, tracer des schémas,se repérer sur un plan oudans un espace environnant,tout cela fait partie des actesquotidiens de tout-un-chacun.Comme la géométrie traverse lavie sociale, il est importantqu’elle ait une place réelle àl’école, dès la maternelle. Quandje parle de place réelle, je veuxdire : des apprentissages explicites,identifiés dans l’emploi dutemps de la semaine, associés àun vocabulaire précis, des manipulationsdiversifiées et une programmationannuelle.Comment mettre en placeun enseignement de lagéométrie efficace ?VB. Par exemple en articulant laprise en compte des trois types debesoins pendant les séances degéométrie. Quand cette articulationfait défaut, on observe généralementchez l’élève une certainepauvreté du vocabulaire géométrique,associé à des représentationspartielles, floues ou inexactesau sujet des formes ou transformationsgéométriques et de leurspropriétés. Concrètement, il existede multiples façons d’aborder lanotion de carré pendant unemême séance : réaliser une« chasse aux carrés » dans la classe,en justifiant pourquoi ce que l’on arepéré comme étant un carré enest bien un (approche euclidienne); compléter un segment(vertical, horizontal, puis oblique)tracé au tableau de façon à obtenirun carré (approche projective) ;placer des formes différentes sur« la géométrie traversela vie sociale. »© BILAL / naja« des activités quipassent par le corps. »un quadrillage et poser des questionsdu type : « Je suis une formegéométrique placée juste à droited’un carré. Qui suis-je ? »Comment aider les élèvesles plus en difficulté ?Il s’agit de cerner des élémentsd’observation de ces élèves permettantd’élucider des difficultésde conceptualisation en géométrie,et de proposer des situationsd’apprentissage favorisant cetteconceptualisation. Il me sembleque le fait de distinguer troistypes de besoins, topologiques,projectifs et euclidiens, permetd’affiner son regard, à la fois surles difficultés rencontrées par certainsélèves et sur les apprentissagesqui sont intéressants pourtout le groupe-classe.Comment outiller lesenseignants peu à l’aisedans cette discipline ?VB. Les enseignants peuvent s’outillereux-mêmes en interrogeantsous trois angles les activitésgéométriques qu’ils préparentpour leurs élèves : peut-on, aucours d’une même activité, introduiredes questions en lien avecla position d’un objet par rapportà soi ou la position d’objets entreeux. Des questions sur le prolongementde lignes, la perspective.Des questions sur les propriétésgéométriques des formes étudiéeset le résultat de transformationsqu’on pourrait leurappliquer. Ce type de questionsrenvoie notamment à des activitésqui passent par le corps, ladésignation par le doigt, l’explorationvisuelle de l’espace environnant,le toucher par le doigt(côté), la paume (surface) ou lamain (volume).Propos recueillis par Philippe Miquel39rentis-sages


apprentissagesATELIEROrthographeChercher, expérimenterpour progresserL’année dernière, à Port Leucate, Michel Fayol parlait de l’acquisition du nombre par le jeuneenfant. Cette année ce sont les apprentissages orthographiques qu’il interroge avec la mêmerigueur scientifique et la même volonté de mettre au service des enseignants les savoirs issusde la recherche. La distinction qu’il établit ici entre les acquis implicites et l’enseignementexplicite permet de questionner les processus d’apprentissage.© NAJA13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201340q Faire l’expérience de l’expérimentationQuand Michel Fayol suit le travailde deux étudiantes enorthophonie et que celles-cicherchent des classes supportà une expérimentationen orthographe pour leurmémoire de fin d’études, oncomprend que des enseignants soient intéressés.Cela a été le cas pour sept professeuresd’école du Puy-de- Dôme qui se sontlancées il y a deux ans dans une expérimentationsur l’enseignement explicite del’orthographe lexicale. Avec l’aide de laconseillère pédagogique Pascale Jaulhac(Clermont-Ferrand, Terres- Noires), unepetite équipe se constitue et définit defaçon très précise un protocole d’apprentissagequi porte sur 33 mots choisis enfonction de leur fréquence et de leur pertinencepour les enseignants. Des séancescourtes de 20 minutes sont organisées dansles classes pendant 6 semaines. Les motssont lus, épelés, écrits, comparés, copiés,tronqués, complétés… Un apprentissageexplicite en 15 étapes et une démarcheexpérimentale rigoureuse avec groupetémoin, pré et post-tests. Au final les résultatsmontrent que l’enseignement a été efficacequant à l’orthographe des mots dictés.Une expérimentation positive mais aussiune expérience professionnelle pour lesenseignantes concernées qui, selon PascaleJaulhac, ont trouvé beaucoup d’intérêtpédagogique à débattre avec le chercheuret les étudiantes. « Celles qui ont conservéle même niveau de classe ont élaboré uneadaptation personnelle de ce travail pourl’étude de l’orthographe avec leurs élèves »précise-t-elle.


13 e app-« Un enseignement explicitedes irrégularités »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>L’orthographe françaiseest-elle plus difficile àmaitriser que les autres ?MF. Oui car elle présente trois typesde difficultés. La première c’estque notre langue repose sur unsystème alphabétique. Mais c’estune difficulté qui est commune àtous les systèmes alphabétiques.La deuxième est liée au fait quenous ne sommes pas dans un systèmeidéal avec 26 lettres et 26phonèmes. Nous avons entre 32et 36 phonèmes et, au fil de l’histoire,on a voulu garder les différentesorigines de notre langue etles traces de son évolution. L’orthographedes mots ne corresponddonc pas à leur formephonologique. Le mot « beau » a2 phonèmes mais s’écrit avec 4lettres. Donc lorsqu’on entendune forme orale, on peut rarementla transcrire directement, laphonologie ne suffit pas et il fautfaire appel à la morphologie lexicale.La troisième difficulté, elle,est spécifique au français et portesur la morphologie flexionnelle,c’est-à-dire les accords. Cettemorphologie est muette et lesjeunes français ne vont découvrirles marques de la pluralité ou dugenre -masculin/féminin- quequand ils vont apprendre à lire età écrire, au contraire des jeunesespagnols ou allemands qui lesont déjà « dans l’oreille ». Un nouvelapprentissage doit donc avoirlieu et, toute notre vie, il va falloirfaire attention à cela.Quelles formesd’enseignement mettre enœuvre ?MF. Pour le principe alphabétique,ce n’est pas trop difficile. L’apprentissagede la lecture et celui« Les accords, unedifficulté spécifiqueau français. »Michel FayolMichel Fayol est professeur émérite à l’Université Blaise Pascal de ClermontFerrand. Il est également chercheur au Laboratoire de Psychologie Socialeet Cognitive (LAPSCO) du CNRS. Ses activités de recherche portent surl’acquisition, l’apprentissage et l’utilisation des systèmes symboliquesécrits : l’écrit, la numération et le dessin. Il a publié en 2013 « L’acquisitionde l’écrit » et « L’acquisition du nombre », deux livres dans la collection« Que sais-je ? » aux Presses Universitaires de France.de l’écriture vont se faire ensemblepuisqu’ils reposent tous les deuxsur les relations phonèmes-graphèmes.Pour l’orthographe lexicale,c’est plus compliqué. On saitdepuis quelques années que lireet déchiffrer entraine l’apprentissagede la forme orthographiqued’un grand nombre de mots. Onapprend donc de façon implicitesans le vouloir. On s’auto- apprendles formes des mots même lesplus irrégulières si elles sont fréquentes.Malheureusement celane suffit pas car dans certains cas,les formes lexicales posent problèmeet souvent ce sont desmots très fréquents comme« alors, pendant, maintenant, des »qui sont irréguliers c’est-à-direnon calqués sur la forme orale. Onne peut donc pas se passer d’unenseignement lexical explicite.En quoi la recherchepeut-elle nous aider ?MF. Elle peut nous aider à trier parmiles techniques d’enseignementcelles qui sont les plus efficaces.On s’est aperçu par exemple quel’utilisation de petits trucs de soulignementpour mettre en valeurune graphie irrégulière et attirer lesl’attention des élèves n’avait pasd’effet positif sur la mémorisationde ces graphies. Les difficultés nese trouvent pas dans l’encodagemais au niveau de la mémoire quiréorganise ce qui a été vu etencodé à partir des tendances lesplus fréquentes. On ne mémorisedonc pas des mots mais des fréquencesd’apparition de certainesformes. On sait que ce qui fonctionne,ce sont des séances structurées,brèves et espacées, où lesélèves sont incités à retrouver pareux-mêmes à intervalles réguliers© mira / NAJAtout ou partie de l’orthographe desmots, l’effort de rappel étant unfacteur important de l’apprentissageet de sa consolidation.C’est la même chose pourl’orthographegrammaticale ?MF. Non, on a montré il y a quelquesannées, que les accords les plussimples étaient relativement facilesà acquérir pour peu qu’on les pratiqueassez souvent. En revanche,il y a un domaine qui commenceseulement à être exploré c’est celuide la morphologie dérivationnelle,c’est-à-dire les familles de mots,« grand » qui prend un « d » parcequ’on peut faire « grande ». Cettemorphologie est sans doute facilitatricemême si on est gêné par lesexceptions comme l’absence de« t » à la fin d’ « abri » alors qu’on ditabriter.Il vaut donc mieux enseignerd’abord les régularités ?MF. L’enfant a tendance à extraireles régularités tout seul, mais il ya de fortes différences entre lesindividus. Il faudrait donc vérifierque les élèves ont extrait les régularités,les amener à en prendreconscience de façon plus certaine,et, une fois qu’on est sûr de cetteinstallation, alors mettre en placeun enseignement explicite desirrégularités.Tout n’a donc pas déjà étéessayé ?MF. Si les problèmes étaientsimples, il y a longtemps qu’il n’yaurait plus d’erreurs orthographiques.Non, on n’a pas toutessayé parce qu’il y a des chosesqu’on ne connait pas encore. Etcelles qu’on connait ne sont pastoujours diffusées comme ellesdevraient l’être. Pourtant, larecherche apporte de nouvellesdonnées concernant les difficultéset la manière de les prévenirou de les dépasser.Propos recueillis par Alexis Bisserkine41rentis-sages


apprentissagesATELIERLangues vivantesL’apprentissage de l’altéritéDepuis 1998, l’enseignement des langues étrangères a fait son entrée à l’école primaire. Si MarieAnge Dat considère qu’il est judicieux de profiter des capacités d’apprentissage dès le plus jeuneâge, elle remet en cause l’efficacité d’un enseignement bâti sur des considérations politiques ettrop souvent déconnecté des objectifs à poursuivre dans le domaine des langues. Car le contextepsycho-affectif et l’implication des enseignants sont essentiels comme le montre l’exemple del’enseignement du français aux primo-arrivants dans la région nantaise.© DR13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201342q Enfants allophones : un soutien indispensableDans l’académie de Nantes, undispositif destiné à faciliterl’intégration des enfantsprimo-arrivants est en placedepuis mars 2002. BéatriceGarcia, enseignante en classe d’initiationpour non-francophones depuis 15 ans enest un des rouages essentiels. Changementde cap à cette rentrée 2013 avec la créationde l’unité pédagogique pour élèves allophones(UPEAA ) qui intervient sur les établissementsscolaires du premier et seconddegré. Plus de classes fermées mais la miseen place d’une intervention complémentaireà la scolarisation en classe ordinaireavec l’objectif d’accélérer l’intégration detous les enfants primo-arrivants quelle quesoit leur situation personnelle, sociale etfamiliale. Béatrice accueille donc individuellementou par petits groupes les élèvesdans un va et vient continuel avec leurclasse ordinaire référente. « J’utilise laméthode FLE (francais langue étrangère)enproposant des ateliers de langage, d’écriture,de théâtre, je varie les supports et travaillebeaucoup avec le jeu », précise-t-elle.Le nombre et la provenance des élèves deBéatrice sont étroitement dépendants desconflits politiques et des problèmes économiquesmondiaux « Il est important de lesconvaincre que le pluri-linguisme est unechance et faire en sorte que l’apprentissagedu français ne soit pas une souffrance » souligneBéatrice. «C’est la deuxième année quiest très difficile quand le dispositif de soutienn’est plus là, si les enfants passent cecap, il réussissent le plus souvent la suitede leur parcours scolaire », ajoute-t-elle,« privés de ce soutien, le risque pour lesenfants allophones est de développer uneinter-langue utilitariste qui compromet leuraptitude ultérieure à entrer dans l’écrit. »


13 e app-« Le plaisir doit rester central »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Depuis 1998, on enseigne leslangues à l’école primaire.Est-ce une bonne chose ?MA. D. La science a montré l’efficacitépour le développement descompétences phonétiques desenfants de commencer les languestôt. Le démarrage de l’apprentissaged’une langueétrangère dès l’école maternellerépond à deux objectifs majeurs.Le premier est l’ouverture auxautres avec la découverte et l’acceptationd’autrui et des ses différences.Une découverte qui seconstruit d’autant mieux qu’elleest proposée tôt aux élèves. Cettedémarche intégrant la dimensionculturelle de la langue ne doit passe limiter à une seule langue.L’école maternelle pourrait être lelieu d’un éveil aux langues etcultures en profitant du fait queles professeurs des écoles n’ontpas la contrainte des textes officielscomme à l’école élémentaire.Le deuxième objectif est de travaillerl’oral et l’écoute. Cela se faitd’autant plus facilement que lesenseignants sont compétentsdans la langue qu’ils enseignent,ce qui est contradictoire avecl’obligation d’une langue donnée.Avant 1998, le libre choix de lalangue par les enseignants généraitun enthousiasme et un plaisirpartagé qui rejaillissaient sur lapédagogie et les élèves et avaitété souligné dans des rapportsofficiels.marie-ange datMarie-Ange Dat est maîtresse de conférences en sciences du langage àl’Université de Nantes, chercheuse au laboratoire linguistique de Nantes,spécialisée dans l’apprentissage des langues par les enfants et lesdébutants. Elle travaille actuellement sur l’influence des émotions surl’acquisition et la perte des langues. Elle vient de collaborer à l’ouvrage : « Lefrançais comme langue de scolarisation » Chasseneuil du Poitou CNDP 2012.Faut-il viser descompétences précises pourles élèves ?MA. D. C’est une question qui a ététranchée dans les textes officielsdès 1991. Je ne contesterai pas lechoix politique, mais j’y mettraisdeux conditions. Comme cetapprentissage commence tôt, dèsle CE1, il faudrait qu’il soit accompagnépar un éveil aux langues etcultures pour permettre la découvertede l’altérité. La deuxièmecondition, c’est que les enseignantschargés de cet enseignementsoient à la fois volontaires etcompétents en pédagogie etdidactique. Sinon, on se retrouveau mieux dans une approche scolairede la langue qui a déjàdémontré ses limites avec l’enseignementtraditionnel pratiqué aucollège à une certaine époque. Onlaisse alors de côté le plaisir d’apprendreune langue. Il serait dommagede passer à côté dupotentiel d’acquisition des enfantspour un apprentissage structurémais il ne faut pas oublier l’aspectdécouverte et plaisir qui doit restercentral.Comment échapper à laprédominance de l’anglais ?MA. D. La contrainte forte autourd’une langue étrangère unique quiest le plus souvent l’anglais n’estpas mentionnée dans les textesofficiels. Pourtant, ils sont souventinterprétés dans ce sens aussi bienpar la hiérarchie que par beaucoupde professeurs d’école. Lesenseignants qui sortent de formationsont encore loin d’avoir lescompétences et l’appétencenécessaires pour enseigner l’anglais.Au vu des pratiquesactuelles, je me demande s’il n’auraitpas été plus bénéfique de faireappel aux ressources linguistiquesd’une seule école ou d’un bassind’écoles. Il me semble qu’en partantdu volontariat et des ressourcesdes enseignants, on auraitatteint a minima les mêmes résultatsaujourd’hui. Si en surface, leschoses semblent réglées, onconstate que les choix politiqueset organisationnels qui sont faitsne permettent pas d’atteindre lesobjectifs visés. Un parcours multilingueà l’école primaire serait unesolution réaliste et sans douteaussi, voire plus, efficace.© mira / NAJA« Il n’est pas logique queles allophones aientautant de difficultésscolaires. »Que pensez-vous del’enseignement bi-langues enimmersion ?MA. D. Les expériences sont rares hormisen matière de langues régionalesmais elles mériteraient d’êtreétendues. Le bilinguisme favorisechez les enfants le développementdes possibilités cognitives en langues,y compris la langue maternelle,et pour l’ensemble desapprentissages. Développer ce systèmeserait une bonne chose pourdeux raisons : il serait profitablepour tous les enfants, quelle quesoit la langue et il permettrait enfinde véritablement apprendre leslangues étrangères.Pour les primo-arrivants, lebilinguisme se révèle parfoisun handicap...MA. D. Le premier levier est d’amenerles élèves à mieux considérerleur langue et culture d’origine. Etpour cela, il faut que leur enseignantle fasse aussi. Chacun a enlui un dispositif inné d’acquisitiondes langues. Il n’est pas logiqueque les allophones aient autant dedifficultés scolaires. Les raisonspeuvent être complexes mais biensouvent ces élèves sont en échecparce qu’insuffisamment accueilliset pris en compte comme despersonnes porteuses d’unelangue et culture importantes. Cen’est pas un problème scolairemais plutôt sociétal : les primoarrivantsqui arrivent des États-Unis connaissent rarement deproblèmes. Le travail essentielpour l’enseignant est d’ordre psycho-affectif: accepter et faireaccepter les enfants avec leur différenceet avec leur langue. Proposrecueillis par Philippe Miquel43rentis-sages


artsàl’écoleDossierArt et enfanceLa lecture en partagepour donner sens au monde13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201344Les Arts offrent des possibilités infinies d’éducation, d’apprentissagesouverts sur des questions aussi importantes et difficiles que laliberté, de contestation de langue par la poésie, de productionpersonnelle avec la littérature de jeunesse…définit la culture comme« l’ensemble des traits distinctifs quicaractérisent une société ». Entenduecomme un ensemble de productionssymboliques (arts, lois, L’Unescolangage, technique, morale, croyances…)permettant de donner un sens au monde, laculture est bien ce qui nous distingue de lanature et ce qui fonde notre humanité. Quoide plus logique dès lors qu’une sociétévisant l’épanouissement des générationsfutures développe la culture pour permettreaux enfants de s’abstraire des contingenceset de l’arbitraire en leur donnant les clés delecture d’un monde qu’ils devront façonnerpour se l’approprier. Que nous dit JeanPierre Siméon (lire pages 46-47), directeurartistique du Printemps des poètes, quandil explique que la poésie « permet une priseen compte du réel dans sa complexité etdans tous ses états » ? Que la poésie, et l’arten général, a toute sa place dans une école« dont l’enjeu fondamental n’est pas qued’instruire mais aussi d’éduquer. »La poésie vecteur de libertéLa poésie comme vecteur de liberté dans lejeu de désobéissance avec la norme linguistique,explique Jean Pierre Siméon, permettranotamment à l’enfant de« développer son langage singulieret son autonomie dansla langue ». Ainsi, le Printempsdes poètes offre la possibilitéaux écoles d’investir le champ« La culture est bience qui fonde notrehumanité. »poétique en s’engageant dans le label« école et poésie » tout en bénéficiant de ressourcespédagogiques. L’occasion aussipour les enseignants de rencontrer despoètes et de bénéficier de moments de formation.La pratique de la poésie à l’école(lire, écrire, dire des poèmes) doit ainsi permettred’« aller sur des chemins nouveauxet découvrir une lecture inattendue et polysémiquedu réel » souligne Jean PierreSiméon. L’œuvre de Rascal offre précisémentune lecture inattendue du réel. YvanneChenouf de l’association française de la lecture(AFL), revient sur les enjeux de la littératurede jeunesse en passant au crible lesalbums de Rascal (lire page 54). Parce queleur lecture « entraîne une implication critique» des enfants, parce que Rascal « n’occulteaucun problème », son œuvre lepositionne comme écrivain. Yvanne Chenoufmilite ainsi pour que l’entréedans la littérature sefasse collectivement,parce que « l’être humainse construit par ses relationssocialisées ». Grâce


Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>« La poésie, pour étreindre le réel … »La poésie a-t-elle sa justeplace à l’école aujourd’hui ?Jp S. Non, elle n’y a pas une placesuffisante. Elle devrait être aucœur de l’école parce que, à monsens, elle concentre les enjeux detous les arts et de tous les gestesartistiques. Elle permet une priseen compte du réel dans sa complexitéet dans tous ses états quece soit la réalité concrète et immédiate,mais aussi la réalité pensée,rêvée, ou vécue dans la sensation.Or la poésie comme les enseignementsartistiques, c’est toujours unsupplément d’âme, ce que l’on faitaprès les choses sérieuses. Je neveux pas qu’on considère cesenseignements comme supérieursaux autres mais au moins à parité.Il faut apprendre à l’enfant dematernelle à lacer ses chaussures,mais aussi à se mouvoir dans sessonges.Vous placez la poésiedélibérément dans ledomaine artistique et paslittéraire …Jp S. Les poèmes écrits forment évidemmentune part du corpus littéraire,mais la poésie est d’abordpour moi le geste artistique premier.Je cite souvent cette formuledu poète Georges Perros « Le plusbeau poème du monde ne serajamais qu’un pâle reflet de cequ’est la poésie : une manièred’être, d’habiter, et de s’habiter. »Le poème n’est que la concrétisationimmédiate dans la langued’un état humain plus profond etfondateur qui permet l’étreinte duréel. La poésie a donc toute laplace à l’école si on admet que sonenjeu fondamental n’est pas qued’instruire mais aussi d’éduquer.La transmission de savoir, oui mais« Apprendre à lacer seschaussures mais aussi à semouvoir dans ses songes. »Jean-Pierre SiméonPoète, romancier, dramaturge, critique, Jean-Pierre Siméon est aussienseignant. Professeur agrégé de lettres modernes, il a longtempsenseigné à l’IUFM de Clermont-Ferrand. Depuis 2001, il est directeurartistique du Printemps des poètes. Il travaille également au ThéâtreNational Populaire de Villeurbanne, aux côtés de Christian Schiaretti. Il apublié « Vitamine P » en 2012 chez « Rue du Monde », Il prépare « Lapoésie au quotidien » pour la célèbre collection du Scéren/Cndp. Leprintemps des poètes aura lieu cette année du 8 au 23 mars 2014 et aurapour thème « Au cœur des arts ».à part égale avec la formationd’une conscience. C’est à direrendre celle-ci agile, souple, habile,curieuse, ouverte, toujours prête àl’inconnu et au questionnement.Cela ne place t-il pas labarre un peu haute pour lesenseignants ?Jp S. L’enjeu est ambitieux mais ilpeut se vivre de façon très simpledans la fréquentation si possiblequotidienne du poème, dans lesessais d’écriture poétique, dans ladiction du poème. Il y a des scénariospédagogiques concrets quipermettent d’assumer cet enjeu. Ilfaut donner aux enseignants letemps et les moyens pour leprendre en charge. Ils doiventcomprendre ce qui se joue dansl’art et qu’il est légitime de se préoccuperde cette éducation de laconscience. Car à travers la poésie,on fait entendre des languesdiverses, pas des langues étrangères,mais de multiples états dela langue commune. L’oreilleprend conscience de l’extraordinairepotentialité de la langue. Onapprend la liberté parce qu’onentend d’autres langues que cellesde la norme et de la conformité.Les enfants vont le comprendreintuitivement parce qu’ils vontl’entendre et l’éprouver. Ils vontmâcher ces mots, cette langue,cette syntaxe atypiques.Mais l’enseignant n’est-ilpas le gardien de la norme ?Jp S. Bien sûr c’est sa mission d’enseignerles normes lexicales,orthographiques et syntaxiques.Mais si on ne fait que ça, on nedotera les gens que d’une seule© mira / NAJAlangue, la même pour tous. Commentrendre compte de la multiplicitédu monde avec une languemédiane et de convention ? Elleest indispensable mais elle écrasele réel. Tout ce qui est en infraction,qui déborde consciemmentla norme pour dire du réel ce quela langue officielle ne peut pasdire, il n’y a que la littérature quil’assume et c’est l’enjeu premierde la poésie. Si les enfantsentendent de la poésie de laPetite section au CM2, ils aurontun rapport à la langue complètementlibéré. Ils pourront s’affranchirde la norme en s’amusantavec insolence de la langue à lasuite de Tardieu ou de Hugo. Maissurtout, au delà de la provocation,on donnera la possibilité à chacund’inventer sa propre langue, dedévelopper son langage singulieret son autonomie dans la langue.Quels sont les leviers pourchanger ce rapport à lapoésie ?Jp S. C’est bien sûr la formation desenseignants qui doit permettre untravail intime et personnel de restaurationdu lien avec la poésie etl’art. Car l’éducation desconsciences ne se fait pas avecdes leçons de morale, cela ne s’enseignepas comme un savoir, ça seconstruit. La poésie incite à l’actionet passe par l’agir. Il faut liredes poèmes, dire des poèmes,écrire des poèmes, faire l’expériencedu poème, faire l’essai d’unregard autre. Pour cela il faut solliciterle répertoire le plus vastepour échapper aux représentationscloses et sortir de notre petitrépertoire classique et sacralisépour aller vers le trésor poétiqueuniversel. Il faut aussi s’écarter desfaux poèmes qui donnent unefausse idée de la poésie car ils nesupposent pas d’efforts deconscience. Il faut des efforts pouraller sur des chemins nouveaux etdécouvrir une lecture du réel inattendue.Proposrecueillis par Alexis Bisserkine13 e 47artsàl’école


artsàl’écoleDossierLa littératurePour faire grandirLes enfants ont-ils besoin des livres pour grandir ? Oui, mais pas de n’importe lesquels !Quand les albums n’infantilisent pas les petits lecteurs mais respectent leur rapport aumonde, la lecture contribue à leur développement. Joëlle Turin explore une centaine d’albumsà travers cinq domaines évocateurs de la vie de l’enfant, ses jeux, ses peurs, ses questions,ses relations avec les autres et ses sentiments.© Carine Turin et Marc Deroin13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201348q « Mon chat personnel et privé »Parmi la centaine d’ouvrages citésdans son livre, Joëlle Turin en présenteun : Mon chat personnel etprivé spécialement réservé àmon usage particulier par SandolStoddard, ill. Rémy Charlip, Ed. MeMo.La longueur du titre et sa formulation provoquentd’emblée surprise et étonnement.C’est une fable sur la relation qui unit unjeune garçon et son chat. La simplicité dugraphisme et la justesse de la mise en pageservent un texte où la musique de la langueavec ses sonorités, répétitions, allitérationset rythme soutenu rappellent au jeune lecteurles délices des premières caresses verbalesde la voix maternelle.Le texte, répétitif, allant de la joute verbaleentre les protagonistes au dialogue apaisé,parfois abondant et soutenu par des capitalesnoires rigoureuses laisse toutefois l’imageexprimer la relation de l’enfant et du chat. Ledispositif en quatre couleurs, jaune pour lapage, noir pour le garçon, rouge pour le chatet blanc pour les éléments du décor et la compositiondes pages soutiennent visuellementle rapport du lecteur à l’histoire et délivrentle message, la liberté individuelle et le respectde l’autre dans toute relation. Ainsi le jeunelecteur voit se succéder des phases où c’estl’abus de pouvoir qui l’emporte, d’autres oùl’éloge de la fuite prend le dessus pour finirpar une situation de bonheur et d’équilibre.Il fallait le talent de deux grands artistes, l’illustrateurRémy Charlip, par ailleurs danseuret chorégraphe, et l’auteur Sandol Stoddard,pour savoir dire l’essentiel en peu de mots,pour parvenir à transmettre un message demanière aussi simple et efficace. Les jeuneslecteurs y trouveront matière à s’amuser, às’y retrouver, à en tirer peut-être un art devivre avec les autres tant l’adhésion à l’histoireva de soi.


13 e arts« Un patrimoine littérairepour les enfants !»Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourquoi avez-vous décidéd’écrire ce livre ?JT. Si l’importance des histoiresdans la vie de l’enfant sembleaujourd’hui admise, les pratiquesd’appropriation des livres par l’enfantvarient. Elles diffèrent auniveau des objectifs poursuivis,des modalités qui permettent uncontact précoce et des choix delivres proposés. J’avais à cœur desolliciter une réflexion sur cesmédiations en m’appuyant sur uneexpérience professionnelle baséeà la fois sur des observations dejeunes enfants en situation de lectureet sur une fréquentation assidueet une approche comparativedes ouvrages « dits » destinés à lapetite enfance, de zéro à six ans. Ils’agissait pour moi de transmettreà tous ceux qui partagent le plaisirde lire des histoires avec les jeunesenfants des manières particulièresqui ont fait leurs preuves et demontrer en quoi elles participentau développement psychique del’enfant, à la construction de sapersonnalité en tant que petitsujet libre et autonome, à uneapproche ludique et culturelle desgrands artistes qui écrivent pourles petits.Selon vous, qu’est-ce quifait grandir les enfants ?JT. Tous les enfants du monde, hormisun seul - Peter Pan, esprit del’enfance incarné - grandissent,veulent et peuvent grandir, dansla réalité et dans la fiction. Touteleur vie se tend de ce désir impérieux.Grandir, c’est acquérir uneautonomie, exercer sa liberté,affirmer sa capacité à penser, agiret désirer, autant qu’à prendre encompte la pensée des autres, sortirde son point de vue et sedécentrer. Les histoires supposentà la fois la capacité d’unifier unemultiplicité de faits dans unetrame, de s’intéresser à des expériencesindividuelles s’éloignantplus ou moins d’une réalité empirique,de suivre la trajectoire desJoëlle TurinJoëlle Turin est critique et formatrice en littérature de jeunesse et plusparticulièrement dans le domaine de l’album, en lien avec ledéveloppement psychique du jeune enfant. Directrice de l’Institutinternational Charles-Perrault, professeur en sciences de l’éducation,elle participe à de nombreux colloques, assure des conférences,collabore à des revues sur la littérature de jeunesse, assure et organisedes sessions de formation. Dernier ouvrage : Ces livres qui font grandirles enfants Ed. Didier jeunesse.personnages, de s’imaginer àleurs côtés, de partager leurspoints de vue, de participer audéroulement de leurs actions, deleur emboîter le pas, de fairesiennes leurs pensées, leurs questions,leur destin et d’éprouverdes émotions. « Enfants, nous passonsnotre temps à apprendre surle monde et à imaginer d’autresunivers » dit Alison Gopnik : lemonde de la fiction participe à cetapprentissage et à cette ouverturedes horizons.Qu’est-ce qui vous a guidéedans le choix des livres ?JT. Si tous les enfants aiment leshistoires, toutes les histoires nes’intéressent pas aux enfants dela même façon et toutes n’invitentpas à une communion avecles textes et les images. Les choixd’albums ont été décidés à lasuite d’observations d’enfants ensituation de lecture, de leurspropres choix au milieu de livresproposés, des caractéristiques del’enfance et surtout de leurdimension esthétique, de leursqualités de raconter, de prendrel’enfant en compte, lui et sesgoûts, ses questions, ses centresd’intérêt, ses manières d’être etde vivre. Il s’agissait d’offrir unediversité d’approches, de styles,de thématiques avec l’idée que lejeune lecteur finirait par trouverle livre qui lui convient et qu’ill’interpréterait en fonction de sespréoccupations, de son vécu, de« Grandir... pour sortirde son point de vue et sedécentrer. »© mira / NAJA« Le livre un traitd’union entre l’enfantet l’adulte. »sa culture. « Ecouter la littérature» dit Thomas Pavel, c’est selaisser aller pour qu’une certaineconfiance, une certaine détente,une espèce de familiarité s’établisseentre le lecteur et l’œuvre.Il convenait alors d’éviter deslivres trop explicatifs, à viséestrictement éducative pour privilégierdes ouvrages ouverts,ludiques, pratiquant les ellipses,les non-dits, provoquant des perplexités,voire une intranquillité,non dans sa dimension d’angoissemais celle d’attention auxautres, aux petits et grands événements,tout en aiguisantconstamment la curiosité.Dans les nouveauxprogrammes pour l’école,quelle place pour lalittérature de jeunesse ?JT. S’il y a place pour la littératurede jeunesse dans les nouveauxprogrammes, elle pourrait sesituer dans l’idée de permettreaux enfants de gagner en familiaritéavec les univers fictionnelset de les aider à construire unpatrimoine commun en leur faisantéprouver le côté aventureuxde la lecture et l’intimité des rapportsentre le lecteur et lesœuvres. Les lectures à haute voixdans des dispositifs permettantà chaque enfant de se sentir individuellementconcerné en toutpetits groupes, position de côteà côte, libre choix des enfants,liberté de participer ou non à lalecture, attention bienveillanteportée à chacun, commentairesvalorisants, peuvent grandementfaciliter cet objectif. La lecturedevient un objet de partage et lelivre un trait d’union entre l’enfantet l’adulte, entre l’auteur et sonlecteur. Propos recueillis par Ginette Bret49àl’école


artsàl’écoleDossierÀ l’écolede la BDLes élèves planchentsur les bullesL’école élémentaire Claude Roy de St-Yrieix en Charente regroupe 10 classes. L’an dernier,l’équipe pédagogique a souhaité fédérer les élèves autour d’un projet commun sur labande dessinée. A l’aide de la CIBDI, trois classes entament ainsi leur voyage au cœur dela BD, un écrit apprécié des enfants mais souvent peu exploité. Et pour cause, c’est untravail de longue haleine qui repose sur la transdisciplinarité et fait appel à descompétences peu exploitées à l’école.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201350un projet qui a impliqué85 élèves issus detrois classes de cycles 3dans différentsC’estdomaines d’apprentissage(expression écrite, arts visuels, Tice…)tout en faisant appel à de nombreusescompétences (travail en équipe, créativité…).L’équipe pédagogique a saisi l’opportunitéde la proximité de la Citéinternationale de la bande dessinée et del’image (CIBDI), située à Angoulême, pourse lancer dans un projet annuel et créerune bande dessinée. « Bien que très coûteuxen temps, ce projet interdisciplinairea généré une forte motivation chez lesélèves qui se sont attachés aux personnages,se sont impliqués, ont pris des initiativeset ont partagé une expérienceinédite » souligne Catherine Moret, enseignanteen CM2. Après avoir élaboré lesdifférents personnages, les élèves selancent dans l’élaboration de croquis. Collectivement,ils sélectionnent les meilleurspuis trouvent des caractéristiques et desaccessoires pour donner vie à leurs personnages: Claude le héros (en hommage àl’écrivain Claude Roy qui a donné son nomà l’école), est flanqué d’un ange gardien(Fantôroy) qui l’accompagne et l’aide dansses choix. Le « méchant », a aussi sonadjuvent, Fantôdiable. « Des personnagesdoubles qui permettent de créer des interactionset ainsi de favoriser l’émergencedu ressort comique » expliquent les enseignantsde la classe de CE2-CM1, Karl Toutaudet Aurélie Bossant. Et puis viennentles personnages secondaires : Tressounette,la camarade de classe de Claude,© DR


Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>1 25 étapeSscénariodécoupageencragecouleur traditionnellecouleur numérique(voir page suivante)123453 4Fango, l’animal de compagnie, Supercat lesuper-héros, et bien-sûr Mme Petsec l’institutrice…« Dans la création des personnagescomme dans l’élaboration desscenarii, il a fallu éviter l’écueil du plagiat »modère toutefois Catherine.Un gag par plancheCe travail de construction des scenarii etdes dialogues a constitué une part importantedu travail expliquent les enseignants,d’autant qu’il s’agit d’une bande dessinéehumoristique fonctionnant sur le principed’un gag par planche. « Il fallait prendrecette dimension en compte : trouver un élémentqui fasse rire le lecteur et l’intégrercomme chute dans le scénario » préciseCaroline Duchez, maîtresse de CM1. Larelecture des planches a constitué uneétape importe pour juger de la cohérencede l’histoire, de la compréhension du gaget de la mise en correspondance texte/images. « Cette étape permet aussi d’étudierce que peut être une ellipse et de former àmieux des esprits à construire une penséelogique » développe Catherine. En binôme,les élèves s’appliquaient, une fois le scénariorédigé, à le découpervignette par vignette pourqu’il tienne sur une seuleplanche. Ce travail spécifiquea pu être mené à bien grâceà l’intervention d’Elisa Laget,médiatrice culturelle de laCIBDI en charge de l’accompagnementdes projets avecles écoles : vocabulaire spécifique(onomatopées, bulles,planches, vignettes…) et techniques del’image (gros plans, vue d’ensemble,décors…). Pour faire entrer les élèves dansl’univers de la création de BD mais aussileur apporter des éléments techniques« il a permis deraccrocher auxapprentissagesdes élèves quiétaient endécalage. »propres au 9 e art. Car ensuite Elisa Laget estintervenue sur la partie « colorisation ».Dans un premier temps, les élèves ont utiliséla technique de l’aquarelle mais sontensuite passés à la colorisation numérique,« ce qui a permis une appropriation desoutils numériques et a offert unrendu plus professionnel »indique Catherine Morel. Et l’andernier, deux planches ont étéprimées par un concours de BD.Malgré les coûts importantsd’impression d’une BD, tout cetravail a finalement été impriméet publié sous la forme d’unerevue A4 brochée. « C’est unprojet de longue haleine, maisil a permis de raccrocher aux apprentissagesdes élèves qui étaient en décalage etqui ont su s’investir, voire vraiment sedémarquer avec un réel don artistique »conclut Karl Toutaud. Vincent martinez13 e 51artsàl’école


artsàl’écoleDossierQuelles sont les racines dumanga dans la culturenippone ?JPM. Manga peut se traduire par« dessin caricatural ». Dès le 19 esiècle, le peintre Hosukaï,célèbre dans le monde entierpour ses peintures du mont Fuji,a réalisé de rapides dessins narratifsqu’il a appelés manga. Lescaricatures politiques publiéesdans les journaux vont ensuites’appeler des mangas. Et justeavant la 1 re guerre mondiale, cesont les « BDprimitives » destinéesaux jeunes qui vontprendre ce nom.La tradition franco-belgede BD de jeunesse est trèsaxée sur l’humour.Retrouve-t-on cephénomène dans lesmangas ?JPM. La dimension humoristiqueest concomitante de la productionde la BD jeune public. Dansle monde entier on observe lemême phénomène : l’essor au20 e siècle d’une BD jeune publicavec une dimension humoristiqueet « éducative ». En France,13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 20135« l’essor au 20 e siècled’une BD jeune publicavec une dimension humoristiqueet éducative. »un personnage comme Bécassineest à la fois amusant et ilvise à enseigner des conduitesaux jeunes filles… Au Japon, dèsles années 20, les « yonkoma »sont des histoires très courtes,en 4 cases, proches du strip,comportant une chute humoristique.52Leur développement est liéà un contexte particulier…JPM. C’est après la 2 nde guerremondiale que le manga va véri-


13 e arts« Manga, vous avez dit manga ? »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Jean-Philippe MARTINJean-Philippe Martin est directeur de l’action culturelle de la Citéinternationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême. Diplômédes études approfondies en communication art et spectacle, critique debande dessinée, il a collaboré à de nombreuses revues spécialisées etcontribué à la rédaction de plusieurs ouvrages. Ce passionné de BDrevient sur le phénomène manga qui a inondé le marché français cesdernières années, notamment en raison du développement de la culture« pop asiat ». Véritable socle culturel nippon, le manga a désormaisacquis en France une place à part entière dans le 9 e art.tablement se développer soussa forme actuelle. Après-guerre,le Japon, traumatisé, est placésous la tutelle des USA. La« culture du vainqueur » va s’imposeret alimenter l’imaginairedes auteurs. Osamu Tezuka, lepère du manga moderne, commenceà publier en 1946 desrécits longs inspirés de la littératureeuropéenne et empruntsd’une esthétique à la Disney,avec des dessins plus « ronds »et dynamiques. Son premierouvrage, « l’île au trésor »,obtient un succès populaire quasi« le passage de l’un àl’autre se faitnaturellement »immédiat.© mira / NAJAOn associe souvent lemanga aux dessins animés.Pourquoi ?JPM. A la fin de la guerre le Japonn’a pas de budget militaire ettous ses efforts de reconstructionvont se tourner vers l’électronique,l’informatique, larobotique, les télécommunications,la télévision. Comme auxUSA, la télévision va arriver massivementdans les foyers nipponsau milieu des années 50. C’est ledébut de l’âge d’or du cinémad’animation pour la télévisiondont Osamu Tezuka va être l’undes principaux contributeursavec notamment le célèbre« Astroboy ». A cette époque, lemanga et les séries pour la télévisionconnaissent un essor comparableet le passage de l’un àl’autre se fait naturellement. Etles producteurs peuvent être desfabricants de jouets comme Bandaïqui a produit le célèbre Goldorak.Cette culture« transmédia », vraiment propreau Japon, perdure encore et s’estélargie avec le temps, aux jeuxvidéo notamment.« La France est ledeuxième consommateurde manga. »Les jeunes lecteurs de BDont désormais une vraieculture manga : c’estnouveau ?JPM. La France est le deuxièmeconsommateur de manga aumonde, derrière le Japon. Il représente40% du chiffre d’affaire dela BD française. D’abord diffusésde manière « confidentielle » dansles années 1970, le manga et l’esthétiquejaponisante connaissentun succès énorme avec lesannées « Club Dorothée » et l’introductionmassive des dessinsanimés japonais comme « Akira »ou « Dragonball » qui serontensuite publiés. Cette période vaforger la culture « pop asiat » detoute une génération. Ce phénomèneculturel ne va cesser des’amplifier, notamment parceque les ados détiennent quelquechose qui échappe aux adultes.On a parfois lareprésentation de scenariiet illustrations violents.C’est exagéré ?JPM. Avec la massification dumanga, les adultes ont très viteexprimé leur suspicion : BD violentes,mal écrites… La forme del’expression, des traits de mouvement,le dynamisme du mangapeuvent laisser un sentiment deviolence pour un lecteur non« les ados détiennentquelque chose quiéchappe aux adultes. »averti. C’est essentiellement l’effetde nouveauté qui fait peur. Lacommission issue de la loi de1949 sur les publications de jeunessen’a d’ailleurs interdit quequelques mangas qui étaient enréalité destinés à des adultes…Y-a-t-il une désaffectionpour la BD classique ?Il y a plutôt une approche segmentéecar les lecteurs demanga ont souvent un intérêtexclusif pour cette culture. Unerécente étude du lectorat de labande dessinée montre que lesprincipales tranches de lecteursde BD sont les 11-14 ans, suivisdes 7-10 ans. L’étude montre quela lecture constitue une vraiepratique culturelle chez lesjeunes et que le manga y tientune place importante. Les 7-10ans regardent à la TV des séries« les principalestranches de lecteurs deBD sont les 11-14 ans,suivis des 7-10 ans. »comme « Naruto », « One piece »ou « Fairy tale », puis les achètentensuite en support papier…Le manga, c’est que pourles jeunes ?Ce qui caractérise le manga c’estla segmentation de son lectorat.Il existe des mangas pour lesjeunes filles, les jeunes garçons,les femmes au foyer, les trentenaires,les séniors les ados, leshomos… Il existe même desmangas pornos, politiques ouculinaires !Propos recueillis par Vincent Martinez53àl’école


artsàl’écoleDossierLittératurede jeunesseÉtude d’un auteurYavanne Chenouf a étudié l’œuvre de l’auteur et illustrateur Rascal qui parle moins du mondeque des manières de parler du monde. D’emblée le lecteur est mis en demeure d’interpréter,d’échanger, de penser, d’engager son expérience de la langue et des images pour faireadvenir un sens en gestation. La lecture littéraire à l’école apparaît alors comme une pratiqueconceptuelle et collective nourrie de sensibilité particulière.© NAJA13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201354q La littérature au cœur de l’école de MiradouxDans la petite école primaire de4 classes de Miradoux (Gers),la littérature a sa place aucœur des apprentissages.Chaque période de troissemaines, tous les élèves de l’école sont invitésà emprunter un parcours de lectureautour d’un auteur ou d’un thème. Un projetcollectif rendu possible par la stabilité d’uneéquipe motivée qui a mis en place une bibliothèquecentre documentaire (BCD) et fait dechaque classe un lieu d’échange collectifavec l’installation de coins regroupements.Dans la classe de Lucie Boué en ce moment,ce sont les « histoires pressées » de BernardFriot qui retiennent l’attention des élèves.Avant de plonger dans le livre, les enfantssont invités à faire part de ce qu’ils saventdéjà, de ce qu’ils imaginent à partir du titre,de la couverture. Puis, par groupes, ils vontexplorer plus avant l’œuvre, en dégageantles caractéristiques du type d’écrit choisi,en l’occurrence un recueil de nouvelleshumoristiques, en étudiant les ressortscomiques propres à l’auteur, le registre delangue qu’il utilise.Un travail qui se terminera par une miseen commun permettant d’organiser lesnouvelles connaissances et une productionqui pourra être un écrit utilisant lesingrédients de l’écrivain, un projet d’afficheou une lettre à l’auteur. Pour Lucieles effets de cette démarche sont sensibles,« les élèves lisent plus, fréquentent leslieux de lecture et y amènent leur parents,les retours du collège sont bons. De plus,le travail commun à toute l’école facilite etnourrit les échanges de tous les élèvesautour de la littérature ».


