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de la guadeloupe - Manioc

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LESANTILLESFRANÇAISES,PARTICULIÈREMENTLA GUADELOUPE,DEPUIS LEUR DÉCOUVERTE JUSQU'AU 1 er NOVEMBRE 1825,PARLE COLONEL BOYER-PEYRELEAU (EUGÈNE-ÉDOUARD),OUVRAGE ORNÉ D'UNE CARTE NOUVELLE DE LA GUADELOUPE ET DEQUATORZE TABLEAUX STATISTIQUES.DEUXIÈMEÉDITIONTOME SECOND.A PARIS,CHEZ LADVOCAT, LIBRAIREDE S. A. R. M O N S E I G N E U R LE DUC DE C H A R T R E S ,Pa<strong>la</strong>is-Royal, galerie <strong>de</strong> bois.M. DCCC XXVI.


LESANTILLESFRANÇAISES,PARTICULIÈREMENTLA GUADELOUPE,DEPUISLEUR DÉCOUVERTE JUSQU'AU 1 er NOVEMBRE 1825,


IMPRIMERIЕDE CARPENTIER-MÉRICOURT , RUE DE GRENELLE-SAINT-HONORÉ,N° 59.


LESANTILLESFRANÇAISES,PARTICULIEREMENTLA GUADELOUPE,DEPUIS LEUR DÉCOUVERTE JUSQU'AU 1 er NOVEMBRE 1825,PARLE COLONEL BOYER-PEYRELEAU (EUGÈNE-ÉDOUARD) ,OUVRAGE ORNÉD'UNE CARTE NOUVELLE DE LA GUADELOUPE ET DEQUATORZE TABLEAUX STATISTIQUES.Nos colonies <strong>de</strong>s îles Antilles sont admirables;elles ont <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> commerce que nous n'avonsni ne pouvons avoir; elles manquent <strong>de</strong> cequi fait l'objet du nôtre.Esprit <strong>de</strong>s Lois, LIV. 21, chap. 21.DEUXIÈMEÉDITION.TOMESECOND.APARIS,CHEZ LADVOCAT, LIBRAIREDE S. A. R. M O N S E I G N E U R LE DUC DE C H A R T R E S ,Pa<strong>la</strong>is-Royal, galerie <strong>de</strong> bois.M. DCCC XXV.


LIVREQUATRIÈME.Suite du Système colonial et <strong>de</strong> sesvariations.CHAPITRE III.De <strong>la</strong> Religion et du Clergé.L'INTOLÉRANCE religieuse, qui signa<strong>la</strong> le regne <strong>de</strong>Louis XIII, fit insérer , dans le contrat que ledinal <strong>de</strong> Richelieu passa, en 1635 avec <strong>la</strong> premièrecompagnie occi<strong>de</strong>ntale, une c<strong>la</strong>use par <strong>la</strong>quelle ilétait défendu <strong>de</strong> faire passer aux colonies naissantesd'autres individus que <strong>de</strong>s Français professant <strong>la</strong>religion catholique. Un préjugé ,aussi impolitiqueque barbare, défendait à un Français 'protestant,homme <strong>de</strong> bien, <strong>la</strong>borieux et utile, d'aller enrichirles colonies <strong>de</strong> son industrie, <strong>de</strong> l'exemple <strong>de</strong>ses vertus , et d'y réc<strong>la</strong>mer les droits <strong>de</strong> citoyenII. 1car


(2)qu'on y accordait à un catholique, souvent échappéà <strong>la</strong> rigueur <strong>de</strong>s tribunaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, et quelquefoisflétri par eux.Le manque <strong>de</strong> bras, dont ces premiers établissemenseurent tant à souffrir, ne changea point <strong>la</strong> politiquedu gouvernement. Un édit du roi, du mois <strong>de</strong>mars 1642, confirma ces défenses, et proscrivitdans les îles l'exercice <strong>de</strong> tout autre culte que celui<strong>de</strong> <strong>la</strong> religion catholique.En 1678, on défendit aux protestans, qui s'y étaientintroduits, <strong>de</strong> s'assembler pour prier, même à voixbasse.Un ordre, émané du souverain, le 24 septembre1685 , enjoignit <strong>de</strong> chasser tous les Juifs <strong>de</strong>s possessionsfrançaises d'Amérique (1). Un nouvel édit,du mois <strong>de</strong> mars 1685 , fit revivre ces dispositionscontre les juifs, à peine <strong>de</strong> confiscation <strong>de</strong> corps et<strong>de</strong> biens (2): et sept mois après, au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> ré-•vocatioti <strong>de</strong> l'édit <strong>de</strong> Nantes, le 22 octobre 1685, ilfut ordonné <strong>de</strong> se saisir, dans les colonies, <strong>de</strong> tous,les biens <strong>de</strong>s protestans et <strong>de</strong> les séquestrer.(1) 2° vol. <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine.(2) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 1 er , page 41. C'étaitcependant à un juif, à Benjamin Dacosta, que <strong>la</strong>Martinique <strong>de</strong>vait <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s cannes à sucre, qu'il yintroduisit vers 16S0.


( 3 )Telle était <strong>la</strong> fausse application qu'on faisait alors<strong>de</strong>s principes d'une religion dont <strong>la</strong> douceur et <strong>la</strong>charité fout si bien connaître à l'homme ce qu'ildoit à Dieu, à ses semb<strong>la</strong>bles et à lui-même.Par <strong>la</strong> suite , ces lois restèrent sans force, et peuà peu tombèrent en désuétu<strong>de</strong>. Le besoin qu'on avait<strong>de</strong>s protestans et <strong>de</strong>s Juifs fit fermer les yeux surceux qui allèrent s'établir aux colonies. On finit pary recevoir <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> tous les pays, <strong>de</strong> toutesles religions, sans s'informer du lieu qui les avaitvu naître, ni <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion qu'ils professaient,lorsqu'ils n'étaient ni méchans ni trompeurs, etqu'ils s'abstenaient <strong>de</strong> tout exercice public <strong>de</strong> leurculte. On y envoya <strong>de</strong>s missionnaires pour prêcher<strong>la</strong> parole <strong>de</strong> Dieu, et travailler à <strong>la</strong> conversion <strong>de</strong>ssauvages. Les capucins furent les premiers religieuxque le fondateur <strong>de</strong>s colonies, Desnambuc,appe<strong>la</strong> à Saint-Christophe en 1626.En 1635, le cardinal <strong>de</strong> Richelieu fit partir, avecLolive et Duplessis, pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, quatredominicains (jacobins ou pères b<strong>la</strong>ncs), qui prenaientle titre <strong>de</strong> missionnaires <strong>de</strong> l'ordre <strong>de</strong>s frèresprêcheurs. Le bref que le pape Urbain VIII leurdonna, fut une dérogation, quoique tacite, auxbulles d'Alexandre VI et <strong>de</strong> Jules II, en faveur <strong>de</strong>sEspagnols et <strong>de</strong>s Portugais.Les jésuites ont été les premiers missionnairesI


(4)envoyés à <strong>la</strong> Martinique ; ils s'y établirent en 1639,et y <strong>de</strong>meurèrent seuls jusqu'en 1654, époque à <strong>la</strong>quelleM. du Parquet fonda une maison <strong>de</strong> dominicains, dans <strong>la</strong> paroisse du Mouil<strong>la</strong>ge.Les capucins <strong>de</strong> Saint-Christophe, s'étant montrésdévoués au général Thoisy-Patrocles, dans <strong>la</strong> guerrecivile <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux gouverneurs, furent chassés, eu1646, par M. <strong>de</strong> Poincy, qui les remp<strong>la</strong>ça par <strong>de</strong>sjésuites tirés <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.Ces capucins se réfugièrent à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, oùle gouverneur Houel les accueillit; mais ils furentautorisés simplement à dire <strong>la</strong> messe, et cette faveurne leur fut même accordée que le 21 novembre 1648.M. Houel étant <strong>de</strong>venu seigneur-propriétaire <strong>de</strong><strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, en 1649, se brouil<strong>la</strong> avec les quatredominicains qui s'y trouvaient, et leur ôta l'emp<strong>la</strong>cementdont <strong>la</strong> compagnie les avait gratifiés pardélibérations <strong>de</strong>s 1 er décembre 1638, 5 octobre 1639et 5 mai 1645. Il avait fait venir <strong>de</strong>s carmes, et formé<strong>de</strong>ux paroisses ; il contraignit les habitans à ne fréquenterque l'église <strong>de</strong>sservie par ces religieux; maiss'étant aussi brouillé avec les carmes, il appe<strong>la</strong> <strong>de</strong><strong>la</strong> Martinique <strong>de</strong>ux jésuites, qui se contentèrentd'abord d'administrer une espèce d'hospice, et neprirent que plus tard <strong>la</strong> charge <strong>de</strong>s âmes.Vers <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1650, M. <strong>de</strong> Boisseret, beau-frèreet co-propriétaire <strong>de</strong> M. Houel, lui envoya <strong>de</strong> Paris


( 5 )<strong>de</strong>ux pères Augustins, que <strong>la</strong> mort ne tarda pas àmoissonner, et qui furent les seuls <strong>de</strong> cet ordrequ'on y ait fait passer.Une mission <strong>de</strong> carmes se fixait dans le mêmetemps à Saint-Christophe ; les dominicains y établirentun <strong>de</strong> leurs couvens, en 1665.Les capucins, les dominicains, les jésuites et lescarmes, furent donc les quatre ordres qui eurentaux Antilles <strong>de</strong>s missions religieuses chargées <strong>de</strong> <strong>la</strong>conversion <strong>de</strong>s sauvages, <strong>de</strong> l'instruction <strong>de</strong>s nègres,<strong>de</strong> l'exercice et <strong>de</strong> <strong>la</strong> célébration du culte dans lesparoisses. Il est à remarquer que, dans les brefs que<strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Rome donnait aux supérieurs <strong>de</strong> ces missionset aux préfets apostoliques, elle évita, pendant23 ans <strong>de</strong> reconnaître le roi <strong>de</strong> France comme souverain<strong>de</strong> ses colonies, sous prétexte <strong>de</strong> ne pas porteratteinte aux bulles d'Alexandre VI et <strong>de</strong> Jules II.La cour <strong>de</strong> Versailles souffrait que le pape ne donnâtau roi que le simple titre <strong>de</strong> protecteur <strong>de</strong>s religieuxmissionnaires employés dans ses possessionsd'outre-mer. Enfin, Alexandre VII passa outre, etreconnut formellement, dans le bref qu'il expédiaen 1658, au préfet apostolique <strong>de</strong> <strong>la</strong> mission <strong>de</strong>sdominicains , <strong>la</strong> souveraineté du roi <strong>de</strong> France surses possessions d'Amérique ; et <strong>de</strong>puis, les papes sessuccesseurs ont toujours suivi cet exemple (1).(1) Le père Labat.


(6)Les missionnaires <strong>de</strong>s quatre ordres exercèrent d'abordleur ministère gratis ; ensuite il leur fut alloué,chaque année, un revenu en sucre, sur l'état du domained'occi<strong>de</strong>nt. Bientôt ils acquirent <strong>de</strong>s propriétés,s'occupèrent du temporel avec plus <strong>de</strong> zèleque du spirituel, créèrent dans toutes les colonies<strong>de</strong>s établissemens considérables, acquirent <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>srichesses, et obligèrent le gouvernement à réprimersouvent le scandale <strong>de</strong> leur conduite (1).Eu 1658, les dominicains possédaient déjà, parles soins du père Raymond-Breton, les plus beauxétablissemens <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. C'était sans douteun bel exemple d'encouragement pour les colons;mais était-ce à <strong>de</strong>s religieux qui avaient fait voeud'humilité et <strong>de</strong> pauvreté, à donner celui <strong>de</strong> l'accaparcîpent<strong>de</strong>s produits et <strong>de</strong> l'accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>srichesses ?En 1664, les carmes <strong>de</strong>sservaient, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,<strong>la</strong> paroisse du Fort, qui <strong>de</strong>vint celle du montCarmel, et qu'ils continuèrent d'administrer jusqu'aumoment <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution. Les dominicainsétaient chargés <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> Capesterre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> paroisse<strong>de</strong> Saint-François , qui passa plus tard auxcapucins.Les jésuites n'avaient alors à s'occuper que <strong>de</strong>l'instruction <strong>de</strong>s nègres.(1) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 1 er , page 168.


(7)Dès 1683, on voyait quelques prêtresséculiersdans <strong>la</strong> colonie, et <strong>de</strong>puis il y en est toujours venuquelques-uns, pour chercher à faire fortune dans <strong>la</strong>gestion <strong>de</strong>s paroisses vacantes.A cette époque (1683), un capucin fut chargé <strong>de</strong><strong>de</strong>sservir <strong>la</strong> paroisse <strong>de</strong>s Habitans ; son traitementfut fixe à 6000 liv., somme considérable alors surtoutpour un homme qui avait fait vœu <strong>de</strong> pauvreté,et à qui l'usage <strong>de</strong> l'argent <strong>de</strong>vait être interdit.La Gran<strong>de</strong>-Terre n'avait encore qu'un seul ministre<strong>de</strong>s autels ; on y en établit un second en 1683,et il fut alloué 6000 liv. <strong>de</strong> traitement à chacun (1).Les frères <strong>de</strong> là charité,<strong>de</strong> l'ordre <strong>de</strong> saint Jeun <strong>de</strong> Dieu,sous le nom <strong>de</strong> religieuxfurent établis àl'hôpital <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par lettres-patentes du5 novembre 1685; ils ne le furent à <strong>la</strong> Martiniqueet dans les autres colonies qu'en février 1686. Onleur fit don, à perpétuité, <strong>de</strong>s hôpitaux, avec toutesleurs dépendances, pour y soigner et médicamenterles soldats, les marins et les nécessiteux (2); ilsse sont toujours acquittés <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> manièreà mériter l'estime et l'approbation <strong>de</strong> toutes les colonies; mais les abus qui se glissèrent parmi le clergé(1) 2 e volume <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine.(2) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 1 er , page 56, etsuivante.


( 8 )<strong>de</strong> nos îles du vent, étaient tels que, dans les instnictionsremises à MM. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Varenne et <strong>de</strong> Ricouart,en 1716, et dans celles envoyées aux gouverneurset intendans qui leur ont succédé, le roi donnaitl'ordre spécial <strong>de</strong> veiller sur les mœurs et <strong>la</strong> conduite<strong>de</strong>s prêtres, dont plusieurs avaient déjà causédu scandale, dans un pays où ils ne pouvaient tropédifier les peuples, et <strong>de</strong> faire respecter <strong>la</strong> religion,seule puissance capable d'imposer un frein à <strong>de</strong>sêtres dégradés par <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong> , et <strong>de</strong>venant, dansl'esc<strong>la</strong>vage, insensibles à l'honneur, à <strong>la</strong> honte et auxchâtimens.Les jésuites, qu'on rétablit aujourd'hui sous lenom équivoque <strong>de</strong> pères <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi, ne parvinrent,dans les <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> puissance quiles rendit redoutables, même aux rois , qu'en acqué-.rant, par toutes sortes <strong>de</strong> voies, les biens immensesqu'ils possédaient au Canada et dans les Antilles. Ilsrégnaient en souverains dans le Paraguay, au momentoù ils furent expulsés avec éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> toute <strong>la</strong>catholicité. Les douze parlemens <strong>de</strong> France prononcèrentleur expulsion ; celui <strong>de</strong> Paris déc<strong>la</strong>ra,par son arrêt du 6 août 1762, « leur institutinadmissible, par sa nature, dans tout état policé,contraire au droit naturel, attentatoire à toute» autorité spirituelle et temporelle, et tendant à» introduire, dans l'église et dans les états, sous le» voile spécieux d'un institut religieux, non un


(9)» ordre qui aspire véritablement et uniquement à» <strong>la</strong> perfection évangélique, mais plutôt un corps» politique dont l'essence consiste dans une activité» continuelle pour parvenir, par toutes sortes <strong>de</strong>» voies directes ou indirectes, sour<strong>de</strong>s ou publi-» ques, d'abord à une indépendance absolue, et» successivement à l'usurpation <strong>de</strong> Toute autorité.»Aux Antilles comme partout ailleurs, cet ordrene cessa pas d'aspirer à <strong>la</strong> suprématie, et <strong>de</strong> s'arroger<strong>de</strong>s droits et <strong>de</strong>s privilèges, même aux dépens <strong>de</strong>sautres communautés. Elles lui reprochèrent surtout<strong>de</strong> n'avoir jamais parlé que <strong>de</strong> lui seul dans toutesles histoires qu'il a composées, sans faire aucunemention <strong>de</strong>s capucins, <strong>de</strong>s dominicains et <strong>de</strong>s carmes, qui avaient commencé d'y cultiver <strong>la</strong> vigne duSeigneur.Après l'expulsion <strong>de</strong>s jésuites, leurs biens furentréunis au domaine du roi (1); le spirituel <strong>de</strong>s coloniesfut partagé en trois districts, entre les dominicains, les carmes et les capucins , sous le titre <strong>de</strong>missions apostoliques. Le supérieur <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>(1) A <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, l'habitation du Bisdary, quileur appartenait, fut affermée jusqu'à <strong>la</strong> révolution , etn'a jamais été aliénée,A <strong>la</strong> Martinique, <strong>la</strong> belle propriété qu'ils avaient àSaint-Pierre, fut vendue.


(10)ces ordres était en même temps préfet apostolique,et pouvait substituer à sa p<strong>la</strong>ce un vice-préfet.Comme supérieur régulier, il tenait sa mission <strong>de</strong>schefs <strong>de</strong> son ordre; comme préfet apostolique, ilrelevait immédiatement du pape, et exerçait sespouvoirs en vertu <strong>de</strong> lettres d'attache du roi, enregistréesaux tribunaux.Tout ce qui concernait le spirituel <strong>de</strong> <strong>la</strong> religionétait <strong>de</strong> son ressort, sauf l'abus, dont <strong>la</strong> connaissanceétait attribuée aux tribunaux supérieurs ,comme elle était réservée aux parlemens, dans leroyaume.L'autorité, départie au préfet par le Saint-Siège,ou par les supérieurs -majeurs <strong>de</strong> l'ordre, était indépendante<strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance temporelle, <strong>de</strong> mêmeque celle <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> France, qui ne <strong>de</strong>vaientcompte qu'à Dieu, <strong>de</strong> l'usage qu'ils en faisaient.L'inspection sur le culte extérieur, sur <strong>la</strong> personne,les mœurs et les fonctions <strong>de</strong>s missionnaires,appartenait, en commun, aux <strong>de</strong>ux chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie,en ce qui concernait <strong>la</strong> haute police, et àl'exclusion <strong>de</strong>s tribunaux.Il n'y avait point <strong>de</strong> curé proprement dit; les<strong>de</strong>sservants <strong>de</strong>s paroisses étaient amovibles ; les préfetsapostoliques leur donnaient et leur retiraient,selon leur bon p<strong>la</strong>isir, le droit d'exercer les fonctionscuriales. Un ecclésiastique, quel qu'il fût, nepouvait remplir aucune <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> son minis-


(11)tère, sans une commission du préfet apostolique,qui <strong>la</strong> retirait comme il l'avait confiée, et pouvaitemprunter les secours <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance temporelle,s'il y avait scandale, contre celui qui l'avait occasioné.Si c'était un religieux, on le rappe<strong>la</strong>it dans<strong>la</strong> maison conventuelle , ou on le renvoyait enFrance, selon <strong>la</strong> gravité du cas.Les <strong>de</strong>sservans <strong>de</strong>s paroisses tenaient <strong>de</strong>s registres<strong>de</strong> naissances , mariages et décès <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>ncs et<strong>de</strong>s gens libres <strong>de</strong> couleur; ces registres, signés pareux, légalisés par leurs supérieurs, arrêtés, cotéset paraphés par le juge du lieu , étaieint envoyés enFrance, et déposés dans les archives <strong>de</strong> Versailles.Les trois ordres <strong>de</strong>s missions apostoliques se détestaientcordialement entre eux, mais se soutenaientpolitiquement <strong>de</strong> tous leurs efforts. Lesfonctions <strong>de</strong> leur ministère, sublimes quand ellessont <strong>la</strong> pure émanation <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> l'Évangile,et lorsqu'on les exerce gratuitement, perdaient toutleur mérite aux colonies, où on peut dire que lesprêtres ne voyaient dans le service <strong>de</strong>s autels qu'uneprofession lucrative. Ils cessaient bientôt d'observerles règles qu'ils suivaient en France ; sous prétexte<strong>de</strong> se garantir <strong>de</strong>s influences du climat, ils étaientbien chaussés, bien vêtus , ne mendiaient point,et prouvaient, par leurs gran<strong>de</strong>s richesses, qu'ilsne se rappe<strong>la</strong>ient plus <strong>de</strong> leurs vœux. Cependant,comme l'a très-bien observé M. <strong>de</strong> Malouet,


(12)un capucin, si religieux qu'il puisse être, n'est pluscapucin dès qu'il est tout couvert <strong>de</strong> linge et d'étoffesfines, qu'il est servi par un sérail <strong>de</strong> mulâtresses, et qu'il réunit à profusion chez lui tous lesbiens et toutes les jouissances <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.Le tarif <strong>de</strong>s articles <strong>de</strong> leur casuel était à très-hautprix, quoiqu'il eût été fixé à diverses époques (1);et ces ministres du Dieu <strong>de</strong> bonté et <strong>de</strong> charitévendaient leurs secours spirituels avec une indécencepeu conforme aux préceptes <strong>de</strong> l'Evangile.La révolution vint changer l'état <strong>de</strong>s ministres<strong>de</strong>s autels. L'assemblée constituante mit les propriétéset les revenus ecclésiastiques à <strong>la</strong> disposition<strong>de</strong> <strong>la</strong> nation, par son décret du 2 novembre 1789;et par celui du 13 février 1790, elle interdit lesvœux monastiques.En vertu <strong>de</strong> ces lois, les frères <strong>de</strong> <strong>la</strong> charité, dontl'utilité était généralement reconnue , furent supprimésà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, vers <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l'année 1791,par le gouverneur et l'assemblée coloniale, au mépris<strong>de</strong> tous les principes (2); on s'empara <strong>de</strong> leurspropriétés, et, par une inconséquence difficile à ex-(1) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique , 1 er vol. page 559 et, suiv.3 e vol. page 39 et suiv.(2) Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale,page 39.


(13)pliquer, on respecta l'ordre et les revenus <strong>de</strong>s dominicains, qu'on <strong>la</strong>issa disposer à leur gré <strong>de</strong>s ricliessesimmenses qu'ils avaient amassées.Cependant les préfets apostoliques ne furent supprimés,dans les colonies, que par l'assemblée légis<strong>la</strong>tive,le 10 septembre 1792 (1), et les biens duclergé ne lui furent enlevés qu'en 179З.Après le traité d'Amiens, le premier consul confirma,en 1802, les préfets apostoliques et les curésqui existaient encore aux colonies, et en établit <strong>de</strong>nouveaux. 11 assura leur sort, en leur allouant <strong>de</strong>shonoraires, <strong>de</strong> tout temps payés par les paroisses, quis'imposaient <strong>de</strong> 5 à 6000 livres par an. Les curés disposèrent,en outre, dans leurs fonctions, <strong>de</strong>s charités<strong>de</strong> tous les fidèles, dont les dons sont abondans auxcolonies. Un décret fixa, à cette époque, le casuel <strong>de</strong>séglises, sans déterminer le prix <strong>de</strong>s divers articles <strong>de</strong>ce casuel, qui est très-considérable dans ces contrées;car tous ceux qui y ont exercé <strong>de</strong>s fonctions curiales,ont fait d'assez gran<strong>de</strong>s fortunes, ou s'y sont assuréune existence indépendante. Le môme décret rég<strong>la</strong>aussi les droits <strong>de</strong> fabrique, et les rendit très-distinctsdu casuel.D'après cette organisation, qui <strong>de</strong>puis, a toujours(1) Recueil <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine et <strong>de</strong>s colonies, 3 evol, page 131.


(14)été en vigueur , les curés ou <strong>de</strong>sservans <strong>de</strong>s paroissessont institués simplement ministres du culte ,ne tiennent à aucune congrégation, et relèvent,quant an spirituel, <strong>de</strong>s préfets apostoliques. Cespréfets sont nommés et peuvent être révoqués, à volonté,par le gouvernement; ils reçoivent du papeleur mission épiscopale (qui réunit les attributions<strong>de</strong>s évêques, excepté l'ordination) et <strong>de</strong> l'archevêque<strong>de</strong> Paris leur mission ordinaire.Les propriétés appartenant aux anciennes missionscontinuent d'être administrées par le domaine, et leur revenu est affecté, avant tout, au traitement<strong>de</strong>s ministres du culte.Mais le clergé <strong>de</strong>s colonies peut-il regretter <strong>la</strong>perte <strong>de</strong> ces biens, avec les moyens <strong>de</strong> fortune qu'i<strong>la</strong> conservés? La générosité <strong>de</strong>s fidèles y est gran<strong>de</strong>,les casuels se paient fort cher, et un prêtre qui nedit que 565 messes par an, est payé pour en direcinq à six milleIl serait indispensable <strong>de</strong> fixer à <strong>de</strong>s taux raisonnables,et par <strong>de</strong>s règlemens qui ne fussent point illusoires,les articles <strong>de</strong>s casuels, taxés à <strong>de</strong>s prix trèsélevés; souvent trop scandaleusement discutés parles pasteurs; et <strong>de</strong> charger, exclusivement, lesmarguilliers <strong>de</strong> <strong>la</strong> conclusion <strong>de</strong> ces marchés, quirépvignentà un ministère sacré; car ce ministère sedégra<strong>de</strong> toutes les fois qu'il cesse d'être gratuit.Le gouvernement a besoin d'une surveil<strong>la</strong>nce


(15)prompte et sévère, pour remédier aux abus et fairedonner aux pratiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion ce qui leur atoujours généralement manqué aux colonies, l'ordreet <strong>la</strong> décence. On doit chercher à rattacher, plusqu'il ne l'est, à l'autorité du roi et <strong>de</strong> l'église gallicane, le clergé <strong>de</strong> ces îles, qui met une sorte d'orgueildans sa dépendance trop immédiate du Saint-Siège. On ne saurait trop exiger qu'il ait <strong>de</strong>s vertus,plus nécessaires encore que les talens, afin <strong>de</strong> fortifieret <strong>de</strong> soutenir par son exemple <strong>la</strong> morale qu'ilprêche; mais il faudrait préparer aux membres duclergé une retraite honorable, après un temps déterminéd'exercice dans cette espèce d'aposto<strong>la</strong>t,pour détruire en eux l'inclination qui les porte plusvers le temporel que vers le spirituel. Alors on lesverrait moins empressés <strong>de</strong> faire une fortune rapi<strong>de</strong>,<strong>de</strong>stinée autrefois à l'agrandissement <strong>de</strong>s ordres monastiques, et aujourd'hui à celui <strong>de</strong>s familles.En 1819, le gouvernement nomma, à vie, <strong>de</strong>ux préfetsapostoliques indépendants, l'un à <strong>la</strong> Martinique,et l'autre à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où il n'en existait plus.Dans <strong>la</strong> première <strong>de</strong> ces colonies, le curé <strong>de</strong> Saint-Pierre fut chargé <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> vice-préfet; onn'en a pas encore établi à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où leclergé se trouve réparti, en 1823, ainsi qu'il suit :Un préfet apostolique à <strong>la</strong> Basse-Terre ;Un <strong>de</strong>sservant ou curé pour <strong>la</strong> même ville ;


(16)Un curé pour <strong>la</strong> Pointe-à-Pître et les AbîmesUn pour Sainte-Anne et le Gosier ;Un à Saint-François ;Un au Moule ;Un au Port-Louis ;Un au Petit-Canal ;Un au Lamentin ;Un à Sainte-Rose ;Un à <strong>la</strong> Pointe-Noire ;Un aux Trois-Rivières ;Un à Marie-Ga<strong>la</strong>nte.En tout, treize.Il y a <strong>de</strong> plus :Peux marguillers à <strong>la</strong> Basse-Terre;Un à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître.Plusieurs paroisses se trouvent sans <strong>de</strong>sservans,dans l'une et l'autre colonie.Il est accordé à chaque préfet apostolique, par an :12,000 fr. <strong>de</strong> traitement;З000fr. <strong>de</strong> frais <strong>de</strong> bureau et <strong>de</strong> tournée;8000 fr. <strong>de</strong> frais d'ameublement, une fois payéset un logement convenable.Le vice-préfet n'a point <strong>de</strong> traitement particulier,parce que les fonctions en sont confiées aux<strong>de</strong>sservants <strong>de</strong>s cures <strong>de</strong> Saint-Pierre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointeà-Pître;chacune <strong>de</strong> ces cures rapporte, au moins,50,000 fr. par an.


