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le monde - Mondomix

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<strong>Mondomix</strong> est imprimé sur papier recyclé.03SommaireMagazine <strong>Mondomix</strong> — n°56 Mars / Avril 2013Le Sommaire des musiques et cultures dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>04 - éDITO // « Remèdes de Cheval »06/13 - ACTUALITéL’actualité des musiques et cultures dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>06 - Monde07 - Xavier <strong>le</strong>mettre // Point de vue08 - Musiques10 - Goldenberg et schmuy<strong>le</strong> // Bonne Nouvel<strong>le</strong>11 - marco flores // Événement12 - voir14/27 - MUSIQUES14 - riff cohen Rock el kibboutz15 - dom la nena Ta<strong>le</strong>nt, hasards et déclics16 - pierre akendengué ça va al<strong>le</strong>r17 - bachar mar-khalifé Une histoire de famil<strong>le</strong>18 - melissa laveaux Un cri dans la nuit19 - biga*ranx French riddims20 - bassekou kouyaté Coup d’éclat21 - warsaw village band Le grand nord22 - wanlov & the afro gypsy band Afrobalkanique23 - chanca via circuito Locomotive e<strong>le</strong>ctro argentine24 - rachid taha / en couvertureLe king est de retour28/37 - Théma : un <strong>monde</strong> à livres ouverts30 - entretien Le <strong>le</strong>cteur du <strong>monde</strong>32 - identités Beur, blanc, blues33 - caraïbes Haïti, l’i<strong>le</strong> du livre34 - reportage Fièvre du livre à Brazzavil<strong>le</strong>36 - poésie Vers ouverts37 - chanson La Suisse enchantée39/43 - voyage39 - livre Voyages entre <strong>le</strong>s lignes40 - pérou C’est vraiment <strong>le</strong> Pérou !42 - irak Kurdistan irakien : jours tranquil<strong>le</strong>s à Erbil44/69 - Sé<strong>le</strong>ctions44 - cinéma Kinshasa kids48 - Télévision50 - LIVRES Tueurs de chanteur / A.Le Gouëff<strong>le</strong>c et O.Ba<strong>le</strong>z52 - Dis-moi ce que tu écoutes ?Rocé53/62 - Chroniques disques53 - AFRIQUE55 - Amériques57 - Asie/Moyen Orient58 - europe59 - 6 e continent65/69 - Dehors65 - De sal<strong>le</strong>s en sal<strong>le</strong>s66 - Sé<strong>le</strong>ctions69 - En coulisses24EN COUVERTURERachid taha15Dom la nena19Biga*Ranx22Wanlov28Théma : Un <strong>monde</strong> à livres ouverts42Voyage - Irak44Cinema - Kinshasa kids


04 éDITO <strong>Mondomix</strong>.com« Remèdes de Cheval » par Marc Benaïche« Remèdes de Cheval »Un scanda<strong>le</strong> peut en cacher un autreAprès <strong>le</strong> scanda<strong>le</strong> de la tromperie sur la viande de bœuf mélangée insidieusement avec de laviande de cheval pour augmenter <strong>le</strong>s marges bénéficiaires des industries agro-alimentaires, unautre scanda<strong>le</strong> bien plus grave encore se profi<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s mois à venir. Un artic<strong>le</strong> publié dans <strong>le</strong>journal Le Monde du 25 février intitulé « Le scanda<strong>le</strong> alimentaire qui s’annonce » met en évidencedeux études scientifiques qui nous informent de la présence toujours plus importante de tracesde médicaments dans un certain nombre de produits alimentaires industriels, notamment <strong>le</strong> laitde vache. Après analyses, un certain nombre de résidus de traitements vétérinaires comme desantibiotiques, des anti-inflammatoires, et autres hormones, y ont été retrouvés.Autant concernant la viande de cheval, <strong>le</strong> problème n’est pas sanitaire, autant ces dernières publicationsposent de sérieux problèmes de santé publique, à savoir la déclaration d’al<strong>le</strong>rgies et surtoutl’augmentation de la résistance de notre corps aux antibiotiques, ce qui complique <strong>le</strong>s traitementsen cas de maladie : « Les antibactériens, <strong>le</strong>s anti-inflammatoires, <strong>le</strong>s beta-bloquants, <strong>le</strong>s régulateursde lipide, <strong>le</strong>s hormones, <strong>le</strong>s antiépi<strong>le</strong>ptiques, et <strong>le</strong>s antiseptiques sont <strong>le</strong>s médicaments etdrogues vétérinaires <strong>le</strong>s plus employées actuel<strong>le</strong>ment. En conséquence, il est très fréquent que <strong>le</strong>lait contienne des résidus des substances pharmacologiquement actives (PAS), qui ont des effetsindésirab<strong>le</strong>s sur la qualité et <strong>le</strong>s propriétés des produits laitiers et aussi, d’une manière primordia<strong>le</strong>,sur la santé des personnes. » Extrait de l’étude des professeurs Azzouz, Jurado-Sanchez, Souhail,et Bal<strong>le</strong>steros. [1]Même si notre alimentation est encadrée par un règ<strong>le</strong>ment européen drastique, l’affaire de la viandede cheval nous montre à quel point il est diffici<strong>le</strong> de tout contrô<strong>le</strong>r et combien <strong>le</strong>s dérives del’alimentation industriel<strong>le</strong> sont toujours plus alarmantes. Il ne serait pas étonnant de découvrir <strong>le</strong>rô<strong>le</strong> de ces dérapages dans <strong>le</strong> nombre grandissant de cancers, de maladies immunodéficientesou d’al<strong>le</strong>rgies.Il ne reste plus qu’à manger bio et à revoir complètement nos comportements alimentaires. Menssana in corpore sano, un esprit sain dans un corps sain disait <strong>le</strong> poète romain Juvénal… Alorsmangez bien et écoutez de la bonne musique !1 L’étude intégra<strong>le</strong> est disponib<strong>le</strong> ici : www.cancersupportinternational.com/>Pour que l’aventure <strong>Mondomix</strong> continue,rejoignez <strong>le</strong> Cerc<strong>le</strong> des amis de <strong>Mondomix</strong>www.mondomix.com/donationn°56 Mars/Avril 2013


06 06<strong>Mondomix</strong>.com / ACTUMondeACTU - Monden protection - patrimoineRéfection de l’enduit de la mosquée de Sankoré en 2003© UNESCO / T. Joffroy / CRATerre-EAG© D.R.n manifestation - sensibilisationAmnistie pour <strong>le</strong>s RomsLes expulsions continuent. « Le discours est moins vio<strong>le</strong>nt etcherche moins à systématiquement amalgamer Roms et délinquants», reconnaît Jeannine Thoral, la responsab<strong>le</strong> de l’équipede lutte contre <strong>le</strong>s discriminations à Amnesty International.Mais, ajoute-t-el<strong>le</strong>, « comme cela prend souvent un certaintemps pour aboutir à une décision de tribunal, des évacuationsdemandées depuis un moment s’exécutent au fil du temps, aufur et à mesure. Il y en a, au moment où je vous par<strong>le</strong>, qui sepréparent ». Bien décidée à faire cesser ce cyc<strong>le</strong>, l’associationappel<strong>le</strong> à « dire stop aux expulsions forcées ». Le 6 avril, el<strong>le</strong>organisera une manifestation immobi<strong>le</strong> pour sensibiliser <strong>le</strong>s Parisiensà ces violations du droit international, qui exigerait auminimum des relogements décents. L’événement prendra unecoloration festive avec la participation de l’Haïdouti Orkestar,une fanfare voyageuse, et de la violoniste Sarah Nemtanu. Enespérant que la musique rende un peu moins sourd…François Mauger• www.amnesty.fr/Tags/RomsLa restauration du Mali est en routeAlors que la guerre contre <strong>le</strong>s terroristes continueà l’extrême nord du Mali, <strong>le</strong> pays compte ses pertes.En marge du drame humain, l’atteinte faite au patrimoinedu pays a choqué <strong>le</strong> <strong>monde</strong> entier.Cité fondée aux portes du désert au XI e sièc<strong>le</strong>, Tombouctou est <strong>le</strong> centrecommercial, intel<strong>le</strong>ctuel et religieux des populations sahariennes. Lacité aux 333 saints abrite des merveil<strong>le</strong>s architectura<strong>le</strong>s et l’une desplus importantes col<strong>le</strong>ctions de manuscrits d’Afrique. Durant l’occupationpar <strong>le</strong>s terroristes salafistes, onze des seize mausolées quecompte la vil<strong>le</strong> et de nombreux ouvrages parmi <strong>le</strong>s 300 000 manuscritsconservés, datant pour certains du XIII e sièc<strong>le</strong>, ont été brûlés.Le 18 février, à l’issue d’une réunion exceptionnel<strong>le</strong> d’experts et dedécideurs internationaux au siège parisien de l’Unesco, dont des ministresfrançais et maliens, un plan d’action pour la réhabilitation dupatrimoine culturel et la sauvegarde des manuscrits anciens au Mali aété adopté. Estimées à plus de onze millions de dollars, <strong>le</strong>s mesuresenvisagées se portent sur trois priorités : la réhabilitation du patrimoineculturel endommagé durant <strong>le</strong> conflit en s’appuyant sur <strong>le</strong> soutien actifdes communautés loca<strong>le</strong>s, des actions de protection des anciens manuscritset la formation de techniciens locaux pour créer <strong>le</strong>s conditionsappropriées à la conservation et la gestion du patrimoine, incluant notammentun programme de numérisation. Ce programme concerne enpremier lieu Tombouctou mais aussi <strong>le</strong>s tombeaux des Askia à Gao,<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s anciennes de Djenné et <strong>le</strong>s falaises de Bandiagara en paysdogon.Pour marquer l’importance que cette initiative revêt pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> malien,Tiéman Hubert, son ministre des affaires étrangères et de la coopération,a déclaré : « Les actes qui nous réunissent aujourd’hui sontceux du fascisme car quand on veut détruire un peup<strong>le</strong>, on s’attaque àsa mémoire (...). Ces monuments sont la vérité de notre histoire ».Benjamin MiNiMuM• www.unesco.org/new/fr/unesco/


point de vue07point de vueXavier LemettreBanlieues B<strong>le</strong>ues est un festival qui prend des risques.Rares sont <strong>le</strong>s têtes d’affiches, éc<strong>le</strong>ctiques sont<strong>le</strong>s propositions artistiques. Loin d’être <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t d’unhorizon musical balisé, il s’adresse à la curiosité età l’intelligence des spectateurs. Xavier Lemettre,son directeur, explique <strong>le</strong>s difficultés liées à une visionexigeante de son métier.Propos recueillis par Benjamin MiNiMuM Illustration Noyaun Quel<strong>le</strong> est, pour vous, la missionartistique et socia<strong>le</strong> de votre festival ?Xavier Lemettre : Faire entendre et connaîtrecel<strong>le</strong>s et ceux qui dessinent <strong>le</strong> paysage musicald’aujourd’hui, réunir <strong>le</strong>s conditions pourque <strong>le</strong>s musiciens puissent créer, et porter lamusique là ou el<strong>le</strong> doit l’être, près de tout <strong>le</strong><strong>monde</strong> si possib<strong>le</strong>. La vocation de BanlieuesB<strong>le</strong>ues, dès ses débuts, a été de proposerdes concerts de très forte va<strong>le</strong>ur artistique,exigeants dans <strong>le</strong> bon sens du terme, dansdes vil<strong>le</strong>s de Seine-Saint-Denis où il n’y enavait pas, et de toucher <strong>le</strong> plus large publicpossib<strong>le</strong>.n Arrivez-vous à la remplir ?XL : Banlieues B<strong>le</strong>ues n’a rien d’une utopie,c’est bien réel ! A condition de ne pas s’enlaisser conter par la standardisation des goûts,<strong>le</strong> consensus tiède et <strong>le</strong>s produits d’industrie,la musique n’a jamais été aussi incroyab<strong>le</strong>mentouverte et diverse, vive, créative et richede rencontres qu’aujourd’hui. Ces musiquesqu’on dit « singulières » parce qu’el<strong>le</strong>s sontartisana<strong>le</strong>s et non formatées, on peut <strong>le</strong>s mettre en relation avec<strong>le</strong>s gens sans trop d’étapes ni de procédures, à des tarifs accessib<strong>le</strong>s.Et élargir <strong>le</strong> public d’aujourd’hui et de demain à grandrenfort d’actions musica<strong>le</strong>s, d’ateliers de pratique et d’éducationartistique, envers <strong>le</strong>s jeunes notamment.n Comment arrivez-vous à maintenir uneprogrammation exigeante sur <strong>le</strong> plan économique ?XL : C’est en effet un travail d’équilibriste. Un solide réseau national,européen et international, permet de cerner au plus juste<strong>le</strong>s coûts artistiques, de monter des coproductions, d’être réactifsur <strong>le</strong>s opportunités. La Dynamo de Banlieues B<strong>le</strong>ues, avec sesespaces de répétitions, joue p<strong>le</strong>inement son rô<strong>le</strong> en permettantdes économies d’échel<strong>le</strong> et de nouveauxmodes de coproductions. Et <strong>le</strong>s rapports deconfiance et de complicité avec <strong>le</strong>s artistesont beaucoup aidé.n Quel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>sdifficultés rencontrées ?XL : Les moyens pour la création et <strong>le</strong> risqueartistique s’amenuisent. Le statut et <strong>le</strong> travaildes musiciens ont été fragilisés. La concentrationà l’œuvre dans l’industrie musica<strong>le</strong>(majors, médias, audiovisuel, plateformesnumériques) à but uniquement lucratif exerceune pression de plus en plus forte, y comprissur <strong>le</strong>s politiques et <strong>le</strong>s goûts du public. Carame dur, parfois contre vents et marées…Mais <strong>le</strong>s mauvaises tendances sont faitespour être inversées !n Banlieues B<strong>le</strong>ues fête cetteannée sa 30 ème édition. Est ce quevotre durabilité se conjugue avecpérennité ?XL : Aucune idée. On vit dans un <strong>monde</strong> où tout peut arriver. Pourmoi, la question de la pérennité est plus large. Comment <strong>le</strong> servicepublic de la culture s’applique-t-il dans des territoires comme labanlieue aujourd’hui ? Quel<strong>le</strong> place pour la création et la diversitéculturel<strong>le</strong> ? Et tous <strong>le</strong>s publics peuvent-ils y avoir accès ? Au fait,viendrez-vous danser en avril en Seine-Saint-Denis ?• www.banlieuesb<strong>le</strong>ues.orgl Voir aussi page 17 et 67l Interview intégra<strong>le</strong> sur www.mondomix.com


08ACTU - Musique<strong>Mondomix</strong>.com / ACTUn fête - celtiqueSharon shannon © D.R.Vert comme un trèf<strong>le</strong>On se passerait volontiers de la Saint-Va<strong>le</strong>ntin, cette injonction marchande àaimer (comme si l’amour n’était pas dans l’air <strong>le</strong> reste de l’année !), mais pourrien au <strong>monde</strong> on ne renoncerait à la Saint-Patrick. Cette fête – qui, de façonétrangement païenne, correspond à quelques jours près au solstice du printemps– est toujours l’occasion d’enterrer l’hiver en beauté, dans la cha<strong>le</strong>urretrouvée d’un pub bondé.Cette année, l’échauffement est assuré par <strong>le</strong>s Bonny Men, huit Dublinois remuantsqui font danser Le Mans <strong>le</strong> 15 mars et Lens <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain. Le 17, <strong>le</strong>flûtiste breton Sylvain Barou entre dans la danse à Rennes, en compagniedu guitariste John Doy<strong>le</strong>, fondateur, entre autres faits d’armes, de Solas. Cegroupe, dans <strong>le</strong>s années 90, a permis de faire la jonction entre <strong>le</strong>s pionniersdu renouveau celtique et <strong>le</strong>urs héritiers contemporains et figure au programmedes Irlandays. Ce festival des Portes de l’Essonne s’ouvre <strong>le</strong> 16 mars surun concert de Dan Ar Braz, qui interprète <strong>le</strong> répertoire de son nouvel album,Célébration. Ensuite, un Magic Mirror transformé en pub et posté à Athis-Monsaccueil<strong>le</strong> Caladh Nua, un tout jeune quintet irlandais, <strong>le</strong> groupe de MairtinO’Connor, maître de l’accordéon venu pour l’occasion du comté de Galway, et<strong>le</strong>s Ecossais de Breabach. Après un concert d’Alan Stivell, qui n’en finit plusde fêter ses quarante ans de carrière, <strong>le</strong>s festivités s’achèvent <strong>le</strong> dimanche 24mars avec un grand « fest deiz » (« bal de jour » pour <strong>le</strong>s non-bretonnants).Pendant ce temps-là, un Celtic Festival exceptionnel repeint Paris aux cou<strong>le</strong>ursde l’Armorique. A trois reprises, <strong>le</strong>s 16 et 17 mars, Tri Yann, <strong>le</strong> Bagad deNantes, celui de Paris et <strong>le</strong>s Marins d’Iroise, une chora<strong>le</strong> brestoise spécialiséedans <strong>le</strong>s chants de marin, font tanguer <strong>le</strong> Zénith. Si, après tout cela, l’hiver n’apas rendu l’âme, l’accordéoniste irlandaise Sharon Shannon lui donne <strong>le</strong> coupde grâce <strong>le</strong> 6 avril à Nantes, lors du festival Eurofonik. F.M.n Chanson - installationLes chants des festivaliersPrendre une bonne douche de souvenirs chantés ? AEurofonik (voir ci contre et page 67), c’est possib<strong>le</strong>.Passage sonore incontournab<strong>le</strong> du festival de musiquestraditionnel<strong>le</strong>s d’Europe, l’Eurofone prend place<strong>le</strong> 6 avril à Nantes. Dans cette curieuse installation,François Robin, Eddie Ladoire et Sébastien Bouclérestituent <strong>le</strong>s chansons fredonnées par <strong>le</strong>s festivaliersde la première édition d’Eurofonik. Souvenirsd’enfance, confidences musica<strong>le</strong>s ou titres cultes,autant d’éléments qui viennent parsemer ce cheminfidè<strong>le</strong> à l’intimité chantée du public. Le musicien FrançoisRobin, muni de son inimitab<strong>le</strong> é<strong>le</strong>ctro-veuze,descendante de la cornemuse bretonne, exploite <strong>le</strong>smêmes captations au cours de deux performances.Des expériences sans précédent qui replacent lachanson au cœur du quotidien de chacun. LaurianeMorel• www.eurofonik.frn festival - concoursL’or du QuébecEmanation du festival montréalais Nuits d’Afrique,<strong>le</strong>s Syli d’or récompensent chaque année depuis2007 un artiste émanant de la très riche scène musiquedu <strong>monde</strong> québécoise. Cette année, 36 artistesprovenant de 25 pays différents concourent dansl’espoir d’être élu Silly d’or 2013. Les candidats vontse produire chaque mardi et mercredi entre <strong>le</strong> 19février et <strong>le</strong> 17 avril, à raison de deux formations parsoir, au club Ballatou de Montréal. A l’issue de cesrendez-vous, neuf d’entre eux, choisis par <strong>le</strong> public,participeront aux demi-fina<strong>le</strong>s du 23 au 25 avril,arbitrées par un jury de professionnels en chargede distinguer <strong>le</strong>s Sylis, de bronze, d’argent et d’or2013. Les trois lauréats, dévoilés <strong>le</strong> 2 mai lors d’unesoirée exceptionnel<strong>le</strong>, seront comblés de cadeaux,guitares, micros, bons d’achats et aides professionnel<strong>le</strong>s(séances d’enregistrement et séances photos,formations en gestion de carrière et possibilitésde se produire dans l’un ou plusieurs des septfestivals partenaires…). Pour la première fois cetteannée, <strong>Mondomix</strong> va attribuer à l’un des neuf demifinalistes<strong>le</strong> prix <strong>Mondomix</strong> Syli d’Or. B.M.• www. sylidor.com• www.thebonnymen.ie• www.sylvainbarou.com• www.festival-irlandays.fr• www.eurofonik.fr


<strong>Mondomix</strong>.com / ACTU09n salon - festivalCap sur <strong>le</strong> Cap VertDepuis que <strong>le</strong> Cap Vert s’est enrichi d’un ministre de la culturemusicien, Mario Lucio, <strong>le</strong>s initiatives en faveur de la promotionde la musique s’y multiplient. Après une version embryonnairel’an passé, l’Atlantic Music Expo, salon professionnel dédié auxmusiques capverdiennes, africaines et atlantiques, ouvre officiel<strong>le</strong>mentses portes du 8 au 10 avril à Praia, sur l’i<strong>le</strong> de Santiago.Rencontres professionnel<strong>le</strong>s, débats, conférences et concertsd’artistes en développement jalonnent ces trois journées studieusesqui, comme l’an passé, précèdent <strong>le</strong> Kriol jazz festival du 11au 13. L’événement émane du partenariat conjoint du ministère dela culture capverdien, d’Harmonia, société organisatrice du festivalKriol jazz, et du Womex. B.M.l voir aussi page 17 et 67• www.ame.cvn é<strong>le</strong>ctro - créationAventures sonoresHéritier du mouvement des travel<strong>le</strong>rs et des free parties, <strong>le</strong> labelmarseillais I.O.T. Records s’est lancé au début du millénaire dansune série d’aventures singulières. Embarquant des compositeursde musiques é<strong>le</strong>ctroniques pour des safaris sonores en Afrique(2002-2003), en Mongolie (2006-2007) ou dans la provincechinoise du Yunnan (2009), ils ont rapporté de chaque voyage desenregistrements de musiques traditionnel<strong>le</strong>s et foison de sons etd’images. Ces quêtes se sont traduites par une série de disquesà mi-chemin du col<strong>le</strong>ctage sonore et de la création é<strong>le</strong>ctronique,baptisée Expedisound. Le dernier volume, China Expedisound,réalisé avec <strong>le</strong> concours de l’association Dynamogénie et la coopérativeFull Rhizome, est sorti en septembre dernier. Ce printemps,une partie de l’équipe sillonne la France (Perpignan <strong>le</strong>s 22et 23 mars, Serris <strong>le</strong> 13 avril, Paris <strong>le</strong> 14, Grenob<strong>le</strong> <strong>le</strong>s 26 et 27,Nice <strong>le</strong> 1 er juin) pour présenter <strong>le</strong>ur démarche à travers conférence,projections de documentaires et sets live. B.M.• www.expedisound.org© Marc-Antoine SerraBruitde paliers #16Comment un musicien vit-il sa vie de voisin ?Rachid Taha, Le Pré Saint Gervais (93)« Une nuit, des voisins fêtaient un mariage juif.J’étais fatigué et ils passaient Ya Rahia. J’ai été<strong>le</strong>s voir en gueulant : “ Vous arrêtez cette musiqued’arabes de m…. ! ” Ils m’ont dit : “ Mais c’est vousqui chantez, non ? ”. Je <strong>le</strong>ur ai répondu : “ Je nesuis pas Rachid Taha et je dors ”. Mais j’ai quandmême fini la nuit avec eux à chanter Ya Rahia ».l Voir aussi page 24n°56 Mars/Avril 2013


10<strong>Mondomix</strong>.com / ACTUBonne Nouvel<strong>le</strong>Il y a toujours des artistes à découvrir.Ils n’ont pas toujours de maison de disques oude structure d’accompagnement. Ce n’est pas uneraison pour passer à côté !Goldenberget Schmuy<strong>le</strong>© B.M.Voici un singulier triang<strong>le</strong> :Laurent Pernice, compositeur indus-e<strong>le</strong>ctro ;Big Buddha, alias Squaaly, journaliste-DJ mu endiseur-chanteur ; Dennis Dezenn, VJ apportant sontourbillon d’images. Une association de faussaires duson revendiqués qui aiment à faire monter la transe.Rendez-vous au Zazou Bar, titre d’un morceau et nom de codepour un troquet de quartier marseillais où <strong>le</strong> <strong>monde</strong> entier semb<strong>le</strong>se croiser. Big Buddha délaisse son « café é<strong>le</strong>ctrique », raté par <strong>le</strong>serveur : « Si tu mets plus d’une goutte d’anis, c’est imbuvab<strong>le</strong>…».Le sens de la recette, Goldenberg et Schmuy<strong>le</strong> l’ont toujours eu.Leur mixture musica<strong>le</strong> est un équilibre péril<strong>le</strong>ux qu’ils ont mis dix ansà élaborer. Entre Laurent Pernice, <strong>le</strong> musicien aux influences induset é<strong>le</strong>ctro, et <strong>le</strong> journaliste-« world DJ » Big Buddha, connu dansces pages sous <strong>le</strong> nom de Squaaly, intéressé par à peu près toutce que la planète peut produire, <strong>le</strong>s ingrédients se sont échangéstranquil<strong>le</strong>ment… « On a pris notre temps, s’amuse ce dernier.On voulait voir jusqu’où on pouvait al<strong>le</strong>r ensemb<strong>le</strong> ». Bonne idée.A l’arrivée, onze titres fusionnels qui formeront bientôt un albumet sont, déjà aujourd’hui, un live. Avec sur scène, l’orfèvre vidéoDennis Dezenn qui complète <strong>le</strong> trio et apporte son ta<strong>le</strong>nt visuel à unemusique déjà très génératrice d’images.En piquant <strong>le</strong>ur pseudo parmi <strong>le</strong>s Tab<strong>le</strong>aux d’une Exposition ducompositeur russe Moussorgski, Goldenberg et Schmuy<strong>le</strong> ont déjàbrouillé <strong>le</strong>s pistes : « Nous sommes des faussaires et nos faux sonnentmieux que vos vrais » lâche <strong>le</strong> « gros buddha ». « Moi, je ne suis pasmusicien, je suis sourd et je n’ai pas <strong>le</strong> sens du rythme, poursuit <strong>le</strong>DJ. Mais j’aime mélanger des choses qui n’ont rien à voir : percussud-américaines, sarod indien, oud... Bref, je donne des idées à lacon, mais celui qui compose, c’est Laurent ! ». Big Buddha apporteaussi sa voix. Et el<strong>le</strong> donne à l’ensemb<strong>le</strong> ce petit côté à part. Deshaïkus urbains prononcés so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment. A la manière d’un gourouqui ne croit plus à grand-chose mais aide à faire monter la transe :« Je suis un diseur plus qu’un chanteur… J’ai une trame avec desmots magiques ». Garçon Faci<strong>le</strong>, Analphabétise-moi, Je n’irai plusau bois : à la manière d’un Gainsbarre, <strong>le</strong>s titres de Goldenberg etSchmuy<strong>le</strong> jouent de consonances et de sens multip<strong>le</strong>s. Et la recettefonctionne plutôt pas mal.Gil<strong>le</strong>s Rofn En concert <strong>le</strong> 23 mars au Molotov Marseil<strong>le</strong>l Vidéo sur www.mondomix.comn°56 Mars/Avril 2013


évènement 11© Jean Louis DuzertÉVÉNEMENTMarco FloresRendez-vous incontournab<strong>le</strong> des aficionados, l’édition2013 du Festival Flamenco de Nîmes s’est terminéesur la présentation du premier manifeste du danseurchorégraphe Marco Florés, De Flamencas. Preuvesupplémentaire de la bonne santé de la danse dans laculture andalouse contemporaine.Sur une chaise posée côté cour, Antonia Jiménez égrène quelquesaccords de guitare, alors qu’un halo tacheté apparaît au sol. Lasilhouette longiligne de Marco Florés se met en mouvement, <strong>le</strong>ntement,doucement, caressant la musique qui se propage dans l’air. Le cerc<strong>le</strong> delumière s’agrandit et <strong>le</strong> jeune chorégraphe se place au centre d’un carréformé par <strong>le</strong>s trois danseuses, Guadalupe Torres, Vanessa Vento et LidonPatiño, et la palmera (percussionniste manuel<strong>le</strong>) Ana Romero. Alors qu’àl’unisson <strong>le</strong>s voix de Mercedes Cortés et Fabiola Pérez rendent grâce àla lune et que <strong>le</strong>s cordes de la seconde guitariste, la blonde norvégienneBettina Flater, s’emmê<strong>le</strong>nt à cel<strong>le</strong> de la directrice musica<strong>le</strong>, <strong>le</strong> groupecentral se met à tourner. Il tourne comme des derviches au début de<strong>le</strong>ur course, des astres au centre d’un ciel étoilé, rythmant <strong>le</strong>s cyc<strong>le</strong>s decoups de talons et de frottements de semel<strong>le</strong>s. A la fin de ce premiertab<strong>le</strong>au, l’écran de fond de scène se teinte du b<strong>le</strong>u de l’aube. Dès lors,chacune des huit femmes aura l’occasion d’exprimer son flamenco,sauvage ou élégant, gitan ou payo (non gitan).Marco Florés danse sur <strong>le</strong> fil, jong<strong>le</strong> avec la tradition et <strong>le</strong> geste inédit,mais jamais ses figures ne cessent d’être fluides et concernées. Sachorégraphie graphique et joyeuse favorise l’expression profondede chacune de ses complices. Tab<strong>le</strong>aux de groupes ou solos, dans<strong>le</strong>squels, tour à tour, danse, chant et guitare prennent l’avantage. Ledanseur virevolte autour de ses partenaires tel un faune flamencoet bienveillant ou se retire pour mieux <strong>le</strong>s mettre en avant. Tout aulong du spectac<strong>le</strong>, il règne sur <strong>le</strong> plateau une atmosphère d’intimitéfamilia<strong>le</strong> qui, associée à une grande exigence artistique, enthousiasme<strong>le</strong> public. Après <strong>le</strong>s créations de Rocio Molina ou Israel Galvan, DeFlamencas, la première chorégraphie d’envergure de Marco Florés,confirme l’idée que la révolution du flamenco contemporain se joueautour de la danse. Benjamin MiNiMuMl Revivez cet événement sur Arteliveweb• http://liveweb.arte.tv/fr/video/Marco_Flores_De_Flamencas_Festival_Flamenco_Nimes/• www.theatredenimes.comn°56 Mars/Avril 2013


12<strong>Mondomix</strong>.com / ACTUACTU - VOIRn musique - cinéman cinéma - expoPeurs africainesZombies, arbre sacré, macho man... Ces personnages defilms ghanéens et nigérians reprennent vie au musée du quaiBranly. Les affiches des vidéoclubs, acquises en 2003, sontexposées jusqu’au 19 mai pour l’installation Le rire, l’horreuret la mort. Affiches des vidéoclubs et images des mortsau Ghana. A travers ces images peintes à la main, inspiréespar des fab<strong>le</strong>s et légendes, <strong>le</strong>s croyances d’une société sontretranscrites. L’exposition associe à ces éléments des têtesfunéraires sculptées et d’étonnants cercueils fantaisie, ref<strong>le</strong>tdes traditions et cérémonies liées à la mort au Ghana. Leconcepteur, Germain Viatte, met ainsi l’accent sur un tournantdu cinéma des années 1980 dans <strong>le</strong>s deux pays d’AfriqueNoire : grâce à l’essor de la vidéo, <strong>le</strong>s cinéastes sortent del’élitisme et s’adressent aux superstitions populaires. En décou<strong>le</strong>ntdes films de magie effrayants… Le sty<strong>le</strong> naïf, vio<strong>le</strong>ntou délirant, des objets exposés témoigne d’une créativité foisonnante.L.M.• www.quaibranly.frCharlie Chaplin dirigeant <strong>le</strong>s musiciens pour l’enregistrement de la musique de sonfilm Un Roi à New York <strong>le</strong> 21 juin 1957 au Palais de la Mutualité à Paris© Rue des Archives/AGIPNotes et Pellicu<strong>le</strong>sImaginez la séquence d’ouverture de Pulp Fiction sans la guitare deDick Da<strong>le</strong>, la danse du vaisseau spatial du 2001 l’Odyssée de l’espacesans la valse de Strauss ou n’importe quel traveling de SergioLeone sans <strong>le</strong>s orchestrations d’Ennio Morricone. Peut-être ne voussouviendriez-vous pas aujourd´hui de ces films avec la même intensité.La musique au cinéma est parfois aussi importante qu’un premierrô<strong>le</strong>, tant el<strong>le</strong> peut porter <strong>le</strong>s images, déc<strong>le</strong>ncher <strong>le</strong>s émotionsdu spectateur et fixer à tout jamais un film dans la mémoire. C’estce rapport primordial entre <strong>le</strong> cinéma et la musique que <strong>le</strong> musée dela Cité de la musique célèbre du 19 mars au 18 août à travers l’expositionMusique et Cinéma, <strong>le</strong> mariage du sièc<strong>le</strong> ?. Extraits defilms et de musique, interviews de réalisateurs et de compositeurs,partitions origina<strong>le</strong>s et manuscrits, affiches et pochettes de disquesou encore dispositif interactif permettant au visiteur de changer labande son d’un film célèbre constituent un parcours inédit à traversBO cultes et pellicu<strong>le</strong>s de légendes. En mars, une série de concertsautour du septième art est éga<strong>le</strong>ment au programme. Le 22, MichaelNyman et son orchestre déclineront <strong>le</strong>ur nouvel habillage duCuirassée Potemkine ; <strong>le</strong>s 23 et 24, Le Sacre du Tympan offrira unbouquet de musiques de compositeurs français (François de Roubaix,Jean-Claude Vannier, Michel Legrand et bien d’autres) ; <strong>le</strong> 26,A<strong>le</strong>x Beaupain proposera un spectac<strong>le</strong> composé de chansons defilms français.B.M.• www.citedelamusique.frAffiche peinte © musée du quai Branly - Claude Germain


<strong>Mondomix</strong>.com / ACTU13n BD - NumériqueNumérise moi un phylactère !Après <strong>le</strong>s blogs, c’est au travers des revuesque la bande dessinée s’aventure dans l’ère numérique.Lassés d’attendre des éditeurs bien peu entreprenants, de nombreuxdessinateurs ont choisi de prendre <strong>le</strong>ur destin en main etde lancer des publications col<strong>le</strong>ctives sur <strong>le</strong> web ou <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>ttes.Réunis au Festival d’Angoulême, ils ont pu présenter <strong>le</strong>urs initiatives,<strong>le</strong>urs points communs et <strong>le</strong>urs différences. Ainsi, MauvaisEsprit a décidé d’« al<strong>le</strong>r chercher <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur du XXI e sièc<strong>le</strong> là où il setrouve : derrière son écran ». Il lui propose depuis six mois déjà decourts strips humoristiques. Dans un registre plus varié, ProfesseurCyclope se lance en mars et, avec <strong>le</strong> soutien d’Arte, entendbien réinventer <strong>le</strong> récit dessiné, en tirant profit du potentiel tacti<strong>le</strong>et ludique des tab<strong>le</strong>ttes. Peut-être plus ambitieuse encore maisaussi plus conventionnel<strong>le</strong>, La Revue Dessinée réunit la crèmedes créateurs plébiscités, comme Etienne Davodeau, Jean-PhilippeStassen, Marion Montaigne ou Arnaud Le Goueff<strong>le</strong>c, maisconserve un pied dans l’ancien <strong>monde</strong> : <strong>le</strong> premier numéro, annoncépour septembre, sortira à la fois sur tab<strong>le</strong>tte et en librairie,sous la forme de 250 pages d’informations dessinées. BD Nag,quant à lui, a complètement largué <strong>le</strong>s amarres : ce magazine estune application gratuite destinée aux enfants. Pierre-Yves Gabrion,son fondateur, a malgré tout résumé l’esprit général en lançant : «Si on se casse la gueu<strong>le</strong>, ce n’est pas grave : il y en aura d’autresaprès, l’idée est lancée ». F.M.• www.professeurcyclope.fr• www.larevuedessinee.fr• www.mauvaisesprit.com• www.emedion.com/bd-nag.html© Bernd Schul<strong>le</strong>rn festival - art numériqueLe temps s’exposeLa 5 ème édition du festival breton d’arts numériques Bouillantss´interroge sur <strong>le</strong>s rapports du temps et de la machine, à traversdes installations vidéo ou multimédia d´artistes internationauxou d’étudiants chercheurs qui défient <strong>le</strong>s heures et <strong>le</strong>s minutes,confrontent <strong>le</strong> présent et <strong>le</strong> passé ou se projettent dans <strong>le</strong> futur.Le résultat est souvent ludique, comme cette performance del’Al<strong>le</strong>mand Mark Formanek qui a filmé pendant 24 heures deshommes modifiant en temps réel une sculpture représentant uncadran horaire en bois. Il peut aussi être troublant, comme l’installationde Thierry Fournier qui diffuse sur un panneau d’affichageurbain un plan fixe de la rue derrière lui, mais avec undécalage de 24 heures. Le festival se tient du 7 avril au 9 juinsur différents sites en accès libres à Brest, Lorient, Rennes et sarégion. B.M.• www.bouillants.frn°56 Mars/Avril 2013