13 e arts« Rascal, un lascar qui trompele lecteur »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourquoi le choix deRascal ?YC. L’association française pour lalecture (AFL) dont je fais partie acréé en 1974 les bibliothèquescentre documentaire. Les BCD onttrès vite échappé au projet initialqui était moins de promouvoir lalittérature de jeunesse que demettre à disposition des enfantstous les types d’écrits. Les deuxaxes fondateurs de la BCD étaientd’appréhender la lecture commeun projet nécessitant de mettre àdisposition des lecteurs des écritsde toute nature et de faire percevoirque derrière les écrits, ontrouve des points de vue quel’éducation doit apprendre à repérer.Pour l’AFL, le lecteur n’est pasquelqu’un qui recueille le sens. Ilest dans une activité de coopérationau sens dans laquelle ilapporte 80 % d’informations pouren retirer 20 %. L’idée est doncd’avoir des textes lacunaires quine disent pas tout et qui favorisentle travail d’interprétation dulecteur. C’est la première chosequi m’intéresse chez Rascal. C’estun auteur qui utilise les écritureselliptiques, les métaphores, quipropose des fins ouvertes et quitravaille avec des illustrateurs quiont la même approche que lui. Ilsuscite ainsi chez les enfants unelecture qui entraîne de leur partune implication critique.Quelles sont les autresparticularités de sontravail ?YC. Rascal met les enfants face àune stylisation de la vie qui n’occulteaucun problème. Les sujetscomme la guerre, le racisme, lamémoire, la violence de la vie, lamisère sont abordés sans trucages.C’est aussi quelqu’un quiutilise une grande diversitéd’écrits. Il ne se cantonne pas auxrécits et aux albums. Il a fait descarnets de voyage, de la poésie,des aphorismes, des romans etmontre ainsi aux enfants qu’il y aYvanne ChenoufD’abord institutrice, Yvanne Chenouf a travaillé pendant 20 ans à l’Institutnational de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert,puis a enseigné en tant que professeur de français à l’IUFM de Créteil(Site de Livry-Gargan). Yvanne Chenouf écrit des articles et participe àdes conférences sur les domaines croisés de la lecture et de la littératureà l’école. Elle anime la rubrique « Des enfants, des écrits » dans Les Actesde Lecture, revue de l’Association Française pour la Lecture dont elle estun membre actif (www.lecture.org).plusieurs façons de parler desmêmes chosesL’enseignant doit donc êtreattentif aux auteurs ?YC. Oui, il y a des auteurs quiracontent des histoires, il y en ad’autres qui écrivent. S’il y a untravail sur l’écriture conséquent,alors le travail de lecture suivra.Les enfants ne peuvent rendreque ce qu’on leur a donné. Tropd’albums sont construits mécaniquementavec un début, unmilieu et une fin à l’aide d’uneoralité transcrite sur papier quin’est ni de l’oral ni de l’écrit. Onapprend alors à lire aux enfantsavec des textes qui ne demandentpas de stratégie complexe maisseulement de décoder et recoder.A l’opposé, Rascal qui est un lascar,anagramme de son nom,trompe ses lecteurs et montrebien que la littérature est unmensonge.Faire de la littérature uneactivité de classe collectiven’est-il pas paradoxal ?YC. Chacun avance avec sesconvictions. Moi je pense que toutest socialisé et que l’être humainse construit par ses relationssociales. La littérature intime etsolitaire est le résultat d’un longtravail interactif. La lecture estavant tout la rencontre entre unlivre, un auteur et des lecteurs ;c’est ce trio que l’enseignant doitmettre en place. En classe, on vadéjà mettre le sens en débat cequi va conduire chaque enfant àexprimer sa subjectivité en disantce qu’il a compris, retenu du texte.Comme on est en littérature, il n’y© BILAL / naja« En classe, on vadéjà mettre le sensen débat. »a pas un sens, mais un miroitementdu sens, il ne peut donc yavoir de questionnaire de compréhensionmais plutôt uneconfrontation d’interprétations.Dans un monde envahi parles nouvelles technologies,la littérature a-t-elletoujours sa place à l’école ?YC. Le goût pour la littératuredemeure si on en juge par le succèsdes éditeurs. Le fait est quela télévision, une certaine formede cinéma réorientent le goût desgens vers des choses immédiateset simplistes. Face à cette volontédes marchands, l’école doitconserver son rôle émancipateur.C’est le lieu des langages et l’abstraction.Si l’oral est l’arithmétique,la langue écrite estl’algèbre du langage et on abesoin des deux. Comme le disaitBourdieu, la littérature est lemeilleur outil d’exploration de lavie. Pour revenir à Rascal, c’est unauteur qui a une grande culturedu travail, on trouve dans sonœuvre des ouvriers, des artisans,des chauffeurs routiers... Mais iln’y a pas d’usine, pas de collectif,ce ne sont que des travailleursindividuels. Ce qui va être intéressantavec des enfants , c’est dequestionner cette vision pleinede bons sentiments « de gauche »mais qui n’interroge pas le systèmequi permet que les chosessoient là où elles en sont. Lesœuvres littéraires proposent despoints de vue mais n’apportentpas de solutions. Pour aller plusloin, on pourra proposer auxenfants d’autres types d’écrits quidécrivent dans quelles conditionsréelles travaillent les personnagesde Rascal. Propos recueillis parPhilippe Miquel55àl’école


Écrire mais aussi jouer à fairesemblant, un équilibre savantUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>© CADIEU / NAJACet équilibre entre ces différentes dimensionsde l’école maternelle est sans doutel’enjeu essentiel des nouveaux programmesactuellement en réflexion et d’une formationà la spécificité des maternelles qu’il estindispensable de relancer. Et l’universitéd’automne illustrait parfaitement ce défi.Mireille Brigaudiot, maître de conférencesen sciences du langage et ancienne formatriceen IUFM, invite les enseignants à réinvestirles activités symboliques sur le cycle« maternelle » en continuum. L’activité dufaire-semblant est pour la chercheuse labase des futures activités abstraites. Et elleregrette la rupture entre la classe des PS où« les deux-trois ans jouent librement » etcelle de GS « conçue comme un petit CP ».Pour elle, ces activités sont nécessairesmême pour les grands pour ne pas perdre« ceux qui, en sont encore à simuler desactions avec des objets ».Ces activités n’invalident en rien celles toutaussi nécessaires de travail sur la phonologiedès la GS. Pour André Ouzoulias, ancienformateur en psychopédagogie, il faut viserune compréhension de l’idée de graphophonologieà l’entrée au CP pour tous lesélèves. Pour lui, si « on vise d’emblée leniveau des relations graphèmes-phonèmes,on marginalise au moins 20 % des enfants ».Il préconise donc de travailler sur des unitésplus accessibles comme la syllabe oraleet pour cela, d’écrire car cette activité « dissipele brouillard et éclaire le paysage ».Ces contenus d’apprentissage influencentles formes scolaires à mettre en place.Retour des coin-jeux, travail individuel. Lesrituels, forme iconique de la maternelle, sontaussi aujourd’hui l’objet d’une réflexion.Catherine Dumas, IEN chargée de missionmaternelle dans le Gard, questionne cettehabitude devenue peut-être routinière. Larégularité, la répétitivité procurent auxenfants une sécurité affective. Pour autant,l’inspectrice interroge : « si les rituels sontliés à des procédures systématiques etdénuées de sens, qu’apprennent lesenfants ? »q À la maternelle on apprend !q Et les moins de 3 ansUn cycle, des nouveauxprogrammes dès 2014Une note de la DEPP a présenté en ce début d’année scolaire, les résultats d’une évaluation de 2011auprès d’élèves en début de CP qui reprend les items d’une première étude menée en 1997. Ellemontre que le niveau de performance des élèves a progressé de manière très significative. Lepourcentage d’élèves les plus faibles est passé de 10 % à 3 % en quatorze ans. Les domaines quimontrent les progrès les plus importants sont la prélecture, l’écriture et la numération. D’après laDEPP, près d’un tiers de l’élévation du niveau des élèves est attribuable à la hausse constatée duniveau de diplôme des parents et à la baisse de la proportion des catégories sociales défavoriséesparmi les familles des élèves. Mais, d’une manière générale, les progrès observés sont plusimportants pour les élèves issus des catégories sociales les moins favorisées. Les inégalités socialesont ainsi tendance à se réduire à l’issue de l’école maternelle. Une nouvelle évaluation suréchantillon représentatif sera réalisé à cette rentrée en CE2 et devrait permettre de déterminer siles progrès observés sont transférés ou non à l’entrée en CE2.D’après l’enquête de rentrée du <strong>SNUipp</strong>-FSU, 307 postes ont été créés à cette rentrée pour lascolarisation des moins de 3 ans notamment dans les zones de revitalisation rurale et d’éducationprioritaire. Ce dispositif inscrit dans la loi est envisagé comme un levier pour la réussite scolaire desenfants de milieux défavorisés mais ce levier ne sera actionné dans tous les départements loin s’enfaut ! Près de deux tiers des départements ne consacrent aucun moyen à ce dispositif. Quand onsait que les taux de scolarisation oscillaient entre 40 % (Haute Loire) et 3 % comme à Paris, il n’estpas certain que les 300 postes suffisent à offrir un accueil adéquat pour ces tout petits écoliers.Classe avec de petits effectifs, locaux et matériels adaptés, formation des enseignants en chargede la scolarisation, collaboration avec les partenaires de la petite enfance, avec les familles,accompagnement des équipes... autant d’incontournables pour que ce dispositif se mette à lahauteur de ces petits enfants.Bien d’autres éléments devront faire partiede la réflexion sur les nouveaux programmes: langage oral, épanouissementde l’enfant, confiance en sa capacité àprendre et apprendre... Le chantier estouvert et devrait aboutir à des programmesapplicables à la rentrée 2014. Lamaternelle redevenue un cycle complet dela TPS-PS à la GS est le préambule à lanouvelle définition des cycles inscritedans la loi de refondation de l’école. Mais,la maternelle ne se redessinera pas sansque les conditions d’accueil des élèvessoientprises en« relancer uneformationà la spécificité desmaternelles. »compte autraversnotammentdes effectifsparclasse etpar la miseen œuvre d’un grand plan de formationinitiale et continue spécifique alimenté parles récents travaux de la recherche et l’expertiseaccumulée par la profession. Pourlutter contre les inégalités, la petite école,lieu d’apprentissage premier, aux dimensionscomplexes est primordiale, une prioritéen somme. lydie buguet© tréviers / NAJA5913 e maternelle


maternelleATELIERRituelsOnt-ils encore un sens ?Parfois simples habitudes vides de sens et dénués d’intérêt cognitif, les rituels méritent d’êtreinterrogés, réorganisés et d’évoluer en fonction du développement socio-affectif et cognitifde l’enfant. Pascale Granval et Martine André participent au groupe de travail sur les rituels àla maternelle avec Catherine Dumas. Elles font des rituels de véritables momentsd’apprentissages progressifs qui sécurisent les enfants.© DR13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201360q des moments sécurisantsDans sa classe de PS-MS à StFlorent sur Auzonnet (30),Martine André profite dumoment de passage aux toilettespour ne faire le rituelqu’avec les petits. « Dans ces moments collectifs,tous les enfants ne peuvent pasrecevoir la même chose, ce qui supposed’adapter les rituels à leur maturité »explique-t-elle. « Les rituels construisent lesentiment d’appartenance et déterminentla journée. Il faut donc penser leurs contenusafin qu’ils soient sécurisants et portentdu sens ». Actuellement, les PS viennentcoller leur photo dans une petite écolepour entrer dans une première situationde comptage sous la forme de « beaucoup», « un peu ». Dans le même temps, lesenfants peuvent visualiser les absents enmettant leurs photos dans une caissetransparente, ce qui « permet de prendreconscience que les absents continuentd’exister, mais ailleurs ». Avec ses GSnîmois, Pascale Granval démarre l’annéeavec un calendrier hebdomadaire pourque les enfants cherchent la date du jour,la notent et la mettent au tableau. « Jemontre comment s’en servir et j’utilise lecalendrier comme les adultes utilisent unagenda » : les sorties, les anniversaires dumois, qu’ils vont ensuite reproduire sur leurcalendrier individuel en le personnalisant(l’anniversaire de papa par exemple) sousla dictée à l’adulte. Le calendrier devient« mémoire et trace » indique Pascale. Parceque c’est un outil auquel se référer, parcequ’on y met de l’affectif, parce qu’il seconstruit progressivement avec les enfants,parce qu’il permet de se projeter dansl’avenir (l’an prochain je serai au CP,demain nous sortons au parc…), il sécuriseles enfants et les aide à grandir.


13 e mater-« Une régularité sécurisantemais pas une routine »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Les rituels à l’écolematernelle sont-ils devenusroutiniers ?CD. Les rituels sont inscrits depuislongtemps dans les habitudes del’école maternelle, mais il n’y aaucun texte officiel qui demandede les mettre en œuvre. Commed’autres pratiques (les ateliers, lesemplois du temps stéréotypés…)ils existent depuis longtemps etprocèdent d’une culture partagéequi fonde l’identité de l’école. Maissi les rituels sont liés à des procéduressystématiques et dénuéesde sens, qu’apprennent lesenfants ? Par exemple, pourquoifait-on la météo au regroupementdu matin tous les jours dès la PS ?Ne faut-il pas questionner ces étiquettesaffichées qui restentfigées toute la journée sur unesituation météorologique qui pardéfinition peut être emmenée àchanger dans la journée ? Quelsens pour les enfants si en pluscette situation se reproduit sur lestrois années de l’école maternelleà l’identique ? Il est donc importantde les interroger pour lesréorganiser.Quelles sont lescaractéristiques des rituels ?CD. Le premier point serait la régularité.Les rituels liés à la constructionde l’emploi du temps vontfaciliter la lecture de ce que peutêtre une journée de classe etoffrir une régularité sécurisante,notamment pour les enfants lesplus fragiles. Le fait qu’ilsreviennent pratiquement à l’identiquetous les jours rassure l’enfant.Un autre point consiste en larépétitivité des gestes,desparoles et des situations qui« Pourquoi fait-on lamétéo au regroupementdu matin tous les joursdès la PS ? »Catherine DUMASIEN chargée de mission maternelle pour le département du Gard,Catherine Dumas a longtemps été enseignante en école maternelle puismaître formateur et conseillère pédagogique. Convaincue que les rituelsconstituent des instruments légitimes dans une organisation de lajournée de classe, elle mène avec un groupe d’enseignants une réflexionsur leur place dans la pédagogie de l’école maternelle. Elle a contribuéà l’ouvrage Construire des rituels à la maternelle (RETZ).varient peu mais qui vont procurerde la sécurité affective. Enfinles rituels doivent reposer sur descontraintes claires faciles à reproduire,connues et reconnues partous. Le rituel de l’appel, parexemple, permet de se rendrecompte qu’on existe, qu’onappartient à la communauté scolaire,que l’absence est parlée. Ilsont là une fonction intégrative.Les rituels doivent enfin aider àcréer des automatismes, ce quiconstitue un besoin dans le parcoursscolaire.Quelles sont les spécificitésdes rituels?Ces rituels ont trois spécificités :ils se situent à un moment particulieren début de matinée, ils sedéroulent dans un espace dédiéet ils procèdent bien souvent dela parole. C’est précisément cetéchange entre pairs et avec l’enseignantqui va poser problème.Quand on est face à 25-30 enfantsil est plus facile d’avoir une parolemagistrale que de permettre à laparole de circuler. Or, ce regroupementest très compliqué àmettre en œuvre en regard dudéveloppement de l’enfant. Cen’est pas naturel pour un enfantde TPS ou de PS que de se retrouverdans un espace clos, avec despetits camarades qu’on ne connaîtpas, ou peu, avec des règlesstrictes à respecter (lever le doigt,écouter un enseignant qui nes’adresse pas qu’à soi mais à ungroupe,échanger avec despairs…). Pour entrer dans cesrègles il faut du temps. Il faut pouvoirlaisser à l’enfant le temps dedevenir élève dans les troisannées de l’école maternelle. Il ya donc des rituels qui ne peuvent© mira / NAJApas être mis en œuvre dès la rentréede PS…Enfin ils ont une fonctionde lanceur des activités de lajournée et de constitution dugroupe classe élément fondateurde la communauté scolaire.Comment faire des rituelsun momentd’apprentissage ?CD. On est peut-être trop ambitieuxsur ces moments-là en demandantaux enfants de répondre àdes problématiques qui lesdépassent.. Il est plus pertinent deparler « temps » en aidant lesjeunes enfants à se projeter dansun futur immédiat qui leur estaccessible. Celui qui pleure dansune classe de petits par exemple,c’est parce qu’il ne sait pas ce quiva se passer plus tard, ni quand samaman va revenir… La vraie questionest : qu’est-ce qui va me permettre,dans la construction desrituels, de sécuriser les enfants ?La date sera davantage un objectifde GS, avec des outils plus scolairescomme le calendrier.Attention toutefois l’accumulationd’outils et d’affichage n’est pasune aide pour les enfants.Comment les faire évoluerau fil de l’année ?CD. Les rituels s’inscrivent dans letemps de la PS à la GS. La régularitésécurisante sur laquelle ilsreposent doit évoluer dans l’espaceet dans le temps pour qu’ilsne deviennent pas une routine.Quand l’attention du groupe commenceà baisser, il faut trouverune situation qui soit un peu différentede la précédente et quiremette la classe en questionnement.L’idée est de faire évoluerl’objet rituel en respectant ledéveloppement de l’enfant et enne modifiant à chaque fois qu’uneseule variable. Enfin, il est nécessairede penser la progressivitédes contenus et des pratiques enconseil de cycle et savoir faire deschoix. Propos recueillis par Vincent Martinez61nelle


