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Réflexions sur les prix Nobel de physiologie ou médecine *

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Qui était Alfred <strong>Nobel</strong>Né à Stockholm en 1833, mort à 63 ans à San Remo en 1896, Alfred <strong>Nobel</strong>avait été un chimiste <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> valeur en même temps qu'un industriel avisé :en incorporant notamment la nitroglycérine à une substance inerte, parexemple la p<strong>ou</strong>dre <strong>de</strong> diatomées, il avait obtenu un puissant explosifparticulièrement maniable, ce qui facilita gran<strong>de</strong>ment l'exploitation <strong>de</strong>scarrières, la construction <strong>de</strong>s r<strong>ou</strong>tes et <strong>de</strong>s voies ferrées dans <strong>les</strong> régionsmontagneuses, le percement <strong>de</strong>s tunnels et une f<strong>ou</strong>le d'autres actionspacifiques. Le succès mondial <strong>de</strong> la dynamite et <strong>de</strong> plusieurs autres inventionspermit à <strong>Nobel</strong> d'acquérir une immense fortune.Mais le mauvais génie <strong>de</strong> certains hommes ne tarda pas à transformerle bienfait en maléfices : la dynamite fut utilisée p<strong>ou</strong>r <strong>de</strong> meurtriers attentatsanarchistes, et <strong>sur</strong>t<strong>ou</strong>t elle rendit <strong>les</strong> guerres et <strong>les</strong> révolutions plus sanglanteset plus dévastatrices.C'est peut-être le regret <strong>de</strong> voir certaines <strong>de</strong> ses créations si fâcheusementdénaturées qui incita le savant suédois à léguer, par compensation en quelquesorte, la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> son bien à <strong>de</strong>s œuvres humanitaires.Les <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong>Parmi ces fondations, <strong>les</strong> principa<strong>les</strong> furent <strong>de</strong>stinées à récompenser,chaque année à partir <strong>de</strong> 1901, sauf pendant <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux guerres mondia<strong>les</strong>,<strong>les</strong> auteurs <strong>de</strong> déc<strong>ou</strong>vertes au plus haut <strong>de</strong>gré profitab<strong>les</strong> à l'humanité,dans <strong>les</strong> domaines respectifs <strong>de</strong>s sciences physiques, chimiques et médica<strong>les</strong>,à c<strong>ou</strong>ronner une belle œuvre littéraire et à enc<strong>ou</strong>rager <strong>les</strong> efforts <strong>de</strong>quelques-uns p<strong>ou</strong>r le maintien <strong>de</strong> la paix dans le mon<strong>de</strong>.La sagesse <strong>de</strong>s gestionnaires <strong>de</strong> l'héritage du généreux Suédois leur a f<strong>ou</strong>rnila possibilité, en 1969, <strong>de</strong> créer un sixième <strong>prix</strong>, celui <strong>de</strong>s sciences économiques.Les <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> confèrent aux lauréats un renom et une autorité universellementappréciés. Ils leur permettent <strong>de</strong> continuer à travailler en t<strong>ou</strong>teindépendance et leur épargnent t<strong>ou</strong>t s<strong>ou</strong>ci matériel. Les sommes affectées p<strong>ou</strong>run même <strong>prix</strong> sont parfois partagées — et <strong>de</strong> plus en plus fréquemment —entre plusieurs bénéficiaires, mais jusqu'à ce j<strong>ou</strong>r jamais plus <strong>de</strong> trois.Si dans une telle éventualité l'importance financière <strong>de</strong> la récompense setr<strong>ou</strong>ve réduite à la moitié <strong>ou</strong> au tiers, le titre <strong>de</strong> lauréat <strong>Nobel</strong> gar<strong>de</strong>, p<strong>ou</strong>rchacun, son