14<strong>Mondomix</strong>.comMusiques« Dans mes concerts,ceux qui portent la kippacôtoient ceux qui ne laportent pas »Rock el KibboutzRiff CohenTexte : Benjamin MiNiMuM Photographie : Gilad SasportaEn Israël, Asaf Avidan n’est pas <strong>le</strong> seul chanteur à mettre des rythmes rock dans <strong>le</strong>s charts.Riff Cohen, une jeune femme au prénom prédestiné, fait actuel<strong>le</strong>ment un carton avecdes ritournel<strong>le</strong>s bien troussées et chantées en français sur fond de guitares surf etde chaloupes orienta<strong>le</strong>s.« J’ai un côté rock’n’roll et un côté pasrock’n’roll du tout. Je ne bois pas beaucoupd’alcool ni de café, je ne fume pas de cigaretteset je fais du yoga. C’est un nouveaurock’n’roll. » Attitude rock’n’roll ou pas, RiffCohen possède un large bagage musical.Après une université musica<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> a suivides études de musicologie tout en naviguantdans la scène underground de Tel Aviv. Sesgrands parents viennent d’Algérie et de Tunisieet cette culture l’a tota<strong>le</strong>ment imprégnée.un son un peu sa<strong>le</strong>« J’ai énormément écouté de musiques duMaghreb. Je trouve que la guitare é<strong>le</strong>ctriquese marrie bien avec <strong>le</strong>s énergies des musiquesgnawa ou du rai. J’aimais <strong>le</strong> son un peutrash des cassettes de musiques nord africaines.C’est ce son un peu sa<strong>le</strong> que j’ai essayéde reproduire », explique-t-el<strong>le</strong>. Son projetde disque a commencé à germer lorsqu’el<strong>le</strong>était à la Cité des Arts à Paris et il s’est poursuivien Israël : « Je travaillais d’abord sur uneboîte à rythmes, puis je trouvais la mélodieet ensuite, je cherchais dans <strong>le</strong> tiroir où mamère range <strong>le</strong>s textes qu’el<strong>le</strong> écrit en français.Ca s’est passé comme par mirac<strong>le</strong>. Achaque fois, j’en trouvais un qui fonctionnaitparfaitement avec <strong>le</strong> rythme et la mélodie quej’avais composés. Au bout d’un moment, unchemin se dessinait et ma mère a commencéà écrire spécifiquement pour moi. »Jouer en Afrique du NordEn Israël, la société est divisée entre <strong>le</strong>s différentestendances religieuses et <strong>le</strong>s noncroyants. Riff ne voit pas <strong>le</strong>s choses de cettefaçon. « Je prends ce qui me convient de la religionjuive. Par exemp<strong>le</strong>, j’ai commencé à suivre<strong>le</strong> shabbat quand j’étais à Paris, il y a deuxans et demi. ça me fait du bien de faire unepause dans ma vie de musicienne toujoursen mouvement. C’est une occasion de meretrouver, de lire et de passer du temps avecmon mari que je ne vois presque pas dansla semaine. Pour moi, c’est clair que je suiscroyante, mais pour <strong>le</strong>s journalistes israéliens,c’est très provocateur. Quand tu t’habil<strong>le</strong>s àl’occidental, tu es forcément athée. Et <strong>le</strong>s religieuxne comprennent pas comment je peuxchanter en face des hommes. »Mais <strong>le</strong> personnage atypique de Riff Cohenrencontre des adeptes de tous <strong>le</strong>s bords :« Il y a des religieux qui m’arrêtent dans larue pour me dire que je fais une musiqueincroyab<strong>le</strong> et des hipsters qui me disentl’adorer. Dans mes concerts, ceux qui portentla kippa côtoient ceux qui ne la portentpas. C’est un petit pas vers la paix. » Biensûr, <strong>le</strong>s soucis d’Israël ne s’arrêtent pas là.Sur <strong>le</strong>s problèmes de politique extérieure, lasociété lui paraît aussi trop tranchée : « Ceuxqui défendent la négociation avec <strong>le</strong>s Pa<strong>le</strong>stiniensveu<strong>le</strong>nt aussi effacer la culture juive etpour moi, c’est une grande erreur. En Afriquedu Nord, mes grands parents vivaient trèsbien avec <strong>le</strong>s musulmans. La solution, c’estque chacun ait la liberté de sa religion, qu’ilpuisse conserver la fierté de sa culture et deses racines. Que l’on respecte <strong>le</strong>s musulmanset qu’ils nous respectent. » Pas gagné,mais c’est une idée qui vaut d’être entendue.Et à propos de rêves, celui de la chanteusen’est pas celui de tout <strong>le</strong> <strong>monde</strong> : « Monrêve n’est pas de conquérir <strong>le</strong>s Etats-Unis,mais ce serait de pouvoir jouer en Afrique duNord. Déjà, pendant mes concerts, quand jevois quelqu’un avec un grand sourire, qui al’air de comprendre mes paro<strong>le</strong>s, c’est souventun Africain ».n Riff Cohen A Paris (AZ/Universal)n En concert<strong>le</strong> 9 avril au Café de la Danse Parisn www.riff-cohen.comn°56 Mars/Avril 2013


Musiques 15« J’ai réalisé que je pouvaisaussi travail<strong>le</strong>r avec mesoreil<strong>le</strong>s et mon imaginaire »Ta<strong>le</strong>nt,hasardset déclicsDom La NenaTexte : Benjamin MiNiMuM Photographie : Jeremiahn Dom La NenaEla (6degrees)n En concert<strong>le</strong> 21 mars à la Bou<strong>le</strong> Noire (75018),<strong>le</strong>s 24 et 25 avril au Printemps de Bourgesn www.domlanena.comVioloncelliste de formation, la Brésilienne Dom La Nena s’est mise à la chanson un peupar hasard. Grand bien lui en a pris : son premier album, Ela, est une merveil<strong>le</strong>. Retour surun drô<strong>le</strong> d’itinéraire.C’est au piano que la jeune Dominique Pintoa fait ses premières armes musica<strong>le</strong>s. APorto A<strong>le</strong>gre, au Brésil, el<strong>le</strong> suit la méthoded’éducation musica<strong>le</strong> Suzuki, fondée surun enseignement précoce, l’exécution àl’unisson ou l’intervention des proches del’élève. Un jour que sa classe se rend en busà Florianópolis pour participer à une rencontrenationa<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> passe <strong>le</strong>s 376 km du trajetà côté d’un professeur de violoncel<strong>le</strong>, si passionnéet passionnant qu’à l’arrivée la jeunefil<strong>le</strong> décide de devenir son élève. En 1998,Dom a 8 ans et débarque à Paris où son pèrepoursuit un doctorat en philosophie, et el<strong>le</strong> laclasse de violoncel<strong>le</strong> du Conservatoire où el<strong>le</strong>acquiert la conviction que l’instrument sera <strong>le</strong>compagnon de sa vie.Paris lui tendà nouveau <strong>le</strong>s brasEn 2002, de retour dans la grande mais mornePorto A<strong>le</strong>gre, el<strong>le</strong> ne voit pas commentprogresser dans sa discipline. Dom trouve<strong>le</strong> téléphone de la violoncelliste américaineChristine Wa<strong>le</strong>wska. Touchée par l’intérêtque la jeune fil<strong>le</strong> lui porte, la musicienne luifixe rendez-vous à Buenos Aires, où el<strong>le</strong> vitune partie de l’année, à une heure de vol dechez Dom. El<strong>le</strong> lui donne quelques cours et luiprésente un professeur français qui poursuitson enseignement pendant cinq ans. Un jour,alors qu’il devait jouer derrière Marie-ChristineBarrault dans un spectac<strong>le</strong> pour une opérationcaritative de la fondation Saint-Exupéry,son tuteur doit partir précipitamment en Franceet lui demande de <strong>le</strong> remplacer. El<strong>le</strong> relève<strong>le</strong> défi et fait la connaissance de Jeremiah,un jeune réalisateur venu de Paris tourner undocumentaire.Reçue au concours de l’Eco<strong>le</strong> Norma<strong>le</strong> deMusique, el<strong>le</strong> s’instal<strong>le</strong> à Paris en 2007. Aucontact de Jeremiah, el<strong>le</strong> fait des rencontresdécisives. Dans l’immeub<strong>le</strong> du bureau deproduction du jeune réalisateur, Edith Fambuena(Les Va<strong>le</strong>ntins, Daho, Bashung…)possède un studio d’enregistrement. Lesdeux femmes se lient d’amitié et lorsqu’Edithse met à travail<strong>le</strong>r pour Jane Birkin, el<strong>le</strong> luipropose d’improviser une partie de violoncel<strong>le</strong>.El<strong>le</strong> se souvient : « Perdue, sans partitions,j’ai commencé par refuser. J’ai quand mêmeessayé et el<strong>le</strong>s étaient hyper contentes.J’avais eu un déclic et réalisé que je pouvaisaussi travail<strong>le</strong>r avec mes oreil<strong>le</strong>s et mon imaginaire». Suit la tournée aussi passionnantequ’épuisante. « En rentrant, je n’avais rien enperspective. J’avais envie de composer, etpour m’amuser, j’ai écrit une chanson ». Sonentourage s’enthousiasme et l’encourage àcontinuer. « Au début je ne savais ni placerma voix, ni gérer mon souff<strong>le</strong>, mais j’ai trouvéma propre façon de faire. » L’idée du disquefait son chemin.Dans <strong>le</strong>s Cévennesavec Piers FacciniGrâce à Jeremiah, la petite (« Nena ») Domrencontre certains des artistes qui ont enchantéson ado<strong>le</strong>scence. Camil<strong>le</strong> lui donnedes conseils de chant. Piers Faccini lui proposede venir travail<strong>le</strong>r chez lui. Dom débarquedans <strong>le</strong>s Cévennes avec son violoncel<strong>le</strong>.Le chanteur part en tournée, mais lui donne<strong>le</strong>s clés de son studio installé au fond du jardin.Dans ce cadre magique, el<strong>le</strong> enregistre<strong>le</strong>s bases de ses chansons et pose ses arrangements.A son retour, séduit par ce qu’i<strong>le</strong>ntend, Piers lui propose d’essayer quelquesidées. La collaboration est harmonieuse etils décident de réaliser l’album ensemb<strong>le</strong>. Ilsécrivent et chantent ensemb<strong>le</strong> Dessa Vez.Plus tard, Camil<strong>le</strong> pose symboliquement deschœurs sur Voce. Le chanteur de Sao Paulo,Thiago Pethit est aussi de la partie. « Lorsquenous nous sommes rencontrés, nousavons réalisé que nous avions vécu pendantune année dans la même rue en Argentine »,sourit-el<strong>le</strong>. La chanson Buenos Aires devientnaturel<strong>le</strong>ment un autre duo. Inspiré, Ela profitep<strong>le</strong>inement du cerc<strong>le</strong> vertueux de ses relationsmais dénote une écriture sensib<strong>le</strong> ettouchante.n°56 Mars/Avril 2013


16 <strong>Mondomix</strong>.com« La liberté, c’est cette contraintequ’on s’impose à soi-même etqui n’est pas imposée de l’extérieur »çava Al<strong>le</strong>rPierre AkendenguéPropos recueillis par François Mauger Photographie : D.R.n Pierre AkendengueEningo (Lusafrica)n www.akendengue.comn en concert<strong>le</strong> 13 avril au Kriol JazzFestival Praia/ Cap VertIls étaient trois mousquetaires : avec Francis Bebey et Manu Dibango, Pierre Akendenguéa fait connaître la chanson africaine sur nos rives dès <strong>le</strong>s années 60. Avec <strong>le</strong> même panacheque ses amis, <strong>le</strong> chanteur gabonais a vite imposé sa personnalité d’érudit des rythmes, demoraliste dansant. A 70 ans, il revient avec Destinée, son vingtième album, toujours d’uneactualité brûlante. Paro<strong>le</strong>s d’un fin parolier....n L’un des grands thèmes dece nouvel album est l’écologie.Avec Eningo, qui évoque une crueirrésistib<strong>le</strong>, vous avez voulu a<strong>le</strong>rter<strong>le</strong>s Africains sur ce qui <strong>le</strong>s menace ?Pierre Akendengué : A<strong>le</strong>rter, je n’ai pas lapuissance dans la voix pour cela, je ne peuxpas atteindre chaque Africain là où il est…Mais, vous savez, l’eau est une force paradoxa<strong>le</strong>,qui donne la vie mais que rien ne peut arrêter.Les plages sont menacées, <strong>le</strong>s mangrovesaussi. Au Gabon, il y a des marées noires,<strong>le</strong> poisson sent <strong>le</strong> pétro<strong>le</strong>. Et un peu partouten Afrique ont lieu d’autres séismes, causéspar la corruption, la pauvreté, la minorité quien impose à la majorité… Pour moi, cette cruereprésente ces menaces qui, hélas, sont communémentpartagées en Afrique.n Plus loin, vous reprenez <strong>le</strong> mythegabonais d’Iwenga et vous chantez« Notre destinée, c’est de vivre laliberté ». Qui est cette Iwenga ?PA : Iwenga est une petite fil<strong>le</strong> en<strong>le</strong>vée par desravisseurs. Sa mère, Amburwè, se dit qu’el<strong>le</strong>ne peut pas vivre tant que sa fil<strong>le</strong> est privée deliberté. Pour el<strong>le</strong>, libérer sa fil<strong>le</strong>, c’est accepterl’idée de la mort. En ce moment, on par<strong>le</strong> deravisseurs, d’otages au nord du Mali. Ils sontprivés de liberté, si ce n’est pire. J’espèrequ’ils ne connaîtront pas une fin horrib<strong>le</strong> ! Ladestinée emporte chacun vers un but voilé etce but voilé, si l’on veut donner un sens à savie, c’est la liberté. La liberté, c’est cette contraintequ’on s’impose à soi-même et qui n’estpas imposée de l’extérieur.n Cet album est peuplé de créaturesafricaines inconnues en Europe. Cesont des souvenirs des histoires quevous écoutiez dans votre enfancequi vous reviennent aujourd’hui ?PA : Oui, vous savez, j’emploie souvent cetteexpression : j’ai « mangé beaucoup de culture» dans mon enfance. J’ai été é<strong>le</strong>vé dansma langue maternel<strong>le</strong>, entre joueurs de cithareet joueurs d’arc musical, entre tam tam etpirogue. Chasser, pêcher, dormir sur une nattenon loin du feu, entouré d’arbres beni beni,c’est un paradis… Voilà l’atmosphère danslaquel<strong>le</strong> j’ai grandi. C’est cela qui m’habite.Cela me revient en mémoire lorsque jepense à mon enfance mais aussi lorsquej’appréhende <strong>le</strong> présent. Je suis ce mélangelà: un gardien du temp<strong>le</strong> qui vous donne desnouvel<strong>le</strong>s du terroir mais qui est aussi avidede nouvel<strong>le</strong>s de l’extérieur.n Mais ces personnages que vouscitez sont-ils encore connus desplus jeunes ?PA : Actuel<strong>le</strong>ment, je ne pense pas. La culturetraditionnel<strong>le</strong> se transmet mal. C’est dommage.J’ai toujours essayé d’établir une passerel<strong>le</strong>entre la culture traditionnel<strong>le</strong>, que je décrissymboliquement comme « l’université de laforêt », et la modernité de la vie dans nos vil<strong>le</strong>s.Je dois trouver une sorte de synthèse qui fasseque la communication universel<strong>le</strong>, qui est <strong>le</strong> butfondamental de mon travail, soit possib<strong>le</strong>.n Vous achevez Destinée par unephrase qui signifie « Mais à part ça,ça va al<strong>le</strong>r ». C’est votre sentiment ?PA : Ecoutez, il y a eu des catastrophes par <strong>le</strong>passé mais cela n’a pas mis fin à l’aventure humaine.De toute façon, ça finira par al<strong>le</strong>r. Puisque<strong>le</strong>s volontés affichées - j’insiste sur « affichées »- de nos Etats sont de scolariser <strong>le</strong>s enfants, jecrois que tout espoir n’est pas perdu. A partirdu moment où l’homme sait lire et écrire, ilpeut avoir accès à l’information par lui-même.Tant qu’une grande partie de la populationest dans l’obscurantisme, <strong>le</strong>s oppresseurspassent pour des héros et <strong>le</strong>s oppriméss’accrochent à <strong>le</strong>ur servilité comme à unebouée de sauvetage. Mais, ça, c’est parcequ’ils n’ont pas eu accès à l’information, à laconnaissance, à des instruments d’analyse.Quand ils revendiqueront <strong>le</strong>urs justes droits,ils finiront par triompher. Ce sera <strong>le</strong> cas enAfrique.n°56 Mars/Avril 2013


Musiques17« Notre génération refuse<strong>le</strong>s injustices, mais aussi<strong>le</strong>s cadres »Une histoirede famil<strong>le</strong>Bachar Mar-KhaliféTexte : Jacques Denis Photographie : A<strong>le</strong>xandre Chevillardn BACHAR KHALIFÉ Who’s gonna getthe ball from behind the wall of the garden(In finé)n en concert <strong>le</strong> 26 avril à la MC93de Bobigny pour Banlieues B<strong>le</strong>uesAlors qu’il vient de publier son nouvel album sur <strong>le</strong> très branché label In Finé, <strong>le</strong> pianisteet percussionniste libanais Bachar Mar-Khalifé revient sur scène avec son père Marce<strong>le</strong>t son frère Rami. Un trio majuscu<strong>le</strong> qui fait la clôture et l’événement de la trentièmeédition de Banlieues B<strong>le</strong>ues.« Mon frère Rami et moi accompagnons Marcel,mon père, depuis plus de dix ans, maiscette fois nous formons un trio de trois musiciensà égalité : chacun apporte ses compositions,ses idées d’arrangements. Tout acommencé par un grand concert à Beyrouthen 2011. Depuis on réapprend à se connaître.Ce n’est pas toujours très simp<strong>le</strong>, car se rajoutela relation “norma<strong>le</strong>” père/fils, mais l’amournous rassemb<strong>le</strong>ra toujours. Rami et moi, dansnotre parcours, notre formation, nos désirs,avons toujours eu la volonté de nous éloignerde l’image du Père, alors qu’au final, ons’inscrit bien entendu dans une continuité,avec nos différences formel<strong>le</strong>s, cel<strong>le</strong>s de notregénération. Mais <strong>le</strong> besoin de liberté, <strong>le</strong> désirde s’affranchir des gril<strong>le</strong>s de <strong>le</strong>cture noir/blanc,sont des va<strong>le</strong>urs que l’on partage avec Marcel.D’ail<strong>le</strong>urs sur mon nouvel album, on trouve unthème de mon frère où j’insère des paro<strong>le</strong>s demon père. C’est la parfaite illustration de ceprocessus naturel. »Briser <strong>le</strong>s œillères« Mon père attendait cela depuis longtemps.On dit souvent de lui qu’il est un musicientraditionnel, alors que pour moi, il est un révolutionnairedans l’âme. Il a pris des risques,musicaux et autres, dans sa carrière. Et <strong>le</strong> faitque ses chansons prennent une nouvel<strong>le</strong> voie,soient trafiquées, est un chemin naturel pour<strong>le</strong>s faire vivre. Il aime <strong>le</strong> présent, la jeunesse,l’énergie que nous mettons dedans à travers<strong>le</strong>s sons é<strong>le</strong>ctroniques, <strong>le</strong>s rythmiques rock…Tout cela col<strong>le</strong> bien à sa personnalité qui a toujoursété de vouloir casser <strong>le</strong>s portes, briser <strong>le</strong>sfrontières esthétiques. »S’engager, forcément« Un artiste s’engage, par essence. S’exprimer,c’est un acte de résistance quand on voit quela société vise trop souvent à réduire <strong>le</strong>s espacesde liberté. C’est un privilège par rapportà tous ceux qui ne peuvent <strong>le</strong> faire. Pour autant,on ne peut pas comparer l’engagementde mon père et <strong>le</strong> mien. Les époques ne sontplus <strong>le</strong>s mêmes. Notre génération refuse <strong>le</strong>sinjustices, mais aussi <strong>le</strong>s cadres. Quand je reprends<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s d’Ibrahim Qashoush, poètesyrien qui fut retrouvé mort <strong>le</strong>s cordes voca<strong>le</strong>sarrachées, je <strong>le</strong> fais en mon nom, simp<strong>le</strong>ment.En ajoutant des éléments musicaux, j’y apportema manière de voir, une ambiguïté, quelquechose de très intime. Je n’ai pas vocation àêtre porte-paro<strong>le</strong>, une notion qui m’a toujoursparu réduire la portée de ceux qui en sont affublés.Mon père en sait quelque chose, commeson ami Mahmoud Darwich, qui était commeun “tonton”, un homme qui m’impressionnait.Certes, il parlait de la cause pa<strong>le</strong>stinienne,mais il était avant tout un poète universel. »Réinventer la tradition« Même si j’ai parfois envie de la faire exploser,j’ai un profond respect de la tradition.Parce que la tradition est une matière vivante,parce que la destruction peut être un acte debeauté. Cela permet de repartir du même solmais de faire pousser autre chose. Au Liban,on n’a pas encore un rapport de sincérité avecnotre époque : on ne regarde pas <strong>le</strong>s chosestel<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong>s sont, mais en se référant à desmythes. A l’aéroport de Beyrouth, ça fait trenteans qu’on écoute toujours <strong>le</strong>s mêmes chansons! C’est un peu comme <strong>le</strong> taboulé ! Lors duconcert avec Marcel à Beyrouth, certains nousont ainsi reproché de jouer avec l’é<strong>le</strong>ctronique,allant même jusqu’à dire qu’on était des traîtresau motif qu’on faisait de la musique américaine,alors que <strong>le</strong>s mêmes dansent tous <strong>le</strong>sweek-ends au son des synthés. C’est contretout ça qu’on se bat, cet enfermement dans <strong>le</strong>passé, des clichés, avec mon père. Et ce n’estsurtout pas contradictoire avec l’idée que j’aide la tradition. »n°56 Mars/Avril 2013


18<strong>Mondomix</strong>.comUn cridansla nuitMelissa LaveauxPropos recueillis par : Bertrand Bouard Photographie : Emma Pickn Melissa laveaux Dying is a wild Night(No Format)n En concert<strong>le</strong> 18 mars au Point Ephémère / <strong>le</strong> 30 àl’EMB de Sannois / <strong>le</strong> 25 avril au Printempsde Bourgesn www.myspace.com/melissalaveauxUn premier album acoustique, soul et créo<strong>le</strong> (Camphor and Copper, 2008) ; un second,Dying is a Wild Night, urbain, sombre et sensuel. La métamorphose de Melissa Laveaux,Canadienne d’origine haïtienne, doit beaucoup à une douloureuse installation à Paris,et à la façon dont el<strong>le</strong> fut surmontée.n Le changement d’univers entrevos deux albums est radical.Comment s’est-il opéré ?Mélissa Laveaux : L’album est plutôt poppar rapport au précédent, très synthé, avecun gros son, énormément de textes, un débitassez rapide... En fait, j’ai commencé parpenser ces nouvel<strong>le</strong>s chansons en termesrythmiques plutôt que mélodiques, aprèspas mal de concerts ces dernières annéesen duo avec Anne Pacéo, une batteuse dejazz. Mais je n’ai pas voulu me limiter à laformu<strong>le</strong> batterie/guitare et je me suis tournéevers <strong>le</strong>s Jazz Bastards, un trio de réalisateursqui voyaient plus loin que moi, avecdes orchestrations plus grandes. C’était assezrafraichissant. On a éga<strong>le</strong>ment essayéde sou<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s mélodies avec <strong>le</strong>s claviers,ceux de Vincent Taurel<strong>le</strong>, qui joue avec Airou Oxmo Puccino.n Qu’est-ce qui a inspiré l’écriturede ces chansons ?ML : L’album s’appel<strong>le</strong> Dying is a Wild Night[un emprunt à la poétesse américaineEmily Dickinson] car il par<strong>le</strong> d’un nouveaudépart, d’une nouvel<strong>le</strong> vie. Ma venue à Parisa commencé plutôt comme un arrêt : cen’était pas faci<strong>le</strong> de s’intégrer à un nouveaupays et à un nouveau mode de vie. Je suisarrivée à 23 ans, sans <strong>le</strong>s papiers appropriés- j’ai été en situation irrégulière pendantdeux, trois ans. Et contrairement au Canada,la France n’est pas un pays très ouvertà la migration, tu ne te sens pas vraimentbienvenue... De plus, je n’avais jamais vécuen dehors de ma famil<strong>le</strong> et je suis passéedu statut d’étudiante à celui d’intermittente.Je vivais un peu de la musique, mais aussidu babysitting, de cours de chant, d’anglais,j’ai même fait des sites web... Mon départ aéga<strong>le</strong>ment été un grand chagrin pour mesparents : ils avaient émigré d’Haïti à 18 ansafin que <strong>le</strong>urs enfants aient une vie plus faci<strong>le</strong>au Canada, et voilà que je quittais celui-ci,mon pays natal, pour tout recommencer àzéro... Il y a donc eu une rupture avec ma famil<strong>le</strong>,assez pénib<strong>le</strong> pour tout <strong>le</strong> <strong>monde</strong>. Lestextes par<strong>le</strong>nt du coup d’iso<strong>le</strong>ment, d’automutilation,de départ, de rupture, de renaissance,de dégout de soi. C’est horrib<strong>le</strong> depenser qu’on déçoit <strong>le</strong>s gens qu’on aime <strong>le</strong>plus au <strong>monde</strong>...n L’album est pourtant traversépar une bel<strong>le</strong> énergie...ML : Je n’aime pas rester dans l’évidence.Il est triste mais dansant. Je ne suis pas LeonardCohen, je n’avais pas envie d’écriredes chansons pour que <strong>le</strong>s gens se tirentune bal<strong>le</strong> dans la tête. En France, beaucoupde chanteuses ont la voix très douce, trèsfragi<strong>le</strong>, et je ne me voyais pas du tout fragi<strong>le</strong>sur cet album. J’avais envie de crier un peu.« Je ne me voyais pas du tout fragi<strong>le</strong>sur cet album. J’avais envie de crierun peu »n Quel<strong>le</strong> place occupent vos racineshaïtiennes dans votre musiqueaujourd’hui ?ML : Il y a une chanson en créo<strong>le</strong> sur l’album,très inspirée par <strong>le</strong> Strange Fruit de Billie Holiday,qui par<strong>le</strong> d’un arbre ayant servi au lynchage,ce qu’il dirait aujourd’hui... En anglaisou en français, ça n’aurait rien donné, mais encréo<strong>le</strong>, c’était intéressant à écrire. C’est unelangue plus sexuel<strong>le</strong>, dans laquel<strong>le</strong> on peutmettre beaucoup d’images avec une grandeéconomie de mots. Au niveau de mon héritage,je pense qu’il me reste une façon d’écrireun peu créo<strong>le</strong>, des références à la spiritualité,au feu, à l’eau... Peut-être aussi dans mon jeude guitare, même si ce ne sont pas forcémentdes influences si littéra<strong>le</strong>s que ça. El<strong>le</strong>s surgissentde manière un peu inconsciente.n°56 Mars/Avril 2013


Musiques19FrenchriddimsBIGA*RANXTexte : Franck Cochon Photographie : D.R.A 25 ans, <strong>le</strong> Français Biga*Ranx en est déjà à son second album.Une (jeune) vie vouée au reggae, dans un mélange de révélation et de précocité.Le reggae, celui qui n’est pas encore Biga<strong>le</strong> découvre à Tours à 13 ans par la poignéed’albums confiée par son frère ainé,DJ : « Je <strong>le</strong>s ai écoutés en bouc<strong>le</strong>. J’étais<strong>le</strong> seul à écouter ce genre de musique parmimes potes. Pour eux, j’étais l’ovni ». Unovni qui fera ses stages de collège dans desmagasins de disques reggae. 2004, 16 anset <strong>le</strong> voilà déjà à prendre <strong>le</strong> micro dans <strong>le</strong>ssound systems : « En entendant U-Roy, j’aivoulu faire pareil. J’ai d’abord imité <strong>le</strong> trucgrossièrement puis j’ai appris. Je paraissaismoins que mon âge, ça me donnait un côtéattraction de foire qui faisait que <strong>le</strong>s gensse souvenaient de moi. Mon nom est passédans <strong>le</strong> milieu et je me suis retrouvé dansp<strong>le</strong>ins de plans ».Pè<strong>le</strong>rinage en JamaïqueBiga lâche alors <strong>le</strong>s cours pour la musique.Sa majorité concrétise <strong>le</strong> pè<strong>le</strong>rinageen Jamaïque dans <strong>le</strong> sillage d’un pote s’yrendant pour raisons commercia<strong>le</strong>s : « Al’arrache ! On trainait dans des endroitsassez cra-cra pour faire des dub-plates.ça a modifié radica<strong>le</strong>ment ma vision de lamusique quand j’ai vu que des bad boysécoutaient Céline Dion et que <strong>le</strong>s grosnoms du roots, icônes chez nous, étaientjuste des gens comme <strong>le</strong>s autres chez eux.Parfois même oubliés… ». Retour en Franceet montée à Paris sans trop d’argent nide diplôme, avec en point de chute un studiod’enregistrement que Biga squatte entreune soirée et une gravure de 45 tours. Lelieu est aussi fréquenté par Joseph Cotton,toaster jamaïcain avec qui il enregistre unfreesty<strong>le</strong> enfumé. La vidéo atterrit sur <strong>le</strong> net,occasionne de gros visionnages et déc<strong>le</strong>nchede nouvel<strong>le</strong>s propositions. Jusqu’à cettemise en contact deux ans plus tard avecX-Ray et la réalisation en 2011 de On Time,premier album consacré par <strong>le</strong>s sites spécialisés: « ça a été une surprise ! C’étaité<strong>le</strong>ctro et expérimental, très décalé pour <strong>le</strong>spuristes ».Digital, roots et dancehallQu’importe, <strong>le</strong> résultat est là. Et c’est sanspression insurmontab<strong>le</strong> que Biga se remetsur <strong>le</strong> riddim en 2013 pour Good MorningMidnight et ses sonorités cette fois plusdans <strong>le</strong>s clous : digital, roots, dancehall.Avec <strong>le</strong>s thèmes éternels d’amour, d’unitéet de respect, sur des instrus captés chezdivers producteurs puis retravaillés maison :« ça me permet de récupérer de la vibe chez<strong>le</strong>s autres. Je travail<strong>le</strong> avec des musiciensmais je viens du digital, j’aime la programmation.Pour <strong>le</strong>s enregistrements d’instrumentslive, je préfère juste <strong>le</strong>s ajouts, comme uneguitare, qui ne remettent pas en questionla rythmique. J’aime quand ça tombe biendroit, avec la batterie limite kitsch. C’est« ça a modifié radica<strong>le</strong>mentma vision de la musiquequand j’ai vu que des bad boysécoutaient Céline Dion »bon d’avoir <strong>le</strong> groove de la batterie mais siça tombe à côté, je suis dans la merde ! ».Et quid du syndrome Eminem, <strong>le</strong> Blanc quiperforme dans une musique de Noirs ? «Les Jamaïcains respectent ça, ils apprécientqu’on représente <strong>le</strong>ur musique. Qu’on porte<strong>le</strong> drapeau pour eux ».n Biga*RanxGood Morning Midnight (Xray Production)n En concert<strong>le</strong> 9 mars à Marseil<strong>le</strong> / <strong>le</strong> 22 à Nantes/ <strong>le</strong> 4 avril à Limoges / <strong>le</strong> 11 à LaRochel<strong>le</strong> / <strong>le</strong> 18 à Puteaux dans <strong>le</strong>cadre du Festival Chorusn www.myspace.com/bigaranxn°56 Mars/Avril 2013


20<strong>Mondomix</strong>.comCoupd’éclatBassekou KouyatéTexte : Bertrand Bouard Photographie : C.Jensschwarzn Bassekou Kouyaté & Ngoni BaJama Ko (Out Here Rec./Harmonia Mundi)sortie <strong>le</strong> 26 marsn EN CONCERT <strong>le</strong> 18 mai au festivalMusiques Metisses d’Angoulêmen www.bassekoukouyate.comEnfanté dans la tourmente d’un coup d’Etat, Jama Ko démontre la remarquab<strong>le</strong> vitalitéde la musique malienne par temps de crise. Son maître d’œuvre revient sur cette chaotiquegestation, ainsi que sur <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des musiciens en cette période troublée.Bassekou Kouyaté n’est pas près d’oublier <strong>le</strong>premier jour d’enregistrement de Jama Ko. Ence 22 mars 2012, lui et ses musiciens, dontses deux fils, pénètrent dans un studio deBamako sur <strong>le</strong> coup des 14 heures, accompagnésd’une petite équipe d’Occidentaux,producteur, ingénieur du son, journalistes.Une heure plus tard, la capita<strong>le</strong> malienne bascu<strong>le</strong>dans <strong>le</strong> chaos. « On entendait des coupsde feu de tous <strong>le</strong>s côtés, raconte Bassekou.Le photographe al<strong>le</strong>mand qui était parti envil<strong>le</strong> nous a appelés : “Il y a des problèmeslà, des militaires sont en train de tirer en l’air,il faut venir me chercher...” ». Le coup d’Etatdu capitaine Sanogo venait de commencer,qui emporta en quelques heures <strong>le</strong> régimedu président Amadou Toumani Touré suite àla conquête du nord du pays par différentsgroupes armés.Pour Bassekou, la situation vira au cauchemar: « J’étais hors de moi. J’avais notammentpeur que quelque chose n’arrive auxEuropéens qui étaient venus exprès pourmoi. L’aéroport était fermé, on ne pouvait passortir, ni trouver d’essence. C’était la catastrophequoi. » Le morceau Ne Me FatiguePas témoigne de la façon dont Bassekourépondit à cet état de stress : dans <strong>le</strong>s gerbesde notes d’une urgence fol<strong>le</strong>, saturéesde distorsion, de son n’goni. Le griot décidaen effet de poursuivre l’enregistrement dansson salon, vail<strong>le</strong> que vail<strong>le</strong>. Quitte à s’adapteraux circonstances : « J’ai changé un peu mafaçon de jouer, ainsi que quelques paro<strong>le</strong>s.J’ai voulu m’adresser aux Maliens, <strong>le</strong>ur direde penser à notre pays, à ce qu’ont accomplinos ancêtres : on n’a pas <strong>le</strong> droit de gâternotre pays comme ça ! ».« C’est très important que <strong>le</strong>smusiciens continuent à se faireentendre, car on n’a que notreculture au Mali »Reconstruire <strong>le</strong> paysInnervé par cette tension, Jama Ko comptede nombreuses plages décapantes, d’autresplus méditatives. Une merveil<strong>le</strong> de synthèseentre traditions érudites et innovations radica<strong>le</strong>s,avec pour soutien <strong>le</strong> groupe N’GoniBa, soit quatre n’gonis de concert. Une desnombreuses révolutions apportées par BassekouKouyaté à la pratique de ce luth antique,qu’il a contribué presque à lui seul àfaire connaître au <strong>monde</strong> entier, ajoutant descordes, utilisant des effets, adaptant son accordagede manière à pouvoir dialoguer avec<strong>le</strong>s instruments occidentaux. « Le n’goni est<strong>le</strong> plus vieil instrument des griots dans notrepays, mais il restait isolé, alors qu’il offre mil<strong>le</strong>possibilités. Il fallait <strong>le</strong> faire sortir... », expliquecelui qui s’est produit avec U2, Santana, DamonAlbarn ou Taj Mahal, présent sur JamaKo pour un blues d’anthologie.A 47 ans, Bassekou confirme qu’il est l’unedes figures de proue de cette génération demusiciens maliens surdoués et visionnaires,ayant choisi de moderniser <strong>le</strong>s traditions etde <strong>le</strong>s ouvrir au <strong>monde</strong>, résolument. Maisaujourd’hui, toute son attention se porte versson propre pays, et sa future et diffici<strong>le</strong> reconstruction.« C’est très important que <strong>le</strong>smusiciens continuent à se faire entendre, caron n’a que notre culture au Mali. Nous nesommes pas un pays riche, mais notre musiquel’est, grâce à la diversité des ethnies.Stopper la musique malienne, comme <strong>le</strong> voulaientcertains [<strong>le</strong>s groupes salafistes], reviendraità stopper <strong>le</strong> cœur du pays… On doittous continuer à se battre pour que la paixrevienne, ainsi que la démocratie et la liberté.Les artistes au même titre que tous <strong>le</strong>s bonscitoyens, c’est à dire tous ceux qui ne par<strong>le</strong>ntpas dans <strong>le</strong>ur seul intérêt personnel ».n°56 Mars/Avril 2013