13 e mater-« Faire semblant : la base des activitéssur des objets abstraits »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Que recouvre pourvous le terme d’activitéssymboliques ?MB. Depuis Piaget, on considèrequ’il y a activité symboliquechaque fois qu’un sujet dissocie,différencie, un « signifiant » - uneforme perçue - et son signifié - lesens habituel qui lui est attribué-.Une des premières activités symboliquesde l’enfant est ce qu’onappelle le jeu symbolique, ou jeude faire semblant, vers deux ans.Il prend un bâton, s’assoit dessuset dit « hue dada !», il attribue aubâton le statut de cheval : c’estune activité intellectuelle de hautniveau, réservée aux seulshumains. Ces jeux vont évoluerjusqu’au moment où, vers quatreà cinq ans, un enfant change sonpropre statut et celui des copains :c’est la formule « tu serais le cowboyet moi l’indien ». Jusqu’ici, onest dans du développemental,c’est-à-dire ce qui se fait en milieufamilial... quand tout va bien.Parallèlement, et c’est là que lesmilieux de vie vont être discriminants,les enfants vont « recevoir »des activités symboliques complètementculturelles, ou pas.C’est le cas du dessin, de l’écriture,de la littérature enfantine, dudomaine numérique. Le cas leplus abstrait étant l’écrit qui utilisedes symboles (lettres) de symboles(phonèmes).Mais à l’école ?MB. L’école maternelle est plus queconcernée, elle est au début dudébut, elle est le lieu du croisementdéveloppement – culture.Or pour l’instant, elle n’en faitrien. Alors que les travaux anglosaxonss’accumulent sur cettequestion, nous faisons comme sitout allait de soi. Parfois même,les jeux symboliques sont considéréscomme si peu intéressantsqu’on supprime les coins-jeuxdes classes (dînette, garage, etc).Je travaille donc à fournir auxmaîtres des repères théoriques etmireille brigaudiotMireille Brigaudiot, spécialiste du langage chez les petits est maître deconférences en sciences du langage et a été formatrice en IUFM. Sesrecherches la conduisent aujourd’hui à explorer les activitéssymboliques comme un domaine à part entière pour l’école maternelle.Elle travaille à un nouvel ouvrage sur le langage et la maternelle qu’elledestine aux enseignants, à leur envie de regarder et écouter les enfantscomme des chercheurs explorateurs, notamment ceux qu’elle perçoitcomme « prioritaires ».des exemples d’actions pour leurmontrer que c’est possible, et pastrès difficile, de considérer lesactivités symboliques des enfantssur le cycle « maternelle » commeun continuum. C’est une manièrepour moi d’arrêter cette épouvantablerupture : les deux-troisans jouent librement, en attendantd’avoir cinq ou six ans pourpasser dans des grandes sectionsconçues comme des petits CP. Jecaricature à peine.En quoi la petite section estelle une année décisive ?MB. Vygotski voit dans les premiersjeux symboliques, la tracede progrès dont vont dépendreles apprentissages ultérieurs queje viens d’énumérer : il dit qu’ilsprovoquent la séparation duchamp sensori-moteur (perceptiondirecte, manipulation) decelui des signes (bâton - chevalpar exemple). L’activité de fairesemblant est, pour lui, la base desfutures activités sur des objetsabstraits. Si l’on accepte ce postulat,la petite section est le lieude « démarrages » intellectuelsaux conséquences considérables.© BILAL / naja« il y a activitésymbolique chaque foisqu’un sujet différenciele signifiant de sonsignifié. »Quelle place pour cesactivités dans le travail desenseignants ?MB. Selon moi, il y a une conditionpremière de leurs actions, c’est laformation. Si on donne d’abordaux enseignants des repères théoriquessur ce que peuvent développer,dans ce domaine, lesenfants de deux à six ans, ilspeuvent ensuite aller les observeractivement. C’est plus importantqu’une visite de classe ! C’est s’entraînerà avoir un regard professionnel: « Tiens, la fillette vient decoucher sa poupée en disantqu’elle est malade, elle simule unscénario de la maison et simuled’être la maman. » Il y a ceci et celaen jeu, ça signifie ceci et cela.Ensuite, il faudrait que la formationintègre la notion de « zone proximalede développement » commeun noyau dur de l’action enseignante.Il faut agir dans la classede manière à induire du « un toutpetit peu plus difficile » par rapportà ce qu’on a observé. Avec desfiltres théoriques, dans le cas de lafillette, l’enseignant peut prendrele jouet téléphone et dire à l’enfant« hou la la...elle a de la fièvre,appelle vite le docteur ». Ainsi la fillette-mamandevra s’adapter à unpartenaire de jeu, un garçon-docteur,à qui elle va parler et demanderdes conseils de soins.Je suis persuadée que c’est laseule façon d’empêcher les écartsde s’aggraver entre des enfantsqui disposent d’un environnementstimulant et les autres. Car si unemaîtresse, pleine de bonnevolonté, choisit, voyant le mêmejeu en section de petits, d’allerchercher une histoire de littératurejeunesse où un personnage faitsemblant d’être quelqu’un (parexemple « Au loup !» de StéphanieBlake, École des Loisirs), elle vafaire avancer les enfants les plusperformants qui comprennentqu’on peut simuler d’être ce qu’onn’est pas et elle va perdre ceux,qui pour l’instant, simulent desactions avec des objets. Ça seraitbien, que tout cela apparaissedans les nouveaux programmes,annoncés comme curriculaires.Propos recueillis par Francis Barbe63nelle


maternelleATELIERLectureDans le cœur des motsLes recherches d’André Ouzoulias sur des élèves de CP ont montré que les enfants nonlecteurs sachant segmenter un mot écrit en syllabes écrites seront, pour 95 % d’entre eux,bons ou très bons lecteurs en fin d’année. Fort de ces résultats, il avance que la consciencephonologique des phonèmes est autant liée à la discrimination auditive qu’à l’expérience del’écrit et la connaissance des lettres.© RIVAUD/NAJA13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201364q Un chemin original à la rencontre des phonèmesAlain Roblin, et Nadine Mathiasco-auteure de l’outil, sontenseignants spécialisés E,respectivement à Montbron età Soyaux en Charente. L’engagementde l’auteur au sein d’un grouperecherche-action de la FNAME (FédérationNationale des Associations de Maîtres E)piloté par André Ouzoulias, a permis dedévelopper cet outil, afin de l’adapter à tousles niveaux du cycle 2. Les élèves apprennentà segmenter des mots, illustrés par descartes images, puis à les reconstruire avecdes étiquettes syllabes. Au cours d’un premierpalier, l’élève parcourt des séries dequatre mots comportant une syllabe commune,comme « inondé, vidé, dé, départ », quisert d’appui pour reconstituer les mots. Lesauteurs recommandent de s’attarder sur cepalier (accessible dès la GS) qui conduit àune première compréhension de la graphophonologieau niveau de la syllabe, dont lerôle est apparu très convaincant pour laréussite future en lecture au cours de l’étudeprécédemment citée. En effet, avant d’aborderles phonèmes, les élèves de GS ou dedébut CP découvrent plusieurs chosesessentielles, liées à la permanence de la lecturede la syllabe écrite, à sa structure (lessyllabes orales peuvent avoir une ou plusieurslettres, pas toujours deux), à l’ordrede succession des syllabes, etc.À partir du deuxième palier (CP et CE1),l’élève découvre les phonèmes qui composentla syllabe orale en s’appuyant sur sareprésentation écrite. L’outil comporte uneprogression sur 6 paliers pour installer les30 graphèmes les plus simples, suivant unordre de difficulté croissante liée à la discriminationauditive.Alain souligne « le cadre ludique et rassurantde l’outil ». « Marche d’appui pour entrerdans le principe alphabétique », il peut êtreune aide précieuse en direction des enfantsles plus fragiles.


13 e mater-Phonologie de la GS au CP : «refonder »les conceptions et les démarchesUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quel portrait faites-vous desenfants faibles lecteurs ?AO. Avec des collègues de la fédérationdes maîtres E (FNAME),nous avons étudié 1300 élèves decycle 2 bénéficiant tous d’une aidespécialisée. Les garçons sont surreprésentés(3 sur 4), ainsi que lessujets nés au 4e trimestre et, sanssurprise, ceux qui viennent descatégories sociales les plus défavorisées.Sur le plan cognitif, d’après uneautre étude menée égalementavec la FNAME avec 563 enfantsde CP, les élèves en grande difficultése caractérisent par une inexpériencede l’écrit. De ce fait, ils ontrarement compris la graphophonologieà l’entrée au CP : 95 % desenfants non lecteurs ou très faibleslecteurs à la fin du CP ne savaientpas, en septembre, segmenter ensyllabes écrites des mots commePAPA, TAPIS, COUCOU… Quandon leur demande de montrer dansPAPA où sont écrites les deux syllabes[pa] qu’ils ont découpées àl’oral, ils entourent par exemple Ppuis A. Il faut bien voir que la compréhensionde l’idée de graphophonologiene peut nullementrésulter des activités phonologiquesmenées en GS car, en général,elles ne portent que sur desstimuli auditifs. Du reste, on peutse demander comment les enfantspeuvent comprendre qu’on viseainsi à les préparer à l’apprentissagede la lecture…Ces élèves en difficulté devant lalangue écrite n’ont guère derepère sur la manière dont l’écritet l’oral se lient. Ils confondent lesdivers niveaux d’articulation(mots, syllabes, phonèmes, lettres,graphèmes, etc.). Perdus dans ce« La syllabe orale,saillante en français,est accessible à près de100 % des enfants. »André OuzouliasAndré Ouzoulias est professeur honoraire à l’Université deCergy-Pontoise. Formateur d’enseignants (psychopédagogie), il s’estparticulièrement intéressé aux premiers apprentissages de la lecture etaux élèves en grande difficulté dans ce domaine. Il est l’auteur d’ungrand nombre d’articles et d’ouvrages pédagogiques (Médial, le livresur les MACLÉ, etc.). Il dirige la collection pédagogique Comment faire ?coéditée par Retz et le CRDP de l’Académie de Versailles.brouillard, leur investissement scolairese stérilise, ils se découragentet leur image de soi finit par êtreatteinte.© mira / NAJA« Faire écrirefréquemment les élèvesdès la GS et au CP surdes textes courts »Mais comment lier oral etécrit dès la GS ?AO. Avant tout, il faut viser unecompréhension de l’idée de graphophonologieà l’entrée au CPpour tous les élèves. Mais si,comme aujourd’hui, conformémentaux programmes de 2008,on vise d’emblée le niveau desrelations graphèmes-phonèmes,on marginalise au moins 20 % desenfants. Il faut donc travailler surdes unités plus accessibles. La syllabeorale, saillante en français, estaccessible à près de 100 % desenfants. On peut amener cesélèves à lier segmentation syllabiquede l’oral et de l’écrit. Ayantainsi compris l’idée de graphophonologie,ils pourront découvrir lesphonèmes et les graphèmes auCP. Et il n’y a aucune perte detemps, pour personne ! Une progressionen ce sens a été expérimentéeavec succès.Mais,il n’y a pas de meilleur moyende favoriser la réussite de tous lesélèves que de les faire écrire fréquemmenten GS et au CP. Pourles enfants sans grande expériencede l’écrit, c’est ainsi qu’ilspeuvent le mieux s’approprier lalangue écrite, activement et demanière accélérée : écrire dissipele brouillard et éclaire le paysage.Cela pose bien sûr la question ducomment… La solution passe pardes textes très courts, des situationsqui favorisent l’autonomie(cf. les situations oulipiennes), unétayage des enseignants et pardes outils d’autonomie (glossairesillustrés, comptines et textes références,etc.) qui évitent aux élèvesd’avoir à inventer l’orthographedes mots.Qu’attendez-vous desprogrammes de 2015 ?AO. Pour avancer vers la démocratisationde la culture écrite, il y aquatre domaines dans lesquels ilfaut repenser les choix didactiques.Les lecteurs de FenêtresSur Cours trouveront sur le site du<strong>SNUipp</strong> une présentation sommairede ces propositions que jene peux que résumer ici :1°) Il importe de progresser surl’enseignement de la langue oraleen maternelle. En fin de maternelle,s’exprimer avec clarté et àpropos, c’est le moitié du cheminvers la lecture. Pour cela, il fautpouvoir organiser quotidiennementdes petits groupes. Le dispositif« Plus de maîtres que declasses » devrait être déployé enpriorité au service de cet objectifdans les écoles des quartierspopulaires. Mais ce qui importec’est aussi la nature et la qualitédes interactions adulte-enfantsdans ces petits groupes…2°) Comme on vient de le dire, ilconvient de refonder l’enseignementde la graphophonologie à lacharnière GS-CP.3°) Il faut faire de la productionquotidienne d’écrits le moteur desapprentissages de la langue écrite,de la GS au CM2.4°) Il est nécessaire enfin de revoirnotre façon d’aborder l’orthographe.C’est un domaine où lerecul des performances des élèvesest grave et a des impacts invisibles: à travers la reconnaissanceorthographique des mots, ilaffecte la compréhension en lecture.Propos recueillis par Ginette Bret65nelle


catif, pas une contrainte »13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Pourquoi vous être engagépour promouvoir lesbienfaits du sport ?S D. Toutes les associations qui sepréoccupent de santé intègrentdans leur action la promotion del’activité physique. Au départc’était uniquement en terme deprévention primaire avant l’irruptionde la maladie. Maisaujourd’hui, un nombre considérabled’ études montrent quel’activité physique joue aussi unrôle important dans la prise encharge de la maladie une foisque celle-ci est déclarée ou dansl’évolution de certaines maladieschroniques. Il y a donc là unenjeu de santé publique considérablepour les malades mais aussipour la société tout entière. Lesport est un formidable supportd’activité physique. S’il offre desréponses aujourd’hui en matièrede prévention primaire, il estmoins bien adapté à l’accueil despersonnes malades. Sur les 15millions de licenciés français, soitun quart de la population, peu demalades déclarés. L’offre sportiveassociative et professionnelledoit donc s’ouvrir auxmillions de gens atteints demaladie - comme le diabète oules atteintes cardio-vasculairespar exemple - qui en retireraientles plus grands bénéfices. Outreses vertus pour la santé, le sportest socialisant et favorise doncun engagement dans la duréeindispensable pour ces personnes.Si actuellement, l’efforts’est porté avec succès sur lespratiques handi-sport, on nepense pas assez à cette autreforme de handicap qu’est lamaladie et qui doit donner lieu àdes organisations et des pratiquesadaptées.La France est-elle un payssportif ?S D. Je pense que le pays n’a pasmesuré pleinement les enjeuxque ce soit sur le plan éducatif,sanitaire ou social. Un exemple :StéphanediaganaDouble champion du monde d’athlétisme (400 mètres haies et 4 fois400 mètres), Stéphane Diagana s’est fait connaître par ses performancesexceptionnelles sur la piste mais aussi par sa vision du sport empreinted’éthique et d’intégrité. Aujourd’hui il continue à défendre les valeurs dusport, en tant que consultant radio et télé mais aussi en s’engageant auxcôtés de la MGEN pour rappeler et promouvoir le rôle indispensable desactivités physiques et sportives dans le domaine de la santé.«Un enjeu de santépublique considérablepour les malades. »cet été j’ai fait un petit périple àvélo en compagnie de personnesdont l’âge s’échelonnait de 21 à58 ans. Il n’ y a pas tant d’activitésqui permettent de partagerdes moments en brassant ainsiles générations, les milieuxsociaux. Sur le plan de la santé,nous sommes en retard par rapportà des régions comme leQuébec, où on a bien compris lecaractère essentiel du sport pourla santé et les dangers de lasédentarisation de notre modede vie. Sur les quatre tempsd’une journée, l’activité physiquea connu au fil des années unrecul spectaculaire. On ne peutpas compter sur le travail souventet de plus en plus sédentaire,les temps de transportpassés majoritairement en voitureou en transport en communet les tâches ménagères. Restele temps de loisirs sur lequel ondoit progresser, ce qui signifiedévelopper les activités commela marche, la randonnée, le vélomais aussi le sport dans les structuresassociatives. Des expériencescomme celle deStrasbourg (voir ci-dessous) quiassocient sport et santé doiventêtre encouragées. En matièred’éducation, dans les pays anglosaxons,le sport est considérécomme un moyen de se forger le« La force du sport dansles clubs reste leurcaractère associatif. »caractère, une école de la vie, uninstrument de développementpersonnel et social et n’entre pasen concurrence, bien aucontraire, avec les activités intellectuellescomme c’est trop souventle cas en France.Les salles de fitnessconnaissent un succèscroissant. Qu’enpensez-vous ?S D. En France, la fréquentationdes salles de sport se caractérisepar un fort taux de renouvellement,autour de 80 %, par an etse situe bien loin du nombre depratiquants des associations.Sans doute parce qu’il y manquela dimension sociale. On va dansles salles avec une approchehygiéniste pour maigrir, pour seconstruire des beaux muscles...Mais en se disant : « Il faut que j’yaille ». C’est une motivationmoins durable que celle quiconsiste tout simplement à allerretrouver des amis autour d’unepassion, d’une pratique. L’entretienphysique etles bienfaits pourq Strasbourg :le sport sur ordonnance.../...Depuis bientôt un an, des patients de Strasbourg se voient prescrire parleur médecin généraliste une activité physique gratuite L’opération a étélancée par la ville en novembre 2012 en association avec l’agencerégionale de santé d’Alsace, le régime local d’assurance maladie,lapréfecture et l’éducation nationale. Parmi les sports proposés, on trouveles modes de déplacements actifs comme la marche à pied et le vélo, lespratiques douces comme le tai-chi ou la natation et certains sportscomme l’aviron et l’athlétisme au sein d’ associations et de clubs sportifslabellisés. A l’heure du premier bilan, ce sont plus de 300 personnes quiont bénéficié de l’opération dont la plupart étaient en sur-poids. Avec despremiers résultats gratifiants comme cet homme qui a perdu 40 kilos ense mettant au vélo et en se rendant une fois par semaine à la piscine. Fortde ce succès le dispositif strasbourgeois va être étendu à deux types decancer, du sein et du côlon pour des patients en rémission. Peut-être unpremier pas vers l’intégration du sport dans la liste des prescriptionsmédicales remboursées par la Sécurité Sociale comme le recommandaitun récent rapport de l’Académie des sciences. Selon l’Imaps*, uninvestissement de 150 euros par an consacré à une activité visant àsoigner les pathologies de 10% des patients permettrait à la Sécuritésociale d’économiser 56,2 millions d’euros par an.*Institut mutualiste de promotion des activités physiques et sportives : http://www.imaps.fr67SPORT


SPORTDossier«La compétition estnaturelle chez lesenfants. »dépassement de soi. Ensuite, j’aicommencé à apprécier la compétitioncomme un challenge, unfacteur amenant à changer, àmettre en place des stratégies,mais toujours avant tout dans laperspective d’un développementpersonnel.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201268la santé ne sont qu’une conséquenced’une pratique avant toutmotivée par le plaisir. La force dusport dans les clubs reste leurcaractère associatif. Cet avantageperdure même si les chosessont peut-être en train de changer.Le sport professionnel nedonne pas toujours uneimage exemplaire, même enterme de santé.S D. C’est vrai, d’ailleurs je nerecommande pas la pratique dehaut niveau J’ai eu personnellementla chance dans ma carrièrede n’avoir que des blessuresmusculaires sans conséquencesgraves. En la matière, c’estcomme avec les médicaments,c’est l’excès qui est à proscrire.Ceux qui passent leur tempschez le kiné sont aussi bien ceuxqui n’ont jamais fait de sport queceux qui en ont trop, ou mal, fait.«Coopérer au delàdes différences. »Quel parcourspersonnel vous a amené ausport de haut niveau ?S D. Comme beaucoup de jeunesenfants, j’avais envie de pratiquerun sport et dès l’âge de 7ans j’ai voulu faire de l’athlétisme.J’aimais courir et ce choix m’estapparu comme une évidence.J’ai pris ma première licenced’athlète à l’âge de 10 ans dansun club près de chez moi. J’ y aitout de suite trouvé beaucoup deplaisir : plaisir de courir, plaisird’apprendre mais aussi plaisir du© BILAL / najaPour vous la compétitionest donc une valeurpositive. Y compris pour lesenfants ?S D. C’est un débat récurrent enFrance. Quand on pense compétition,on l’oppose souvent à lasolidarité. Pour moi la compétitionest plutôt un moyen d’allerchercher les ressources qui permettentde faire mieux demaince qu’on fait aujourd’hui. C’estsouvent ce que la vie nousdemande, y compris à l’école.L’école est un système compétitifdans le sens où on demandeaux enfants d’aller chercher desressources en eux-mêmes pours’améliorer. Je crois que la compétitionsportive, si on sait s’enservir intelligemment comme unlevier éducatif, ne doit pas êtreoccultée. Si on la refuse, on laretrouvera forcément dansd’autres domaines qui ne bénéficierontpas d’un contexte éducatifaussi riche. La compétitionest naturelle chez les enfants, ilsuffit de les observer courir dansla cour.Une opportunité qui les encourageà donner le meilleur d’euxmêmesest toujours bonne. Mais,attention, accompagner lesenfants sur le chemin de la compétitionsuppose d’avoir deséducateurs à la hauteur quiapprennent à respecter l’adversaire,à savoirgagner et perdre..../...


13 e 69qLes horaires d’EPS dans les écoles européennes13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>151296386128 86151410 1013118899158Temps minimal (enpourcentage du tempsglobal) alloué àl’éducation physique entant que matièreobligatoire par rapportau temps d’enseignementtotal dans l’enseignementprimaire et secondaire *.La France consacre une part deshoraires honorable à l’éducationphysique et sportive avec uneposition moins avantageuse àl’école primaire (où les horairesofficiels ne sont pas forcémentappliqués). À noter qu’enHollande , au Royaume Uni, enItalie, l’EPS n’est pas obligatoireà l’école primairePrimaireSecondaire0DanemarkAllemagneEspagneFranceHongriePologneFinlandeNorvègeCroatie*Source : L’éducation physique et lesport à l’école en Europe étudeEurydice 25 mars 2013© RIVAUD / NAJASPORT


SPORTDossierPour les enfants, la compétitionsportive dans les clubs est aussil’occasion de mêler tous les statutssociaux. De partager lesmêmes objectifs que le petit partenaired’à côté qui n’est pascomme vous, qui ne parle pascomme vous, n’a pas la mêmeéducation... Coopérer au delàdes différences. Ce qu’on vousdemande sur les terrains desport, vous allez le retrouver plustard tout au long de votre vie.Albert Jacquarddisait pourtant: « Lacompétition est unefabrique de perdants »S D. La première chose qu’il fautq Le sport qui soigneToutes les études scientifiques convergent, la pratique d’une activitémodérée (au moins 3 heures par semaine) ou d’une activité intense (aumoins 20 minutes trois fois par semaine) diminue de 30 % le risque demortalité prématurée. L’activité physique est primordiale en préventionprimaire des maladies cardiovasculaires mais également en préventionsecondaire. Elle intervient également dans le traitement de la dyspnéeau cours de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO).Elle joue un rôle fondamental pour éviter le gain de poids et elle réduitle risque de certains cancers (colorectal, sein, endomètre, poumon,prostate). Au delà de ses effets sur le bien-être émotionnel, le bien-êtrephysique, la qualité de vie et la perception de soi, le sport est donc unformidable médicament.Plus d’infos : www.inserm.fr/thematiquesviser, c’est donner la chance degagner à chacun. Tout le mondene peut pas être champion du100 mètres mais, il y a forcémentun domaine, une discipline où ona un talent, une capacité qui permetd’exceller. La deuxièmechose, c’est d’apprendre ladéfaite. Personnellement, j’aisouvent perdu, j’ai même dûaccepter la frustration de nejamais être champion olympique« Donner la chancede gagner à chacun. »malgré mon engagement. Maisje ne ressens aucune aigreur. J’aiappris à découvrir mes limites etaccepté d’être battu par plus fortque moi. Il faut vivre la compétitionen tant que jeu pas sous lesformes qui génèrent humiliationet destruction de la personne. Lesport de compétition est commeun couteau, ce n’est pas lui qu’ilfaut condamner mais celui quitient le manche.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201270© BILAL / najaQuel est votre regard sur lesport à l’école ?S D. C’est librement, en jouantdans la cour de l’école, que m’estvenue la passion de la course.J’ai donc découvert le sport endehors des pratiques encadréesmême si par le suite j’ai étéamené à intégrer les activités desport scolaire. C’est d’ailleurs unvolet qui me paraît intéressantpar son approche un peu différentede la compétition et qu’ondoit encourager en levant lesincompréhensions qui peuventexister avec le sport associatif.J’ai assisté récemment à un crossscolaire et j’ai pu constater l’investissementdes enseignants etdes élèves dans le cadre d’une