prestige entier.T<strong>ou</strong>s reçoivent, en <strong>ou</strong>tre, une médaille d'or <strong>de</strong> module moyen <strong>de</strong> 65 mm<strong>de</strong> diamètre et d'un poids d'environ 200 g, ce qui, au <strong>prix</strong> actuel <strong>de</strong> l'once,équivaut à une petite fortune.L'avers montre le profil d'Alfred <strong>Nobel</strong> avec, à droite, en lettres et chiffresromains, <strong>les</strong> dates <strong>de</strong> sa naissance et <strong>de</strong> sa mort (fig. 1).Le revers (fig. 2) représente une femme assise, la tête laurée, symbolisantla mé<strong>de</strong>cine ; à côté d'elle se tr<strong>ou</strong>ve un livre entr<strong>ou</strong>vert, duquel s'échappent<strong>de</strong>s feuil<strong>les</strong> <strong>de</strong> laurier.84


Chaque lauréat reçoit, en plus, un somptueux diplôme décoré aux c<strong>ou</strong>leurssuédoises (le bleu et le jaune) et nationa<strong>les</strong> du titulaire. Sur une <strong>de</strong>s pagesintérieures ont été apposées <strong>les</strong> signatures <strong>de</strong>s membres du jury <strong>de</strong> l'InstitutCarolin (fig. 3).Les <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> <strong>physiologie</strong> <strong>ou</strong> mé<strong>de</strong>cine <strong>de</strong>puis la fondation, classéspar nations suivant l'ordre décroissant <strong>de</strong> leur nombreDepuis la fondation <strong>de</strong> ce <strong>prix</strong> (que n<strong>ou</strong>s désignerons désormais simplements<strong>ou</strong>s le nom <strong>de</strong> <strong>prix</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine), c'est-à-dire <strong>de</strong>puis 78 ans, il y eut126 lauréats. Les Etats-Unis en ont compté 50 ; la Gran<strong>de</strong>-Bretagne, 17 ;86


l'Allemagne, 12 ; la France, 7 ; l'Autriche, 5 ; la Suisse, 5 ; la Belgique, 4 ;•a Suè<strong>de</strong>, 4 ; le Danemark, 4 ; <strong>les</strong> Pays-Bas, 3 ; l'Australie, 3 ; la Russie d'avant1917, 2 (l'U.R.S.S. s'étant mise d'elle-même hors <strong>de</strong> la compétition par lacréation du <strong>prix</strong> Staline p<strong>ou</strong>r <strong>les</strong> sciences comme p<strong>ou</strong>r <strong>les</strong> lettres et <strong>les</strong> arts) ;l'Italie, 2 ; le Canada, 2 ; l'Espagne, 1 ; l'Autriche-Hongrie, avant leur séparation,1 ; la Hongrie <strong>de</strong>puis celle-ci, 1 ; le Portugal, 1 ; l'Union sud-africaine,1 ; l'Argentine, 1.Evolution du nombre <strong>de</strong>s lauréats <strong>Nobel</strong> p<strong>ou</strong>r la mé<strong>de</strong>cine, en fonctiondu temps et <strong>de</strong> la géographieP<strong>ou</strong>r suivre cette évolution, n<strong>ou</strong>s avons divisé le nombre total <strong>de</strong>s lauréats<strong>de</strong> ce <strong>prix</strong> en quatre tranches <strong>de</strong> 25 lauréats chacune, plus une cinquième <strong>de</strong> 26(fig. 4).Les Etats-Unis d'Amérique du Nord n'ont eu aucun lauréat dans lapremière tranche. En revanche, ils occupent en nombre presque constammentcroissant la première place dans <strong>les</strong> quatre <strong>de</strong>rnières.L'Allemagne, qui se tenait au premier rang dans la première tranche,recule au troisième rang puis au sixième, p<strong>ou</strong>r remonter au troisième puisdisparaître dans la cinquième.La France, <strong>de</strong>uxième dans la première tranche, passe au cinquième rangdans la <strong>de</strong>uxième tranche, disparaît dans la troisième, reparaît au quatrièmerang dans la quatrième p<strong>ou</strong>r disparaître à n<strong>ou</strong>veau dans la cinquième.La Gran<strong>de</strong>-Bretagne, présente seulement au quatrième