Musiques21Le GrandNordWarsaw Village BandPropos recueillis par : François Mauger Traduits par: Kat Banaszek Photographie : Radek Polak« S’abandonner dans cette musique,c’est une forme de voyage spirituel,presque psychédélique »n Warsaw Village Band Nord (Jaro)n EN CONCERT <strong>le</strong> 6 avril à Nantesdans <strong>le</strong> cadre du festival Eurofonikn www.warsawvillageband.netl Retrouvez l’interview en intégralitésur www.mondomix.comLe temps passe : <strong>le</strong> Warsaw Village Band a 15 ans. Les apôtres polonais de « l’hardcore folk »ont coupé <strong>le</strong>urs dreadlocks mais n’ont pas perdu la flamme. Serrés autour d’une minuscu<strong>le</strong>tab<strong>le</strong> ronde, au Vauban, un mythique café-concert de Brest où <strong>le</strong> festival No Border <strong>le</strong>s avaitprogrammés, ils nous ont expliqué <strong>le</strong>ur démarche en détails. Retour vers Nord, <strong>le</strong>ur récente –et impérieuse – invitation au voyage.n L’idée de départ de ce disqueétait-il de retrouver des liens avecd’autres peup<strong>le</strong>s européens ?Maciej Szajkowski : Effectivement, l’idéede Nord était de montrer <strong>le</strong>s similarités entre<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s scandinaves et polonais. Ilspartagent de nombreuses choses. Ils viventde part et d’autre d’une même mer. Au XVII esièc<strong>le</strong>, cette mer, la Baltique, a gelé. LesScandinaves ont traversé. Les Suédois, enparticulier, ont occupé la Pologne pendantplusieurs années. Ils en ont conservé des tracesdans <strong>le</strong>urs traditions musica<strong>le</strong>s.n Notamment ces fameuses « voixblanches », ce chant de berger,proche du cri, qui caractérise vosenregistrements ?MS : Non, ce sont surtout des emprunts instrumentaux.Par exemp<strong>le</strong>, la danse nationa<strong>le</strong>suédoise est la « polska », dont <strong>le</strong> nom, aumoins, vient de la Pologne. En voyageant enScandinavie, nous nous sommes aperçusqu’il existait beaucoup d’autres caractéristiquescommunes, comme <strong>le</strong>s nombreusessimilarités entre <strong>le</strong> chant blanc et <strong>le</strong> chanttraditionnel scandinave. Au fond, cette façonde chanter est une forme d’expressiontrès naturel<strong>le</strong>. On la retrouve même dans <strong>le</strong>joik, <strong>le</strong> chant traditionnel du peup<strong>le</strong> saami.L’essentiel est de comprendre que, malgréla diversité des instruments et des langues,tout nous lie en tant que peup<strong>le</strong>s. Nord estun album humaniste.n Il est <strong>le</strong> résultat de plusieursannées de voyage ?MS : Oui, il aurait été impossib<strong>le</strong> de <strong>le</strong> concevoirsans voyages. Il n’aurait pas à la fois cetancrage dans notre musique traditionnel<strong>le</strong>polonaise et cette ouverture. Sans voyages,sans rencontres, sans <strong>le</strong>s gens et <strong>le</strong>s culturesque nous avons découverts, nous n’aurionspas osé creuser aussi profondément parminos propres racines. C’est un paradoxe culturelmais un paradoxe positif…n Comment <strong>le</strong> disque est-il accueillien Pologne ?MS : Nord rappel<strong>le</strong> à nos fans ce qui fait laforce de notre groupe, sa marque, son signedistinctif : des sonorités qui appel<strong>le</strong>nt latranse, des rythmes très denses, répétitifs,assez minimalistes, des harmonies voca<strong>le</strong>sféminines… Bref, une façon de concevoirla musique en communauté qui décou<strong>le</strong> denotre réf<strong>le</strong>xion sur l’origine de la musiqueet ce qu’el<strong>le</strong> était à la base pour <strong>le</strong>s gens.S’abandonner dans cette musique, c’est uneforme de voyage spirituel, presque quelquechose de psychédélique.n Vu de France, vous incarnez àvous seuls la Pologne. La scène folkpolonaise manquerait-el<strong>le</strong> de vitalité ?MS : C’est un problème d’éducation. Pendantlongtemps, <strong>le</strong>s initiatives en faveur d’unerevitalisation de nos traditions n’ont été soutenuesni par <strong>le</strong> ministre de la Culture, ni par <strong>le</strong>gouvernement, ni par <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s. Aujourd’hui,<strong>le</strong>s consciences changent et cela porte desfruits petit à petit. La génération qui viendraaprès nous pourra réinterpréter la traditiond’une manière plus audacieuse.n Le groupe a changé récemment.Cela a été l’occasion d’explorer denouvel<strong>le</strong>s directions ?MS : Deux membres du groupe sont partis.Ce changement nous a permis un retour ànos va<strong>le</strong>urs d’origine, à l’esprit communautaire.Nous revenons à la simplicité, à l’harmonie,à un chant féminin choral. Voire au principemême de l’anarchie : « Les vrais meneursn’ont pas besoin de suiveurs, ils créent denouveaux meneurs ».n°56 Mars/Avril 2013


22<strong>Mondomix</strong>.com« J’arpentais <strong>le</strong> métro quotidiennementpour trouver des musiciens gitans »Afrobalkaniquen Wanlov and the Afro Gypsyband (Pidgen Music)n EN CONCERT <strong>le</strong> 23 mars àMarseil<strong>le</strong> pour Babel Med Musicn www.myspace.com/wanlovWanlov & The Afro Gypsy BandTexte : Benjamin MiNiMuM Photographie : D.R.Prix <strong>Mondomix</strong> Babel Med Music 2013, Wanlov & The Afro Gypsy Band croise rapet reggae, musiques ghanéennes et balkaniques. Une étonnante synthèse, qui doit toutau parcours pour <strong>le</strong> moins singulier de son créateur, <strong>le</strong> chanteur Wanlov, né d’un pèreghanéen et d’une mère roumaine. Présentations.Au cours des années soixante, sous l’impulsiondu père de l´indépendance Kwame Nkrumah,<strong>le</strong> Ghana se rapprocha des pays du bloc communiste.Les meil<strong>le</strong>urs étudiants du pays eurentl’opportunité de parfaire <strong>le</strong>ur éducation enEurope de l’Est. Un jour d’octobre 1974, EmmanuelJames Owusu-Bonsu débarqua ainsien Roumanie pour étudier l´extraction du gazet du pétro<strong>le</strong> à Ploiesti. Trois ans plus tard, ilfit la rencontre de Félicia, une jeune Roumaineétudiante en économie. En 1979, un garçonnaquit de <strong>le</strong>ur union. Il n’avait que deux anslorsque sa famil<strong>le</strong> décida de s’instal<strong>le</strong>r au Ghana,mais retournera fréquemment en vacancesen Roumanie dont il assimi<strong>le</strong>ra la langue et laculture.C´est sur <strong>le</strong>s disques de ses parents que <strong>le</strong>jeune ado<strong>le</strong>scent commence à chanter. « J’aitoujours écouté du high life, de l’afrobeat, desmusiques traditionnel<strong>le</strong>s du Ghana, mais ausside la pop, du hip hop, du reggae, ainsi que dumane<strong>le</strong> [musique populaire roumaine contemporaine],des orchestres lautaris ou tziganesavec ma mère », se souvient Wanlov. Etudiant,il se tourne vers <strong>le</strong> rap et, en 2002, au Texasoù il étudie l´informatique, s’associe avec desMC’s des Bahamas ou d’Afrique. En 2003, iladopte son pseudonyme : « J´ai choisis Wanlovcar j’aimais <strong>le</strong> message universel de la chansonOne Love de Bob Mar<strong>le</strong>y. En 2005, j´ai ajoutéThe Kubalor, qui signifie « vagabond », quandj’ai entendu des fans ghanéens m’appe<strong>le</strong>r ainsipendant un concert. Pour moi ce mot a aussi<strong>le</strong> sens d’aventurier, d’explorateur ».En 2007, de retour au Ghana, il produit sonpremier album, Green Card, inspiré par sonexpérience américaine. Un succès. L´Unicef ytrouve même une chanson pour une campagnecontre <strong>le</strong> traffic d´enfants. En 2010, YellowCard, qui sort pendant la Coupe du <strong>monde</strong> enAfrique du Sud, dénonce la corruption dansson pays tout en encourageant l´équipe nationa<strong>le</strong>de football.L’or <strong>le</strong> plus pur du <strong>monde</strong>Un jour qu’il travail<strong>le</strong> sur un rythme kpalango,une musique ghanéenne inspirée du rock’n’roll, il y superpose un loop de fanfare desBalkans. Une révélation : « J’ai eu l´impressiond´avoir trouvé l’or <strong>le</strong> plus pur du <strong>monde</strong> et j’aicommencé à imaginer un grand orchestrecomposé de musiciens d’Afrique de l’Ouestet d’Europe de l’Est ». Après avoir remporté<strong>le</strong> concours Visas pour la Création lancé parl´Institut Français, il débarque en résidenceà Paris et cherche à y monter l’orchestre deses rêves : « Je pouvais compter sur mesmusiciens du Ghana, mais j’arpentais <strong>le</strong> métroquotidiennement pour trouver des musiciensgitans. ça n’a pas été faci<strong>le</strong>, mais j’ai finipar rencontrer <strong>le</strong> violoniste Filippo Baraldi etl’accordéoniste Jérôme Soulas du groupe LaMenina Sin Nombre, qui se sont enthousiasméspour l’aventure. » L’Afro Gypsy Band estné. Un album suit, Brown Card, en référenceà la carte marron nécessaire pour conduirelibrement à travers l’Afrique de l’Ouest. En2011, grâce au programme Equation Musique,Wanlov & The Afro Gypsy Band part pourune tournée de deux semaines à travers septpays européens, dont la Roumanie, où il reçoitun triomphe.Moitié par ail<strong>le</strong>urs du duo hip-hop Fokn Bois,Wanlov a trouvé sa voie. Au côté festif où semê<strong>le</strong>nt rythmes africains, rap, reggae et fièvrebalkanique, s’ajoute un engagement constant: «J´ai récemment soutenu la ministre desdroits de la femme et des enfants, Nana OyeLithur, dans son combat en faveur de la reconnaissancedes droits des homosexuels. Nousavons été lourdement attaqués à travers <strong>le</strong>smédias. Je n’ai pas eu <strong>le</strong> courage de lire <strong>le</strong>smil<strong>le</strong>s messages d’insultes et de menaces reçuspar internet ou Facebook. » Gageons queson concert à BabelMed lui attirera davantaged’éloges.n°56 Mars/Avril 2013


Musiques23Locomotivee<strong>le</strong>ctroargentineCHANCHA VIA CIRCUITOTexte : Yannis Ruel Photographie : Pedro Quintans« L’e<strong>le</strong>ctro produite à Buenos Airesse caractérise par notre absencede préjugés pour fusionner<strong>le</strong>s rythmes et <strong>le</strong>s genres »n Chancha Via Circuito Semillas EP(ZZK Records) en téléchargement gratuit sur <strong>le</strong> site du labelwww.zzkrecords.comn EN CONCERT dans <strong>le</strong> cadre du FestivalMétis de Seine-St-Denis, <strong>le</strong> 17 avril à Saint-Ouen et <strong>le</strong> 18 à Stainsn www.chanchaviacircuito.comInvité pour la première fois en France dans <strong>le</strong> cadre du Festival Métis à Saint Denis,l’Argentin Pedro Cana<strong>le</strong> (aka Chancha Via Circuito), f<strong>le</strong>uron du label é<strong>le</strong>ctro ZZK,invite à la découverte d’un univers chamanique perché au-dessus des dancefloors.n Chancha Via Circuito, que signifiece surnom ?Pedro Cana<strong>le</strong> : C’est ainsi que <strong>le</strong>s gens dela province de Buenos Aires appel<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> trainqui relie la capita<strong>le</strong> au sud de l’agglomération.La Chancha (« truie », en espagnol) est <strong>le</strong> nomqu’ils donnaient à l’ancienne locomotive Fiat,qui était grosse comme un cochon. Et « ViaCircuito » est celui de la ligne de chemin defer. J’ai fait tous <strong>le</strong>s jours ce trajet pendant desannées, à l’époque où j’étudiais la musiqueé<strong>le</strong>ctroacoustique dans la banlieue de Bernal.L’ambiance du train m’a beaucoup inspiré,avec ses vendeurs ambulants et la cumbia àp<strong>le</strong>in volume dans <strong>le</strong>s wagons.n On a découvert ton travail il ya cinq ans, grâce à la premièrecompilation du label ZZK. Tu faisaisdéjà de la musique avant ça ?PC : J’ai commencé à composer de la musiquesur ordinateur en 2000, sous <strong>le</strong> nomd’Universildo. Il existe d’ail<strong>le</strong>urs un EP de ceprojet, qu’il est toujours possib<strong>le</strong> de téléchargersur internet. J’ai ensuite choisi de changerde pseudonyme, afin de souligner l’influencede la musique latino-américaine sur montravail. C’était en 2006, au même momentqu’étaient organisées <strong>le</strong>s premières soiréesZizek auxquel<strong>le</strong>s j’ai participé, peu avant quene soit créé <strong>le</strong> label.n Tu as produit tes premiersmorceaux sur un ordinateur PCfamilial, avec peu de moyenstechnologiques. Est-ce que tucrois que ce mode de productionest quelque chose qui distingue lamusique é<strong>le</strong>ctronique en Argentine,du moins à ses débuts ?PC : Non, je pense que l’e<strong>le</strong>ctro produite àBuenos Aires ne se caractérise pas par unequestion de moyens - certains en ont etd’autres moins - mais plutôt par notre absencede préjugés pour fusionner <strong>le</strong>s rythmes et<strong>le</strong>s genres. Avec <strong>le</strong> temps, j’ai amélioré monéquipement de sorte à travail<strong>le</strong>r désormaisdans un petit home-studio. La qualité de mesproductions s’en ressent !n Ton premier album, Rodante, étaittrès cumbia. Les suivants <strong>le</strong> sontmoins et s’éloignent aussi de laligne club de ZZK…PC : Je continue à adorer la cumbia et c’estd’ail<strong>le</strong>urs ce que je passe <strong>le</strong> plus lors de messets DJ. Pour mes propres compositions,en revanche, j’aime expérimenter avec <strong>le</strong>srythmes et <strong>le</strong>s textures <strong>le</strong>s plus variés. A celas’ajoute <strong>le</strong> fait que je préfère en général <strong>le</strong>stempos plutôt <strong>le</strong>nts, qui ne sont pas forcément<strong>le</strong>s plus dansants.n Les notes de pochette de tondernier EP, Semillas, évoquent uneconversation poétique que tu auraiseue avec un arbre. Ce dialogueentre <strong>le</strong> <strong>monde</strong> organique et latechnologie contemporaine semb<strong>le</strong>être au centre de ton imaginaire…PC : Il est sûr en tous cas que <strong>le</strong>s deux cohabitentdans ce que je fais. La technologie est cequi me permet aujourd’hui d’exprimer ce queje ressens lorsque je suis dans la nature, oùj’adore m’échapper <strong>le</strong> plus souvent possib<strong>le</strong>.n Par<strong>le</strong>-nous de tes présentationsau Festival Métis, qui te programmedeux soirs de suite.PC : Je prépare une création inédite avec <strong>le</strong>groupe Tremor [autre signature du label ZZK],qui est composé de trois musiciens armés notammentde ces gros tambours andins quel’on appel<strong>le</strong> bombo. Quant au deuxième soir,je serai accompagné par l’artiste plasticiennePaula Duró, qui a réalisé <strong>le</strong>s pochettes de mesdeux derniers disques. Nous proposerons unesorte de voyage audiovisuel, au cours duquelma musique sera complétée par des projectionsde peintures animées.n°56 Mars/Avril 2013


24en couverture“Ca m’a donné la niaquequand j’ai vu qu’ilschantaient mes chansonspendant <strong>le</strong> printemps arabe”


Musique / en couverture25Le Kingest de retourRachid TahaPropos recueillis par : Benjamin MiNiMuM Photographies : Marc-Antoine SerraDepuis <strong>le</strong> départ de Bashung, Rachid Taha est certainement <strong>le</strong> plus grand rockeurfrançais. Robert Plant, Mick Jones ou Justin Adams, son récent producteur, n’ontaucun doute à ce sujet. En France, Rachid Taha reste pourtant catalogué chanteur deworld music. Conversation déliée et sans tabous autour de la sortie de Zoom, l’un deses plus grands albums, et l’un des plus rock’n’roll.n Tu sors dit-on d’une période diffici<strong>le</strong>. Que s’est ilpassé ?Rachid Taha : ça arrive à tout <strong>le</strong> <strong>monde</strong>, c’est une expérience humaine.Une histoire d’amour s’est terminée et tout m’est tombé dessusen même temps. Je me suis séparé de ma maison de disqueset de mon tourneur. J’ai fait une petite dépression, puis c’est reparti.ça m’a permis de me régénérer, de savoir dans quel<strong>le</strong> direction jevoulais al<strong>le</strong>r, avec quel<strong>le</strong>s personnes j’avais envie de travail<strong>le</strong>r, ce queje voulais écrire. J’ai resserré <strong>le</strong>s boulons. J’ai un peu nettoyé. J’airéduit l’espèce de cour qui ne te dit jamais la vérité. Parfois, tu asdes relations un peu fictives qui ne sont pas toujours ce que tu crois.Mon entourage proche, <strong>le</strong>s bons amis, sont toujours là. J’ai aussifait un voyage dans <strong>le</strong> désert. En Jordanie, j’ai visité <strong>le</strong> Wadi Rum,là ou se trouvait Lawrence d’Arabie. Je cherchais un endroit où ilfaisait chaud pour <strong>le</strong> nouvel an, mais je ne me suis jamais autantcaillé <strong>le</strong>s miches que pendant <strong>le</strong>s nuits là-bas. C’était important pourmoi de faire ça. On dit que « <strong>le</strong> désert, c’est Dieu sans <strong>le</strong>s hommes» [Balzac].n Et la santé ?R. T. : ça va bien. J’ai choppé une hernie il n’y a pas longtempsmais je l’ai réparée. Pour rester en forme, je fais des pauses de troisjours pendant <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s je ne mange que des fruits et des légumes,je bois de la flotte et je ne fume pas de cigarettes. C’est un copainqui m’a donné la recette. Dans ces cas là, je reste chez moi.n En prenant ce recul, t’es-tu aperçu qu’il y avait deschoses que tu n’aurais pas dû faire ?R. T. : La seu<strong>le</strong> chose que je regrette, c’est de ne jamais avoir arrêtépendant dix ans, de ne pas avoir pris de temps pour moi. J’ai enchaîné<strong>le</strong>s tournées et <strong>le</strong>s albums. En dix ans, j’ai fais près de 2000concerts. Un jour, tu es à Los Ange<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain dans un b<strong>le</strong>den Bretagne et <strong>le</strong> jour d’après, en Irlande. Pendant ce temps là, jene voyais pas mon fils grandir.n Pour ton nouvel album, tu t’es associé avec JustinAdams...R. T. : J’ai rencontré Justin Adams lors d’un concert où il jouait avecRobert Plant et on s’est bien entendu. Au moment de choisir unproducteur, j’ai pensé à lui à cause de sa musique, de ses collaborations,comme Tinariwen, que j’adore [Adams a produit deux de<strong>le</strong>urs albums]. Je l’avais vu à l’Alhambra avec Juju et je me suis dis :« C’est l’homme qu’il me faut. »n Il fait <strong>le</strong> lien entre <strong>le</strong> rock et l’Afrique...R. T. : Il ramène <strong>le</strong> rock à son point de départ, car <strong>le</strong> rock vientd’Afrique. C’est quelqu’un de très ouvert, avec une culture importantequi va du rock à l’Afrique en passant par <strong>le</strong> <strong>monde</strong> arabe. Ilpar<strong>le</strong> un peu arabe, il comprenait la direction que je voulais prendre,il comprenait mes angoisses. C’était un peu mon ami et mon psy.n Que lui as-tu dit avant de commencer ?R. T. : « Fais ce que tu veux, je sais ce que tu fais ». On s’est compristout de suite. Il est très positif, toujours souriant. Il ne mettait jamaisde barrières. Je lui disais : « J’aimerais tel instrument », il me répondait« pas de problème ». Il joue de tout et c’est un sacré guitariste.On a préparé tous <strong>le</strong>s titres chez moi, dans mon studio. Ensuite, jelui ai demandé de choisir <strong>le</strong>s titres et on est parti à Bath dans <strong>le</strong>sstudios de monsieur Peter Gabriel.n°56 Mars/Avril 2013


26 <strong>Mondomix</strong>.com“Quand j’ai reprisRock The Casbah, Mick Jonesm’a dit que ma version étaitmeil<strong>le</strong>ure que la <strong>le</strong>ur”n Tu avais plus de morceaux quenécessaire ?R. T. : J’en avais 80. Justin était surpris ; jelui ai répondu : « C’est mon métier ! ». Ce quim’a donné la niaque, c’est quand j’ai vu quependant <strong>le</strong>s manifestations du printempsarabe, ils chantaient mes chansons H’asbu-Hum (« Demandez <strong>le</strong>ur une explication »),Barra Barra (« Dehors ! Dehors ! ») ou VoilàVoilà Que Ca Recommence. Je me suis ditque j’étais encore dans <strong>le</strong> vif du sujet.n A propos du printemps arabe…R. T. : C’est l’hiver maintenant.n Mais qu’est ce que tu penses ?R. T. : J’ai mal. De ces pays, j’aimerais unjour entendre dire qu’ils ont été sur la lune,qu’ils ont découvert quelque chose. Eux tedisent que [<strong>le</strong>urs problèmes viennent] de lacolonisation. Mais je suis désolé, au Vietnam,ils ont vécu ça pendant 40 ans, mais ils ontévolué. Dans <strong>le</strong>s pays arabes, c’est à causedes gouvernements qu’il y a ces débi<strong>le</strong>smentaux. Quand on entend par<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s intégristes,ce sont des analphabètes bilingues.J’ai l’impression qu’ils lisent l’arabe de gaucheà droite. Ils détruisent des monuments.Au Mali, ils ont brûlé des livres vieux de je-nesais-combiende sièc<strong>le</strong>s. En même temps,l’Occident n’est pas innocent, ils ont créedes monstres et ces monstres se retournentcontre nous. Mais <strong>le</strong>s premières victimessont <strong>le</strong>s musulmans, comme en Algériependant la guerre civi<strong>le</strong>, ou en Afghanistan,où ce sont <strong>le</strong>s Afghans et <strong>le</strong>s Afghanes quisouffrent.n Et la situation en France ?R. T. : Les parents ont baissé <strong>le</strong>s bras, ils sontchômeurs, abandonnés, ils ne s’occupentpas de <strong>le</strong>urs mômes. La République a aussibaissé <strong>le</strong>s bras, el<strong>le</strong> ne <strong>le</strong>s a pas suivis. Il ya trente ans, quand on a fait la marche desBeurs, on disait : « Faîtes attention, nous ça vaencore, mais si vous ne vous occupez pas dela génération d’après, el<strong>le</strong> va être pire ». Et ony est : Merah, c’est un pur produit français. Cequi m’a <strong>le</strong> plus choqué pendant cette histoire,c’était cette bande en bas de l’écran pendant<strong>le</strong>s reportages : « Mohamed Merah, Françaisd’origine algérienne ». Quand Zidane marque,il est Français, quand il ne marque pas, il estfrançais d’origine arabe. On ne verra jamais :« Lizarazu, français d’origine basque » (il éclatede rires). Quand <strong>le</strong>s gamins voient ça, ils sedisent : « On n’est pas français ». La gauchecomme la droite ont fait beaucoup d’erreurs.Les gamins aujourd’hui pensent qu’ils n’ontpas <strong>le</strong>ur place.n Tu as ressorti Voilà Voilà enréponse au score du FrontNational.R. T. : J’avais parié que Le Pen arriverait ausecond tour, personne ne m’avait cru. Lesgens ne se rendent pas compte de la réalité :aujourd’hui, quand tu cherches un appart’ ouun boulot et que tu as un nom arabe, c’estmort. En boîte de nuit, il arrive qu’on ne melaisse pas entrer.n Revenons au disque. On y trouvede prestigieux invités...R. T. : Il y a une petite collaboration avecBrian Eno. ça fait pratiquement vingt ansqu’on se croise, il a toujours fait partie demon univers de façon amica<strong>le</strong>. On s’appel<strong>le</strong>,je lui demande conseil pour la production.Lui me dit que je n’ai pas besoin de producteur,moi j’ai besoin d’une oreil<strong>le</strong> extérieure,j’ai trop peur. Un jour, il m’a dit : « C’est toiqui devrait me produire, c’est toi qui viensde là-bas ».n Mick Jones...R. T. : En 1981, quand <strong>le</strong>s Clash sont passésà Mogador, j’ai été <strong>le</strong> voir avec ma petitecassette pour qu’il produise Carte de Séjour.En 2008, quand j’ai eu <strong>le</strong> BBC Awards, MadameJoe Strummer m’a remis <strong>le</strong> prix et ditque je lui rappelais son mari. Mick Jonesétait là aussi. Quand j’ai repris Rock theCasbah, il m’avait fait un sacré complimenten me disant que ma version était meil<strong>le</strong>ureque la <strong>le</strong>ur. Par la suite, on a joué ensemb<strong>le</strong>pendant <strong>le</strong>s concerts d’Africa Express deDamon Albarn.n°56 Mars/Avril 2013


Musique / en couverture27n Cheba Fadela...R. T. : On a commencé ensemb<strong>le</strong>, on vient du même b<strong>le</strong>d. On s’esttrouvé des origines communes via des grands-parents. El<strong>le</strong> a unesacrée voix, un côté punk. C’est un peu ma Marianne Faithfull.n Et Jeanne Added qui chante avec toi Now or Neverde Pres<strong>le</strong>y ?R. T. : El<strong>le</strong> vient du jazz. C’est Francis Kertekian, mon manager, quime l’a présentée. El<strong>le</strong> chantait très bien et on s’est bien entendu.Un jour, on a fait un petit duo au studio de l’Ermitage et ça s’estbien passé. Comme toujours, <strong>le</strong>s rencontres simp<strong>le</strong>s font des bel<strong>le</strong>schoses.n Et il y a ton fidè<strong>le</strong> joueur de mando<strong>le</strong>, HakimHamadouche.R. T. : Oui, il joue sur tous <strong>le</strong>s morceaux, Justin a bien saisi l’amitiéqui nous unit et sa façon de jouer. On était en famil<strong>le</strong>.n Ton disque fait un zoom sur ton panthéon rock etoriental. Oum Kalthoum précède Elvis, Lennon ouKurt Cobain. Ces légendes remplacent-el<strong>le</strong>s pour toides icones religieuses ?R. T. : Chacune à <strong>le</strong>ur manière, ce sont un peu des prophètes.Ils me donnent envie de vivre, ils m’ouvrent <strong>le</strong>s yeux. Ce sont despersonnages atypiques. J’aime bien <strong>le</strong>s gens honnêtes et je croisque Kurt Cobain l’était. Malheureusement, ces gens-là se posentbeaucoup de questions, ils ont beaucoup de dou<strong>le</strong>urs, de souffrances.Ils sont dans <strong>le</strong> doute, sur <strong>le</strong> fil du rasoir. Ils me donnent envied’aimer l’humanité. Il y a des pourris, mais il y a quand même desgens biens. Kurt Cobain était quelqu’un de très naïf, très spontané,très humain. Il fait partie de ma vie au même titre que <strong>le</strong>s écrivainsKhalil Gibran, Omar Khayyam, Truman Capote, Jack Kerouac, AlbertCamus ou Jean Genet, <strong>le</strong>s cinéastes Youssef Chahine, Kurosawa,John Ford, ou encore Bashung et Joe Dassin. Ces gens medonnent envie de continuer à vivre, me donnent des <strong>le</strong>çons.n Quels seraient <strong>le</strong>urs points communs ?R. T. : L’honnêteté, l’humanisme ou encore <strong>le</strong> dépassement de soiet l’ouverture d’esprit. Ce sont des gens qui tendent la main.n Et Oum Kalthoum ?R. T. : Pour moi, c’est un mélange de Joy Division et d’Elvis. Le côtésombre et <strong>le</strong> côté populaire. C’est l’une des plus grandes vendeusesde disques au <strong>monde</strong>. Tous <strong>le</strong>s jours, on entend Oum Kalthoumcomme on entend Elvis ou <strong>le</strong>s Beat<strong>le</strong>s. Francis Kertekian me racontaitcette anecdote au Niger, quand il était scaphandrier : un jour, unebagarre a éclaté entre Libanais mais dès qu’ils ont entendu Oum Kalthoum,ils se sont arrêtés. Et puis il ne faut pas oublier qu’au début,c’était une femme qui se déguisait en homme pour chanter. C’est unféminisme très affiché.n Dans <strong>le</strong> disque, il y a aussi Jamila, une autrechanson dédiée à la cause des femmes.R. T. : J’ai toujours défendu <strong>le</strong>s femmes et <strong>le</strong>s minorités, parcequ’on est tous des minorités, des cas spéciaux.n Les femmes et <strong>le</strong>s musiciennes sont peut-être pluspertinentes que <strong>le</strong>s hommes ?R. T. : Oui je trouve. Quand Amy Winehouse est morte ça m’a faitbeaucoup de peine. Je l’avais rencontrée. Sa dou<strong>le</strong>ur me touchaitet me faisait penser à la mienne. El<strong>le</strong> n’a pas rencontré la ou <strong>le</strong>spersonnes qui pouvaient la repêcher.n Ta dou<strong>le</strong>ur, tu sais d’où el<strong>le</strong> vient ?R. T. : De loin ! Quand j’ai quitté l’Algérie, j’avais onze ans, ça été undéracinement. Quand je suis arrivé en Alsace, j’étais déjà grand. Jevoyais la dou<strong>le</strong>ur des parents, la dou<strong>le</strong>ur de l’exil. ça m’a toujoursaccompagné. Quand une histoire d’amour s’arrête, c’est toujoursun exil. Quand tu rencontres quelqu’un, tu te dis : « Ah ce que c’estbeau ! ». Il y a du so<strong>le</strong>il et tout à coup, il se met à p<strong>le</strong>uvoir et tu n’aspas de parapluie. Mais j’ai acquis <strong>le</strong>s moyens de me défendre, parla musique et par l’amitié profonde avec certaines personnes, lafamil<strong>le</strong>, mon fils… Ce qui m’aide aussi, c’est que je n’ai pas derancœur. Quand une histoire se passe mal, à la limite, ça me faitavancer.n Penses-tu avoir la reconnaissance que tu méritesen France ?R. T. : En Ang<strong>le</strong>terre, on me considère comme un rocker. C’est ceque disent Robert Plant, Mick Jones ou Brian Eno mais en France,on me situe dans la world. Mais cet album est un putain de disquede rock’n’roll. Eddy Mitchell l’adore, il a toujours aimé ce que je fais.Il a dit à une amie que j’étais <strong>le</strong> plus grand rocker français. Il y a aussiun chercheur au CNRS, Marc Touchet, qui a fait une étude sur <strong>le</strong>rock en écrivant que <strong>le</strong>s plus grands rockers de France étaient Litt<strong>le</strong>Bob Story et Rachid Taha.n Rachid taha Zoom (Universal Jazz)n www.facebook.com/RachidTahaofficielsortie <strong>le</strong> 25 marsn en concert Le 6 février à L’Olympia (Paris) /<strong>le</strong> 16 février à la Ferme du Buisson à Noisiel (77) /<strong>le</strong> 15 mai au Trianon (Paris)l interview intégra<strong>le</strong> sur www.mondomix.com


28ThÉMA© St.Ritzn°56 Mars/Avril 2013


29<strong>le</strong> <strong>monde</strong>à livresouvertsDans <strong>le</strong> grand cirque médiatique, triste foire au faux scanda<strong>le</strong>et au déjà connu, certains écrivains donnent l’impressiondevivre en vase clos, coupés du reste du <strong>monde</strong>, comme s’ilsne savaient rien de ce qu’il se passe au-delà du périphérique.A tel point qu’une partie du public perçoit désormaisla littérature comme <strong>le</strong> moins vivant des arts. Erreur !Loin de Saint-Germain-des-Prés, el<strong>le</strong> est d’une vitalité fol<strong>le</strong>.Nos invités et nos coups de cœur en témoignent.Romancier généreux, fondateur de plus universaliste des festivals de littérature,Etonnants Voyageurs, Michel Le Bris milite depuisquarante ans pour que <strong>le</strong>sécrivains restent toujours aux prises avec <strong>le</strong> <strong>monde</strong>, loin de <strong>le</strong>ur nombril et desimp<strong>le</strong>s préoccupations stylistiques : « Les artistes disent la nouveauté du <strong>monde</strong>dix ans avant qu’el<strong>le</strong> n’arrive », juge-t-il (page 30).En France, des écrivains comme Sabri Louatah, Faïza Guène ou AbdelkaderRailane, semb<strong>le</strong>nt témoigner d’une redynamisation du roman par des enfants del’immigration, qui souhaitent toutefois être lus pour <strong>le</strong>ur ta<strong>le</strong>nt, et non en fonctionde <strong>le</strong>urs origines (page 32).En Haïti, un don littéraire a toujours été considéré comme la plus grande desbénédictions, et l’un des rares moyens de casser la ségrégation qui règne dans<strong>le</strong> pays (page 33).Brazzavil<strong>le</strong> a vu grandir quelques-uns des géants des <strong>le</strong>ttres africaines du XX e sièc<strong>le</strong>.Aujourd’hui, ses plumes vivent au loin, tel Alain Mabanckou. Le romancier YahiaBelaskri a observé <strong>le</strong> retour au pays de ce dernier et ses conversations avecla jeunesse loca<strong>le</strong> (page 34).Perçue parfois comme une activité coupée du réel, la poésie permet pourtant de« mieux saisir du <strong>monde</strong> sa vérité profonde », selon Jean-Pierre Siméon, <strong>le</strong>président du Printemps des Poètes (page 36).Le chanteur suisse Thierry Romanens prolonge pour sa part la résonnance desvers d’A<strong>le</strong>xandre Voisard en <strong>le</strong>s mettant en musique. « Les poètes sont <strong>le</strong>s premiersrappeurs ! », affirme-t-il (page 37).Dossier réalisé par François Maugern°56 Mars/Avril 2013