13 e SPORTpratique de qualité tenantcompte des possibilités de chacun.Sur les contenus de l’enseignementde l’éducation physiqueet sportive à l’école, il m’est difficilede prendre position. Troisheures par semaine à l’école primaire,ça me paraît une baseconvenable pour avoir un minimumd’activités physiques dansune optique de santé, déjà, maisaussi pour découvrir des gestes,un rapport à l’autre différent,progresser dans la connaissancede soi... Le problème se situeplus dans la suite de la scolarité.Les horaires se rétrécissent au furà mesure jusqu’à l’université oùc’est bien souvent le néant. Cettesituation est révélatrice d’un problèmede fond : à de rares exceptionsprès, impulsées par desenseignants ou des responsableseux-mêmes pratiquants, le sportn’est pas perçu comme une composantedes projet éducatifsmais plutôt comme unecontrainte qui vient au secondplan. C’est dans cette directionqu’il m’apparaît important detravailler.Propos recueillis par Philippe Miquel13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>© rivaud / NAJAq Des français de plus en plus sédentaires10Évolution séculaire de l’activité physique quotidienne des Français*heures d’activité quotidienne98765432Le processus desédentarisation s’accélèredepuis la deuxième moitiédu XX e Siècle et suit deuxcourbes de croissancesuccessives : celle dudéveloppement destransports motorisés etcelle de la communicationtélévisuelle dans unpremier temps, puisinformatique.*Plan national de prévention parl’activité physique et sportive, rapportde Jean-Philippe Toussaint 2008Source : Irmes101750 1800 1850 1900 1950 2000 205071


EnfantetsociétéÉCLAIRAGESociétéPour une école de la réussitede tous les élèves13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201372Les écarts de réussite scolaire se creusent entre les enfants desmilieux défavorisés et ceux des cadres et professions intellectuelles.L’école seule ne peut pas tout pour avancer sur le chemin de réussitede tous, alors que les inégalités sociales ont de plus en plus de mal àrester à la porte de l’école.Les écarts se creusent entre lesenfants issus des milieux populaireset ceux des cadres et professionsintellectuelles supérieures. L’écolen’est pas en mesure de gommer lesinégalités et de déjouer les déterminismessociaux. Malgré les dispositifs qui ont étémis en place, elle les reproduit et les amplifie.Ces dernières années, les attaquescontre l’école n’ont fait que dégrader lesleviers qui pouvaient lui permettre de releverle pari de la réussite de tous les élèves.Outre les suppressions de poste, l’idéequ’il fallait multiplier des dispositifs visantà externaliser la prise en compte de la difficultéscolaire voire mêmede la « médicaliser » a faitson chemin, comme leconstate Stanislas Morel,maître de conférence àl’Université de Saint-Etienne(lire p79). Or, comme lemontrent les études, laclasse reste encore le meilleurlieu pour la prévention,pour l’aide aux apprentissages,à conditions d’avoirles moyens adéquats, d’in-« À elle seule l’école nepeut renverser unetendance qui traversela sociétté dans sonensemble. Il faut aussides politiquespubliques pour réduireles inégalités. »venter d’autres manières de travaillerauprès des élèves.À elle seule, l’école ne peut renverserune tendance qui traverse la sociétédans son ensemble. Il faut aussi des politiquespubliques en faveur de l’emploi,de la santé, du logement et de la culturepour réduire les inégalités sociales quiont la dent dure. Convaincu que « l’écolene doit pas porter seule la responsabilitéde la réussite éducative » (lire p77), EricNédelec, de l’Agencenationale de lutte contrel’illettrisme, développeavec son associationdes actions éducativesfamiliales pour luttercontre le fléau de l’illettrisme.Parce qu’unesociété qui assure laréussite de tous lesélèves doit prendre encompte un certainnombre de critères, tels


13 e Enfant« Quelle sociétél’école construit-ellequand elle ne seprépare pas àaccepter la diversitéethnoculturelle. »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>© mira / NAJAque le taux d’illettrisme, le degré de discriminationsliées au handicap ou ladiversité ethnique, une articulationnécessaire doit se mettre en place entreles enseignants, les intervenants de tousles espaces mais également les parents.De ce côté-là, les attentes de l’écoledemeurent encore beaucoup trop implicitespour les enfants des milieux défavoriséset leur famille. Et chacun saitcombien la place des parents, notammentles plus éloignés de l’institution scolaireet de ses codes, la possibilité de se sentirlégitimes et en toute confiance à l’école,sont des facteurs déterminants dans laréussite des enfants.Un même accès au savoirpour la réussite de tousIl en va de même pour la scolarisationdes enfants en situation de handicap.Depuis la loi de 2005, l’école s‘est réforméesans bruit mais pas sans efforts, souligneJosé Puig, directeur de l’INS-HEAq Corrélation entre originesociale et réussite scolaireLes taux de réussite aux baccalauréats 2012 pointent les très grandes inégalités qui se creusenten France entre les enfants en fonction de leur origine sociale, En effet, si l’on considèrel’ensemble des BAC, l’écart entre le taux de réussite des enfants de cadres et professionsintellectuelles supérieures (92,1%) est de 11,6 points par rapport aux enfants d’ouvriers (80,5%) etpasse à 16,2 points pour les enfants d’inactifs (75,9%). C’est pour le BAC général, où le taux deréussite des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures reste en tête (94,1%),que l’écart de taux de réussite entre ces enfants et ceux d’ouvriers est le plus important : 8,6points, m^^eme s’il diminue de presque 1 point par rapport à 2011. Par ailleurs, si l’écart aubaccalauréat technologique (5,8 points) est resté stable, c’est dans la voie professionnelle qu’il afortement augmenté (7,4 points en 2012 contre 5,2 en 2011), conséquence d’une baisse du tauxde réussite plus marquée chez les enfants d’ouvriers (- 6,2 points) que chez les enfants decadres et professions intellectuelles supérieures (- 4 points). (données rers 2013)(lire p81). 150 000 jeunes sont aujourd’huiscolarisés en milieu ordinaire. C’est surtoutle fruit d’un engagement des enseignantsqui, trop souvent sans formationet sans AVS, ont été les artisans de cettepolitique d’inclusion. Il reste que l’institutiona de gros progrès à fournir en© rivaud / NAJAmatière de professionnalisation desenseignants comme des accompagnantsà la scolarité.Quelle société l’école construit-ellequand elle ne se prépare pas à accepterla diversité ethnoculturelle des enfantsissus de l’immigration et « laisse lesenseignants se débrouiller avec cesquestions ? » Questionne GéraldineBozec (lire p83. La réponse laïque et républicaineestau contraire« Comment concilierl’accélération de laterritorialisationavec le principed’unité de l’école dela république? »celle d’uneécole bienveillantequioffre « uncadre émancipateurquiassure le respectde laliberté deconscience de chacun » explique PierreTournemire, vice-président de la Liguede l’enseignement (lire p85). A l’heure dela mise en œuvre de la réforme desrythmes scolaires, un autre spectre ressurgit: celui des inégalités territoriales.Comment aujourd’hui concilier l’accélérationde la territorialisation des politiquesavec le principe d’unité de l’écolede la république ? se demande ArnaudTiercelin de la Ligue de l’enseignement(lire p87).Tous les enfants, d’où qu’ils viennent, quelque soit leur milieu social, doivent bénéficierd’un même accès au savoir. L’écoledoit donner aux enfants qu’elle accueilleles moyens de construire la société dedemain. Une société plus juste. Virginie Solunto73etsociété


EnfantetsociétéENTRETIEN« L’école, lieu de formationaux valeurs démocratiques »13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201374Suite à l’affaire Léonarda leministère de l’intérieur aannoncé qu’il n’y aurait plusd’arrestation d’enfants deparents sans papiers enmilieu scolaire. Est-ce quecette mesure vous satisfait ?CN. Le service public est censé êtrele lieu d’intégration et de formationaux valeurs démocratiques.Au-delà des circonstances et del’émotion que cette expulsionprovoque, se pose la question durespect du droit à l’éducation,reconnu par les textes internationauxdont la France est signataire.Si l’école devient le lieu où l’ondoit craindre l’expulsion ou si lesfamilles en situation irrégulièreont peur d’y conduire leursenfants, l’effectivité de ce droit estremise en cause. Il faut évidemmentobtenir le retour immédiatde Léonarda et de sa famille. Quelenfant peut assumer à 15 ans sascolarité sans sa famille ? On luidemande de choisir entre sa scolaritéen France et sa famille etcela n’est pas acceptable. Au-delàde ce cas, il faut garantir le nonengagement d’une procédured’expulsion contre les famillesdont un enfant mineur est encours de scolarité et contre lesjeunes majeurs en formation setrouvant en situation irrégulière.Affichage de la charte de lalaïcité à l’école,enseignement de la moralelaïque, la relance du débatsur la laïcité signifie-t-elleque l’école serait en pertede valeurs dans cedomaine ?CN. La laïcité c’est d’abord unenjeu social et politique qu’il fautdéfendre au vu des attaques quise sont multipliées ces dernièresannées. La laïcité constitue toujoursune promesse de liberté,d’égalité et de fraternité quilibère individuellement et collectivement.L’arrivée de cettecharte questionne quant à sonChristian NavarroChristian Navarro est secrétaire général adjoint du <strong>SNUipp</strong>-FSUsens et son utilisation. Que doitonen faire ? Comment s’approprierun tel moment deréaffirmation du cadre laïquedans l’enceinte de l’école ? Est-ceque la laïcité s’apprend, ou bienest ce qu’elle se construit en sevivant ? S’agit-il du retour engrâce d’une morale laïque, d’unnouveau gadget pour masquerpar des valeurs supposées partagées,la persistance d’un systèmesocial inégalitaire ? La seulerhétorique sur la laïcité, aussijuste et pertinente soit-elle, nesuffit pas comme le montre parexemple le grand intérêt de l’extrêmedroite pour la « défense dela laïcité » et son usurpation duconcept. Il faut que la laïcité soitliée à des formes de vie, de travailplus égalitaires et plus démocratiques,à l’école comme dansla société. Emancipation laïqueet émancipation sociale vont depair. Le débat sur la laïcité estplus que jamais d’actualité. Toutce qui relève de l’égalité fille-garçon,de l’éducation contre l’homophobieou contre le racisme,pour lesquels le <strong>SNUipp</strong>-FSU estporteur de demandes précises,sont des questions modernes etessentielles prenant toute leurplace dans un concept plus largede laïcité.La loi d’orientation et deprogrammation incite à lamise en place deProgrammes éducatifsterritoriaux. Quelle doit êtrela place des enseignantsdans ce processus ?CN. L’inscription des PEDT dans laloi se passe dans un contexte deréécriture des lois de décentralisation.Il existe aujourd’hui deréelles inquiétudes de voir certainescompétences de l’écoletransférées aux collectivités territorialeset de voir se développerdes inégalités supplémentaires.Nous refuserions toute dérive quiirait vers une subordination duscolaire au périscolaire. C’est à© mira / NAJA« Il faut que la laïcitésoit liée à des formesde vie, de travail pluségalitaires et plusdémocratiques, à l’écolecomme dans la société.émancipation laïque etémancipation socialevont de pair. »l’école que se construit la réussite,pour autant l’école doit travailleren complémentarité avecles acteurs des autres tempséducatifs, ce qui existe déjà. LesProjets éducatifs territoriauxpeuvent proposer un enrichissementculturel propice à la réussitescolaire. Travailler encomplémentarité nécessite deprendre en compte l’avis desenseignants. Avec la mise enplace de la réforme des rythmes,on a des exemples de ce qu’il nefaut pas faire. Dans des écolesqui sont passées à quatre jourset demi et où les maires ontdécidé de l’organisation dutemps scolaire sans, voire contre,l’avis du conseil d’école et doncdes enseignants, ça ne marchepas. Il y a des situations bloquéesavec des mobilisations d’enseignantset de parents. Il faut doncmettre en place des concertationsentre les enseignants et lespartenaires pour contribuer àaméliorer cette complémentaritééducative et permettre un enrichissementpour les élèves. Pourcela, il faut dégager du tempssupplémentaire, c’est indispensable.Au-delà se pose la questionde l’instance décisionnelle etdu mode de représentation desenseignants dans cette instance,de leur place dans l’élaborationet le suivi des PEDT.Propos recueillis par Pierre Magnetto


Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Retrouvez l’intégralité des vidéos de la 13 e université d’automne sur www.snuipp.fr13 e Enfant75etsociété


EnfantetsociétéAtelierIllettrismeDes actions éducativesfamilialesCoordonnateur national de l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme, Eric Nedelec,démontre que la réussite éducative est une responsabilité à partager entre de nombreuxacteurs. À condition que chacun, à la place qu’il occupe dans cette chaîne éducative intervienneen complément de toutes les autres. Et qu’un rôle particulier soit octroyé aux parents.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201376q La mise en confiance, la première marchePour lutter contre l’illettrisme, lapremière marche est la pluscompliquée à franchir. Ellenécessite d’instaurer laconfiance. « Il faut sensibiliserles membres de la communauté éducative,les enseignants mais aussi les chefs d’établissementet les acteurs dit en coulissecomme les personnels techniques parexemple » évoque Eric Nedelec. Et de noterqu’il existe une différence entre avoirquelques difficultés avec la langue et êtredans une problématique d’illettrisme. « Sion ne rend pas compte de cette situation,on ne peut pas aider les gens. Je prends unexemple, les enseignants conseillent auxparents de lire chaque soir un libre à leursenfants. Pour quelqu’un en situation d’illettrismec’est une double peine, ne pas savoirlire et ne pas pouvoir accompagner sonenfant sur le chemin de la réussite ». A cetitre, Eric Nedelec évoque le cas de deuxdirectrices d’école Maternelle de ChâteauChinon. « Sans avoir été sensibilisées à laquestion, elles ne pouvaient imaginer qu’ily avait dans leur classe, une dizaine d’enfantsdont les parents étaient confrontés àce problème. « Le simple fait d’en prendreconscience est une immense avancée. Celapermet une autre posture de communication.Et s’il y a bien un espace qui peut setransformer en lieu de confiance c’estl’école, puisque les parents sont forcementamenés à s’y rendre un jour ou l’autre. Laformation à cette démarche est primordiale.Ce n’est pas si difficile. Certaines académiesont pris la décision de mettre en place unesensibilisation adaptée. Après, on pourrapasser au reste ».© TRÉVIERS / NAJA


13 e Enfant« Les parents ? Un rôle central »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Quelle est l’évolution del’illettrisme en France ?EN. Le taux d’illettrisme a baisséen France entre 2004 et 2012,puisque nous avons renouveléavec l’INSEE l’enquête IVQ, enutilisant le même outil de mesure.Nous sommes passé de 9 % de lapopulation des 18-65 ans ayantété scolarisé en France, soit3 100 000 personnes, à 7 % decette même population, ce quireprésente 2500000 personnes.Même si la baisse est significativele problème est encore importantet nécessite plus que jamais unepoursuite de la mobilisation. C’estla méthode de travail « réunirpour mieux agir » qui a permis,nous en sommes persuadés,d’obtenir ces résultats.En quoi consistent les actionséducatives familiales ?EN. La démarche des Actions Educativeset Familiales (AEF)s’adresse à des familles dont lesparents peuvent être en situationd’illettrisme. Les AEF, démarcheinnovante, font le pari que lamobilisation des parents est plusfacile et plus forte au moment destemps clés de la vie scolaire desenfants. Un déclic peut alors seproduire pour faciliter leur engagementdans une démarche deréacquisition des savoirs de baseet pour leurs enfants grâce à l’installationd’un climat de réussiteéducative. Mobiliser des parentsd’élèves par le biais d’actions auxquellesparticipent leurs enfants,permet de faciliter l’entrée dans laculture de l’écrit pour ces enfantset aide ces parents à construireune relation positive avec l’écoletout en s’engageant pour réapprendrela base de la base.Comment partager laréussite éducative entredifférents acteurs ?EN. La première des règles, le principede base, et il n’est pas nouveauc’est de considérer queÉric NedelecÉric Nedelec est le coordonnateur national de l’Agence Nationale de Luttecontre l’Illettrisme. Il a débuté sa carrière professionnelle il y a trente-deuxans comme instituteur, pour ensuite prendre des responsabilités auxFrancas, mouvement d’éducation populaire. Avant son arrivée à l’ANLCI en2004 il était conseiller en formation continue dans l’Éducation nationale. Ilcoordonne aujourd’hui le plan national d’action et l’action territoriale del’ALNCI et il assure le lien avec tous les grands partenaires.l’Education est l’affaire de tous etque chacun a sa place à la placequi est la sienne. Si l’école occupeévidemment une place centrale,elle ne peut pas tout toute seuleet elle ne doit pas porter seule laresponsabilité de la réussite éducative.Parler de partage est trèsjuste, mais dans ce partage lesparts que prennent chacun nesont pas ni de la même taille, nide la même nature, ce qui estimportant c’est la somme detoutes ces parts. Et lorsqu’onparle des acteurs qui participentà la réussite éducative, aucun nedoit être oublié et notammentcelles et ceux que nous appelons« Il faut sensibiliser,informer, outiller. »les acteurs en coulisse, qui ont unrôle déterminant notammentavec les familles populairesQuelle place peuventoccuper les parents ?EN. Avant de s’interroger sur laplace qu’ils peuvent occuper, ilfaut se poser la question de laplace qui leur est accordée, etsurtout de la place que peuventprendre, y compris au milieu deleurs pairs, les parents en situationd’illettrisme. Il n’est jamaissimple d’être reconnu quand onest pour un grand nombre de raisonséloigné de l’école. Cetteplace pour certains parents est àconquérir.Comment leur permettre dedevenir acteur de ladémarche ?EN. Le plus important est de les© mira / NAJAmettre en confiance, de leur montrerqu’ils sont considérés commedes alliés. Cela implique une certainebienveillance à leur égard etsurtout d’être conscient des difficultésque rencontrent celles etceux qui ont du mal avec la lectureet l’écriture. C’est parfois avectoutes les bonnes intentions dumonde que l’on n’incite pas lesadultes parents en situation d’illettrismeà se sentir, eux aussi, légitimespour accompagner lascolarité de leurs enfants.Quels sont les exemples d’unedémarche partenariale ?EN. Les exemples de démarchespartenariales sont nombreux, ilsentrent parfois dans le cadre dedispositifs, je pense notammentaux contrats d’accompagnementà la scolarité. Ce qui est importantlorsqu’on parle de partenariat c’estde s’interroger sur la nature dupartenariat et sur son objet. Le travailpartenarial doit générer del’action ou venir de l’action, tous lescadres partenariaux qui existent nesont pas pour autour générateursd’activités partenariales.Quelles sont les propositionsactuelles pour lutter contrel’illettrisme ?EN. Il faut continuer ! Continuer àmettre en œuvre cette méthodede travail collective qui produitdes résultats. Il faut sensibiliser,informer, outiller et permettre endisposant de données claires,comparables d’orienter les actionsde chacun.Comme beaucoup de nos partenairesla Ligue de l’Enseignementn’a pas forcément et je dirais« heureusement » d’actions fléchéesillettrisme. C’est à travers lesactions éducatives, culturelles,citoyennes, associatives, récréatives,qu’elle permet à des enfants,des jeunes et des adultes d’avoird’abord accès à ce qui pourrafavoriser leur émancipation.Propos recueillis par Fabienne Berthet77etsociété


EnfantetsociétéAtelierMédicalisationLes causes de l’échechors de l’école ?À quoi sont dues les difficultés d’apprentissage d’un élève ? Quelle réponse y apporter ? PourStanislas Morel, on assiste actuellement à la diffusion d’interprétations imputant l’échec scolaireà des causes médico-psychologiques. Et la tentation est grande de faire appel à d’autresprofessionnels au risque d’éloigner les réponses pédagogiques de l’école.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 2013©NETANGE/NAJA78q D’un certain usage de la psychologie à l’écoleUne enseignante parle des difficultésd’un de ses élèvesqui se manifestent en classepar son absence d’autonomie- il ne travaille pas si lamaîtresse n’est pas « derrière lui » - et parun manque de respect des règles - il« copie », il est parfois perturbateur. Selonelle, le problème n’est pas seulement scolaire.Il ne s’agit pas non plus d’un problèmed’intelligence : « J’ai dit au père que le problèmec’était qu’il n’arrivait pas à se mettreau travail parce qu’il était parasité par deschoses ». L’enseignante mobilise ici desexplications psychologiques. Elle auraitpourtant pu utiliser la sociologie et mettreen avant l’incompréhension par l’élève desexigences scolaires liée à la distance entreles socialisations familiale et scolaire. Cetexemple est tiré d’une étude de StanislasMorel qui s’est intéressé à l’usage social dela psychologie d’inspiration psychanalytiquepar les enseignants d’une école primaireen ZEP* pour expliquer les difficultésscolaires de leurs élèves. Le chercheur noteque tous les enseignants n’utilisent pas cetype d’explications avec la même aisanceet le même sentiment de légitimité. Il metaussi en évidence le rôle de cet usage pourcomprendre et agir. Pour le chercheur, lerecours à la psychologie participe de lanécessité pour les enseignants de croire enla possibilité d’action et de résolution - fûtellepartielle - des difficultés scolaires. Cesexplications, sur des problèmes sur lesquelsles enseignants considèrent n’avoir que peude prises, induisent la délégation des dits« problèmes » aux spécialistes.*MOREL (Stanislas) les professeurs des écoles et lapsychologie. Les usages sociaux d’une science appliquée.Sociétés contemporaines, 85, 2012