rang dans lapremière tranche, se maintient au <strong>de</strong>uxième rang puis au troisième, p<strong>ou</strong>rrevenir au <strong>de</strong>uxième dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières tranches.Les autres nations changent s<strong>ou</strong>vent <strong>de</strong> rang d'une tranche à l'autre.Mais il est intéressant <strong>de</strong> constater que plusieurs petites nations d'Europesont s<strong>ou</strong>vent bien placées, en particulier l'Autriche, la Suisse, la Belgique,<strong>les</strong> Pays-Bas, la Suè<strong>de</strong> et le Danemark.Comparaison par continentsSi maintenant n<strong>ou</strong>s comparons le nombre <strong>de</strong>s lauréats <strong>Nobel</strong> p<strong>ou</strong>r lamé<strong>de</strong>cine obtenus, non par <strong>les</strong> nations comme n<strong>ou</strong>s venons <strong>de</strong> le faire, maispar <strong>les</strong> continents, <strong>les</strong> résultats ne manqueront pas <strong>de</strong> <strong>sur</strong>prendre.La vieille Europe, bien que terriblement meurtrie par <strong>de</strong>ux guerresfratrici<strong>de</strong>s et affaiblie par <strong>de</strong>s crises économiques qui en furent <strong>les</strong> conséquences(on sait que si l'argent est le nerf <strong>de</strong> la guerre, il est aussi celui<strong>de</strong> la recherche scientifique, dans le domaine médical en particulier), la vieilleEurope, dis-je, a réussi à se tenir au premier rang en totalisant 69 lauréats<strong>Nobel</strong> p<strong>ou</strong>r la mé<strong>de</strong>cine.En face <strong>de</strong> ce nomore, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux principa<strong>les</strong> puissances d'Amérique du Nord,<strong>les</strong> Etats-Unis et le Canada, qui n'avaient subi ni invasion <strong>de</strong> leur territoire,ni <strong>de</strong>structions matériel<strong>les</strong>, n'en ont opposé que 52.88


LES LAUREATS DU PRIX NOBEL DE PHYSIOLOGIE OU MEDECINE PAR NATIONALITES( DE 1901 A 1979 )1«r« TRANCHE: 25 LAUREATS, DE 1901 A 1927 ( 26 ans )NATIONSLUALLEMAGt 1LUFRANCEDANEMARtG.BRETAGfRUSSIECANADAITALIEESPAGNESUISSEAUTR. HONGRIEAUTRICHEBELGIQUEPAYS - BASSUEDE5 3 3 2 2 2 1 1 1 1 1 1 1 12'**TRANCHE : 25 LAUREATS, DE 1928 A 1946 ( 18 ans )NATIONS


Il y a là, p<strong>ou</strong>r <strong>les</strong> Européens, un sujet <strong>de</strong> réflexion <strong>sur</strong> lequel n<strong>ou</strong>sreviendrons plus loin.L'Australie, en gran<strong>de</strong> partie désertique et sujette périodiquement à <strong>de</strong>terrib<strong>les</strong> sécheresses, par conséquent à <strong>de</strong> graves crises économiques, a réussià obtenir 3 lauréats. L'Afrique en a obtenu 1 p<strong>ou</strong>r l'Union sud-africaine ;l'Amérique du Sud 1 également p<strong>ou</strong>r l'Argentine.L'Asie, qui est <strong>de</strong> beauc<strong>ou</strong>p le continent le plus peuplé, mais aussi le pluspauvre, a été totalement absente <strong>de</strong> la compétition.Quels furent <strong>les</strong> sept lauréats françaisdu <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine ?Le premier fut Alphonse Laveran qui reçut son <strong>prix</strong> « en reconnaissance<strong>de</strong> ses travaux <strong>sur</strong> le rôle j<strong>ou</strong>é par <strong>les</strong> protozoaires dans certaines maladieshumaines ». Ce bref exposé <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à être un peu développé.Mé<strong>de</strong>cin militaire en Algérie, il déc<strong>ou</strong>vrit en 1880 l'hématozoaire dupaludisme au laboratoire <strong>de</strong> l'hôpital <strong>de</strong> Constantine, avec un microscopequ'aucun élève du c<strong>ou</strong>rs <strong>de</strong> microbiologie <strong>de</strong> l'Institut Pasteur ne consentiraitauj<strong>ou</strong>rd'hui à utiliser.Rentré en France comme professeur agrégé au Val-<strong>de</strong>-Grâce, puis atteintpar l'âge <strong>de</strong> la retraite, il accepte l'offre du Dr R<strong>ou</strong>x <strong>de</strong> diriger, à l'InstitutPasteur, un centre <strong>de</strong> recherches et d'enseignement <strong>de</strong> protistologie créép<strong>ou</strong>r lui. Il consacre une partie importante <strong>de</strong> l'argent <strong>de</strong> son <strong>prix</strong> àl'équipement matériel <strong>de</strong>s trois étages du pavillon donnant <strong>sur</strong> la rue Falguièreet auquel on a donné son nom après sa mort.Laveran entreprit <strong>de</strong> n<strong>ou</strong>vel<strong>les</strong> et méticuleuses recherches. Son centre,animé par lui-même et ses collaborateurs, Félix Mesnil, Emile March<strong>ou</strong>xpuis Emile R<strong>ou</strong>baud et, après eux, André Lwoff et Marguerite Lwoff,Robert Deschiens, Jacques Colas-Belc<strong>ou</strong>r et L<strong>ou</strong>is Lamy, et <strong>de</strong> nombreux« coloniaux » pendant <strong>les</strong> longs mois <strong>de</strong> leurs congés, <strong>de</strong>vint <strong>sur</strong>t<strong>ou</strong>t une trèsactive école où vinrent se former <strong>de</strong> nombreux mé<strong>de</strong>cins militaires et civilsdésireux d'entreprendre <strong>de</strong>s recherches dans <strong>les</strong> hôpitaux et <strong>les</strong> laboratoiresd'Outre-Mer. T<strong>ou</strong>s y rendirent d'immenses services dans la lutte contre <strong>les</strong>maladies tropica<strong>les</strong> <strong>de</strong> l'homme et <strong>de</strong>s animaux : trypanosomiases, leishmanioses,piroplasmoses, pian, mycoses, schistosomoses, ainsi que <strong>sur</strong> <strong>les</strong>arthropo<strong>de</strong>s vecteurs d'infections diverses.Enfin, Laveran et ses collaborateurs créèrent en 1908 la Société <strong>de</strong>pathologie exotique, qui est t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs bien vivante.Le Pavillon Laveran, sérieusement menacé, est maintenant sauvé.Ensuite, vint le t<strong>ou</strong>r d'Alexis Carrel. Resté Français bien qu'il eut choisi<strong>de</strong> travailler une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> sa vie aux Etats-Unis, il reçut le <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong><strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine p<strong>ou</strong>r ses beaux travaux <strong>sur</strong> « la suture vasculaire et <strong>les</strong>transplantations d'organes ». Il perfectionna aussi <strong>les</strong> techniques <strong>de</strong> culture<strong>de</strong> tissus et <strong>de</strong> cellu<strong>les</strong>. Ces <strong>de</strong>rnières métho<strong>de</strong>s <strong>ou</strong>vrirent plus tard la voieà <strong>de</strong> nombreuses recherches <strong>sur</strong> le cancer et, plus récemment, après lui,90


à la préparation <strong>de</strong>s vaccins préventifs contre certaines maladies vira<strong>les</strong>,comme la poliomyélite. Carrel est <strong>sur</strong>t<strong>ou</strong>t connu du grand public par sonlivre : L'Homme, cet inconnu.La déc<strong>ou</strong>verte <strong>de</strong> l'anaphylaxie par le grand physiologiste, philosophe eta<strong>de</strong>pte convaincu du spiritisme, Char<strong>les</strong> Richet, fut récompensée par le <strong>prix</strong><strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> 1913. Il fut l'un <strong>de</strong>s inventeurs <strong>de</strong> la sérothérapie passive.Quinze ans plus tard (<strong>les</strong> <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong>s