30 <strong>Mondomix</strong>.comLe <strong>le</strong>cteurdu Monde© D.R.Michel Le Bris est romancier. Mieux vaut commencer son portrait ainsi,sans quoi il pourrait disparaitre sous ses autres casquettes : spécialiste de Stevenson,historien de la flibuste et de la conquête de l’Ouest, infatigab<strong>le</strong> défenseur des littératuresd’ail<strong>le</strong>urs et animateur du plus défricheur des festivals littéraires, Etonnants Voyageurs.Entre l’édition de cet événement qui vient de s’achever à Brazzavil<strong>le</strong> et cel<strong>le</strong> qui se prépareà Saint-Malo, l’écrivain est revenu sur ses combats.Propos recueillis par : François Mauger« Les artistes disentla nouveauté du <strong>monde</strong> dix ansavant qu’el<strong>le</strong> n’arrive »n Festival Etonnants Voyageurs,du 18 au 20 mai 2013, à Saint-Malon A lire :L’Afrique qui vient, anthologie présentée par MichelLe Bris et Alain Mabanckou (éditions Hoëbeke)l Retrouvez l’interviewen intégralité sur www.mondomix.comn Nous parlons de « musiques du <strong>monde</strong> »et vous de « littérature-<strong>monde</strong> ». D’où vient cette expression ?Michel Le Bris : En fait, l’idée de « littérature-<strong>monde</strong> » est l’idée fondatricedu festival Etonnants Voyageurs. L’édition de 1993 s’intitulait « World Fiction? ». Quand <strong>le</strong>s journalistes m’ont demandé comment traduire cela, j’airépondu « littérature-<strong>monde</strong> ». Cette notion exprimait notre ras-<strong>le</strong>-bol desmodes littéraires françaises de l’époque : d’un côté, la contemplation deson nombril, confondu avec <strong>le</strong> centre du <strong>monde</strong> ; de l’autre, <strong>le</strong>s littératuresformalistes des avant-gardes auto-proclamées, qui considéraient quela littérature n’avait pas d’autre objet qu’el<strong>le</strong>-même, qu’el<strong>le</strong> était un pur jeuformel. Je voulais dire une chose extrêmement simp<strong>le</strong> : la littérature n’estjamais aussi vivante que lorsqu’el<strong>le</strong> dit <strong>le</strong> <strong>monde</strong>. Et particulièrement à cemoment-là : au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, un<strong>monde</strong> disparaissait, un autre arrivait. Mon expérience de l’époque étudianteme soufflait que ce sont toujours <strong>le</strong>s artistes qui donnent à voir et à entendrel’inconnu du <strong>monde</strong> qui vient.n C’est une intuition que vous avez depuis toujours ?MLB : Quelques jours avant mai 68, un éditorialiste du Monde avait signé cetédito resté célèbre : « La France s’ennuie ». Personne n’avait rien vu venirparce qu’il n’y avait pas <strong>le</strong> moindre artic<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> Monde sur <strong>le</strong> free jazz, sur<strong>le</strong> rock, sur la BD, sur la nouvel<strong>le</strong> science-fiction (Philip K. Dick et compagnie),sur <strong>le</strong> nouveau polar… Toute la contre-culture était ignorée mais, nous, on lavivait. 68, c’est <strong>le</strong> moment où <strong>le</strong> couverc<strong>le</strong> a sauté, tout simp<strong>le</strong>ment. La jeunesse,autant étudiante que dans <strong>le</strong>s usines, a dit : « Non à ce <strong>monde</strong> de vieuxcons ». On n’avait pas envie de vivre ça, c’est tout. Mais, ce refus, on <strong>le</strong> vivaitdepuis dix ans à travers la contre-culture.n°56 Mars/Avril 2013


Théma / Livres ouvertsENtretien 31n Et aujourd’hui ?MLB : C’est pareil : <strong>le</strong>s artistes disent la nouveauté du <strong>monde</strong> dixans avant qu’el<strong>le</strong> n’arrive.n En mars 2007, avec quelques confrères, vous avezsigné dans Le Monde, justement, un manifeste, « Pourune littérature-<strong>monde</strong> en français ». Quel a été son effet ?MLB : Quand <strong>le</strong>s écrivains africains de la génération d’Alain Mabanckouont commencé à avoir des prix littéraires - avant eux, pourqu’un écrivain africain ait un prix, il fallait qu’il soit subclaquant -,on a senti que quelque chose changeait dans la vision des littératuresdites « francophones ». Jusque-là, on en avait vraiment unevision postcolonia<strong>le</strong> : la France dispense ses lumières sur ses excolonies- sous-entendu : peuplées de sauvages - et on peut <strong>le</strong>urentrouvrir la porte s’ils montrent qu’ils sont plus français que desFrançais. Là, c’était tout à fait différent. D’autant que ces écrivainsétaient reconnus aux Etats-Unis ! Il faut savoir qu’il y a plus dedépartements d’études francophones aux Etats-Unis qu’en France,que Mabanckou, Waberi, Dongala et d’autres y ont trouvé desjobs de profs. Les éditions d’Etonnants Voyageurs à Bamako, de2001 à 2008, ont correspondu à l’affirmation de ces littératures-là.Il était donc normal de sortir un manifeste que <strong>le</strong> festival portait encreux depuis 1990. On l’a fait ensemb<strong>le</strong> à Bamako, à quatre oucinq, pour dire deux choses : que <strong>le</strong> retour de la fiction signifiait<strong>le</strong> retour du <strong>monde</strong> et qu’il coïncidait avec la fin d’une francophoniequi serait <strong>le</strong>s derniers restes de l’empire colonial. Si on voulaitdonner une chance au français dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong> qui venait, il fallaitimaginer un espace-<strong>monde</strong> en français où tout <strong>le</strong> <strong>monde</strong>, y comprisla France, se retrouverait dans un vaste ensemb<strong>le</strong> de dialoguesur un pied d’égalité. Quand on voit Scholastique Mukasonga quia <strong>le</strong> Renaudot cette année, Danny Laferrière qui a <strong>le</strong> Médicis, onvoit qu’ils sont perçus comme des écrivains de langue française dep<strong>le</strong>in droit. Il n’y a plus ce petit coin dans <strong>le</strong>s librairies, cet « espacefrancophone »…« Il y a plus de départementsd’études francophonesaux Etats-Unis qu’en France »n Dans votre parcours, qu’est-ce qui explique que voussoyez devenu ce militant de la diversité littéraire ?MLB : J’avais besoin d’un <strong>monde</strong> où respirer. J’avais besoin d’unespace de dialogue avec des écrivains que j’estimais : Gil<strong>le</strong>s Lapouge,Nicolas Bouvier… En mai 68, l’idée était : quand on veut,on peut. Je l’ai gardée. Et il y a aussi <strong>le</strong> rapport de l’enfant pauvrede Bretagne par rapport à l’establishment : soit on courbe l’échine,soit on entre en guerre, en se disant : « Moi, je prends tout l’espacequ’il me faut pour respirer ». Par tempérament, je me sens mieux enme bagarrant. C’est ma passion pour <strong>le</strong> jazz, <strong>le</strong> rapport aux marges,tout ce qui m’a fait pendant mon enfance, tout ce qui m’a faiten mai 68, qui explique cette envie d’espace où respirer…« La littératuren’est jamais aussi vivanteque lorsqu’el<strong>le</strong> dit <strong>le</strong> <strong>monde</strong> »Michel Le Bris© M Pel<strong>le</strong>tier-Corbisn Parmi <strong>le</strong>s sujets de vos débats de cette année,à Brazzavil<strong>le</strong> et à Saint-Malo, il y a cette question :« La littérature doit-el<strong>le</strong> être politique ? ». Peut-on avoirvotre réponse ?MLB : La littérature engagée, à la manière des années 50 et 60, estmorte, étouffée par l’idéologie, de même que <strong>le</strong>s littératures formalistesd’avant-garde ont été tuées par <strong>le</strong> retour du <strong>monde</strong>. La questionest : « Comment reformu<strong>le</strong>r ces questions-là aujourd’hui ? ».Cela oblige à partir de cette idée toute bête, toute simp<strong>le</strong> : la fictionou la poésie dit quelque chose qui ne peut pas se dire autrement,qui ne peut pas être traduite en concept. Que dit-el<strong>le</strong> ? Lors desgrandes grèves en Guadeloupe et en Martinique, un certain nombred’écrivains autour d’Edouard Glissant ont publié un manifestepour un peu plus de poésie. Ils disaient qu’existe en l’être humainune dimension poétique. Il n’est pas seu<strong>le</strong>ment un producteur etun consommateur, ce à quoi <strong>le</strong>s politiques aujourd’hui <strong>le</strong> réduisentsystématiquement. Lors des campagnes é<strong>le</strong>ctora<strong>le</strong>s, on discute àl’infini de niveaux de vie en termes quantifiés. Mais <strong>le</strong> mal-être desgens, est-ce vraiment ça ? Il existe une angoisse quant au travail, oui,mais surtout cette autre dimension, qu’on peut appe<strong>le</strong>r « dimensionpoétique », qui est au fondement de l’être-ensemb<strong>le</strong>. C’est ce quedit la littérature et qui est poétique et politique au plus grand sensdu terme.n Lorsque vous partez pour Bamako, Port-au-Prince ouBrazzavil<strong>le</strong>, ces vil<strong>le</strong>s mutantes, c’est à la recherche du<strong>monde</strong> qui vient ?MLB : Aujourd’hui, si on par<strong>le</strong> de Lagos ou de Johannesburg, c’esten termes de cratères rugissants où <strong>le</strong>s populations sont précipitées,broyées, malaxées… Mais comment ne pas penser aux vil<strong>le</strong>squ’étaient Paris et Londres pendant la révolution industriel<strong>le</strong> ? C’étaitexactement la même chose et un <strong>monde</strong> en est né. Ce n’est peutêtrepas un hasard si tel<strong>le</strong>ment d’écrivains aujourd’hui, pour décrire<strong>le</strong> <strong>monde</strong> qui vient, retrouvent consciemment ou inconsciemmentdes formes narratives du XIX e sièc<strong>le</strong>, notamment cel<strong>le</strong>s du romanvictorien : c’était la forme idéa<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> roman de la vil<strong>le</strong>. La vil<strong>le</strong>est un personnage romanesque. Le roman est une création de lavil<strong>le</strong>, quelque part. Ou l’on est broyé dans ce chaos-<strong>monde</strong>, ou ontrouve en soi l’énergie pour <strong>le</strong> mettre en forme et <strong>le</strong> rendre habitab<strong>le</strong>.La création artistique, ça a toujours été ça : rendre habitab<strong>le</strong>l’inconnu du <strong>monde</strong>, en lui donnant forme et visage… Là, l’art n’estpas un luxe. C’est une question vita<strong>le</strong>. De grandes œuvres naîtrontde ces vil<strong>le</strong>s parce que c’est une question de vie ou de mort. Soiton est broyé par <strong>le</strong> monstre, soit on fait en sorte que cette force dedestruction soit transformée en force de création. Conrad, Melvil<strong>le</strong>,Stevenson, enfin <strong>le</strong>s auteurs qui m’importent, ont tous affronté cemystère-là. Je sens éga<strong>le</strong>ment cette force dans <strong>le</strong>s œuvres qui sortentde ces mégapo<strong>le</strong>s.n°56 Mars/Avril 2013


32 identités« Louatah fait battre <strong>le</strong> cœurde la France dans une famil<strong>le</strong>française d’origine kaby<strong>le</strong> »beur,blanc, bluesLa France grouil<strong>le</strong> de jeunes ta<strong>le</strong>nts issus de l’immigration qui bouscu<strong>le</strong>nt la langueet <strong>le</strong>s thèmes des <strong>le</strong>ttres nationa<strong>le</strong>s. De nouvel<strong>le</strong>s plumes qui dépeignent à coupsd’imaginaire et de tripes un nouveau tab<strong>le</strong>au de la société, loin de tout cliché.Texte : Mohamed Harzoune Photographie de Sabri Louatah : Jean-Luc Bertini/FlammarionEt si on arrêtait avec <strong>le</strong>s étiquettes ? D’Azouz Begag à Faïza Guène enpassant par Magyd Cherfi, « nos » romanciers sont fatigués d’être renvoyésà on ne sait quel<strong>le</strong> origine, particularité ou lieu. Ils furent « beurs »,« de la deuxième génération » ou « issus de l’immigration ». Ils sont « debanlieue » ou « du bitume ». On vante l’écriture, <strong>le</strong> renouvel<strong>le</strong>ment desformes et du vocabulaire… Mais sont-ils pour autant du sérail ?En 2007, Faïza Guène, Mabrouck Rachedi, Habiba Mahany, KarimAmellal ou Mohamed Razane publiaient un manifeste intitulé « Qui faitla France » - entendre aussi « kiffer la France ». Il annonçait une « littérature“engagée, combattante et féroce”, une « littérature au miroir,réaliste et démocratique, réfléchissant la société et ses imaginaires enson entier ». Chacun entendait « investir <strong>le</strong> champ culturel, transcender<strong>le</strong>s frontières et ainsi récupérer l’espace confisqué qui nous revient dedroit, pour l’aspiration légitime à l’universalisme ».Bouscu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s préjugés honteuxComme Faïza Guène, qui s’irrite du « catalogage » et de se voir étiqueter« jeune qui a réussi » ou curiosité « sociologique », ces écrivainsrefusent <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> d’entomologistes des quartiers et de <strong>le</strong>urs exotiquespopulations. Ils revendiquent une littérature nourrie de fictions,d’imaginaires singuliers et de tripes - sanguino<strong>le</strong>ntes parfois. En (re)composant <strong>le</strong> manteau d’Ar<strong>le</strong>quin de l’histoire et de la société française,tous annoncent l’urgence de bouscu<strong>le</strong>r « <strong>le</strong>s préjugés honteux »,pour penser une nouvel<strong>le</strong> façon de vivre ensemb<strong>le</strong>.Pour cela, il faut accepter de se reconnaître dans <strong>le</strong> miroir tendu par<strong>le</strong>s Stéphanois Sabri Louatah ou Hafid Aggoune, <strong>le</strong> Ch’ti AbdelkaderRailane, la Strasbourgeoise Kaoutar Harchi, <strong>le</strong>s Franciliens Faïza Guèneou Mabrouck Rachedi. Car <strong>le</strong>ur regard embrasse toute la sociétéet ne s’interdit aucun sujet. Dans Les Sauvages (Prix Lire du premierroman), Louatah traque <strong>le</strong>s commanditaires d’un attentat perpétrécontre Idder Chaouch, candidat socialiste à la présidentiel<strong>le</strong>. Il y décortique<strong>le</strong>s relations incestueuses entretenues par <strong>le</strong>s <strong>monde</strong>s politique,judiciaire, policier et médiatique français. Louatah fait battre <strong>le</strong> cœur dela France dans une famil<strong>le</strong> française d’origine kaby<strong>le</strong>. Les étiquettestombent au point de faire de ce Chaouch un présidentiab<strong>le</strong> ! Et cebeau <strong>monde</strong> aime, rêve, désire, vit loin des clichés communautaires etreligieux. Il faut du quotidien, du commun, du banal. De l’indifférenciérépublicain.Identités contradictoiresDans Les Gens du Balto, où <strong>le</strong> patron d’un bar minab<strong>le</strong> est assassiné,Faïza Guène met en scène trois famil<strong>le</strong>s pour dire l’ennui, la peur, <strong>le</strong>sfrustrations, <strong>le</strong>s horizons bouchés, <strong>le</strong> déclassement social et la dévalorisationindividuel<strong>le</strong> « au pays des droits de l’homme mais certainementpas au pays des droits de l’homme pauvre ». Exit <strong>le</strong>s coup<strong>le</strong>ts surla diversité, semb<strong>le</strong> dire l’auteur de Kiffe kiffe demain et retournons àl’exigence d’égalité, républicaine là aussi.Lorsque la foca<strong>le</strong> se concentre, c’est pour zoomer sur l’entre-deux deshéritages et des relations, source de créations et d’identités métissées.On y scrute <strong>le</strong>s injonctions identitaires contradictoires comme dans <strong>le</strong>premier roman d’Abdelkader Raïlane, qui raconte comment un mômede cité est obligé de boxer pour rester en France : « Les transitionsentre <strong>le</strong> temps passé avec ma communauté ethnique et religieuse etcelui partagé avec ma communauté socia<strong>le</strong> et sportive sont très diffici<strong>le</strong>s.(…) Je dois faire preuve d’une profonde tolérance pour ne pasrejeter l’un ou l’autre de mes amis. Mais <strong>le</strong> vrai moi, où se situe-t-il ?(en fait, je ne sais pas, je suis dans la merde quoi !) ». Pourtant, cetespace de la rencontre élargira la géographie de tous et enrichira <strong>le</strong>srêves de chacun.n à lireLes sauvages de Sabri Louatah Tome 1, T2,(Flammarion, 2012)Les gens du Balto de Faïza Guène (HachetteLittératures)En p<strong>le</strong>ine face de Abdelkader Railane (Ex æquo)n°56 Mars/Avril 2013


Théma / Livres ouvertscaraïbes 33HaïtiL’i<strong>le</strong> du livre« Au moment du séisme,<strong>le</strong>s écrivains ont réponduavec calme à l’émotion internationa<strong>le</strong> »En Haiti, <strong>le</strong>s écrivains ont toujours occupé une place centra<strong>le</strong>. Le livre y est mêmel’un des rares moyens de renverser <strong>le</strong>s barrières d’une société où continue de régnerla ségrégation. Texte : François Mauger Photographie : D.R.« Haïti produit deux denrées depuis <strong>le</strong> XIX e sièc<strong>le</strong> : <strong>le</strong> café et <strong>le</strong> livre.On entend de moins en moins par<strong>le</strong>r du café ... », feint de s’étonnerRodney Saint-Eloi. Ce poète et essayiste souriant a géré pendantune dizaine d’années <strong>le</strong>s Éditions Mémoire à Port-au-Prince. Depuis2003, il anime Mémoire d’Encrier à Montréal, en « Haïtien de l’exil,conscient de ses responsabilités ». Au <strong>le</strong>ndemain du tremb<strong>le</strong>mentde terre de janvier 2010, il a donc monté avec l’association belgeCoopération Education Culture (CEC) l’opération “Urgence de lire”,qu’il décrit comme un « envoi de livres, oui, mais pas n’importe comment! En travaillant avec <strong>le</strong>s partenaires haïtiens afin de déterminer<strong>le</strong>s besoins, en s’assurant aussi que <strong>le</strong> livre atterrisse au bon endroit,c’est à dire entre <strong>le</strong>s mains des <strong>le</strong>cteurs ». Modeste, Dominique Gil<strong>le</strong>rot,l’administratrice de l’ONG bruxelloise, complète : « Nous avonsmené de petites actions : une quarantaine de bibliothèques, à la foispubliques et privées, ont été desservies. Après la catastrophe, il étaitimportant de recréer une dynamique autour du livre ».Le livre comme outil de citoyennetéAu pays de René Depestre et de Dany Laferrière, la littérature joueen effet un rô<strong>le</strong> central. « Au moment même du séisme, ce sont <strong>le</strong>sécrivains, principa<strong>le</strong>ment, qui ont pris la paro<strong>le</strong>, rappel<strong>le</strong> DominiqueGil<strong>le</strong>rot. Ce sont eux qui ont répondu avec calme à l’émotion internationa<strong>le</strong>.Cela parce qu’Haïti est un pays de traditions artistiqueset littéraires sans aucune comparaison. Je ne connais aucun autrepays de cette tail<strong>le</strong> qui ait un tel rayonnement ». Mais ses romans etsa poésie ne résonnent pas qu’à l’étranger. Ils sont éga<strong>le</strong>ment édités,lus et commentés sur place. Rodney Saint-Eloi explique mêmeà propos de Gary Victor, <strong>le</strong> romancier <strong>le</strong> plus populaire du pays, que« pour lui, <strong>le</strong> livre est un objet capab<strong>le</strong> de provoquer une révolutiondans la vie des jeunes fil<strong>le</strong>s et des jeunes garçons des bidonvil<strong>le</strong>sou de la classe moyenne pauvre. En Haïti, <strong>le</strong> livre est <strong>le</strong> seul outil decitoyenneté. Il permet aux jeunes d’abattre <strong>le</strong>s barrières. D’entrerdans une ambassade et de sortir avec un visa. De voyager dans unpays comme <strong>le</strong> Canada, la Belgique ou la France. Il <strong>le</strong>ur donne <strong>le</strong>respect, et parfois un peu d’argent. Haïti est un pays ségrégué, où<strong>le</strong>s gens ne doivent pas dépasser <strong>le</strong>urs cantons, <strong>le</strong>ur quartier, <strong>le</strong>urclasse et <strong>le</strong>ur milieu. Voici que <strong>le</strong> livre renverse tout cela ! ».Cette explosive inversion des va<strong>le</strong>urs est éga<strong>le</strong>ment nécessaire aupays, méprisé depuis sa naissance. « Les médias sont plutôt friandsdes images négatives et catastrophistes quand ils évoquent <strong>le</strong>pays de Toussaint Louverture », regrette <strong>le</strong> poète James Noel. C’estdonc avec une fierté légitime qu’il par<strong>le</strong> d’IntranQu’illités, une revuequ’il a fondée avec la plasticienne Pasca<strong>le</strong> Monnin : « Oui, el<strong>le</strong> vientbien d’Haïti, là où la terre a tremblé. Là, nous avons rêvé d’unerevue de grande magnitude ». De fait, ce très beau périodique, quienchevêtre littérature et peinture comme peu d’autres aujourd’hui, aattiré, outre <strong>le</strong>s plus grandes plumes loca<strong>le</strong>s, des créateurs d’autrescontinents, comme la Mauricienne Ananda Devi, <strong>le</strong> Tunisien HubbertHaddad ou l’Espagnol José Manuel Fajardo. Diffusé dans tout<strong>le</strong> pays avec <strong>le</strong> soutien de structures comme la Direction nationa<strong>le</strong>du livre, <strong>le</strong> CEC, La Fondation Connaissance et Liberté (Fokal)ou l’Organisation Internationa<strong>le</strong> de la Francophonie, IntranQu’îllitéssuscitera sans doute de nouvel<strong>le</strong>s vocations. Pour laisser <strong>le</strong> derniermot à Rodney Saint-Eloi, « En Haïti, <strong>le</strong> livre est espoir. Le livre estavenir. Le livre apprend à “regarder demain” ».• www.memoiredencrier.com• www.cec-ong.orgn à lire IntranQu’illités T1 sous la direction de James Noël etPasca<strong>le</strong> Monnin (éditions Passagers des Vents)l Retrouvez nos interviews en intégralitésur www.mondomix.coml Rencontrez Rodney Saint-Eloi, James Noël, DanyLaferrière et Jean-Pierre Richard Narcisse sur <strong>le</strong> stand de CEC,au Salon du Livre de Bruxel<strong>le</strong>s, du 20 au 24 mars 2013n°56 Mars/Avril 2013


34 <strong>Mondomix</strong>.comFièvre du livreà Brazzavil<strong>le</strong>© Gael Le NyEn février, Alain Mabanckou a invité la fine f<strong>le</strong>ur de la fiction mondia<strong>le</strong> à Brazzavil<strong>le</strong>,<strong>le</strong> temps d’une édition spécia<strong>le</strong> du festival littéraire Etonnants Voyageurs. Le romancier etjournaliste d’origine algérienne Yahia Belaskri, auteur de Si tu cherches la pluie, el<strong>le</strong> vient d’enhaut (2010) et d’Une longue nuit d’absence (2012), était de la partie. Nous lui avions demandéde ramener dans ses bagages des nouvel<strong>le</strong>s des jeunes <strong>le</strong>cteurs de Brazzavil<strong>le</strong>. Voici ses notes.Texte : Yahia Belaskri© Francesco Gattoni« La littérature à Brazzavil<strong>le</strong> ?Un mélange de ta<strong>le</strong>ntset d’indigence »Une après-midi lourde et humide, un taxi rou<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s rues de Brazzavil<strong>le</strong>.Alain Mabanckou allonge ses jambes à côté du chauffeur. « L’enfer c’est <strong>le</strong>sautres ». C’est <strong>le</strong> chauffeur qui a lancé ces mots. L’auteur de Black Bazar,abasourdi : « Vous avez lu Sartre ? ». La discussion s’anime, <strong>le</strong> jeune chauffeurdébal<strong>le</strong> sa culture littéraire : Sartre et Dante, puis s’enflamme : « A est <strong>le</strong>premier puisqu’il est amour, amitié, affection, argent… Le F c’est la femme.Remarquez comme la langue française est subti<strong>le</strong> car on prononce famme enl’écrivant avec un « e » et non un « a », car <strong>le</strong> E c’est l’Enfant…». L’écrivain rit,bluffé par tant d’à-propos.Plus tôt dans la journée, à 9 heures du matin, Alain Mabanckou, avec d’autresécrivains, Elizabeth Tchoungui et Emmelie Prophete notamment, est au lycéePierre Savorgnon de Brazza. Dans la sal<strong>le</strong> Jean Damas Loubassa, une classebondée d’élèves de termina<strong>le</strong> fait face à l’écrivain, revenu en son pays <strong>le</strong>smains p<strong>le</strong>ines avec <strong>le</strong> festival Etonnants Voyageurs. Ils ont lu Demain j’auraivingt ans et Lumières de Pointe-Noire, envoyés deux mois auparavant parl’équipe du festival, comme <strong>le</strong>s ouvrages des autres écrivains invités. Lesquestions fusent, simp<strong>le</strong>s, intelligentes, puis précises, directes, embarrassantes(« Que pensez-vous du pouvoir politique au Congo ? »). A la fin de la rencontre,<strong>le</strong>s jeunes entourent « l’enfant prodigue », ainsi que l’a présenté HenriLopes, autre écrivain congolais, homme politique aussi.n°56 Mars/Avril 2013


Théma / Livres ouvertsreportage 35Brazzavil<strong>le</strong>,terre de littérature et désert culturelBrazzavil<strong>le</strong>, terre de littérature avec outre Henri Lopes, <strong>le</strong>s Tati-Loutard,Sony Labou Tansi, Tchicaya U Tamsi et bien d’autres. « Terrede meurtrissures », selon <strong>le</strong> ministre de la culture congolais lors del’inauguration du festival. Avant l’allocution du ministre, une jeunefemme monte sur scène, prend <strong>le</strong> micro, d’autorité, se présentecomme écrivain et lance une diatribe contre <strong>le</strong> pouvoir : « Depuisun an, plus de cinq cents famil<strong>le</strong>s vivent sous <strong>le</strong>s tentes sans que<strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s ne bougent <strong>le</strong> doigt, c’est une honte. Pourtant<strong>le</strong> pays est riche », s’exclame-t-el<strong>le</strong>. La sal<strong>le</strong> comb<strong>le</strong> lui fait uneovation, bras <strong>le</strong>vés, cris assourdissants. Les jeunes lycéens et étudiantsqui remplissent <strong>le</strong> gigantesque auditorium exultent.Black BazarEn ce mois de février, Brazzavil<strong>le</strong> résonne aux mots des écrivainsvoyageurs venus des quatre coins d’Afrique, mais aussi de France,de Belgique, de Nouvel<strong>le</strong>-Calédonie, d’Inde, d’Haïti et d’ail<strong>le</strong>urs.Le Palais des Congrès et l’Institut français du Congo sont prisd’assaut par <strong>le</strong>s jeunes, lycéens et étudiants, assoiffés car manquantde tout. Car Brazzavil<strong>le</strong> est un désert culturel en réalité. Il ya bien une bibliothèque flambant neuf mais vide d’ouvrages, deslycées gigantesques avec des bibliothèques ridicu<strong>le</strong>s disposantde peu de livres, usagés. Quelques librairies – une et demi, dit-onlà-bas. Le média bus stationné deux jours par semaine devant lafaculté des sciences et cel<strong>le</strong> des <strong>le</strong>ttres réconforte un peu. C’estl’association Marian Ngouabi, fondée par un Congolais vivant à Lil<strong>le</strong>qui propose une bibliothèque ambulante, grâce à un bus aménagéet flambant neuf, don de la Région Nord-Pas-de-Calais. Equipéde rayonnages, sièges confortab<strong>le</strong>s et trois ordinateurs, il offre unealternative, maigre mais précieuse.Des poèmes pour dire la souffranceNombreux sont <strong>le</strong>s lycéens et <strong>le</strong>s étudiants qui songent pourtant àdevenir écrivains. Le jeune Amour Moukondo, en deuxième annéede littérature française, visage d’ange, sourire timide, avoue sa fascinationpour Albert Camus et <strong>le</strong> roman L’Etranger. Mais il ne va pasacheter de livres en librairie - « cela coûte cher. Je vais au CCF [Institutfrançais]. » Il cite pê<strong>le</strong>mê<strong>le</strong> P<strong>le</strong>urer-rire d’Henri Lopes, Le mariagede Figaro de Beaumarchais et la liste s’allonge. Il veut écrire « pourfaire comme Mabanckou ». Sivor Gouaka, grand et fort, <strong>le</strong> regardsombre, étudiant en communication, par<strong>le</strong> de la guerre civi<strong>le</strong> durantlaquel<strong>le</strong> son père a été assassiné. « J’ai fui dans la forêt et lorsque jesuis revenu, je n’avais plus de père. » Il tend un cahier noirci de motset de rage. « J’écris des poèmes pour dire ma souffrance et la vio<strong>le</strong>nceque je ressens. » Il connait <strong>le</strong>s œuvres de Tati-Loutard et HenriLopes. Hermann Nzengui, taciturne, étudiant en deuxième année delangue et littérature françaises, un peu effacé, ne lit pas plus que sescopains mais aime la littérature car « el<strong>le</strong> me permet de rêver ».Le livre numérique n’est pas encore d’actualité car <strong>le</strong>s connexionsinternet ne sont pas au point. Peu de gens disposent d’ordinateurschez eux. Quelques éditeurs congolais ont participé à une réunionsur <strong>le</strong> sujet à l’Institut français. En attendant un changement, deslivres ont été fournis par Etonnants Voyageurs, ceux des écrivainsinvités et l’anthologie L’Afrique qui vient.La littérature à Brazzavil<strong>le</strong> ? Un mélange de ta<strong>le</strong>nts et d’indigence.Des jeunes, ambitieux, aux aspirations semblab<strong>le</strong>s à cel<strong>le</strong>s detous <strong>le</strong>s jeunes de par <strong>le</strong> <strong>monde</strong>, disciplinés et éduqués, attentifsaux autres, tendus vers la France et sa culture, qui manquent demoyens et de conseils. Craintifs, peut-être méfiants ou ne sachantqu’en attendre, ils ont pris <strong>le</strong> festival en marche, s’y sont fondus,allant de sal<strong>le</strong> en sal<strong>le</strong>, interrogeant <strong>le</strong>s écrivains, <strong>le</strong>s écoutant lorsdes réunions, prenant des notes de tout, feuil<strong>le</strong>tant <strong>le</strong>s livres proposés,posant des questions souvent pertinentes. C’est <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt.L’indigence est dans <strong>le</strong>s structures, pratiquement inexistantes.Alain Mabanckou aime tout partager, ses amitiés littérairesavec <strong>le</strong>s jeunes de Brazzavil<strong>le</strong> comme son amour dela rumba congolaise avec <strong>le</strong> reste de la planète. Lui-mêmeguitariste (« mais pas assez doué pour remplir Bercy oul’Olympia », nous a-t-il confié), il a créé de toutes piècesun groupe de rêve qu’il a fait enregistrer sous <strong>le</strong> nom deBlack Bazar, <strong>le</strong> titre de son roman <strong>le</strong> plus connu. L’aventurediscographique, que l’on pensait sans <strong>le</strong>ndemain, prendaujourd’hui tout son sens sur scène. Au premier rang, Modogo,un vétéran des premiers orchestres de Koffi Olomidé,laisse sa voix grave chalouper majestueusement avant queCNN Kombe, « l’animateur » de la troupe, ne l’oblige à accélérer<strong>le</strong> rythme. Derrière eux officie <strong>le</strong> guitariste Popolipo,dit « zéro faute », un glorieux rescapé de Zaïko Langa Langa,l’orchestre qui a renouvelé la musique congolaise dans<strong>le</strong>s années 70. Soudé par ses tournées, Black Bazar affichedésormais, pour <strong>le</strong> plus grand bonheur des fou<strong>le</strong>s en sueur,une unité et une cohésion à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s formations de soukousou de ndombolo ne prétendaient même plus depuisdes décennies. Un trophée de plus à ajouter au palmarèsdu romancier ! F.M.n en concert<strong>le</strong> 22/03 à Marseil<strong>le</strong> (Babel Med Music)<strong>le</strong> 19/04 à Paris (Studio de l’Ermitage)<strong>le</strong> 19/05 à Angoulême (Musiques Métisses)© Caroline BlacheAu fur et à mesure que <strong>le</strong> festival avançait, <strong>le</strong>s jeunes se sont affirmés,détendus, sentant une opportunité pour eux. Lors de la clôture,ils étaient des centaines à vibrer aux sons de la musique etaux mots du poète Yvon Le Men. Pas un geste déplacé, pas uneagression ni une dispute, pas un vol. Une ambiance bon enfant,marquée par la gentil<strong>le</strong>sse des Congolais, souffrant peut-être debien des maux, lucides et patients, espérant des jours meil<strong>le</strong>urs.Incroyab<strong>le</strong> Congo, étonnante Brazzavil<strong>le</strong>, peinant mais portant hautla littérature. Alain Mabanckou pouvait se dire « heureux » à la findu festival Etonnants Voyageurs, car il a parlé avec <strong>le</strong>s jeunes deson pays et eux ont partagé avec lui <strong>le</strong>urs doutes et <strong>le</strong>urs rêves.A Brazzavil<strong>le</strong>, la rencontre s’est faite, des liens se sont tissés, despasserel<strong>le</strong>s ont été jetées, des rendez-vous ont été pris. C’est lavolonté de tous, des responsab<strong>le</strong>s congolais certainement, de MichelLe Bris en tous cas, président du festival. « L’avenir, c’est <strong>le</strong>livre numérique, car cela peut al<strong>le</strong>r vite, d’ici cinq ans, peut-être »,estime-t-il. La prochaine édition, c’est dans deux ans et Brazzavil<strong>le</strong>pourrait renouer avec son lustre… littéraire.n°56 Mars/Avril 2013


36PoésieVersouvertsLa poésie n’est pas dépassée, el<strong>le</strong> est même en avance : alors que l’hivers’éternise, el<strong>le</strong> bourgeonne déjà sur <strong>le</strong>s pages blanches. Chaque année,dès <strong>le</strong>s premières semaines de mars, <strong>le</strong> Printemps des Poètes poussela France entière à sortir goûter quelques vers. Entretien avec Jean-Pierre Siméon, <strong>le</strong> directeur artistique de cette manifestation, éga<strong>le</strong>mentpoète et auteur du court mais frappant Passage du Désir.Propos recueillis par : François Mauger Photographie : Michel DurigneuxLes chats pelés © D.R.n Ecrire un poème, c’est se couper du <strong>monde</strong> ?Jean-Pierre Siméon : Le préjugé est enraciné : <strong>le</strong> poète doit être unsolitaire, reclus dans son propre <strong>monde</strong>, fuyant <strong>le</strong> réel pour atteindreun éden perdu. Or, <strong>le</strong>s apparences sont trompeuses : si l’écriture proprementdite du poème implique en effet un temps d’iso<strong>le</strong>ment, unesécession provisoire d’avec <strong>le</strong> <strong>monde</strong>, c’est paradoxa<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>dessein de mieux saisir du <strong>monde</strong> sa vérité profonde. « Si l’homme nefermait pas parfois souverainement <strong>le</strong>s yeux, il finirait par ne plus voirce qui vaut d’être regardé », disait René Char. Il faut donc comprendreque la plupart des poètes ont justement une passion si intransigeantede comprendre <strong>le</strong> <strong>monde</strong> et ses réalités qu’ils prennent <strong>le</strong> temps d’uneattention supérieure qui n’est qu’en apparence un détachement.n Peut-on dire qu’aujourd’hui, au travers des actions devotre association ou de l’engouement pour <strong>le</strong> slam, lapoésie revient ?JPS : Oui, je l’affirme sans cil<strong>le</strong>r, l’intérêt pour la poésie est de plusen plus partagé. La création poétique est très vivante, très riche, et<strong>le</strong>s jeunes générations, <strong>le</strong>s trentenaires et quarantenaires, comptentbeaucoup de très bons poètes... Je suis confiant et optimiste : il y aplus d’écritures neuves et origina<strong>le</strong>s dans la poésie que dans <strong>le</strong>s autresgenres. Et <strong>le</strong> paradoxe, c’est que parce qu’el<strong>le</strong> échappe à la mode duspectaculaire et du peop<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> suscite un intérêt nouveau : commeil existe des énergies alternatives, il existe une littérature alternative,la poésie ! Par <strong>le</strong> livre, la voix haute, la chanson, l’affiche, <strong>le</strong> net, el<strong>le</strong>est sans doute aujourd’hui plus présente que jamais dans l’espacepublic.n Pourtant, la poésie conserve pour beaucoup uneimage scolaire, vieillotte. Comment faire évoluer <strong>le</strong>smentalités ?JPS : L’image vieillotte, voire négative de la poésie, repose sur un ma<strong>le</strong>ntendudont l’éco<strong>le</strong>, malgré <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>ures intentions du <strong>monde</strong>, esten partie responsab<strong>le</strong>. Répertoire restreint, <strong>le</strong>cture codifiée et surveilléedu poème confortent <strong>le</strong>s idées fausses. La solution pour changer <strong>le</strong>sreprésentations est simp<strong>le</strong> : il faut confronter <strong>le</strong> public à la poésie réel<strong>le</strong>,« La poésie nous sauve des languesde bois qui aplatissent <strong>le</strong> réel »infinie dans ses formes et ses enjeux, cel<strong>le</strong> d’hier et d’aujourd’hui, d’iciet d’ail<strong>le</strong>urs. Et il faut dédramatiser, libérer <strong>le</strong> rapport au poème, donnerconfiance, revendiquer pour chacun un usage libre, intime, subjectif dupoème. Mais attention, pour que la poésie revienne, il faut qu’el<strong>le</strong> restece qu’el<strong>le</strong> est, déconcertante, indoci<strong>le</strong>. Car c’est précisément sonétrangeté qui est désirab<strong>le</strong> : el<strong>le</strong> nous sauve des langues de bois quiaplatissent <strong>le</strong> réel...n Comme beaucoup d’autres, votre association estmenacée par des coupes dans ses subventions. Querépondez-vous à ceux qui estiment qu’en temps decrise, la poésie est un luxe superflu ?JPS : Je réponds ceci : la crise n’est pas seu<strong>le</strong>ment économique etfinancière. El<strong>le</strong> est aussi mora<strong>le</strong>, intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, symbolique. El<strong>le</strong> tientaussi à une sorte de fatigue de la conscience, épuisée de tant de défaites,de déceptions, de mensonges, d’incertitudes. Et quel est, dansla communauté humaine, <strong>le</strong> lieu où la conscience s’éprouve, s’informeet se reforme ? L’art bien sûr. Plus la crise est profonde, plus il faut deculture, plus il faut élargir l’offre de la pratique artistique, y compris etpeut-être surtout amateure. J’ajouterai que la poésie est <strong>le</strong> moyen <strong>le</strong>plus direct, <strong>le</strong> plus partageab<strong>le</strong> et <strong>le</strong> moins coûteux d’éprouver, dans lasimp<strong>le</strong> écoute ou la <strong>le</strong>cture, cet appel à la conscience qui est la fonctionsocia<strong>le</strong> et politique de l’art.• www.printempsdespoetes.comn <strong>le</strong> Printemps des PoètesDu 9 au 24 mars, dans toute la Francel interview en intégralité sur www.mondomix.comn°56 Mars/Avril 2013