(17)On alloue 2000 fr. <strong>de</strong> traitement h chaque curéou <strong>de</strong>sservant <strong>de</strong> paroisse, et à chaque vicaire.D'après le budget <strong>de</strong> 182З, le service du cultecoûte, par an, au gouvernement:A <strong>la</strong> Martinique, 70,250 fr. ;A <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, 57,000 fr.II. 2


(18)CHAPITRE IV.Popu<strong>la</strong>tion, Naissances et Décès.ON a vu, par ce qui a déjà été dit, dans cet ouvrage, <strong>de</strong>s habitans <strong>de</strong>s Antilles, que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionb<strong>la</strong>nche est celle qui, consommant à peu près seuleles produits <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, tend le plus directementau but que l'on a dû se proposer dans l'établissement<strong>de</strong>s colonies. Cependant cette consommationest nécessairement bornée dans un pays quiexige que <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s propriétés soient dans lesmains d'un petit nombre, et où tout le travail estréservé aux esc<strong>la</strong>ves. Des règlements ont bien étéfaits, à diverses époques, pour obliger les p<strong>la</strong>nteurs àoccuper un nombre <strong>de</strong> b<strong>la</strong>ncs proportionné à celui<strong>de</strong> leurs esc<strong>la</strong>ves noirs ; mais comme l'entretien <strong>de</strong>ces employés était dispendieux , et qu'ils nuisaientaux mœurs et à <strong>la</strong> sûreté intérieure <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie,par <strong>la</strong> dépravation <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart d'entre eux, cesrèglements n'ont pas eu d'exécution.La popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> couleur se divise en hommeslibres et en esc<strong>la</strong>ves. Les premiers sont <strong>de</strong>s affran-


(19)chis ou <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scendants d'affranchis ; mais à quelquedis<strong>la</strong>nce qu'ils soient <strong>de</strong> leur origine, ils en conserventtoujours <strong>la</strong> tache et sont exclus <strong>de</strong> toute fonctionpublique.Jusqu'à <strong>la</strong> fin du dix-septième siècle, les mariagesentre les b<strong>la</strong>ncs et les femmes noires ou <strong>de</strong> couleurn'étaient pas rares. Le père Labat en cite plusieursexemples , ce qui, plus tard, n'a pas peu contribuéà faire disparaître son ouvrage <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion. Lepréjugé ne s'en offensait pas encore ou n'existaitpas alors; mais ces alliances, trop fréquentes, introduisant<strong>de</strong>s abus dans les familles, et pouvantnuire aux intérêts <strong>de</strong>s colonies, une ordonnance du13 novembre 1704, déc<strong>la</strong>ra que tous les nobles quiavaient épousé <strong>de</strong>s négresses, <strong>de</strong>s mulâtresses ou<strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> couleur, étaient, eux et leurs enfants,déchus <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse. Dès-lors le préjugé et le libertinagen'eurent plus <strong>de</strong> frein et furent poussésjusqu'à l'excès. Une barrière insurmontable s'élevaentre <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion b<strong>la</strong>nche, pour <strong>la</strong>quelleil fal<strong>la</strong>it imprimer plus <strong>de</strong> respect, et celle <strong>de</strong>snoirs où <strong>la</strong> marque <strong>de</strong> l'esc<strong>la</strong>vage <strong>de</strong>vint ineffaçable.Comme ils étaient vingt contre un, on jugeanécessaire <strong>de</strong> leur persua<strong>de</strong>r que, voués par leurcouleur à <strong>la</strong> servitu<strong>de</strong>, rien ne peut les rendre leségaux <strong>de</strong> ceux qui sont ou qui ont été leurs maîtres.11 eût sans doute été préférable <strong>de</strong> faire perdreaux noirs , si ce<strong>la</strong> eût été possible, le désir <strong>de</strong> rom-2


(20)pre leurs fers en les leur rendant légers , en ne leurfaisant éprouver que <strong>de</strong> bons traitements. L'intérêt<strong>de</strong>s colons était, en ce point, d'accord avec l'humanité; ils auraient obtenu plus <strong>de</strong> travail, et pendantplus <strong>de</strong> temps, d'un nègre bien nourri, bien traité;et l'esc<strong>la</strong>ve, trouvant sa servitu<strong>de</strong> douce, auraiteu moins <strong>de</strong> répugnance à eu transmettre le tristehéritage à ses enfants. La fécondité <strong>de</strong>s négresses auraitpu dispenser <strong>de</strong> <strong>la</strong> traite et en rendre l'abolitionmoins onéreuse; mais une avarice, mal entendueet souvent cruelle, a rendu <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nteursinsensibles à ces considérations et leur a faitpeser <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> leurs esc<strong>la</strong>ves au poids d'un travailforcé. Cet excès, trop commun, ne peut cependantêtre corrigé par <strong>la</strong> loi, puisqu'il n'a pas Heuau <strong>de</strong>hors et qu'il serait dangereux <strong>de</strong> donner auxnègres le spectacle d'un maître puni pour <strong>de</strong>s violencesexercées envers ses esc<strong>la</strong>ves.Un autre vice, non moins contraire aux intérêts<strong>de</strong>s colons, est celui du luxe ridicule qui les a portés,<strong>de</strong> tout temps, à conduire en France <strong>de</strong>s noirspour leur service personnel. Le moindre inconvénient<strong>de</strong> ce luxe est d'enlever à <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s brasqu'elle réc<strong>la</strong>me; il en est un plus grave, c'est queces noirs, assimilés, dans le royaume, aux domestiqueslibres , rapportent ensuite dans les colonies unesprit d'indépendance très-redoutable. On le toléra, dans le principe, par l'assurance que donnèrent


(21)les colons, (le multiplier, au moyen <strong>de</strong> ces nègres,les ouvriers dont on manquait. Mais aussitôt queles inconvénients eurent été reconnus, <strong>de</strong>s précautionsfurent prises et <strong>de</strong>s consignations exigées ; cefut en vain. La déc<strong>la</strong>ration du roi, du 9 août 1777,l'ordonnance du 23 février 1778 , et <strong>la</strong> dépêche ministérielledu 28 mars 1783, qui en rappe<strong>la</strong>it les dispositions,furent insuiffisantes pour extirper cet abus.Pendant <strong>la</strong> révolution il afflua, en France, unesi gran<strong>de</strong> quantité <strong>de</strong> noirs et <strong>de</strong> gens <strong>de</strong> couleur,venus <strong>de</strong> toutes les colonies, qu'on craignit d'y voirle sang européen prendre les mêmes nuances qu'oitremarque en Espagne <strong>de</strong>puis l'invasion <strong>de</strong>s Maures.Après l'établissement du gouvernement consu<strong>la</strong>ire,un arrêté du 15 messidor au XIII (2 juillet 1802), interditl'entrée <strong>de</strong> <strong>la</strong> France à tout individu <strong>de</strong> couleur,<strong>de</strong> quelque sexe qu'il fût; et une circu<strong>la</strong>ire du 20 juillet1807, ordonna qu'aucun colonne pourrait s'y faire suivreque par un seul domestique, <strong>de</strong> l'un ou <strong>de</strong> l'autresexe,en consignant, au trésor <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, une somme<strong>de</strong> mille francs pour caution du retour <strong>de</strong> l'individu<strong>de</strong> couleur qui en serait tiré. Les mêmes dispositionsy sont maintenues aujourd'hui, mais on lesvoit journellement enfreintes par les permissionsqu'obtiennent les habitants d'amener en France <strong>de</strong>sdomestiques dont leur vanité fixe le nombre.Cinq cent cinquante Français, seulement, fondèrent;en 1635, <strong>la</strong> colonie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et quoi-


(22)qu'elle ail long-temps souffert toutes sortes d'excèset d'abus dans son administration , dès l'année 1700,première époque où l'on obtint <strong>de</strong>s documents assezexacts sur sa popu<strong>la</strong>tion, on y comptait déjà 3,825b<strong>la</strong>ncs, 325 affranchis et 6,725 esc<strong>la</strong>ves.Le tableau <strong>de</strong>popu<strong>la</strong>tion, numéro 1, prouve que,malgré l'inconvénient <strong>de</strong>s compagnies privilégiéefi(1), le malheur <strong>de</strong>s guerres, le ravage <strong>de</strong>s ouragans,l'insouciance et l'injustice même, qui sacrifièrentcette colonie à <strong>la</strong> Martinique , sa popu<strong>la</strong>tions'accrut successivement dans toutes les c<strong>la</strong>sses.Cette augmentation fut plus sensible après le traitéd'Utrecht, en 1713, lorsque le commerce <strong>de</strong> l'Europeprit une extension plus considérable dans toutesles mers; et cet accroissement a continué jusqu'à(1) On se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment il se fait que ces compagniesn'ont jamais pu se soutenir en France; pourquoielles y ont comprimé l'ému<strong>la</strong>tion et y ont été jugéesincompatibles avec le gouvernement représentatif ;tandis qu'en Angleterre, les quatre compagnies privilégiées,qu'on y a créées, ont toujours été et sont encore lescolonnes <strong>de</strong> sa puissance ? Et pourquoi le gouvernementd'exception <strong>de</strong> Batavia a-t-il procuré <strong>de</strong> si grands avantagesà <strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, qu'il l'a mise en état <strong>de</strong> disputer h sarivale l'empire <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s ? L'histoire politique<strong>de</strong> cet ouvrage, donnera <strong>la</strong> solution <strong>de</strong> ce problème.


(23)l'époque <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution, qui <strong>de</strong>vait momentanémentl'arrêter.Le tableau, numéro 2, donne l'état, par quartiers,<strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie au 1 er janvier 1791,et peut servir à établir une comparaison entre <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionexistante et celle <strong>de</strong> cette époque.Le tableau, numéro 4, dressé le 2 mai 1822,présente, dans le plus grand détail, <strong>la</strong> compositionet <strong>la</strong> force actuelle <strong>de</strong> cette popu<strong>la</strong>tion. On voit,par le tableau numéro 2 , combien sont erronéesles suppositions <strong>de</strong> ceux qui préten<strong>de</strong>nt qu'avant <strong>la</strong>révolution <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, était plus peuplée qu'ellene l'est maintenant.Les désordres <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution empêchèrent que,<strong>de</strong> 1790 à 1802, <strong>la</strong> colonie dressât l'état <strong>de</strong> sa popu<strong>la</strong>tion.Elle commença à diminuer par les émigrations,mais on remarqua que <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong>s gens<strong>de</strong> couleur et <strong>de</strong>s noirs augmenta, à peu près d'unsixième, pendant les premières années <strong>de</strong> liberté généraledont ils jouirent. Cet accroissement eut lieupar l'arrivée <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> fugitifs <strong>de</strong>s îles voisines,qu'attirait l'appât <strong>de</strong> cette liberté; par celle <strong>de</strong>gens <strong>de</strong> mer, qu'appel<strong>la</strong>ient les nombreux armemensen course ; et par beaucoup <strong>de</strong> bâtiments négriers,que les corsaires enlevèrent aux Ang<strong>la</strong>is.11 faut que cette augmentation ait été considérable, puisque, malgré <strong>la</strong> perte, évaluée au moins à10,000 individus esc<strong>la</strong>ves ou gens <strong>de</strong> couleur libres.


(24)qui avaient succombé dans les combats <strong>de</strong> terre et<strong>de</strong> mer contre les Ang<strong>la</strong>is, ou que <strong>la</strong> guerre civile,les exécutions et les déportations avaient enlevés à<strong>la</strong> colonie, le premier état <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion fourni en1802, comparé à celui <strong>de</strong> 1790, offre un surcroit<strong>de</strong> 4087 individus. (Tableau numéro 3).La Gua<strong>de</strong>loupe parvint à l'apogée <strong>de</strong> sa splen<strong>de</strong>uren 1807; son commerce et sa popu<strong>la</strong>tion s'élevèrentà un <strong>de</strong>gré jusqu'alors inconnu, et que <strong>de</strong>puis ellen'a pu atteindre. Cette prospérité eut ce<strong>la</strong> <strong>de</strong> singu--lier, qu'elle eut pour cause l'état <strong>de</strong> guerre, malgrél'acharnement <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is à <strong>la</strong> détruire. Le blocusqu'ils formaient, força d'ouvrir les ports <strong>de</strong> <strong>la</strong>colonie aux étrangers, et <strong>la</strong> Pointe-à-Pître <strong>de</strong>vintle point central du commerce <strong>de</strong>s Antilles , le ren<strong>de</strong>z-vous<strong>de</strong> toutes les nations et l'entrepôt <strong>de</strong> fortunesconsidérables. Mais cet état <strong>de</strong> prospérité ne<strong>de</strong>vait pas durer long-temps ; les Ang<strong>la</strong>is trouvèrent,à <strong>la</strong> fin, le moyen <strong>de</strong> le faire décliner dès l'année1808, et il disparut tout-à-fait lorsqu'ils <strong>de</strong>vinrentles maîtres <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie.Le tableau numéro 3 donne lieu d'observer quependant l'occupation ang<strong>la</strong>ise, c'est-à-dire <strong>de</strong>puis1810 jusqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1814, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion diminuasensiblement, tandis que le nombre <strong>de</strong>s affranchiss'accrut par <strong>la</strong> quantité <strong>de</strong> libertés dont ils trafiquèrent.Le tableau numéro 4, dressé en 1822 , présente


( 25 )l'état <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> chaque quartier, d'après <strong>la</strong>différence <strong>de</strong>s sexes et <strong>de</strong>s âges, chez les b<strong>la</strong>ncs, lesgens <strong>de</strong> couleur libres et les esc<strong>la</strong>ves. La diminutionqu'on remarque dans chaque c<strong>la</strong>sse, en comparantson total avec celui <strong>de</strong> 1820, est attribuée moins àune dépopu<strong>la</strong>tion réelle qu'à ce qu'on est parvenu àobtenir plus d'exactitu<strong>de</strong> dans les dénombrements.La diminution apparente serait <strong>de</strong> 548 individus,parmi les gens <strong>de</strong> couleur; mais elle peut provenir<strong>de</strong> ce que les propriétaires libres ne sont pas toujourscompris dans les dénombrements, car cettec<strong>la</strong>sse augmente journellement au lieu <strong>de</strong> diminuer.En 1821, il a été délivré 108 patentes <strong>de</strong> liberté:68 à <strong>de</strong>s femmes et 40 à <strong>de</strong>s hommes.Les esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes, vali<strong>de</strong>s et payantdroit, en 1822, c'est-à-dire, ceux <strong>de</strong> 14 à 60 ans,s'élevaient à 56,542 individus. En retranchant <strong>de</strong>ce nombre 9542 esc<strong>la</strong>ves, qu'on suppose habiter lesvilles et les bourgs (1), il doit rester, pour <strong>la</strong> cul-(1) Ce nombre n'est pas exagéré, car l'état en porte6721 dans les <strong>de</strong>ux villes seulement. Les 2821 restant, pourcompléter ces 9542, se composent : 1° <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong>s bourgs ;2° <strong>de</strong> ceux que les propriétaires envoient dans les villespour apprendre <strong>de</strong>s professions ou pour d'autres causes,quoiqu'ils continuent à les porter sur leur dénombrementd'habitation; 3° <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves réputés libres <strong>de</strong> savanne,


(26)ture, 47,000 noirs. Il semble qu'on <strong>de</strong>vrait déduire<strong>de</strong> ce nombre les domestiques employés surles habitations, mais comme on n'y comprend pasles enfants <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux sexes, <strong>de</strong> douze à quatorze ans,qu'on attache à <strong>la</strong> culture et qui comptent dans lepetit atelier (1), il y a compensation. Ceux <strong>de</strong> ces enfans, au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> douze ans, ne sont occupés qu'à<strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s bestiaux et ne sont pas censés fairepartie <strong>de</strong>s ateliers.On voit encore, par l'état <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>1822 (2), que le nombre <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong> couleurexcè<strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> près du double , maisque les négresses ne surpassent que d'un huitièmele nombre <strong>de</strong>s nègres, et que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion noire<strong>de</strong>s villes est, à peu <strong>de</strong> chose près, égale à celle <strong>de</strong>sb<strong>la</strong>ncs et <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> couleur réunis.qui ne sont point affranchis, abon<strong>de</strong>nt dans les villes, etsont rarement comptés dans les dénombrements.( 1 ) Les nègres <strong>de</strong> culture sont divisés en grand et enpetit atelier, parce qu'ils n'ont pas tous <strong>la</strong> môme force.Le grand atelier est composé <strong>de</strong>s individus <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxsexes les plus propres aux forts travaux. Le petit atelier ,formé <strong>de</strong>s individus les plus faibles , est employé aux travauxmoins pénibles <strong>de</strong> l'habitation.(2) On peut, d'après cet état, faire tous les calculs <strong>de</strong>culture et d'imposition.


(27)L'année 1821 présente aux observateurs les résultatssuivants, pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe :B<strong>la</strong>ncs.Gens <strong>de</strong>couleurlibres.Mariages contractés22Basse-Terre..,.Naissances..Garçons 45Filles 39Garçons 34Filles 268460Décès (1)...Hommes 42Femmes 5o92Gens <strong>de</strong> couleur.57Pointe-à-Pître.Mariages contractés............Garçons 33Filles 28Naissances.Garçons 52Filles 6213 »61114Décès (2)...Hommes 31Femmes 57Gens <strong>de</strong> couleur.8881(1) Dans les décès <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>ncs, ne sont pas comprisceux <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> <strong>la</strong> garnison ni <strong>de</strong>s marins.(2) I<strong>de</strong>m.


(28)On est surpris que les décès aient presque toujoursété plus considérables à <strong>la</strong> Basse-Terre qu'à<strong>la</strong> Pointe-à-Pître, qui est réputée plus malsaine, etdont <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion est <strong>de</strong>ux fois plus forte. On nepeut expliquer cette différence que par le nombreplus considérable d'Européens que <strong>la</strong> présence dugouvernement colonial attire à <strong>la</strong> Basse-Terre, etqui souvent sont moissonnés par <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die du climat: ils y contractent aussi plus <strong>de</strong> mariages.On remarque généralement que, parmi les b<strong>la</strong>ncs,les décès surpassent toujours les naissances, tandisque, parmi les gens <strong>de</strong> couleur, les naissancessont toujours plus nombreuses que les décès , quoiqu'ilsnégligent très-souvent <strong>de</strong> faire enregistrerleurs enfants.Dans tous les autres quartiers , les naissances <strong>de</strong>sgens <strong>de</strong> couleur furent, en 1821, le double <strong>de</strong>sdécès , et il en est toujours à peu près <strong>de</strong> même.11 est essentiel d'observer que les femmes <strong>de</strong> couleurne contractent que très-rarement <strong>de</strong>s mariageslégitimes, et que les naissances et les décès<strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves ne sont jamais enregistrés.


(29)CHAPITRE V.Culture.AUCUN pays ne posséda jamais autant d'éléments<strong>de</strong> prospérité , et ne fut administré d'unemanière plus contraire à ses intérêts, que les Antillesfrançaises. Néanmoins on a vu <strong>de</strong>s temps oùces îles étaient parvenues à un tel <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> splen<strong>de</strong>urque <strong>la</strong> France, avec peu d'efforts , auraitpu s'emparer <strong>de</strong> tout le commerce <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées colonialesdans les marchés <strong>de</strong> l'Europe. Tout est bienchangé à cet égard; elle se trouve réduite aujourd'huià n'y prendre d'autre part que celle que <strong>la</strong>politique <strong>de</strong> l'étranger daigne lui <strong>la</strong>isser!La Gua<strong>de</strong>loupe a droit, plus qu'aucune autre colonie,<strong>de</strong> se p<strong>la</strong>indre <strong>de</strong>s rigueurs <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>stinée.De longs obstacles s'opposèrent à l'accroissement <strong>de</strong>sa popu<strong>la</strong>tion; sa culture fut long-temps négligéepour <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s chemins, <strong>de</strong>s fortificationset <strong>de</strong>s batteries, tout autour <strong>de</strong> ses côtes , que lesravages fréquents, exercés par les Ang<strong>la</strong>is , forcèrentd'établir. Avant <strong>de</strong> songer à s'enrichir, il fallut s'occuper<strong>de</strong> mettre <strong>la</strong> vie et les propriétés <strong>de</strong> chacun


( 30 )à l'abri <strong>de</strong>s suprises et <strong>de</strong> <strong>la</strong> jalousie <strong>de</strong>s établissementsrivaux.Les dissentions domestiques ne furent pas moinsfunestes à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Que <strong>de</strong> progrès n'eût pasfait cette colonie si on lui eût conservé ses rapportsdirects avec <strong>la</strong> Métropole, au lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> rendredépendante <strong>de</strong> l'heureuse Martinique; si on l'eûtprotégée contre les incursions <strong>de</strong>s éternels ennemis<strong>de</strong> <strong>la</strong> prospérité <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, et qu'on lui eût fourni,puisque l'état <strong>de</strong>s choses existant alors l'exigeaitainsi, tous les nègres qui lui manquaient, sans <strong>la</strong>réduire à <strong>la</strong> triste nécessité d'introduire en frau<strong>de</strong> lerebut <strong>de</strong> <strong>la</strong> traite ang<strong>la</strong>ise? Mais loin d'être favoriséepar les secours <strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole, elle n'a ressentil'effet <strong>de</strong> son patronage , que par les charges qui ontpesé trop souvent sur les colonies. La traiteabolie, il ne reste maintenant aux cultures <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe d'autre espoir d'amélioration quedans <strong>la</strong> science <strong>de</strong>s exploitations, dans l'emploi<strong>de</strong>s machines à vapeur , pour remp<strong>la</strong>cer les mulets,et dans celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> charrue, pour suppléer aux brasdont cette île a besoin (1).(1) On assure qu'en 1658 , lorsqu'on n'avait pas encoreassez <strong>de</strong> bras pour le travail <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre , on vit, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,<strong>de</strong>s exemples <strong>de</strong> culture avec <strong>la</strong> charrue, maislorsque <strong>la</strong> traite fut bien organisée, ce <strong>de</strong>vint une espèce


(31)Le sucre et le café forment aujourd'hui ses <strong>de</strong>uxprincipaux revenus. Le coton et le cacao n'y ontqu'une importance secondaire.Le tabac (ou petum) fut <strong>la</strong> première productionqui y fut exploitée lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong>s colonies. Lecommerce, que les îles françaises en firent avec lesHol<strong>la</strong>ndais , provoqua les p<strong>la</strong>intes <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie;et, dès 1634, toute espèce <strong>de</strong> trafic avec les étrangersleur fut interdit ( 1 ) : malgré cette prohibition,<strong>la</strong> culture du tabac y <strong>de</strong>vint si générale, que bientôtil tomba à vil prix , et donna lieu <strong>de</strong> craindre quel'Europe ne s'en dégoûtât. Le commandant <strong>de</strong>sFrançais et celui <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, à Saint-Cristophe ,s'entendirent, en 1639, pour faire arracher tousles p<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> tabac qui y existaient alors , et pourdéfendre d'en cultiver pendant dix-huit mois. Legouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, M. Houel, fut leseul qui refusa d'exécuter cet ordre.La canne à sucre fit successivement abandonnerle tabac dans les établissements français aux Antilles.<strong>de</strong> luxe, d'avoir beaucoup <strong>de</strong> nègres, et l'amour-propre<strong>de</strong>s colons se crut intéressé à repousser un instrumenthumblement utile.(1) Cette défense, qu'on n'a jamais cessé <strong>de</strong> renouveler,a toujours échoué contre le désir <strong>de</strong> se procurer lesnéfîces du commerce interlope.


(32)En 1716, le roi enjoignit à MM. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Varenne et <strong>de</strong>Ricouart, <strong>de</strong> tâcher d'en rétablir <strong>la</strong> Culture à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,et <strong>de</strong> suivre, à cet égard, l'exemple donnépar les Ang<strong>la</strong>is, qui continuaient d'en faire unebranche importante <strong>de</strong> commerce (1). Mais commeles résolutions du gouvernement avaient peu <strong>de</strong> stabilité, lorsque l'idée <strong>de</strong> donner à ferme <strong>la</strong> vente<strong>de</strong>s tabacs, eut été adoptée, <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> cette p<strong>la</strong>ntefut prohibée dans toutes nos îles Antilles ; on n'y encultive aujourd'hui que ce qui est nécessaire à <strong>la</strong>consommation <strong>de</strong>s habitans (2).L'indigofère fut d'abord cultivé avec succès à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>lope, où l'on comptait, en 1700, 66 indigoteries; mais les chances incertaines <strong>de</strong> <strong>la</strong> récolte <strong>de</strong>cette p<strong>la</strong>nte, qui épuise le sol et le dégra<strong>de</strong> plusqu'aucune autre, firent renoncer à sa culture. Lenombre d'indigoteries décrut si sensiblement, qu'en1720, il n'en restait que 5, et, en 1755, il n'y avaitplus que 15 carrés <strong>de</strong> terre qui en fussent p<strong>la</strong>ntés. Onn'en cultive plus aujourd'hui, mais on <strong>la</strong> voit croîtrenaturellement dans quelques quartiers élevés. Elle a(1) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, 1 er vol. , page 103.(2) La première ferme du tabac rapporta au trésor royalЗ00,000 livres par an; vers 1750, ce rapport était <strong>de</strong>16 millions; en 1818, le produit brut <strong>de</strong>s tabacs a été <strong>de</strong>près <strong>de</strong> 66 millions <strong>de</strong> francs.


(33)été, ainsi que le tabac, remp<strong>la</strong>cée par <strong>la</strong> canne àsucre (1).Les progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture du gingembre furentarrêtés par un droit <strong>de</strong> 6 liv. par quintal, qu'onimposa, dès le principe, sur cette épice. Cependant,<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe s'y adonnait plus en 1739,qu'à celle du manioc; et comme le gingembre épuisedavantage les terres, le gouverneur Declieu proposaau ministère, d'interdire aux capitaines <strong>de</strong> navires,d'en charger à leur bord, afin <strong>de</strong> diminuer <strong>la</strong> culture<strong>de</strong> cette p<strong>la</strong>nte, au profit <strong>de</strong> celle du manioc,dont on avait besoin pour <strong>la</strong> nourriture <strong>de</strong>s nègres.Dans <strong>la</strong> suite, on réduisit le droit <strong>de</strong> 6 liv. à 15 sols,mais il était trop tard, l'usage du poivre avait faitabandonner le gingembre, et <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe n'encultive aujourd'hui, que ce qu'il lui en faut pourle confire (1).On espéra voir réussir, dans les Antilles, <strong>la</strong> culturedu mimer et l'éducation du ver-à-soie. Diversessais y furent tentés, et le conseil d'état ordonnale 21 août 1687, à tous les habitans <strong>de</strong>s îles, <strong>de</strong>p<strong>la</strong>nter une certaine quantité <strong>de</strong> ces arbres. Maistous les encouragements ne servirent qu'à faire reconnaîtrel'impossibilité d'avoir <strong>de</strong>s mûriers dans(1) Voir , dans l'introduction , ce qui a été dit <strong>de</strong> cettep<strong>la</strong>nte.II. 3


(34)les îles, à cause <strong>de</strong>s vents impétueux qui y règnent;et d'y élever <strong>de</strong>s vers-à-soie, parce que, du moins onl'assure, l'o<strong>de</strong>ur forte qu'exhalent les nègres, lesfait mourirUne culture plus importante qu'aucune autre,celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne à sucre, dont on ignorait l'usage et,que les Espagnols apprirent à manipuler , s'introduisitaux Antilles, sous les auspices du gouverneurgénéral <strong>de</strong> Poincy , et <strong>de</strong>vint <strong>la</strong> source <strong>de</strong> leuropulence. Saint-Cristophe commença à en extrairedu sucre, en 1643 ; <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , en 1644, et <strong>la</strong>Martinique, quelques années plus <strong>la</strong>rd (1). La Métropole, séduite par les premiers avantages qu'elleretirait <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s cannes, encouragea lesgouverneurs , le 3o décembre 1670 , à faire établiraux îles <strong>de</strong>s raffineries. 11 en fut formé une à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, en 1672, et, le 29 novembre, on yenvoya un sieur Loover , pour enseigner aux habitans, <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> raffiner le sucre (2). Ces établissements, <strong>de</strong>venus nombreux, portèrent un tel(1) Le 1 er vol. <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, page 219,contient un ordre et une instruction, donnés le 3 mars1645, au commis entretenu à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, pour <strong>la</strong>confection <strong>de</strong>s sucres, par les seigneurs <strong>de</strong>s îles <strong>de</strong> l'Amérique.(2) 3 e vol. <strong>de</strong>s Archives.


(35)coup aux raffineries <strong>de</strong> France, que celles-ci <strong>de</strong>meurèrentinactives. Les ouvriers raffineurs désertaientle royaume , pour passer aux îles. Enfinces désertions furent suspendues par un arrêt du conseild'état, en date du 21 janvier 1684, qui défenditd'établir <strong>de</strong>s raffineries nouvelles aux Antilles; unpeu plus tard , celles qui y existaient furent supprimées, et les colonies , qu'on vou<strong>la</strong>it tenir dansune dépendance absolue, furent obligées d'envoyerleurs sucres en France, pour y être raffinés.Les établissements à sucre sont les plus considérableset les plus compliqués <strong>de</strong>s colonies ; ils exigent<strong>de</strong> grands capitaux, <strong>de</strong>s ateliers nombreux, un terraind'une gran<strong>de</strong> étendue et <strong>de</strong> bonne qualité; l'ordre,l'intelligence, <strong>la</strong> tenue, l'ensemble et beaucoup<strong>de</strong> combinaisons y. sont <strong>de</strong> rigueur pour en tirertous les avantages qu'ils peuvent offrir.Le sucre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe est d'une qualité inférieureà celui <strong>de</strong>s autres colonies; il faut, sans doute,attribuer cette infériorité à un vice <strong>de</strong> fabricationauquel les p<strong>la</strong>nteurs pourraient peut-être remédier,s'ils vou<strong>la</strong>ient sacrifier une partie du poids, pour obtenirune qualité meilleure , et mieux calculer l'emploi<strong>de</strong> <strong>la</strong> chaux vive qui divise les substances hétérogènes<strong>de</strong>s parties sucrées.Un colon, M. Dorion, a trouvé récemment le moyend'épurer le sucre, en employant au lieu <strong>de</strong> chaux ,3


(36)<strong>la</strong> secon<strong>de</strong> écorce <strong>de</strong> l'orme pyramidal infusée dansl'eau pendant 24 Heures. Cette infusion forme, parle frottement, un muci<strong>la</strong>ge glutineux, qui prend <strong>la</strong>consistance du b<strong>la</strong>nc d'œuf, et qu'on emploie à <strong>la</strong>quantité d'un pot <strong>de</strong> raffinerie par chaque gran<strong>de</strong><strong>de</strong> vesou (gran<strong>de</strong> est le nom que porte <strong>la</strong> principalechaudière parmi les quatre <strong>de</strong>stinées à fairecuire le sucre).En 1815, <strong>la</strong> Martinique promit à M. Dorionune gratification <strong>de</strong> 120,000 francs, si son secretréussissait ; l'épreuve , faite à plusieurs reprises,dans cette colonie, par lui-même, et à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupepar M. Faugas, à qui il l'avait communiqué, eut un succès complet. Le muci<strong>la</strong>ge produisitsur le vesou un effet bien plus dissolvant que <strong>la</strong>chaux; le sucre acquit une qualité supérieure, maisce ne fut qu'en perdant davantage <strong>de</strong> son poids.On jugea donc à propos <strong>de</strong> ne pas payer <strong>la</strong> sommepromise et d'abandonner ce procédé.L'intérêt mal calculé et ennemi <strong>de</strong> toute innovation,le rejeta, sous prétexte qu'on ne trouverait pasune quantité d'ormes suffisante ; on prétendit mêmeque cette substance nouvelle ne produisait pasd'effet plus puissant que <strong>la</strong> chaux.D'après un calcul modéré, <strong>la</strong> colonie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,qui aurait besoin <strong>de</strong> 30,000 bras <strong>de</strong> plus ,exporte maintenant, année commune, 50,000 barriques<strong>de</strong> sucre, ou 25,000,000 kilogram., dont


(37)<strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong> sucre brut environ, et un tiers <strong>de</strong> sucreterré, (1) Elle exporte, en outre, з,ооо gallons <strong>de</strong>sirop et 35,000 gallons <strong>de</strong> rum ou tafia.Le café fut introduit très à propos dans les Antillesfrançaises, pour y réparer les pertes occasionéespar l'épouvantable désordre où le fameuxLaw avait plongé l'administration et les finances <strong>de</strong>l'état. Les <strong>de</strong>ux p<strong>la</strong>nts que le capitaine Declieuxapporta à <strong>la</strong> Martinique, eu 172З (2), y prospérèrentavec une telle rapidité , que l'intendant Blon<strong>de</strong>lconstata, le 22 février 1726, qu'il en existait chezM. Survillier, le premier à qui Declieux en fit part,200 pieds portant fleurs et fruits, et plus <strong>de</strong> 2,000moins avancés (3).La Martinique, dénuée <strong>de</strong> toute ressource aprèsle tremblement <strong>de</strong> terre du 7 septembre 1727, quifit périr tous ses cacaotiers (unique culture <strong>de</strong>s colons,dont ni les propriétés ni les moyens n'étaientpas suffisants pour entreprendre celle du sucre ) eûtété ruinée complètement sans le don précieux ducafé. Sa culture se propagea promptement à <strong>la</strong> Gua-(1) Il serait <strong>de</strong> l'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine et <strong>de</strong> l'industriefrançaises <strong>de</strong> favoriser <strong>de</strong> préférence <strong>la</strong> fabrication dusucre brut.(2) Voir à l'introduction , l'article t. 1 er , p. 28.(3) Père Labat.