Français s'espacent !), c'estChar<strong>les</strong> Nicolle qui obtint le sien en 1928 p<strong>ou</strong>r ses recherches <strong>sur</strong> le typhusexanthématique. Il avait montré expérimentalement que cette red<strong>ou</strong>tablemaladie épidémique était transmise à l'homme par le p<strong>ou</strong> du corps, d'oùil ressortait que la quarantaine et l'ép<strong>ou</strong>illage étaient <strong>les</strong> moyens immédiatementefficaces p<strong>ou</strong>r lutter contre <strong>les</strong> épidémies <strong>de</strong> typhus. De fait,<strong>sur</strong> <strong>les</strong> fronts français et allemand, grâce aux me<strong>sur</strong>es systématiques <strong>de</strong>quarantaine p<strong>ou</strong>r <strong>les</strong> tr<strong>ou</strong>pes venant d'Afrique du Nord, d'Orient et d'Extrême-Orient, et malgré la pullulation <strong>de</strong> la vermine dans <strong>les</strong> tranchées, il n'y eutpas <strong>de</strong> typhus.Mais dans <strong>les</strong> Balkans, lors <strong>de</strong> la retraite <strong>de</strong> Serbie en 1915, en R<strong>ou</strong>manieet en Russie, en raison <strong>de</strong> la misère <strong>de</strong>s populations aggravée par <strong>les</strong> défaiteset <strong>les</strong> révolutions, la maladie prit <strong>de</strong>s proportions désastreuses et prolongées.Qu'on se s<strong>ou</strong>vienne <strong>de</strong> la terreur inspirée par le typhus dans le roman <strong>de</strong>Boris Pasternak intitulé : Le docteur Jivago.Lénine lui-même, dans son disc<strong>ou</strong>rs du 6 décembre 1919 aux Commissairesdu Peuple, rendit, sans le nommer, un discret hommage à Char<strong>les</strong> Nicolle :« Camara<strong>de</strong>s, proclame-t-il, voici le troisième fléau qui s'approche, le p<strong>ou</strong> qui,avec le typhus, fauche notre armée. Ici, il est impossible d'imaginer l'horreurqui règne dans <strong>les</strong> contrées infestées par le typhus exanthématique, quandla population est affaiblie... Camara<strong>de</strong>s, soyez vigilants, <strong>les</strong> p<strong>ou</strong>x vaincrontle communisme <strong>ou</strong> le communisme triomphera du p<strong>ou</strong>. »Trente-sept ans plus tard (l'intervalle est encore plus long p<strong>ou</strong>r <strong>les</strong>Français), trois <strong>de</strong> nos compatriotes se partagent le <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> en 1965 :André Lwoff, François Jacob et Jacques Monod, p<strong>ou</strong>r leurs « déc<strong>ou</strong>vertesconcernant le contrôle génétique <strong>de</strong>s enzymes et la synthèse <strong>de</strong>s virus » (3).Ainsi, le pays qui a donné au mon<strong>de</strong> L<strong>ou</strong>is Pasteur et ses brillantscollaborateurs, Clau<strong>de</strong> Bernard et ses élèves, n'a reçu que sept <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong><strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine.Est-ce à dire qu'il n'en méritait pas plus ? Rien n'est plus contraire à lavérité. Chacun <strong>de</strong> v<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>rrait citer trois, quatre, cinq noms <strong>de</strong> savantsfrançais qui eussent été dignes <strong>de</strong> figurer <strong>sur</strong> la liste.Cependant, n<strong>ou</strong>s n<strong>ou</strong>s gar<strong>de</strong>rons p<strong>ou</strong>r l'instant d'en nommerun seul.Rendons hommage au Comité <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine ; sa tâche n'est pas facileet il l'accomplit certainement en t<strong>ou</strong>te conscience.(3) P<strong>ou</strong>r plus <strong>de</strong> détails <strong>sur</strong> ces importantes recherches, le lecteur est prié <strong>de</strong> sereporter à l'article <strong>de</strong> l'un <strong>de</strong> n<strong>ou</strong>s (P.N.), publié dans le Bulletin <strong>de</strong> liaison <strong>de</strong> l'Association<strong>de</strong>s anciens élèves et diplômés <strong>de</strong> l'Institut Pasteur (1965, n° 26, 175-178).91