Théma / Livres ouvertsChanson 37la suisseenchantéeLes poètes, ce sont parfois <strong>le</strong>s musiciensqui en par<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> mieux. Chanteur renomméen Suisse et respecté de ce côté de lafrontière, Thierry Romanens s’est épris desinventions d’A<strong>le</strong>xandre Voisard, l’un desplus prolifiques et des plus espièg<strong>le</strong>s auteurssuisses. Il <strong>le</strong>s a très librement portées surscène avec <strong>le</strong> trio Format A3 et dévoi<strong>le</strong>aujourd’hui un nouvel album, ‘Round Voisard.Propos recueillis par : François MaugerPhotographie : Mercedes Riedyn Comment avez-vous découvert A<strong>le</strong>xandre Voisard ?Thierry Romanens : J’ai rencontré l’homme avant l’œuvre. Ilm’avait invité pour faire <strong>le</strong> trublion lors d’un débat public. Il m’avaitdonné <strong>le</strong> mandat suivant : « Dès que tu vois que <strong>le</strong> débat ronf<strong>le</strong> unpeu ou se répand dans un discours trop intel<strong>le</strong>ctuel, tu intervienset tu bouscu<strong>le</strong>s tout ça ! ». Souvent <strong>le</strong>s poètes qu’on lit sont déjàmorts. Lui était mon premier poète de renom et il était bien vivant !Je me suis tout de suite mis à espérer que sa poésie me plaise…Ce fut évidemment <strong>le</strong> cas ! Je me suis procuré une pi<strong>le</strong> de bouquinset j’ai commencé à <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>ter. Alors que je pataugeais moi-mêmedans une mare de doutes quant à mon métier de comédien-chanteur,je suis tombé sur : « Broyer à fond <strong>le</strong> noir, pour en extraire eten inventorier tous <strong>le</strong>s gris, toutes <strong>le</strong>s grisail<strong>le</strong>s ». Ça résonne, etça raisonne ! Il avait presque 80 ans quand je l’ai rencontré, ce futd’emblée une terrib<strong>le</strong> <strong>le</strong>çon de jeunesse...n A-t-il été surpris de votre travail sur ses textes ?TR : Oui, certes. Mais nous aussi ! Au départ de l’aventure, nousnous demandions si <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong> serait bien reçu. Je m’attache àrendre la poésie jouissive et vivante et, visib<strong>le</strong>ment, nous avons unbon retour du public. Je n’avais même pas osé inviter Voisard à lapremière. Il est venu à la deuxième. Nous étions tous très émus,vraiment. Souvent, je lui demande de nous rejoindre sur scène à la findu spectac<strong>le</strong>. Nos regards sont éloquents.n Qu’est-ce qui vous a séduit dans ses textes ?TR : L’acuité de l’écriture. En poésie, quand c’est bien écrit, <strong>le</strong>s motssonnent. Il y a un flow : <strong>le</strong>s poètes sont <strong>le</strong>s premiers rappeurs ! Je« <strong>le</strong>s poètessont <strong>le</strong>s premiers rappeurs ! »suis aussi fasciné par un homme qui a consacré sa vie à la poésie, sifuti<strong>le</strong>, et si essentiel<strong>le</strong>…n Y-a-t-il aussi dans ses textes une « suissitude » quivous par<strong>le</strong> particulièrement ?TR : El<strong>le</strong> est ancrée dans sa terre nata<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Jura suisse. Voisard aété reconnu dans un premier temps comme un poète militant. Lorsd’une manifestation pour <strong>le</strong> Jura libre en 1970, il a lu Liberté à l’aubedevant 15 000 personnes. ça a marqué une génération. Mais sesthèmes sont universels.n Est-ce que cette expérience va changer votrerapport à l’écriture ?TR : Cela opère déjà ! El<strong>le</strong> me pousse à une certaine exigence. Ilm’arrive de me dire : « Tiens, si Voisard lisait ça, il me renverrait àma copie ! ».• www.romanens.netl interview en intégralité sur www.mondomix.com


38Voyage / Livre39VOYAGECouverture du livre Explorateurs et terres lointaines de M. de Mathuisieulx © D.R.Voyages entre <strong>le</strong>s lignesLes écrivains voyagent-ils encore ? Avant-hier, <strong>le</strong>urs récits singuliers faisaient frissoneret fantasmer. Aujourd’hui, l’aventure est au coin du web, <strong>le</strong> rêve a moins de prise surun <strong>monde</strong> ouvert. Quelques éditeurs amoureux de <strong>le</strong>ur métier continuent pourtant dese dédier à la littérature baladeuse, comme Magellan & Cie, qui publie cet hiver unpassionnant L’almanach des voyageurs. Texte : François Mauger Photographie : D.R.« Genre littéraire nob<strong>le</strong> s’il en est », selon l’expression du journalisteJean-Claude Perrier, auteur de plusieurs livres sur l’Inde, la littératurevoyageuse se voit saluée dans L’almanach des voyageursde façon origina<strong>le</strong> : chaque écrivain invité - français et rompu augenre - envoie une <strong>le</strong>ttre à l’un de ses prédécesseurs sur <strong>le</strong>s pistesdu <strong>monde</strong> et du conte. Perrier salue Joachim Du Bellay, cevoyageur malgré lui dont <strong>le</strong> « Heureux qui comme Ulysse » a faitbégayer des générations d’écoliers mais auquel la langue françaisedoit tant. En contrebande, comme lorsqu’il s’est rendu en Corée duNord sous une fausse identité et en a ramené <strong>le</strong> glaçant Nouil<strong>le</strong>sfroides à Pyongyang, son nouvel ouvrage, Jean-Luc Coata<strong>le</strong>m rendhommage aux maîtres du compte-rendu de voyage : Bruce Chatwin,Robert Louis Stevenson, Blaise Cendrars, Pierre Loti, VictorSega<strong>le</strong>n, Paul Gauguin (relire Noa Noa), Jack London… ChristianGarcin complète cette liste avec une missive à Nicolas Bouvier, Estel<strong>le</strong>Nol<strong>le</strong>t avec un message à Ernest Hemingway.Premier tour du <strong>monde</strong> à la voi<strong>le</strong>en solitaireD’autres écrivains préfèrent rappe<strong>le</strong>r des exploits littéraires et exploratoiresplus anciens. Ainsi, David Fauquemberg évoque JoshuaSlocum, <strong>le</strong> premier homme à avoir fait <strong>le</strong> tour du <strong>monde</strong> à la voi<strong>le</strong> ensolitaire. Parti de Boston sur un ancien bateau de pêche aux huîtresentièrement retapé, <strong>le</strong> navigateur mit trois ans à franchir <strong>le</strong> détroit deMagellan, traverser <strong>le</strong> Pacifique et remonter l’Atlantique. A la mêmeépoque, la fin du XIX e sièc<strong>le</strong>, Ewart Grogan traversait l’Afrique dusud au nord, souvent à pied, pour prouver sa va<strong>le</strong>ur au père de saGertrude bien aimée. C’est A<strong>le</strong>xandre Poussin, qui a accompli unpérip<strong>le</strong> analogue, qui <strong>le</strong> complimente. Peu d’éloges, par contre, sousla plume de Guillaume Jan, qui s’adresse à une statue du très ambiguHenry Morton Stan<strong>le</strong>y, oubliée dans l’herbe sur <strong>le</strong>s hauteurs deKinshasa : pour accomplir ses exploits, l’explorateur a épuisé bien« A la fin du XIX e sièc<strong>le</strong>, Ewart Grogantraverse l’Afrique du sud au nord,souvent à pied »des porteurs, razzié des villages et commis quelques massacrespréventifs, « à l’américaine »… Mêmes bains de sang dans la Russiedu XIX e sièc<strong>le</strong>, au moment où la visitait <strong>le</strong> marquis de Custine. AstridWendlandt explique comment « <strong>le</strong>s exilés en Sibérie, <strong>le</strong>s prisons bondéeset <strong>le</strong>s massacres en public ont eu raison » des préjugés favorab<strong>le</strong>sde cet essayiste politique et conclut : « A quelques exceptionsprès, tel<strong>le</strong>s A<strong>le</strong>xandre II ou Gorbatchev, <strong>le</strong>s Russes n’ont connu quedes régimes tyranniques ».L’épilogue de ce manifeste écrit à vingt-six mains est confié à JulienBlanc-Gras. L’auteur de Gringoland ou de Touriste ne peuts’empêcher de faire son malin en écrivant à un hypothétique petitfilsqui vivrait en 2099. « Plus de nationalités, plus de particularismesidentitaires, une langue commune, <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur des <strong>monde</strong>s, parfaitementaseptisé », imagine-t-il. Plus de déplacements non plus :« On se rend dans un cabinet de voyages pour se faire implanterune puce contenant <strong>le</strong> programme “Bouthan, terre de contrastes”pendant la pause déjeuner ». Même alors, et s’ils sont <strong>le</strong>s derniersà <strong>le</strong> faire, <strong>le</strong>s écrivains voyageront encore !n www.editions-magellan.comn A lire : L’Almanach des voyageurs,sous la direction de Jean-Claude Perrier (éditions Magellan & Cie)n°56 Mars/Avril 2013


40 38<strong>Mondomix</strong>.comVOYAGEC’est vraiment <strong>le</strong> Pérou !Î<strong>le</strong> de Taquil<strong>le</strong>, lac Titicaca.Enfin l’origine de l’expression s’éclaircit. Y a-t-il plus beau pays ? Peut-être et peu importe.Petit carnet de voyage, entre vestiges andins et immersion amazonienne.Texte et photographies : Ludovic TomasUn bil<strong>le</strong>t d’avion, un guide de voyage dans <strong>le</strong> sac à dos et un vague itinéraire imaginéà la hâte en jetant un œil sur une carte. Le hasard, l’intuition et <strong>le</strong>s pulsionsferont <strong>le</strong> reste. C’est dans cet esprit que je suis parti, seul, à la découverte duPérou. L’unique règ<strong>le</strong> : en prendre p<strong>le</strong>in la vue et sentir au plus près cette terre, sespeup<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>ur quotidien et <strong>le</strong>urs cultures millénaires, débarrassé d’un quelconqueprisme ethnocentrique.« au réveil,mieux vaut vérifier que <strong>le</strong>s bottesne sont pas occupées par quelquesfourmis venimeuses, araignées etautres scorpions »Lima, la mégapo<strong>le</strong> de 8 millions d’habitants impressionne. Malgré son immensité,son ciel bas et sa circulation incessante, la vil<strong>le</strong> présente bien des attraits. Uncentre historique colonial p<strong>le</strong>in de charme, une corniche aux nombreux jardinspublics surplombant <strong>le</strong> Pacifique, des quartiers à la vie nocturne animée et mêmequelques sites archéologiques en p<strong>le</strong>ine jung<strong>le</strong> urbaine. Lima grouil<strong>le</strong> de vie etd’envies.Dix-huit heures de bus plus au sud, Arequipa, cité andine, deuxième du pays ennombre d’habitants, est cernée de volcans. Vil<strong>le</strong> blanche du fait du sillar, rochevolcanique avec laquel<strong>le</strong> sont bâtis la plupart des édifices, Arequipa est poséeà 2 350 mètres d’altitude. Plus encore qu’à Lima, l’imposante Plaza de armasaccueil<strong>le</strong> une fou<strong>le</strong> de badauds venus profiter d’un banc public, profiter de lafraicheur d’une imposante fontaine ou épier <strong>le</strong>s coup<strong>le</strong>s d’amoureux... Fierté dela vil<strong>le</strong>, la momie congelée d’une jeune Inca sacrifiée au dieu So<strong>le</strong>il est surnomméeprincesse Juanita. Retrouvée quasi-intacte par des archéologues du sièc<strong>le</strong>dernier, el<strong>le</strong> trône dans un petit musée et émeut inévitab<strong>le</strong>ment. Incontournab<strong>le</strong>spour <strong>le</strong>urs cou<strong>le</strong>urs et <strong>le</strong>urs atmosphères opposées, l’immense monastère SantaCatalina et <strong>le</strong> marché conçu par Gustave Eiffel méritent plus que <strong>le</strong> coup d’œil.Il est temps de quitter <strong>le</strong>s ambiances citadines et de respirer <strong>le</strong> grand air du Val<strong>le</strong>edel Colca. C’est là que se trouve <strong>le</strong> deuxième plus profond canyon au <strong>monde</strong>,qui plonge de 3 191 mètres. Un lieu magnifique qui peut s’explorer sans guide.n°56 Mars/Avril 2013


Voyage / Pérou41Pendant des heures de marche, on se sent seul au <strong>monde</strong>, entre ciel et terre. Leso<strong>le</strong>il cogne mais l’arrivée dans une oasis, équipée d’hôtels improbab<strong>le</strong>s avecpiscine, récompense <strong>le</strong>s efforts.Tourisme autogéré sur <strong>le</strong> lac TiticacaL’aventure continue avec un autre record, celui du lac navigab<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus haut du<strong>monde</strong> – environ 4 000 mètres - au nom légendaire de Titicaca. Depuis <strong>le</strong> portde Puno, j’embarque pour <strong>le</strong>s î<strong>le</strong>s d’Amantani et de Taqui<strong>le</strong>. Petits paradis habitésde peuplades parlant <strong>le</strong> quetchua, sans hôtels ni voitures, où l’on dort chezl’autochtone. Du tourisme équitab<strong>le</strong> autogéré. A destination, <strong>le</strong> capitaine du bateauattribue aux visiteurs <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong>s logeront. Je suis accueilli dans unemaison aussi spacieuse que spartiate. Même basiques, <strong>le</strong>s échanges avec meshôtes laissent apparaître une profonde humanité et beaucoup de dignité chez cespersonnes accueillant des étrangers pour subvenir à <strong>le</strong>urs besoins, à des annéeslumièredes nôtres. A cette altitude, j’ai ressenti pour la première fois el soroche,<strong>le</strong> fameux mal des montagnes qui, en plus des difficultés respiratoires, provoqued’incroyab<strong>le</strong>s dou<strong>le</strong>urs à la tête proche d’une sinusite, assèche <strong>le</strong> nez et laisseapparaître du sang sur <strong>le</strong>s muqueuses. Le bon remède est la feuil<strong>le</strong> de coca. I<strong>le</strong>st donc très fréquent de voir <strong>le</strong>s Péruviens mastiquer cette plante sacrée dont <strong>le</strong>pays est <strong>le</strong> premier producteur mondial.paysages, la gastronomie, <strong>le</strong>s activités de la populationcomme sa physionomie ou son accent proche du brésilienet du créo<strong>le</strong>. La vil<strong>le</strong> est très bruyante mais très reposantedès qu’on lui tourne <strong>le</strong> dos pour faire face au f<strong>le</strong>uve.C’est d’Iquitos que l’on s’enfonce <strong>le</strong> plus aisément dans lajung<strong>le</strong>. Des dizaines d’agences proposent des excursionsà la durée et au confort variab<strong>le</strong>s. L’aventure débute àquelques kilomètres de la confluence qui donne naissanceà l’Amazone, f<strong>le</strong>uve <strong>le</strong> plus long du <strong>monde</strong>. Mon guideest originaire d’une petite communauté villageoise voisine.Par ses connaissances et sa capacité d’observation, cejeune Tarzan de 23 ans me fait passer un séjour inoubliab<strong>le</strong>.Marches de jour comme de nuit, machette à la mainet botte aux pieds, parfois en canoë à moteur. Le si<strong>le</strong>ncen’existe pas. Il y a toujours un son et l’on entend beaucoupplus que ce qu’on voit car la faune est plus rapideFresque mura<strong>le</strong> dans une rue de LimaUn lama veil<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> Machu PichuLe Machu Picchu à 6 heures du matinVient <strong>le</strong> moment de s’attaquer à la région de tous <strong>le</strong>s superlatifs : la Vallée sacréedes Incas avec, en point d’orgue, l’un des plus célèbres vestiges du <strong>monde</strong> : <strong>le</strong>Machu Picchu. Depuis Cuzco, ancienne capita<strong>le</strong> de l’empire inca, on peut faci<strong>le</strong>mentgraviter dans cette province-musée à ciel ouvert. L’arrivée est épique :<strong>le</strong> voyage en bus est interrompu après avoir percuté et tué sur <strong>le</strong> coup un ânequi avait déboulé sur <strong>le</strong> bitume. Cuzco et la Vallée sacrée sont un concentré desites archéologiques, tous différents et dignes d’intérêt. On y trouve éga<strong>le</strong>ment denombreuses cultures en terrasse, expérimentées depuis plusieurs sièc<strong>le</strong>s. Cuzcoest aussi une merveil<strong>le</strong> de l´art colonial avec un nombre incalculab<strong>le</strong> d´églises, decours intérieures. Rien de tel pour la découvrir que de se perdre dans son labyrinthede ruel<strong>le</strong>s pavées dont certaines sont très pentues.Le Machu Picchu est à la hauteur de sa réputation. J´y accède dès son ouverture,à 6 heures du matin, avant que <strong>le</strong>s hordes de touristes ne viennent y poser pour laphoto. Excitation de découvrir <strong>le</strong> fameux panorama de carte posta<strong>le</strong> qui arrive aubout de quelques minutes de marche. Le point de vue est magique : la pierre grisedes ruines au milieu d’une nature verdoyante dans laquel<strong>le</strong> se promènent des lamaset au fond, la petite montagne en forme de pain de sucre, <strong>le</strong> Wayna Picchu.S’enfoncer dans la jung<strong>le</strong>Après la costa (<strong>le</strong> littoral pacifique) et la sierra (la chaîne des Andes), il me resteà m’aventurer dans <strong>le</strong> troisième type de milieu naturel qui caractérise <strong>le</strong> pays : laselva, c’est-à-dire la forêt amazonienne. Il n’y a que deux modes de transportspour rejoindre la capita<strong>le</strong> de l’Amazonie péruvienne : <strong>le</strong> f<strong>le</strong>uve ou <strong>le</strong>s airs. Iquitosest la plus grande vil<strong>le</strong> au <strong>monde</strong> (700 000 habitants) à ne pas être accessib<strong>le</strong> parvoie terrestre. Ici, c’est un Pérou radica<strong>le</strong>ment différent. A tout point de vue : <strong>le</strong>set agi<strong>le</strong> que <strong>le</strong> gringo. Sur cinq jours, nous campons deuxnuits en p<strong>le</strong>ine brousse, dans des hamacs protégés d’unemoustiquaire. Avant de se coucher, il faut toujours tuer<strong>le</strong>s quelques moustiques faufilés entre <strong>le</strong>s mail<strong>le</strong>s. Et auréveil mieux vaut vérifier que <strong>le</strong>s bottes ne sont pas occupéespar quelques fourmis venimeuses, araignées et autresscorpions. Au fil des jours, nous observons plusieursvariétés de singes, de serpents, un paresseux, un bébécaïman, des oiseaux en tous genres dont deux espècesissues de la préhistoire, des grenouil<strong>le</strong>s et papillons detoutes cou<strong>le</strong>urs. Souvenir particulier, une baignade danscette eau cou<strong>le</strong>ur boue où nagent piranhas et dauphinsroses…Je choisis la voie fluvia<strong>le</strong> pour sortir du bassin amazonien.Trois jours sur un bateau mi-cargo, mi-ferry, à troisniveaux : au premier, des marchandises ; au deuxième, <strong>le</strong>commun des passagers, au troisième, quelques cabinespour <strong>le</strong>s privilégiés. L’intérêt est de faire comme la majoritédes passagers et s’instal<strong>le</strong>r au niveau intermédiaire,d’accrocher son hamac et de se laisser bercer en regardant<strong>le</strong> f<strong>le</strong>uve qui coupe la dense foret. Rien d’autre à faireque de lier connaissance avec ses compagnons de traversée.Une véritab<strong>le</strong> immersion dans la société péruvienne.Le <strong>le</strong>itmotiv de ces cinq semaines incroyab<strong>le</strong>s.n°56 Mars/Avril 2013


42 38<strong>Mondomix</strong>.comVOYAGEKurdistan irakien :Jours tranquil<strong>le</strong>s à ErbilSauriez-vous situer sur une carte Erbil, cette vil<strong>le</strong> qui sera « capita<strong>le</strong> du Moyen-Orient pour<strong>le</strong> tourisme » en 2014 ? Gaby Kerdoncuff, un trompettiste breton bourlingueur et gouail<strong>le</strong>ur,revient de cette cité f<strong>le</strong>urie, nichée dans <strong>le</strong>s plaines du nord de l’Irak, au pied de montagnesque se disputent la Turquie, la Syrie et l’Iran. Il nous en ouvre <strong>le</strong>s portes.Texte : François Mauger Photographie : Terre Entière« Les ma<strong>le</strong>ntendus et <strong>le</strong> hasarddonnent de la magie au réel »• www.gabykerdoncuff.fr• www.terreentiere.comn à lireKazut de TyrKerdoncuff, Le Floc’h & Berthou(Hirustica/L’autre Distribution)« Au Kurdistan irakien, chaque fois que tu dis que tu es français, <strong>le</strong>s gens, toutde suite, mettent la main sur <strong>le</strong> cœur et disent : “Ah la France…” », s’amuseGaby Kerdoncuff. Il faut savoir que notre pays y est très bien vu. Daniel<strong>le</strong> Mitterrandest considérée comme la mère des Kurdes. Après <strong>le</strong> bombardementaux gaz chimiques d’Halabja en 1988, après <strong>le</strong>s terrib<strong>le</strong>s sanctions que SaddamHussein a imposées aux Kurdes, c’est d’abord el<strong>le</strong> qui a réagi. FrançoisMitterrand ne pouvait pas <strong>le</strong> faire ouvertement pour des raisons politiques,pour ne pas se fâcher avec la Turquie et l’Iran. C’est Daniel<strong>le</strong> Mitterrand, touteseu<strong>le</strong>, comme une grande, qui est intervenue et a poussé pour qu’une résolutioncrée <strong>le</strong> fameux couloir aérien qui protège <strong>le</strong> Kurdistan actuel. Les gens <strong>le</strong>savent, ils connaissent l’histoire de <strong>le</strong>ur pays. Quand tu es français, tu as toutde suite une image positive. Les gens sont souriants, accueillants ».L’Orient pour s’orienterVoyager au Kurdistan irakien, ce n’est donc pas seu<strong>le</strong>ment se déplacer géographiquement,c’est aussi s’immerger dans une histoire partagée. Une histoireparfois douloureuse, émiettée entre quatre puissants voisins, Turquie,Irak, Syrie et Iran, mais dont certains épisodes trouvent des échos jusqu’en...Bretagne. « Je suis un orientaliste de moi-même, nous a confié <strong>le</strong> trompettiste.Je cherche mon propre Orient, je cherche à m’orienter. Je vais sur la routechercher des épices et des saveurs dont je sais qu’el<strong>le</strong>s sont un complémentindispensab<strong>le</strong> à mon propre équilibre. Et notre Orient, c’est celui de la Bretagne.Plus on voyage, plus on se rend compte que notre musique traditionnel<strong>le</strong>regorge de données qui sont des données orienta<strong>le</strong>s. Dans <strong>le</strong> chant notamment,dans <strong>le</strong>s échel<strong>le</strong>s qu’on utilise. J’ai baigné là-dedans, sans pouvoirmettre un mot dessus, parce qu’el<strong>le</strong>s n’étaient pas définies et n’étaient plusadmises. El<strong>le</strong>s faisaient partie d’une esthétique rejetée parce qu’incomprise.Il a fallu se confronter aux musiques orienta<strong>le</strong>s pour remarquer que, dans un<strong>monde</strong> bien plus large, arabe, perse ou turc, <strong>le</strong>s musiciens jouaient avec desn°56 Mars/Avril 2013


Voyage / Irak43échel<strong>le</strong>s extrêmement subti<strong>le</strong>s. Cette connaissance-lànous a permis de valider <strong>le</strong>s échel<strong>le</strong>s traditionnel<strong>le</strong>squi existent en Bretagne ».Sa quête l’a mené toujours plus loin : à Sarajevo,en Macédoine, au contact de fanfarons virtuoses,en Jordanie, où il a longuement collaboré avec <strong>le</strong>sfrères Khoury, et enfin au Kurdistan irakien, où, pourla deuxième fois, il est allé à la rencontre de musiciens.S’il est, à chaque fois, resté au sud de cetterégion autonome, à l’écart des hauteurs enneigéesdu Cheekah Dar, il a pu pousser jusqu’à Su<strong>le</strong>imaniyah,à l’est, et à Dohuk, à l’ouest, traversant « desplaines extrêmement ferti<strong>le</strong>s et très bel<strong>le</strong>s, des paysagesmagnifiques ».Le tourisme y reste peu développé. Rares sont <strong>le</strong>sagences de voyage occidenta<strong>le</strong>s qui, comme TerreEntière, y proposent des randonnées. Mais à Erbil,au centre, <strong>le</strong> voyageur breton nous apprend qu’«entre Noël et <strong>le</strong> Premier de l’an, il y avait 100 000 © C.Rivoa<strong>le</strong>nvisiteurs dans une vil<strong>le</strong> d’un million d’habitants. Enfait, <strong>le</strong>s riches Irakiens, <strong>le</strong>s riches Syriens et <strong>le</strong>s richesKurdes de Turquie viennent là à la période des fêtes parce quece sont <strong>le</strong>s seuls endroits où l’on peut s’encanail<strong>le</strong>r, faire des achats,trouver des parcs d’attraction pour <strong>le</strong>s gamins ».Ce qui <strong>le</strong>s attire, c’est avant tout la sécurité, « l’une des grandes préoccupationsdes Kurdes » selon <strong>le</strong> musicien. « Tu arrives à l’aéroport,tu as un petit guichet et tu as tout de suite ton visa. Ils étudient tonidentité avec un système informatique. Ils ne te demandent pas ceque tu viens faire, parce qu’ils souhaitent favoriser <strong>le</strong>s investissementsétrangers. Mais, ensuite, tu entres dans un pays où <strong>le</strong>s mesures desécurité sont drastiques. Il y a beaucoup de grands centres commerciauxqui ont été construits et, partout, des fouil<strong>le</strong>s au corps systématiques,des scanners pour <strong>le</strong>s bagages… ». Nombre de fidè<strong>le</strong>sde religions loca<strong>le</strong>ment minoritaires, comme <strong>le</strong>s Chrétiens de toutesobédiences, <strong>le</strong>s Yézidis, adeptes d’un culte monothéiste apparu quatremillénaires avant notre ère, ou <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s de Zarathoustra, y ontdonc trouvé refuge.La fièvre populaire du bazarC’est l’âme en paix que l’on se promène dans <strong>le</strong>s rues d’Erbil. « Monplaisir est dans la curiosité et l’échange », explique l’explorateur sonore,qui avait fait partie des premières équipées balkaniques d’ErikMarchand. « Je vais à la rencontre des gens, j’aime l’espèce de fièvrepopulaire qu’on peut trouver dans <strong>le</strong> bazar autour de la citadel<strong>le</strong>, lacuisine dans <strong>le</strong>s restaurants de poisson… Il y a un grand nombre derestaurants de qualité maintenant à Erbil. Ca va du plus petit bouiboui au restaurant des grands hôtels. Tu peux même manger despains délicieux, <strong>le</strong>s naans, faits sous tes yeux, directement dans larue. J’essaie de me débrouil<strong>le</strong>r seul, souvent. Même si je ne connaispas la langue, j’apprends <strong>le</strong>s mots nécessaires et je me lance.La réalité des Kurdes d’âge mûr, c’est que <strong>le</strong>s plus cultivés d’entreeux parlaient <strong>le</strong> persan, <strong>le</strong> turc, l’arabe et <strong>le</strong> kurde. ça fait quatrelangues, déjà ! Pour l’anglais ou <strong>le</strong> français, <strong>le</strong> nombre de locuteursse raréfiait. On était dans un Moyen-Orient qui n’était pas tournévers l’Occident. C’est un peu différent aujourd’hui : <strong>le</strong>s jeunes sontéduqués en kurde et apprennent une langue d’occident. Dans <strong>le</strong>voyage tel que je <strong>le</strong> conçois, il y a de toute façon une grande partde rêve au départ. Ensuite, <strong>le</strong> voyage nous confronte à la réalité. Ons’adapte. Les ma<strong>le</strong>ntendus font partie du voyage, de la communicationentre <strong>le</strong>s hommes. Les ma<strong>le</strong>ntendus et <strong>le</strong> hasard donnent dela magie au réel et c’est ce qui fait avancer… ».Cela tombe bien, Gaby Kerdoncuff n’a aucune envie de faire dusurplace. A Erbil, il est allé concevoir une suite à Kazut de Tyr, undisque et un spectac<strong>le</strong> onirique, en forme de carnet de route imaginaire.Gaby y chemine avec, à la main, une trompette quart de tonconçue par Nassim Maalouf, <strong>le</strong> père d’Ibrahim. Ses compagnonssont l’accordéoniste Jean Le Floc’h, qui s’échine sur un accordéondiatonique microtonal, et <strong>le</strong> percussionniste Yves-Marie Berthou. Cetrio très orienté pourrait dialoguer, dans un avenir proche, avec desvirtuoses kurdes, notamment <strong>le</strong> chanteur Wirya Ahmed.L’avenir ? Pour Gaby, <strong>le</strong> Kurdistan irakien en a bien un. « La positionactuel<strong>le</strong> des Kurdes est très inconfortab<strong>le</strong>. Il y a l’hostilité potentiel<strong>le</strong>des Turcs à <strong>le</strong>ur égard, cel<strong>le</strong> des Iraniens, <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>s qui peuventvenir du reste de l’Irak et <strong>le</strong>s événements de Syrie. Mais ils se battentpour exister. Par <strong>le</strong>ur position entre trois grands pô<strong>le</strong>s, arabe, turcet persan, je suis certain que, sur <strong>le</strong> plan de la culture, <strong>le</strong>s Kurdesvont nous surprendre. Ils sont déjà omniprésents, mais pas toujoursvisib<strong>le</strong>s ou audib<strong>le</strong>s. Cela pourrait changer… ».


44 <strong>Mondomix</strong>.com Sorties / cinémacinemaEn mars et avril sortent Sababou et Kinshasa Kids, deux films allègresdressant, en musique, <strong>le</strong> portrait d’une Afrique qui bouge et se (re)construit,à contre-courant des clichés misérabilistes.Texte : Ravith TrinhKinshasa KidsOn ne sait pas trop, mais c’est justement cette limite très fine entre <strong>le</strong>sdeux qui fait la force de cette œuvre protéiforme. Marc-Henri Wajnberta repris <strong>le</strong>s principes de docu-fiction initiés par Robert Flaherty dansNanouk l’esquimau : se fonder sur <strong>le</strong> mode de vie et <strong>le</strong> quotidien deses « comédiens » (qui sont véritab<strong>le</strong>ment des enfants et des artistesde rue) pour construire l’histoire du film.© Wajnbrosse« Floue », « indomptab<strong>le</strong> », « impossib<strong>le</strong> à capturer dans un discoursunivoque »... Tels sont <strong>le</strong>s termes utilisés par l’anthropologue Filip deBoeck dans son ouvrage Kinshasa : récits de la vil<strong>le</strong> invisib<strong>le</strong> pourdécrire la capita<strong>le</strong> démocratique du Congo. Il existe effectivement uncontraste évident, révoltant, entre <strong>le</strong>s quartiers principaux fréquentéspar des Européens et <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours de la capita<strong>le</strong> : des zones quasirura<strong>le</strong>soù grouil<strong>le</strong>nt l’insalubrité, la criminalité et la prostitution. Etpourtant, la vil<strong>le</strong> est en constante mouvance puisque se sont créésau sein de la population des instincts de survie, des réf<strong>le</strong>xes quipermettent de se nourrir, de se loger ou de sortir du quotidien.A partir de ce procédé très habi<strong>le</strong>ment mené, <strong>le</strong> réalisateur parvient àconserver une grande authenticité tant dans <strong>le</strong> traitement du scénario- à aucun moment, on ne se doute qu’il s’agit d’une fiction - quedans la direction de ses acteurs, plus vrais que nature, et dans lareconstitution des situations, inspirées par des expériences vécues etdes témoignages. Et c’est cette authenticité qui rend ce docu-fictionaussi poignant que puissant. Bien que la détresse soit présente (maisjamais montrée de façon misérabiliste), « tout <strong>le</strong> <strong>monde</strong> se démène,se démerde » pour reprendre <strong>le</strong>s propos du réalisateur. Chaque enfanta de véritab<strong>le</strong>s objectifs en tête pour survivre au quotidien et tenirbon. Des objectifs matériels : on vend des objets, on coopère avec lapolice pour vo<strong>le</strong>r des sous, on s’entraide pour trouver à manger. Maissurtout des objectifs moraux : on tient des projets pour l’avenir (êtrepatron d’une boîte, construire un foyer, faire des études...) et, sujetprincipal du film, on organise un concert pour oublier la dou<strong>le</strong>ur duquotidien. Kinshasa Kids ne montre pas la misère, il la surpasse ettente de la vaincre symboliquement.Kinshasa KidsUn film de Marc-Henri WajnbergAvec Emmanuel Fakoko, Gabi Bo<strong>le</strong>nge,Gauthier Kiloko, Bebson E<strong>le</strong>mba...Durée 1h25En sal<strong>le</strong> <strong>le</strong> 3 avrilC’est cet esprit de débrouil<strong>le</strong> qu’a tenté de capter Marc-HenriWajnberg avec l’étonnant Kinshasa Kids. Les kids en question, cesont huit gamins chassés de <strong>le</strong>ur maison parce que <strong>le</strong>urs parents ontdécrété qu’ils étaient des « shegués ». Traduction : des sorciers qui,selon la croyance loca<strong>le</strong>, seraient responsab<strong>le</strong>s des maux du foyer. Onsuit <strong>le</strong>s enfants livrés à eux-mêmes dans la capita<strong>le</strong> à la recherche denourriture, d’argent et de logement jusqu’à ce qu’ils croisent <strong>le</strong> chemind’un rappeur qui va <strong>le</strong>s initier à la musique. Fiction ou documentaire ?