13 e Enfant« La pédagogie sort de l’école »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Vous parlez demédicalisation de l’échecscolaire. De quoi s’agit-il ?SM. Il désigne le fait d’appréhenderles élèves en échec scolairecomme des patients. Ce termeenglobe aussi la psychologisation,même si les « psys » essayent souventde démédicaliser leurapproche. Il y a médicalisationchaque fois que les élèves sontreçus par des professionnels dusoin que ce soit dans le domainemédico-social comme dans lesCMPP ou dans les centres de référencedu langage qui traitent lestroubles de la galaxie des « dys- ».Ce phénomène est-ilnouveau ?SM. Non, les approches médicopsychologiquesdes difficultésscolaires remontent à la fin duXIX e , par exemple avec les tests deBinet-Simon. La dyslexie est unecatégorie qui a un siècle d’existence...Ce qui est nouveau, c’estl’ampleur du phénomène et lerenouveau des approches organicisteset génétiques. La tentationest aujourd’hui grande d’imputerl’échec des fameux 15 à 20 % d’enfantsen difficulté à des troublesmédico-psychologiques, à des« besoins éducatifs particuliers »principalement définis à partir decritères médicaux.Comment expliquez-vouscette évolution ?SM. Elle est d’abord la conséquencedirecte de la montée en puissancedes neurosciences cognitives audétriment de la psychanalyse etdes sciences sociales. Mais cetteraison n’est pas suffisante. Ellerésulte aussi des redéfinitions del’échec scolaire (recentrage sur lessavoirs fondamentaux, individualisation,multiplication des modesde ciblage des enfants en difficulté,etc.) qui favorise lesréponses médico-psychologiques.Le recours à des professionnels dusoin procure aux enseignants desStanislas MorelStanislas Morel est maître de conférences à l’université de Saint-Étienne eteffectue ses recherches dans le cadre du laboratoire Éducation, cultures etpolitiques. Ses premiers travaux ont porté sur les rapports entre classespopulaires, culture savante et culture scolaire (Une classe de ZEP à l’Opérade Paris, Réseaux, 137, 2006). Poursuivant les recherches initiées lors de sathèse (L’échec scolaire en France (1960- 2010). Sociologie d’un champd’intervention professionnelle, thèse pour l’obtention du doctorat ensociologie, EHESS, 2010), il se consacre actuellement à l’analyse de laconstruction sociale du problème de l’échec scolaire.solutions opératoires : on identifieune difficulté, un spécialiste, untraitement. Les familles jouentenfin un rôle central car ellestendent de plus en plus à s’appropriercertains diagnostics peu stigmatisants(troubles spécifiquesdes apprentissage ou précocitéintellectuelle) pour revendiquerdes adaptations scolaires.Comment expliquez-vous labanalisation du recours auxorthophonistes ?SM. Le recentrage sur les savoirsfondamentaux a eu pour conséquenceune focalisation sur l’apprentissagede la lecture. L’accentest désormais mis sur l’apprentissagesystématique des correspondancesgrapho-phonémiques. Or,devant des classes hétérogènes,les enseignants tendent à déléguerune partie de ce travail, parfoisjugé répétitif et moinsintéressant que le travail sur lesens, aux professionnels du soin, àcommencer par les orthophonistes.Les orthophonistes sontaujourd’hui 20 000 contre 160dans les années 1960. Ce recourss’explique également par un principede précaution, les enseignantspensant que « ça ne peutpas faire de mal » aux élèves. Ilsn’ont pas toujours conscience quel’orthophonie est une professionparamédicale.Quels sont les effets de cettemédicalisation ?SM. La question des territoires professionnelsest en jeu. Les lieux deproduction des savoirs pédagogiquess’éloignent du monde scolaire.Les psychologues© BILAL / naja« Elle est laconséquence directe dela montée en puissancedes neurosciencescognitives. »cognitivistes et les médecins quidétiennent une forte légitimitéscientifique s’imposent dans ledébat pédagogique. Sur la lecture,Stanislas Dehaene, psychologuecognitiviste au Collège de Francea davantage d’audience queRoland Goigoux, professeur desciences de l’éducation. L’enquêteque j’ai réalisée dans un centre deréférence du langage montre quece type d’institution est avant toutdes lieux de production d’unepédagogie scientifique inspirée dela psychologie cognitive et despratiques rééducatives des professionsparamédicales. Cette pédagogies’adresse aux élèves atteintsde « troubles » mais aussi à l’ensembledes élèves.La médicalisationapporte-t-elle des solutionsà l’échec scolaire ?SM. Les neurosciences le prétendent.Mais, elles vont devoiradministrer la preuve de l’efficacitéde leurs approches au sein desclasses. Ce qui est loin d’êtreévident. En fait, il me semble queles controverses actuelles entreneurosciences et approches inspiréesde la psychanalyse rejouentau sein du monde médical certainesgrandes questions qui traversentl’éducation et plusparticulièrement les débats surl’échec scolaire. Quelle placeaccorder aux savoirs scolaires ? Lacause des difficultés doit-elle êtrecherchée dans l’histoire du « sujet »ou dans une défaillance technicopédagogique? Je ne pense pasque le transfert de ces questionsau monde médical permettent d’yapporter une réponse définitive.Propos recueillis par Lydie Buguet79etsociété


EnfantetsociétéAtelierHandicapQuels accompagnements ?La loi demande à l’école de devenir « inclusive », d’accueillir sans discrimination tous lesélèves en situation de handicap et, plus largement, tous ceux qui présentent des « besoinséducatifs particuliers ». Au-delà des termes, qu’est-ce que cette ambition signifie pour lesystème scolaire et pour les enseignants ?© tréviers / NAJA13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201380q l’inclusion progresseÀla faveur de la loide 2005, la scolarisationdesenfants handicapésn’a cesséd’augmenter. Ainsi, la scolarisationindividuelle a progressé deprès de 30% entre 2007 et 2012,tandis que le nombre d’élèvesscolarisés en CLIS augmentaitde 15%. Cette généralisation del’inclusion s’est accompagnéed’une hausse du nombre d’AVSpour assurer l’accompagnement,individuel ou collectif. LesAVS sont des personnels nonqualifiés et embauchés à tempspartiels. Les annonces sur latitularisation d’une partied’entre eux et sur leur professionnalisationconstituent unepremière avancée pourrépondre aux besoins de scolarisationalors que 13 000 enfantsdemeuraient sans aide spécifiqueà la rentrée 2013.50 00040 00030 00020 00010 00017 28921 78130 44536 01038 93045 1792007 2008 2009 2010 2011 2012Nombred’AVSSource : questions des parlementairessur les projets de loi de finances


13 e Enfant« S’interroger sur les réponsespédagogiques et extra pédagogiques»Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Comment expliquer quetous les pays n’aient pas lamême définition desenfants à besoin éducatifparticulier (BEP) ?JP. La définition des BEP recouvredes réalités différentes selon lestraditions culturelles de chaquesystème éducatif. En France, ilexistait depuis plusieurs décenniesune classification traditionnellequi distinguait les élèves endifficulté scolaire (qui relèvent dedispositifs pédagogiques à l’intérieurdu système scolaire) desélèves handicapés. La définitiondes BEP peut faciliter l’actionpédagogique mais le risque estde vouloir faire entrer dans lacatégorie « handicapé » desenfants qui ne présentent pas dedéficiences au risque de les stigmatiser.L’avantage de cettenotion très large est qu’elleoblige les systèmes éducatifs às’interroger d’une façon ouvertesur les réponses pédagogiques etextra pédagogiques à apporter àces besoins, quels qu’ils soient…La loi du 11 février 2005a-t-elle favorisé l’inclusion ?JP. L’inclusion consiste à mobiliserdes modalités d’accompagnementspécifiques pour faire réussirdans leur scolarité les enfantshandicapés et non pas à les intégrerpar une simple participationphysique aux parcours scolairesdes autres élèves. La loi de 2005est bonne car elle accompagneet permet d’accélérer un processusd’évolution des mentalités,des dispositifs et des pratiquesprofessionnelles. Cette loi a permisà l’école de devenir accessibleà tous les élèves, et d’évitertoute discrimination dans l’accèsaux apprentissages. On n’est plusdans la juxtaposition de dispositifsparticuliers qui concerneraientdes catégories identifiéesmais dans une sorte de « lettre demission » ou de feuille de routeglobale pour l’école.José PUIGAprès avoir exercé différents métiers de l’éducation, José Puig a participéà la rédaction du plan Handiscol de 1999 et dirigé l’associationHandidactique i = mc² dont l’activité porte sur la formations aux pratiquesd’accompagnement des personnes en situation de handicap.Actuellement directeur de l’INS HEA (Institut de formation et de recherchepour l’éducation des jeunes handicapés), José Puig a participé à l’ouvrage« Handicap et accompagnement » (Dunod 2009).Que pensez-vous del’accompagnement par desAVS ?JP. Les AVS répondent à un réelbesoin d’accompagnement envenant compléter l’action desenseignants pour permettre à desenfants de suivre leur parcoursscolaire. Cependant, la technicitéprofessionnelle de ces personnelsest faible aujourd’hui, ce qui estpréjudiciable pour les enfants etleurs familles qui n’ont pas degaranties sur la qualité de l’accompagnement,mais aussi pour lesAVS qui peinent à trouver leurplace et à être reconnus. Enfin,situation paradoxale, c’est unmétier très complexe qui s’exercesans qualification. Ce métier d’AVS,encore mal défini, commenceenfin à trouver la reconnaissanceinstitutionnelle souhaitable avecles récentes annonces ministériellessur leur professionnalisation.Comment articuler denouvelles professionnalitésavec celles déjà existantes ?JP. On est dans une constellationd’acteurs dont les cultures professionnellestrès différentes sonttrop cloisonnées. Il faut trouverdes complémentarités entre lesdifférents professionnels : les PE etles AVS mais aussi les ATSEM, lesintervenants des établissementset services médico sociaux (psychologues,orthophonistes, éducateursspécialisés,ergothérapeutes, kinésithérapeutes,etc.), les intervenants libéraux,les équipes de santé (CMP,pédopsychiatres), mais aussi lafamille qui est un acteur fort del’inclusion… La condition à la réussited’un parcours d’inclusionpasse par l’organisation de tempsde formation en commun pour© mira / NAJA« Un enfant ne peut pasêtre citoyen d’uneclasse s’il en est unmembre intermittent…. »professionnaliser la collaborationentre tous ces acteurs.Certains de ces élèves sontscolarisés à temps partiel. Oùsont-ils le reste du temps ?JP. C’est un vrai problème. Danscertains cas la scolarisation àtemps partiel est une manière dedire « on accueille » mais a minimaparce qu’on ne peut pas refuser…Ce n’est pas la logique de l’inclusionet les effets sont pervers. Parexemple en maternelle, c’est lacontinuité de la scolarisation quipermet aux enfants d’entrer dansles apprentissages. Un enfant quiest présent 2 ou 3 demi-journéespar semaine ne peut pas êtrecitoyen d’une classe s’il en est unmembre intermittent… Mais la scolarisationà temps partiel est parfoisinévitable. L’enfant peut avoirbesoin de temps de rééducation,de soins ou d’activités d’accompagnementmédico-social…Quels sont les droits desparents ?JP. Avec la loi de 2005 on est dansune logique de droit des familleset des enfants. La CDAPH (commissiondépartementale) est leprescripteur du temps d’accompagnement(AVSi, AVS-co, etc…)et de la prise en charge (médicosociale,soins à domicile). Maiselle ne peut pas imposer desformes de prise en charge qui neconviendraient pas aux familles.Par contre, des parents à qui onrefuserait une scolarisation, oudont l’enfant ne disposerait pasde l’accompagnement prescritnécessaire, sont en droit d’engagerdes recours. Ils sont de plusen plus nombreux à le faire.Propos recueillis par Vincent Martinez81etsociété


EnfantetsociétéAtelierImmigrationLes enseignantsen porte à fauxGéraldine Bozec a étudié sur les écoles de Nice, de Brest, de Nantes et de la régionparisienne les questions de l’immigration et la diversité ethnoculturelle à l’école, tellesqu’elles sont perçues et vécues au quotidien par les enseignants de l’école primaire.q Quelles couleursdans la rue du monde ?La littérature de jeunesse a elle aussi du mal à mettre enscène les visages et les couleurs de la diversité. PourAlain Serres, directeur de la maison d’édition Rue dumonde, elle a pourtant un rôle à jouer et les enseignantspeuvent l’y aider. Il nous explique son approche.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201382123« La lutte pour faire vivre auprès des enfants les atouts de nos différences,ne peut se priver d’aucune forme éditoriale et nous ytravaillons. La poésie renvoie par essence à notre humanité communeloin de toute forme de frontière. Attention : la négliger n’estpas sans conséquence sur la qualité du « vivre ensemble » d’unpays. Le conte va souvent à l’essentiel des rapports sociaux, etcréée des ponts de papiers entre les cultures, ainsi notre recueil« Les contes de l’olivier » réunit-il dix-huit contes juifs et arabesdans de fraternelles similitudes, qui parlent bien plus que de longsdiscours. « La fiction permet toutes les projections du jeune lecteurdans d’autres possibles. Et l’humour donne des ailes à des récitsqui sans lui pourraient s’avérer lourds et discursifs.Mais je pense que l’on ne peut se passer du documentaire, alliantinformations, culture humaniste et esprit critique. Des documentairesqui apprennent aux enfants à documenter leurs regards ; uneposture citoyenne décisive pour faire reculer l’ignorance et la manipulationdes esprits. Des clés historiques sont en particulier indispensablespour que les enfants puissent poser des balises dans cemonde tumultueux. Pourtant, j’ai le sentiment que nous ne faisonspas assez, en particulier pour une représentation naturelle et spontanéede la diversité des visages, et des modes de vie de notre pays.Il nous faut davantage de livres qui ne montrent pas des souriresafricains que lorsqu’on veut s’exprimer sur le racisme ! Des livresoù des visages asiatiques sont bienvenus pour parler petite enfanceou plaisir du jardinage ! L’enfant moyen, à la peau caramel clairn’existe pas et les livres jeunesse peuvent mieux faire pour refléternotre vivifiant kaléidoscope.Les enseignants peuvent nous aider en cela, dans l’audace de leurschoix de livres ou au travers des souhaits qu’ils expriment. Secouerles clichés demande bien des efforts ! »123Image de Laurent Corvaisier, extraite de Lafamille Totem, Rue du monde, 2002.Image de Lucile Placin, extraite de À l’écolearc-en-ciel, Rue du monde, 2013.Image de Judith Gueyfier, extraite de Je seraitrois milliards d’enfants, Rue du monde, 2009.


13 e Enfant« Une appartenance nationale, quiest pensée sur un mode unitaire »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Vous avez étudié la placedans l’école des enfantsissus de l’immigration...GB. J’ai mené une enquête qualitativeentre 2003 et 2006 dansdes écoles primaires situées dansdes villes où l’immigration estancienne et importante (commeà Paris ou à Nice) ou plus faible(comme à Nantes et à Brest) etdans des quartiers différentssocialement (populaires, mixtesou plus favorisés). Les questionsrenvoyant à l’immigration, à lanation et à sa pluralité sont trèsprésentes dans les débats publicsdepuis trois décennies. Enrevanche, elles sont très peu traitéesdans les prescriptions officiellesdu Ministère de l’Educationnationale et dans les programmesscolaires récents.Très peu traitées,c’est-à-dire ?GB. Dans les programmes scolairesdu primaire de 2008, par exemple,on ne parle pas de l’histoire del’immigration. Plus largement, lapluralité des groupes et des référentsculturels et religieux dans lasociété française (passée et présente)est peu illustrée dans lescontenus d’enseignement. Ce queles instructions officielles prescriventsurtout, c’est d’apprendreaux enfants une appartenancenationale, qui est pensée sur unmode unitaire. Et, en matière delaïcité, ce sont surtout les interditsqui touchent l’expression des identitéset croyances religieuses quisont mis en avant. Autrement dit,on parle de ce qui pourrait rassemblerles enfants, mais peu dece qui fait leurs différences et leurindividualité : leur histoire familiale(qu’elle renvoie à l’immigration ounon), leurs origines multiples, lessingularités individuelles X ou Y.C’est plutôt vécu comme un problème,cette question de la pluralitéet des différences. L’école doitfabriquer du commun mais cetteconstruction ne peut reposer surGéraldine bozecGéraldine Bozec est docteure en science politique, chercheuse associée auCentre d’études européennes de Sciences Po et enseignante en sociologiede l’éducation et sociologie politique à l’Université de Rennes. Sesprincipaux thèmes de recherche sont la socialisation politique à l’école, lacitoyenneté et les identités collectives (appartenances ethniques etreligieuses, rapport à la nation et à l’Europe). Sa thèse portait sur lasocialisation civique des enfants à l’école primaire en France, avec unéclairage comparatif fondé sur le cas anglais.la négation de la pluralité.Et ça, c’est pour vous unedifficulté en matièred’intégration ?GB. Ce qui est une difficulté, c’estsurtout qu’on laisse les enseignantsse débrouiller avec cesquestions. Il ne s’agit pas d’opéreren classe des assignationsidentitaires (du type « toi,raconte-moi ton pays »), sachantque beaucoup d’enfants désignéscomme étant « issus de l’immigration» ont en fait des parentsqui sont eux aussi nés en Franceet n’ont pas forcément de lienavec un pays « d’origine ». Lesrevendications ethniques et religieusesqui existent dans certainscontextes scolaires sont inséparablesde sentiments d’exclusionscolaire et sociale, et c’est surtoutà cela qu’il faut répondre. Mais cequi me parait dommage, c’estque les enseignants ne soient passuffisamment armés pour penserces questions et donc agir. Commentappréhender l’histoire de laFrance et la société françaiseactuelle autrement qu’en termesd’unité seulement ? Commentprendre en compte au quotidienla pluralité des référents au seindu public scolaire ?Et donc comment lesenseignants de votreenquête agissent-ils auquotidien sur ces enjeux ?GB. Il y a beaucoup de différencesen fonction du contexte d’enseignement,mais aussi et surtoutdes profils enseignants… Certainsenseignants de mon enquêtetiennent un discours très positif© mira / NAJA« Dans les programmesde 2008, on ne parle pasde l’histoire del’immigration »sur la pluralité des origines dansleur classe, perçue comme une« richesse ». Il s’agit là d’enseignantspolitisés qui mettent encause la stigmatisation des populationsissues de l’immigrationdans la société, ou d’enseignantsqui accordent beaucoup d’importancedans leur pédagogie engénéral à la parole de l’enfant et àsa singularité. Dans un second casde figure, certains enseignantsenquêtés (qui rejoignent là uneconception républicaine plusrépandue dans les débats français)craignent que l’attachementmanifeste de certains élèves à unpays d’origine ou à l’islam signifieun rejet de la France et des autrescitoyens. Enfin, dans un troisièmecas de figure, on peut identifierchez certains enseignants unevision plus homogène de la nation,qui associe la France à une traditioncatholique.Les enseignants nes’obligeraient pas à cetteneutralité de la laïcité dansleurs pratiques de classe ?GB. Si, bien sûr : très rares sont lesenseignants qui affichent leurscroyances religieuses (ou leur noncroyance) en classe. Mais demanière générale, enseigner anécessairement à voir avec ce quel’on est. Les enseignants enquêtésmettent donc plus ou moins l’accenten classe sur la diversité desidentités des enfants, ou encoresur la lutte contre le racisme. Audelàde ces variations, on notetout de même qu’ils agissent dansun contexte institutionnel qui neles aide pas à penser et à valoriserla singularité individuelle ni la pluralitéinterne de la nation.Propos recueillis par Francis Barbe83etsociété


EnfantetsociétéAtelierLaïcitéApprendre à vivreensembleLe débat autour des cours de « morale laïque » et de la « charte de la Laïcité » brouille les lignesde clivage habituelles. Pierre Tournemire explique les éléments de la controverse afin quesoient clarifiées les positions héritées de l’histoire, des diverses approches philosophiques oudu cadre juridique et précise les enjeux de cet enseignement.© tréviers / NAJA13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201384q Europe : à chacun son modèleLes pays européens ont des traditionsbien différentes enmatière de laïcité. Les Pays-Bas,la Grande-Bretagne se rapprochentde la Norvège où uncours de morale « philosophie et éthique »rassemble religion et laïcité dans unmême enseignement. C’est le fruit d’unedéconfessionnalisation où l’on trouvemoins de références religieuses et plusd’éthique.En Belgique, les élèves peuvent choisirentre plusieurs cours de morale inspiréspar la religion catholique, protestante,anglicane, juive, musulmane, bouddhisteou alors non confessionnelle, c’est-à-direlaïque (introduite depuis 1958). Cet enseignementsurvole des thèmes variés :l’identité, le handicap, le racisme, l’égalitédes sexes, les droits et devoirs des enfants.Cela tend cependant plus à séparer lesconfessions qu’à les rapprocher et relèguela morale à un choix par défaut.En Allemagne, où le crucifix orne lesclasses bavaroises, les enfants suivent descours de religion dont le contenu est définipar chaque Land avec les églises. Lesélèves qui ne veulent pas les suivre sevoient proposer des heures d’éthique. Lessignes religieux ne sont interdits qu’auxenseignants et une récente décision amême autorisé le port du burkini en coursde natation. L’instauration d’une moralelaïque est très difficile à mettre en œuvredans les pays à forte tradition catholique.En Italie, pas de cours de morale mais lesélèves ont la possibilité d’être dispensésd’enseignement religieux. Quant à l’Espagne,le concordat y est toujours envigueur. Le débat est devenu politique : legouvernement socialiste avait instauré« un enseignement pour la citoyenneté ».Depuis son retour au pouvoir, la droitetente de réhabiliter l’enseignement religieuxdans le public.