(38)<strong>de</strong>loupe, et y ouvrit une nouvelle source <strong>de</strong> richesses,fort inférieure sans doute à celle du sucre, mais quilit <strong>la</strong> fortune <strong>de</strong> tous les petits propriétaires. Cettecolonie s'y livra cependant avec moins <strong>de</strong> persévéranceque <strong>la</strong> Martinique, qui fit bientôt, à elle seule,plus <strong>de</strong> café que n'en consommait le royaume ; caralors l'usage en était encore borné; aussi <strong>de</strong>vint-ilsi commun et tomba-t-il à si bas prix, qu'en 1738,on ordonna au gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong>Clieu, d'encourager <strong>de</strong> préférence <strong>la</strong> culture ducoton et du cacao, qui étaient alors d'un plus faciledébit.Quand l'usage du café <strong>de</strong>vint général, sa culturefit <strong>de</strong> nouveaux progrès à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, mais elley décroît sensiblement <strong>de</strong>puis plusieurs années. Lesgrands cafeyers , soit parce que leur sol est usé, oupar <strong>la</strong> vaine gloriole <strong>de</strong> se métamorphoser en grandshabitans (1) ont changé leurs établissements, et ontfait, <strong>la</strong> plupart, <strong>de</strong> mesquines habitations à sucre <strong>de</strong>cafeyères considérables. Les petites cafeyères, toujourssi tuées dans <strong>de</strong>s lieux élevés et coupés, per<strong>de</strong>nt à<strong>la</strong> longue leur terre végétale que les pluies entraînent,et sont souvent ruinées par les ouragans. Alors lespropriétaires , obligés <strong>de</strong> vendre peu-à-peu leurs nè-(1) Dans les: colonies, on n'appelle grands habitans,que les propriétaires <strong>de</strong>s habitations à sucre.


(39)gres pour se procurer <strong>de</strong>s secours, finissent par êtrecontraints d'abandonner le sol, s'adonnent à quelquegenre <strong>de</strong> petit commerce; et les colons sucriers, alimentantfaiblement leurs ateliers <strong>de</strong>s débris <strong>de</strong> ceux<strong>de</strong> leurs voisins, absorbent insensiblement les cafeyères.De sorte que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, qui exportaitjadis plus <strong>de</strong> 4millions <strong>de</strong> kil. <strong>de</strong> café paran , n'en exporteaujourd'hui que 2 millions et <strong>de</strong>mi, à 3 millions.Cependant son café, surtout celui <strong>de</strong>s Saintes,est d'une qualité supérieure au café <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martiniqueet même à celui <strong>de</strong> Saint-Domingue.Le coton n'a été, à toutes les époques, qu'uneproduction peu prisée à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. La Désira<strong>de</strong>exceptée, il n'existe, dans cette colonie, aucunétablissement uniquement consacré à <strong>la</strong> culture ducoton. On n'y <strong>de</strong>stine, sur toutes les habitations cafeyères,où il tient seulement le second rang, qu'unepartie <strong>de</strong>s terres La culture en a considérablementdiminué, parce que les prix <strong>de</strong> vente, en Europe ,ne sont point en proportion avec les frais que cetteculture occasionne. Elle éprouve d'ailleurs le sort<strong>de</strong> celle du café : l'une et l'autre sont insensiblementabandonnées.La Gua<strong>de</strong>loupe n'exporte annuellement, aujourd'hui,qu'environ 300,000 kilogrammes <strong>de</strong> coton;autrefois elle en exportait une bien plus gran<strong>de</strong>quantité.Le cacao n'a jamais été un objet particulier <strong>de</strong>


(40)culture ; cette <strong>de</strong>nrée fut, dès le principe, assujettieau monopole. On l'en affranchit, en 1693, maispour <strong>la</strong> soumettre à un droit <strong>de</strong> 15 sous <strong>la</strong> livre,quoiqu'elle ne coutât que 5 sous d'achat aux colonies.Son introduction, en France , ne fut permiseque par Rouen et Marseille , et ensuite par Marseilleseulement, ce qui n'encourageait pas à cultiverle cacaoyer. La colonie n'en possè<strong>de</strong> que quelquesp<strong>la</strong>ntations dans les hauteurs : ces p<strong>la</strong>ntationsfournissent à ses besoins et à une exportation annuellequ'on estime être <strong>de</strong> 1000 kilogrammes.Du reste , <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe produit en abondancetoutes les p<strong>la</strong>ntes vivrières, les fruits, les racineset les légumes que l'on peut trouver dans les autresAntilies.Le giroflier y est maintenant naturalisé, particulièrementdans le quartier du vieux fort. On commenceà s'y occuper du cannellier, et pour peuqu'on encourageât cette culture , elle assurerait<strong>de</strong>s avantages assez grands à <strong>la</strong> colonie. Lepoivre et <strong>la</strong> musca<strong>de</strong> pourraient facilement aussi yêtre introduits , dans là partie <strong>de</strong> l'ouest, parce quele climat <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe paraît avoir quelqueanalogie avec celui dés îles <strong>de</strong> l'Asie qui produisentces épices. Les petits habitans trouveraient, dansces cultures, <strong>de</strong>s produits pour remp<strong>la</strong>cer ceux quis'épuisent et par conséquent <strong>de</strong>s ressources nouvelles:


(41)Le tableau n° 5 présente l'aperçu <strong>de</strong>s cultures <strong>de</strong><strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , <strong>de</strong>puis l'époque où l'on a pu seprocurer quelques renseignements positifs, jusqu'àce jour. Il a été impossible d'avoir <strong>de</strong>sdonnéesexactes pour les époques antérieures à 1700; ellesexistaient sans doute dans les archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre , mais elles auront été consumées dans l'incendie<strong>de</strong> l'intendance, en 1794. La diversité <strong>de</strong>sdocuments qu'il a été possible d'obtenir n'a paspermis d'adopter, pour <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> ce tableau,une base uniforme, et a forcé <strong>de</strong> le diviser en troisparties et en trois pério<strong>de</strong>s.La première, qui va <strong>de</strong> 1700 à 1777, doit renfërïMer<strong>de</strong>s inexactitu<strong>de</strong>s dans l'énumération<strong>de</strong>sp<strong>la</strong>nts ; mais on y trouve au moins le nombre <strong>de</strong>smanufactures qui existaient alors ; c'est tout l'intérêtqu'elle présente,La secon<strong>de</strong> partie ne comprend pas les manufactures,et il n'a pas été possible <strong>de</strong> remplir cette <strong>la</strong>cune;mais on y trouve, <strong>de</strong>puis 1777 jusqu'en 1809,<strong>la</strong> quantité <strong>de</strong> carrés <strong>de</strong> terre employés à chaqueespèce <strong>de</strong> culture, ainsi que le nombre <strong>de</strong>s bestiauxet <strong>de</strong>s moulins. On peut donc évaluer, pendantce temps, les produits annuels <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie,en partant du principe, que :Le carré <strong>de</strong> terre p<strong>la</strong>nté en cannes, donne :En sucre (quintaux) <strong>de</strong> 40 à 60En café. i<strong>de</strong>m <strong>de</strong> 15 à 20


(42)En coton i<strong>de</strong>m <strong>de</strong> 3 à 4En cacao i<strong>de</strong>m <strong>de</strong> 10 à 15La <strong>la</strong>cune qui se fait remarquer, <strong>de</strong> 1790 à 1804,comme on l'a dit, provient <strong>de</strong> ce que les archives,où se trouvaient les dénombrementsantérieurs à1794, ont été brûlées, et <strong>de</strong> ce que les événementsn'ont permis d'en établir <strong>de</strong> nouveaux qu'en 1804.On a tâché d'y remédier, en partie , par le tableausupplémentaire n° 6. Ce tableau présente, outre lenombre <strong>de</strong>s manufactures qui existaient en 1801,unaperçu <strong>de</strong>s revenus et <strong>de</strong>s dépenses <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, ainsi que <strong>de</strong>s propriétés sequestrées après l'émigration.La troisième partie du tableau n° 5, indique <strong>la</strong>quantité <strong>de</strong> manufactures, <strong>de</strong> carrés <strong>de</strong> terre p<strong>la</strong>ntésou non, <strong>de</strong> bestiaux et <strong>de</strong> moulins, <strong>de</strong>puis 1812jusqu'en 1821. (L'état <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière année a étédressé en mai 1822).Ce tableau n'est pas aussi exact qu'on pourrait ledésirer, parce que les habitans déc<strong>la</strong>rent rarement,sur leurs feuilles <strong>de</strong> dénombrement, <strong>la</strong>quantitéprécise <strong>de</strong>s terres qu'ils possè<strong>de</strong>nt et <strong>de</strong> celles qu'ilscultivent. Cette partie offre encore moins <strong>de</strong> certitu<strong>de</strong>dans ses résultats, que les dénombrements <strong>de</strong>sindividus. On ne sent pas assez <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> donner<strong>de</strong>s documents exacts sur les manufactures ,les moulins et les bestiaux. Aussi trouve-t-ond'uneannée à l'autre, <strong>de</strong>s différences


(43)étonnantes, dans les quantités et qui n'ont d'autrecause que le plus ou moins <strong>de</strong> précision apportéedans les recensements. L'état <strong>de</strong> 1821 est cependantplus régulier que les autres, parceque l'administrationcoloniale met, chaque année, plus <strong>de</strong> soinà leur formation.Le tableau n° 7, donne le nombre <strong>de</strong> carrés <strong>de</strong>terre cultivés, <strong>de</strong> manufactures, <strong>de</strong> moulins et <strong>de</strong>bestiaux qui existent, en 1822, dans chaque quartier<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>de</strong> ses dépendances. 11 met àmême d'apprécier <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> ces quartierset fait voir que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, proprementdite, produit beaucoup moins que <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre,à cause <strong>de</strong> ses montagnes.Pour se faire une idée précise du rang que cettecolonie doit occuper parmi les établissements français, on peut admettre, avec confiance le calculsuivant (1) :Sur une surface d'à-peu-près 75 lieues carrées,<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe en consacre 40 à <strong>la</strong> culture du sucre,pour <strong>la</strong>quelle les établissements nécessaires existent ;les autres cultures n'occupent que 15 lieues <strong>de</strong> surface.Chaque lieue carrée renferme 1600 carrés, ouenviron 10 habitations, <strong>de</strong> 150 carrés chacune ; <strong>la</strong>moitié <strong>de</strong> <strong>la</strong> surface <strong>de</strong> l'habitation est occupée parles établissements, les produits vivriers, les savannes(1) Mémoire inédit du général Ambert.


(44)et les bois; l'autre moitié est consacrée à <strong>la</strong> culturedu sucre. Le rapport annuel <strong>de</strong> celte culture estporté à un taux très-modéré, en ne l'estimantqu'à 2 milliers <strong>de</strong> sucre terré, par carré cultivé , cequi donne 1500 milliers, pour les 10 habitations <strong>de</strong><strong>la</strong> lieue carrée, et 60 millions ou 60 mille barriques,pour <strong>la</strong> totalité <strong>de</strong>s 40 lieues carrées.Les sirops et les rums pouvant être portés pourun cinquième en sus <strong>de</strong> celte valeur, représentent12 millions <strong>de</strong> sucre. Les autres cultures , qui emportentles trois huitièmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> surface,peuventêtre considérées comme représentant un quart duproduit, ou 15 autres millions.C'est donc d'après un revenu brut <strong>de</strong> 85 millions<strong>de</strong> sucre, terré, ou <strong>de</strong> 44 millions et <strong>de</strong>mi <strong>de</strong> kilogrammes,qu'il faut déterminer le rang que doit occuper<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe dans <strong>la</strong> c<strong>la</strong>ssification et l'évaluation<strong>de</strong>s établissements français.Les cultures inférieures pourraient gagnerencoredix lieues carrées à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe proprementdite, si l'on abattait les bois qui occupent <strong>de</strong>sterrains propres à <strong>la</strong> culture; car ceux qui sontinaccessibles, ne vont pas au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> dix lieuescarrées; mais il est important <strong>de</strong> ne pas trop dépouillercette partie, qui attire les vapeurs et <strong>de</strong><strong>la</strong>quelle découlent les eaux qui arrosent et fertilisenttoutes les autres. D'ailleurs avant <strong>de</strong> songerà accroître les cultures, il serait essentiel <strong>de</strong> suppléer


(45)à ce qui manque <strong>de</strong> bras nécessaires aux établissesementsdéjà sur pied, pour en assurer l'exploitationrégulière; il faudrait, surtout, accor<strong>de</strong>r une libertéentière pour les cultures, suivant les vues et l'intérêtdu colon ; cette liberté est réc<strong>la</strong>mée par <strong>la</strong> positionactuelle <strong>de</strong>s colonies.La Martinique est loin <strong>de</strong> se trouver susceptibled'accroissement comme <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe; l'épuisement<strong>de</strong> ses terres l'empêchera toujours <strong>de</strong> dépasserle point stationnaire qu'elle avait atteint avant <strong>la</strong>révolution.PRODUIT DU CARRÉ DE TERRE.Dans une habitation à sucre, les terres consacréesà <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne, se divisent en troisportions :La première est composée dites cannes p<strong>la</strong>ntées;La secon<strong>de</strong> <strong>de</strong> celles dites premiers rejetons.La troisième <strong>de</strong> cannes dties seconds rejetons.A <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, les cannes p<strong>la</strong>ntées produisentcommunément 200 formes <strong>de</strong> sucre par carré , quifont six barriques <strong>de</strong> sucre terré , ou 8 barriques <strong>de</strong>sucre brut.Les premiers rejetons donnent 160 à 180 formes,ou trois barriques <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong> sucre terré, ouquatre barriques <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong> brut.Les seconds rejetons donnent 100 à 150 formes,


(46)ou <strong>de</strong>ux à trois <strong>de</strong>mi barriques <strong>de</strong> terré, ou quatreà quatre et <strong>de</strong>mi barriques <strong>de</strong> sucre brut.En résultat, le carré <strong>de</strong>vrait produire quatre barriquesou milliers <strong>de</strong> sucre terré, ou bien cinq barriquesun tiers <strong>de</strong> sucre brut ; mais les intempéries,les sécheresses, les acci<strong>de</strong>nts, les non valeurs et <strong>la</strong>différence <strong>de</strong>s mauvaises terres avec les bonnes,réduisent ce produit pour chaque carré, l'un dansl'autre, à trois barriques ou milliers <strong>de</strong> sucre terré,ou bien à quatre <strong>de</strong> sucre brut, et c'est encore beaucoup;car <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, avec ses dépendances,a, en ce moment, 22,023 carrés <strong>de</strong> terre p<strong>la</strong>ntés encannes, et il lui faut une année très - favorablespour produire 60,000 barriques ou milliers <strong>de</strong> sucre.Le carré <strong>de</strong> terre p<strong>la</strong>nté en café, a communément2,5oo pieds <strong>de</strong> café, et rapporte 25 quintauxgrains, à raison d'une livre par pied, produitmoyen.<strong>de</strong>


(47)CHAPITREVI.Commerce.LES colonies françaises, comme celles <strong>de</strong> toutesles nations mo<strong>de</strong>rnes, ont été fondées dans l'intérêt<strong>de</strong> leur métropole, pour lui être utiles par un commerceque l'agriculture <strong>de</strong>vait seule soutenir et accroître.Il fal<strong>la</strong>it qu'elles fussent riches pour atteindrece but ; mais elles ne durent s'enrichir qu'auprofit du commerce national. De là l'engagementtacite, <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, <strong>de</strong> s'occuper <strong>de</strong><strong>la</strong> prospérité <strong>de</strong>s colonies, <strong>de</strong> l'extension <strong>de</strong> leurscultures, et <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> les porter au <strong>de</strong>gré d'opulencedont elles seraient susceptibles ; et, <strong>de</strong> <strong>la</strong>part <strong>de</strong>s colonies, <strong>de</strong> verser exclusivement leursproduits dans les ports <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, <strong>de</strong> se soumettreaveuglément à <strong>la</strong> loi <strong>de</strong> sévère prohibitionqu'elle leur imposerait, afin qu'elles ne fussent pasà sa charge, et ne concourussent pas à augmenterles richesses et, par conséquent, <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> sesrivales.Des <strong>de</strong>ux côtés, on se p<strong>la</strong>int que ce pacte a étéméconnu; on accuse, avec raison, les colonies d'a-


(48)voir entretenu, dès le principe, un commerce frauduleuxavec les Hol<strong>la</strong>ndais, et <strong>de</strong> l'avoir continué,sans interruption, avec les Ang<strong>la</strong>is et d'autres étrangers.Mais n'y ont-elles pas été provoquées? Le ministèren'a-t-ilpas, le premier, enfreint le pacte, enlivrant les colonies à <strong>la</strong> rapacité <strong>de</strong>s compagnies,en les vendant à d'avi<strong>de</strong>s acquéreurs, en surchargeantleurs <strong>de</strong>nrées d'impôts, en accueil<strong>la</strong>nt celles<strong>de</strong>s étrangers, en négligeant <strong>de</strong> les protéger contreleurs ennemis, et en les <strong>la</strong>issant manquer <strong>de</strong>s objets<strong>de</strong> première nécessité, même d'instruments aratoires?Le tabac, cette production primitive qu'elles récoltèrentau milieu <strong>de</strong>s fléaux les plus accab<strong>la</strong>nts, nefut-il pas imposé à 4 liv. le cent pesant, à son entréeen France, au lieu d'obtenir une prime d'encouragement?Le sucre, au moment où les colons commencèrentà le fabriquer, ne fut-il pas assujetti aumême impôt, qui <strong>de</strong>vait paraître énorme, en raisondu prix modique qu'on retirait alors <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>nrées(1); tandis qu'on accueil<strong>la</strong>it, dans les ports;français, les mêmes produits venant <strong>de</strong> l'étranger?Car ce ne fut que par les arrêts <strong>de</strong>s 18 avril 1667 etdu 2 septembre 1669, que les sucres, qui n'étaient(1) 3 e vol. <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine; lettres minisléricllesdu18 septembre 1664 et 18 avril 16G7.


(49)pas le produit <strong>de</strong>s cultures nationales , furent taxésà 22 liv. 10s. le cent pesant, et les cassona<strong>de</strong>s à 15 liv.Jusqu'alors nos colonies avaient joui <strong>de</strong> <strong>la</strong> libertéd'exporter leurs <strong>de</strong>nrées directement pour tous lesports <strong>de</strong> l'Europe; en 1669, on restreignit cette facultéaux seuls ports <strong>de</strong> France, et on déchargea <strong>de</strong>tous droits les sucres <strong>de</strong> nos Antilles. Mais, le 3décembre 1670, ils furent <strong>de</strong> nouveau taxés à 2 liv.par quintal, et peu <strong>de</strong> temps après, à 3 liv.Quand les îles d'Amérique eurent été réunies à <strong>la</strong>masse <strong>de</strong> l'état, le commerce avec ces îles <strong>de</strong>vintplus exclusif. En 1675, on assujétit les navires àfaire leur retour dans les mêmes ports <strong>de</strong> Franced'où ils étaient partis; on surchargea <strong>de</strong> droits les<strong>de</strong>nrées que les colonies ne produisaient encorequ'en petite quantité ; le sucre raffiné paya 8 liv. parcent, d'entrée, et le tabac 20 s. par livre.Les cultures y éprouvèrent une nouvelle atteinte,par <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que firent les raffineurs <strong>de</strong> France,et qui leur fut accordée en 1682, <strong>de</strong> prohiber <strong>la</strong>sortie <strong>de</strong>s sucres bruts , qui ne va<strong>la</strong>ient alors que 14à 15 liv. le quintal (1), tandis que les colonies rivalesrecevaient <strong>de</strong>s encouragements.Le coton, qui avait d'abord échappé aux rigueurs(1) En 1713 , les sucres bruts ne va<strong>la</strong>ient plus que 5 à6 livres, le cent pesant.II. 4


(50)du fisc, fut grevé, en 1664, d'un droit <strong>de</strong> 5 liv, parquintal, ce qui en diminua considérablement <strong>la</strong>culture; cette taxe fut réduite <strong>de</strong> moitié en 1691 ;mais cette diminution ne fit pas revivre les arbustesque l'impôt avait fait extirper.Cependant le commerce français <strong>la</strong>issait manquerles colonies <strong>de</strong> sa<strong>la</strong>isons. En vain une prime <strong>de</strong> 4 liv.fut allouée par baril <strong>de</strong> bœuf salé importé <strong>de</strong> France;<strong>la</strong> mauvaise qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vian<strong>de</strong> et du sel lui firentpréférer celui d'Ir<strong>la</strong>n<strong>de</strong> , qui venait par <strong>la</strong> nouvelleAngleterre, et qui a toujours conservé <strong>la</strong> même faveur.Le gouvernement, voyant l'impossibilité <strong>de</strong>soutenir <strong>la</strong> concurrence du commerce <strong>de</strong> ces sa<strong>la</strong>isons,les exempta <strong>de</strong> tout droit d'entrée dans nos îles,par un règlement <strong>de</strong> 1710, et consacra ainsi le principe: que si on réservait exclusivement au commercefrançais tous les objets d'importation, onagirait contre <strong>la</strong> justice et <strong>la</strong> politique , et que ceserait porter <strong>la</strong> déso<strong>la</strong>tion où règne l'abondance,puisque ce commerce ne peut pas satisfaire à tousles besoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture et <strong>de</strong> <strong>la</strong> consommation <strong>de</strong>scolonies.La paix <strong>de</strong> 1713 réveil<strong>la</strong> les sollicitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropolepour ses îles d'Amérique ; elle s'en occupaavec plus <strong>de</strong> soin, et accorda, en 1717, plus <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>à leur commerce. Les produits <strong>de</strong> l'industriefrançaise y furent admis , exempts <strong>de</strong> tous droits ;ceux établis sur les <strong>de</strong>nrées coloniales qui se con-


(51)sommaient dans le royaume, furent modérés; onajouta, à cette faveur, <strong>la</strong> faculté entière d'en vendreaux autres nations, moyennant un droit <strong>de</strong> troispour cent à l'entrée et à <strong>la</strong> sortie; enfin les colonsfurent autorisés à faire <strong>de</strong>s expéditions directes pourles ports étrangers.Ces mesures libérales et réparatrices eussent faitfaire <strong>de</strong>s progrès rapi<strong>de</strong>s aux colonies françaises, sile système du banqueroutier Law n'eût étendu ses funesteseffets au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s mers, et enlevé au commerceles moyens <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s armements pour subveniraux besoins <strong>de</strong>s Antilles. Depuis 1719 jusqu'en1725, le gouverneur Moyencourt ne cessa pas <strong>de</strong> sep<strong>la</strong>indre au ministre <strong>de</strong> ce que les ressources fourniespar le commerce français, en <strong>de</strong>nrées et en nègres,étaient très-insuffisantes à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, quimanquait alors <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> bras pour ses cultures(1); et cette pénurie rendit nécessaire et rouvritle commerce interlope. Mais un édit, du moisd'octobre 1727, détermina <strong>de</strong>s précautions sévèrespour le faire cesser et défendit d'admettre, dans les colonies, d'autres nègres, effets, <strong>de</strong>nrées et marchandisesque ceux importés par les seuls bâtiments nationauxchargésdans <strong>de</strong>s ports français; <strong>la</strong> peine <strong>de</strong>s ga-(1) Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, volumes <strong>de</strong>s années 1719à 1725, article Gua<strong>de</strong>loupe.4


(52)1ères fut établie contre ceux qui contreviendraientà cette défense. Une loi aussi sévère s'accordait ma<strong>la</strong>vec l'impuissance du commerce français ; elle influalong-temps sur le sort <strong>de</strong> nos établissements dansl'archipel américain ; <strong>de</strong> sages modifications sontvenues , mais bien tard, en tempérer <strong>la</strong> rigueur.La France, à <strong>la</strong> fin, convaincue que si le commerceavec les étrangers n'avait jamais eu lieu, sesîles seraient encore inhabitées et auraient manqué<strong>de</strong> vivres à toutes les époques désastreuses où elles furentravagées par <strong>la</strong> guerre ou par les ouragans, reconnutle vice <strong>de</strong> cette institution; elle sentit quel'empire <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi austère <strong>de</strong>s prohibitions doit cesserdès que l'obligation <strong>de</strong> pourvoir aux besoins <strong>de</strong>scolons ne peut être remplie, sans quoi l'on tarirait<strong>la</strong> source <strong>de</strong>s richesses par les mêmes moyens qu'onemploie d'ordinaire pour les conserver.On revint donc sur l'édit <strong>de</strong> 1727, et il fut décidé,le 18 avril 1763, que les étrangers pourraient introduireaux colonies <strong>de</strong>s bestiaux vivants, <strong>de</strong>s bois <strong>de</strong>construction, <strong>de</strong>s merrains , <strong>de</strong>s grains, <strong>de</strong>s fruits,et <strong>de</strong>s briquetages, en échange <strong>de</strong>s sirops et <strong>de</strong>s tafiasdont l'exportation fut permise, moyennant undroit <strong>de</strong> sortie <strong>de</strong> 3 pour cent et un autre droit additionnel<strong>de</strong> 8 sous par livre.Jusque-là les sirops ou mé<strong>la</strong>sses, résidus du sucre, et matières premières du rum et du tafia,avaient été perdus pour les colonies. Une fausse poli-


(53)tique en avait fait proscrire l'introduction en France,où l'on craignait que leur concurrence ne nuisît audébouché <strong>de</strong>s eaux-<strong>de</strong>-vie. 11 n'était pas même liciteaux étrangers d'aller les acheter sur les lieux.Les p<strong>la</strong>nteurs étaient contraints <strong>de</strong> les jeter, parceque l'exportation du tafia étant également proscrite,il n'y avait d'autres guildiveries que celles nécessairesà <strong>la</strong> consommation intérieure <strong>de</strong> l'île. Cettebranche <strong>de</strong> commerce , formant plus du quart durevenu <strong>de</strong>s sucreries ang<strong>la</strong>ises , était <strong>de</strong> nulle valeurpour les nôtres, qui perdaient, avec ces matières ,toutes les cannes fermentées ainsi que celles dont <strong>la</strong>qualité, peu propre à faire du bon sucre, était excellentepour le tafia.La Gua<strong>de</strong>loupe ne fut pas plutôt soustraite àl'impolitique dépendance <strong>de</strong> sa rivale, que ses administrateurss'empressèrent d'arrêter le transport<strong>de</strong> ses <strong>de</strong>nrées à <strong>la</strong> Martinique, et prohibèrent l'introduction, par cette île, <strong>de</strong>s marchandises d'Europe.Le conseil du Roi confirma ces dispositions,le II octobre 1763 ; alors le commerce <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie,dégagé <strong>de</strong> ses entraves , et se trouvant, pour <strong>la</strong> premièrefois , en communication directe avec <strong>la</strong> métropole,prit son essor, et l'on vit s'élever, du milieu<strong>de</strong>s eaux, <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, qui <strong>de</strong>vaitbientôt concentrer dans son port les affaires commercialesles plus importantes.La morue était déjà <strong>de</strong>venue une <strong>de</strong>nrée <strong>de</strong> pre-


(54)mière nécessité pour nos îles; mais, comme on l'adéjà dit, le commerce français ne pouvait pas suffireà leur approvisionnement; elles étaient obligéesd'avoir recours au commerce interlope pour s'enprocurer, car <strong>la</strong> nécessité est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s conventionset <strong>de</strong>s lois.Pour y remédier, un ordre du roi, du 25 janvier1765, accorda <strong>la</strong> liberté d'introduire dans les îlesfrançaises, <strong>la</strong> morue étrangère, en <strong>la</strong> soumettant à undroit d'entrée <strong>de</strong> 8 livres par quintal. Mais <strong>la</strong> pêchepar bâtiments nationaux ayant été plus productivel'année suivante, cette licence fut révoquée, le22 septembre 1766, et les mesures qu'on crut propresà assurer, pour l'avenir, un approvisionnementgénéral <strong>de</strong> morue française, furent prisesalors.Cependant, puisqu'on avouait le besoin <strong>de</strong> recouriraux commerçants étrangers, ce qui ne pouvaitse faire qu'en ouvrant les ports <strong>de</strong>s colonies àleurs armateurs, ou en al<strong>la</strong>nt chercher chez eux lesobjets nécessaires, il eût été préférable d'adopterce second moyen ; loin d'être sujet à aucun <strong>de</strong>s inconvéniensdu premier, il aurait produit les avantages<strong>de</strong> stimuler le commerce national et d'amenerune concurrence qui met un prix juste aux marchandiseset établit entre elles leurs véritables rapports.Mais on ne le fit pas, et lorsque toutes les dispo-


_ ( 5 5 )sitions qu'on avait prises furent reconnues insuffisantes,le ministère se détermina à établir, dans lescolonies, <strong>de</strong>ux ports francs à titre d'entrepôt; l'unà Sainte-Lucie , pour les îles du vent, et l'autre aumôle Saint-Nico<strong>la</strong>s pour Saint-Domingue (1). L'introduction,par l'étranger, <strong>de</strong> tous les articles quenotre commerce ne pouvait pas fournir, y fut autorisée; les marchandises étalent soumises, lors <strong>de</strong>leur sortie <strong>de</strong> l'entrepôt, au droit d'un pour cent,en faveur du domaine d'occi<strong>de</strong>nt (2). Il ne pouvaitêtre exporté, en échange, et en payant un droit <strong>de</strong>sortie <strong>de</strong> 3 pour cent, que les sirops et les tafias dé<strong>la</strong>isséspar le commerce français (3). Néanmoins,pour encourager le commerce national, il fut accordé,par arrêt du conseil-d'état, le 31 juillet 1767,une prime <strong>de</strong> 25 sous par quintal, et pendant sixannées, à <strong>la</strong> morue provenant <strong>de</strong> pêche et d'importationfrançaise. Cette prime fut renouvelée le19 mai 1775.(1) Règlement du 29 juillet 1767, et lettres patentesdu 1 er avril 1768.(2) Le droit du domaine d'occi<strong>de</strong>nt était celui que noscolonies payaient, avant <strong>la</strong> révolution, pour taxe d'exportation<strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>nrées; il était alors d'un pour cent, et<strong>de</strong>puis 1816, il a été <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux et même <strong>de</strong> trois pourcent.(3) Instructions données, en 1784, à MM. <strong>de</strong> Clugnyet <strong>de</strong> Foulquier.


(56)Les esc<strong>la</strong>ves employés aux guildiveries furentexemptés <strong>de</strong> tout droit <strong>de</strong> capitation, le 31 mars1776, afin d'exciter à <strong>la</strong> fabrication du tafia; et, le1 er juin 1777, on permit l'importation en France <strong>de</strong>ssirops et <strong>de</strong>s tafias, mais seulement par entrepôt,pour qu'on pût les exporter à l'étranger.Les liens qui avaient rattaché <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe à<strong>la</strong> Martinique venaient d'être rompus, en 1775, pourne plus être renoués ; mais on différa <strong>de</strong> prononcerl'interdiction <strong>de</strong> leur cabotage, jusqu'à ce que l'expérienceen eût fait sentir <strong>la</strong> nécessité. Les exportations<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et dé ses dépendancesconsistaient alorsen:Sucrebrut... 188,386 quintaux, évalués à 7,137,930 liv.Café.......... 63,029 dito 3,993,860Indigo 1,438 1/2 dito 1,222,519Cacao ....... 1,023 1/3 dito 71,651Coton 5,193 dito 1,298,437Cuirs en poil. 727 dito 6,973Carret (1)... 16 1/3 dito 16,56o.....Casse ou canefice.... 1,262 dito 536Bois <strong>de</strong> teinture....125 dito 3,125Total......12,751,391 liv.(1) Carret ou écailles <strong>de</strong> tortue.