Sorties / cinéma45Sababou« Certains deviennent des grands roisgrâce à la sueur des miséreux / Certainsdeviennent des présidents grâce au sangdes innocents... ». Sababou, la chansonde Diabson Téré dont sont extraites sesparo<strong>le</strong>s, signifie en malinké « <strong>le</strong> hasardd’une joyeuse rencontre ». Ce magnifiquedocumentaire en est riche, qui racontel’espoir d’une Afrique nouvel<strong>le</strong>. Une Afriquequi prône la non-vio<strong>le</strong>nce, plus exactement la paix en Côte-d’Ivoire aumoment où <strong>le</strong>s présidentiel<strong>le</strong>s ne cessent d’être repoussées (<strong>le</strong> film aété tourné en 2010).Le réalisateur Samir Benchikh suit <strong>le</strong> parcours de quatre personnes quiont conscience que personne ne viendra changer <strong>le</strong> continent à <strong>le</strong>urplace. Rigoureusement structuré, <strong>le</strong> documentaire, en partie financépar des fonds récoltés sur Internet, croise <strong>le</strong> destin de ces activistespour dresser <strong>le</strong> portrait d’une Afrique qui avance. Il y a celui qui rattrape<strong>le</strong>s erreurs de passé, tel ce membre de la Ligue Ivoirienne des Droitsde l’Homme, qui se bat pour la justice et <strong>le</strong>s droits des prisonniers.Celui qui agit pour <strong>le</strong> présent, à travers <strong>le</strong> reggaeman Tiken Jah Fakoly,de passage en Guinée pour un concert dédié à la paix, à quelquesjours des présidentiel<strong>le</strong>s. Et ceux qui anticipent, pensent au futur et auxnouvel<strong>le</strong>s générations, comme <strong>le</strong> chanteur et artiste Diabson Téré, quimilite pour <strong>le</strong> développement des activités culturel<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s quartiersd’Abobo, et Rosalie Bangali, qui tente de faire passer une loi pourfreiner <strong>le</strong>s vio<strong>le</strong>nces commises sur <strong>le</strong>s élèves dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s. Ce beaufilm choral inspire un vent d’espoir bienvenu, à mil<strong>le</strong> lieux des visionsapocalyptiques de l’Afrique. R.T.© D.R.© D.R.Sababou(En sal<strong>le</strong> <strong>le</strong> 6 mars)Un film de Samir Benchikh avec Tiken Jah FakolyDurée 1h40min Distributeur : Eurozoom


46 Sé<strong>le</strong>ction / cinéma/ Pierre Rabhi,au nom de la terreUn film de Marie-Dominique DhelsingAvec Pierre RabhiDurée : 1h38Distributeur : Nour FilmAgriculteur, écrivain et penseur, Pierre Rabih est l’un des pionniers del’agro-écologie. Cette éthique de vie défend l’idée selon laquel<strong>le</strong> laterre et ses richesses forment <strong>le</strong>s bases d’une société nouvel<strong>le</strong>, fondéesur <strong>le</strong> respect de l’environnement, <strong>le</strong> partage, l’équité et la solidarité.A partir de la fertilisation du sol, on pourrait subvenir aux besoinsalimentaires du <strong>monde</strong> entier et rétablir l’équilibre économique etsocial. Pendant <strong>le</strong>s premières minutes de ce documentaire-portrait,<strong>le</strong>s théories un peu nébu<strong>le</strong>uses sur <strong>le</strong> compost et <strong>le</strong>s interventionsde fervents militants vivant en autarcie alimentaire peuvent laisserperp<strong>le</strong>xe, mais <strong>le</strong>s principes de l’agro-écologie dictés par PierreRabih prennent toute <strong>le</strong>ur dimension lorsque l’homme revient surson passé. Refroidi par l’accueil que lui a réservé la France, alors enp<strong>le</strong>ine guerre contre l’Algérie en 1959, Rabih s’était tourné vers lanature pour se fonder sa propre « société », en autonomie tota<strong>le</strong> avecune seu<strong>le</strong> richesse : cel<strong>le</strong> de la terre. De là est née cette philosophiede vie à laquel<strong>le</strong> l’agriculteur a consacré tout son temps et qu’il apartagée avec <strong>le</strong>s autres. Les autres, ce sont des pays comme <strong>le</strong>Burkina Faso où Rabih a monté un centre de formation d’agroécologiepour apprendre aux paysans à fertiliser la terre et réduireainsi la famine. Ce sont des éco<strong>le</strong>s où l’on inculque <strong>le</strong> respect de laterre aux enfants, ou encore des bonnes sœurs qui se lancent dans <strong>le</strong>commerce équitab<strong>le</strong>... Habi<strong>le</strong>ment structuré et laissant tout l’espaced’expression à son penseur, <strong>le</strong> documentaire parvient à démontrerque l’agro-écologie n’est pas une utopie, mais une possibilité. C’estdéjà un grand pas. R.T.© D.R.© D.R.


48 Sé<strong>le</strong>ction / Télévision/ Jazzy Tel AvivTrois concerts sur Mezzomettent en lumière <strong>le</strong>s richesses du jazzde la bouillante vil<strong>le</strong> israélienne.Sur <strong>le</strong>s premières images, dans la lumière b<strong>le</strong>utée, Yaron Herman jouequelques notes sur un minuscu<strong>le</strong> xylophone rouge, puis <strong>le</strong>s reprend surson piano. Un trompettiste enchaîne avec <strong>le</strong> « mi do mi » qui, pour <strong>le</strong>smélomanes du <strong>monde</strong> entier, annonce un bel été : en cette nuit de lafin octobre 2012, <strong>le</strong>ur représentation au Gerard Bechar Center de TelAviv s’ouvre sur un Summertime voluptueux. La suite est parfois plusagitée, notamment lorsque <strong>le</strong> trompettiste branche son instrument surune péda<strong>le</strong> wah wah ou que <strong>le</strong> pianiste – qui s’était fait remarquer àses débuts en détournant des mélodies chantées par Björk ou BritneySpears – s’ébat en toute liberté sur <strong>le</strong> clavier.Gadi LehaviLa semaine précédente, non loin de là, un pianiste plus jeune encoreavait volé la vedette au saxophoniste Eli Degibri. Les bouc<strong>le</strong>s châtainde Gadi Lehavi et ses joues d’enfant disparaissent derrière <strong>le</strong> Steinwaysombre posé sur <strong>le</strong> parquet luisant de l’Enay Cultural Center. Mais,alors qu’il n’a que seize ans, il remplace déjà un orchestre à lui tout seul,avec une science des harmonies qui confine au génie.Couché de so<strong>le</strong>il sur Tel AvivLa veil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> joueur de oud Amos Hoffman avait donné avec <strong>le</strong>contrebassiste Gilad Abro et <strong>le</strong> flûtiste Ilan Sa<strong>le</strong>m un concert cha<strong>le</strong>ureuxau HaEzor. Pourtant, même dans ce club intimiste de la capita<strong>le</strong>culturel<strong>le</strong> israélienne, <strong>le</strong>s caméras d’Olivier Taieb ne montrent presquejamais <strong>le</strong> public, on ne fait que l’entendre. En fait, hormis <strong>le</strong> tempsde brefs génériques tournés en extérieur à l’heure du crépuscu<strong>le</strong>, <strong>le</strong>strois films consacrés à l’édition israélienne du Mezzo Jazzmix Festivalne dévoi<strong>le</strong>nt rien de Tel Aviv, ni sa personnalité, ni son histoire. Rienn’explique, en particulier, comment cette cité de 400 000 habitantssecrète tant de ta<strong>le</strong>nts fulgurants. Mais ces concerts filmés au plusprès des musiciens permettent de saisir à propos de cette vil<strong>le</strong> quelquechose qui échappe aux circonstances historiques, quelque chose depeut-être plus profond… Une âme ?F.M.n Yaron Herman and Friends :<strong>le</strong> 19 mars à 21h et <strong>le</strong> 20 mars à 17h30.n Eli Degibri & Gadi Lehavi Live In Tel Aviv :<strong>le</strong> 10 mars à 10h, <strong>le</strong> 11 mars à 14h.n Amos Hoffman Live At HaEzor :<strong>le</strong>s 10 mars à 11h et <strong>le</strong> 11 mars à 15h.• www.mezzo.tvn°56 Mars/Avril 2013


50 <strong>Mondomix</strong>.comLivresTueurs de chanteursArnaud Le Gouëff<strong>le</strong>c/Olivier Ba<strong>le</strong>zAvant même que l’importance du chanteur Dominique A ne monte d’un cranaprès sa Victoire d’interprète masculin de l’année, une bande dessinée sortieen début d’année soignait sa légende. Rencontre avec Arnaud Le Gouëff<strong>le</strong>c,<strong>le</strong> scénariste de J’aurai ta peau Dominique A.Texte : Benjamin MiNiMuMLe vendredi 8 février 2013, lorsque <strong>le</strong> nom du lauréat dumeil<strong>le</strong>ur chanteur interprète de l’année à été révélé lors de lacérémonie des Victoires de la Musique, Arnaud Le Gouëff<strong>le</strong>cs’est <strong>le</strong>vé d’un bond de son fauteuil en s’écriant « Putain ! ».Il faut dire que ce musicien, romancier et scénariste breton,avait livré quelques semaines auparavant un album de bandedessinée concocté avec son complice dessinateur OlivierBa<strong>le</strong>z ayant pour titre J’aurai ta peau Dominique A.« Mais pourquoi cette menace ? », se demande <strong>le</strong> chanteur,catapulté héros à bul<strong>le</strong>s, après avoir reçu la missive rédigée enpapier découpé annonçant cet inquiétant message. « C’est peutêtreà cause de ton look ?», suggère son ami Philippe Katerinealors en p<strong>le</strong>in succès exubérant. Tout est possib<strong>le</strong> tant il paraîtincongru que quelqu’un souhaite une mort vio<strong>le</strong>nte au sobrechanteur. « Ca nous a faire rire, parce que personne ne veut tuerDominique A, c’est <strong>le</strong> chanteur <strong>le</strong> moins « à abattre » du showbusiness, justement parce qu’il trace son sillon relativement àl’ombre », explique Arnaud quant au choix de <strong>le</strong>ur cib<strong>le</strong>.moins, une bel<strong>le</strong> chanson sur l’amitié ». Bien sûr, dans la vraie vie<strong>le</strong>s deux auteurs n’ont pas décidé de mettre la vie de DominiqueA en danger sans en prévenir <strong>le</strong> principal intéressé : « Quand onlui a proposé l’idée, il s’est montré curieux de voir jusqu’où on iraitet nous a laissé une tota<strong>le</strong> carte blanche. Ce qui à la réf<strong>le</strong>xion estassez courageux, voire légèrement inconscient. Mais il avait lu nosprécédentes BD et savait que nous n’allions pas l’entraîner surdes terrains trop différents. » Comme on a pu <strong>le</strong> constater lors dela cérémonie des Victoires, <strong>le</strong> triste sire de papier n’est pas arrivé àses fins et Dominique A n’en a pas voulu à Olivier Ba<strong>le</strong>z et ArnaudLe Gouëff<strong>le</strong>c : « Il a beaucoup aimé et ça nous a soulagés. Le butétait de <strong>le</strong> faire rire et je crois que ça a fonctionné ».Le scénariste et <strong>le</strong> chanteur se connaissaient déjà, carArnaud avait écrit pour la chanteuse ooTi un album sur <strong>le</strong>quelDominique A avait fait deux duos. Toutefois, pour écrire cettehistoire, il a préféré ne pas se documenter. « On a choisi dene pas en savoir plus sur sa vie. Le personnage de la BD n’apas d’attaches, pas de compagne, pas d’enfant, peu d’amis.C’est une sorte de Tintin, avec Katerine qui intervient commeune sorte de Capitaine Haddock. On l’a caricaturé en star devariété M6 pour accentuer <strong>le</strong> contraste entre l’austérité de l’unet <strong>le</strong> côté baroque de l’autre ». Mais cette bande dessinée trèsréussie est à mil<strong>le</strong> lieues de la pantalonnade. Comme dans<strong>le</strong>ur précédent album, Le chanteur sans nom, inspirée par unmystérieux chanteur masqué des années 20, l’humour et lapoésie se partagent <strong>le</strong> terrain.Carte blanche tota<strong>le</strong>Si cette nouvel<strong>le</strong> histoire fait fi de la réalité traversée par <strong>le</strong> chanteur,l’évocation de ses chansons est omniprésente : « Les référencesaux chansons servent de lignes de force et de contraintes. Parexemp<strong>le</strong> la scène où Dominique A rejoint Philippe Katerine surscène est inspirée d’un duo des deux chanteurs, Manque moin J’aurai ta peau Dominique AArnaud Le Gouëff<strong>le</strong>c/Olivier Ba<strong>le</strong>z Glénatl Interview complète sur www.mondomix.com


Sé<strong>le</strong>ction / BD 51/ Bienvenueà JoburgPascal Rabaté(Futuropolis)Contrairement aux idées reçues,<strong>le</strong>s obligations professionnel<strong>le</strong>s desdessinateurs de bande dessinée ne<strong>le</strong>s obligent pas à quitter <strong>le</strong>ur tab<strong>le</strong>de dessins uniquement pour rendrevisite à <strong>le</strong>ur éditeur ou faire des dédicacesà la chaîne dans des festivalsspécialisés. Il <strong>le</strong>ur arrive, pourexercer <strong>le</strong>ur art, de visiter <strong>le</strong> <strong>monde</strong>. En 2001, Pascal Rabaté(Ibicus, Les petits ruisseaux...) s’est ainsi rendu à Johannesburg,invité par l’Institut Français pour une résidence d’artiste. Cet album,déjà édité en 2003, est une histoire imaginée à partir desobservations et impressions récoltées pendant son voyage enAfrique du Sud et agrémentée de croquis pris sur <strong>le</strong> vif. Comme<strong>le</strong> dessinateur, son personnage est frappé dès la <strong>le</strong>cture des guidesde voyage par la vio<strong>le</strong>nce qui semb<strong>le</strong> régner à Joburg. Il s’yest rendu pour épau<strong>le</strong>r un ami de son père dans une imprimerieet rien de ce qu’il découvre à son arrivée ne vient contredire cettemauvaise réputation. Au fil des rencontres et des évènements, ilse rend aussi compte que la vil<strong>le</strong> multiracia<strong>le</strong> possède une bel<strong>le</strong>énergie et que ses habitants ont souvent bien d’autres chosesà partager que <strong>le</strong>s mauvais coups. Impeccab<strong>le</strong>ment scénariséet croqué sur <strong>le</strong> vif en noir et blanc, Bienvenue à Joburg tient àla fois du reportage dessiné, de la fiction réaliste et du plaidoyercontre <strong>le</strong>s préjugés et <strong>le</strong> manichéisme. B.M./ Le plusmauvais groupedu <strong>monde</strong>José Carlos Fernandes(Editions Cambourakis)C’est un <strong>monde</strong> à peine plus dérangéque <strong>le</strong> nôtre que décrit <strong>le</strong>Portugais José Carlos Fernandesdans <strong>le</strong>s cinquième et sixième volumesde sa série Le plus mauvaisgroupe du <strong>monde</strong>. Dans la partieintitulée Le dépôt central des rebuts, <strong>le</strong>s doux dingues, obsessionnelsde tous crins et scientifiques de l´inuti<strong>le</strong> s’adonnent àd’étranges occupations comme la col<strong>le</strong>ction de tickets de fi<strong>le</strong>d’attente. Ils sont en proie à des phénomènes étranges commela combustion spontanée de la batterie du plus mauvais groupedu <strong>monde</strong> dans Les archives du prodigieux et du paranormal.Ces 46 histoires indépendantes mais où certains personnagesse recoupent, se dérou<strong>le</strong>nt sur deux pages dessinées en noiret blanc teintées de jaune dans des paysages urbains approximativementsitués à la fin des années cinquante dans un paysd’Amérique. L’auteur s’est amusé à y disséminer des citationsde Melvil<strong>le</strong>, Borges ou T.S. Eliott et signa<strong>le</strong> que ces albums duplus mauvais groupe du <strong>monde</strong> utilise des samp<strong>le</strong>s de CharlieMingus, David Krakauer ou Rabih Abou Khalil tout en ayant <strong>le</strong>bon goût de ne pas y avoir adjoint de copie CD. On peut démarrercette série ici, on aura du mal à ne pas chercher à se procurer<strong>le</strong>s volumes antérieurs. B.M.n°56 Mars/Avril 2013


52 PlaylistRocéPropos recueillis par Benjamin MiNiMuMn Rocé Guns N Rocé (hors cadres/Differ ANT)n en concert <strong>le</strong> 16 mars à Marseil<strong>le</strong>,<strong>le</strong> 30 à Lyon et <strong>le</strong> 16 Avril à Poitiers© Tchon Dis-moice que tu écoutes !En France, il y a des rappeurs,des slammeurs et il y a Rocé.Le natif de Bab el Ouedpoursuit une carrière sansécarts ni modè<strong>le</strong>s. Son nouvelalbum, Gunz N’Rocé, estune nouvel<strong>le</strong> preuve de sapertinence.n Quel est <strong>le</strong> premier disque quetu as acheté ?Rocé : Un viny<strong>le</strong> du rappeur K Soloaux débuts des années 90.n Le premier disque à t’avoirlaissé une impression durab<strong>le</strong> ?Rocé : Le premier album deGangstarr [No More Mr Nice Guy,1989].n Trois titres de hip hop qui t’ontmarqué ?Rocé : Gangstarr, Just to get a rep ;NTM, Le <strong>monde</strong> de demain ; DaddyLord C, Pas <strong>le</strong> temps de jouer.n Tes trois poètes favoris ?Rocé : Henri Michaux, Léon GontranDamas et Aimé Césaire.n Trois artistes françaisimportants à tes yeux ?Rocé : Georges Brassens, Barbara etCo<strong>le</strong>tte Magny.n Un vers tiré d’une chansonfrançaise ?Rocé : « Une multinationa<strong>le</strong> s’estofferte notre société/ Vous êtesdépassé, de fait vous êtes remercié »,Eddy Mitchell, dans Il ne rentre pasce soir.n Un artiste de rock qui tetouche ?Rocé : Marilyn Manson.n Trois musiciens de soul ou defunk que tu admires ?Rocé : Marvin Gaye, Curtis Mayfieldet Gil Scott Heron.n Un disque qui te transporte enAfrique ?Rocé : Ethio-Jazz de Mulatu Astatke.n Un disque qui te transporte enAsie ?Rocé : Chala Vahi Des & MeeraBhajans, de Lata Mangeshkar.n Un disque qui te transporte enAmérique du Sud ?Rocé : Girl from Ipanema, d’AntonioCarlos Jobim.n Morts ou vivants, de quelsmusiciens serait constitué <strong>le</strong>backing band de tes rêves ?Rocé : Les musiciens du groupe Can.n Le premier morceau écrit pourGunz N’Rocé ?Rocé : J’rap pas pour être sympa.n Le dernier enregistré ?Rocé : La vitesse m’empêched’avancer.n Le dernier disque acheté ?Rocé : International Soundclash deSofrito.n Le dernier titre téléchargé ?Rocé : Tombe la Neige, de JPManova.n Un morceau à écouter avantde se coucher ?Rocé : To Be Continued, d’IsaacHayes.n°56 Mars/Avril 2013


AFRIQUE 53CHRONIQUESRokia Traoré“Beautiful Africa”(Nonesuch/East West)res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeDepuis <strong>le</strong> début de sa carrière discographiqueen 1998, Rokia Traoré suit une trajectoire artistiqueintègre et exigeante. El<strong>le</strong> ne renie riende son héritage bambara, ni de ses aspirationsde femme moderne et combative. Française àBamako et Malienne à Amiens, el<strong>le</strong> assume lacomp<strong>le</strong>xité de son identité, puisant ici des idées et des énergies pour <strong>le</strong>simplanter dans la culture de son pays de naissance où el<strong>le</strong> observe un richepatrimoine et une ancestra<strong>le</strong> sagesse pour nous en offrir la chair et <strong>le</strong>s saveurs.© ZazzoALPHA BLONDY“MYSTIC POWER”(Test/Wagram Music)Voilà qui va sortir bruta<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong>ur léthargie<strong>le</strong>s rastamen engourdis par un reggae enfumé.Le rock vient de défoncer à coups de bottesla porte du studio. Plus question de planerà dix pieds du sol, Alpha Blondy ligote saseizième sortie studio de cordes de guitaresnouées à doub<strong>le</strong> tour. Fouetté au sang,la rythmique rougie par <strong>le</strong>s soli, son reggaedevient plus va<strong>le</strong>ureux. Ardent et percutant, <strong>le</strong>torse bombé, prêt à rég<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s conflits armésà mains nues, à en finir avec la corruption, àchasser <strong>le</strong>s pillards de l’Afrique. A abattre <strong>le</strong>scloisons entre religions. Alpha porte mieux <strong>le</strong>treillis que la robe de prêcheur d’un amouruniversel et <strong>le</strong>s thèmes changent peu d’unalbum sur l’autre. Mais <strong>le</strong> <strong>monde</strong> change-t-il ?Franck CochonECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecffffgSon évolution musica<strong>le</strong> s’est faite sans à-coups, sa révolution se poursuitsans vio<strong>le</strong>nce. La guitare é<strong>le</strong>ctrique est arrivée dans son univers avecTchamantché, son album précédent, et se déploie ici avec encore plusd’assurance, à travers la production de l’anglais John Parish, connu pour soncompagnonnage avec une autre forte personnalité, PJ Harvey. On n’en quittepas l’Afrique pour autant. Rythmiques et mélodies en bambara sont toujourssoutenues par <strong>le</strong> n’goni de Mamah Diabaté ou <strong>le</strong>s chœurs de Fatim Kouyatéet Bintou Soumbounou. Les invités européens (<strong>le</strong> contrebassiste danoisNicolai Munch-Hansen, <strong>le</strong> guitariste italien Stefano Pilia, <strong>le</strong> batteur anglais SebRochford) et même <strong>le</strong> beatboxer australien, Jason Singh, restent discrets etefficaces, attentifs à servir <strong>le</strong> propos de <strong>le</strong>ur hôte. L´é<strong>le</strong>ctricité des six cordesse greffe avec agilité à cette architecture et accompagne <strong>le</strong>s émotions et <strong>le</strong>squestionnements de Rokia : <strong>le</strong> bonheur que procure <strong>le</strong> chant des oiseaux (TuitTuit), l’admiration que lui inspirent <strong>le</strong>s femmes maliennes (Sarama), <strong>le</strong>s doutesde l’amour (Ka Moun Ké), la détermination face à ceux qui ont tenté del’empêcher de chanter (Sikey), la colère face aux abus et vio<strong>le</strong>nces subis par<strong>le</strong> peup<strong>le</strong> d’Afrique. Sa dou<strong>le</strong>ur la plus forte est due à la situation dans sonpays : « Le flot de mes larmes s’embal<strong>le</strong>/Ardente est ma peine/Dans mes veinesd’afro-progressiste/Le sang bambara chargé d’espoir brû<strong>le</strong>... », déclamet-el<strong>le</strong>dans Beautiful Africa, avant d’invoquer l’espoir et d’affirmer son amoursans conditions pour <strong>le</strong> continent qui l’a vue naître.Benjamin MiNiMuMECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecECOUTEZsur MONDOMIX.COM avecVous pourrez retrouvertoutes <strong>le</strong>s chroniquesde ce magazinesur notre site ainsi quesur Deezer.com et écouter<strong>le</strong>s albums grâce à notrepartenaire.


54AFRIQUEres dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>ffffgMONDOMIXm'aimefffffIdir“Neveo”(Sony Music)Vingt ans que <strong>le</strong>s inconditionnelsdu célèbre chantre de la chansonkaby<strong>le</strong> attendaient son retour ensolo ! Avec Neveo, il ne <strong>le</strong>s décevrapas. En onze morceaux qui oscil<strong>le</strong>ntentre reprises et compositions,Idir revient sur ce qui l’a formé: <strong>le</strong>s paysages de son enfance,<strong>le</strong>s mélodies qui l’ont inspiré, lapaternité, et bien sûr sa mère,décédée il y a quelques mois et àlaquel<strong>le</strong> il dédie <strong>le</strong> poème final. Desclassiques comme Plaisir d’amourou L’Hymne à la joie sont revisitésavec des sonorités berbères qui,emmenées par une flûte bédouineet <strong>le</strong> rythme du bendir, étonnentautant qu’el<strong>le</strong>s séduisent. Armé desa douce voix et de son grandcœur, Idir poursuit son combatpour la reconnaissance d’uneidentité amazigh avec un disqueprofondément enraciné mais quiregarde au loin. Nadia AciECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecVarious Artists“AfroSoul #1”(AfroSoul/Buda Musique/Universal)res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeEn plaçant sa première sé<strong>le</strong>ctionde musiques africaines sous <strong>le</strong>sauspices bienveillants des blackpresidents Fela et Sankara, JeanBerry, fondateur de la série Afrosoul,revendique un parti pris exigeant,entre héritage traditionnel etmusique urbaine. Du groove vaudoudu Yes I Know de Peter Solo à lapuissance des incartades gnawasde Fanga, as montpelliérains del’afrobeat, du chant inspiré duN’tatala du griot urbain Djeli MoussaCondé, au Ya Nari Revolution façonprotest song de la Tunisienne AminaAnnabi, sans oublier <strong>le</strong>s guitarestouareg de Nabil Othmani, cettesé<strong>le</strong>ction de 16 titres dresse unalléchant panorama pour quiaurait besoin d’un guide pours’aventurer dans la jung<strong>le</strong> desmusiques africaines. SQ’ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecfffffEbo Taylor“Ebo Taylor”“Conflict”(Essiebons/Mr Bongo)La reconnaissance internationa<strong>le</strong>d’Ebo Taylor aura été longue àvenir. Le guitariste ghanéen avaitfêté ses 74 ans lorsque l’originalitéde sa vision musica<strong>le</strong> a enfin éclatéaux oreil<strong>le</strong>s du <strong>monde</strong> entier via lasortie de Love and Death, en 2009.L’homme n’avait pourtant guèrechômé depuis ses débuts dans<strong>le</strong>s années 50, jammant dans <strong>le</strong>Londres des années 60 avec Fela,faisant résonner sa guitare subti<strong>le</strong>et jazzy sur des dizaines de sing<strong>le</strong>sdans <strong>le</strong>s studios d’Accra. A la findes années 70, Ebo Taylor franchit<strong>le</strong> cap de l’aventure solo, avecdeux albums ici réédités pour lapremière fois dans <strong>le</strong>ur intégralité.Une révélation : si <strong>le</strong> premier, EboTaylor (1977), commence pardéployer un highlife chaloupé, léger,<strong>le</strong> voilà qui bifurque en son centrevers un afrobeat resp<strong>le</strong>ndissant,innervé de funk et de jazz (OhyeAtar Gyan, Heaven). Conflict, parutrois ans plus tard, est encoreplus explosif, qui s’appuie sur desgrooves tentaculaires pour asseoirdes morceaux d’une puissanceredoutab<strong>le</strong> (Love and Death ouWhat is Life, que Taylor revisita en2009). A ranger à proximité desmeil<strong>le</strong>urs Fela.Bertrand BouardECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecres dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimefffffRetrouvez deuxtitres extraitsde chacundes disqueschroniqués ici surRadiomix,la webradiode <strong>Mondomix</strong>,disponib<strong>le</strong> sur sonsite en partenariatavec Yasound.Cesaria Evora“Mãe Carinhosa”(Sonymusic)Plus d’un an après sa mort,la « diva aux pieds nus » nousenvoûte encore avec une sériede mornas et de coladeras quicontiennent toute la saudadedu Cap Vert. C’est à l’initiativede son producteur et ami detoujours José Da Silva que l’ondoit cet opus posthume qui aplutôt l’allure d’un nouvel album.Recueil d’inédits laissés de côtéau fur et à mesure des sessionsd’enregistrements entre CaboVerde (1997) et Rogamar (2005),Mãe Carinhosa (« mère tendresse» en français) rassemb<strong>le</strong> la plupartdes auteurs avec <strong>le</strong>squels Cize(son surnom sur l’î<strong>le</strong> de Mindelo) atravaillé tout au long de sa carrière: des « anciens » comme B. Leza,Manuel de Novas ou EpifaniaEvora, mais aussi des artistesactuels comme Teofilo Chantreou Nando Da Cruz. Entre unereprise du boléro Dos Palabras et <strong>le</strong>standard enso<strong>le</strong>illé Cme catchorr,on retrouve, réconfortés, <strong>le</strong> charmeondulé de cette voix reconnaissab<strong>le</strong>entre toutes et dont la flamme n’estpas près de s’éteindre. Nadia AciECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecKiki Gyanffffg“24 Hours in a Disco 1978-1982”(Soundway Records)Cette compilation centre son propossur l’œuvre de Kiki Gyan, considéréà juste titre comme l’un des plusgrands claviéristes africains.Souvent comparé à StevieWonder, ce multi-instrumentisteghanéen a commencé sa carrièreen 1975. Il fut un temps l’hommeaux claviers d’Osibisa, <strong>le</strong> superband africain basé à Londresqu’il quittera pour des différentsfinanciers en 1978. Très demandéà cette époque, Kofi Kwarko (sonvrai nom) s’est ensuite lancé dansune carrière solo sous la bannièredu disco comme en témoignent cessept titres brûlants. Il s’est éteinten 2005, emporté par <strong>le</strong> SIDA.L’écoute de ces morceaux choisis(Disco Dancer, Sexy Dancer…)suffit à replacer l’artiste dans unmouvement musical où <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>ntcôtoyait <strong>le</strong>s pail<strong>le</strong>ttes et la fête. SQ’ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecn°56 Mars/Avril 2013


Amériques55Caetano Veloso“Abraçaço”(Universal)res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeAbraçaço, c’est la forme superlative d’« abraçao » (« embrassade»), qui est la norme affective pour tout courrier é<strong>le</strong>ctroniqueau Brésil. Caetano Veloso la fait sienne pour saluer sacommunauté dans ce nouveau disque. Ce n’est pas <strong>le</strong> seu<strong>le</strong>mprunt à l’univers des emails, puisque la chanson Parabens,autre classique des formu<strong>le</strong>s épistolaires (« Félicitations »),n’est ni plus ni moins que <strong>le</strong> texte envoyé par <strong>le</strong> réalisateur Mauro Lima au chanteur pourson anniversaire. Et la mélodie de Gayana lui a été suggérée par <strong>le</strong> fichier vidéo que lui aadressé Rogerio Duarte, cultissime tropicaliste.Tout ceci n’est pas anodin, mais réaffirme à qui en aurait douté combien Caetano Veloso estun homme branché sur son époque (voir son compte Twitter), c’est-à-dire tout autant soucieuxdu passé. Cette ontologique contradiction irrigue toute sa pensée, toute sa musique,depuis toujours. Sa discographie est ainsi composée de références majuscu<strong>le</strong>s percutéesaux ultimes mouvements du <strong>monde</strong>. Chaque album contient tout à la fois des formes fondéessur <strong>le</strong>s figures de sty<strong>le</strong> et des formats prospectifs. Cette manière de voir, de faire raisonner <strong>le</strong><strong>monde</strong>, est encore à l’œuvre dans cet album qui clôt une trilogie, débutée par <strong>le</strong> nerveux Cêet <strong>le</strong> plus doux-amer Zii e Zie.Entouré par la même équipe, co-produit par son fils Moreno et Pedro Sa, son fidè<strong>le</strong> lieutenant àl’énergique guitare é<strong>le</strong>ctrique, Caetano met encore en avant la guitare, qui lui a servi à écrire <strong>le</strong>répertoire. Rauque et quasi noisy, cristalline et limite blues, el<strong>le</strong> se joue de multip<strong>le</strong>s sonorités,qui soulignent entre <strong>le</strong>s lignes sa voix de velours, son écriture subti<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong> genre, l’introductifA Bossa Nova E Foda, titre ambigu que l’on peut traduire par « Putain, la bossa nova ! », oùVeloso évoque <strong>le</strong> « sorcier de Juazeiro », Joao Gilberto, sert de modè<strong>le</strong> à tout ce qui suit :Caetano passe par tous <strong>le</strong>s états, de la sensuel<strong>le</strong> grâce mélodique aux intempestives sautesd’humeur harmoniques, pour porter un regard décadré sur ce mouvement dont à la fois il futl’héritier et <strong>le</strong> contestataire. Comme <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur résumé de ce qui fait <strong>le</strong> « paradoxal » génie duplus carioca des Bahianais. Jacques DenisECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecffffgECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecFRIKSTAILERS“EN SON DE PAZ”(Waxploitation/Differ-Ant)A l’image des Robocops aux perruques fluo et claviers en forme de fusils laser de sa pochette, <strong>le</strong> nouvelopus du duo argentin Frikstai<strong>le</strong>rs projette la musique sud-américaine vers un futur androïde, quigreffe avec humour et imagination <strong>le</strong>s sonorités latines sur un écrin d’e<strong>le</strong>ctro hi-fi. Révélé grâceau label ZZK, <strong>le</strong> tandem originaire de Mendoza et désormais relocalisé au Mexique, signe une sériede compositions variées et nuancées qui prouve qu’il est aussi capab<strong>le</strong> de décliner ses ta<strong>le</strong>nts sousce format d’album qui n’est a priori pas <strong>le</strong> sien. Si <strong>le</strong>s missi<strong>le</strong>s tropical bass (Guacha, Dem Can’t StopWe From Talk, qui remixe Anthony B) ponctuent la traversée, on se dé<strong>le</strong>cte tout autant de ses esca<strong>le</strong>sfolkloriques (Murga del Guachin) comme de ses incursions en terres hip hop (Cumbianchamuyo). Y.R.n°56 Mars/Avril 2013