13 e Enfant« Les enjeux de l’enseignement laïquede la morale »Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Le consensus autour ducaractère laïque de l’Ecolefrançaise vole en éclats.Pourquoi ?PT. Le consensus portait sur la laïcitéde l’école publique, le débatrestant entier sur le financementde l’enseignement privé ! L’écoles’adresse aujourd’hui à des jeunesqui baignent dans les moyensmodernes de communication etqui passent plus de temps devantla télévision, leur ordinateur ouleur portable qu’à l’école. Ils nesont pas vierges de connaissancesque seul le maître leur apporterait.Ils arrivent à l’école avec des idéeset des représentations et le désirde les exprimer. L’attitude deconfiance, voire de déférence, faceà l’école et à l’enseignant est remplacéepar la revendication pourchaque élève de l’affirmation desa singularité, de la liberté de sonimage et de son apparence et parla volonté de faire prendre encompte l’expression de ses convictionset de ses différences. Laréponse pour fixer les limitesacceptables de cette expressionn’est pas évidente pour une écolequi n’a jamais su gérer la diversité.« De la difficulté àgérer la diversité. »Pierre TournemirePierre Tournemire est depuis sa retraite professionnelle vice-présidentde la Ligue de l’enseignement en charge de la laïcité. Instituteur àl’origine, sa carrière professionnelle a été faite au sein de la Ligue del’enseignement, comme permanent régional Midi-Pyrénées d’abord de1974 à 1982, puis secrétaire général de la Fédération des œuvres laïquesde la Haute Garonne de 1982 à 1992 et comme secrétaire généraladjoint national de 1992 à 2009.Quels sont les éléments decette controverse ?PT. Si tout le monde s’accorde surle respect de la liberté deconscience des élèves, il y a desapproches différentes pour lagarantir. On peut estimer qu’ilfaut privilégier l’exercice de laliberté et non la contrainte pourune expression bénéfique de ladiversité sous les seules limitesqu’elle respecte les libertés fondamentales,les personnes et lebon fonctionnement de l’établissementou considérer que laliberté de conscience passe parun apprentissage et l’émancipationet donc exige qu’elle soitlibérée des contraintes religieuses.Même si ces approchesne s’expriment pas de façon aussicaricaturale, elles surgissent inévitablementdès lors qu’on promeutune « charte de la laïcité »ou un enseignement de la moralecar il ne suffit plus alors de s’accordersur de grands principesmais sur une déclinaison concrètede leurs contenus.Un siècle après la loi de1905, les enjeux se posent-ilsde la même manière ?En 1905 les affrontements entrel’Eglise catholique et les républicainsétaient violents. Le conflitne portait pas sur la croyance oula religion : il était essentiellementpolitique pour résister aux prétentionscléricales de diriger lesconsciences et les comportementssociaux afin de pérenniserla République. La promotion dela laïcité était clairement au servicede la liberté, de l’égalité etde la fraternité. Aujourd’hui, laRépublique a à gérer une sociétépluriculturelle où s’expriment deplus en plus des revendicationsidentitaires et religieuses quiinterpellent nos traditions. Ledébat, hier politique et juridique,est devenu culturel et idéologique.Dans ce contexte où lacrise génère intolérance et peurde l’autre, le risque est que la laïcitésoit instrumentalisée pourpréserver une identité françaiseprétendument menacée, notammentpar l’islam et l’immigration.Comment éviter cettedérive ?PT. En faisant vivre l’esprit de la loide 1905 ! A l’époque, dans uncontexte d’affrontements violents,les législateurs ont eu la© BILAL / naja« Une mise en œuvreexigeante à l’écoleet dans la classe. »clairvoyance d’adopter une loicréant les conditions d’une pacificationdes esprits en assurant laliberté de conscience et engarantissant l’expression desconvictions de chacun. Ils ontdéfini, au nom des principesqu’ils avaient fixés, les conditionsd’expression d’une liberté individuellecompatible avec les libertésde tous. Les chemins de laliberté et de l’émancipation étantparallèles, ils pouvaient entraînerl’adhésion de tous. De la mêmefaçon aujourd’hui, il faut, d’unepart, indiquer clairement que lessingularités des convictions sontrespectées et qu’elles peuvents’exprimer à la condition de respecterles autres singularités, leslibertés de tous et la dignité dechacun. Il faut, d’autre part, créerles conditions du rassemblementpour construire des valeurs partagéesdans le respect de l’intérêtgénéral.La « charte de la laïcité »était-elle nécessaire ?Comment concrètement lamettre en application dansles écoles ?PT. Dans un climat passionnel, untexte solennel sur la laïcité s’imposait.On peut discuter lecontenu mais l’essentiel est danssa mise en œuvre qui exige uneformulation claire des finalités etune cohérence des programmesavec ces finalités. Elle doitconduire à des transformationsdes pratiques et à une harmonisationdes règles qui régissent lesrapports entre l’enseignant et lesélèves. Elle suppose évidemmentune formation des enseignantstant sur les contenus que pour lespratiques pédagogiques adaptées.Propos recueillis par Virginie Solunto85etsociété


EnfantetsociétéTABLE RONDEScolaireet périscolairePour une continuitédes temps éducatifsProjets éducatifs territoriaux, semaine à 4,5 jours, si elle n’est pas nouvelle la question du rôledes collectivités et des territoires dans les politiques éducatives est plus que jamais d’actualité.La prise en compte du temps global de l’enfant invite à une responsabilité partagée entre lesdivers acteurs, avec l’Éducation nationale en première ligne. Arnaud Tiercelin de la Ligue del’enseignement prône une continuité entre les différents temps éducatifs de l’enfant. En Ariège,les acteurs institutionnels et associatifs ouvrent des pistes avec un Schéma départemental pourles politiques éducatives concertées.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 2013© BILAL / naja86q En Ariège, une éducation partagéeà l’échelle des territoiresEn Ariège, les élèves de 80% desécoles disposent d’un accueil deloisirs associés à l’école. C’est lerésultat d’une politique qui,depuis une trentaine d’annéesassocie les acteurs institutionnels (Caissed’allocations familiales, Conseil général,Direction départementale de la cohésionsociale et de la protection des populations- anciennement Direction départementalejeunesse et sports – et de l’Education nationale.En 2012 ces partenaires ont élaboréavec les fédérations et associations départementalesd’éducation populaire* unschéma départemental pour les politiqueséducatives concertées en Ariège. Dans cedocument, les signataires « affirment dansune logique de complémentarité et de continuité,leur volonté de concertation, de coopérationautour de la mise en cohérence destemps et des espaces d’accueil éducatifs del’enfance, de la jeunesse et de la famille ». Ilssont regroupés autour d’une plateforme,« Territoires éducatifs ».L’objectif est de proposer aux collectivitésterritoriales des outils pour évaluer leurpolitique éducative, pour les accompagneret les soutenir dans leurs actions de miseen œuvre d’une action éducative locale.« Nous avons eu le déclic après la mise enplace par l’Education nationale de l’accompagnementéducatif » se souvientNadine Bégou, chargée de mission pour


13 e Enfantl’accompagnement des politiques éducativesconcertées en Ariège. Le dispositifqui consiste notamment en une aide auxdevoirs après la classe « a provoqué desconflits entre écoles et ALAE, suscitantdes dysfonctionnements ». Du coup,« nous nous sommes reposés la questionde ce que nous partageons et pouvonsmettre en commun » poursuit NadineBégou dont le poste est porté par la Liguede l’enseignement. Dès 2010 le travailpour la rédaction d’un texte de référencea été engagé à partir d’un questionnairesoumis aux parents d’élèves, aux élus, auxenseignants, aux associations, aux travailleurssociaux… à tous ceux qui interviennentdans le processus d’éducationde la petite enfance, de l’enfance et de lajeunesse.Un accompagnement pour lescollectivités territorialesCe texte de références communes autourdes politiques éducatives pose « 10 principesfondamentaux ». Les partenairess’engagent notamment à développer despartenariats locaux, à permettre l’accessibilitéà tous les publics de services etd’actions éducatifs. Ils souhaitent encoreassurer une continuité éducative entre lesdivers temps de l’enfant, faire toute leurplace aux parents, mais aussi développerl’éducation à la citoyenneté. Les questionsde ressources humaines,d’adaptation auxbesoins d’éducationnotamment par le biaisde la formation initiale etcontinue et de l’expérimentation,du pilotage etde la coordination auniveau des territoires,d’évaluation des actions et de développementdurable sont aussi posées dans ceréférentiel.Fort de cet outil, « Territoires éducatifs »propose aux collectivités qui le souhaitentet qui ont au moins entamé une réflexionsur le sujet, une convention de partenariat.Cette dernière prévoit un accompagnementet une aide fondés sur les 10engagements du référentiel. Afin de faciliterla participation des enseignants aux« Dix principesfondamentauxpour les politiqueséducatives localesde l’Ariège. »concertations et structures decoordination la DASEN a fléché6 des 24 heures dédiées à laconcertation à leur participationaux dispositifs. Le territoire pertinentretenu est celui des Communautésde communes, sur les21 que compte le département,8 ont signé uneconvention, 11 s’apprêtentà le faire, les 2 dernièresayant engagé une réflexion pourles suivre. Le schéma qui se veutpluriannuel couvrant la période2012-2015 survient aussi alorsque la plupart des écoles dudépartement sont passées à 4,5 jours parsemaine et qu’est lancé le dispositif desPEDT. Des projets éducatifs de territoirequi pour Nadine Bégou doivent être l’occasion« de renforcer les partenariats » ens’inscrivant dans le schéma départemental.* Foyers ruraux, Francas, Jeunesse en plein air, LéoLagrange, Ligue de l’enseignement, Loisirs éducationcitoyenneté, Office central de coopération à l’école,Pupilles de l’enseignement public.Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>EMBARQUEMENT IMMÉDIATPOUR UN PROGRAMMEENSORCELANT !Après Le Gruffalo et Le Petit Gruffalo, découvrez la nouvelleadaptation du livre de Julia Donaldson et Axel SchefflerLa sorcière dans les airs…AUCINÉMALE 27NOVEMBREGagnez des placesde cinéma et des albumspour votre classe en jouant surwww.cercle-enseignement.com/sorciere87Le règlement est délivré à titre gratuit à toute personne qui en fait la demande à l’Organisateur du Concours ou en ligne sur www.cercle-enseignement.com/sorciere.Conformément à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification ou de radiation des informations nominativesvous concernant sur simple demande à l’adresse du concours ci-dessus.EXTRAIT DU RÈGLEMENT - Les éditions Gallimard Jeunesse, 5, rue Gaston Gallimard, 75328 Paris Cedex 07, organisent du 12 au 24 novembre 2013un concours gratuit et sans obligation d’achat destiné aux enseignants de classes maternelles. Les 21 gagnants seront désignés par tirage au sort. Il estmis en jeu par l’organisateur les lots suivants : 30 places de cinéma et 5 livres La sorcière dans les airs pour la classe du premier enseignant tiré au sort,d’une valeur totale de 185 euros et 1 livre La sorcière dans les airs d’une valeur totale de 13 euros pour chacun des 20 gagnants suivants. Le règlementest déposé via depotjeux.com.etsociété


EnfantetsociétéTable ronde« Favoriser les cultures communesde tous les éducateurs »13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201388La question de laterritorialisation despolitiques éducatives n’estpas neuve ?AT. Le rapport entre l’école et lesterritoires est inscrit dans les problématiquesde l’Educationnationale de ces quarante dernièresannées. Une premièredémarche de territorialisation aété inscrite dans les politiquesnationales depuis les premièreslois de décentralisation au milieudes années 80. Elle visait à rapprocherl’action de l’Etat des territoires.Avec comme principesfondateurs une plus grandeproximité démocratique etl’adaptation de l’action publiqueaux besoins locaux. Cela a eu desconséquences, tout d’abord uneprogression continue de la responsabilitédes collectivitéslocales. Cependant la démarchereste partielle, car ces compétencesrestent encore non obligatoires,notamment dans lepériscolaire. C’est bien une desquestions actuelles. Souhaitonsnousinscrire une nouvelle obligationen matière éducative ce quiimplique une obligation demoyens de la part de l’Etat et descollectivités ? C’est un choix desociété et d’organisation de l’actionpublique et éducative.Quels en sont les principauxenjeux ?AT. La démocratisation de la réussite,a toujours été une priorité del’Éducation nationale. C’est l’ambitionde l’éducation prioritairequi date de 1985 et dont lesAssises auront lieu l’année prochaine.Et ce, même si l’inégalitéd’accès existe depuis longtemps« La démocratisation dela réussite, a toujoursété une priorité del’Education Nationale. »Arnaud TiercelinArnaud Tiercelin, actuellement responsable national des questionsd’éducation à la Ligue de l’enseignement, a par ailleurs exercé pendantune dizaine d’année des missions d’accompagnement de projetséducatifs territoriaux dans une fédération de la ligue de l’enseignementde la grande couronne parisienne.au cœur même de l’institution. Ladotation des communes sur letemps solaire varie ainsi entre 1 et10 ce qui donne la mesure de l’effortd’homogénéisation à accomplir.Autre point central,l’articulation, les complémentaritésde tous les temps, du mercrediaux vacances scolaires enpassant par le périscolaire avectous les acteurs éducatifs.Qu’est-ce que laresponsabilité partagée ?AT. Toutes les politiques territorialesdes années 90 et 2000 ontsouhaité faire de l’approche globaleen éducation, un principe,celui de la responsabilité partagéequi a été lancé par la loi de 1989.Cela consiste en la continuité del’ensemble des temps éducatifs,ce qui est essentiel pour la réussitedes jeunes. L’école ne peutarriver seule à relever le défi de ladémocratisation et de l’égalité. Ily a eu dès lors une grande mobilisationde la jeunesse et dessports, des Caisses d’allocationsfamiliales et de la politique de laville. Alors que paradoxalement,l’Education Nationale s’avère enretrait de ces questions depuis2003.L’ambition n’est pascomplètement réalisée ?AT. La marge de progression estencore importante. Il est très difficiled’obtenir des chiffres sur ladisparité entre les territoires. Iln’existe pas de dispositif permettantde faire le tour des structures,il y a celles qui sont labelliséescelles qui ne le sont pas, le paysageest éclaté entre des prescripteursdivers. Il reste encore unsaut quantitatif important à faire.Seulement un quart à un tiers desjeunes bénéficient actuellementd’une offre éducative hors dutemps scolaire. La réforme© mira / NAJA« Seulement un quartà un tiers des jeunesbénéficientactuellement d’uneoffre éducative horsdu temps scolaire. »actuelle nous ressaisit de cettequestion, et ne crée pas le problème.Il reste plus urgent quejamais de prendre en compte tousles temps scolaire mais égalementfamilial. La lutte pour la qualitééducative de tous ces temps« non formels » implique unemobilisation citoyenne, et uneprogression de la professionnalisationet dans le même temps ladéprécarisation des métiers del’animation (sportive, culturelle,…)Vous évoquez la nécessitéd’une gouvernancepartagée ?AT. La gouvernance partagée vade pair avec la démocratie locale.Il s’agit de développer les espacesde concertation, d’impliquer lesusagers, de favoriser les culturescommunes des éducateurs entravaillant sur des formationscommunes. Il importe que lesgens se rencontrent, débattentet réfléchissent ensemble. Celapeut passer par des ateliers danslesquels les parents se responsabilisent,des bénévoles se mobilisentpour créer via des actionscitoyennes la cohésion sociale etculturelle. La variété des actionsqui peuvent être menées est trèslarge. Cela peut être du co-voiturageen zone rurale. Dès que l’onassocie tous les acteurs, tout estpossible !Propos recueillis par Fabienne Berthet


grandinterviewAgnèsvan zantenLa sociologue Agnès Van Zanten, auteure de nombreux ouvrages et articles sur l’écoleet les phénomènes de ségrégation scolaire est intervenue à l’Université d’automne.Elle a développé le thème central de ses travaux de recherche sur les inégalitésd’éducation, les stratégies éducatives des familles, les dynamiques au sein desétablissements scolaires et les politiques éducatives nationales et locales. Rencontreavec l’auteure de L’école de la périphérie qui vient de publier Les Marchés scolaires.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201<strong>390</strong>© mira / NAJA


Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>« Le marché "officieux"de l’école française »Vous venez de publier avecles sociologues GeorgesFélouzis et Christian Maroyun ouvrage sur ledéveloppement de marchésscolaires. Qu’appelez-vousmarchés scolaires ?Notre définition du marché metplutôt l’accent sur les phénomènesde concurrence quipeuvent exister entre les établissementset sur le choix desfamilles. En France, malgré unsystème en principe très cadréautour de la carte scolaire, l’idéed’un marché scolaire s’est développéeparce que les usagers ontle sentiment qu’il n’y a pas d’homogénéitéde l’offre éducative.L’enseignement privé s’est diversifié,n’étant plus seulement centrésur une offre religieuse ouidéologique mais pouvant parexemple proposer un enseignementdestiné aux élites, un enseignementde rattrapage, unenseignement avec beaucoupd’encadrement ou encore unenseignement novateur. A l’intérieurmême du service public,plus qu’une différenciation entreétablissements, on constate unehiérarchisation. L’idée a fait sonchemin que l’Etat ne garantissant« L’idée a fait son cheminque l’Etat negarantissant paspartout la qualité duservice publicd’éducation, tous lesétablissements ne sevalent pas. »AgnèsVan ZantenAgnès Van Zanten est sociologue, directrice de recherche au CNRS. Elletravaille à l’Observatoire Sociologique du Changement et enseigne àSciences Po. Elle dirige également la collection « Éducation et société »aux Presses universitaires de France. Ses thèmes de rechercheconcernent les inégalités d’éducation, les stratégies éducatives desfamilles, les dynamiques au sein des établissements scolaires et lespolitiques éducatives nationales et locales.pas partout la qualité du servicepublic d’éducation, tous les établissementsne se valent pas.Quelles en sont lesconséquences ?Ce phénomène génère des pratiquesde choix de l’école ou del’établissement chez les familles,débordant le cadre administratifde la carte scolaire et auxquellesl’Etat a lui-même ouvert la porte.Certes on peut toujours choisirde se tourner vers l’enseignementprivé si l’on n’est pas satisfaitdu public, mais les mesuresd’assouplissement de la cartescolaire, la multiplication desoptions, ont un effet similairedans l’enseignement public. Etpuis, au-delà de ces choix scolaires,il y a aussi la stratégie desfamilles qui consiste par exempleà choisir son lieu de résidence enfonction de l’école du secteurdont on dépend.Aujourd’hui on peut dire qu’ilexiste en France, en tout casdans les grandes villes, des phénomènesde marché scolaire quenous appelons dans notre livredes marchés « officieux » parceque, contrairement à d’autrespays, il n’y a pas une politique demarché qui s’affiche clairementcomme telle. On peut dire que lemarché s’est construit par le bas,par les stratégies des établissements,qui cherchent à capter lesmeilleurs élèves et par celles desparents qui cherchent à fuir lesétablissements qu’ils estimentde mauvaise qualité et par cellesdes autorités locales qui tolèrentun certain nombre de pratiques,entre autres parce qu’ellespensent que c’est la seule façonpour le service public de limiterles inscriptions dans le privé.La notion de marchéimplique une relationtarifée entre offre etdemande, unerémunération, est-ce le casici ?Les sociologues qui font de lasociologie économique ont montréque tous les marchés ne sontpas articulés autour des prixcomme dans un modèle économiqueclassique. Il existe unesorte d’économie de la qualitédans laquelle l’articulation entrel’offre et la demande est beaucoupplus fondée sur ce critèreque sur le prix. En outre, dans lecadre du service public où il n’y.../...q Cours privés : l’ombre de l’écoleDans leur ouvrage Les marchés scolaires, Agnès Van Zanten, GeorgesFélouzis et Christian Maroy n’abordent pas le thème du développement descours privés donnés en dehors des heures de classe par des entreprisesspécialisées dans les cours particuliers. Agnès Van Zanten indique que cettequestion fait l’objet d’un travail qui pourrait donner lieu à unecommunication ultérieure car, dit-elle, « le recours aux cours privés estsource de véritables inégalités ». Ce que l’on sait déjà, c’est que selonL’ombre du système éducatif, un rapport publié par l’Unesco en 2011 etremis à la Commission européenne, la France est championne d’Europe descours privés. Le soutien scolaire privé se développe partout en Europe et« risque de maintenir et d’exacerber les inégalités » s’alarmait ce rapport,pointant un marché peu réglementé, bénéficiant aux élèves issus de milieuxfavorisés. Si le soutien scolaire privé ne s’est pas développé de la mêmefaçon dans tous les pays, tout en haut du palmarès on trouve la France,avec un marché du soutien privé estimé en 2007 à 2,2 milliards d’euros.13 e 91grandinterview


grandinterviewAgnèsvan zanten« Si les enfants ne sontpas ensemble à l’école,par la suite cela vaengendrer des tensionsdans les autres espacespublics »..../...ment capables deréussir. Ils mettent l’accent surd’autres éléments. Par exemple,le fait de proposer aux famillesde regrouper leurs enfants dansune même classe à plusieursniveaux ou encore de mettrel’accent sur la discipline. Cela neva pas forcément se traduire entermes de résultats, ou plutôtpar une aggravation, car on vadétourner une partie des ressourcesde l’établissement pourmettre en œuvre ces dispositifs.13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201392a pas de prix, seule se pose laquestion de la qualité de l’offre.Ces marchés, sont-ils denature à améliorer lesperformances des systèmeséducatifs ?Dans les systèmes anglais ouaméricain il y a l’idée que ledéveloppement des marchéspeut être efficace. Si le moteurde la demande des familles estd’obtenir de meilleurs résultatsscolaires alors, pour retenir ouattirer des élèves, les établissementsdoivent forcément avoirles meilleurs résultats. Mais il estdifficile de tirer des conclusionsdéfinitives quant à l’efficacité.Les approches sont très variées.En Floride, où les familles disposentdans certains districts dechèques éducation valables dansn’importe quel établissement,ces derniers ont fait des effortspour améliorer leurs résultats etdonner un meilleur signal sur lemarché. Est-ce une améliorationponctuelle ou sera-t-elle confirméesur le long terme ? Il est troptôt pour le dire. En revanche, enAngleterre les établissementscherchent aussi à s’adapter à la« Les gens pensentqu’être un individu auplein sens du terme c’estpouvoir choisir. Ne paspouvoir choisir l’écolede son enfant va àcontresens de cecourant »demande mais pas seulementsur la base d’une améliorationdes résultats, qui les conduit parailleurs à se focaliser prioritairementsur les élèves qu’ils esti-© mira / NAJAPeut-on à la fois construirede la mixité sociale à l’écoleet respecter le libre choixdes parents ?C’est sûr que de limiter fortementla liberté de choix desparents est devenu très problématique.Nous vivons dans dessociétés de plus en plus libéralespas seulement au sens économiquemais aussi au sens culturel.Les gens pensent qu’être unindividu au plein sens du termec’est pouvoir choisir. Ne pas pouvoirchoisir l’école de son enfantva à contresens de ce courant. Jemontre néanmoins dans monlivre Choisir son école que leschoix sont fortement conditionnéspar les ressources économiques,culturelles et socialesdes familles. Ils dépendent enoutre fortement de la perceptionqu’ont les parents de l’offre d’enseignement.En Finlande s’il y aune tentation des familles dechoisir, cela reste très minoritairecar la très grande majorité desparents sont convaincus de l’homogénéitéde l’offre publique.Pourquoi inscriraient-ils leurenfant dans un autre établissementalors que celui du quartierest aussi bon que les autres ? Enrevanche, plus les parents sont


Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>convaincus qu’il n’y a pas d’homogénéité,plus ils vont être tentésde choisir.En quoi la mixité scolaireest-elle importante ?Beaucoup d’éléments montrentque la mixité scolaire est importantepour atteindre des objectifsà la fois d’égalité et d’efficacité.On sait que la meilleure façon defaire progresser le plus grandnombre d’enfants, est de créerdes classes hétérogènes. Celafavorise la réussite des élèvesmoyens et moyens faibles, quiconstituent la majorité des élèves.D’autre part, si l’on veut créer unesociété du bien vivre ensemble ilfaut commencer tôt. Si les enfantsne sont pas ensemble à l’école onse doute bien que par la suite celava engendrer des tensions dansles autres espaces publics : lemonde du travail, le monde politiqueetc. La mixité favorise ledéveloppement économique etsocial des sociétés. Pour autant,certains parents en craignent leseffets, je dirais à tort et à raison.A raison parce que si la mixité estbonne pour la classe, encore fautilque les enseignants soientcapables de gérer des groupeshétérogènes. Or en France ilssont peu formés pour ça même sic’est moins vrai des enseignantsdu primaire que du secondairequi le plus souvent n’ont pas uneformation pédagogique qui leurpermette de faire de la différenciationpédagogique de façonefficace. A tort, parce que lesparents tendent à exagérer ceteffet.autour des valeurs et qu’on metles enfants ensemble à l’écolesans pour autant leur apprendreà vivre ensemble. Et les parentsn’ont pas totalement tort, j’aiinterrogé de jeunes enseignantsbeaucoup disent ne pas savoirque dire sur les valeurs.« L’égalité scolaire estconçue en France commel’obligation de donner àchaque individu leschances d’aller aussiloin que possible enfonction de sescapacités ».Ca vient de quoi, manquede formation, de directivesde la part de l’Institution ?Je pense qu’il faut travailler avecles enseignants à la redéfinitiond’une laïcité positive. Aujourd’huipour beaucoup d’entre eux, la laïcitéc’est surtout ce dont ils neveulent pas : la religion à l’école,les conflits politiques, lesmarques… Mais ce qu’estaujourd’hui la laïcité, un modèlede vivre ensemble, beaucoupd’enseignants ne le savent pas.C’est la raison pour laquelle ilsrestent très en retrait sur la transqVous avez dit charte de la Laïcité ?Le débat sur la laïcité à l’école est-il pertinent ? Pour Agnès Van Zanten quiconstate dans ses enquêtes la difficulté des enseignants à donner du senset à transmettre ce fondement de l’école à la française, il l’est certainement.Ces derniers mois le sujet a fait débat. Il a été demandé un affichage danstoutes les écoles de la Charte de la laïcité et le ministre a prônél’enseignement d’une morale laïque. Mais pour la sociologue, « ce n’est passuffisant » même si, reconnaît-elle, « il est important d’afficher des objectifset des contenus positifs et non pas négatifs ». La sociologue rejoint en cesens le point de vue défendu par le collectif d’enseignants, d’historiens etde géographes « Aggiornamento hist-geo », qui réclame un renouvellementde l’enseignement de l’histoire et de la géographie scolaires etuniversitaires, champ dans lequel ils incluent la laïcité. La sociologue, pourqui l’école a de plus en plus de mal à transmettre les valeurs du vivreensemble, préconise « une formation des enseignants sur cette thématique,qui ne soit pas seulement disciplinaire, mais qui s’inscrive clairement dans lesobjectifs éducatifs de l’école ».mission des valeurs et c’est unedes raisons qui font que lesparents vont vers l’école privée, ycompris des parents qui ne sontpas catholiques mais qui pensentqu’au moins dans le privé il y ades valeurs et alors qu’il n’y en apas dans l’école publique. Commeje l’ai analysé dans mes livresL’école de la périphérie et Choisirson école, beaucoup de parentssont partagés entre le désir d’êtrebons citoyens en envoyant leurenfant dans l’école du quartierpour créer de la mixité, et être debons parents, c’est-à-dire, dansleur esprit, pousser leur enfantaussi loin que possible.La révision de la cartescolaire est annoncée,êtes-vous favorable à undurcissement ?En France on a souvent desdébats très idéologiques autourde la carte scolaire.Dans les pays où on .../...13 e grandComment les convaincre ?Il faut que les enseignantsprennent le temps d’expliqueraux parents ce qu’ils font dansleur classe, quelle est la pédagogie,comment progressent lesélèves. Même quand ils sont efficaces,ils doivent prendre letemps de montrer aux parentsqu’il est tout à fait possible defaire progresser les élèves. Par ailleursil y a dans cette peur devivre ensemble le sentiment quel’école publique est en retrait© mira / NAJA93interview


grandinterviewAgnèsvan zanten© mira / NAJA13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201394q Inégalités et ségrégationscolaires : dix ans de littératureDepuis 2002, Agnès Van Zanten a rédigé ou co-rédigé pas moinsde 9 ouvrages dédiés à l’école. Ainsi avec Quand l’école se mobilise(2002 avec Marie-France Grospiron et Martine Kerrhoubi) et Les nouveauxenseignants (2004 avec Patrick Rayou) elle s’intéresse aux pratiques desenseignants, de collège essentiellement, mettant en évidence lesdynamiques de changement dans le système scolaire et de freins auchangement. Ses travaux mettent en exergue de nouvelles formes demobilisations des enseignants, notamment en zone sensible et elle publieen 2006 Sociologie de l’éducation avec sa collègue Marie Durut-Bella,dans lequel elle étudie la manière dont se construisent les inégalités àl’école. Avec Choisir son école (2009) elle se penche sur les stratégiesdes familles pour le choix du collège de leurs enfants puis, avec La cartescolaire (2010) elle précise les déterminants, la mise en œuvre et lesenjeux de la carte scolaire tout en dressant un premier bilan des mesuresd’assouplissements prises en 2007. En 2010 elle participe aussi à 100 motspour l’école, un Que sais-je collectif à visée pédagogique. Puis, avec Lespolitiques d’éducation (2011) et alors que se multiplient les réformes, elleanalyse les idées et valeurs qui orientent les choix éducatifs. Viendra en2012 L’école de la périphérie. Après une immersion dans les collèges deszones sensibles, elle analyse les divers processus participant à laconstruction d’une ségrégation scolaire. Processus relevant dephénomènes complexes et multiples engageant politiques publiques,parents, enseignants, établissements. Enfin, en 2013, elle vient de publierLes marchés scolaires avec Georges Félouzis et Christian Maroy..../...laisse le libre choixtotal on aboutit àdes systèmes très inégalitaires.Le choix régulé est beaucoupplus égalitaire et efficace que lelibre choix. Mais la carte scolaireest-elle le meilleur moyen derégulation ? Il est difficile de donnerune réponse dans l’absolu. Jedéfends l’idée qu’il faut surtoutélaborer et mettre en œuvre desmodes de régulation adaptésaux objectifs poursuivis enmême temps qu’aux situationslocales.Comment, quelles autresoptions peut-il y avoir ?On peut imaginer des systèmesde régulation dans lesquels oncréée des critères prioritairesd’affectation et pas uniquementgéographiques,pour faire en sorte .../...


Quand les adultes« désapprennent »13 eUniversitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>Les mauvais résultats de la France aux évaluations PIAAC sur les compétencesdes adultes en lecture et en maths interpellent d’abord le monde du travail.En France, plus d’un adulte surcinq reconnaît avoir des compétencesen lecture très faibles.C’est près d’un sur trois pour cequi concerne la « numératie »,anglicisme désignant les compétences enmatière de résolution de problèmes et d’utilisationde concepts mathématiques. C’estlà la principale conclusion pour la Francede l’étude menée par l’OCDE sur l’évaluationdes compétences des adultes (PIAAC)et rendue publique début octobre. Les compétencesdes adultes ont été évaluées surune échelle de 1 à 5. Pour l’Hexagone lespersonnes ayant un niveau inférieur ouégal à 1 représentent en lecture 21,6% dessondés soit 4 points de plus que la moyennedes pays de l’OCDE. En « numératie » la proportiond’adultes de niveau 1 est de 28%contre 19% pour la moyenne de l’OCDE. Al’inverse, les adultes français classés auxniveaux 4 et 5 sont peu nombreux, le pourcentagese situe 4 points en dessous de lamoyenne européenne : 7,7% pour la compréhensionde la lecture par exemplecontre 11,8% pour les autres pays del’OCDE.Très moyen aux évaluations PISASi ces résultats ne sont pas sans rappelerle rang moyen de la France aux évaluationsPISA, l’analyse que l’on peut en faireest radicalement différente. En effet PISAévalue les jeunes à 15 ans, à la fin de leurscolarité obligatoire, et leurs résultatsreflètent directement le niveau d’efficacitédu système éducatif de leur pays. Enrevanche, avec PIAAC, c’est un public sortidu système scolaire, parfois depuis denombreuses années, que l’on évalue. Et lesrésultats de l’enquête montrent que cesont les individus les plus âgés qui sontles moins performants. La sociologueMarie Durut-Bellat estime en fait que cesdonnées interrogent au premier chef lemonde du travail et pas l’école (fsc 389).« En France, on valorise peu l’intelligencedes ouvriers (…) on continue à organiserle travail comme si on avait affaire à desgens non qualifiés alors que la moitié aumoins sont bacheliers » remarque-t-elle.« De plus, la formation continue est peudéveloppée. Une fois qu’on est sorti del’école, on n’y revient jamais donc ondésapprend plus que dans d’autres pays.Comme en Allemagne par exemple qui ades résultats médiocres dans PISA maisremonte dans PIAAC grâce à sa formationpour adultes ». Autrement dit, quand lemonde du travail ne s’appuie pas ou peusur les compétences acquises à l’école, lesadultes perdent ces compétences.© mira / NAJA95grandinterview


grandinterviewAgnèsvan zanten« Il existe en France desphénomènes de marchéscolaire que nousappelons « marchésofficieux » parce qu’il n’ya pas de politique demarché clairementaffichée comme telle. »13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201396« Les autorités localestolèrent un certainnombre de pratiquesentre autres parcequ’elles pensent quec’est la seule façon delimiter les inscriptionsdans le privé. ».../...qu’il y ait de la mixitédans les établissements.A Londres, dans certainsquartiers les effets du libre choixont été tels que les autorités ontdécidé que dans chaque établissementil devait y avoir un tiersde bons élèves, un tiers demoyens et un tiers de faibles. Onlaisse aux parents la possibilitéde choisir mais on refuse l’inscriptionà partir du moment oùça déséquilibre la compositionsociale du lycée. En France, onpourrait aussi demander auxdirecteurs d’école, principaux descollèges ou proviseurs des lycéesde se concerter au niveau de certainssecteurs en laissant choisirles parents mais en faisant un tripar la suite pour équilibrer. Laresponsabilité de la décision nedoit pas se situer au niveau desétablissements car il s’agit d’unproblème qui déborde leur cadre,mais au niveau d’un territoirelocal qui peut ou non correspondreavec les découpagesadministratifs existants (districtsou bassins). Une politique adaptéeaux territoires suppose queles acteurs locaux aient une certaineautonomie mais qu’ilsrendent compte des effets deleurs choix aux autorités éducativeset politiques locales ainsiqu’aux usagers.Le système d’éducationprioritaire est actuellementen chantier, qu’est-ce quivous parait le plus urgent ?L’éducation prioritaireaujourd’hui c’est un empilementde dispositifs avec une multiplicitéd’acteurs, et cela s’est faitsans attention portée aux effetsproduits par cette proliférationdans les établissements. La priorité,c’est de faire un suivi de cequi est mis en œuvre et favoriserla cohérence des actions et lacoordination des intervenants.On constate aussi une dilutiondes moyens avec une extensionqui fait qu’aujourd’hui un cinquièmedes collégiens sont scolarisésen EP. Je pense qu’il fautmieux afficher quels sont les établissementsà qui il faut donnerplus de moyens. Mais la réponsen’est pas facile car pour que ces© mira / NAJAétablissements deviennent plusefficaces, il faut agir simultanémentsur la mixité scolaire via lamise en œuvre des modes derégulation adaptés et changer lapédagogie. Il faut donc avoir uneréflexion sur les moyens pédagogiques.Par exemple un desmoyens qu’on a donné à l’éducationprioritaire c’est la réductiondu nombre d’élèves par classe.Or celle-ci a été très faible et onsait qu’elle ne peut avoir d’incidenceque si elle est beaucoupplus massive. Si les enseignantsne changent pas de pratiquespédagogiques, le fait d’avoirmoins d’élèves induira un plusgrand confort dans la classe,mais pas pour autant une améliorationde l’efficacité.L’école se heurte toujours àun important taux d’échecscolaire. Pourquoiselon-vous ?Avec les élèves en très grandedifficulté on ne peut pas appliquerles mêmes méthodesqu’avec les élèves moyensfaibles.Il faut avoir une actionpédagogique très ciblée sur cescatégories d’élèves ; leur donnerce qu’on connaît de mieux sanspour autant les sortir de laclasse, ce qui favorise leur stigmatisationet à terme leur relégation.Cela implique unepratique différenciée dans laclasse, avec éventuellementdeux enseignants par classe. Lesproblèmes ne peuvent pas serésoudre simplement avec ladiminution des effectifs parclasse ou la prime qu’on a don-


Universitéd’automnedu <strong>SNUipp</strong>née aux enseignants. Etantdonné qu’ils ont considéréqu’elle était très faible et commeelle n’a pas été liée à des objectifsclairs, beaucoup la considèrentseulement comme unecompensation par rapport à dessituations très difficiles.On voit dans les enquêtesinternationales que lesystème françaisd’éducation continueencore à être très élitiste.Pourquoi selon-vous ?L’égalité scolaire est conçue enFrance comme l’obligation dedonner à chaque individu leschances d’aller aussi loin quepossible en fonction de ses capacités.C’est en tout cas ce quepensent beaucoup d’enseignants,davantage sans douteceux du secondaire que ceux duprimaire. Dans la pratique, cetteidéologie conduit le plus souventà se focaliser sur les élèves quisemblent avoir les dispositionsrequises pour aller le plus loinpossible. Je suis souvent déçuede constater quand je visite pourmes enquêtes des établissementsdéfavorisés qu’un certainnombre de principaux ou proviseursconsidèrent qu’ils ontréussi si un ou un petit nombred’élèves intègrent des lycées oudes classes préparatoires derenom. C’est un peu comme si çarachetait les difficultés de tousles autres élèves.Dans ce cas, commentrendre le système pluségalitaire ?Si on veut aller vers un systèmeplus égalitaire il faut avoir beaucoupplus un objectif de dotertous les enfants d’un socle communde connaissances et compétencesqu’on ne l’a aujourd’hui.On a un discours autour de cesocle commun, mais noussommes très éloignés de sonancrage dans les objectifs fixésà l’enseignement. L’idée est defaire en sorte qu’une grandemajorité d’élèves atteigne unbon niveau sans nécessairementque ce niveau soit excellent pourtous. On sait très bien que l’excellencesera le fait d’un petitnombre. Si on en reste au modèleactuel on demeurera dans uneoptique très individualiste et oncontinuera à pousser quelquesuns plutôt que lagrande massevers un très bonniveau.Quelle partprennent lesenseignantsdans cephénomène ?Il est intéressantde regarder ce quise passe dans lesétablissements oùsont concentrésles publics en difficulté.On constate que lesenseignants ont tendance àadapter leurs pratiques pédagogiqueset éducatives au niveau« Des systèmes derégulation danslesquels on crée descritères prioritairesd’affectation pasuniquementgéographiques, pourfaire en sorte qu’il y aitde la mixité dans lesétablissements ».et aux caractéristiques supposésde leurs élèves et que cela a deseffets à long terme sur l’ensemblede l’établissement. Dansmon livre L’école de la périphérie,j’ai décrit les effets induitspar cette adaptation sur l’enseignement,l’orientation, la discipline,etc. Souvent on nes’intéresse àces établissementsqu’aumoment où ily a de grandesexplosions deviolence. Cequi devraitattirer l’attention,c’est toutce qui sepasse avant, lefait que s’ilexiste desenseignants etdes équipestrès mobilisés,beaucoup finissent par s’accommoderde ces contextes problématiques.De ce fait, on ne voitpas comment progressivementq La ségrégation en chiffresLes statistiques fournies par l’Education nationale montrent à quel point lamixité sociale fait défaut dans les écoles de l’éducation prioritaire, etnotamment celles classées en ECLAIR où quasiment les trois quarts desélèves sont d’origine populaire ou défavorisées. Source RERS 2013Proportion d’enfants d’ouvrierset inactifs hors EP34,5 %Proportion d’enfants d’ouvriers etinactifs dans l’ensemble du 1 er degréProportion d’enfants d’ouvrierset d’inactifs en RRS42,3 %les établissements peuvent semettre eux-mêmes dans uneposition de relégation.Quels effets cela a-t-il ?Ces dernières années, les élèvesmoyens-faibles ont progressé.Les trajectoires des élèves enéducation prioritaire ne sont pastrès différentes de celles desélèves hors éducation prioritaire,mais les niveaux d’acquisitionsentre les uns et les autres ne sontpas les mêmes. Mes derniers travauxsur lesquels je n’ai pasencore écrit portent sur la formationdes élites. Je me suis renduecompte que dans les classes préparatoiresles plus sélectives onprend en compte l’établissementde provenance des élèves. Et onestime par exemple qu’un élèvevenant d’un établissement défavoriséavec 16 de moyenne enmathématiques, possède en réalitéun niveau se situant plutôt à13 parce que dans le lycée d’où ilvient on note avecindulgence. On a puProportion d’enfants d’ouvrierset d’inactifs en ECLAIR56,5 %.../...73 %13 e 97grandinterview


.../...constater dans desenquêtes sociologiquesque les établissementsen effet s’adaptentà leur public. Quand il y a uneconcentration d’élèves défavoriséson tend à être plus indulgentsen matière de notationparce qu’on est aussi plus sévèreen matière d’orientation, aprèson corrige ça en orientant cesélèves vers l’enseignement professionnel,mais pour ceux quirestent dans l’enseignementgénéral, un soupçon pèse sureux jusqu’au bout, à tort ou à raison,et cela est très pénalisant. Ily a une méfiance croissante àl’égard des résultats des élèvesqui proviennent de ce type d’établissements.Peut-on dire qu’il y ait undésengagement de l’Etatde l’éducation prioritaire ?On ne peut pas dire que l’Etatfrançais ait abandonné l’éducationprioritaire et les établissementsdéfavorisés. Il a donnédes heures et des personnels enplus - plus de conseillers d’éducation,d’assistantes socialesscolaires, etc. - qui se sont ajoutésaux moyens accordés par lespouvoirs locaux. Toutefois, outrele fait que ces moyens sontinsuffisants quand on les compareà ceux des établissementsfavorisés, on n’a pas su organiserl’action au plan local. Dans le primaireon accroît l’interventiondes collectivités avec lesrythmes scolaires. Ca peut êtreune bonne chose mais ça ne lesera là aussi que s’il y a une vraiecoordination entre ce que ferontles enseignants dans leur classeet les autres personnels à l’extérieurde la classe. Or, en milieuscolaire, on n’a pas souvent l’habitudede se coordonner commec’est le cas par exemple enmilieu hospitalier où l’on prévoitdes réunions hebdomadairespour se concerter autour des casles plus délicats. Pourtant, dans13 e université d’automne du <strong>SNUipp</strong> - 18-19-20 octobre 201398« Il y a le sentiment quel’école publique est enretrait autour desvaleurs, qu’on met lesenfants ensemble àl’école sans pour autantleur apprendre à vivreensemble ».un système où ce n’est plus seulementl’enseignant qui intervientmais une multiplicitéd’acteurs autour de lui, le maîtrene peut plus rester dans uneposture d’isolement. La coordinationest devenue indispensable.Sans elle, tous les moyensque l’on peut donner risquent dedevenir des outils de la relégation; des voies sur lesquelles onaiguille les enfants en difficultésans se soucier par la suite desles réintégrer dans la dynamiquede la classe. Il faut créer lesconditions qui permettent auxenseignants de s’organiserautour de ces nouveaux modesde fonctionnement.Vous venez d’être nomméeau Conseil supérieur desprogrammes. Qu’est-cequ’une sociologue peutapporter à cette instance ?L’essentiel pour moi qui ne suispas une spécialiste des programmesest de faire le lien avecla réforme globale de l’école afinque les programmes ne soientpas d’un côté et la réforme del’autre. Sans doute pourrais-jeintervenir en faveur d’un programmequi soit plus adapté auxsecteurs en difficulté. Jusqu’àprésent on n’a pas du tout penséla réforme des programmes avecce qui se passe dans les établissementsscolaires, l’inscrire dansla réforme globale de l’enseignement,dans la formation desenseignants, l’évaluation, l’autonomiedes établissements. Il fautpenser tout cela ensemble avecles programmes ce qui jusqu’àprésente n’a jamais été le cas.propos recueillis par pierre magnetto© mira / NAJA

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