(57)Elle envoyait, en outre, d'autres <strong>de</strong>nrées à <strong>la</strong>Martinique ;Elle livrait du rum et <strong>de</strong>s sirops aux Anglo-Américains,dont elle recevait <strong>de</strong>s Bois, <strong>de</strong>s farines, <strong>de</strong>sbestiaux et <strong>de</strong> <strong>la</strong> morue ; le commerce interlope luiprocurait le débit d'une partie <strong>de</strong> ses cotons, à <strong>la</strong>Dominique, en échange d'esc<strong>la</strong>ves ; et d'une partie<strong>de</strong> ses sucres à Saint-Eustache, qui les lui payaiten argent ou en marchandises <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s orientales(1).Ses produits seraient <strong>de</strong>venus plus considérables siles bras, qui lui manquaient, luieussent été fournis;mais le commerce français était encore tellementborné, que <strong>de</strong>puis 1764 jusqu'à 1778, c'est-à-dire,dans l'espace <strong>de</strong> quatorze ans, il n'y avait été introduitque 4862 nègres. La colonie était donc forcée,pour s'en procurer , d'aller chercher , en contreban<strong>de</strong>, à <strong>la</strong> Dominique, le rebut <strong>de</strong>s cargaisonsang<strong>la</strong>ises, et, en payant fort cher, <strong>de</strong> s'exposer auxrisques <strong>de</strong> <strong>la</strong> frau<strong>de</strong>. Alors le ministère se déterminaà recourir, encore une fois, aux étrangers pour suppléerà l'insuffisance <strong>de</strong> nos expéditions, et à permettre,le 28 juin 1783 , l'introduction, pendanttrois ans, <strong>de</strong>s noirs <strong>de</strong> traite étrangère, en les assujétissantàun droit d'entrée <strong>de</strong> 100liv. par tête. Vai-(1) Tableau du commerce <strong>de</strong> l'Europe, d'aprèsRaynal.


(58)nement, en I786, il essaya <strong>de</strong> soutenir <strong>la</strong> concurrenceen accordant une prime <strong>de</strong> 60 liv. par nègre<strong>de</strong> traite française (1); les armements n'en furent pasplus actifs, et <strong>de</strong> 1783 à 1789, on ne compta que697 noirs introduits par le commerce <strong>de</strong> France.Sa malheureuse impuissance était encore journellementdémontrée, mais en sens différent, par les<strong>de</strong>ux ports d'entrepôt. Les colons <strong>de</strong> Saint-Domingue,débarrassés <strong>de</strong> tout obstacle, trouvaient <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>s ressources dans celui du môle Saint-Nico<strong>la</strong>s; mais le port <strong>de</strong> Sainte-Lucie était d'une médiocreutilité pour <strong>la</strong> Martinique, et absolumentnul pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, à cause <strong>de</strong> son éloignement.Pour y suppléer, le Roi, en envoyant MM. <strong>de</strong>Clugny et <strong>de</strong> Foulquier, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, enmars 1784, les autorisa à y admettre provisoirement,les navires étrangers, en se conformant à cequi était prescrit pour Sainte-Lucie.Le 3o août suivant, le conseil d'état confirmacette disposition pour <strong>la</strong> Pointe-à-Pître; il établitun nouvel entrepôt à <strong>la</strong> Martinique , un à Tabagoet trois autres à Saint-Domingue.(1) Arrêt du conseil-d'état du 10 septembre 1786; dépêcheministérielle du 21 septembre 1787 ; arrêt du conseild'état du 2 juillet 1789.


(59)Les navires étrangers du port d'au moins 60tonneaux , eurent <strong>la</strong> liberté d'apporter, dans cesentrepôts, toute espèce <strong>de</strong> bois , même celui<strong>de</strong> teinture ; du charbon <strong>de</strong> terre, <strong>de</strong>s animaux vivans, <strong>de</strong>s sa<strong>la</strong>isons <strong>de</strong> bœuf, et non <strong>de</strong> porc ; <strong>de</strong><strong>la</strong> morue et d'autres poissons salés; <strong>de</strong>s grains,<strong>de</strong>s légumes , <strong>de</strong>s cuirs et pelleteries , <strong>de</strong>s résineset du goudron; mais à <strong>la</strong> condition qu'ils n'exporteraient,en échange, que les sirops et les tafias dupays.Des c<strong>la</strong>meurs se firent aussitôt entendre contrecette concession libérale ; elle <strong>de</strong>vait, disait-on ,consommer <strong>la</strong> ruine <strong>de</strong>s colonies, <strong>de</strong> <strong>la</strong> navigationet du commerce; car, en tout temps, lesamateurs <strong>de</strong> l'exclusif et <strong>de</strong>s vieilles routines ontcombattu les innovations salutaires. Mais les résultats<strong>de</strong> celle-ci ne tardèrent pas à prouver l'absurdité<strong>de</strong> leurs craintes, en procurant aux colonies quelquesinstants d'une prospérité que , Jusque-là, ellesavaient ignorée. Cette prospérité vint d'autant plusà propos, pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, que ses p<strong>la</strong>ntationsavaient été horriblement ravagées, en 1784, par <strong>de</strong>svers chenilles, <strong>de</strong>structeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne à sucre;on n'y avait, pas jusqu'alors, vu cette espèce <strong>de</strong> vers.Les habitans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, s'étant p<strong>la</strong>intsamèrement <strong>de</strong> ce que toutes les faveurs <strong>de</strong> l'entrepôttournaient uniquement à l'avantage <strong>de</strong> ceux<strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, un arrêt du conseil-d'état,


( 60 )du 28 décembre 1786, fit droit à ces réc<strong>la</strong>mations,en transférant l'entrepôt dans <strong>la</strong> première <strong>de</strong> cesvilles, et en statuant que les navires étrangerspasseraient les trois mois d'hivernage à <strong>la</strong> Pointeà-Pître.On fit <strong>de</strong> vains efforts pour obtenir l'établissementd'un entrepôt dans chacune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux villes ;le gouvernement ne voulut jamais y consentir , etcelui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre <strong>de</strong>vint <strong>la</strong> pomme <strong>de</strong> discor<strong>de</strong>qui fit éc<strong>la</strong>ter les premiers troubles <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie(1).La valeur <strong>de</strong>s exportations étrangères qui eurentlieu <strong>de</strong> l'entrepôt <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, en 1786 et1788, fut :En 1786. En 1788.Aux État-Unis d'Amérique<strong>de</strong> 2,225,265 liv. 771,0001.Aux possessions ang<strong>la</strong>ises<strong>de</strong> 150,703-— 23 9,00Aux possessions espagnoles<strong>de</strong>.... 24,798 — 9,000.Aux îles danoises <strong>de</strong>.... 87,490 — 104,000.Aux îles suédoises <strong>de</strong>.. 3,350 — 30,000.Aux îles hol<strong>la</strong>ndaises <strong>de</strong> 133,-247 — 446,000.2,624,853 liv. 1,599,000 l.(1) L'assemblée coloniale décida le 9 décembre 1789,


( 6 1 )Cette exportation provenait <strong>de</strong>s objets qui étaienten gran<strong>de</strong> partie le produit du sol et <strong>de</strong> l'industrie<strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, mais surtout <strong>de</strong>s sirops et <strong>de</strong>s tafias<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, dont <strong>la</strong> valeur, pour <strong>la</strong> seule année1786, fut <strong>de</strong> 1,405,630 livres.La différence qu'on remarque dans les exportations<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux années vient <strong>de</strong> ce qu'en 1788,elles n'eurent lieu que pendant les trois mois d'hivernage;l'entrepôt étranger ayant été transféré à<strong>la</strong> Basse-Terre.Les articles principaux étaient :Les vins, dont l'exportation fut, annéecommune, d'à-peu-près. . . . . 230,912 l.Les chan<strong>de</strong>lles <strong>de</strong> 16,420.Les savons <strong>de</strong> 44,500.La parfumerie <strong>de</strong> 14,000.L'huile <strong>de</strong> 16,732.Ce qui forme un total <strong>de</strong>. . . 321,5641.que les Américains seraient admis , en toute saison à <strong>la</strong>Pointe-à-Pître et à Marie-Ga<strong>la</strong>nte, comme ils l'étaient à<strong>la</strong> Basse-Terre. Un décret du 29 novembre 1790, confirmacette disposition pour <strong>la</strong> Pointe-à-Pître et <strong>la</strong> Basse-Terrò seulement. (Recueil <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine , tome 1 er ,page 198.)


(62)Les navires étrangers qui sortirent (lu port <strong>de</strong> <strong>la</strong>Pointe-à-Pître, chargés <strong>de</strong>s marchandises exportéesen 1786, et selon toute apparence, <strong>de</strong>s produits ducommerce interlope, jaugeaient 22,949 tonneaux.La morue étrangère était admise dans ces entrepôtsen payant un droit, qui fut d'abord, parquintal, <strong>de</strong> 3 livres et en suite <strong>de</strong> 5 livres, qu'onreversait en prime d'encouragement, à raison <strong>de</strong>10 livres par quintal, sur <strong>la</strong> morue française (1).Ces dispositions ayant fait augmenter, <strong>de</strong> plusd'un cinquième , le produit <strong>de</strong> <strong>la</strong> pêche nationale,les primes d'encouragement furent élevées à 12 livrespar quintal, le 11 février 1787, et les droitssur <strong>la</strong> morue étrangère à 8 livres. Comme les Américainsn'en <strong>la</strong>issaient jamais manquer nos îles, et queleur morue avait, sur <strong>la</strong> nôtre, l'avantage résultant<strong>de</strong>s facilités locales qu'ils ont pour faire <strong>la</strong> pêche,les colonies saisirent l'instant <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution pour<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r, avec instance , que <strong>la</strong> morue américainefût exempte <strong>de</strong> tout droit; mais le gouvernements'y refusa constamment par <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> nuire à <strong>la</strong>pêche française.Un arrêté consu<strong>la</strong>ire, du 8 mars 1802, accordavainement <strong>de</strong>s gratifications considérables à nos(1) Arrêts du conseil-d'état du 18 septembre et du 25septembre 1785.


(63)armateurs et à nos marins pour encourager <strong>la</strong> pèche<strong>de</strong> <strong>la</strong> morue, ses produits n'ont jamais pu rivaliseravec ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> pèche faite par les marins <strong>de</strong>sÉtats-Unis.Les relevés d'importation et d'exportation, antérieursà <strong>la</strong> révolution, étant incomplets et inexacts,n'ont pu mettre à même d'en donner un tableausatisfaisant. Tous présentent une ba<strong>la</strong>nce beaucoupplus forte en faveur <strong>de</strong> l'exportation, parce qu'alorsl'importation <strong>de</strong>s articles <strong>de</strong> luxe était encorebornée et <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> valeur; parce que beaucoup,d'objets, provenant du sol ou <strong>de</strong> l'industrie française,étaient exempts <strong>de</strong> droits et ne sont pas comprissur les relevés <strong>de</strong>s douanes ; enfin parce qu'unebonne partie <strong>de</strong>s objets importés était introduite ,dans les îles, par le commerce interlope.Le tableau numéro 8 offre l'état du commerce <strong>de</strong><strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe <strong>de</strong>puis les six <strong>de</strong>rniers mois <strong>de</strong> 1789jusqu'en 1821 ; il démontre que ce commerce étaiten déca<strong>de</strong>nce au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution , et qu'iln'a atteint le maximum <strong>de</strong> sa prospérité que <strong>de</strong>1806 à 1808. Les observations qui y sont jointesempêchent néanmoins <strong>de</strong> baser <strong>de</strong>s calculs exactssur ce tableau ; on commettrait <strong>de</strong> graves erreurs sion prenait à <strong>la</strong> lettre l'évaluation <strong>de</strong>s importations,parce que, pour frau<strong>de</strong>r les droits, les déc<strong>la</strong>rationsfaites à <strong>la</strong> douane, étaient <strong>la</strong> plupart du temps frauduleuses.D'ailleurs , pendant <strong>la</strong> guerre, les impor-


(64)tations, ainsi que les exportations , ne furent soumisesà aucune règle. L'introduction <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves<strong>de</strong> traite et d'une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s marchandises,provenant <strong>de</strong> prises faites sur les Ang<strong>la</strong>is, était,presqu'en totalité, opérée par <strong>de</strong>s corsaires.Le commerce interlope se faisait avec plus d'a-Èandoii, et l'importation <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> fabriquefrançaise se trouvait presque nulle, parce que cesobjets ne pouvaient pas soutenir <strong>la</strong> concurrence <strong>de</strong>ceux que les Ang<strong>la</strong>is donnaient à bien plus bas prix.Caraux colonies, il importe peu que ces objets soientinférieurs pour <strong>la</strong> qualité et pour <strong>la</strong> durée ; on nes'attache qu'au bril<strong>la</strong>nt et à ce qui f<strong>la</strong>tte le coupd'oeil. Il en est <strong>de</strong> ces produits <strong>de</strong> l'industrie nationale,comme en France, <strong>de</strong>s sucres que nos possessionsfabriquent à grands frais et qui ne peuventpas rivaliser avec les prix modiques <strong>de</strong>s sucresétrangers.Aussi trouve-t-on que, <strong>de</strong> 1803 à 1807, valeur<strong>de</strong>s importations <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie fut, année commune,<strong>de</strong> 50,000,000, à cause <strong>de</strong>s nombreuses prises faitespar les corsaires, et que les exportations ne s'élevèrentqu'à 22,000,000.On ne peut donc faire, d'après ce tableau, <strong>de</strong>calcul aproximatif du commerce <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeavec <strong>la</strong> France, que <strong>de</strong>puis 1817 jusqu'en 1821.On voit que, dans cet intervalle, <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> l'importationa été, terme moyen, <strong>de</strong> 8,000,000, et


(65)celle <strong>de</strong> l'exportation d'un peu plus du double chaqueannée. La ba<strong>la</strong>nce, en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, auraitété plus considérable si l'on eût satisfait à tous lesbesoins <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, et si elle n'avait pas été forcéed'avoir recours aux Ang<strong>la</strong>is par l'entremise <strong>de</strong>sîles danoises et suédoises ; on peut évaluer qu'elle yfait passer annuellement un quart et même un tiers<strong>de</strong> ses produits.Le tableau, numéro 9, donne l'état <strong>de</strong> <strong>la</strong> navigationcommerciale <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, avec <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,<strong>de</strong>puis 1815 jusqu'en 1822, seule pério<strong>de</strong> pendant<strong>la</strong>quelle on a pu le dresser à <strong>la</strong> direction générale<strong>de</strong>s douanes. Ce tableau est curieux par <strong>la</strong> connaissancequ'il donne du mouvement <strong>de</strong> nos ports <strong>de</strong>commerce avec cette île.Pendant l'occupation <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, <strong>de</strong>puis 1810jusqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1814, on calcu<strong>la</strong> qu'il s'était importéannuellement à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, tant en objetsd'industrie ang<strong>la</strong>ise qu'en harengs et vins <strong>de</strong>Madère ou d'Oporto, pour une valeur<strong>de</strong> 8,268,1891.La colonie consomme , en tempsordinaire, y compris les rations <strong>de</strong>stroupes , à peu près 38,000 barils <strong>de</strong>farine; à 60 fr. l'un dans l'autre,ils coûtent . 2,280,000A reporter. . . 10,548,189II. 5


(66)Report. . . 10,548,189Elle reçoit 12,000 barriques <strong>de</strong> vin<strong>de</strong> toutes qualités , supputation faitedu vin en caisse, à 135 fr. <strong>la</strong> barrique;les 12,000 coûtent 1,620,000On y importe 16,000 paniersd'huile, y compris celle en cave, lesquels, à 36fr. le panier, coûtent. . 576,000Il y est consommé 10,000 barils<strong>de</strong> bœuf salé, qui, à 75 fr. le baril,terme moyen, coûtent. . . . 756,000Et 6,000 barils <strong>de</strong> porc , coûtçint,à 96 fr. le baril (1). . . . . 576,000Total <strong>de</strong>s importations. . 14,076,1891.Dans cet aperçu, on n'a pas compris <strong>la</strong> consommation<strong>de</strong>s articles français , que l'étranger neprocure pas , tels que les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Lyon, l'argenterie, <strong>la</strong> bijouterie, les g<strong>la</strong>ces, les meubles, les tapisseries, les porce<strong>la</strong>ines <strong>de</strong> Paris, les fruits con-(1) La France pourrait aisément fournir le bœuf et leporc salés, si les droits sur le sel n'empêchaient pas l'agriculteurd'élever et <strong>de</strong> multiplier ses troupeaux , etpermettaient à l'industrie <strong>de</strong> se livrer aux sa<strong>la</strong>isons et <strong>de</strong>les perfectionner.


(67)fits <strong>de</strong> Marseille et <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux , les cuirs tannés ,les médicaments <strong>de</strong> toutes espèces, les tuiles , ardoises, briques et carreaux <strong>de</strong> Nantes, objets qui présententune importation <strong>de</strong> plusieurs millions; nile beurre que les Ang<strong>la</strong>is et les Américains apportent, ni <strong>la</strong> chan<strong>de</strong>lle et le savon que <strong>la</strong> colonie consomme.On peut, sans exagération, évaluer cet approvisionnementannuel à 18 millions <strong>de</strong> francs. En yajoutant l'approvisionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> morue , quipeut s'élever <strong>de</strong> 10 à 12 millions <strong>de</strong> kilogrammespar an (1), et en doub<strong>la</strong>nt, à peu <strong>de</strong> chose près, cesaperçus, à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, où le luxe et<strong>la</strong> dépense sont plus considérables qu'à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,on se fera une idée <strong>de</strong>s avantages que <strong>la</strong>France pourrait en retirer, si elle mettait ces <strong>de</strong>uxcolonies en mesure <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> consommation dontelles sont susceptibles, et qu'elle voulût fournir àtous leurs besoins.Le tableau , numéro 9, <strong>de</strong> <strong>la</strong> navigation actuelle,(1) D'après les trois livres <strong>de</strong> morue que <strong>la</strong> loi accor<strong>de</strong>par semaine à chaque nègre , les 88 mille noirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe<strong>de</strong>vraient en consommer par an, 6,864,000 kil.Les b<strong>la</strong>ncs, les gens <strong>de</strong> couleur, libres, et le mouvementdu commerce maritime, en consomment presqueautant.5


COMMERCE AVEC LES ÉTATS-UNIS.(68)et le rapport du ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine au Roi, jointau budget <strong>de</strong> 1822, faisant connaître le nombre <strong>de</strong>bâtiments employés en 1821 à <strong>la</strong> pêche <strong>de</strong> <strong>la</strong> morue,mettent à même d'apprécier les avantages qui pourraienten résulter pour notre marine, par <strong>la</strong> quantité<strong>de</strong> marins et <strong>de</strong> bâtiments qu'on emploierait et,les nombreux bénéfices qu'ils procureraient au commerce.LA Gua<strong>de</strong>loupe reçoit <strong>de</strong>s Etats-Unis d'Amérique,en bœufs, chevaux et autres animaux vivants;en bois <strong>de</strong> construction, p<strong>la</strong>nches, essentes qu'onne peut tirer que <strong>de</strong> ces contrées ; en morue, vian<strong>de</strong>set poissons salés, au moins pour <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>1,500,000 fr.Elle leur envoie, en rum, sirops ou mé<strong>la</strong>sses eten quelques produits <strong>de</strong> l'industrie française, <strong>de</strong>smarchandises pour une somme à peu près pareille,ce qui maintient <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce égale.Mais il serait possible <strong>de</strong> rendre ce commerce plusavantageux à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et à <strong>la</strong> métropole ; carun galon <strong>de</strong> mé<strong>la</strong>sse , dont le prix commun est <strong>de</strong>1 fr. 20 c, produit à peu près un galon <strong>de</strong> rum quise vend <strong>de</strong> 2. fr. à 2 fr. 40 c. Aujourd'hui que nosguildiveries font un rum qui rivalise avec celui<strong>de</strong>s colonies ang<strong>la</strong>ises, on pourrait parvenir à faire


(69)brûler toutes les mé<strong>la</strong>sses dans <strong>la</strong> colonie, si on encourageait<strong>la</strong> fabrication du rum , par <strong>la</strong> fourniturequ'on ferait à l'armée et à <strong>la</strong> marine coloniales, <strong>de</strong><strong>de</strong>tte liqueur, <strong>la</strong> plus saine <strong>de</strong> toutes. Le faible tortque cette fourniture pourrait faire aux vins et auxeaux-<strong>de</strong>-vie <strong>de</strong> France, serait gran<strong>de</strong>ment compensépar les avantages qu'en retirerait le commerce engénéral. L'excé<strong>de</strong>nt du rum serait livré aux Américains, qui, exclus aujourd'hui <strong>de</strong>s îles ang<strong>la</strong>ises,seraient obligés <strong>de</strong> s'en contenter et <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>sproduits <strong>de</strong> l'industrie française, pour le montant<strong>de</strong> leurs exportations dans nos îles.COMMERCE AVEC LES ESPAGNOLS.Le commerce étranger le plus intéressant pour<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, est celui qu'elle fait avec les Espagnols.Aussi traite-t-elle les navires <strong>de</strong> cette nationà l'instar <strong>de</strong>s navires français. Elle reçoit <strong>de</strong> Porto-Rico , ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> côte ferme espagnole, <strong>de</strong>s bœufs , <strong>de</strong>smulets et d'autres animaux vivants, en plus grandnombre que <strong>de</strong>s Etats-Unis ; <strong>de</strong>s cuirs frais ou enpoils, <strong>de</strong>s hamacs, du quinquina, <strong>de</strong> l'indigo etd'autres teintures, pour plus <strong>de</strong> 5oo,ooo fr.La Gua<strong>de</strong>loupe exporte dans les possessionsespagnoles, en rum et en produits <strong>de</strong>s manufacturesfrançaises, qu'on y préfère à ceux <strong>de</strong>s autres nations,année commune , pour plus <strong>de</strong> 1 ,000,000 fr.


(70)La ba<strong>la</strong>nce est en faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong>500,000 francs, que les Espagnols paient toujourscomptant, ce qui l'approvisionne <strong>de</strong> numéraire.Si nous n'eussions pas déjà énoncé le désir <strong>de</strong>voir accor<strong>de</strong>r une liberté entière au commerce <strong>de</strong>.nos îles , nous dirions que <strong>la</strong> Métropole pourrait retirer<strong>de</strong> grands profits <strong>de</strong> <strong>la</strong> permission d'admettredans ces <strong>de</strong>ux colonies, à litre d'entrepôt et dégagées<strong>de</strong> tout droit, les <strong>de</strong>nrées espagnoles qui n'entrentpoint en rivalité avec les nôtres ,telles que le quinquina,l'indigo, le cacao, lès cuirs en poil, et les bois<strong>de</strong> teinture. Cet entrepôt augmenterait les exportationspour <strong>la</strong> France, et ouvrirait un facile débouchéà nos soieries et à nos articles <strong>de</strong> fil, imitantceux <strong>de</strong> Silésie, dont les Espagnols font ungrand usage. La position actuelle <strong>de</strong> l'Amérique espagnolepourrait fournir d'importantes ressources à<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et à <strong>la</strong> Martinique , par le moyen <strong>de</strong>ces entrepôts. Quelques personnes diront peut-êtreque les communications ne sont déjà que trop fréquentesavec ces nouveaux états , et qu'il seraitplus pru<strong>de</strong>nt d'interdire tout contact avec eux; maisil est aisé d'apprécier <strong>la</strong> juste valeur <strong>de</strong> ce raisonnement.On ne reçoit aujourd'hui <strong>de</strong> l'étranger, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,d'après une ordonnance du 2 janvier 1822,que les articles importés par bâtiments <strong>de</strong>s Etats-Unis , dont l'entrée a été permise, par l'arrêt du


(71)3o août 1784, et par les instructions coloniales du16 décembre 1817. Ces objets, et les sa<strong>la</strong>isons <strong>de</strong>bœuf, paient 5 pour cent <strong>de</strong> droit d'entrée. La morueet le poisson salé paient, outre ce droit, celui <strong>de</strong>un et <strong>de</strong>mi pour cent, du principal.Les animaux vivants, <strong>de</strong>stinés aux boucheries ouà <strong>la</strong> culture, ne paient que le droit unique <strong>de</strong> ba<strong>la</strong>nce, <strong>de</strong> 25 centimes; les chevaux français paient20 fr. , et ceux venant <strong>de</strong> l'étranger, 30 francs.Une ordonnance du roi, du 22 février 1822 ,alloue, jusqu'au 1 ermars 1825, 3o f. par 100 kilogrammes<strong>de</strong> morue importée directement, par <strong>de</strong>sbâtiments français, <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> pêche ; et 40 francspour celle importée <strong>de</strong>s ports du royaume, pourvuque l'importation soit, au moins, <strong>de</strong> 5,000 kilogrammes.Malgré cette prime, peu <strong>de</strong> Français s'occupent<strong>de</strong> <strong>la</strong> pêche, pour approvisionner nos colonies ;et il est fâcheux <strong>de</strong> penser que notre morue n'y soutiendrajamais <strong>la</strong> concurrence avec celle <strong>de</strong> l'étranger;parce que l'éloignement du grand banc <strong>de</strong>Terre-Neuve, où elle se fait, rend nos armementscoûteux, tandis que les Américains, p<strong>la</strong>cés près dubanc même, font <strong>la</strong> pêche avec toute sorte <strong>de</strong> commoditéet sans frais.En conservant le Canada qu'un traité <strong>de</strong> funestemémoire, céda, en 1763, aux Ang<strong>la</strong>is, les îlesfrançaises n'auraient pas eu besoin d'avoir recoursaux étrangers. Cette précieuse contrée, que <strong>de</strong>s


(72)courtisans avi<strong>de</strong>s, trompant leur prince et <strong>la</strong> France,dépeignirent comme un pays stérile, qui ne méritaitaucun regret, et qu'ils sacrifièrent à leur intérêtpersonnel, aurait offert, avec plus d'avantages, ànos îles, tous les objets indispensables qu'elles tirent<strong>de</strong>s États-Unis. Elle eût été le débouché <strong>de</strong> leur sirop, <strong>de</strong> leur tafia, et les eût mises à l'abri <strong>de</strong> <strong>la</strong> séductiondu commerce interlope , contre lequel tant<strong>de</strong> cris se font entendre, comme si on était plusexact aujourd'hui qu'autrefois, à approvisionnernos colonies! Cependant les obligations ne <strong>de</strong>vraientellespas être réciproques? et si on exige que ces îlesenvoient exclusivement leurs <strong>de</strong>nrées à <strong>la</strong> Métropole, ne serait-il pas juste <strong>de</strong> les pourvoir, complètementet sans retard, <strong>de</strong> tout ce qui leur est nécessaire?Le commerce l'a toujours promis, mais nous avonsvu qu'il y a manqué constamment, parce que lecommerce est un être métaphysique, qui n'a aucuneaction, qui n'offre aucune solidarité, et dont lesmembres isolés, règlent leurs spécu<strong>la</strong>tions , chacunsur ses intérêts particuliers.N'a-t-on pas vu <strong>la</strong> Martinique, après l'ouragan<strong>de</strong> 1817, forcée <strong>de</strong> recourir aux farines étrangères,pour se soustraire à <strong>la</strong> famine, et les p<strong>la</strong>intes lesplus intempestives, s'élever contre un gouverneursage et intègre, parce qu'en préservant <strong>de</strong> cefléau l'île , dont le salut lui était confié , il avaittrompé l'avidité <strong>de</strong>s trop tardifs spécu<strong>la</strong>teurs?


(73)Au commencement <strong>de</strong> 1822, La Gua<strong>de</strong>loupe,manquant <strong>de</strong> farines, qu'elle ne pouvait pas se procurerau prix <strong>de</strong> 20 gour<strong>de</strong>s (108 francs) le baril<strong>de</strong> cent livres , tandis que <strong>la</strong> France regorgeait <strong>de</strong>grains, n'a-t-elle pas été obligée d'en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aux.États-Unis, et d'autoriser l'introduction <strong>de</strong> 1500 barils<strong>de</strong> farine étrangère , en attendant que le commerce<strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole lui en apportât?Les objets d'industrie française, dont cette coloniefut pourvue, à <strong>la</strong> même époque, entre autres,les outils et instruments aratoires, les plus importants<strong>de</strong> tous, n'ont-ils pas été d'une qualité si défectueuse,qu'elle a été contrainte <strong>de</strong> s'adresser aux manufacturesang<strong>la</strong>ises ?Qu'on cesse donc <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mer contre le commerceinterlope <strong>de</strong>s colonies, puisqu'on n'a jamais cessé<strong>de</strong>le leur rendre nécessaire, et qu'elles sont portéespar les profits qu'elles trouvent à exportés c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>sttnemeatle quart et même le tiers <strong>de</strong> tos productionsaux îles neutres qui sont dans leur voisinage; elles économisent <strong>de</strong>s droits considérablesd'entrée, <strong>de</strong> sortie ; les marchés y sont plus avantageuxpar <strong>la</strong> concurrence <strong>de</strong>s commerçants <strong>de</strong>toutes les nations, qui y sont admis, et par le facileéchange <strong>de</strong> marchandises qui sont plus à leur convenance, et qu'on leur donne à meilleur compte.Les trente années qui viennent <strong>de</strong> s'écouler,ont relâché, d'une manière effrayante, les liens qui


(74)unissaient les p<strong>la</strong>nteurs à <strong>la</strong> métropole, et rendudifficile le rétablissement du commerce national dansson intégrité. 11 éprouvera <strong>de</strong>s obstacles <strong>de</strong> <strong>la</strong>part <strong>de</strong>s individus <strong>de</strong> toutes les c<strong>la</strong>sses, tant que lesAméricains, qui sont si habiles dans le commerce <strong>de</strong>contreban<strong>de</strong> (partout ailleurs que chez eux, où ilest sévèrement interdit), donneront <strong>la</strong> facilité <strong>de</strong>le faire; surtout tant que les douaniers, envoyés <strong>de</strong>France, non contents <strong>de</strong> favoriser cette frau<strong>de</strong> enplein jour, <strong>la</strong> feront eux-mêmes, recéleront lesmarchandises prohibées, serviront <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>gardiens aux contrebandiers , ainsi qu'ils l'ont faiten 1822, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où plusieurs d'entreeux , pris en f<strong>la</strong>grant délit, sont encore en fuite (1).En supposant que ces douaniers fussent exacts àremplir leur <strong>de</strong>voir, et qu'un traitement convenableles préservât <strong>de</strong> toute séduction, ce qui n'est(1) Le Roi se vit contraint <strong>de</strong> supprimer les bateauxdu domaine, dès le mois d'octobre 1783, parce qu'ilsn'empêchaient pas <strong>la</strong> contreban<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> faire faire ceservice par <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> sa marine. On exigea alorsque les caboteurs fussent munis d'un acquit à caution,oh se trouvait l'état, par poids et quantités, <strong>de</strong>s diversobjets <strong>de</strong> leur chargement, et qu'ils étaient tenus<strong>de</strong> rapporter, va<strong>la</strong>blement déchargé, sous peine d'amen<strong>de</strong>et <strong>de</strong> confiscation du bâtiment et <strong>de</strong> <strong>la</strong> cargaison.


