48Ghada Shbeir"Chants syriaques"(Jade/milan)HUONG THANH"MUSIQUE DU CAI LUONG"(Ocora/Radio France)Auréolées de silence, les notesrésonnent, cristallines, précises,précieuses. A capella, le chant deGhada Shbeir met en sourdine lebruit <strong>du</strong> <strong>monde</strong>. Ethnomusicologuelibanaise, cette artiste de la mémoireressuscite les chants syriaques,traqués sous les vestiges <strong>du</strong>temps. Antérieur au christianisme,ce répertoire composé de formesbrèves, développées sur un maximumde cinq notes, reflète la diversité<strong>des</strong> traditions chrétiennesorientales. Uniques dans l’histoire,ces chants ne relèvent ni de la traditionarabe ni de l’héritage grégorien,et s’interprètent en syriaque, languelittéraire proche de l’araméenen usage <strong>du</strong> 3 ème au 13 ème siècle.Mais au-delà de cette richesse patrimoniale,Ghada Shbeir offre unaccès à la beauté nue, qui incarnel’universel et restaure le passé pourdevancer le temps. Selon Saint-Basile, "quand tu chantes, tu priesdeux fois". Prière, oui, comme recueillement,quête de sens, respiration,paix intérieure ; quelle que soitla foi, l’art de Ghada Shbeir rendpossible les miracles et l’apparition<strong>des</strong> anges. Essentiel. AllAuréolé <strong>du</strong> Prix France Musique<strong>des</strong> Musiques <strong>du</strong> Monde 2007, cepremier disque que la chanteuseconsacre à la musique traditionnellede son pays est pour elle unretour aux sources. Très populaire<strong>des</strong> années 20 à la "réunification"Nord-Sud, le Cai Luong, sorte deversion vietnamienne <strong>du</strong> théâtrechinois chanté, a pâti <strong>des</strong> effortsde modernisation, puis de la popularisationde la vidéo qui a achevéde vider les salles de théâtre et deconcerts. Née au milieu d’artistesvoués à cette discipline, avec unpère star <strong>du</strong> genre (c’est dire sil’enjeu affectif est de taille), HuongThanh fait ainsi partie <strong>des</strong> quelquespassionnés qui s’efforcent de fairerevivre un répertoire longtempslaissé pour mort. Voix cristalline,ornementations délicates et précises,Huong Thanh excelle, seuleau chant accompagnée de brillantsmusiciens, ou parfois en <strong>du</strong>o avecsa sœur. Envoûtant. F.B.LATA MANGESHKAR"CLASSIC TITLES"(Cantos/Pias)Issa"Kurdomania"(Arion)Après avoir frotté son art aux influencesjazz et flamenco, le joueurde bouzouk Issa Hassan revientavec Kurdomania, à l'essence dela culture kurde : la danse, art populaireet (en)chanté, qui, d'unehistoire morcelée et de légen<strong>des</strong>vives, constitue la mémoire. Lescor<strong>des</strong> <strong>du</strong> saz, <strong>du</strong> bouzouk et <strong>du</strong>cumbus, trois luths à long manche,remontent alors diligemment le fil<strong>du</strong> temps, quand les percussions,terrestres, ramènent à la seule joieenfantine de rire et de danser. Dansla transmission traditionnelle <strong>des</strong>chansons, l'interprète peut changerla mélodie et l'instrumentation.Issa s'octroie cette liberté, relectured'un passé collectif au présent personnel.Une œuvre en toute jouissance,qui touche l'auditeur parson obsession et sa transe.AllAdeptes de fusions asian-beats etallergiques aux voix haut perchées,ce disque n’est pas pour vous !Voici <strong>du</strong> son Bollywood à la saucepop, une sélection de classiquespar l’une <strong>des</strong> plus gran<strong>des</strong> stars<strong>du</strong> genre. Aujourd’hui Guinnessbookisée(on lui attribuerait 40.000titres en 60 ans de carrière), LataMangeshkar, malgré une tessitureaiguë peu en vogue à l’époque,s’est vite imposée comme "playbacksinger" (ces chanteurs de studioqui doublent les acteurs à l’écran)au point de modifier les standards<strong>du</strong> genre, au registre traditionnellementplus grave. De judicieux choixde carrière lui ont permis de tutoyerla gloire et récolter les plus hautesdistinctions. Une légende pour lesconnaisseurs, une belle curiositépour les autres.F. M.
