30Séance d’enregistrement de la musique du film Le Narcisse noir (Black Narcissus, 1947) de Michael Powell et Emeric Pressburger,avec le London Symphony Orchestra dirigé par le compositeur Brian EasdaleCrédit: Collection Joel Finler © The Archers © Carlton International MediaHistoire et géode la B.O.Des premiers accompagnements en direct aux musiques d’ambiance des récentesproductions hollywoodiennes, la musique a toujours accompagné les films,mais sa fonction et son sens n’ont jamais cessé d’évoluer.Petit tour d’horizon d’un siècle d’harmonies, de toutes sortes, entre l’image et le son.Texte : Benoit Basirico« En 1929,le mélodrame Hallelujahinclue des chansons d’Irving Berlinet devient la premièrecomédie musicale américaine »Pour conter l’histoire de la musique de film, il faut revenir à un temps où lecinéma était muet, où la musique était considérée comme un élément « enplus », hérité de la tradition du spectacle, avec un piano ou un orchestreinterprétant en direct un répertoire classique. Avant de connaître compositeurset musiques originales, les films étaient accompagnés de musiques nonoriginales, conçues en improvisation à partir de thèmes classiques (Mozart,Beethoven...). C’était aussi, pour cet art nouveau, une façon de lui apporterde la respectabilité.Très vite, le cinéma a éprouvé le besoin de concevoir sa propre dramaturgiemusicale. En 1908, Camille Saint-Saëns crée la première musique originalepour un film avec le court-métrage L’assassinat du duc de Guise d’AndréCalmettes et Charles Le Bargy. Les compositeurs « classiques » trouventdans le cinéma un moyen d’étendre leur champ de création. C’est le casd’Erik Satie (Entr’acte de René Clair en 1924), Darius Milhaud (L’inhumaine deMarcel L’Herbier en 1925), Arthur Honegger (La roue d’Abel Gance en 1922),ou en Russie avec Prokofiev chez Eisenstein.n°57 Mai/Juin 2013
Théma / Notes & pelliculesanalyse 31Fonction de doublageEn 1927, le cinéma devient parlant - ou plutôtchantant - avec Le Chanteur de Jazz, mais leschansons demeurent détachées du récit. En 1929,le mélodrame Hallelujah inclut dans son récit deschansons composées par Irving Berlin et devientainsi la première comédie musicale américaine.Dans les premiers temps de la musique de film,les partitions devaient soutenir l’action avecredondance, du moins à Hollywood. Max Steinerillustre son King Kong (1933) de la première à ladernière image en accompagnant chaque situation.Cette fonction de doublage amène d’ailleurs lecompositeur Igor Stravinski à la comparer à du «papier peint ». En 1940, Franz Waxman écrit unepartition plus nuancée et psychologique pourRebecca de Hitchcock.Le cinéaste Steven Spielberg et le compositeur John Williams, et la chanteuse Lisbeth Scott(dont on entend la voix sur la bande-son de Munich, 2005)Crédit: © Sally Stevens PhotographyEn France, la tendance des années 30/40 est lachansonnette avec ses thèmes guillerets (La Belle Equipe et sachanson Quand on se promène au bord de l’eau). Dans le mêmetemps, le pays fait sa petite révolution avec Maurice Jaubert,premier compositeur à considérer la musique comme un élémentintrinsèque à la matière filmique et sonore et non plus commeun accompagnement. Sa musique n’apparaît qu’à certainsmoments judicieusement choisis, elle se fait moins pléonastique.Sa collaboration avec Jean Vigo (L’Atalante, 1934) est exemplaireet sera un modèle pour la future nouvelle vague française, aumême titre que la singularité acoustique du cinéma de JacquesTati (Playtime).Dans les années 40/50, avec l’âge d’or hollywoodien, le film degenre se standardise (comédies musicales, films de