(75)pas; pourra-t-on établir un cordon <strong>de</strong> préposés, asseznombreux, sur une étendue <strong>de</strong> 80 lieues <strong>de</strong> côtes,accessibles <strong>de</strong> toutes parts , pour empêcher les communicationsc<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stines qui ont lieu <strong>la</strong> nuit avecles îles-voisines.Que les cultivateurs <strong>de</strong>s colonies, non moins injustesque les commerçants <strong>de</strong> France, mettent aussiun terme à leurs p<strong>la</strong>intes, et n'accusent plus <strong>la</strong> métropole, <strong>de</strong> leur malheur présent. Ils s'obstinent àne pas voir que tout est changé en Europe, en Asie,en Afrique, surtout en Amérique , et que, quandmême <strong>la</strong> métropole leur rendrait les institutions,tant regrettées, <strong>de</strong> 1787 , on ne pourrait pas rappelerles temps, les hommes et les choses <strong>de</strong> celte époque.Qu'ils se persua<strong>de</strong>nt bien, que les jours d'opulenceet <strong>de</strong> splen<strong>de</strong>ur ont cessé à jamais pour eux; chaquemoment les en éloigne davantage, et <strong>la</strong> seule <strong>de</strong>man<strong>de</strong>juste qu'ils puissent faire à <strong>la</strong> France, et que<strong>la</strong> France ne pourra pas leur refuser, parce qu'ellene veut pas leur ruine , c'est <strong>de</strong> remp<strong>la</strong>cer le systèmeexclusif <strong>de</strong> culture et <strong>de</strong> commerce, par uneémancipation prévoyante.Les sucres <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupene peuvent plus lutter contre les sucres étrangers,parce que les frais <strong>de</strong> culture et <strong>de</strong> fabrication sontmoindres partout ailleurs qu'aux Antilles; parce quele sucre <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong> est d'une qualité supérieure ; etparce que les prix <strong>de</strong> fret, sont bien moins forts chez


(76)les Ang<strong>la</strong>is, chez les Hol<strong>la</strong>ndais et chez les Américains,qu'en France. La <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, que font ces <strong>de</strong>uxîles, d'exclure les sucres étrangers, ou <strong>de</strong> les surcharger<strong>de</strong> droits beaucoup plus forts , ne pourraitêtre accordée qu'au détriment <strong>de</strong> <strong>la</strong> France entièreet ne manquerait pas <strong>de</strong> provoquer <strong>de</strong>s réc<strong>la</strong>mationsfondées, si on y faisait droit. Mais l'émancipationobvierait à tout, donnerait aux colonies <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong>s'adonner aux genres <strong>de</strong> cultures qui leur conviendraientle mieux et <strong>de</strong> tirer <strong>de</strong> leurs produits tout leparti dont ils seraient susceptibles ; elle les mettrait àmême d'établir <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> commerce avec tousles états américains, <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir, à leur égard, <strong>de</strong>sespèces d'entrepôts qui seraient avantageux à <strong>la</strong>France, et, par là, <strong>de</strong> retar<strong>de</strong>r, autant que possible,l'instant fatal <strong>de</strong> <strong>la</strong> catastrophe dont elles sont menacées.La Gua<strong>de</strong>loupe a <strong>de</strong>s syndics <strong>de</strong> commerce; aumois <strong>de</strong> janvier 1823, il y en avait :à <strong>la</strong> Basse- à <strong>la</strong> Pointe-Terre.à-Pître.Pour le commerce <strong>de</strong> France 2 — 2.Pour le commerce colonial 2 — 2.Courtiers et agents <strong>de</strong> change 1 — 3.5 - 7.


(77)CHAPITRE VII.Des Finances et du Personnel <strong>de</strong> l'Administration.Les finances <strong>de</strong>s colonies se composent du produit<strong>de</strong>s impositions locales, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> dotation que le gouvernementleur alloue, pour subvenir à leurs dépenses.Ces établissements pourraient se suffire àeux-mêmes ; mais comme il est nécessaire d'y entretenirun gouvernement particulier, une administration, et une garnison militaire, <strong>la</strong> Métropole, dans<strong>la</strong> vue <strong>de</strong> rendre à ses colonies le far<strong>de</strong>au <strong>de</strong>s impôtsmoins lourd, leur accor<strong>de</strong> <strong>de</strong>s fonds <strong>de</strong> son trésor;il en est plus que couvert par le produit <strong>de</strong>s droits<strong>de</strong> douane sur les <strong>de</strong>nrées qu'elles font parvenir dansses ports.Les colonies ayant été <strong>de</strong>stinées à opérer <strong>la</strong> consommationdu superflu <strong>de</strong>s produits <strong>de</strong> <strong>la</strong> France,et à accroître les richesses nationales, par l'avantage<strong>de</strong>s échanges, tout impôt est en opposition directeavec le but <strong>de</strong> ces établissements ; loin d'attaquer,par <strong>de</strong>s taxes, <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s terres, elle <strong>de</strong>vraitêtre encouragée par toutes sortes <strong>de</strong> moyens ; ilstourneraient tous au profit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole. Mais


(78)si les besoins <strong>de</strong> celle-ci <strong>la</strong> forcent à faire contribuerles colonies aux dépenses qu'elles occasionnent, dumoins faudrait-il que les impôts, qu'elles supportent,fussent les plus légers possibles; qu'une équité parfaiterégnât dans leur répartition, et que <strong>la</strong> manièred'en faire <strong>la</strong> levée, fût celle qui offrît le plus <strong>de</strong> ménagemenset <strong>de</strong> facilités aux cultures' et au commerce?Sans ces précautions, l'administration inspire <strong>de</strong> <strong>la</strong>défiance, le cultivateur, vexé dans ses moyens, luidonne <strong>de</strong> faux dénombrements, et le commerce opprimés'attache à <strong>la</strong> tromper.L'analyse rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s différents mo<strong>de</strong>s d'impôts quiont été mis en usage, va démontrer si ce but a étéatteint.La première colonie, fondée à Saint-Christophe,en 1625, fut assujettie à <strong>la</strong> re<strong>de</strong>vance du dixième <strong>de</strong>toutes ses <strong>de</strong>nrées, avant qu'on lui eût procuré lesmoyens d'en produire; et son fondateur,Desnambuc,fut autorisé à prélever , pour lui et pour l'entretien<strong>de</strong>s officiers et <strong>de</strong>s forts, un droit <strong>de</strong> 100 livres <strong>de</strong>tabac, ou <strong>de</strong> 5o livres <strong>de</strong> coton, sur chaque habitant,<strong>de</strong>puis l'âge <strong>de</strong> dix ans jusqu'à soixante.Dix ans après, lors <strong>de</strong> l'établissement qu'on formaà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le cardinal <strong>de</strong> Richelieu, en constituant<strong>la</strong> première compagnie, le 12 février 1635,renouve<strong>la</strong> l'impôt du dixième <strong>de</strong> tous les produits.Les îles ayant été vendues à <strong>de</strong>s particuliers , en1649, contributions n'eurent d'autre limite que


(79)<strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>s seigneurs-propriétaires , et <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupese vit surchargée <strong>de</strong> corvées arbitraires,<strong>de</strong> taxes, <strong>de</strong> droits seigneuriaux, qui s'élevèrent jusqu'à278 livres <strong>de</strong> tabac par personne, et enfin dudixième qu'on préleva sur toutes les propriétés.Lorsque les îles furent rachetées, en 1664, et qu'unesecon<strong>de</strong> compagnie fut créée, on se contenta d'établirun impôt <strong>de</strong> 5o livres <strong>de</strong> tabac, ou <strong>de</strong> sucre, surchaque habitant âgé <strong>de</strong> dix à soixante ans.En 1674, on réunit les Antilles françaises à <strong>la</strong> masse<strong>de</strong> l'état, et chaque individu, <strong>de</strong> tout sexe, libre ouesc<strong>la</strong>ve , fut soumis à une capitation annuelle <strong>de</strong>100 livres <strong>de</strong> sucre brut, qu'on percevait encore en1730; il fut permis <strong>de</strong> s'en racheter, pour <strong>de</strong> l'argent,en 1735; pen<strong>de</strong> temps après, cette permissionfut convertie en ordre, et les impôts ne furent plusperçus en nature.Le gouvernement, reconnaissant enfin que tousces genres <strong>de</strong> contributions étaient onéreux auxcolonies, avait, les 11 mars et 8 avril 1721, <strong>de</strong>stinéà couvrir les frais <strong>de</strong> leur administration intérieure,les impôts qu'elles payaient, et avait même déc<strong>la</strong>réqu'il était plus avantageux <strong>de</strong> prendre, sur le trésor<strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, les fonds nécessaires pour faire face àl'excé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leurs dépenses, que <strong>de</strong> les surcharger<strong>de</strong> taxes nouvelles; mais ces ordonnances furent enfreintes, ce qui donna lieu, en 1750 et en 1754, àl'augmentation <strong>de</strong> l'octroi.


(80)La Métropole, prise au dépourvu par <strong>la</strong> perfi<strong>de</strong>agression <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is en 1755, se vit forcée, pourse procurer les moyens <strong>de</strong> faire mettre les coloniesen état <strong>de</strong> défense, d'établir une nouvelle contribution<strong>de</strong> 40 sols par nègre payant droit; les fonds,provenant <strong>de</strong> cette contribution, étaient <strong>de</strong>stinés à <strong>la</strong>prompte construction et à l'entretien <strong>de</strong>s batteries.Il existait alors une charge publique plus accab<strong>la</strong>nteque toutes les autres, celle <strong>de</strong>s corvées, ou contributionsen journées d'esc<strong>la</strong>ves, pour tous les travaux,que le caprice multipliait à son gré; elles furent abolies, en 1763 , à l'exception <strong>de</strong> celles pour les chemins.A cette époque <strong>la</strong> masse <strong>de</strong>s impôts fut élevéeà <strong>la</strong> somme <strong>de</strong> 800,000 l. ; en 1766 on fut obligé <strong>de</strong> <strong>la</strong>réduire d'un quart; en 1771 elle fut reportée aupremier taux, et dans le courant <strong>de</strong> <strong>la</strong> même annéeon l'éleva à 1 ,200,000 livres.L'imposition, que le conseil supérieur avait d'abordréglée par <strong>de</strong>s arrêts, était alors ordonnée parun mémoire du roi, ou une simple lettre du ministre<strong>de</strong> <strong>la</strong> marine. Le gouverneur et l'intendant en faisaient<strong>la</strong> répartition en commun, et <strong>la</strong> perceptions'opérait par l'autorité <strong>de</strong> l'intendant seul. Mais aumois <strong>de</strong> juillet 1777, le gouvernement exigea quel'assiette <strong>de</strong> l'impôt fût faite par une assemblée,formée à l'instar <strong>de</strong> celle qui existait déjà à Saint-Domingue; cette assemblée fut composée : <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxpremiers chefs; du conseil supérieur, c'est-à-dire <strong>de</strong>


(81)tous ceux qui y avaient droit <strong>de</strong> séance, et d'undéputé <strong>de</strong> chaque quartier. La nouvelle assemblée,ayant égard aux malheurs que les ouragans venaient<strong>de</strong> faire éprouver aux îles du vent, réduisit, cettemême année, l'impôt à un million, argent <strong>de</strong>s colonies(666,000 livres tournois ) prélevées au moyend'une capitation sur les b<strong>la</strong>ncs européens, les gens<strong>de</strong> couleur libres, et les nègres esc<strong>la</strong>ves ; d'une taxesur les maisons <strong>de</strong>s villes et <strong>de</strong>s bourgs ; d'un droitd'entrée, un pour cent, sur toutes les marchandisessujettes au pesage, et d'un droit <strong>de</strong> sortie égal surtoutes les <strong>de</strong>nrées <strong>de</strong> l'île.L'assemblée coloniale, qui fut établie par ordonnancedu roi, du 17 juin 1787, rég<strong>la</strong> le montant <strong>de</strong>simpositions, pour l'aimée 1788, à un million, argent<strong>de</strong>s îles , et adopta <strong>la</strong> même forme <strong>de</strong> répartition.Mais comme le droit d'un pour cent, perçusur les <strong>de</strong>nrées, à l'entrée et à <strong>la</strong> sortie, n'avait produit,en 1787, que 248,800 livres, elle éleva, à 2pourcent, le droit <strong>de</strong> sortie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées coloniales (1),maintint, à un pour cent, celui d'entrée sur les marchandisessujettes au pesage, continua <strong>la</strong> taxe, <strong>de</strong>4 pour cent, <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur du loyer, sur les maisons<strong>de</strong>s villes et bourgs; et <strong>la</strong> capitation, qui avait fréquemmentvarié, fut établie ainsi qu'il suit :(1) En 1789, ce droit fut réduit à 1 pour 100.II. 6


(82)Les b<strong>la</strong>ncs Européens ouvrierspayèrent 9 l.Ceux non ouvriers 6Les gens <strong>de</strong> couleur libres, <strong>de</strong> 14à 59 ans inclus , ( dont étaientexempts ceux qui servaient dans lesmilices) 25Les esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s villes et bourgs,ouvriers, domestiques et journalier25Les esc<strong>la</strong>ves sucriers, <strong>de</strong> 14 à59 ans , 7 9 s.Les esc<strong>la</strong>ves cafeyers, i<strong>de</strong>m. . 5 » 9 d.Les esc<strong>la</strong>ves cotonniers et vivriers, i<strong>de</strong>m 3 14 6On ne comprenait point, comme faisant partie<strong>de</strong> l'imposition :Le droit, <strong>de</strong> 3 pour cent, perçu à <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong>ssirops et tafias , qui furent soumis à un droit additionnel<strong>de</strong> 10 sous , dont le produit appartenait audomaine d'occi<strong>de</strong>nt;Les droits sur les objets dont l'importation étaitpermise dans le seul port d'entrepôt, ni ceux perçussur <strong>la</strong> morue <strong>de</strong> pêche étrangère (excepté ledroit local, d'un pour cent, d'exportation, qui seulfaisait partie <strong>de</strong> l'impôt) ;Ni tous les droits seigneuriaux et domaniaux, telsque les épaves (ou nègres sans maîtres), les aubaines,


(83)bâtardises, déshérences, biens vacants non réc<strong>la</strong>més, confiscations, amen<strong>de</strong>s, et autres droits duroi qui <strong>de</strong>vaient être considérables, mais dont lepublic n'a jamais connu le produit;Ni <strong>la</strong> taxe <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferme <strong>de</strong>s cabarets, traiteurs etlimonadiers , qui était pour chaque, <strong>de</strong> 150 liv. à1200 liv., suivant <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong>s villes et bourgs.On percevait encore une contribution municipale, sous le titre <strong>de</strong> taxe <strong>de</strong>s nègres justiciés, quiétait dé 2 liv. 5 sous, pour tous les esc<strong>la</strong>ves payantdroit, sans exception. Cette taxe fut d'abord établiepour servir à un remboursement <strong>de</strong> 1200 liv. parchaque nègre supplicié (1), pour dédommager lesmaîtres <strong>de</strong> leurs pertes, et les empêcher <strong>de</strong> soustraire<strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves criminels au g<strong>la</strong>ive <strong>de</strong> <strong>la</strong> justice.Mais comme il ne se faisait ordinairement que trèspeud'exécutions, chaque année, et que cette taxeproduisait, en 1789, l38 mille livres; on l'employaà couvrir d'autres dépenses, qu'il eût été préférable<strong>de</strong> faire supporter â <strong>la</strong> caisse générale. Ensupprimant <strong>la</strong> caisse <strong>de</strong>s nègres justiciés, dans l'administration<strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle il s'était glissé <strong>de</strong> grandsabus, on aurait simplifié <strong>la</strong> comptabilité, qui n'étaitdéjà que trop compliquée.(1) Ce remboursement est, en 1822, <strong>de</strong> 2200 livres1200 fr. )6


(84)Le tableau, n° 10, donne une idée <strong>de</strong> ce que chaquequartier <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie avait à payer, en 1789, pourses principales contributions. On se p<strong>la</strong>ignait alorsqu'elles étaient beaucoup trop fortes, et le roienvoyait, annuellement, un supplément <strong>de</strong> 450mille francs.En voyant que <strong>la</strong> capitation était établie sur lesEuropéens seuls, on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si elle n'auraitpas dû l'être sur tous les b<strong>la</strong>ncs indistinctement, etpeser davantage sur les hommes sans état, que surles ouvriers ?Si celle <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> couleur libres ne <strong>de</strong>vrait pasêtre divisée en trois c<strong>la</strong>sses, pour ne pas faire payerle pauvre autant que le riche, et pour différencierle propriétaire et le marchand, <strong>de</strong> l'ouvrier et <strong>de</strong>celui qui n'a ni état, ni propriétés? Si l'esc<strong>la</strong>ve,ouvrier <strong>de</strong>s villes et <strong>de</strong>s bourgs, ne <strong>de</strong>vrait pas êtremoins imposé que l'esc<strong>la</strong>ve domestique,ysurtoutquand le nombre <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers dépasse le nécessaireet <strong>de</strong>vient objet <strong>de</strong> luxe?La capitation <strong>de</strong>s nègres cultivateurs est onéreuseaux cultures et à l'industrie, qu'il faut toujoursencourager ; elle est difficile à recouvrer; lesdénombrements, faits une année à l'avance, sont sujetsà mille irrégu<strong>la</strong>rités, et <strong>la</strong> répartition n'est jamaiséga<strong>la</strong>, puisque avec peu <strong>de</strong> nègres on peutfaireplus <strong>de</strong> récolte, sur un bon terrain, qu'avec un plusgrand nombre sur un terrain mauvais. D'ailleurs


(85)les exceptions, qui sont toujours abusives, n'ontellespas été, <strong>de</strong> tout temps, plus injustes que <strong>la</strong>répartition , puisqu'elles n'ont jamais lieu qu'en faveur<strong>de</strong> ceux qui ont le plus d'intérêt à <strong>la</strong> conservation<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie? Il serait donc préférable <strong>de</strong>taxer les revenus <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture plutôt que ses instrumens.Les droits <strong>de</strong> sortie, sur les <strong>de</strong>nrées, paraissentêtre plus en harmonie avec les cultures;chacun n'y contribue qu'à proportion <strong>de</strong> sa récolte,et leur produit, réuni à celui <strong>de</strong>s autres contributionsqu'on pourrait conserver, sembleraient <strong>de</strong>voirsuffire aux besoins d'une administration économeet protectrice.L'impôt sur les loyers <strong>de</strong>s maisons porte sur lepauvre comme sur le riche, puisqu'il fait augmenterle prix <strong>de</strong>s loyers; il pourrait être remp<strong>la</strong>cépar une taxe moins onéreuse.En 1790, une assemblée, réunie au Petit-Bourg,établit, le 19 mars , un droit <strong>de</strong> sortie, <strong>de</strong> 5 pourcent, sur les <strong>de</strong>nrées coloniales, en remp<strong>la</strong>cement<strong>de</strong>s droits qu'on percevait à leur entrée en France(et sans préjudice <strong>de</strong> droits locaux), afin que sonproduit fût déduit <strong>de</strong>s fonds que <strong>la</strong> métropole envoyaitchaque année. Elle arrêta, le 4 mai, que <strong>la</strong>levée <strong>de</strong> l'impôt se ferait sur les mêmes bases queles aimées précé<strong>de</strong>ntes; il fut porté à 1,200,000livres, en supprimant <strong>la</strong> capitation <strong>de</strong>s Européens,ainsi que celle <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> couleur libres, qui en


(86)furent exempts, à titre <strong>de</strong> récompense pour leurfidélité et leur bonne conduite.L'année suivante, l'assemblée générale confirmaces <strong>de</strong>rnières dispositions, réduisit,à un pour cent,ledroit <strong>de</strong> sortie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées , et établit <strong>la</strong> capitation<strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves à raison <strong>de</strong> : 13 liv. 10 s. pour les sucriers; <strong>de</strong> 9 liv. pour les esc<strong>la</strong>ves cafeyers ; et <strong>de</strong>6 liv. 15 s. pour les esc<strong>la</strong>ves cotonniers et vivriers.Les esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s villes et bourgs furent soumis à<strong>la</strong> même taxe que les nègres sucriers. l'assembléegénérale abolit toute exemption <strong>de</strong> capitation,excepté celle <strong>de</strong> 3o têtes, par chaque père <strong>de</strong> familleayant eu dix enfants vivants à <strong>la</strong> fois , et celle<strong>de</strong> 6 têtes par guildiverie. Elle fit verser dans <strong>la</strong>caisse coloniale le produit <strong>de</strong> tous les droits seigneuriauxet domaniaux , ainsi que celui <strong>de</strong>samen<strong>de</strong>s, et porta à 10 sous <strong>la</strong> taxe <strong>de</strong>s nègres justiciés,pour être versée dans <strong>la</strong> même caisse, <strong>de</strong> manièreà compélter le million, argent <strong>de</strong>s îles, auquelelle réduisit l'impôt.En 1793, l'administration coloniale trouva <strong>de</strong>sressources immenses dans le produit <strong>de</strong>s biens <strong>de</strong>sémigrés, qui furent séquestrés (1), et dans ceux duclergé.(1) Voir le tableau n. 6.


(87)Ces <strong>de</strong>rniers consistaient alors , comme aujourd'hui, dans cinq habitations :Celle dite le Bisdary, dans le quartier <strong>de</strong> <strong>la</strong>Basse-Terre, extra - muros, appartenant jadis auxjésuites; elle avait été réunie au domaine du roilors <strong>de</strong> l'abolition <strong>de</strong> cet ordre.Celle <strong>de</strong> Y Hôpital ou Saint-Charles , situéedans le même quartier, qui appartenait aux frères<strong>de</strong> <strong>la</strong> charité.Celle <strong>de</strong> Dolé, dans le quartier <strong>de</strong>s trois Rivières,possédée par les Carmes ; et celles du grand Marigotet du petit Marigot, dans le quartier du Baillif,possédées par les jacobins ou pères b<strong>la</strong>ncs, (1).Il a été commis beaucoup <strong>de</strong> gaspil<strong>la</strong>ges dans ceshabitations, mises d'abord en régie, et ensuite àferme ; elles font toujours partie du domaine du roi.De 1795 à 1510, les importations, dans <strong>la</strong> colonie,furent très-considérables, par les nombreuses prisesque firent les corsaires qu'on y arma. Le tableau,n° 11, contient l'aperçu du produit <strong>de</strong> ces prisespendant cette pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 15 années.Les douanes, que <strong>la</strong> révolution avait abolies avecles anciennes institutions, furent rétablies par Victor-Hugues,le 1 erfructidor an 6 (18 août 1798), et(1) Voir ce qui a été dit <strong>de</strong> ces cinq habitations , dansle 1 er vol., pages 189, 195 et 237.


(88)produisirent, en 1799, 1,338,400 liv., argent <strong>de</strong>sîles. Leur revenu fut moindre, <strong>de</strong> près <strong>de</strong> moitié,durant les trois années suivantes ; mais, en 1805, ils'éleva à 1,585,700 liv.Après le traité d'Amiens, on partit <strong>de</strong>s anciennesbases pour régler l'impôt, et les gens <strong>de</strong> couleurlibres furent <strong>de</strong> nouveau soumis à <strong>la</strong> capitation.Celle-ci augmenta d'abord considérablement, etdiminua ensuite dans <strong>la</strong> progression ci-après :Les gens <strong>de</strong> couleur En 1804. En .1808.libres payaient. . . 16 fr. 66 c.— 14 fr. » c.Les esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s villeset bourgs . . . . 20 fr. » c. — 16 fr. 66 c.Les esc<strong>la</strong>ves cultivateurs. 14 fr. » c. — 14 fr. c.Ou seulement 10 f. suivant <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s cultures.Lorsque <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe fut prise par les Ang<strong>la</strong>is,en 1810, les magasins se trouvaient encombrés <strong>de</strong>produits coloniaux; il y avait plus <strong>de</strong> 30,000 barriques<strong>de</strong> sucre (1), dont le blocus très-resserré <strong>de</strong>(1) La jauge <strong>de</strong> <strong>la</strong> barrique, ou boucaud, <strong>de</strong> sucre, a souventvarié. Le 1 ermars 1744 on <strong>la</strong> fixa à 1000 livres pesant.Ce poids ayant été trouvé insuffisant, on <strong>la</strong> porta,successivement, jusqu'à 2000 livres; mais alors on estimaqu'elle était trop forte , et le 11 février 1787 , le conseild'état<strong>la</strong> rég<strong>la</strong> 1500 livres au moins et à 1600 au plus.


(89)l'île avait empêché l'exportation.L'administrationang<strong>la</strong>ise eut bien vite supputé le bénéficepouvait y faire. Sous le prétexte du bienqu'ellepublic,elle supprima <strong>la</strong> capitation <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>scultures , et <strong>la</strong> remp<strong>la</strong>ça par un droit sur les <strong>de</strong>nréescoloniales, à leur sortie <strong>de</strong>s ports. La promptitu<strong>de</strong>avec <strong>la</strong>quelle le commerce ang<strong>la</strong>is accapara ces<strong>de</strong>nrées, prouva qu'elle avait calculé juste; le produit<strong>de</strong>s douanes fut immense et rapi<strong>de</strong>. Ce droitfut fixé, par ordonnances <strong>de</strong>s 7 février et 28 mars1810, ainsi qu'il suit :Les sucres terrés àLes sucres bruts à27 liv.18 liv.par 100 livres pesant, indépendamment du droit,dit du domaine d occi<strong>de</strong>nt, qui est d'un pour 100.Le café payaLe coton .Le cacao .Le sirop.. g liv. » s. par quintal.. 12 liv. » s. i<strong>de</strong>m.2 liv. 5 s. id.. 4 liv. 10 s. par 100 galons.Des représentations furent faites sur l'impossibilité <strong>de</strong> seconformer à cette règle, dans toutes les îles, et une déc<strong>la</strong>rationdu Roi, du 24 novembre 1787, permit <strong>de</strong> varierle poids <strong>de</strong>s barriques <strong>de</strong>puis 1000 jusqu'à 1600 livres.On les compte, communément aujourd'hui, pour 1200 livres,celles <strong>de</strong> sucre brut, et pour 1000, celles <strong>de</strong> sucreterré.


(90)Les droits <strong>de</strong> cabarets furent, le 6 mars , réglés :A <strong>la</strong> l'ointe- A <strong>la</strong> Basse- A Ste-Anneà-Pître. Terre, et au Moule.Pour les aubergesà. . . 2,400 liv. — 2,000 liv.Pour les traiteurs, limonadiers,etc. , à. 3,000 —1,600 —800 liv. .Et dans les autres bourgs à 3oo liv.Les esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s villes et bourgs furent soumis àune capitation <strong>de</strong> 60 liv., 40 liv., 30 liv. et 25 liv.Les esc<strong>la</strong>ves caféyers, ceux cultivant <strong>de</strong>s vivres etfourrages, et les chaufourniers,plus <strong>de</strong> 2 nègres, à 15 liv. par tête.quand ils étaientIl fut établi, sur les maisons <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître,une taxe <strong>de</strong> dix pour cent <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong> leur loyer;sur celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre et autres bourgs, <strong>la</strong> taxefut <strong>de</strong> six pour cent.Les colporteurs et marchands forains200 liv.payèrentIl y eut aussi une taxe <strong>de</strong> 4 liv. 5 s., par nègrepayant droit, pour l'entretien <strong>de</strong>s chemins.Toutes ces taxes furent perçues, indépendamment<strong>de</strong>s droits domaniaux, prélevés comme par le passé,ainsi que <strong>de</strong>s droits d'entrée, sur les marchandisesintroduites par bâtiments nationaux ou étrangers ;les droits d'encan restèrent, comme avant <strong>la</strong> couquête, fixés à 2 et <strong>de</strong>mi pour cent.


(91)Après <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> possession <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, en 1815,l'administration française maintint l'ordre <strong>de</strong> chosesqu'elle trouva établi, et, malheureusement, on auraplus tard lieu <strong>de</strong> se convaincre que non-seulementelle fit usage <strong>de</strong>s moyens vicieux qui lui avaient étélégués, mais qu'elle y ajouta <strong>de</strong> nouveauxabus.La commotion qui se fit sentir à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, etdont elle <strong>de</strong>vint <strong>la</strong> victime, eut pour cause l'excès<strong>de</strong> maux accumulés par ceux qui l'administraient.L'administration nouvelle, qui y arriva en juillet1816, s'appliqua, on aime à le croire, à cicatriserles p<strong>la</strong>ies encore saignantes <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, et sansdoute ses efforts ten<strong>de</strong>nt chaque jour à améliorer <strong>la</strong>situation fâcheuse où les circonstances, et le vice<strong>de</strong>s localités, p<strong>la</strong>cent aujourd'hui les Antilles françaises.L'imposition directe consistait, en 1822, dans <strong>la</strong>capitation sur les esc<strong>la</strong>ves, <strong>de</strong>s villes et bourgs, <strong>de</strong>14 à 5g ans inclus, dans les droits sur <strong>la</strong> valeur locative<strong>de</strong>s maisons, et dans ceux <strong>de</strong> patente; elleest établie dans les proportions suivantes :Les esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux villes, au nombre<strong>de</strong> 4, par propriétaire, paient . . . 16 fr. 32 c.et au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 4, moitié en sus.Ceux <strong>de</strong>s bourgs <strong>de</strong> première c<strong>la</strong>ssepaient 13 fr. 52 c.et au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 4, moitié en sus.


(92)Ceux <strong>de</strong>s autres bourgs paient. ... 8 fr. 11 c.et au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 4, moitié en sus.Les esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong>s petites cultures, leschaufourniers , potiers et pêcheurs ,paient 8 fr. 11 c.Ceux <strong>de</strong>s Saintes et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Désira<strong>de</strong>,sans distinction, paient 5 fr. 41 c.Les maisons <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître sont assujétiesà un droit <strong>de</strong> 7 et <strong>de</strong>mi pour cent, outre le droit<strong>de</strong> 3 pour cent qu'elles paient pour <strong>la</strong> construction<strong>de</strong>s quais ; précé<strong>de</strong>mment ce droit était <strong>de</strong> 6 pourcent. Les maisons <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre ne paient que 5pour cent, et celles du grand bourg <strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte, que 4 pour cent.Les maisons <strong>de</strong>s bourgs sont exemptes <strong>de</strong> taxes.Les droits <strong>de</strong>patente sur les aubergistes, traiteurs,limonadiers et maisons <strong>de</strong> jeux permises, sont :A <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, <strong>de</strong> 540 fr. 54 cent. ;A <strong>la</strong> Basse-Terre, <strong>de</strong> 324 fr. 33 c.;Et, pour ceux qui ven<strong>de</strong>nt en détail, <strong>de</strong> 800 fr. et<strong>de</strong> 600.Dans les grands bourgs, <strong>la</strong> patente est <strong>de</strong> 316 fr.33 c. ;Et dans les autres bourgs, <strong>de</strong> 108 fr. 11 c.Les colporteurs et marchands forains paientchacun 162 fr. 16 c. ;


(93)Et le droit pour <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s marchandiseset paniers est <strong>de</strong> 54 fr. 6 c.Tous les droits domaniaux sont perçus commeautrefois.La taxe <strong>de</strong>s noirs justiciés est <strong>de</strong> 1 fr. 62 c., paresc<strong>la</strong>ve payant droit. Son produit es t<strong>de</strong>stiné :1° Au remboursement <strong>de</strong>s nègres suppliciés, outués en maronnage, comme on l'a déjà dit ;2° A payer <strong>la</strong> sol<strong>de</strong> <strong>de</strong>s commis à <strong>la</strong> police et p<strong>la</strong>ntons<strong>de</strong>s quartiers;3° Aux frais <strong>de</strong> rétablissement <strong>de</strong>s geoles <strong>de</strong>sbourgs;4° A payer le traitement du député <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonieen France, ses frais <strong>de</strong> secrétariat, et le traitementdu secrétaire du comité consultatif <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie.Le tableau, n° 12, donne l'état <strong>de</strong>s impositions quechaque quartier <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie a payées, en 1821. Ilmet à même <strong>de</strong> faire une comparaison intéressanteavec celui <strong>de</strong> 1789. Dans cette comparaison, il nefaut pas perdre <strong>de</strong> vue que <strong>la</strong> capitation <strong>de</strong>s Européens,<strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> couleur libres et <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s cultures, qu'on payait alors, est suppriméeaujourd'hui, mais qu'on perçoit, <strong>de</strong> plusqu'autrefois, <strong>de</strong>s impositions indirectes, qui consistenten un droit représentatif <strong>de</strong> <strong>la</strong> capitation <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves,affectés aux gran<strong>de</strong>s cultures, perçu sur les<strong>de</strong>nrées, à leur sortie <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, comme ci-après :Sur le sucre terré, par millier, <strong>de</strong> . 14 f. » c.