Mais, malgré sa foncière honnêteté, il est s<strong>ou</strong>mis chaque année à <strong>de</strong>spressions d'ordre diplomatique et à cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> sociétés savantes qu'il est tenu<strong>de</strong> consulter.La question linguistique aussi a une gran<strong>de</strong> importance ; elle n'a jamais(<strong>ou</strong> presque jamais) été favorable aux Français : avant la Première Guerremondiale et pendant une partie <strong>de</strong> l'entre-<strong>de</strong>ux-guerres, l'allemand était lalangue scientifique en Suè<strong>de</strong> ; <strong>de</strong>puis la Secon<strong>de</strong>, c'est l'anglais.Enfin, p<strong>ou</strong>r <strong>les</strong> jeunes générations, l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Etat en faveur <strong>de</strong> la recherchemédicale en France a été s<strong>ou</strong>vent très insuffisante. On est en droit d'espérercependant que l'avenir, sauf catastrophes, sera meilleur.Les lauréats <strong>Nobel</strong> p<strong>ou</strong>r la mé<strong>de</strong>cine,<strong>de</strong>s étrangers ayant travaillé une notable partie <strong>de</strong> leur vie en FranceIl serait équitable, à notre avis, <strong>de</strong> porter au crédit <strong>de</strong> notre pays quelqueslauréats <strong>Nobel</strong> p<strong>ou</strong>r la mé<strong>de</strong>cine qui, quoique étrangers, ont été formés enFrance, et t<strong>ou</strong>t particulièrement à l'Institut Pasteur, <strong>ou</strong> y ont tr<strong>ou</strong>vé <strong>de</strong>sconditions favorab<strong>les</strong> à leurs travaux.L'un d'eux fut le zoologiste russe Elie Metchnikoff (<strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> 1908)partagé avec l'Allemand Paul Ehrlich. Il avait constaté, à Messine, le premierexemple d'un phénomène <strong>de</strong> phagocytose. L<strong>ou</strong>is Pasteur, vivement intéressépar ces recherches, l'invita à travailler dès 1888 dans le t<strong>ou</strong>t n<strong>ou</strong>vel Institutauquel son nom a été donné.Ent<strong>ou</strong>ré <strong>de</strong> nombreux collaborateurs dont beauc<strong>ou</strong>p étaient <strong>de</strong>s compatriotesqui avaient fui comme lui le régime tsariste, le savant russe put, enl<strong>ou</strong>te tranquillité, approfondir la question <strong>de</strong> l'immunité cellulaire et se livrerà une infinité d'autres problèmes. Son érudition était si vaste et sa connaissance<strong>de</strong> plusieurs langues étrangères si utile que <strong>de</strong> nombreux pastoriensvenaient le consulter p<strong>ou</strong>r se documenter <strong>sur</strong> ce qui se publiait en microbiologiedans le mon<strong>de</strong> entier. Très vite, il prit une place considérable dansl'Institut Pasteur et il fut nommé avant la Première Guerre s<strong>ou</strong>s-directeur.Il est mort à Paris en 1916 ; l'urne contenant ses cendres est conservée dansla bibliothèque <strong>de</strong> notre vieille maison.Ju<strong>les</strong> Bor<strong>de</strong>t, Belge, ancien assistant à l'Institut Pasteur dans le service<strong>de</strong> Metchnikoff puis fondateur et premier directeur <strong>de</strong> l'Institut Pasteur<strong>de</strong> Brabant, reçut le <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> 1919 p<strong>ou</strong>r ses travaux — commencés enFrance — <strong>sur</strong> l'immunité