56Amériquesres dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>ffgggffffgMONDOMIXm'aimefffffBOMBA ESTÉREO“ELEGANCIA TROPICAL”(Soundway/Differ-Ant)A la pointe de l’iceberg desnouvel<strong>le</strong>s musiques colombiennes,Bomba Estéreo déçoit d’autantplus après <strong>le</strong> carton du précédentalbum et de son tube Fuego, quiavait propulsé <strong>le</strong> groupe de Bogotásur la scène des plus grandsfestivals en focalisant l’attention surl’énergie juvéni<strong>le</strong>, tout en lascivité,de sa chanteuse Li Saumet.Passée la surprise de ce cocktailé<strong>le</strong>ctro-pop-rock en mode latine,ne subsiste en effet plus qu’une(sur)production largementformatée pour gagner la bandeFM, sur laquel<strong>le</strong> nappes de synthéet bouc<strong>le</strong>s rythmiques étouffentl’idiosyncrasie caribéenne pourtantrevendiquée sur chaque morceau– pour ne pas par<strong>le</strong>r de la vacuitédes paro<strong>le</strong>s. Restent la présencedes invités Buraka Som Sistema etB’Negao pour re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> niveau surdeux titres, ce qui ne fait sommetoute pas grand chose. Yannis RuelKIDDUS I“TOPSY CURVY WORLD”(Rubin)E<strong>le</strong>vé au rang de figure mythiquedepuis son interprétation deGraduation In Zion dans <strong>le</strong> filmRockers en 1976, Kiddus I n’aurasorti son premier album qu’en2004. Entre temps, que des sing<strong>le</strong>s.Quelqu’un qui a su patienteraussi longtemps a forcément enlui une flamme que rien ne peutsouff<strong>le</strong>r. Cel<strong>le</strong> du reggae. Roots,bien sûr. Originel surtout. Exemptde toute révolution corruptricedans <strong>le</strong>s riddims, la forme ou <strong>le</strong>sthèmes. Fait de basse lourde,de pompes d’orgue Ham<strong>monde</strong>t d’arrangements raffinés, où<strong>le</strong>s chœurs sont <strong>le</strong> soutien habi<strong>le</strong>d’une voix gardée claire et intacte.Porteuse d’un discours d’amouret de contestation, habitée d’uneprofondeur naturel<strong>le</strong> que seuls <strong>le</strong>svieux chanteurs de la musique deJah peuvent avoir. Authentique.F.C.Various Artists“STUDIO ONE IRONSIDES”(Soul Jazz Records)Des sixties aux seventies, StudioOne fut la corne d’abondance dela musique jamaïcaine. Créateurautant qu’innovateur, <strong>le</strong> label deSir Coxsone déversa d’abord sonphiltre musical sur son î<strong>le</strong> avantd’en inonder <strong>le</strong> <strong>monde</strong> entier.En situation de quasi-monopo<strong>le</strong>,il créa une myriade de souslabels pour tromper la vigilancedes radios déjà bien <strong>le</strong>stées deses 45 tours. Ironsides est l’und’eux. Une division el<strong>le</strong> aussispécialisée dans un quartéska-rocksteady-reggae-dubtaillé par d’obscurs sans gradescomme par des généraux quatreétoi<strong>le</strong>s de la maison-mère, <strong>le</strong>sAlton Ellis, Johnny Osbourne,Dennis Alcapone ou <strong>le</strong> capitalDon Drummond. Mêmes voixincroyab<strong>le</strong>s, même musiciensessentiels, même production, quelDJ s’est laissé duper par ce fauxnez ? F.C.ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecres dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeAtahualpa Yupanqui“Buenas NochesCompatriotas...”(Acqua/Frémeaux)fffffAu crépuscu<strong>le</strong> de sa carrière,Atahualpa Yupanqui n’avait rienperdu de son aptitude à bou<strong>le</strong>verser<strong>le</strong>s fou<strong>le</strong>s, bien au contraire. En cesoir de 1983, c’est une vie de luttes,d’exil (à Paris dans <strong>le</strong>s années 50)et de défense des sans-voix quirésonnait dans la station balnéairede Mar del Plata, au sud deBuenos Aires. Avec une émotiondépourvue du moindre pathos,muni de sa seu<strong>le</strong> guitare, <strong>le</strong> grandhomme conduit son concert avecune science du dosage subti<strong>le</strong> :instrumentaux qui sont autant detémoignages d’un jeu d’une finesseextrême ; passages parlés oùbril<strong>le</strong>nt l’évidence des poésies qu’ilincarne ; chansons empruntant àtoutes <strong>le</strong>s formes du répertoireargentin (milonga, coplas,zambas...), portées par un timbreimbibé d’une immense humanité.Bertrand BouardBajofondo“Presente”(SonyMusic)fggggNarcotango, Tango Ghetto, NuTango, Outro Aires… Les jeux demots ont fusé pour dénommerun tas de combos, traduisantl’effervescence qui agita la sphèree<strong>le</strong>ctro-tango suite au succèsplanétaire de Gotan Project. Ducôté de Buenos Aires, Bajofondofut l’un des premiers projets àcreuser ce sillon, un bon filon entermes de ventes, pas forcémentde création. Pour preuves, onzeans et trois disques plus tard, laformu<strong>le</strong> pompée au trio françaiset déjà passab<strong>le</strong>ment pompeusesemb<strong>le</strong> tota<strong>le</strong>ment à bout de souff<strong>le</strong>avec ce nouvel effort (<strong>le</strong> mot s’avèrejustifié pour celui qui doit l’écouterjusqu’au bout). Cette fois, <strong>le</strong> combode Gustavo Santaolalla ajoute unedose de rock comme (par hasard)l’avait fait avant lui Gotan Project. Etpourtant, rien n’y fait : <strong>le</strong>s Argentinsn’apparaissent ici que commede pâ<strong>le</strong>s copies des originaux,ne nous épargnant aucun clichédu genre (tant pour <strong>le</strong> tangoque pour l’e<strong>le</strong>ctro), là où <strong>le</strong>ssociétaires de Ya Basta avaient <strong>le</strong>bon goût de manier la chose avecun savoir-faire autrement plusélégant. Jacques DenisForró de Rebeca“Na roda”(Athos Productions & Casamarela)ffffgCréé il y a cinq ans à Lyon, <strong>le</strong> trioForró de Rebeca fête cette année lasortie de Na roda, un second albumfortement inspiré des traditionsmusica<strong>le</strong>s du Nordeste brésilien.Nourris de <strong>le</strong>urs nombreux voyageset des rencontres faites en chemin,ces trois amoureux des fêtespopulaires comptent bien fairedanser petits et grands au sonde la viola et de l’accordéon, etau rythme du forró. Des morceauxcomme Dance Come La, Cupimou Dans la ronde, qui dénotede l’ensemb<strong>le</strong> par son sty<strong>le</strong> plusfrançais, embarquent l’auditeur avecune énergie festive communicative.Parmi <strong>le</strong>s surprises, la collaborationavec Sir Jean du Peup<strong>le</strong> de l’Herbequi chahute <strong>le</strong>s accords avec unflow éraillé sur Da Janela. Un disqueinégal mais prometteur. N.A.ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecn°56 Mars/Avril 2013


Amériques57fffggLes frères Michot“Dedans <strong>le</strong> Sud de la Louisiane”(Frémeaux & Associés)À l’écoute de ce recueil dont <strong>le</strong> titre est un classique two-step signé A<strong>le</strong>x Broussard, on ne peutmanquer de songer au film du même nom réalisé en 1972 par Jean-Pierre Bruneau. On y découvraittout un <strong>monde</strong>, un état d’esprit, des musiques alambiquées et des chansons profondément enracinées.« Le pays cajun, c’est soit <strong>le</strong> bayou, soit la prairie. En tout cas, c’est pas qu’une histoire de sang. C’estsurtout une histoire de traditions ! », disait alors un fermier. La « vie d’antan », sa vivacité, tel<strong>le</strong> estla force de cette col<strong>le</strong>ction de chansons interprétées en famil<strong>le</strong> (comme la plupart du temps enla matière) : <strong>le</strong>s deux frangins Rick (violon et voix) et Tommy (accordéon, voix et harmonica, avec <strong>le</strong>rejeton Patrick à la guitare). Une histoire ancrée dans <strong>le</strong> quotidien, une pratique joyeuse en amateurséclairés plus qu’en sombres besogneux, un savoir-faire danser et « laisser <strong>le</strong> bon temps roulé » transmisde génération en génération, qui font toute la richesse de ce matériau, cousin pas si lointain des us etcoutumes du Nordeste brésilien. J.D.ASIELee Jae-Hwa“L’Art du sanjode geomungo ”(Inédit Maisons des culturesdu <strong>monde</strong>)res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeLongtemps absente des cartographies sonores, l’excentréeCorée semb<strong>le</strong> se repositionner dans <strong>le</strong> grand concert mondial.Dans la pop et dans <strong>le</strong> jazz, dans <strong>le</strong>s musiques é<strong>le</strong>ctroniquesmais aussi dans <strong>le</strong>s musiques traditionnel<strong>le</strong>s. En ce dernierdomaine, <strong>le</strong> pays regorge de matières premières en majeure partie extraites des religionspratiquées, avec un instrumentarium original reposant sur de nombreuses percussions etcithares. Parmi ces dernières, <strong>le</strong> geomungo fait figure d’emblème quasi-national et offreune large pa<strong>le</strong>tte de propositions. Pour preuve, ce disque où la virtuose Lee Jae-Hwa (forméeauprès du maître Baek Nak-Jun) s’adonne aux plaisirs solitaires du sanjo, suite musica<strong>le</strong>qui fait la synthèse de différentes traditions, puisant autant du côté de l’opéra que desmusiques shamaniques. Comme un voyage tout à la fois statique et analytique dans l’âmecoréenne, au plus profond, à l’image des vibrations que produisent ces cordes, tantôt douces,tantôt plus rudes, toujours éminemment subti<strong>le</strong>s. Ici, chaque note est soupesée, chaquetrait finement élaboré. Une ode à la <strong>le</strong>nteur, remède tout indiqué pour ceux qui ont subiune overdose de Gangnam sty<strong>le</strong>.Jacques Denisn°56 Mars/Avril 2013


58 EUROPEMoussu T“Artémis”(Manivette Records/Le Chant du Monde/Harmonia Mundi)res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeA chaque nouvel<strong>le</strong> livraison du Ciotaden Moussu T, on sefamiliarise un peu plus avec <strong>le</strong> blues heureux, méditerranéen,de ce bon-vivant, chanté, fredonné en provençal eten français. Entre b<strong>le</strong>u du ciel, b<strong>le</strong>u de la mer et b<strong>le</strong>u deChine, Moussu T nous conte depuis sa vil<strong>le</strong> en bord de merde familières tranches de vies. Se posant deux minutes Sursa Serviette ou se laissant taquiner par un coup de Mistralqu’il aimerait bien voir s’arrêter, Moussu T peut écrire sur tout. Histoires du quotidien,du moment qu’il passe devant son horizon, ses chansons par<strong>le</strong>nt de ces petits riens, deces regards posés sur <strong>le</strong> <strong>monde</strong>, de ces aventures au long cours qu’il s’invente, de cessourires d’enfants qu’il imprime sur la pochette. Hommage rendu à Artémis, la déesse,chasseresse et maternel<strong>le</strong> à la fois, emportée par <strong>le</strong>s Phocéens dans <strong>le</strong>ur périp<strong>le</strong> fondateur;cet album est celui d’un bienheureux Affamé de Caresses qui sait la sensuel<strong>le</strong>cha<strong>le</strong>ur et la douceur de son foyer (Artémis).Pour autant, il ne craint jamais de garder <strong>le</strong>s portes grandes ouvertes sur <strong>le</strong> <strong>monde</strong>(Occitanie sur Mer), d’accueillir ses frères venus d’ail<strong>le</strong>urs. Cet album est aussi celuid’un b<strong>le</strong>u à qui on ne la fait pas, d’un homme qui peut voir rouge ou noir et hisser <strong>le</strong>drapeau de la révolte (Mon Drapeau Rouge). Toujours porté par <strong>le</strong> son du banjo de soncollègue Blù et <strong>le</strong>s percussions de Jamilson, Denis et Deli K, <strong>le</strong>s chansons de Moussuaccueil<strong>le</strong>nt aussi <strong>le</strong>s voix de ces proches, de sa famil<strong>le</strong>, la guimbarde de Daniel Loddo(La Talvera) et la basse de Stéphane Murmann. Constructions musica<strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s, accessib<strong>le</strong>s,el<strong>le</strong>s portent au loin <strong>le</strong>s mots du chanteur : « Dans <strong>le</strong>s calades, dans <strong>le</strong>s rues,<strong>le</strong> long des quais, devant <strong>le</strong>s bars, el<strong>le</strong> cou<strong>le</strong> comme une rivière toujours vers la mer »,chante-t-il sur Monte vas Cançoneta ?, la dernière chanson de cet album.SquaalyfffggECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecFiona Montbet“O’Ceòl”(Just Looking/Harmonia Mundi)Forte d’une solide formation classique, cette jeune violoniste s’est vite intéressée à d’autres formesmusica<strong>le</strong>s. Un stage animé par Didier Lockwood lui ouvre en grand <strong>le</strong>s portes du jazz, d’autant plusque, séduit par ces capacités d’improvisatrices, Lockwood la prend sous son ai<strong>le</strong>. Par la suite, el<strong>le</strong>est amenée à partager la scène avec de nombreux musiciens jazz et se spécialise dans son versantmanouche au contact de Tony Gatlif. Pour son premier album solo, Fiona Montbet a souhaité mettrel’accent sur ses origines irlandaises. Improvisant autour de thèmes traditionnels ou composantdans cette veine, el<strong>le</strong> utilise avec goût chaque parcel<strong>le</strong> de ce qu’el<strong>le</strong> sait de la musique. Passant deballades aux cordes majestueuses à des morceaux au swing implacab<strong>le</strong>, la virtuose se révè<strong>le</strong> habi<strong>le</strong>compositrice. B.M.n°56 Mars/Avril 2013


6 eme continent59Bombino“Nomad”(Nonesuch/ East West)ffffgCanzoniere Grecanico Sa<strong>le</strong>ntino“Pizzica Indiavolata”(Ponderosa Music & Art)Dans la lignée de <strong>le</strong>ur précédent album Focu d’Amore, <strong>le</strong> groupeCanzoniere Grecanico Sa<strong>le</strong>ntino, emmené par Mauro Durante,propose un voyage au cœur du Sa<strong>le</strong>nto italien avec unconcentré musical qui conjure <strong>le</strong> mauvais sort. Au son duviolon et du tamburello, la pizzica déchaîne ces fameuxrythmes endiablés qui provoquent une irrésistib<strong>le</strong> envie dedanser à l’image du morceau éponyme, Pizzica Indiavolata. Maiscette fois, la lisière entre tradition et modernité s’amenuise avecdes collaborations origina<strong>le</strong>s : <strong>le</strong> Malien Ballaké Sissoko s’amuseà gratter <strong>le</strong>s cordes de sa kora en cadence, délivrant une sourcelimpide au creux de la tourmente. Quant à Piers Faccini, il nousoffre une ode à l’expressivité avec La Voce Toa, une piècedécalée et tendre qui élève vers un ciel apaisé. N.A.Slonovsky BalECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecffffg“Zivi Bili”(Bal Bazar Production/L’Autre Distribution)Intitulé Zivi Bili (« Longue vie à tous » en serbo-croate),ce septième album du « Bal des Eléphants » (SlonovskiBal) provoque d’étonnantes rencontres. Le combo qui réunitmusiciens serbes, macédoniens et français croise ainsi au fil desplages la voix de Dan Gharibian (Bratsch) et de sa fil<strong>le</strong> Macha, <strong>le</strong>souff<strong>le</strong> de Savas Zurnaci, l’un des plus grands clarinettistes turcs,ou la frappe délicate et agi<strong>le</strong> du virtuose moldave du cymbalum,Lurie Morar. Dernière rencontre, peut-être la plus improbab<strong>le</strong> :la pianiste et chanteuse Adrienne Winling livre un étonnant fadoà la sauce roumaine (Gaïvota), soulignant de fait l’universalitédes sentiments humains au premier rang desquels figure lamélancolie. SQ’res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeDepuis que <strong>le</strong> réalisateur américain RonWyman est tombé en pamoison à l’écouted’une cassette de Bombino lors d’unséjour à Agadez en 2008, la carrière duguitar hero nigérien ne cesse de faire desbonds en avant. En 2009, Wyman retrouveOmara Moctar, de son vrai nom, au Burkina Faso et <strong>le</strong> prend sous sonai<strong>le</strong>. Aux bénéfices d’une résidence aux Etats-Unis, Bombino croise <strong>le</strong>scordes avec <strong>le</strong>s Rolling Stones sans trop savoir à qui il a affaire. Par lasuite, <strong>le</strong> réalisateur <strong>le</strong> met au centre d’un documentaire sur <strong>le</strong>s Touareget produit l’album Agadez, qui bénéficie d’une distribution internationa<strong>le</strong>.Le disque séduit <strong>le</strong>s médias, dont <strong>le</strong> site Pitchfork qui fait la pluie et<strong>le</strong> beau temps sur la planète rock.Le parcours de Bombino est encore monté d´un cran lorsque sa musiqueest tombée entre <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s de Dan Auerbach, guitariste des BlackKeys, récemment promu meil<strong>le</strong>ur producteur de l’année aux GrammyAwards. Nomad est <strong>le</strong> résultat de <strong>le</strong>ur rencontre peaufinée à Nashvil<strong>le</strong>au studio Easy Eye Sound, outil de travail de l’Américain. Le son signaturedes Black Keys est ici moins dominant que sur <strong>le</strong>s récents albumsdu Louisianais Dr. John ou du Pa<strong>le</strong>stino-philippin Hanni el Khatib. SurNomad, l’âme majestueuse du désert saharien se découvre une bel<strong>le</strong>complicité avec l’esprit du Tennessee et l’on entend presque <strong>le</strong> pas deschameaux touareg s’accorder au rythme des chariots des cowboys ouaux galops des chevaux sauvages des Indiens Chicachas. Bombinoest venu avec ses mélodies habi<strong>le</strong>s, ses riffs implacab<strong>le</strong>s et ses musiciensfidè<strong>le</strong>s ; Auerbach a élargi la profondeur de champ du son pourmieux <strong>le</strong> laisser respirer. Il en exalte <strong>le</strong>s parfums naturels en glissantici ou là un orgue discret, une batterie respectueuse sur Her Tenere ouune pedal steel bienvenue sur l’addictif Tamiditine final. On ne sait siBombino pourra dépasser <strong>le</strong> niveau de qualité atteint ici, car de bouten bout Nomad tape juste et fort. Grisant ! B.M.© Jim McGuireECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avec


60res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimefffffffffgffffgDonso“Denfila”(Comet Records/L’Autre Distribution)Denfila est un deuxième album. En2010, son prédécesseur, l’éponymeDonso sous la hou<strong>le</strong>tte duproducteur parisien Pierre AntoineGrison (aka KrazyBaldhead) et deson voisin de palier, joueur de ngoni,Thomas Guillaume, proposait, à desmilliers de kilomètres du Mali, unson original empreint de musiquesacoustiques et é<strong>le</strong>ctroniques.Passé sur scène, <strong>le</strong> projet avaitdonné naissance à un véritab<strong>le</strong>groupe, que l’on retrouveaujourd’hui au cœur de ce nouve<strong>le</strong>nregistrement réalisé à Pariset Bamako avant que la vil<strong>le</strong> nes’interdise de respirer. Ici, au fil dela quinzaine de plages proposées,aucun collage ostentatoire et surtoutaucun beat tonitruant. C’est plutôtpar une <strong>le</strong>cture intuitive et trèsactuel<strong>le</strong> des préceptes musicauxmandingues que Denfila séduit. SQ’World Kora Trio“Korazon”(Passé Minuit/L’autre Distribution)Au mois d’aout 2010, à l’invitationdu festival Rochefort-en-Accords,Eric Longsworth, violoncellisteaméricain installé en France, etChérif Soumano, koriste malien,ont échangé <strong>le</strong>urs premièresnotes de musique à l’occasiond’un concert qui devait êtreunique. Les sons de ces deuxinstruments à cordes, frottéesou pincées, se sont accordés àmerveil<strong>le</strong>. L’envie de prolongerl’aventure s’est installée, d’autantque <strong>le</strong> duo a été rejoint par <strong>le</strong>percussionniste et chanteurmarseillais Jean-Luc Di Fraya. Cethabitué des rencontres musica<strong>le</strong>sest venu conforter l’échangeentre <strong>le</strong>s deux musiciens, l’ancrerdans la durée, lui donner uneprofondeur nouvel<strong>le</strong>. Subtil etinventif, ce Korazon est uneaffaire de cœur ! SQ’Oum“Soul of Morocco”(Lof Music/MDC/Harmonia Mundi)Chanteuse, auteure et compositrice,Oum a publié par <strong>le</strong> passé deuxalbums (Lik’Oum en 2009 etSweerty en 2012) au Maroc,son pays. Très populaire, lachanteuse aux textes en darija,un dia<strong>le</strong>cte marocain, revient avecSoul of Morocco, un premieralbum diffusé de ce coté-ci dela Grande B<strong>le</strong>ue. Enregistrées àParis à l’automne dernier avec lacomplicité de musiciens d’ici (<strong>le</strong>saxophoniste Alain Debiossat, deSixun, <strong>le</strong> percussionniste PatrickGoraguer…) et deux musiciensmarocains (<strong>le</strong> oudiste Yacir Ramiet <strong>le</strong> derboukiste Adil Mirghani),ces neuf plages témoignent deson désir d’ouverture. Plus jazzyque ses productions antérieures,ce nouvel album positionne lachanteuse à la voix de miel dansun registre variété internationa<strong>le</strong>.SQ’ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecres dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimefffffres dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>Bachar Mar-Khalifé“Who’s Gonna Get The BallFrom Behind The Wall OfGarden Today ?”(In Finé)E<strong>le</strong>ctro ou classique ? Piano oupercussions ? Chanson douce ouinstrumentaux fracassés ? Moyen-Orient ou Occident ? Rétro-futuristeou post-moderne ? Bachar Mar-Khalifé a décidé de ne pas choisir,histoire de faire trébucher <strong>le</strong>s a prioriqui engoncent la création et castrentla curiosité. On peut être ceci,cela, et même autre chose. Voireencore plus. Tel<strong>le</strong> est la naturedu fils de l’illustre Marcel Khalifé,qui réinvestit la tradition en lafiltrant au tamis de ses idées,percussives et poétiques. Voilàpourquoi il fait du folklore koweitienYanas un pénétrant hymne à laliberté, voire une potentiel<strong>le</strong> bombepour <strong>le</strong> dancefloor. Voilà pourquoi ilpeut tout aussi bien reconfigurer <strong>le</strong>sMachins Choses de Gainsbourg,sujet d’un dialogue sensuel avec ladouce Kid A, ou faire muter <strong>le</strong> MirrorMoon, fondé sur une chanson deson père, pour l’envoyer non loindes terres de la minimal techno.Toutes ses pistes sont autant deréf<strong>le</strong>xions sur la comp<strong>le</strong>xité du<strong>monde</strong> 2.0, transgenre par essence,irréductib<strong>le</strong> aux balises normatives.J.D.Manuel Hermiafffff“Le murmure de l’Orient”(Cristal records/Harmonia Mundi)Conçu comme un véritab<strong>le</strong>voyage spirituel, Le Murmurede l’Orient suit une flûte bansuriqui chuchote ses mélodiesaux quatre coins du continent.Cette flûte, c’est cel<strong>le</strong> de ManuelHermia, saxophoniste de jazz quia découvert en Inde la sérénitéd’un instrument qui ne l’a plusquitté. En duo avec des virtuosescomme <strong>le</strong> Marocain Majid Bekkas,aux oud et guembri, ou l’IndienPurbayan Chatterjee au sitar, iltraverse <strong>le</strong>s frontières, fidè<strong>le</strong> à saquête d’essentiel, et nous laissesuspendus, intimement à l’écoute.Le livret qui accompagne <strong>le</strong> CD nefait que conforter cette volonté detransporter l’auditeur dans un étatméditatif : <strong>le</strong>s photos mais surtout<strong>le</strong>s textes de l’auteur servent desupport philosophique pour mieuxsaisir l’intention musica<strong>le</strong> de cevoyage intérieur. Profondémentressourçant. N.A.ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecMONDOMIXm'aimeEgyptian Project“Ya Amar”(Six Degrees)ffffgVoix inspirées du delta du Nil,soli de rebaba, cha<strong>le</strong>ur desrythmes sur peaux tendues,beats délicats, voici quelquesunsdes ingrédients de ce projetégyptien imaginé par JérômeEttinger. Passionné de musiquestraditionnel<strong>le</strong>s du <strong>monde</strong>, demusiques é<strong>le</strong>ctroniques et joueurd’arghûl, une doub<strong>le</strong> clarinetteen bambou dont <strong>le</strong>s sonoritésépicées parfumaient déjà <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>sdes pharaons, ce Nantais s’estimmergé avec passion et patienceau cœur des musiques égyptiennesd’inspiration soufie. Il s’en est faitson miel et <strong>le</strong>s a croisées avecl’appui d’un petit ensemb<strong>le</strong> orienta<strong>le</strong>t de quelques amis musiciensinvités. Son <strong>le</strong>itmotiv : col<strong>le</strong>r au plusprès de l’esprit de ces musiques.Un parti-pris scrupu<strong>le</strong>ux qui confèrerigueur et distinction à son projet.SQ’ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecn°56 Mars/Avril 2013


6 eme continent61res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>fffggMONDOMIXm'aimefffffMONDOMIXm'aimefffffMAHALA RAI BANDA“REMIXED BY”(Asphalt Tango Records)Furia de cuivres en cojoc surrythmique skank à la caisse quiclaque, tel<strong>le</strong> était la recette deBalkan Reggae, improbab<strong>le</strong>fusion Bucarest-Kingston que <strong>le</strong>sRoumains de Mahala Rai Bandaenregistrèrent en 2009 sur <strong>le</strong>uralbum Ghetto Blasters. Pour <strong>le</strong>scinquante ans de l’indépendancede la Jamaïque, MRB eu l’idéed’en faire faire une version saucejerk par quelques trifouil<strong>le</strong>urs demix (Mad Professor, Vibronics,Ky<strong>le</strong> Sicarius…). Chacun desconvoqués y va de sa remise enson du morceau, ajoutant desvoix, transfigurant <strong>le</strong>s accordéons,gommant <strong>le</strong>s trompettes, chargeant<strong>le</strong> mix de basses souterrainesou faisant p<strong>le</strong>uvoir effets eté<strong>le</strong>ctronique. Un seul titre déclinéneuf fois, l’exercice est inégal ettourne un peu vite en rond. Maisreste ludique. F.C.BODDHI SATVA“INVOCATION”(Be)fffggMasculines ou féminines, <strong>le</strong>Centrafricain Boddhi Satva a conviédes connaissances du <strong>monde</strong> entierà venir lui prêter voix fortes sur sonpremier album. Lui s’occupe de lamise en musique, enjolivant sa lignedirectrice deep house d’élémentsramenés de ses voyages commeautant de souvenirs musicaux.Les balafons coopèrent avec <strong>le</strong>sinfrabasses, <strong>le</strong>s flûtes méditativesavec <strong>le</strong>s claviers synthétiques ; lasoul de Freddy Massamba et <strong>le</strong> Malid’Oumou Sangaré s’invitent surdes titres jamais vraiment libérésdes grooves à visée hypnoticodancefloor.Le concept un titre/un copain diversifie <strong>le</strong>s ambianceset empêche intelligemment <strong>le</strong>glissement vers une monotonied’un album dominé par <strong>le</strong>s grossescaisses amorties et <strong>le</strong>s atmosphèresouatées. F.C.Ibrahim Maalouf“Dia”(Mister Prod)En seu<strong>le</strong>ment cinq ans, IbrahimMaalouf est passé du statutd’accompagnateur recherché àcelui de trompettiste, compositeuret arrangeur majeur de notreépoque. La réédition en un coffretde ses trois premiers albums permetde réaliser <strong>le</strong> chemin parcouru.Ce triptyque discographiquemet en perspective l’étenduede son savoir faire et la richessede son inspiration, tout autantqu’il démontre une intelligenceaigue et une intuition lumineuse.Diaspora (2007) lui sert de carted’identité, cel<strong>le</strong> d’un trompettisted’origine libanaise surdoué,héritier d’un instrument et d’unetechnique mis au point par sonpère pour répondre aux exigencesdes gammes orienta<strong>le</strong>s. Déjàapparaissent sa facilité à embrasser<strong>le</strong>s esthétiques musica<strong>le</strong>s quitraversent son époque touten affirmant ses origines et sapersonnalité. Avec Diachronism(2009), il va encore plus loin et sepermet d’élargir <strong>le</strong>s hypothèses.Avec lui, <strong>le</strong> jazz se réconcilie avec<strong>le</strong> rock, <strong>le</strong>s musiques classiques eté<strong>le</strong>ctroniques font équipe et l’Orients´harmonise avec l’Occident. En2011, Diagnostic tire un premierbilan, rend hommage aux êtres quilui sont chers (chaque morceauest dédicacé) et trouve uneformu<strong>le</strong> magique pour tout oser :<strong>le</strong> rock dur cohabite avec un pianoromantique, Michael Jackson et<strong>le</strong>s traditions chinoises, yiddish outziganes font bon ménage et <strong>le</strong>flow ciselé d’Oxmo Puccino glissesensuel<strong>le</strong>ment sur des accentsorientaux. On retourne l’objetdans tous <strong>le</strong>s sens sans en voir <strong>le</strong>scoutures et on applaudit ce disque<strong>monde</strong>. Au bout du compte, cestrois albums forment un toutcohérent, riche et généreux,qui s’adresse à tout amateurde musique sans oeillères. PourIbrahim Maalouf, une premièreépoque s’achève, mais l’on sentbien qu’il ne va pas s’arrêter là.Dans son disque suivant, Wind,ici absent, il prouve au <strong>monde</strong> dujazz qu’il peut aussi rester dans <strong>le</strong>scanons orthodoxes tout en usantd’élégance. Mais sûrement est-ildéjà ail<strong>le</strong>urs à inventer notre futur.B.M.Kabatronics“Fanfare Tirana meetsTransglobal Underground”(World Village/Harmonia Mundi)La rencontre des Albanaisde la Fanfara Tirana et desmusiciens anglais de TransglobalUnderground est née d’uneenvie de remix. Les premiers,passés du répertoire martial desorchestres militaires à celui plusdéluré des fanfares de vil<strong>le</strong>s etvillages, cherchaient à actualiser <strong>le</strong>urson. Appelés à la rescousse, <strong>le</strong>surgentistes du beat mondial se sontpris au jeu. Deux ans durant, ils ontcreusé <strong>le</strong> sillon de ces répertoirespopulaires, décortiquant <strong>le</strong>s rythmeset analysant <strong>le</strong>s textures pour mieuxen nourrir <strong>le</strong>urs riddims.Un travail en profondeur qui évite<strong>le</strong>s effets tape-à-l’œil et soigne uneapproche musica<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> respectdes traditions approchées. On yentend même <strong>le</strong> son des dholscher aux héros de TGU. Inspiré etheureux. SQ’res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeMarc Minelli, PaulSidibé & Damien Trani“E<strong>le</strong>ctro Bamako”(E<strong>le</strong>ctro Bamako/Rue Stendhal)fffffLe casting de ce troisième E<strong>le</strong>ctroBamako renouvel<strong>le</strong> la formu<strong>le</strong>initiée en 2002 avec succès par <strong>le</strong>guitariste et songwriter Marc Minelli.Toujours au centre du dispositif,celui qui officie aussi en maître dubeat a renouvelé son effectif. Rejointpar <strong>le</strong> virtuose du kame<strong>le</strong> n’goniPaul Sidibé et <strong>le</strong> joueur de djembéDamien Traini, il a enregistré cetalbum à New York, rendant aupassage hommage aux pionniersde l’afropop, Talking Heads, via lareprise de The Great Curve. Cettedizaine de plages est à consommerd’un trait, sans prendre derespiration. A la façon d’un powertrio des années 70, ce dévastateurcombo donne tout son sens aumot fusion, laissant aux voix et auxinstruments à cordes toute la placequ’ils méritent. SQ’ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecn°56 Mars/Avril 2013


Publi-rédactionnel62 6 eme continentLe coup de cœur de laFnac Forum...La Fnac Forum et <strong>Mondomix</strong> aiment...Paco IbanezCanta a los poetaslatinoamericanos(Aflor de tiempo/distrijazz)Kouyate BassekouJama Ko(Out Her Rec/Harmonia mundi)THE BANYANS“STEPPIN’ FORWARD”(Socadisc)ffffgPour se faire entendre du grandpublic, la musique jamaïcaine doitsouvent enfi<strong>le</strong>r la tenue correcteexigée : du so<strong>le</strong>il, de la plage, uneambiance rigolote. Soit l’exactopposé du chemin poussiéreuxemprunté par <strong>le</strong>s Toulousains. Laroute jusqu’à ce premier albumaura été longue, mais <strong>le</strong> reggaeroots et ses figures tutélaires ontguidé <strong>le</strong>urs pas. Un son dense etprofond joué à l’organique, sansdigital ni artifices, qui porte en lui lacha<strong>le</strong>ur des sessions où <strong>le</strong> riddims’adresse aux tréfonds de l’âme,où <strong>le</strong>s vibrations d’orgue sontpalpab<strong>le</strong>s. Un son capab<strong>le</strong> de fairedanser malgré la colère sourde qu’ilporte en lui. Un reggae sombre,conforme à un cahier des chargesconnu et éprouvé mais qui tapedans <strong>le</strong> mil<strong>le</strong> quand il est respecté.F.C.Art Melody“Wogdog Blues”(Tentacu<strong>le</strong> Records/Akwaaba Music)res dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimefffffA l’écoute de Wogdog Blues,troisième album du Burkinabé ArtMelody, on est à nouveau frappépar <strong>le</strong>s exigeantes constructionsrythmiques et la modernitédu son de ce rappeur basé àWogdog (Ouagadougou en moré)et de son beatmaker, <strong>le</strong> BordelaisRedrum. Bien qu’élaborées àdistance, par envois successifs,el<strong>le</strong>s s’accordent à merveil<strong>le</strong> auflow précis et tranchant du rappeur.Scandés d’une voix puissanteen moré, dioula et français, <strong>le</strong>spropos dénonciateurs de celui quidut arrêter tôt ses études, fauted’argent, font mouche. Il y estquestion du Burkina-Faso, de sesinjustices socia<strong>le</strong>s et économiques.High Priest d’AntiPop Consortium,Dirty Wait des Fishbone etquelques collègues du microémargent en bas de la liste desinvités. SQ’ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecLionsThis Generation(Stones Throw/Differ Ant)BombinoNomad(Nonesuch/warner)ffffgres dans <strong>le</strong> <strong>monde</strong>MONDOMIXm'aimeACKBOOfffffRokia TraoréBeautiful Africa(Nonesuch/warner)Warsaw Village BandNord(Jaro)Bachar Mar-KhaliféWho’s Gonna Get The BallFrom Behind The WallOf Garden Today ?”(In Finé)Moussu TArtémis(Manivette Records/Le Chant du Monde/Harmonia Mundi)“TURN UP THE AMPLIFIER”(Hammerbass Records)C’est par l’odeur du dub alléchéequ’une cohorte reggae-raggamenée par quelques pè<strong>le</strong>rins dumilieu (Omar Perry, <strong>le</strong>s cuivreuxMatic Horns) se rendit au studiodu français Ackboo. Se frayant unchemin à travers une luxurianced’effets é<strong>le</strong>ctro, franchissant <strong>le</strong>sherses de vibrations sonoresgénérées par la bass drumtabassante et <strong>le</strong>s infrabasses,bravant <strong>le</strong> glacé du digital, chacuny trouva instru à son micro. Versiontrippante ou muscu<strong>le</strong>use quiagite <strong>le</strong>s fou<strong>le</strong>s et fait suer <strong>le</strong>scorps, version pour émeutierou pour pacificateur amorphe,Ackboo en avait pour tous. Desbaisses de tension étaient patentes,la faute à des adhérents d’horizonsdisparates, mais Ackboo pouvaittenir seul la barre avec ses titressans voix auto-suffisants. F.C.ECOUTEZ sur <strong>Mondomix</strong>.com avecMohamed Abozekry& HeeJaz“Chaos”(Neo Novo)Si jeune mais déjà si attendu…Voilà déjà près de cinq ans que larumeur enf<strong>le</strong> autour de MohamedAbozekry, jeune prodige du oudformé en Egypte par l’IrakienNaseer Shamma. A 15 ans, il estdevenu <strong>le</strong> plus jeune enseignant dela « Beit El Oud », la très réputéeMaison du Luth, au Caire. A 17ans, il a décroché <strong>le</strong> premier prixdu concours international deDamas. A peine majeur, il s’estinstallé à Lyon, où il a fondé, avec <strong>le</strong>guitariste Guillaume Hogan, HeeJaz,un quartet ouvert aux vents del’improvisation. Chaos, <strong>le</strong>ur premieralbum, évite toutes <strong>le</strong>s chaussetrappesqui <strong>le</strong>s guettaient. Ni fusionincontrôlée, ni enfermement dansdes codes dépassés, ni vainedémonstration de virtuosité, ilrévè<strong>le</strong> sur ses huit longues plagesaux atmosphères contrastées unsens de la cou<strong>le</strong>ur et une sciencede la construction rarissimes.A 22 ans, Mohamed Abozekryconfirme qu’il est déjà un maître !François Maugern°56 Mars/Avril 2013