(94)Sur le sucre brut, <strong>de</strong> 9 f. » c.Sur le coton, par quintal, <strong>de</strong> . . . 3 »Sur le café, id. <strong>de</strong> . . . 3 »Sur le cacao, id. <strong>de</strong> . . . » 81Sur <strong>la</strong> casse, id. <strong>de</strong> . . . » 33Sur le rum ou tafia, par 100 galons, <strong>de</strong> 10 »Sur le sirop, id. <strong>de</strong> 5 »Non compris, 1° le droit du domaine d'occi<strong>de</strong>nt,qui reste toujours fixé à 2 pour cent, à <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong>s<strong>de</strong>nrées ; 2° les droits d'entrée perçus sur les marchandisesTenant <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, et sur cellesétrangères dont l'introduction a été permise par l'arrêtdu 3o août 1784; 3° les droits perçus sur le petitcabotage, avec les îles françaises et étrangères;4° le droit sur les actes <strong>de</strong> francisation et congés <strong>de</strong>navigation; 5° les droits <strong>de</strong> port, d'ancrage, d'interprétage,<strong>de</strong> visites et patentes <strong>de</strong> santé, qui setrouvent détaillés et spécifiés dans l'ordonnance colonialedu 31 janvier 1822,Le tableau, numéro 13, offre une comparaison curieuse<strong>de</strong>s droits perçus au profit <strong>de</strong> l'état, dans <strong>la</strong>colonie et en France, en 1788; et <strong>de</strong> ceux perçusen 1822, ainsi que <strong>de</strong>s dépenses <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie à ces<strong>de</strong>ux époques.


(95)SERVICE FINANCIER EN JANVIER 1823.L'administration coloniale, ainsi que celle <strong>de</strong>tous les pays, se divise en <strong>de</strong>ux parties, celle quidépense et celle qui produit,La première comprend les services . guerre, marine,finances ; elle est exclusivement confiée à <strong>de</strong>sofficiers du corps <strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine.La secon<strong>de</strong>, qu'on appe<strong>la</strong>it autrefois directiongénérale du domaine et <strong>de</strong>s douanes, forme aujourd'hui<strong>de</strong>ux directions, celle <strong>de</strong> l'intérieur et celle<strong>de</strong>s douanes.La direction <strong>de</strong> l'intérieur comprend :L'administration <strong>de</strong>s biens autrefois appartenantau clergé ;Les baux et fermages ;Les bacs et passages ;Les épaves et noirs provenant <strong>de</strong> confiscation ;Les recensements <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion, les rôles d'imposition;Et les terrains non concédés ou susceptiblesd'être réunis au domaine.La direction <strong>de</strong>s douanes régit :Les douanes;Le commerce interlope ;Et <strong>la</strong> police <strong>de</strong> <strong>la</strong> navigation.Les budjets du ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine présentent


(96)le détail et <strong>la</strong> nature <strong>de</strong>s dépenses <strong>de</strong> chaque colonie,mais ils ne portent les recettes qu'en masse,sous les quatre dénominations.1° De Contributions directes;2° De contributions indirectes;3° De domaines et droits domaniaux ;4° De recettes extraordinaires.Dans les colonies, chacune <strong>de</strong> ces administrationsse subdivise comme il suit :Les contributions directes comprennent :La capitation <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves ;La capitation <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> couleur libres ;La taxe sur <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>s loyers <strong>de</strong> maisons ;Le droit <strong>de</strong> patente ou licence.Par contributions indirectes, on entend :Les douanes ;Les droits d'entrée,— <strong>de</strong> sortie;— d'ancrage;— d'entrepôt;Les francisations et congés <strong>de</strong> bâtiments ;Les droits <strong>de</strong> pesage et <strong>de</strong> jaugeage;Le centime additionnel, pour frais <strong>de</strong> perception ;Et les droits à <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées en remp<strong>la</strong>cement<strong>de</strong> <strong>la</strong> capitation <strong>de</strong>s noirs <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s cultures.Sous les noms <strong>de</strong> domaines et droits domaniauxsont compris :


(97)Les locations et fermages ;Les rentes foncières ;Les épaves, déshérences, bâtardises ;Les ventes <strong>de</strong> domaines ;Les versements <strong>de</strong>s curateurs aux successions vacantes;Les droits sur les ventes à l'encan ;Et les objets non prévus.Les recettes extraordinaires se composent :De <strong>la</strong> vente <strong>de</strong>s objets hors <strong>de</strong> service, <strong>de</strong>s magasins;Des journées d'hôpitaux;Des amen<strong>de</strong>s et confiscations non susceptiblesd'être réc<strong>la</strong>mées par les invali<strong>de</strong>s ;Des recettes locales, telles que :Produits <strong>de</strong>s greffes ;Produits <strong>de</strong>s libertés ;Ferme <strong>de</strong>s jeux;Ferme <strong>de</strong>s privilèges exclusifs ;Rachat du service <strong>de</strong>s milices.Et <strong>de</strong>s recettes imprévues.11 est nécessaire <strong>de</strong> donner quelques éc<strong>la</strong>ircissemenssur ces quatre branches principales du revenupublic aux colonies.CONTRIBUTIONS DIRECTES.Pour établir les rôles d'imposition, tout habitantII. 7


(98)ou propriétaire b<strong>la</strong>nc et <strong>de</strong> couleur, libre est tenu,au commencement <strong>de</strong> chaque année, <strong>de</strong> prendre,chez le commissaire-commandant <strong>de</strong> son quartier(dont les fonctions correspon<strong>de</strong>nt à celles, en France,<strong>de</strong> maire et <strong>de</strong> commandant <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> nationale, réunies),un imprimé disposé pour recevoir les noms,prénoms, âges , qualités et professions, <strong>de</strong> tout cequi compose sa famille, les gens à ses gages, sesesc<strong>la</strong>ves ; et le montant réel <strong>de</strong> ses loyers, s'il est locataire,ou approximatif s'il est propriétaire. Cesimprimés, ainsi remplis, sont envoyés et réunis auchef-lieu, et servent à dresser les matricules d'impôts; à taxer <strong>la</strong> part <strong>de</strong> chaque contribuable, d'aprèsl'ordonnance du gouverneur qui fixe, chaque année,<strong>la</strong> capitation <strong>de</strong>s gens libres et <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves, <strong>la</strong> taxesur les loyers <strong>de</strong>s maisons, et le prix <strong>de</strong>s patentespar espèces <strong>de</strong> professions.Pour prendre une idée juste du montant <strong>de</strong> cettecontribution, il faut se reporter aux états <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie.Le propriétaire qui, pour frau<strong>de</strong>r une partie <strong>de</strong>sdroits, aurait fait une déc<strong>la</strong>ration inexacte <strong>de</strong> sesesc<strong>la</strong>ves, encourrait <strong>la</strong> confiscation <strong>de</strong> ceux non déc<strong>la</strong>résou portés frauduleusement au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>14 ans et au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 60, âges où commence etfinit <strong>la</strong> capitation. Les esc<strong>la</strong>ves ainsi confisqués sontvendus au profit <strong>de</strong> l'état, et le prix <strong>de</strong> cette ventefigure à l'article <strong>de</strong>s recettes extraordinaires. Mais


(99)que <strong>de</strong> fausses déc<strong>la</strong>rations inaperçues, et combienil est difficile <strong>de</strong> dresser un état exact <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion!CONTRIBUTIONS INDIRECTES.Les contributions indirectes forment <strong>la</strong> plusgran<strong>de</strong> partie du revenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie. Les droits <strong>de</strong>douane sont fixés par les arrêtés du gouverneur et<strong>la</strong> perception s'en fait à-peu-près comme en Europe.Mais indépendamment <strong>de</strong> ces droits perçus au profit<strong>de</strong> l'état, on en autorise d'autres au profit <strong>de</strong>quelques personnes. 1° Pour les visites sanitairesfaites à bord <strong>de</strong>s bâtiments arrivants. Quoique cesvisites rentrent spécialement dans les attributionsdu mé<strong>de</strong>cin en chef du port, et soient obligatoires,puisqu'il est sa<strong>la</strong>rié par l'état, il perçoit un droit <strong>de</strong>visite fixé, par un tarif, suivant le tonnage du bâtiment.Pendant les cinq <strong>de</strong>rniers mois <strong>de</strong> 1816, cedroit s'est élevé à 7,074Et pour les 5 premiers mois <strong>de</strong> 1817 à . 3,791Pour 8 mois. . 10,865 1.2° Pour les allocations, sous le titre <strong>de</strong> pilotageet mouil<strong>la</strong>ge, accordées aux capitaines <strong>de</strong> port, quisont toujours <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine militaire etqui reçoivent les appointements <strong>de</strong> leur gra<strong>de</strong>. Pendantles 5 <strong>de</strong>rniers mois <strong>de</strong> 1816, ces allocations7


(100)se sont élevées à 19,364 l., 10 s.Et pendant les trois premiers mois<strong>de</strong> 1817, à 10,890 »Total, pour 8 mois . . . 30,254 l. 10 s.3° Pour interprétage. Tout bâtiment, sous pavillonétranger,est tenu, pour se présenter à <strong>la</strong> douane,<strong>de</strong> se faire assister d'un interprète, nommé à ceteffet; que le ministère <strong>de</strong> cet interprète soit utile,ou non, il n'en perçoit pas moins un droit fixé parle tarif (1).DOMAINES ET DROITS DOMANIAUX.Lorsque l'état afferme les biens qui ont appartenuau clergé, il stipule le montant <strong>de</strong> <strong>la</strong> location en argent,et cet argent est versé au trésor. Quand cesbiens sont régis à son compte, ce qui est une sourced'abus, on ne peut compter sur un revenu fixe.Le produit <strong>de</strong>s épaves, <strong>de</strong>s déshérences et <strong>de</strong>sbâtardises , est éventuel parce qu'il ne provient qued'esc<strong>la</strong>ves ou d'objets qui n'ont pas <strong>de</strong> propriétairesconnus ou ne sont pas réc<strong>la</strong>més, tels que <strong>de</strong>s nègresintroduits furtivement, jetés ou abandonnés sur(1) Voir le tableau n° 14 ; on y trouve le tarif <strong>de</strong> cesdivers droits.


(101)les côtes; ou <strong>de</strong>s biens <strong>la</strong>issés, par les gens <strong>de</strong> couleurlibres, à leur mort, et dans les cas prévus parle co<strong>de</strong> noir.Dans les colonies, dont le climat est si funeste auxEuropéens, il arrive souvent que <strong>de</strong>s individus ydébarquent et que <strong>la</strong> mort les frappe avant d'avoirtesté ou réglé leurs affaires. S'ils n'ont pas d'héritiersconnus, le curateur aux successions vacantess'empare <strong>de</strong> <strong>la</strong> leur, après que les formalités indispensables,telles que l'apposition et <strong>la</strong> levée <strong>de</strong>s scellés,<strong>la</strong> formation d'un inventaire, etc. ont été remplies; et il en prend l'administration, conformémentaux ordonnances. Ce fonctionnaire n'est point sa<strong>la</strong>riépar l'état ; il perçoit un droit sur les recetteset dépenses qu'il fait (ce droit a été élevé jusqu'à dixpour cent). Cette p<strong>la</strong>ce est très-lucrative et personnene l'a exercée sans y faire fortune. A <strong>de</strong>s époquesfixées, les curateurs versent au trésor les fondsqu'ils ont entre les mains. Mais dans aucun tempsni dans aucune colonie, cette branche d'administration, qui doit avoir polir contrôleur le procureurdu roi du tribunal <strong>de</strong> première instance, n'a étéexempte <strong>de</strong>s soupçons du public.Les p<strong>la</strong>ces d'encanteurs publics sont les plus productives<strong>de</strong> toutes celles <strong>de</strong>s colonies, par <strong>la</strong> quantitéet <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>s marchandises ou <strong>de</strong>s nègres à <strong>la</strong>vente <strong>de</strong>squels ils prêtent leur ministère. Le gouvernementcolonial a établi un droit, qui n'a pas été


(102)moindre <strong>de</strong> 2 et <strong>de</strong>mi pour cent, sur le montant net<strong>de</strong> toutes les ventes. Ce droit se paie mensuellement,ou par trimestre, au trésor.RECETTES EXTRAORDINAIRES.La caisse, dite <strong>de</strong> liberté, s'alimente <strong>de</strong>s sommesversées par les maîtres qui se désistent <strong>de</strong> leurs droits<strong>de</strong> propriété sur leurs esc<strong>la</strong>ves et les affranchissent<strong>de</strong> toute servitu<strong>de</strong>.Un propriétaire qui, pour récompenser <strong>de</strong> bonsservices, et, plus souvent, pour <strong>de</strong>s motifs peu honorables, veut affranchir un ou une <strong>de</strong> ses esc<strong>la</strong>ves,en sollicite l'autorisation du gouverneur qui, eul'accordant, fixe <strong>la</strong> rétribution à payer. Cette sommeest arbitraire pour chaque cas particulier etpour chaque individu; rarement moindre <strong>de</strong> 1200francs, elle a été portée quelquefois jusqu'à 4000 f.Lorsque les jeux publics sont affermés, ils fontpartie <strong>de</strong>s recettes extraordinaires. En 1815, l'ordonnateurafferma ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe - à - Pître55,500 liv. (33,300 fr.)La même année, cet ordonnateur créa un impôt,inconnu dans les îles françaises, et que son maîtreen invention fiscale n'avait pas osé établir dans <strong>la</strong>colonie, pendant l'occupation ang<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> 1810 à1814; il afferma le privilège exclusif <strong>de</strong> <strong>la</strong> vente endétail <strong>de</strong>s boissons, pour <strong>la</strong> somme <strong>de</strong> 100,000 liv.


(103)(60,000 francs); c'est encore une recette extraordinaire.Ou a toujours permis aux habitants <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, <strong>de</strong> se racheter <strong>de</strong>sgar<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s corvées <strong>de</strong> <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> nationale. On toléraque les sommes éventuelles <strong>de</strong> ce rachat fussent,<strong>de</strong> 1803 à 1810, une <strong>de</strong>s attributions lucratives,<strong>de</strong>s commandants <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce ou d'arrondissement;elles n'entraient point dans <strong>la</strong> caisse publique. A <strong>la</strong>prise <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, en 1810 , l'administration ang<strong>la</strong>isespécu<strong>la</strong> sur l'esprit national <strong>de</strong>s habitants<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux villes, et fit peser une taxe <strong>de</strong> 62 fr., surchacun <strong>de</strong> ceux qui refusèrent <strong>de</strong> s'affubler <strong>de</strong> l'habitrouge. Cette administration renchérit, en 1815,sur les dispositions prises en 1810; une ordonnancesoumit les hommes b<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux villes, <strong>de</strong> 14 à60 ans, à payer un impôt onéreux <strong>de</strong> 87 fr., àtitre <strong>de</strong> rachat du service <strong>de</strong>s milices. Toutefois,lorsque les habitants résistèrent aux sommations <strong>de</strong>shuissiers, et qu'on proposa au général, d'envoyer,chez eux, <strong>de</strong>s soldats garnisaires ; il s'y refusa ,déc<strong>la</strong>rant que l'Angleterre ne lui pardonnerait pasd'employer , à vexer les habitants, les troupes qu'ellelui confiait pour combattre.A <strong>la</strong> reprise <strong>de</strong> possession, en 1816, les autoritésfrançaises firent exécuter cette ordonnance angicjise.L'état <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion , n° 4, met à même<strong>de</strong> voir, à peu près, les sommes considérables que


(104)l'exécution <strong>de</strong> cette ordonnance dut produire. Lesfrais <strong>de</strong>s garnisaires qui restèrent chez les habitans,jusqu'à ce que le paiement fut achevé , étaient <strong>de</strong>5 fr. 40 cent, par jour. Il fut versé au trésor-Pour <strong>la</strong> Basse-Terre, <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>61,740 liv.Pour <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, celle <strong>de</strong>... 134,694Totalou....196,434 liv.117,860 fr.A <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong>s retenues sont opérées parles bou<strong>la</strong>ngers et les bouchers, sur le poids <strong>de</strong> <strong>la</strong>vian<strong>de</strong> et du pain qu'ils ven<strong>de</strong>nt au public. Ilstiennent compte à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> chaque mois, <strong>de</strong> cette différence<strong>de</strong> poids, et les fonds qui en proviennent,sont versés dans une caisse <strong>de</strong> bienfaisance pour lespauvres. Cette caisse a été mise sous <strong>la</strong> surveil<strong>la</strong>ncedu procureur du roi.Les produits <strong>de</strong>s passeports et <strong>de</strong> <strong>la</strong> poste auxlettres, ne figurent point dans les recettes publiqueset sont abandonnés, le premier à l'autorité militaire, qui seule délivre les passeports, et le secondau directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> poste aux lettres.DOTATION.Comme le montant total <strong>de</strong>s perceptions <strong>de</strong> <strong>la</strong>colonie ne peut |pas suffire à couvrir ses dépenses,<strong>la</strong> métropole y pourvoit, ainsi qu'il a été dit, par


(105)une dotation, dont on fait recette sous les titressuivaints.Numéraire.Bons royaux.Traites du caissier-général sur lui-même; lettres<strong>de</strong> change sur le ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine ; retenues etreprises pour délégations consenties en France ;fonds provenant <strong>de</strong>s invali<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine; approvisionnemens<strong>de</strong>s États-Unis, par le commissairefrançais <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions commerciales.La quotité <strong>de</strong> ces fonds a souvent varié; avant <strong>la</strong> révolution,elle était <strong>de</strong> 450,000 fr.; sous l'empire elles'éleva , année commune, à peu près à 800,000 fr.;elle est fixée aujourd'hui à 1,300,000 francs.L'administration coloniale <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,sous les ordres du gouverneur et <strong>de</strong> l'administrateurpour le roi, se compose, en janvier 1823 , dupersonnel suivant :Un commissaire-général ordonnateur, chef; ilcorrespond avec le ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, a <strong>la</strong> hautemain, sur tout ce qui est du ressort <strong>de</strong> l'administration,et rési<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Basse-Terre, auprès dugouverneur.Deux commissaires <strong>de</strong> marine, dont un fait lesfonctions <strong>de</strong> contrôleur.


(106)Quatre sous-commissaires.Un gar<strong>de</strong>-magasin.Un sous-gar<strong>de</strong>.Huit commis principaux.Six commis <strong>de</strong> première c<strong>la</strong>sse.Six commis <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième c<strong>la</strong>sse.Une direction <strong>de</strong> l'intérieur , du domaine et <strong>de</strong>scontributions, dont le personnel a été fixé par unarrêté du ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, du 2 octobre 1817;les bureaux <strong>de</strong> cette direction sont à <strong>la</strong> Basse-Terreet à <strong>la</strong> Pointe- à-Pitre.Une direction <strong>de</strong>s douanes , dont le personnel,ainsi réglé par le même arrêté, se compose <strong>de</strong> :Un directeur à <strong>la</strong> Basse-Terre, ayant g commisou employés, et un directeur particulier à <strong>la</strong> Pointeà-Pître,avec 14 commis ou visiteurs.Quatre peseurs et jaugeurs, dont <strong>de</strong>ux pour chaqueville.Cinq commis ambu<strong>la</strong>nts.Quatre commis à Marle-Ga<strong>la</strong>nte.Un commis à Saint-Martin.TRÉSOR.Le personnel du trésor se compose <strong>de</strong> :Un trésorier;Quatre préposés dans les dépendances <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe;


Un caissier ;Un premiercommis.(107)SERVICE DES PORTS.Le service <strong>de</strong>s ports se fait par :Un capitaine <strong>de</strong> vaisseau , à <strong>la</strong> Basse-Terre;Un lieutenant <strong>de</strong> vaisseau, à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître.Un lieutenant <strong>de</strong> port, à Saint-Martin.SERVICE DES HOPITAUX.Au service <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s hôpitaux, sont attachés :Deux mé<strong>de</strong>cins en chef, dont un rési<strong>de</strong> danschaque ville ;Quatorze chirurgiens, dont 7 à <strong>la</strong> Basse-Terre,4 à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, et 3 à Marie-Ga<strong>la</strong>nte, auxSaintes ou à Saint-Martin ;Deux pharmaciens à <strong>la</strong> Basse-Terre ;Dix sœurs hospitalières, dont 6 à <strong>la</strong> Basse-Terre,et 4 à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître ;Peux entrepreneurs <strong>de</strong>s hôpitaux.Deux comités <strong>de</strong> vaccine, un pour chaque ville ,ont été créés, par un arrêté colonial du 5 février 1819.BUREAUX DE BIENFAISANCE.Chacune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux villes possè<strong>de</strong> un bureau <strong>de</strong>bienfaisance, composé <strong>de</strong> :


(108)Un prési<strong>de</strong>nt ;Un administrateur comptable et <strong>de</strong> 3 membres.Le curé et le procureur du roi assistent à leursséances.ENCANS.Les p<strong>la</strong>ces d'encanteur public sont affermées, ily a:Un fermier <strong>de</strong> l'encan à <strong>la</strong> Basse-Terre ;Un id. à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître ;Un id. à Marie-Ga<strong>la</strong>nte.DIRECTION DES POSTES.La direction <strong>de</strong>s postes est confiée à <strong>de</strong>ux directeurs<strong>de</strong>s postes, p<strong>la</strong>cés, l'un, à <strong>la</strong> Basse-Terre, etl'autre , à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître.JARDIN BOTANIQUE.Il y a, pour le jardin <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes, un directeur.


(109)CHAPITRE VIII.Monnaies.A <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong>s colonies d'Amérique, le commercene se faisait que par échanges <strong>de</strong> <strong>de</strong>nrées et<strong>de</strong> marchandises; l'usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> petite monnaie <strong>de</strong>France, s'y introduisit en 1670, et disparut bientôt,après y avoir eu un cours varié. Le commercese fit <strong>de</strong> nouveau par échange, dès 1674, époque où<strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière compagnie américaine prit fin.Les monnaies d'Espagne et <strong>de</strong> Portugal s'y introduisirentpeu à peu , et alimentèrent, plus particulièrement,que toutes autres, le commerce <strong>de</strong>sAntilles. Mais elles y avaient une plus haute valeurqu'en Europe ; et <strong>la</strong> France, qui s'occupa <strong>de</strong>cet objet, en 1716, recommanda à MM. <strong>de</strong> <strong>la</strong>Varenne et <strong>de</strong> Ricouart, gouverneur et intendant<strong>de</strong>s îles du vent, à <strong>la</strong> Martinique, <strong>de</strong> veiller à ce queces monnaies n'y eussent pas une valeur supérieureà celle qu'elles auraient en France. On <strong>la</strong>issa, auxdivers administrateurs, le soin <strong>de</strong> régler le cours<strong>de</strong>s pistoles d'Espagne, <strong>de</strong>s piastres et <strong>de</strong>s anciennes


(110)espèces qui n'avaient plus cours en France, autaux le plus convenable , au bien du commerce (1).Le cours du louis d'or, fut d'abord <strong>de</strong> 20 liv. ;celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> piastre-gour<strong>de</strong>, <strong>de</strong> 5 liv.; et afin <strong>de</strong> faciliterle petit commerce, <strong>la</strong> Métropole y envoya pour150,000 marcs <strong>de</strong> petites pièces <strong>de</strong> cuivre, qui furentfabriquées en juin 1721.Deux ordonnances du 9 janvier et du 4 février1722, réduisirent progressivement les piècesd'Espagne <strong>de</strong> 20 s. et <strong>de</strong> 10 s , à 12 s. et à 6.La valeur courante <strong>de</strong> l'escalin et du <strong>de</strong>mi-escalinfut fixée, le 29 juin, à 20 s. et à 10 s.La même année, on porta <strong>la</strong> valeur du louis d'or,à. . . 3o liv.De <strong>la</strong> portugaise, à 66De <strong>la</strong> quadruple d'Espagne , à. . . 120Et <strong>de</strong> <strong>la</strong> piastre-gour<strong>de</strong>, à. 1 . . . . 7, 10 s.Mais les étrangers ayant fait disparaître, <strong>de</strong> noscolonies, presque toutes les piastres, parce qu'ilstrouvaient du bénéfice à les acquérir à ce taux ; il futordonné, le 22 septembre 1726, que les monnaies yauraient cours, proportionnellement à l'évaluation<strong>de</strong> 75 liv., le marc d'argent, ce qui porta <strong>la</strong> piastreà 8 liv., et le louis d'or, à 32 liv. ,Les petites pièces d'argent ayant aussi été enlevées(1) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 1 er , page 120.


(111)et les productions coloniales s'étant beaucoup accrues,<strong>la</strong> France fit fabriquer , a La Rochelle, parédit du mois <strong>de</strong> décembre 1730, pour 40,000 marcs<strong>de</strong> pièces <strong>de</strong> 12 s. et <strong>de</strong> 6. Cette monnaie particulièrene <strong>de</strong>vait avoir cours qu'aux îles du vent, et ilétait formellement défendu <strong>de</strong> les exporter en Franceet dans les autres colonies (1).L'escalin et le <strong>de</strong>mi-escalin, furent fixés , à 15 s.et à 7 s. 6 d., taux où ils ont été conservés jusqu'àce jour.Le 2 juillet 1762, il fut réglé que les sous marqués, va<strong>la</strong>nt en France 18 <strong>de</strong>niers , seraient reçusaux îles du vent, où on les appelle <strong>de</strong>s noirs, pour2 sous 6 <strong>de</strong>niers, ou pour le sixième <strong>de</strong> l'escalin.Cependant malgré l'injonction <strong>de</strong> ne pas lesexporter, les petites monnaies d'argent et <strong>de</strong> cuivres'épuisèrent au point qu'on fut obligé, par édit dumois <strong>de</strong> janvier 1763, <strong>de</strong> frapper à <strong>la</strong> monnaie <strong>de</strong>Paris et ailleurs, jusqu'à <strong>la</strong> concurrence <strong>de</strong> 600 millelivres d'espèces <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sous, en billon , qu'on fitmarquer d'un C couronné , sur l'un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés,pour qu'elles n'eussent cours que dans les colonies.De nouvelles défenses furent faites <strong>de</strong> les en exporter(2).( 1 ) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique , tome 1 e r , page 069.(a) C o<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 2 e , pages 126 et suiv.


(112)Au mois <strong>de</strong> novembre 1788, il fut, en vertud'un édit du roi, envoyé <strong>de</strong> nouveau dans les îlesfrançaises d'Amérique , pour 80 mille marcs <strong>de</strong>monnaie <strong>de</strong> billon, fabriquée en France, et dont lecours fut fixé à 2 sous 6 <strong>de</strong>niers <strong>la</strong> pièce.La piastre-gour<strong>de</strong> fut reçue au taux <strong>de</strong> 8 liv. et8 liv. 5 s. jusqu'en 1795, que Victor-Hugues l'éleva,à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, à 9 liv., fixa <strong>la</strong> portugaise à 72 liv.et le doublon d'Espagne à 144 liv. ; portant ainsià 40, le cours du change entre <strong>la</strong> livre tournois et<strong>la</strong> livre coloniale, qui avait été jusque là <strong>de</strong> 35 |.Cette différence <strong>de</strong> 6 f ne fut qu'au détriment <strong>de</strong>ceux qui avaient à faire <strong>de</strong>s remises, en numéraire, en France.Alors on vit s'introduire, dans les colonies, unequantité considérable <strong>de</strong> pièces d'or altérées. Surles p<strong>la</strong>intes du commerce, quand Pe<strong>la</strong>ge commandaità <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le conseil provisoire arrêta ,en l'an X (1802), que tout l'or monnayé, qui avaitcours, ne serait pris qu'au poids.Cette disposition, sage pour le but qu'on se proposait,ne pouvait remédier au désordre qu'avaitmis dans les finances <strong>la</strong> quantité d'or, d'un titre inférieur,apporté par les étrangers. Car, outre queles portugaises étaient limées et rognées, il s'entrouvait <strong>de</strong> trois sortes et à trois titres différens.L'abus augmentant chaque jour, il fut établi,sous le gouvernement du général Ernouf, un


(113)tarif où tout l'or, qu'on ne prenait qu'au poids, futtaxé, suivant son titre, et poinçonné. La portugaiseancienne, fabriquée en Amérique, fut tarifée à18 liv. le gros; celle reconnue or <strong>de</strong> Genève à20 liv. ; et celle or <strong>de</strong> Portugal à 22 liv.Le louis d'or, <strong>de</strong> poids, fut fixé à. . 40 l. » s.Le Napoléon à 33 »L'écu <strong>de</strong> 61iv. à. . . . . . . 10 »L'écu <strong>de</strong> 5 fr. à 8 5Le doublon d'Espagne, non altéré, à 144 »La guinée à 45 «L'aigle <strong>de</strong>s Etats-Unis d'Amérique à go »La colonie se trouva bien <strong>de</strong> cette disposition ,qui éleva à 66 f le taux du change entre le franc et<strong>la</strong> livre coloniale, et qui ne préjudicia, comme en1795, qu'au petit nombre d'individus qui avaientà opérer, en France, <strong>de</strong>s remises ennuméraire.La Gua<strong>de</strong>loupe n'avait encore qu'à se louer <strong>de</strong>smodifications apportées dans les valeurs <strong>de</strong> ses monnaies,il en fut tout autrement, lorsqu'elle passa entreles mains <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, en 1810.Quoique ce qui tient au système monétaire soitextrêmement délicat et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière importance,qu'il soit plus facile d'apercevoir les inconvénients<strong>de</strong>s mesures déjà adoptées que d'y remédier, sansêtre entraîné dans <strong>de</strong>s inconvénients souvent plusgraves, les espèces, qui représentent <strong>la</strong> fortune pu­II. 8


(114)blique, ne tardèrent pas à <strong>de</strong>venir l'objet <strong>de</strong>s calculsintéressés <strong>de</strong> l'administration ang<strong>la</strong>ise.Sous prétexte que l'or et l'argent disparaissaient<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, et que cette disparition occasionaitbeaucoup <strong>de</strong> gène au commerce, les administrateursbritanniques défendirent, le 10 avril 1811,d'exporter, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, l'or et l'argent monnoyés,ou en lingots , sous peine <strong>de</strong> confiscation etd'une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 5o liv. Ils ne permirent aux personnes,voyageant avec passe-port, d'avoir à leurdisposition plus <strong>de</strong> 35o livres ( 200 fr. ) Commes'il était possible d'empêcher <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong>s monnaies, dans <strong>de</strong>s contrées toutes commerciales?En défendre l'exportation , sous <strong>de</strong>s peines sévères, n'est-ce pas vouloir réprimer un abus par uneinjustice plus dangereuse et qui ne peut avoirque <strong>de</strong> funestes résultats? L'or et l'argent sont,non-seulement <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> commerce, mais encorele gage <strong>de</strong> toutes les négociations ; en arrêter,ou seulement en gêner <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion, c'est arrêter,en même temps, le mouvement général du commerce.Mais ce n'était sans doute qu'un moyen préparatoirepour le p<strong>la</strong>n qu'on se proposait <strong>de</strong> mettre àexécution; car, vingt-six jours après, le 6 mai, cesadministrateurs, afin <strong>de</strong> fixer, dirent-ils, les incertitu<strong>de</strong>ssur <strong>la</strong> valeur exacte <strong>de</strong>s diverses monnaies, tari-