gangster puisfilms noir, westerns...). Des compositeurs instaurent des codesmusicaux associés à chacun d’eux, comme la trompette de DimitriTiomkin pour les westerns de King Vidor ou Howard Hawks.L’émergence du péplum amène les compositeurs à élaborer unemusique plus majestueuse avec des chœurs solennels (MiklosRozsa avec Jules César et Ben Hur).Le jazz fait son apparition au cinéma avec Alex North sur Un tramwaynommé désir (1951) et surtout Elmer Bernstein sur L’homme aubras d’or (1959), puis se développe avec Henry Mancini chezBlake Edwards (The party) ou Orson Welles (La soif du mal). EnFrance, Miles Davis improvise sa musique à la trompette pourAscenseur pour l’échafaud (1957). Puis c’est l’électronique qui faitson apparition et permet d’instaurer des ambiances futuristes dansles films de science fiction (Planète interdite en 1956 et la musiqueélectronique de Louis et Bebe Barron, La planète sauvage en 1973et une partition d’Alain Goraguer).Tandems majeursLes années 60/70 voient l’émergence de compositeurs majeurs detoute la seconde moitié du XXe siècle : John Williams (Star Wars),Jerry Goldsmith (Chinatown), Lalo Schiffrin (Bullit), John Barry (lasaga James Bond), Ennio Morricone (Mission)...En France, pendant que Jean-Luc Godard travaille avec AntoineDuhamel sur Pierrot le fou (1965) et Georges Delerue pour Le mépris(1963), le cinéaste Alain Resnais collabore avec des compositeursissus de la musique contemporaine et sérielle, comme HansWerner Henze sur Muriel ou le temps d’un retour (1963). Autrestandems majeurs : Philippe Sarde et Claude Sautet (Les choses de« l’électronique permet d’instaurerdes ambiances futuristesdans les films de science fiction »la vie, 1969), Pierre Jansen et Claude Chabrol (Le boucher, 1970),Michel Legrand et Jacques Demy (Les parapluies de Cherbourg,1964), François de Roubaix et Robert Enrico (Le vieux fusil, 1975),Eric Demarsan et Jean Pierre Melville (L’armée des ombres, 1968).L’Italie n’est pas en reste, avec de fructueuses collaborations :Federico Fellini/Nino Rota (Amarcord, 1974) et Ennio Morricone/Sergio Leone (Il était une fois dans l’ouest, 1969). En Angleterre,Maurice Jarre et David Lean collaborent pour trois films mythiques,Lawrence d’Arabie (1962), Le docteur Jivago (1965) et La fille deRyan (1970).Naissance du film-jukeboxEn 1968, 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick, constituéexclusivement de musiques préexistantes (Ligeti, Strauss) est unmarqueur important. En 1973, George Lucas compile plusieurshits des années 50 dans American Graffiti. Le film-jukebox est né.Quentin Tarantino s’en souviendra et ne collaborera jamais avec uncompositeur sur ses films.Le cinéaste John Carpenter lance la vague des B.O. minimalistesélectroniques avec sa musique du film Assaut en 1976, prolongéepar Vangelis (Blade Runner, 1981), Brad Fiedel (Terminator, 1984),Giorgio Moroder (Scarface, 1983), Mike Oldfield (La déchirure,1984).Jusque là, les collaborations se réduisaient à quelques filmsd’un cinéaste. Malgré la réputation de leur tandem, il y a eudes films majeurs d’Hitchcock sans Bernard Herrmann. Dansles années 80/90, ces associations se font plus exclusives etdurables : Howard Shore et David Cronenberg, Danny Elfmanet Tim Burton, Carter Burwell et les frères Coen, James NewtonHoward et Shyamalan, Thomas Newman et Sam Mendes... Citonsencore Joe Hisaishi et Miyazaki au Japon, Alexandre Desplat etJacques Audiard ou Philippe Rombi et François Ozon en France.Cinéaste et compositeur sont devenus indissociables. En France,un compositeur représente à lui tout seul la comédie française,n°57 Mai/Juin 2013