chroniques Europemondomix.com49Dominique Cravicet les primitifs<strong>du</strong> futur"Tribal musette"(Universal Jazz)L’aventure <strong>des</strong> Primitifs <strong>du</strong> Futur (prononcez"Prim’<strong>du</strong>f"), collectif demusiciens créé en 1986, continue.Sous la baguette <strong>du</strong> guitariste swingDominique Cravic, le quatrième opusde ce concept world/musette contemporainvoit enfin le jour. Après les rondellesCocktail d’Amour (1987), Tropde Routes, Trop de Trains et AutresHistoires d’Amour (1994), WorldMusette : C’est la Goutte d’Or qui FaitDéborder la Valse ! (2000), voici maintenant Tribal Musette. Lesseize titres <strong>du</strong> disque ne rassemblent pas moins de 52 musiciensautour <strong>des</strong> membres historiques. On retrouve le mythique <strong>des</strong>sinateurRobert Crumb (mandoline), qui a également signé toutesles jaquettes <strong>des</strong> Prim’<strong>du</strong>f et a <strong>des</strong>siné pour ce Tribal Musetteune redoutable couverture "ethnique punk musette" ! On y croisetoujours Daniel Colin (accordéon), Daniel Huck (saxophone),Jean-Michel Davis (xylophone), Fay Lovsky (thérémine, scie musicale),Claire Elzière (chant)… Il serait impossible de nommer tousles participants, mais signalons Olivia Ruiz, Sanseverino, MarcelAzzola, Flaco Jimenez, Jean-Jacques Milteau, Raùl Barbozaou Allain Leprest… Le travail con<strong>du</strong>it par le guitariste-chanteurDominique Cravic se poursuit donc avec une ligne force : mettreen avant un répertoire musette résolument historique maisfranchement contemporain. La musique <strong>des</strong> Primitifs valse avecbonheur entre passé et présent grâce à <strong>des</strong> sons et <strong>des</strong> arrangementssurprenants. On ne peut rester insensible à l’emploid’instruments rares comme la scie musicale ou le thérémine, voirele ukulélé (désormais un instrument hype), et aux paroles souventdécalées. Ils sont les seuls à créer ce genre d’ambiance. Une sortede "swing mondain" mais à la richesse musicale sans limites.Les voix de Pierre Barouh, Cravic, Sanseverino, Claire Elzière etLeprest éclairent avec précision ces 45 minutes de "blues français"cher à Boris Vian. Philippe KrümmDAVY GRAHAM"FOLK, BLUES & BEYOND"(Les Cousins Dist. La Baleine)Cet album a marqué l'histoire <strong>du</strong>folk britannique. Sorti en 64, il arévélé au public un chanteur et guitaristeacoustique au talent hors <strong>du</strong>commun. Un jeu instrumental trèsélaboré, d'une énergie sans pareillesert 21 blues, chansons, standardsde jazz, pièces instrumentales (dontla célèbre "Anji"). Des influencesméditeranéennes et orientales traversentsa musique (Mustapha,Maajun, Seven Gypsies). Toujoursen mouvement, cette figure métisse<strong>du</strong> "swinging London" a voyagétrès tôt au Maroc et en Inde, dont ila étudié les systèmes musicaux. Lefruit de ces expériences extra-européennesrejailliront dans ses opusultérieurs (dont 3, enregistrés dansles années 60 ressortent avecBroken Biscuits, élaboré en Ecosserécemment). Pierre Cuny