( 1 1 5 )fèrent l'or <strong>de</strong> Portugal et celui dit <strong>de</strong> Gênes, ou <strong>de</strong>Genève, non altéré, à 22 liv. le gros; celui altérél'ut tout fixé à 20 liv., portant ainsi à un taux plusélevé, l'or précé<strong>de</strong>mment taxé à 18 et à 20 liv.On ne s'en tint pas là ; le taux <strong>de</strong>s espèces d'argentfut augmenté, et l'on substitua une monnaiefausse à <strong>de</strong>s valeurs réelles, car <strong>la</strong> valeur <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nréessuit toujours <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s signes,et on ne peut augmenter l'un sans augmenter l'autre,surtout dans les colonies, qui, tirant leur monnaie<strong>de</strong> l'étranger, sont obligées <strong>de</strong> donner plus <strong>de</strong> marcliandisespour avoir <strong>la</strong> même quantité d'espècesqui leur procurait auparavant plus d'objets.Sous le motif spécieux <strong>de</strong> multiplier <strong>la</strong> masse <strong>de</strong>spetites monnaies, d'en empêcher <strong>la</strong> sortie et d'encouragerl'importation <strong>de</strong>s gour<strong>de</strong>s entières, onmit en circu<strong>la</strong>tion 10,000 dol<strong>la</strong>rs ou piastres fortesqu'on fit percer ou couper en gourdins, dits mocos.Celles qu'on perça furent fixées au cours <strong>de</strong> 9 liv.,comme les piastres entières que cette opération fitdisparaître, et le morceau extrait du centre,poinçonné, marqué d'un G et tarifé à 20 sous. Cebénéfice illicite ne fut pas le seul qu'on se permit.Les piastres qui furent coupées, au lieu <strong>de</strong> l'êtreen quatre mocos,fut<strong>de</strong> 2 liv. 5 sous chacun , le furenten cinq, qu'on poinçonna aux trois angles. La différencen'était pas assez gran<strong>de</strong> pour qu'on ne lesconfondit pas avec les mocos altérés, venus <strong>de</strong> <strong>la</strong>8


(116)Dominique et <strong>de</strong>s autres îles. Ce monopole scandaleuxencouragea <strong>la</strong> cupidité et entraîna <strong>de</strong>s abusplus scandaleux encore. Bientôt on vit s'augmenterconsidérablement <strong>la</strong> quantité <strong>de</strong>s gour<strong>de</strong>s percées,il y en eut <strong>de</strong> coupées en six mocos, au lieu <strong>de</strong> quatre; on remarqua <strong>de</strong>s lingots coulés et passés à <strong>la</strong>filière, moyen à l'ai<strong>de</strong> duquel on trouvait jusqu'àdix-huit morceaux <strong>de</strong> 20 sous, dans une gour<strong>de</strong>app<strong>la</strong>tie, qu'on estampait avec <strong>de</strong>s poinçons peutêtretrop comp<strong>la</strong>isants. Tout ce<strong>la</strong> se faisait avecimpunité, l'administration britannique affectait <strong>de</strong>n'y porter aucune surveil<strong>la</strong>nce ; <strong>la</strong> police semb<strong>la</strong>itn'exister que contre les individus connus par leurattachement à <strong>la</strong> France et qu'on affectait <strong>de</strong> rendresuspects , par le nom <strong>de</strong> Bonapartistes qu'on leurdonnait.Tels étaient les abus que l'administration <strong>de</strong>sAng<strong>la</strong>is avait introduits dans le système monétaire<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, lorsqu'elle rentra sous <strong>la</strong> domination<strong>de</strong> <strong>la</strong> France, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1814.Le général Leith ne l'eut pas plutôt reprise,en 1815 , qu'il trouva convenable <strong>de</strong> lui faire faireune banqueroute , du dixième <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>tte envers<strong>la</strong> France, en élevant le taux <strong>de</strong> <strong>la</strong> piastreà 10 liv. au lieu <strong>de</strong> 9 liv., et celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> quadrupleà 160 liv. au lieu <strong>de</strong> 144 liv., opération dont lesAntilles n'avaient pas encore eu d'exemple.Lorsque <strong>la</strong> colonie revint à <strong>la</strong> France, en 1816,


(117)ce désordre al<strong>la</strong>it croissant. L'altération opérée surles mocos, donnait le moyen d'en importer <strong>de</strong> toutesles îles, d'un poids extrêmement inférieur. Les adminstrateursfrançais, convaincus que ce renversement<strong>de</strong> tout principe financier serait funeste à<strong>la</strong> colonie , s'occupèrent d'y remédier.Après s'être assurés que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe pouvaitsuffire à ses besoins, avec les pièces d'argent qui s'ytrouvaient et <strong>la</strong> monnaie <strong>de</strong> billon qu'elle possédait, ils démonétisèrent tous les mocos, par uneordonnance du 23 mars 1817, et ordonnèrent qu'ilsne seraient plus reçus qu'au poids et à raison <strong>de</strong>11 liv. l'once. Pour en faciliter le retrait et donneraux habitants le moyen <strong>de</strong> s'en débarasser, avec avantage, on enjoignit aux caisses du roi <strong>de</strong> les recevoirau poids et à raison <strong>de</strong> 11 liv. 10 sous l'once, maisseulement en paiement <strong>de</strong>s contributions arriérées,ou <strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes envers le trésor, antérieures au 1 erjanvier1817. Cette opération , faite avec sagesse, délivra<strong>la</strong> colonie du ver rongeur qui <strong>la</strong> dévorait. Ellene coûta que 4500 fr. au trésor du roi, et 35oo fr.à celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie.Il n'en fut pas ainsi à <strong>la</strong> Martinique, quoiqu'ons'y préparât <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> temps. Les mocos y furentretirés <strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion, par une ordonnance, du 12avril 1817, pour être mis en dépôt chez les receveurs,qui dormaient, en échange, <strong>de</strong>s bons à raison<strong>de</strong> 10 livres par once, valeur intrinsèqite. Lorsque


(118)le retrait en fut achevé, les porteurs <strong>de</strong> bons se présentèrentpour constater <strong>la</strong> différence <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeurréelle <strong>de</strong> leur dépôt avec sa valeur nominale; cettedifférence, avait-on assuré, ne <strong>de</strong>vait pas excé<strong>de</strong>rd'un tiers <strong>la</strong> valeur nominale, et ce tiers était lemaximum <strong>de</strong> <strong>la</strong> perte que le gouvernement entendaitsupporter. On délivra aux porteurs <strong>de</strong> bons, pourcette différence, <strong>de</strong>s billets, du receveur général,qui n'avaient <strong>de</strong> cours forcé que pour un dixième ,dans tous les paiements au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 1,000 livres.Pour éteindre ce papier-monnaie, qui <strong>de</strong>vait inspirerpeu <strong>de</strong> confiance, on statua qu'il ne seraitreçu dans les caisses, que dans <strong>la</strong> même proportionet en paiement <strong>de</strong>s contributions. Cette condition,<strong>de</strong> trop longue durée, le fit tomber dans un teldiscrédit, qu'on fut bientôt obligé <strong>de</strong> le retirer avecperte, et cette opération se fit <strong>de</strong> telle manière, qu'aulieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> somme déjà considérable <strong>de</strong> 1500 millefrancs, dont elle était estimée <strong>de</strong>voir grever l'état,on assure qu'elle lui coûta plus <strong>de</strong> 7 millions.La même ordonnance du 12 avril, maintenantencore en vigueur, fixa à <strong>la</strong> Martinique, le tarif <strong>de</strong>toutes les monnaies ; déc<strong>la</strong>ra marchandises toutescelles coupées, rognées ou altérées, pour n'êtrereçues que <strong>de</strong> gré à gré et au poids du tarif; cetteordonnance détermina le pair du change, entre <strong>la</strong>colonie et <strong>la</strong> métropole à 180 livres pour 100 francs,ou 9 livres pour 5 francs.


( 1 1 9 )11 ne pouvait pas en être <strong>de</strong> même à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Lorsque <strong>la</strong> gour<strong>de</strong> y va<strong>la</strong>it g livres, sonchange était exactement calculé à 166 livres <strong>de</strong>uxtiers, pour 100 francs; ce qui portait <strong>la</strong> piastre gour<strong>de</strong>à 5 francs 40 centimes ; mais <strong>de</strong>puis que les Ang<strong>la</strong>isavaient élevé <strong>la</strong> gour<strong>de</strong> pleine à 10 livres, et <strong>la</strong> gour<strong>de</strong>percée à g livres, les troupes et les sa<strong>la</strong>riés du gouvernementéprouvaient une perte réelle en <strong>la</strong> recevantpour 5 francs 40 centimes, au change <strong>de</strong> 166livres <strong>de</strong>ux tiers ; on fut donc forcé <strong>de</strong> fixer, le 3oavril 1817, le change <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, avec <strong>la</strong> métropole, à 185 livres, pour 100 francs.Ainsi, ces <strong>de</strong>ux colonies, où se faisaient déjà remarquer<strong>de</strong>s dissemb<strong>la</strong>nces dans leur système judiciaire, sont encore assujéties à une disparité dansleur change avec <strong>la</strong> métropole et dans le cours <strong>de</strong>leurs monnaies, qui doit être très-désavantageux à <strong>la</strong>Martinique.Il est à désirer qu'on y établisse un tarif égal etqu'on le fixe à un taux correspondant à <strong>la</strong> monnaie<strong>de</strong> France, qui rappelle, s'il est possible, le cours duchange à 33 un tiers, comme autrefois. Le cours<strong>de</strong>s monnaies y est réglé <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière suivante :Martinique.Gua<strong>de</strong>loupe.Écu <strong>de</strong> 6 livres 10 l. 10 s. 10 l. 15 s. » d.Pièce <strong>de</strong> 5 francs... 9 ». 9 5Pièce <strong>de</strong> 2 francs... 3 15. 5 15


(120)Martinique.Gua<strong>de</strong>loupe.Gour<strong>de</strong> entière 9 l. 15s. 50 l. » s. » d.Gour<strong>de</strong> percée » ». 9 "Louis d'or <strong>de</strong> 24 livres42 15. 43 17 6.Pièce <strong>de</strong> 20 francs.. 36 ». 37 » ».Quadruple d'Espagne146 5. 160 » ».Moë<strong>de</strong> <strong>de</strong> 3 gros 54grains 81 ». 83 5 ».Guinée 48 ». 49 10 ».La monnaie <strong>de</strong> billon n'a pas changé <strong>de</strong> cours :le sol marqué ou le noir, y est à <strong>de</strong>ux sous six <strong>de</strong>niers,et le tempé à trois sous neuf <strong>de</strong>niers; l'escalin,monnaie idéale, vaut l5 sous.


(121)CHAPITREIX.État militaire.LES troupes réglées ont, <strong>de</strong> tout temps, partagé <strong>la</strong>gar<strong>de</strong> et le service militaire <strong>de</strong>s colonies avec lesmilices. Moyennant une bonne légis<strong>la</strong>tion, qui auraitmaintenu <strong>la</strong> police intérieure, <strong>la</strong> France n'auraitpas eu besoin d'y employer <strong>de</strong>s troupes, far<strong>de</strong>autoujours pesant, car les soldats, dans unecolonie, augmentent les consommations sans augmenterles moyens <strong>de</strong> se procurer <strong>de</strong>s vivres ; maisil aurait fallu y suppléer par une marine puissante,qui aurait transporté <strong>de</strong>s forces où le danger les eûtappelées ; cette marine se serait formée sans effortparce qu'elle aurait été l'effet nécessaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> prospéritédu commerce et <strong>de</strong>s colonies. Aussi avait-oncru, dès le principe, que les îles <strong>de</strong>vaient se défendreelles-mêmes, dans le cas d'une attaque imprévue(i),(1) Considérations"sur Saint-Domingue, par d'Auberteuil;tome 2 e , pages 139 et suiv.


(122)et que <strong>la</strong> marine <strong>de</strong>vait les protéger dans toutes lesautres circonstances ; c'est pourquoi on s'était d'abordcontenté d'y créer une simple gar<strong>de</strong>, plus particulièrementattachée à <strong>la</strong> personne du gouverneur.Mais lorsque <strong>la</strong> jalousie <strong>de</strong>s compagnies eut faitbâtir <strong>de</strong>s forts, pour éloigner les navires étrangersou pour se garantir <strong>de</strong>s irruptions <strong>de</strong>s sauvages, ilfallut <strong>de</strong>s soldats pour gar<strong>de</strong>r ces forts, On y envoya<strong>de</strong>s compagnies franches, sous le nom <strong>de</strong> troupesdétachées <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, dont les capitaines n'avaient<strong>de</strong> compte à rendre qu'au gouverneur. Lessix premières compagnies furent expédiées aux Antillesle 23 janvier 1672, et furent portées à huit, en1680. Comme elles augmentaient <strong>la</strong> disette <strong>de</strong>s vivres,on était forcé, pour les nourrir, d'avoir recours àl'étranger et d'en tirer les provisions nécessaires àleur subsistance. Cette expérience <strong>de</strong>vait engager àne plus envoyer <strong>de</strong> troupes réglées aux colonies;mais à <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> 1763, le besoin <strong>de</strong> veiller à leur sûretéexigeant <strong>de</strong> suivre l'exemple <strong>de</strong> nos voisins, enfit confier <strong>la</strong> défense à <strong>de</strong>s régiments (1), et on leur ,imposa ainsi une surcharge <strong>de</strong> plusieurs millions.Une ordonnance, du 25 mars 1763, établit : quetous les officiers <strong>de</strong>s troupes qui seraient employéesaux colonies, y jouirai eut <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié en sus <strong>de</strong> leur(1) Règlement du 24 mars 1763.


(123)sol<strong>de</strong>, et qu'au moment <strong>de</strong> leur départ, <strong>de</strong> France,il leur serait alloué une gratification <strong>de</strong> 5o francspour lit <strong>de</strong> bord, et une avance <strong>de</strong> trois moisd'appointements (1). Les sous-officiers et soldatsjouissaient, en sus <strong>de</strong> leur sol<strong>de</strong>, <strong>de</strong> quatre <strong>de</strong>nierspar jour, ajoutés à <strong>la</strong> retenue qu'on leur faisait <strong>de</strong>8 <strong>de</strong>niers pour linge et chaussure : <strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> <strong>la</strong>paye du soldat était donc <strong>de</strong> 7 sous 6 <strong>de</strong>niers, parjour.Le régiment <strong>de</strong> Beauvoisis fut le premier qui,passa à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, à <strong>la</strong> reprise <strong>de</strong> possession<strong>de</strong> 1763; et celui <strong>de</strong> Saintonge y fut envoyé, <strong>de</strong>Cayenne, en 1765.A cette époque, les établissements publics ne suffisaientpas pour caserner les soldats ; on les logeaitchez les habitans; mais, à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>s pertes éprouvéespar les ouragans <strong>de</strong> 1766, le roi déchargea <strong>la</strong>colonie du logement <strong>de</strong>s troupes.Ces <strong>de</strong>ux régiments furent relevés par celui <strong>de</strong>Vermandois, qui y arriva, le 11 novembre 1767.Destiné lui-même à faire partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> garnison <strong>de</strong>Saint-Domingue, Vermandois fut remp<strong>la</strong>cé par lerégiment <strong>de</strong> Vexin, qui débarqua, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,le 27 février 1769, venant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.Le 1 erbataillon <strong>de</strong> Royal-Vaisseau y arriva, le(1) Ces dispositions sont toujours observées.


(124)16 février, et repartit le 23 octobre 1771. Le 1 er bataillon<strong>de</strong> Vexin quitta aussi <strong>la</strong> colonie, le 5 novembre<strong>de</strong> <strong>la</strong> même année.L'éloignement <strong>de</strong>s Antilles, le désagrément dutrajet et l'image effrayante que présentaient, à leurretour, les débris <strong>de</strong> ces régiments, moissonnés par leclimat du tropique, épouvantèrent tellement lescorps <strong>de</strong>stinés à s'embarquer, que, malgré les faveursqu'on leur accordait, le ministère se voyait obligé<strong>de</strong> refuser <strong>la</strong> démission d'un grand nombre d'officiers, qui déclinaient un service auquel ils disaientne s'être pas <strong>de</strong>stinés. Pour obvier à cet inconvénient,et diminuer les pertes, que le renouvellementtrop fréquent <strong>de</strong> troupes, non acclimatées, rendaitplus considérable, on affecta, au service <strong>de</strong>s Antillesfrançaises, quatre régiments, qui furent créés surle pied <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux bataillons (1). Deux <strong>de</strong> ces corpsfurent formés à Saint-Domingue sous le nom <strong>de</strong>régiments du Cap et du Port-au-Prince; les <strong>de</strong>uxautres furent <strong>de</strong>stinés au service <strong>de</strong>s îles du vent,sous le nom <strong>de</strong> régiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique et <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe. On <strong>de</strong>vait leur envoyer annuellement,à chacun, 150 recrues du dépôt, qui fut établi à l'île<strong>de</strong> Ré, pour remp<strong>la</strong>cer leurs pertes.Les officiers du cadre du régiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>-(1) Ordonnance du roi, du 18 août 1772.


(125)loupe arrivèrent, dans <strong>la</strong> colonie, le 1 er février 1773,et formèrent, sur-le-champ, leur 1 erbataillon. Le 2 ebataillon du régiment <strong>de</strong> Vexin repassa aussitôt enFrance.Mais le système d'avoir <strong>de</strong>s troupes sé<strong>de</strong>ntaires ,aux colonies, offre encore plus d'inconvénients qued'avantages. Les mariages, les acquisitions, <strong>la</strong> facilité<strong>de</strong>s spécu<strong>la</strong>tions commerciales, les établissementset <strong>la</strong> propriété, qui ren<strong>de</strong>nt les liens <strong>de</strong> <strong>la</strong> sociétéplus étroits, ont bientôt fait <strong>de</strong> l'officier et dusoldat un colon ou un négociant, dans un pays oùl'éloignement, l'exemple et le climat, relâchentpromptement les liens <strong>de</strong> <strong>la</strong> subordination et <strong>de</strong> <strong>la</strong>discipline les plus sévères.11 n'y aurait qu'un moyen <strong>de</strong> remédier à ce mal;ce serait <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s régiments coloniaux, composés<strong>de</strong> gens <strong>de</strong> couleur, libres <strong>de</strong> naissance , ouaffranchis, auxquels on donnerait seulement <strong>de</strong>sofficiers supérieurs européens, sages et éc<strong>la</strong>irés,qui sauraient faire tourner les inclinations <strong>de</strong> cessoldats et leurs qualités naturelles à l'avantage <strong>de</strong> <strong>la</strong>Métropole. Tout dépendrait du premier pli qu'onleur ferait prendre.Le nombre <strong>de</strong> soldats, qu'on avait d'abord <strong>de</strong>stinéà <strong>la</strong> formation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux bataillons <strong>de</strong>s régiments <strong>de</strong><strong>la</strong> Martinique et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, ayant été insuffisant,on se vit obligé d'y en faire passer d'autres.Ces <strong>de</strong>ux régiments furent complétés à <strong>de</strong>ux batail-


(126)lons, chacun <strong>de</strong> 10 compagnies; chaque compagnieétait composée <strong>de</strong> 3 officiers et <strong>de</strong> 80 sous-officiers etsoldats. On affecta, à chaque bataillon, <strong>de</strong>ux pièces<strong>de</strong> canon à <strong>la</strong> Rostaing, servies par 8 fusiliers, jouissantd'un sol <strong>de</strong> haute-paie (1).Outre ces régiments coloniaux, on jugea bientôtnécessaire <strong>de</strong> faire passer d'autres troupes aux Antilles.Le régiment d'Armagnac fut envoyé à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe;son 2 ebataillon y débarqua le 22 novembre1775; le 1 er bataillon n'y arriva que le 3onovembre 1777.Pendant <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> l'indépendance <strong>de</strong>s Etats-Unis , le régiment d'Auxerrois y fut également envoyé.A <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> 1783, il en repartit, le 24 mars,avec celui d'Armagnac, pour revenir en France.Le 26 février 1784, une ordonnance du roi prescrivitl'incorporation <strong>de</strong> diverses troupes, employéesau département <strong>de</strong>s colonies, pour former un 3*bataillon aux régiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique et <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, parce que , <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> paix, ces <strong>de</strong>uxrégiments fournissaient, à Sainte-Lucie et à Tabago,chacun un bataillon, qu'on ne relevait que tous lesans, et qui perdait considérablement d'hommes,surtout celui <strong>de</strong> Sainte-Lucie, par <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> insalubrité<strong>de</strong> cette île.(1) Ordonnance du roi, du 1 er mai 1775.


(127)Le 28 février, une nouvelle ordonnance diminuales appointements <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong>s états-majors, etsupprima les chefs <strong>de</strong> bataillon. Enfin, le 10 décembre<strong>de</strong> <strong>la</strong> même année 1784, <strong>la</strong> formation et <strong>la</strong>sol<strong>de</strong> <strong>de</strong>s régiments coloniaux futdéfinitivementréglée. Ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martiniquefurent fixés à trois bataillons, et les régiments <strong>de</strong>Saint-Domingue à <strong>de</strong>ux.Chaque bataillon était formé <strong>de</strong> 5 compagnies,dont 4 <strong>de</strong> fusiliers et une <strong>de</strong> grenadiers ou <strong>de</strong> chasseurs.En temps <strong>de</strong> paix, chaque compagnie était composée<strong>de</strong> 2 capitaines , 2 lieutenants, 2 sous-lieutenants,et <strong>de</strong> 119 sous-officiers et soldats.En temps <strong>de</strong> guerre, elle <strong>de</strong>vait être du mêmenombre d'officiers, et <strong>de</strong> 170 sous-officiers et soldats.La sol<strong>de</strong> était réglée ainsi qu'il suit :Le colonel avait par an. . . . 10,000 liv. tournois;Le lieutenant-colonel. . . . 7,000;Le major 4,800;Le quartier-maître 1 ,800 ;Le porte-drapeau 1,260;L'adjudant (sans rations). . 810;Un <strong>de</strong>s trois premiers capitainescommandants3,3oo;Chaque capitaine-commandant.2,800;Les <strong>de</strong>ux premiers capital-


(128)nes en second 2,400;Chaque capitaine en sec d . 2,100;Le lieutenant en premier. . 1,600;Le lieutenant en second. 1,500;Le sous-lieutenant 1,400.En temps <strong>de</strong> guerre, ces appointements <strong>de</strong>vaientêtre augmentés du quart en sus.La troupe avait par jour :Le sergent-major <strong>de</strong> grenadiers. • 19 s. 4dLe sergent et fourrier id. • 16 10Le caporal id. 11 »Le premier appointé. id. . 8L'appointé . . . . id. • 7 6Le grenadier et tambour .Le sergent-major <strong>de</strong> fusiliers. . • 17 4Le sergent et fourrier id. . . 4Le caporal. . . . id. . . 9 6Le premier appointé. id. 6 6L'appointé. . . . id. . . 6 »Le fusilier et tambour. id. . . 5 6Les chasseurs étaient payés comme les fusiliers.On donnait, en outre, à chaque homme, et sansreterme, une ration <strong>de</strong> 24 onces <strong>de</strong> pain frais, ou20 onces <strong>de</strong> farine, 8 onces <strong>de</strong> bœuf frais ou salé,ou, à défaut, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées du pays.Il était retenu, par jour, 30 <strong>de</strong>niers à chaque sousofficier,et 12 <strong>de</strong>niers à chaque grenadier ou fusilier.7»


(129)pour former <strong>la</strong> masse <strong>de</strong> linge et chaussure dont ledécompte se faisait tous les quatre mois.En temps <strong>de</strong> guerre, chaque sous-officier, grenadieret fusilier recevait, par jour, un supplément<strong>de</strong> 8 <strong>de</strong>niers, qui étaient réunis à <strong>la</strong> masse <strong>de</strong> lingeet chaussure.Les régiments coloniaux existèrent sur ce piedjusqu'à <strong>la</strong> révolution.Au mois <strong>de</strong> mars 1791, le 2 ebataillon du 14° régiment, ci-<strong>de</strong>vant Forez, fut envoyé <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martiniqueà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, pour y tenir garnison avecle régiment colonial.Tous ces régiments furent dissous par l'effet<strong>la</strong> révolution , et on ne fit plus passer aux coloniesque <strong>de</strong>s corps <strong>de</strong> l'armée active, ou tirés dès dépôtscoloniaux, établis aux îles <strong>de</strong> Ré et d'Oleron.Le nombre <strong>de</strong> troupes qu'on a fait passer à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong>puis sa reprise par les Français, en1794, jusqu'en 1810, époque où elle fut prise <strong>de</strong> nouveaupar les Ang<strong>la</strong>is , a été :Troupes débarquées avec les commissairesHugues et Chrétien, le 2 juin 1794. 1,153 h.Avec les commissaires Goyraud et Lebas, le 6 janvier 1795 . . V . . 1,320Incorporés dans <strong>la</strong> colonie, parHu-<strong>de</strong>A reporter. . . 2,473II. 9


(130)Report. . . 2,473gues, <strong>de</strong>puis 1794 jusqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> I798. 2,020Arrivés avec le général Desfourneaux,le 22 novembre 1798. . . . . . . 168Avec le capitaine généralLacrosse,en 1801 188Avec le général en chef Richepanse,en mai 1802 3,470Depuis le général Richepanse, jusqu'aucapitaine-général Ernouf. . . . , , 1,179Avec le général Ernouf, en mai 1803. 279Depuis cette époque, jusqu'à <strong>la</strong> prise <strong>de</strong><strong>la</strong> colonie, en février 1810 2,819Total <strong>de</strong>s troupes b<strong>la</strong>nches. . . 12,596A <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, il ne restait<strong>de</strong> ces troupes que 1,504La perte avait donc été, dans le cours<strong>de</strong> 15 ans et 9 mois, <strong>de</strong> . . . . . . 11,092iEn outre on avait incorporé, dans les différensbataillons <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, <strong>de</strong>puis 1794 jusqu'à 1800,environ10,000 noirs.De 180З à 1810 on en incorpora. 1,500Et on leva pour les corps <strong>de</strong> chas-A reporter. . .11,5oo


(131)Report. . . 11,500seurs et d'ouvriers d'artillerie <strong>de</strong> couleur820Total <strong>de</strong>s troupes noires ou <strong>de</strong>couleur 12,320En 1802, on en déporta. 3,000Il en fut tué dans les combats,où il en périt <strong>de</strong> différentesmanières. . . . . 7,64910,649Il <strong>de</strong>vait donc en rester en 1810. . 1,671Après <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> possession, en 1815, on envoyaà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe <strong>de</strong>ux bataillons supplémentairesdu 62 erégiment, qui repassèrent en France, <strong>la</strong> mêmeannée, après <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> l'île par les Ang<strong>la</strong>is.En 1816, on y fit passer <strong>la</strong> 39 elégion, qui prit lenom <strong>de</strong> légion <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Les <strong>de</strong>ux bataillons qui <strong>la</strong> composent, dont lecomplet n'est que <strong>de</strong> 600 hommes chacun, sont-ilsassez forts pour inspirer, à <strong>la</strong> colonie, une sécuritéque les circonstances présentes menacent chaquejour <strong>de</strong> troubler?Avant <strong>la</strong> révolution, où <strong>de</strong> pareilles craintesn'existaient pas, les troupes <strong>de</strong>stinées à <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> <strong>de</strong>9


(132)<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe consistaient en un régiment <strong>de</strong> troisbataillons, <strong>de</strong> 600 hommes chacun, dont un étaitdétaché à Tabago; en un corps <strong>de</strong> 3oo hommes <strong>de</strong>couleur, et en une compagnie d'artillerie, qui formaientuncomplet <strong>de</strong> 2,300 hommes. Il restait donc1700 hommes à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, dans un temps <strong>de</strong>paix et <strong>de</strong> tranquillité (1).Sous l'Empire, l'intention du gouvernement étaitqu'il y eût toujours aux îles du vent, à cause <strong>de</strong> l'état<strong>de</strong> guerre, une force <strong>de</strong> 6150 hommes répartis<strong>de</strong> cette manière; 335o hommes à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ,2200 à <strong>la</strong> Martinique et 600 à Tabago (2).Dans l'état actuel <strong>de</strong>s choses, le nombre <strong>de</strong> troupesqu'il paraît convenable d'entretenir dans nos<strong>de</strong>ux colonies, pour les garantir <strong>de</strong> tout événementimprévu, ne <strong>de</strong>vrait pas être moindre <strong>de</strong> 2000 hommesà <strong>la</strong> Martinique, et <strong>de</strong> 235o à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupequi en enverrait 200 aux Saintes (et <strong>de</strong> préférenceles convalescents et les moins robustes, à cause <strong>de</strong><strong>la</strong> salubrité <strong>de</strong> ces îles), 100 à Marie-Ga<strong>la</strong>nte et 5o àSaint-Martin.Les colonies verraient, avec satisfaction, augmen-(1) Instructions données, en 1784, à MM. <strong>de</strong> Clugny et<strong>de</strong> Foulquier.(2) Instructions données au général Ernouf, à son départpour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.


(133)ter le nombre <strong>de</strong>s soldats <strong>de</strong>stinés à les préserver<strong>de</strong> toute commotion, et diminuer celui <strong>de</strong>s officiers,surtout <strong>de</strong>s officiers supérieurs, dont <strong>la</strong> quantité nepeut que leur être à charge, et qui n'est point enproportion avec celui <strong>de</strong>s troupes.Les officiers créoles, que l'on y multiplie sans qu'ilssoient accoutumés au service, sont encore pourelles <strong>de</strong> véritables inconvénients, par les nombreuxintérêts que l'influence coloniale met souvent cesofficiers dans le cas d'avoir à ménager, pour en froisserd'autres , et par <strong>la</strong> partialité à <strong>la</strong>quelle ils sontexposés, dans tous leurs rapports avec les habitans ;tels, par exemple, que les exécutions contre lesparticuliers, dont ils sont chargés lorsqu'il n'y a nigendarmes ni archers, comme à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Le bien du service n'exigerait-il pas que ces officiersfussent astreints à faire leurs premières armesen France , pour être ensuite employés dans touteautre colonie que celle qui les aurait vu naître?Les observations faites jusqu'ici donnent lieud'estimer qu'en temps ordinaire, et lorsque <strong>la</strong> fièvrejaune n'exerce pas ses pernicieux ravages, <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeet <strong>la</strong> Martinique per<strong>de</strong>nt annuellement, parmort naturelle, 15 soldats sur 100. Dans <strong>la</strong> partie <strong>de</strong><strong>la</strong> Basse-Terre on en perd moins que partout ailleurs, surtout <strong>de</strong>puis que les troupes sont baraquéessur les hauteurs, et lorsqu'on leur fournit <strong>de</strong>s mulets<strong>de</strong> peloton pour le transport <strong>de</strong> leurs distributions.


(134)L'état militaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe se compose , enjanvier 1823 , <strong>de</strong> :Un maréchal-<strong>de</strong>-camp, commandant militaire (1);Un lieutenant-colonel, commandant à Saint-Martin(2);Un chef <strong>de</strong> bataillon, commandant à Marie-Ga<strong>la</strong>nte;Un capitaine, commandant aux Saintes ;ÉTAT-MAJOR DES PLACES.Un colonel, commandant à <strong>la</strong> Basse-Terre (3);Un adjudant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce,id.Un chef-d'escadron, commandant à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître (4);Un adjudant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce,id.DIRECTIOND'ARTILLERIE.Un lieutenant-colonel directeur <strong>de</strong> 2° c<strong>la</strong>sse ;(1) L'emploi d'un officier <strong>de</strong> ce gra<strong>de</strong> cause <strong>de</strong>s dépensesaussi inutiles qu'onéreuses.(2) Un chef <strong>de</strong> bataillon avait suffi jusqu'ici.(3) Un chef <strong>de</strong> bataillon ou un capitaine, avait toujourssuffi.(4) Un capitaine suffit si le commandant militairerési<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître.