Se<strong>le</strong>ction / Col<strong>le</strong>ction 63Mais Um DiscosL’autre BrésilTexte : Yannis RuelDavantage qu’un label de musique brésilienne de plus,Mais Um Discos est devenu en trois ans <strong>le</strong> premierambassadeur des nouveaux sons du Brésil, Lucas Santtanaen tête. Joint depuis <strong>le</strong> carnaval de Recife, son fondateurLewis Robinson revient sur <strong>le</strong> succès de cette aventure.« Recherche perruque pour <strong>le</strong> torse »,peut-on lire sur <strong>le</strong> profil de son compteSkype. En p<strong>le</strong>in carnaval, Lewis Robinsonredoub<strong>le</strong> d’imagination pour se fondredans la fou<strong>le</strong> des rues de Recife, où il aofficiel<strong>le</strong>ment débarqué en voyage professionnelpour participer au salon PortoMusical, cette déclinaison brésilienne duWomex organisée une semaine avant <strong>le</strong>début des festivités. Sans comp<strong>le</strong>xe nisans humour, <strong>le</strong> producteur londonien,aussi connu sous son alias de DJ Mais UmGringo (« Un Gringo de plus »), s’amusedes clichés réciproques entre <strong>le</strong> Brésil et<strong>le</strong>s pays du nord. On doit pourtant à sonlabel Mais Um Discos l’édition d’une radiographieinédite de la création musica<strong>le</strong>du géant sud-américain.Ec<strong>le</strong>ctisme radical« J’ai commencé par travail<strong>le</strong>r pour Far OutRecordings, qui est spécialisé dans la musiquebrésilienne mais axé principa<strong>le</strong>mentsur des sonorités jazz et soul-funk, expliqueRobinson. A la fin de mon contrat, jeme suis rendu compte qu’il était impossib<strong>le</strong>de trouver chez un disquaire londonienune compilation qui reflète la diversité dela scène actuel<strong>le</strong> du Brésil. J’ai alors eu lachance de pouvoir parcourir <strong>le</strong> pays pendantplusieurs mois afin de récolter <strong>le</strong> plusde musique possib<strong>le</strong> sur l’ensemb<strong>le</strong> duterritoire ». Plutôt que de se limiter à Rio,Sao Paulo ou Salvador, la compilation Oi !A Nova Musica Brasi<strong>le</strong>ira ! sortie en 2010invite en effet à découvrir des projets deBelém, Macapá ou Porto A<strong>le</strong>gre. Loin dese réduire aux rythmes de la samba et dela bossa nova, <strong>le</strong> disque par<strong>le</strong> « Tropicalia,Manguebeat, Tecnobrega, Carimbó,Guitarrada, Punk Forró, Trip Hop, MusicaRegional… », pour ne citer que quelquesuns des sty<strong>le</strong>s déclinés sur ses deux CD.Si beaucoup des noms retenus sont inconnusdu grand public brésilien, d’autres fontfigure d’artistes chevronnés dont la réputationn’a pas encore franchi <strong>le</strong>s frontières dupays. C’est <strong>le</strong> cas de Lucas Santtana, que<strong>le</strong>s deux albums publiés par Mais Um Discosont consacré révélation d’une nouvel<strong>le</strong>génération tropicaliste.A l’image de sa première compilation, la lignedéfendue par <strong>le</strong> label mise sur un éc<strong>le</strong>ctismeradical, pour autant que ces projets« conservent une identité brésilienne en« Mes projets conserventune identité brésilienneet contemporaine, en phaseavec <strong>le</strong> reste du <strong>monde</strong> »même temps que contemporaine, en phaseavec <strong>le</strong> reste du <strong>monde</strong> ». En témoigneun catalogue encore en friche - il n’a quetrois ans - mais où se côtoient déjà <strong>le</strong>s vétéransdu rock Arnaldo Antunes et EdgardSandurra, en escapade malienne auprèsde Toumani Diabaté sur <strong>le</strong> projet A Curvada Cintura, l’égérie tecnobrega Gaby Amarantos,<strong>le</strong> retour du pionnier de l’é<strong>le</strong>ctro DJDolores aka STANK pour l’occasion, et ladécouverte du jeune combo pop-rock Graveola,originaire de Belo Horizonte. 2013devrait nous réserver son lot de nouveauxplaisirs, avec <strong>le</strong>s sorties du dernier Siba etd’une compilation de hip hop par RodrigoBrandão du Mamelo Sound Sytem.n www.maisumdiscos.comn°56 Mars/Avril 2013


MONDOMIX AIME !Les meil<strong>le</strong>ures raisons d’al<strong>le</strong>r écouter l’air du tempssé<strong>le</strong>ctions / Dehors65De sal<strong>le</strong>s en sal<strong>le</strong>sLe printemps arrive, doucement mais sûrement. Comme toujours, <strong>le</strong> retour des beaux jours a sapropre bande son et pour la partager, rien de tel que de se retrouver dans <strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s pour applaudir<strong>le</strong>s artistes qui la créent. Compilé par la rédactionRokia Traoré© Franck SochaLe 5 avril, la Méson à Marseil<strong>le</strong> ouvre ses portesà notre rédacteur en chef Benjamin MiNi-MUM qui présente une création avec <strong>le</strong>s deuxsœurs jumel<strong>le</strong>s Maryse, <strong>le</strong>ur harpe, <strong>le</strong>ur violon,et ses collages sonores.A Strasbourg, l’Espace Culturel Django Reinhardtaccueil<strong>le</strong> Susana Baca, « l’ange noirde la chanson afro-péruvienne » <strong>le</strong> 14 mars, lachanteuse malienne Fatoumata Diawara <strong>le</strong> 21et <strong>le</strong> oudiste irakien basé en France Fawzy Al-Aiedy <strong>le</strong> 28. La salsa de Sonando réchauffe lavil<strong>le</strong> <strong>le</strong> 4 avril avant que Mory Djely Kouyaté etJean-Philippe Rykiel ne se produisent <strong>le</strong> 12.Place du Châte<strong>le</strong>t, à Paris, <strong>le</strong> Théâtre de laVil<strong>le</strong> accueil<strong>le</strong> pour la première fois <strong>le</strong> 16 mars<strong>le</strong> maloya saisissant de Christine Sa<strong>le</strong>m et célèbre<strong>le</strong>s 23 et 24 mars Norouz, la fête du printempsdes héritiers de l’empire perse avec desmusiciens et chanteurs tadjiks, iraniens et kurdes,des virtuoses kurdes de Turquie, d’Irak etd’Iran, des chants du Tadjikistan et des dansesdu Badakhshan et de la poésie persane. Le 13avril, on pourra y applaudir <strong>le</strong> duo iranien composéd’Homayoun Shadjarian au chant et deSohrab Pournazeri au kamantché. Le 22, <strong>le</strong>« TDV » reçoit <strong>le</strong> Festival de l’Imaginaire avecun programme dédié au muqam des Dolan deChine. Le Théâtre des Abbesses reçoit lui lavisite de la Syrienne Noma Omran <strong>le</strong> 8 avril etdes Lettoniens Saucéjas <strong>le</strong> 27.Au Plan à Ris-Orangis (91), la programmationest éc<strong>le</strong>ctique et nous propose <strong>le</strong> 21 mars unconcert de The Herbaliser, suivi <strong>le</strong> 22 d’unplateau reggae accueillant <strong>le</strong>s vétérans HoraceAndy & Johnny Clarke pour enfin accueillir <strong>le</strong>23 la très soul Alice Russell.Pour sa quatrième session, <strong>le</strong> Festival Trois 6Neuf ! accueil<strong>le</strong> Sam Karpienia et Gurvant LeGac <strong>le</strong> 21 mars au Théâtre de l’Atalante àparis, puis offre l’asi<strong>le</strong> du 22 au 24 au festivalParis Vienne.Toujours en région parisienne, La Batteriede Guyancourt (78) programme <strong>le</strong> 23 marsl’ancien <strong>le</strong>ader de Java R.Wan, puis RonaHartner accompagnée de DJ Tagada. Lereggae est aussi à l’honneur <strong>le</strong> 28 avec RodTaylor, Horace Andy et Johnny Clarke.Le Petit Bain, à Paris, reçoit <strong>le</strong> 22 mars <strong>le</strong>groupe de musique latine alternative Cal<strong>le</strong>Faccion qui présentera son nouvel albumChoque Termico avant de recevoir du 17 au19 avril l’excel<strong>le</strong>nte Rokia Traoré qui sort BeautifulAfrica. Le 24, c’est au tour de Khalifa(+ Nambo Robinson + Dar-K + Fakear) de seproduire et de présenter par la même occasionl’album (G)riot.13.Au Cap, la sal<strong>le</strong> d’Aulnay-sous-Bois (93),chants occitans et d’Italie résonnent <strong>le</strong> 5 avrilavec La Mal Coiffée et Assurd tandis que<strong>le</strong> Jim Murp<strong>le</strong> Memorial fera résonner sonrhythm’n’blues jamaïcain <strong>le</strong> 26.N’oublions pas la Saint Patrick ! Les 16 et 17mars, <strong>le</strong> Celtic Festival s’instal<strong>le</strong> au Zénith deParis, avec Tri Yann, Les Marins d’Iroise ouencore Les Bagad de Nantes et de Paris etplus de 130 artistes sur scène.Dès <strong>le</strong> 14 mars, <strong>le</strong>s Irlandais The Bonny Menjouent à Arques (62), puis <strong>le</strong> 15 au Mans avantde se produire à Lens <strong>le</strong> 16. L’accordéonisteirlandaise Sharon Shanon joue au festivalEurofonik à Nantes <strong>le</strong> 6 avril et <strong>le</strong> 7 au festivalChorus des Hauts de Seine.Dans un tout autre registre, Ibrahim Maaloufjoue à l’Olympia <strong>le</strong> 24 mars tandis que <strong>le</strong> groupede ska punk espagnol Ska-P sera au Zénithde Paris <strong>le</strong> 29.Djeli Moussa Condé se produit au New Morning<strong>le</strong> 6 avril avant plusieurs festivals d’avrilà juil<strong>le</strong>t. Les nouveaux maîtres de l’ambianceafricaine Black Bazar jouent eux <strong>le</strong> 19 avril auStudio de l’Ermitage à Paris.Jean <strong>le</strong>ader de TRI YANN© D.R.


66Les IrlandaysDu 16 au 24 marsLe FestinDu 19 au 23 marsFestival de l’ImaginaireDu 20 mars au 29 juinBabel Med Musicdu 21 au 23 MarsEssonneCréonParis et régionsMarseil<strong>le</strong>La Saint-Patrick, c’est par ici ! Avecdanseurs et musiciens brûlant d’énergie,<strong>le</strong> Craic Irish Dance fait sonner <strong>le</strong>s cornemuseset <strong>le</strong>s cordes du bouzouki pourcélébrer <strong>le</strong> patron des Irlandais. Dans cetévénement aux allures de pub géant, DanAr Braz ouvre entre rock et musique celte,Alan Stivell fête <strong>le</strong>s 5 ans de son premieralbum avec un spectac<strong>le</strong> « best of » et <strong>le</strong>duo entre l’accordéoniste Séamus Beg<strong>le</strong>yet <strong>le</strong> violoniste Oisin Mac Diarmada donneun showcase pétillant. A Athis-Mons et auxa<strong>le</strong>ntours, la Seine prend des airs de lacembrumé, dans un environnement propiceau réchauffement celtique.+ Le petit truc en plus :Du 19 mars au 6 avril, une expositionorganisée par l’Association irlandaisedes photographes de presse présente <strong>le</strong>smeil<strong>le</strong>ures photographies de reportagesde l’année dans la médiatèque d’Athis-Mons et à Juvisy. Les collégiens etlycéens de l’Essonne peuvent profiter devisites commentées.Avec notamment :Solas / Craic Irish Dance / Caladh Nua /Mairtin O’Connor…www.festival-irlandays.frAu Festin, on fanfaronne et on en prend p<strong>le</strong>inla vue : jong<strong>le</strong>urs, chanteurs et pyromanescircassiens exécutent des chorégraphiesde haute voltige. La musique est bien sûrde mise, et <strong>le</strong> bal s’ouvre pendant l’apéritifavec <strong>le</strong> col<strong>le</strong>ctif créonnais Minimum Fanfare.Cette année, <strong>le</strong> festival se traverse à dosde musiques persanes, au côté du percussionnistePedram Khavarzamini et sous <strong>le</strong>scou<strong>le</strong>urs du Ko<strong>le</strong>ktif Istanbul. Le joueur deoud Rabih Abou-Khalil clôture <strong>le</strong>s festivités,injectant quelques notes jazz à la traditionorienta<strong>le</strong>.+ Le petit truc en plus :Le mercredi matin, place de la Prévôté,pendant que <strong>le</strong>s Créonnais font <strong>le</strong>urmarché, <strong>le</strong>s acrobates du col<strong>le</strong>ctif LaGrosse B. présentent <strong>le</strong>ur création Insertcoin. L’accès est gratuit.Avec notamment :Mohamed Abozekry & Heejaz / RabihAbou-Khalil / Pedram Khavarzamini /Michel Godard / Ko<strong>le</strong>ktif Istanbul…www.<strong>le</strong>festinmusik.comCette année, <strong>le</strong> Festival de l’imaginaire, l’undes plus anciens à promouvoir la diversitéculturel<strong>le</strong> en France, célèbre <strong>le</strong> dixième anniversairede la Convention de l’Unesco pourla sauvegarde du patrimoine culturel immatérie<strong>le</strong>t présente des spectac<strong>le</strong>s représentantcelui-ci. En parallè<strong>le</strong>, <strong>le</strong> septièmemecolloque internationa<strong>le</strong> d’ethnoscènologieet la dixième journée du patrimoine culturelimmatériel vont se tenir à la Maison desCultures du Monde <strong>le</strong>s 21 et 25 mai.+ Le petit truc en plus :Durant <strong>le</strong> temps scolaire, des spectac<strong>le</strong>svont permettre au jeune public dedécouvrir peup<strong>le</strong>s et civilisations du<strong>monde</strong> d’aujourd’hui. Après <strong>le</strong>s représentations,des rencontres avec <strong>le</strong>s artistessont programmées afin de continuer cetapprentissage.Avec notamment :Théâtre d’ombres de Solo (Indonésie)/ Danses masquées du village de Take(Japon) / Polyphonies voca<strong>le</strong>s de Svanétie(Géorgie)www.festivaldelimaginaire.comDepuis sa création en 2005, <strong>le</strong> salon-festivalBabel Med Music ne cesse de croître.Plus de visiteurs, plus d’exposants, plusde conférences et plus de concerts attendent<strong>le</strong>s professionnels des musiques duMonde à Marseil<strong>le</strong> en cette année Capita<strong>le</strong>Culturel<strong>le</strong>. Aux trois scènes habituel<strong>le</strong>s quioffrent aux artistes sé<strong>le</strong>ctionnés la possibilitéde convaincre tourneurs, programmateurs,journalistes et public, s’ajoutentdes créations exceptionnel<strong>le</strong>s labeliséesMP 2013. L´occasion d’applaudir Imothep,Hakim Hamadouche ou Watcha Clan et dedécouvrir l´Irakien The Narcisyst, la LibanaiseShadia Mansou ou l´Egyptien El General.+ Le petit truc en plus :Pendant la journée, des speed meetings(rencontres ciblées et rapides) permettentaux artistes ou aux tourneurs de rencontrer<strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s des principa<strong>le</strong>smanifestations professionnel<strong>le</strong>s d’Europe.Avec notamment :Wanlov & The Afro Gipsy Band (prix<strong>Mondomix</strong>- Babel Med Music 2013, page22) Baloji / Söndörgö / Hoba Hoba Spirit/ Elina Duniwww.babelmedmusic.comPrintemps BalkaniqueDu 23 mars au 21 avrilBasse-NormandieAprès l’insolite Roumanie, la Bulgarie etl’étincelante Croatie de l’an passé, cehuitième Printemps balkanique continue àétablir des ponts entre l’Europe de l’Ouestet <strong>le</strong>s pays des Balkans. En invitant artistes,écrivains et artisans de la péninsu<strong>le</strong> àtravail<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong>urs confrères normands, ilprône l’échange et la reconnaissance. Pour<strong>le</strong>s trois prochaines années, <strong>le</strong> Printempsbalkanique présente la Bosnie-Herzégovine,un pays divisé, encore fragi<strong>le</strong>. Séries dephotographies, films touchants et concertsde qualité sont au rendez-vous.+ Le petit truc en plus :En partenariat avec l’association Slowfood Terre Normande, <strong>le</strong>s festivalierssont invités à une dégustation gastronomiquede produits macédoniens ainsiqu’à une visite de l’Auberge paysannede Heku Honda et Philippe Enée, <strong>le</strong> 20avril près de Saint-Lô.Avec notamment :Les Urs Karpatz / Amira et Bojan Z./ Söndörgö / Vent d’Ouest K<strong>le</strong>zmerBand / La Caravane passe / Elina Duni…www.balkans-transit.eu


sé<strong>le</strong>ctions / Dehors67Les détours de BabelDu 2 au 20 avrilEurofonikLes 5 et 6 avrilBanlieues B<strong>le</strong>uesDu 5 au 26 avrilFestival MétisDu 9 au 25 avrilGrenob<strong>le</strong>Cité des Congrès de NantesSeine St DenisSeine Saint-DenisLe troisième millénaire sera religieux ou nesera pas ? Pour la troisième édition desDétours de Babel, <strong>le</strong>s musiques sacréesaterrissent à Grenob<strong>le</strong> et en Isère, parceque cel<strong>le</strong>s-ci appartiennent à l’humanitéentière. C’est du moins <strong>le</strong> crédo du festival,organisé par <strong>le</strong> Centre international desMusiques Nomades. Musiques du <strong>monde</strong>,jazz et musiques contemporaines liés authème de la spiritualité animent <strong>le</strong>s troissemaines. Issu de la fusion entre <strong>le</strong> Grenob<strong>le</strong>Jazz festival et <strong>le</strong>s 38 e Rugissants,<strong>le</strong>s Détours de Babel laissent place auxcréations transculturel<strong>le</strong>s et confrontent lamusique à une question de société.+ Le petit truc en plus :En marge du festival, l’installation « Septétoi<strong>le</strong>s » de Marie-Hélène Bernard proposeun parcours musical, à base d’imagesd’archives, de percussions et de voix,dans l’univers des femmes chamanescoréennes, du 7 au 14 avril au MuséeDauphinois.Avec notamment :Yom / Rayes Bek / Debashish Bettacharya& Driss el Maloumi / Renaud GarciaFons / Erol JosuéAu pays d’Eurofonik, <strong>le</strong>s sons traditionnelsd’Europe se transmettent et se croisent, sansavoir peur des impulsions novatrices. Lesmusiques ancestra<strong>le</strong>s sont valorisées, réinventées,pour être mieux assimilées. C’estainsi que <strong>le</strong>s polyphonies occitanes de LoCor de la Plana pourront s’é<strong>le</strong>ver sans entraver<strong>le</strong> chemin du flamenco gitan de JesusMendez ni la transe algéro-bretonne osée deStartijenn. L’audacieux projet nantais prolongecette année d’un jour <strong>le</strong>s plaisirs dansés,avec des mélanges de scat rap et mandolinesméditerranéennes qui col<strong>le</strong>nt à cet espritde renouveau.+ Le petit truc en plus :La caravane de la compagnie La Partieest installée au coeur de la Cité <strong>le</strong> samediaprès-midi. Quatre chanteuses, espagno<strong>le</strong>,italienne, poitevine et bretonne, serelaient dans une ambiance intimiste.Avec notamment :Alain Minviel<strong>le</strong> / Sharon Shannon /Christine Sa<strong>le</strong>m / Annie Ebrel / WarsawVillage Band (voir aussi page 21)…www.eurofonik.frLe téméraire et pléthorique festival de Jazzen Saint-Denis souff<strong>le</strong> ses trente bougieset ne change pas ses bonnes habitudes.Aucune frontière qui ne tienne, toute laproduction jazz, ou inspirée par <strong>le</strong> jazz,est explorée. Du Brésil à la Pologne, enpassant par La Havane et Capetown, bigbands, rappeurs ou pionniers de l’afro-funksont conviés, pourvu que <strong>le</strong>urs prestationsdécoiffent !+ Le petit truc en plus :Le 25 avril, <strong>le</strong>s musiciens en herbe delycées de Saint-Denis, Pantin et Livry-Gargan s’emparent de la Dynamo deBanlieues B<strong>le</strong>ues pour une soirée spécia<strong>le</strong>dirigée entre autres par Sarah Murcia.Avec notamment :Ballaké Sissoko Toumani Diabaté/Egberto Gismonti /Zam Rock / Yom / Lafamil<strong>le</strong> Khalifé (voir aussi page 17)…www.banlieuesb<strong>le</strong>ues.orgLa Méditerranée regorge de pépites et FestivalMétis est parti à la pêche. Depuis dixans, cette manifestation se plaît à brasser<strong>le</strong>s cultures musica<strong>le</strong>s et ne rechigne pas àmê<strong>le</strong>r musique classique et rock, ou musiquestraditionnel<strong>le</strong>s et é<strong>le</strong>ctro. Cette année,<strong>le</strong>s deux semaines revêtent des « Eclatsd’Espagne », offrant des concerts de flamencomais aussi d’affluents du genre, allantjusqu’au baroque é<strong>le</strong>ctrique.+ Le petit truc en plus :Métis s’intéresse au cinéma et inspecte lamusique de film avec l’événement BandeOrigina<strong>le</strong>, <strong>le</strong> 15 avril à la Cité du cinéma.Des musiciens de l’orchestre philarmoniquede Radio France joueront <strong>le</strong>s oeuvresde John Williams, Gabriel Yared, BernardHerrmann et Philip Glass.Avec notamment :Ibérica / Chancha via Circuito (voir aussipage 23) / Leonardo Garcia Alarcon/Buika / Diana Baroni…www.metis-plainecommune.comwww.detoursdebabel.frKriol Jazz FestivalDu 10 au 13 avrilPraia, Cap-VertA travers ce festival, qui fête sa cinquièmeédition, Praia, la capita<strong>le</strong> du Cap-Vert,entend bien aussi devenir cel<strong>le</strong> des musiqueset cultures créo<strong>le</strong>s. Quatre journéesdurant, el<strong>le</strong> fête <strong>le</strong>s musiques de l’archipelqui a vu naître l’emblématique CesariaEvora, mais sodade ou coladeira ne sontpas <strong>le</strong>s seuls rythmes à y retentir. Desmusiciens du Congo, du Bénin, du Gabon,de La Réunion, du Brésil ou des USA sontattendus pour offrir <strong>le</strong>ur propre version dela créolisation , <strong>le</strong>ur interprétation du jazz.Ce festival est précédé d’un salon professionnel,l’AME.+ Le petit truc en plus :Le 10 avril, en clôture de l’Atlantic MusicExpo et en avant goût du Kriol Jazz, laSacem, en partenariat avec <strong>le</strong> FestivalJazz sous <strong>le</strong>s pommiers, présente unesoirée exceptionnel<strong>le</strong> avec des artistescap-verdiens (Zé Luis), français (DominiqueFillon Trio) et une création réunissant<strong>le</strong> groupe franco-italien de GiovanniMirabassi aux artistes locaux Kim Alves,Manuel de Candinho et Jenifer So<strong>le</strong>dad.Avec notamment :Carmen Souza / Pierre Akendengue /Nancy Vierra / Jupiter Zikakan…www.ame.cv


66 68MONDOMIX AIME !Les meil<strong>le</strong>ures raisons d’al<strong>le</strong>r écouter l’air du tempsWelcome in TziganieDu 18 au 21 avrilPrintemps de BourgesDu 23 au 28 avrilJazz sous <strong>le</strong>s pommiersDu 4 au 11 maiFlamenco Vil<strong>le</strong>tteDu 16 au 18 maiAuchBourgesCoutancesParisEt si d’Artagnan avait pu visiter <strong>le</strong>s Balkans? Au coeur de la Gascogne nata<strong>le</strong> ducomte, Welcome in Tziganie fait f<strong>le</strong>urir <strong>le</strong>schapiteaux qui accueil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur de lamusique gitane. Âgé de six ans à peine, <strong>le</strong>festival attire <strong>le</strong> fameux Slobodan SalijevicOrkestar dans la vil<strong>le</strong> médiéva<strong>le</strong> d’Auch.Pas étonnant non plus que Tchavolo,Dorado et Samson Schmitt aient cédé à latentation de ce partage amical aiguisé auswing manouche. Les Hongrois de Vojasa,<strong>le</strong>s musiques slaves des fil<strong>le</strong>s de Rodinkaet l’Amsterdam K<strong>le</strong>zmer Band se mê<strong>le</strong>ntéga<strong>le</strong>ment à la fête.+ Le petit truc en plus :En parallè<strong>le</strong> des concerts,l’ethnomusicologue Filippo Bonini-Baraldidonne une conférence sur son ouvrageTsiganes, musique et empathie.Avec notamment :La famil<strong>le</strong> Schmitt / Yannis Constans /Vojasa / Taraf de Haïdouks/ La MéninaSin Nombre / Fanfare P4…www.welcome-in-tziganie.comEncore une édition où <strong>le</strong>s chênes massifscôtoient <strong>le</strong>s jeunes bourgeons ! Sil’extravagant M ouvre cette nouvel<strong>le</strong> semainedu Printemps de Bourges, suivi de prèspar Patti Smith et Oxmo Puccino, la scènemoins instituée n’est pas en reste. La douceet ascendante Dom La Nena ( voir page 15)présente son premier album. Le même jour,<strong>le</strong>s Touaregs de Terakaft fou<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s planchesde l’Auditorium et la note éc<strong>le</strong>ctiqueest tenue jusqu’au bout, avec <strong>le</strong> pionnier dureggae africain Alpha Blondy, pour parfaire lavivacité de ce Printemps très coloré.+ Le petit truc en plus :Du mercredi au vendredi, l’Ensemb<strong>le</strong>Echoes réunit <strong>le</strong> violoncelliste GasparClaus à des artistes de musiques actuel<strong>le</strong>s.Le fils du guitariste flamenco PedroSo<strong>le</strong>r poursuit ses expérimentations pourdes créations auxquel<strong>le</strong>s sont conviés,tour à tour, la chanteuse Barbara Carlotti,<strong>le</strong> rappeur Youssoupha et <strong>le</strong> groupe Rover.Avec notamment :Steel Pulse / Lo’Jo / Tiloun / Y’Akoto /La Ga<strong>le</strong> / Jasser Haj Youssef…www.printemps-bourges.comDans ce coin tranquil<strong>le</strong> de Basse-Normandie,il fait bon déambu<strong>le</strong>r au rythme ternaire,ce qui n’empêche pas d’adapter la cadence,invités des quatre coins du <strong>monde</strong> obligent.L’enjô<strong>le</strong>ur capverdien Zé Luis croise <strong>le</strong>contrebassiste de Jérusa<strong>le</strong>m Avishaï Cohenet <strong>le</strong>s Sud-africains du groupe vocal zoulouLadysmith Black Mambazo. A la mémoiredu claviériste Joe Zawinul, son groupeThe Syndicate est invité à faire revivre <strong>le</strong>mythique musicien. Si l’on garde une oreil<strong>le</strong>pour la Black Box blues de Nicolas Repac,on s’aperçoit vite qu’il y a du jazz, despommiers, mais pas seu<strong>le</strong>ment.+ Le petit truc en plus :Invités par <strong>le</strong> trio du pianiste GiovanniMirabassi <strong>le</strong> 8 mai, <strong>le</strong>s guitaristes du Cap-Vert, Manuel de Candinho et Kim Alves,se joignent à la jeune chanteuse JeniferSolidade, pour une création donnée lorsde l’édition 2013 du Kriol jazz festival.Avec notamment :Louis Sclavis Atlas trio / SlobodanSalijevic Orkestar/ Seun Kuti & Egypt80 invitent Soweto Kinch / The Touré-Raichel Col<strong>le</strong>ctive…www.jazzsous<strong>le</strong>spommiers.comC’est une année faste pour <strong>le</strong>s aficionadosparisiens. Entre <strong>le</strong> week end AndalousieGitane de la Cité de la musique fin février etla semaine de bienna<strong>le</strong> d’Art Flamenco duPalais de Chaillot en juin prochain, La Vil<strong>le</strong>tteprésente Flamenco Vil<strong>le</strong>tte, un week endde récitals de chants et de guitares et despectac<strong>le</strong>s de danses, dans une ambiancede fêtes sévillanes recrées par des éco<strong>le</strong>sde danse flamenco de la vil<strong>le</strong> de Paris.+ Le petit truc en plus :Entre <strong>le</strong>s concerts, <strong>le</strong>s spectateurspeuvent visiter des expos de costumes,de photos et de peinture et degusterjamon, queso et vino ibérico et col<strong>le</strong>cter<strong>le</strong>s bonnes adresses des offices de tourismeespagnols présents sur <strong>le</strong> site.Avec notamment :Estrella Morente / José Merce / Farruquito/ Pastora Galván / Tomatitowww.vil<strong>le</strong>tte.com


sé<strong>le</strong>ctions / Dehors69En Coulisses :Faire salonDepuis 2004, <strong>le</strong> salon marseillais Babel Med Musicfacilite <strong>le</strong>s rencontres entre professionnels et artistestout en y associant <strong>le</strong> public. Des carrières s’y lancentet la liste des candidatures ne désemplit pas.Texte: François MaugerMarché Babel © D.R.A propos du Babel Med Music, chacun yva de son anecdote : Guillaume Hurel, quis’occupe des ventes de concerts chez AzimuthProduction, se souvient de la façondont un showcase de Ba Cissoko a remotivéson agent européen ; Frédéric Gluzman,<strong>le</strong> gérant de V.O. Music, admet que VieuxFarka Touré doit une partie de son succèsfrançais au salon ; Didier Granet se rappel<strong>le</strong>l’enthousiasme déc<strong>le</strong>nché par Yasmin Levy…Quant aux organisateurs de l’événement euxmêmes,ils citent parmi <strong>le</strong>s artistes qu’ils ontcontribué à lancer Kabbalah, Dobet Gnahoré,lo Cor de la Plana et Yemen Blues.Il faut dire que ce rassemb<strong>le</strong>ment professionnela déjà une longue histoire. La premièreédition a eu lieu en 2004 mais l’envie est bienplus ancienne, qui date pratiquement de lacréation de la Fiesta des Suds, en 1992. FlorenceChastanier, à l’origine de cette aventureavec Bernard Aubert, se souvient : « L’idéenous a été apportée par <strong>le</strong>s professionnelsque nous fréquentions. Ils portaient cettedemande d’un marché, d’un espace de rencontre,qui permettrait de créer un environnementprofessionnel à tous <strong>le</strong>s artistes quenous recevions. Au-delà des têtes d’affiche,nous valorisions en effet <strong>le</strong>s scènes régiona<strong>le</strong>set <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s scènes et, dans <strong>le</strong> cadredes Fiestas, nous organisions des rencontres,des débats. Les artistes et <strong>le</strong>s producteursnous disaient que ce serait bien de prolongertout cela par une manifestation professionnel<strong>le</strong>comme il n’en existait pas en France ».Une scène loca<strong>le</strong> explosiveLa place n’était pas grande mais el<strong>le</strong> étaiteffectivement vacante. D’autres salons existaientdéjà et existent encore. A commencerpar <strong>le</strong> Midem, <strong>le</strong> rendez-vous de janvier, quise tient à Cannes depuis 1967 ; principa<strong>le</strong>mentconsacré à l’industrie du disque, il esten sérieuse perte de vitesse. Le Womex, chaquemois de novembre, fait voyager <strong>le</strong>s professionnelsd’un bout à l’autre de l’Europe.Voire <strong>le</strong>s Bis de Nantes, bienna<strong>le</strong> hiverna<strong>le</strong> duspectac<strong>le</strong> sous toutes ses formes. Depuis,sont apparus <strong>le</strong> Mama, création de l’équipedu Printemps de Bourges, qui, fin octobre àParis, propose de rassemb<strong>le</strong>r une filière musica<strong>le</strong>divisée, et <strong>le</strong> Jimi, prolongement bienplus militant du Festi’Val-de-Marne, mis auservice des producteurs indépendants. Enfin,Lo Festenal, marché des arts vivants fondésur <strong>le</strong>s relations entre Europe et régions, n’afait qu’un petit tour à Toulouse en 2011 maisConvivencia, l’association qui l’organise, prometson retour en 2014.Babel Med Music s’est faufilé entre tous cesévénements et s’est vite imposé dans <strong>le</strong> ca<strong>le</strong>ndrier.Assurément plus méridional, grâceà une scène loca<strong>le</strong> explosive et des lienstrès anciens avec <strong>le</strong>s deux rives de la Méditerranée,esthétiquement plus ouvert que lamoyenne, l’événement tranche surtout parsa popularité. C’était l’idée de départ : « Onvoulait offrir aux artistes <strong>le</strong>s conditions d’unspectac<strong>le</strong> en festival, pas des showcasesdans des sal<strong>le</strong>s à moitié vides », se souvientFlorence Chastanier. Ce qui explique sansdoute que Babel Med Music reçoive chaqueannée plus de mil<strong>le</strong> candidatures d’artistes,expédiées depuis tous <strong>le</strong>s continents. Ducôté des stands où tourneurs et programmateurséchangent, <strong>le</strong> salon affiche mêmecomp<strong>le</strong>t. « On a, sur ces dernières années,une augmentation constante d’environ 20%(en termes de nombre d’accrédités, de fréquentation…)», se réjouit l’administratrice.En cette année « capita<strong>le</strong> », il n’y a aucuneraison que la tendance s’inverse.• www.dock-des-suds.org/babelmedmusic2013n°56 Mars/Avril 2013


ABONNEZ-VOUS ÀMONDOMIXNoteset pellicu<strong>le</strong>sET RECEVEZ<strong>le</strong> dernier albumdE Rachid Taha Zoom (universal jazz)NomPrénomAgeAdressedans la limite des stocks disponib<strong>le</strong>sOui, je souhaite m’abonner à<strong>Mondomix</strong> pour 1 an (soit 6 numéros)au tarif de 29 euros TTC.(envoi en France métropolitaine)Vil<strong>le</strong>Code PostalPayse-mailOù avez-vous trouvé <strong>Mondomix</strong> ?Renvoyez-nous votre coupon rempliaccompagné d’un chèque de 29 eurosà l’ordre de <strong>Mondomix</strong> Service clients à l’adresse :<strong>Mondomix</strong> Service clients12350 PrivezacTél : 05.65.81.54.86 Fax : 05.65.81.55.07contact@bopress.frHors France métropolitaine : 34 eurosnous consulter pour tout règ<strong>le</strong>ment par virementSéance d’enregistrement de la musique du film Le Narcisse noir (Black Narcissus, 1947) de Micheal Powel et EmericPressburger, avec <strong>le</strong> London Symphony Orchestra dirigé par <strong>le</strong> compositeur Brian Easda<strong>le</strong>> Prochaine parutionLe n°57 (Mai/Juin 2013) de <strong>Mondomix</strong> sera disponib<strong>le</strong> début mai.Retrouvez la liste complète de nos lieux de diffusion surwww.mondomix.com/papier<strong>Mondomix</strong> remercie tous <strong>le</strong>s lieux qui accueil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> magazine entre <strong>le</strong>urs murs, <strong>le</strong>s FNAC, <strong>le</strong>s magasins HarmoniaMundi, <strong>le</strong>s espaces culturels Lec<strong>le</strong>rc, <strong>le</strong> réseau Cultura, Mondo Fly, ainsi que tous nos partenaires pour <strong>le</strong>ur ouvertured’esprit et <strong>le</strong>ur participation active à la diffusion des Musiques du Monde.Col<strong>le</strong>ction Joel Fin<strong>le</strong>r © The Archers ©Carlton International MediaMONDOMIX - Rédaction144 - 146 rue des poissonniers – 75018 Paristél. 01 56 03 90 89 fax 01 56 03 90 84redaction@mondomix.comEdité par <strong>Mondomix</strong> R.C.S. PARIS 753 826 288Directeur de la publicationMarc Benaïche marc@mondomix.comDirecteur adjointFrançois Mauger francois@mondomix.comRédacteur en chefBenjamin MiNiMuM benjamin@mondomix.comConseil<strong>le</strong>r éditorialPhilippe Krümm philippe@mondomix.comSecrétaire de rédactionBertrand BouardDirection artistiqueStephane Ritzentha<strong>le</strong>r stephane@mondomix.comMONDOMIX RegieChefs de publicité / PartenariatsAntoine Girard antoine@mondomix.comtél. 01 56 03 90 88Commission paritaire, (service de presse en ligne)n° CPPAP 1112 W 90681Tirage 100 000 exemplairesImpression L’imprimerie Tremblay en FranceDépôt légal - à parutionN° d’ISSN 1772-8916Copyright <strong>Mondomix</strong> Média 2012- Gratuit -RéalisationAtelier 144info@atelier144.comtél. 01 56 03 90 87Toute reproduction, représentation, traduction ou adaptation,intégra<strong>le</strong> ou partiel<strong>le</strong>, quel qu’en soit <strong>le</strong> procédé, <strong>le</strong>support ou <strong>le</strong> média, est strictement interdite sans l’autorisationde la société <strong>Mondomix</strong> Média.Ont collaboré à ce numéro :Nadia Aci, Yahia Belaskri, Bertrand Bouard, Franck Cochon, Mohamed Harzoune , Lauriane Morel, Gil<strong>le</strong>s Rof, Yannis Ruel,Squaaly, Ludovic Thomas, Ravith Trinh<strong>Mondomix</strong> est imprimésur papier recyclé.

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