et l'invention <strong>de</strong> la réaction <strong>de</strong> fixation <strong>de</strong> l'alexineen présence <strong>de</strong> globu<strong>les</strong> sanguins sensibilisés, réaction qui, reprise parWasserman p<strong>ou</strong>r le diagnostic <strong>de</strong> la syphilis, a acquis le développement quel'on sait. Avec Geng<strong>ou</strong>, il avait p<strong>ou</strong>r la première fois isolé, cultivé et étudiéle bacille <strong>de</strong> la coqueluche, auj<strong>ou</strong>rd'hui dénommé Haemophilus pertussis.Son livre <strong>sur</strong> L'Immunité, écrit pendant l'occupation alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong> la Belgique<strong>de</strong> 1914 à 1918, est un monument d'intelligence et d'érudition.Axel Hugo Theodor Theorell, Suédois, ancien élève du c<strong>ou</strong>rs <strong>de</strong> l'InstitutPasteur, ancien assistant d'Albert Calmette, fut récompensé par le <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong>92


<strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine en 1955 p<strong>ou</strong>r « ses déc<strong>ou</strong>vertes relatives à la nature et au mo<strong>de</strong>d'action <strong>de</strong>s enzymes oxydantes », notamment le « ferment jaune » <strong>de</strong> la levurequ'il réussit à isoler par électrophorèse et à cristalliser.Enfin, Daniel Bovet, Suisse naturalisé italien, ancien élève à l'InstitutPasteur d'Ernest F<strong>ou</strong>rneau, et collaborateur <strong>de</strong> Jacques et Thérèse Tréf<strong>ou</strong>ëlet <strong>de</strong> Frédéric Nitti, mérita le <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> 1957 p<strong>ou</strong>r ses recherches, enItalie, <strong>sur</strong> <strong>les</strong> substances artificiel<strong>les</strong> utilisées en thérapeutique <strong>de</strong>s maladiesinfectieuses, dans <strong>les</strong> allergies, la maladie <strong>de</strong> Parkinson et l'anesthésie par<strong>les</strong> curares <strong>de</strong> synthèse.Ainsi, le nombre <strong>de</strong>s lauréats <strong>Nobel</strong> français et celui <strong>de</strong>s étrangerspastoriens <strong>ou</strong> non pastoriens passe <strong>de</strong> 7 à 11 ; il atteint, à une unité près,celui attribué à l'Allemagne.C'est encore trop peu par rapport à ce qu'on était en droit d'espérer.Que n<strong>ou</strong>s réserve l'avenir ? T<strong>ou</strong>t dépend, en gran<strong>de</strong> partie, <strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong>financière qui sera accordée aux chercheurs par l'Etat et par la générositépublique.Les lauréats <strong>Nobel</strong>, Français <strong>de</strong> naissance,puis émigrés aux Etats-Unis et naturalisés AméricainsAndré C<strong>ou</strong>rnand partagea le <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> <strong>de</strong> 1956 avec <strong>les</strong> AllemandsW. Forsmann et D.W. Richard Jr p<strong>ou</strong>r leurs déc<strong>ou</strong>vertes concernant lecathétérisme du cœur et l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s modifications pathologiques que l'on peutdéceler dans l'appareil circulatoire grâce à ce procédé.Enfin, Roger Guillemin reçut, avec Andrew Schally, la moitié du <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong><strong>de</strong> 1977 p<strong>ou</strong>r leur déc<strong>ou</strong>verte <strong>de</strong> la production d'une hormone peptidiquepar le cerveau.Ces Français, ayant reçu le <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> comme citoyens <strong>de</strong>s Etats-Unis,n'ont pas été comptés comme <strong>prix</strong> <strong>Nobel</strong> français.93

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