(335)Un capitaine ;Deux lieutenants ;DIRECTION DU GENIE.Un chef <strong>de</strong> bataillon ;Un capitaine;Deux lieutenants <strong>de</strong> sapeurs.TROUPES.Deux bataillons d'infanterie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,ayant chacun leur état-major particulier, et qu'ontient, autant que possible, au complet <strong>de</strong> 600 h.par les envois <strong>de</strong> recrues qu'on leur fait . 1 ,200 h.Une compagnie d'artillerie <strong>de</strong>goUn détachement d'ouvriers d'artillerie<strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, d'environ5oUn cadre <strong>de</strong> compagnie <strong>de</strong> sapeurs <strong>de</strong>. 27Total 1,367Nombre très-insuffisant pour une colonie telle que<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et toutes ses dépendances.Une ordonnance du Roi, du 22 septembre 1819,veut que le traitement <strong>de</strong>s officiers employés auxcolonies soit celui d'activité alloué aux officiers


(136)<strong>de</strong>s mêmes gra<strong>de</strong>s en France, plus, un supplémentgui est fixé, savoir :A <strong>la</strong> moitié en sus du traitement d'Europe pourles officiers généraux et supérieurs <strong>de</strong> toute arme ;Aux trois quarts pour les capitaines ; à une sommeégale au traitement d'Europe pour les lieutenantset sous-lieutenants , gar<strong>de</strong>s du génie et <strong>de</strong> l'artlUerie.Ce supplément leur est dû <strong>de</strong>puis et non comprisle jour du débarquement dans les colonies, jusqueset non compris le jour du départ <strong>de</strong>s colonies.Lorsque ces officiers n'y sont pas logés dans lesbâtiments <strong>de</strong> l'état, ils reçoivent le double <strong>de</strong> l'in<strong>de</strong>mnité<strong>de</strong> logement attribuée en France à chaquegra<strong>de</strong>.Les rations <strong>de</strong> fourrages, dues à certains officiers,sont payées en nature ou en argent, suivant le tarif<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie. Les gouverneurs et commandants militairesn'ont aucun droit aux fourrages.L'in<strong>de</strong>mnité, pour frais <strong>de</strong> représentations, accordéeaux chefs <strong>de</strong> corps, est le double <strong>de</strong> celle allouéeen France.Le traitement <strong>de</strong>s directeurs du génie et <strong>de</strong> l'artillerie, pour frais <strong>de</strong> tournées et <strong>de</strong> bureau ; <strong>la</strong>gratification due aux sous-officiers promus au gra<strong>de</strong>d'officier, sont payées, aux colonies , comme enFrance , et moitié en sus.


(137)Les sous-officiers et soldats, <strong>de</strong> toutes armes, jouissentaux colonies <strong>de</strong> <strong>la</strong> sol<strong>de</strong> qui leur est attribuéeen France. Il leur est accordé en outre, et sans retenue,une ration par jour, composée <strong>de</strong> :7 hect. ( 24 onces ) <strong>de</strong> pain frais,ou 6 hect. rf^ ( 20 onces ) <strong>de</strong> farine,ou 5 hect. ( 18 onces) <strong>de</strong> biscuit;et 2 hect. ( 8 onces) <strong>de</strong> bœuf salé ou frais ,ou I hect. ré^( 6 onces) <strong>de</strong> porc salé ou frais.Cette ration peut être suppléée par les <strong>de</strong>nrées dupays.


(138)CHAPITRE X.Milices et Gar<strong>de</strong>s nationales.A l'appui <strong>de</strong>s troupes réglées, pour <strong>la</strong> sûreté intérieure, viennent les milices; elles ont pris naissanceavec les colonies.Les premiers Français qui s'établirent aux Antilles, en furent les conquérants, et pour s'y maintenir,contre les naturels du pays, ils étaient obligésd'être toujours armés. A ces naturels, qui furentbientôt expulsés ou détruits , succédèrent les nègres, introduits pour les travaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture.Ils <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong>s ennemis bien plus dangereux, parleur nombre, comme par <strong>la</strong> manière dont ils sontdistribués, et surtout par <strong>la</strong> haine secrette que leurinspire l'état d'esc<strong>la</strong>vage auquel ils sont réduits.Jaloux <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, si naturelle à tous les hommes,ils n'ont pu regar<strong>de</strong>r leurs maîtres que comme leurstyrans, et ceux-ci, pour les contenir par <strong>la</strong> crainteet l'appareil <strong>de</strong> <strong>la</strong> force, ont continué <strong>de</strong> rester armés.De là l'existence <strong>de</strong>s milices qui, successivement,ont pris une forme régulière. Leur établisse-


(139)ment est donc aussi utile qu'ancien, et l'on ne peutpas craindre qu'il <strong>de</strong>vienne dangereux.Il n'y a point <strong>de</strong> partie du régime colonial sur<strong>la</strong>quelle il y ait plus <strong>de</strong> règlements que sur celle<strong>de</strong>s milices.Suivant les plus vieilles ordonnances, elles <strong>de</strong>vaientconcourir aux entreprises sur les coloniesétrangères; mais ces projets <strong>de</strong> conquête ne pouvaientpas être exécutés par <strong>de</strong>s habitans non soldés,uniquement adonnés aux cultures <strong>de</strong> leursétablissements.Une ordonnance, du5o septembre 1683, déc<strong>la</strong>raque les habitans,servant dans les milices,n'étaient, justiciables <strong>de</strong>s commandants, que pourleurs fonctions militaires. Celle du 15 avril 1689,les soumit à <strong>la</strong> discipline militaire, et voulut quecelui qui serait trouvé endormi, étant en faction<strong>la</strong> nuit, après avoir été occupé toute <strong>la</strong> journée àses travaux fût condamnéaux galères ; que celuiqui traiterait d'égal à égal son voisin, son inférieurpeut-être , mais son commandant <strong>de</strong> milice ,l'appellerait en duel, fût puni <strong>de</strong> mort (1). De telschâtiments <strong>de</strong>vaient-ils être faits pour <strong>de</strong>s habitansarmés par occasion, à leurs frais et pour <strong>la</strong> défense<strong>de</strong> leurs familles?et(1) D'Auberteuil, tome 2°, pages 155 et 156.


(140)Les ordonnances du 29 avril 1705 et du moisd'août 1707, réglèrent le service et <strong>la</strong> police <strong>de</strong>s milices.Cette <strong>de</strong>rnière, en obligeant les propriétaires<strong>de</strong> terrains encore incultes à monter <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s ou àfournir un homme, à peine d'amen<strong>de</strong> ou <strong>de</strong> prison,pour chaque carré <strong>de</strong> terre <strong>de</strong> 600 pas, ne retardait-ellepas les progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture?L'article 7 <strong>de</strong> l'ordonnance du 16 juillet 1732 ,exemptait tous les officiers <strong>de</strong> milice <strong>de</strong> payer lesdroits d'un certain nombre <strong>de</strong> nègres , suivant leurgra<strong>de</strong>, mais cette exemption était injuste, puisqu'elleallégeait les habitants les plus riches et lesplus puissants, qui étaient toujours officiers, poursurcharger les plus pauvres,A <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> 1763,on ne considéra les milices quesous le rapport <strong>de</strong> <strong>la</strong> défense contre les ennemis <strong>de</strong>l'état; on pensa qu'elles nuiraient aux progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong>culture, en détournant l'habitant <strong>de</strong> son atelier, eton les supprima, par règlement du 24 mars, en envoyantaux îles <strong>de</strong>s régiments <strong>de</strong> ligne. Mais on ne<strong>la</strong>rda pas à reconnaître qu'elles avaient principamentpour objet <strong>la</strong> sûreté intérieure; qu'il était indispensableque <strong>de</strong>s maîtres, nécessairement haïs,fussent craints et par conséquent armés, pour enimposer à une multitu<strong>de</strong>, qui n'a besoin que du sentiment<strong>de</strong> sa force pour <strong>de</strong>venir libre, et qu'il fal<strong>la</strong>itlui présenter un simu<strong>la</strong>cre <strong>de</strong> troupes toujoursprêtes à s'opposer à ses entreprises. Les milices


(141)furent donc rétablies en 1765; et, pour leur donnerun point <strong>de</strong> réunion et le concert nécessaires, onles divisa par quartiers , à chacun <strong>de</strong>squels ondonna un commandant ; chaque paroisse eut uncapitaine, tous correspondants avec leur chef immédiat.Par cette chaîne <strong>de</strong> correspondance, les avisétaient donnés et les ordres exécutés avec célérité.L'ordonnance du 1 er septembre 1768, fixa <strong>la</strong>composition et le service <strong>de</strong>s milices, en leur donnantun état-major particulier. Les grâces et lesdécorations militaires furent attribuées à leurs officiers, comme à ceux <strong>de</strong>s troupes réglées , en exigeanttoutefois un service un peu plus long.Nul individu b<strong>la</strong>nc n'était exempt du service <strong>de</strong>smilices, mais les p<strong>la</strong>ces d'officiers étaient privilégiées,par les prérogatives qui y étaient attachées etpar <strong>la</strong> sorte <strong>de</strong> supériorité qu'elles donnaient à unhabitant sur un autre habitant. On ne pouvait yparvenir sans ce qu'on appe<strong>la</strong>it <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance et<strong>de</strong> <strong>la</strong> considération.Les fonctions <strong>de</strong> ces officiers ne se bornaient pasau seul service militaire, ils étaient encore chargés, dans leurs quartiers, <strong>de</strong> <strong>la</strong> police et <strong>de</strong> tout C Equi tient lieu <strong>de</strong> municipalité. Ils correspondaient,pour cette partie, avec le gouverneur et l'intendant,qui leur transmettaient les ordres à exécuter.Le 26 août 1769, une exemption <strong>de</strong> capitationfut accordée aux gens <strong>de</strong> couleur servant dans <strong>la</strong>


(142)milice, ainsi qu'à ceux blessés ou âgés <strong>de</strong> 60 ans ,sans que l'exemption pût s'étendre à leurs enfants.Une ordonnance, du 1 erjanvier 1787, voulut queles milices n'eussent d'autre état-major que celui<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces dont elles dépendaient, supprimant lescommandants et majors <strong>de</strong> quartiers ; et rég<strong>la</strong>, d'unemanière plus uniforme leur organisation et leurservice. Elles furent composées <strong>de</strong>s habitans b<strong>la</strong>ncs,<strong>de</strong>puis 15 jusqu'à 55 ans, et <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> Couleurlibres, ou affranchis, <strong>de</strong>puis 15 jusqu'à 60 ans.On forma <strong>de</strong>s compagnies <strong>de</strong> grenadiers, <strong>de</strong> fusiliers,d'artillerie et <strong>de</strong> dragons.Chaque compagnie d'infanterie était composée<strong>de</strong> :1 Capitaine.1 Lieutenant.En tout, 2 officiers.2 Sergents.8 Caporaux.48 Fusiliers.1 Tambour <strong>de</strong> couleur aux frais du capitaine.5g Sous-officiers ou miliciens.Les dragons étaient choisis parmi les habitansqui n'avaient point été officiers et pouvaient entretenirun cheval. Leurs compagnies étaient fortes<strong>de</strong> 5o hommes, dont :1 Capitaine,


(143)1 Lieutenant.En tout, 2 officiers.2 Maréchaux <strong>de</strong> logis.5 Brigadiers.40 Dragons.1 Tambour (que <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> révolution on a remp<strong>la</strong>cépar 1 trompette).48 Sous-officiers ou dragons.Les officiers <strong>de</strong> milice étaient nommés par legouverneur; on pouvait l'être à vingt ans.Il choisissait parmi les capitaines d'une paroisse,le commandant <strong>de</strong> <strong>la</strong> paroisse.Le gouverneur était capitaine d'une compagnie<strong>de</strong> dragons ; et le commandant en second <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie,était capitaine d'une compagnie d'infanterie.Outre <strong>la</strong> croix <strong>de</strong> Saint-Louis et quelques privilègeslocaux, les officiers jouissaient <strong>de</strong> l'exemption<strong>de</strong> capitation, pour un certain nombre <strong>de</strong> nègres,Les compagnies <strong>de</strong> couleur ne pouvaient avoir,d'autres officiers que <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>ncs.Tous les hommes <strong>de</strong> milice étaient obligés <strong>de</strong> sefournir d'armes, et d'avoir en réserve une certainequantité <strong>de</strong> poudre et <strong>de</strong> balles.Le gouverneur seul pouvait les rasssembler.Cette organisation n'éprouva pas <strong>de</strong> changementjusqu'à <strong>la</strong> révolution.Outre les milices, il a existé à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe une


( 1 4 4 )compagnie <strong>de</strong> mousquetaires, une compagnie <strong>de</strong>privilégiés, un corps <strong>de</strong> volontaires <strong>de</strong> couleur, etun corps <strong>de</strong> travailleurs, que les circonstances <strong>de</strong><strong>la</strong> guerre firent former.MOUSQUETAIRES.D'après les ordres <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour, le gouverneur-général,comte d'Arbaud, créa, le 10 juillet 1778,une compagnie <strong>de</strong> 100 mousquetaires et 8 surnuméraires, ayant rang <strong>de</strong> sous-lieutenant. Elle étaitdivisée en 4 briga<strong>de</strong>s et composée <strong>de</strong> 19 officiers, letrésorier compris. Le gouverneur en était le Capitaineet pouvait seul <strong>la</strong> réunir et l'inspecter. Le capitaine-lieutenant,et le lieutenant, avaient rang <strong>de</strong>major, les brigadiers, <strong>de</strong> capitaine, et les sous-brigadierS,<strong>de</strong> lieutenant.L'uniforme était <strong>de</strong> drap écar<strong>la</strong>te, les poches enlong, doublure , parements, revers, collet, Vesteet culotte b<strong>la</strong>ncs, avec <strong>de</strong>s boutons jaunes frappésd'une croix f<strong>la</strong>mboyante ; les boutonnières, épauletteset treffles étaient en or; le chapeau était uni,bordé d'un velours noir et d'un panache b<strong>la</strong>nc.Cette compagnie était <strong>de</strong>stinée à combattre àpied et à cheval. Elle était armée d'un sabre, d'unpistolet et d'un fusil, à <strong>la</strong> dragonne, surmonté <strong>de</strong> sabaïonnette.L'inconvénient <strong>de</strong> l'existence d'une pareille


(145)troupe faite, tout au plus, pour f<strong>la</strong>tter <strong>la</strong> vanitéd'un chef éloigné <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, fut si vite reconnu, qu'elle cessa d'exister peu <strong>de</strong> temps après saformation.PRIVILÉGIÉS.Le même gouverneur créa aussi, le 8 décembre1778, une compagnie <strong>de</strong> privilégiés , composée <strong>de</strong>60 individus, divisés en 4 briga<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> 15 hommeschacune, <strong>de</strong>stinés, également, à servir à pied et àcheval.Leur uniforme était un habit <strong>de</strong> drap b<strong>la</strong>nc,sans poches, avec un collet vert.Ils n'existèrent pas même aussi long-temps queles mousquetaires ; il en reste à peine le souvenir.TRAVAILLEURS.Le comte d'Arbaud forma, le 13 mai 1779, uncorps <strong>de</strong> travailleurs, pour servir, en cas <strong>de</strong> siège,sous les ordres immédiats du chef du génie. Cecorps était composé <strong>de</strong> trois compagnies <strong>de</strong> nègresesc<strong>la</strong>ves, fournis, par les habitans, pour les travaux.On avait attaché, à chaque compagnie, un nombresuffisant d'ouvriers et <strong>de</strong> piqueurs libres.L'uniforme était bleu, à revers noirs, commecelui <strong>de</strong>s sapeurs.II. 10


(146)VOLONTAIRES.D'après les ordres du roi, du 28 août 1782 , le vicomte<strong>de</strong> Damas créa, le décembre , un corpsd'infanterie, sous le nom <strong>de</strong> volontaires libres <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe. II était composé d'un bataillon <strong>de</strong> 10compagnies, <strong>de</strong> 54 hommes chacune, dont une <strong>de</strong>grenadiers, une <strong>de</strong> chasseurs et huit <strong>de</strong> fusiliers ,formant un total <strong>de</strong> 540 hommes <strong>de</strong> couleur. Tousles officiers étaient b<strong>la</strong>ncs. L'uniforme était en drapbleu, à revers jaune, chapeau uni, à ganse b<strong>la</strong>nche.Toutes les fois que ce corps était rassemblé, il étaittraité comme ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> ligne; quand il n'était pasréuni, les rations étaient accordées en nature, ouen argent, aux sous-officiers et soldats. La paie nese donnait que , les jours <strong>de</strong> service, dans les quartiers.L'habillement et l'équipement leur étaientfournis par l'Etat, comme aux régiments coloniaux.Les milices furent dissoutes à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ,par l'effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution. Des troupes <strong>de</strong> toute couleury furent levées et disciplinées, sous le nom <strong>de</strong>force armée, <strong>de</strong>puis 1794, jusqu'à <strong>la</strong> conquête, faitepar le général Richepanse, en 1802.Le général Ernouf organisa <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> nationale <strong>de</strong><strong>la</strong> colonie , le 11 juin 1803 , et <strong>la</strong> composa <strong>de</strong> tous


(147)les habitans libres, <strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> seize ans à celui <strong>de</strong>cinquante-cinq. Il <strong>la</strong> divisa en 6 bataillons, comprenantles 26 paroisses, ou quartiers, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeet <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre.Les Saintes, Marie-Ga<strong>la</strong>nte, <strong>la</strong> Désira<strong>de</strong> et Saint-Martin, formèrent leur gar<strong>de</strong> nationale séparément.Chaque bataillon fut commandé par un chef <strong>de</strong>bataillon, et composé <strong>de</strong> compagnies <strong>de</strong> fusiliersb<strong>la</strong>ncs, <strong>de</strong> chasseurs <strong>de</strong> couleur, et d'une seulecompagnie <strong>de</strong> dragons b<strong>la</strong>ncs, suivant <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion<strong>de</strong>s paroisses. Chaque paroisse eut pour chefun commissaire ou lieutenant-commissaire, quicommandait le civil et le militaire.Les hommes <strong>de</strong> couleur formèrent les compagnies<strong>de</strong> chasseurs, et n'eurent pour officiers que <strong>de</strong>sb<strong>la</strong>ncs.Après l'envahissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, l'administrationang<strong>la</strong>ise voulut, en 1811, rétablir les milicessur le pied où elles étaient autrefois, mais en lesastreignant à porter l'uniforme ang<strong>la</strong>is. Cette tentativene réussit pas. Ni les fortes amen<strong>de</strong>s qui furentimposées chaque mois , ni les menaces , ni lespunitions ne purent venir à bout <strong>de</strong> forcer <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionà s'inscrire; elle préféra se soumettre àtoutes les vexations, plutôt que <strong>de</strong> se résoudre àendosser les couleurs dés ennemis <strong>de</strong> <strong>la</strong> France.Quelques employés et gens vendus au parti ang<strong>la</strong>is10


(148)furent les seuls à s'en revêtir, et l'administrationdut se contenter qu'une gar<strong>de</strong> bourgeoise, <strong>de</strong>12 hommes, à <strong>la</strong> Basse-Terre, et <strong>de</strong> 20 à <strong>la</strong> Pointeà-Pître,fût montée, chaque nuit, en permettant auxhabitans <strong>de</strong> se faire remp<strong>la</strong>cer, pour <strong>de</strong> l'argent.En 1815 , <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> nationale fut organisée commeelle l'avait été, <strong>de</strong> 1803 à 1810, et abolie, <strong>la</strong> mêmeannée, par les Ang<strong>la</strong>is.Une ordonnance coloniale, du 22 avril 1817 , <strong>la</strong>forma, d'après les bases d'organisation du 1 erjanvier1787, et remp<strong>la</strong>ça son titre <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> nationale, parl'ancienne dénomination <strong>de</strong> milices, qui sembleraitrappeler <strong>de</strong>s privilèges, que <strong>la</strong> Charte constitutionnelledu roi n'admet plus aujourd'hui.Les milices sont donc établies par quartiers, sousles ordres d'un capitaine, commandant le civil etle militaire, comme en I 7 8 7 . On a nommé <strong>de</strong>uxinspecteurs, chefs <strong>de</strong> bataillon, chargés d'inspecter,l'un, les milices <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe proprementdite ; l'autre, celles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre, et un commandant-général<strong>de</strong>s dragons.On peut se faire une idée <strong>de</strong>s milices que chaquequartier fournit, d'après l'état <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tion, n°4)en observant : qu'il n'y a que les b<strong>la</strong>ncs, <strong>de</strong> 15 à55 ans, et les gens <strong>de</strong> couleur libres, <strong>de</strong> 15 à 60,qui y soient sujets ; et que les magistrats, les mé<strong>de</strong>cins, les pharmaciens et tous les individus attachésau gouvernement, en sont exempts.


(149)CHAPITREXI.Système <strong>de</strong> défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.ON a, <strong>de</strong>puis long-temps, comparé, avec raison,une île à un vaste château ruiné, dont une cita<strong>de</strong>lleest le faible donjon, et qui offre mille points accessiblescontre un seul susceptible <strong>de</strong> défense. Eneffet, sa circonférence, trop étendue, ne peut êtresuffisamment garnie <strong>de</strong> troupes contre un ennemiqui a <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> se diviser, <strong>de</strong> débarquer partiellement,sans obstacle , et <strong>de</strong> dévaster le pays avantd'offrir ou <strong>de</strong> recevoir <strong>la</strong> bataille. Si cet ennemivient, <strong>de</strong> prime abord, attaquer les troupes quidéfen<strong>de</strong>nt le point principal, ses forces navalesinterrompent soudain les communications , et <strong>la</strong>prompte soumission <strong>de</strong>s habitans le met bientôten possession du pays, Il ne reste alors, à ses défenseurs, d'autre asile qu'un fort, élevé, dans le principe, contre les faibles ennemis du <strong>de</strong>dans, moinspropre au salut <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie qu'à protéger une escadre<strong>de</strong> secours , et dans lequel on n'aura pasmême le temps d'attendre <strong>de</strong>s renforts <strong>de</strong> <strong>la</strong> métro-


(150)pole. On a donc toujours eu raison <strong>de</strong> dire que <strong>la</strong>vraie défense <strong>de</strong>s colonies, <strong>la</strong> seule sur <strong>la</strong>quelle ellespuissent compter, ce sont les escadres. Où en seraitAlbion elle-même, sans <strong>la</strong> supériorité <strong>de</strong> ses flottes?La guerre, qui se fait aujourd'hui aux colonies,ne ressemble en rien à celle qui s'y faisait à <strong>la</strong> findu 17 e siècle et au commencement du 18 e . Il nes'agissait alors <strong>de</strong> rien moins, pour les colons, qued'être dépossédés, par un ennemi avi<strong>de</strong>; le théâtre<strong>de</strong>s opérations était très-resserré ; <strong>la</strong> défense et l'attaquese bornaient, pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, au seulpoint <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, où était le principal établissement.Elles ont dû s'étendre, à proportion que<strong>la</strong> colonie s'est étendue, et que les forces <strong>de</strong> l'agresseurse sont accrues. Nous allons suivre leur marcheprogressive, dans toutes les attaques régulièresqui ont eu lieu, et mettre à profit les fautes commises,<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés, pour tâcher d'établir le système<strong>de</strong> défense le plus convenable d'après les localités.ATTAQUE DE 1691.En 1691 , les Ang<strong>la</strong>is voulurent s'emparer dufort <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, qui <strong>de</strong>vait les rendre maîtres<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie. Ils se présentèrent, en nombre presqueaussi faible que celui <strong>de</strong>s colons, et allèrent débarquerà l'anse à <strong>la</strong> barque, le point le plus défavo-


(151)rable à leur projet (1). On pouvait les tailler eupièces avant <strong>de</strong> leur permettre l'approche du fort;mais <strong>la</strong> défense fut aussi mal combinée que l'agression;on les <strong>la</strong>issa parvenir jusqu'au pied <strong>de</strong>smurs, et ils en disposèrent l'attaque avec si peu <strong>de</strong>précision et <strong>de</strong> vigueur, que ce fort, qui n'était encorequ'une étroite enceinte murée, résista pendant35 jours à leurs tentatives. Il donna ainsi le tempsaux secours d'arriver <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, et <strong>de</strong> fairerembarquer les assail<strong>la</strong>nts , que leurs excès et leursdévastations rendirent odieux.ATTAQUE DE 1703..Plein du ressentiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> défaite <strong>de</strong> son père,le fils du général ang<strong>la</strong>is, qui avait éprouvé l'échec<strong>de</strong> 1691, vint, douze ans après, pour le réparer. Ilprit Marie-Ga<strong>la</strong>nte, le 6 mars 1703, et y réunit uneexpédition, beaucoup plus forte que <strong>la</strong> précé<strong>de</strong>nte.Mais elle ne se présenta que le 18 <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,et perdit cinq jours en démonstrations inutileset en débarquements partiels, sous le vent <strong>de</strong><strong>la</strong> Basse-Terre, où ils furent repoussés. Enfin , le 23,elle opéra trois débarquements réels, précisément(1) Voir, dans l'Histoire politique, année 1691 , lesinconvénients <strong>de</strong> ce point d'attaque.


(152)sur les points où elle avait attiré l'attention <strong>de</strong>s défenseurs: aux Habitants, au Val <strong>de</strong> l'orge, et au grosFrançois (1). A <strong>la</strong> faveur du feu <strong>de</strong> leur escadre,les Ang<strong>la</strong>is obligèrent les Français à se retirer, etarrivèrent près du fort, dont ils formèrent le siège.De nouvelles fortifications y avaient été ajoutées,et il se trouvait commandé par le brave De <strong>la</strong>Malmaison, le même qui l'avait si bien défenduen 1691. Mais un général, que son grand âge rendaitpeu propre à <strong>la</strong> guerre, arriva le 3 avril, <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique, avec <strong>de</strong>s secours. Au lieu <strong>de</strong> fondre surl'ennemi étonné, il temporisa et se retira <strong>de</strong>vant lui,quoique ses troupes remportassent toujours quelqueavantage. Enfin il mit le comble aux preuves <strong>de</strong> sonincapacité, en exigeant qu'on évacuât le fort et leposte retranché <strong>de</strong> <strong>la</strong> savanne Milet, qui le battait<strong>de</strong> revers ; et il al<strong>la</strong> se p<strong>la</strong>cer <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>sGalions , <strong>de</strong>puis son passage supérieur jusqu'auxmontagnes du Houelmont. Tout était perdu si le généra<strong>la</strong>ng<strong>la</strong>is avait été doué <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> vigueur;mais sa timi<strong>de</strong> circonspection sauva <strong>la</strong> colonie. Lesofficiers français, en dépit <strong>de</strong> leur chef, repoussèrentl'ennemi, dans toutes les rencontres, le découragèrentet l'obligèrent à se rembarquer, après une(1) Voir, dans l'Histoire politique, année 1703, lesdétails <strong>de</strong> cette expédition.


(153)infructueuse campagne <strong>de</strong> 56 jours, marquée parles pil<strong>la</strong>ges et les incendies les plus affreux.Ce double succès donna une si haute idée <strong>de</strong> <strong>la</strong>force <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, que ses énnemis n'osèrent,<strong>de</strong> long-temps, rien tenter contre elle. Mais les changemensqui s'y opérèrent, durant les 56 ans <strong>de</strong> reposqu'on lui <strong>la</strong>issa , changèrent sa position militaire.La culture <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne avait limité le nombre<strong>de</strong>s b<strong>la</strong>ncs, en réunissant les petites propriétés,pour en former <strong>de</strong> plus vastes.Les flibustiers n'étaient plus ces habitans àqui <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> mer fournissait, autrefois, <strong>de</strong>smoyens qu'ils appliquaient aux cultures. La ville<strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre s'était bien enrichie <strong>de</strong> leurs prises; mais les colons, éprouvant, par le bas prix<strong>de</strong> leurs <strong>de</strong>nrées, un ma<strong>la</strong>ise général, n'avaientplus leur ancienne vigueur, pour défendre <strong>de</strong>s propriétésdont l'ennemi n'était plus dans l'usage <strong>de</strong>les dépouiller.ATTAQUE DE 1759.Les moyens <strong>de</strong> défense se trouvaient donc diminués, tandis que ceux d'agression étaient considérablementaugmentés chez les Ang<strong>la</strong>is , au momentoù une expédition formidable se présenta, eir 1759,<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Elle s'attacha à faire évacuer<strong>la</strong> ville et le fort, en les bombardant; pil<strong>la</strong> et dé-


(154)vasta <strong>la</strong> partie sous le vent; tourna <strong>la</strong> position dugrand camp, sur <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Galions, et saccagea<strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre, pour y attirer les habitans. Maisvainement elle aurait employé ce moyen, si les collonsavaient voulu se défendre comme autrefois; sileur chef eût été assez étranger à <strong>la</strong> colonie pourrésister aux séductions <strong>de</strong> ses alentours, et pour attendreles secours qu'il pouvait espérer <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.Ces renforts n'arrivèrent que pour êtretémoins <strong>de</strong> sa reddition (1).Cette chute inattendue, <strong>la</strong> première <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,<strong>de</strong>vait avoir, pour elle, les conséquences lesplus funestes, dans l'avenir. Elle révé<strong>la</strong> aux Ang<strong>la</strong>isle moyen le plus sûr et le moins périlleux <strong>de</strong> conquérirnos colonies, et ils savent aujourd'hui le rendreirrésistible. Elle inspira, à certains habitans, une indifférencepeu honorable sur le choix <strong>de</strong> <strong>la</strong> patrie à<strong>la</strong>quelle ils doivent appartenir ; leur fit préférer <strong>la</strong>nation qui leur promet <strong>de</strong>s richesses ; et les renditprompts , comme le dit Raynal, à crier, dans toutesles occasions : Vive le vainqueur !PROJET DE DÉFENSE, EN 1766.Lorsque le traité <strong>de</strong> 1763 eut rendu <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>-(1)Voir, dans l'Histoire politique,expédition et les résultats qu'elle eut.les détails <strong>de</strong> cette


(155)loupe à <strong>la</strong> France, le gouvernement s'occupa <strong>de</strong> <strong>la</strong> garantird'une nouvelle invasion. Le comte <strong>de</strong> Wolivos,qui en était gouverneur, en 1765, et M. <strong>de</strong> Rochemore,directeur-général <strong>de</strong> l'artillerie <strong>de</strong>s îles duVent, cherchèrent vainement un point qui pût couvrirtoutes les parties <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie. Forcés <strong>de</strong> renoncerà le trouver, ils se décidèrent, faute <strong>de</strong> mieux,pour <strong>la</strong> position comprise entre <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Galionset celle <strong>de</strong>s Bananiers ; quoiqu'elle ne couvrît pasmême <strong>la</strong> ra<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, puisque les feux dufort Saint-Charles ne garantissaient qu'une <strong>de</strong> sesextrémités, et qu'elle exposait le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonieaux incendies et aux dévastations. Bornant leursvues à cet espace, ils donnèrent, en 1766, plus <strong>de</strong>consistance au fort Saint-Charles, dont ils augmentèrentles fortifications, et qui tenait lieu <strong>de</strong> tête<strong>de</strong> pont (1).La défense <strong>de</strong> cette position avait son point faibledans <strong>la</strong> partie orientale, dont <strong>la</strong> côte, quoique battuepar les vents habituels <strong>de</strong> l'est, présente, à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>anse <strong>de</strong>s Trois-Rivières, une p<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> sable d'unelieue d'étendue, sur <strong>la</strong>quelle un débarquement estordinairement praticable. On crut y mettre obstacle,par une ligne <strong>de</strong> retranchements, que l'on y cons-(1) Voir à <strong>la</strong> page 185 , du 1 er vol, les travaux faits, àcette époque, au fort Richepanse, et leur défectuosité.


(156)truisit à grands frais. Mais le succès <strong>de</strong> ces sortes<strong>de</strong> lignes, quoique bien exécutées, n'est pas toujourscertain, tandis que leur entretien est trèsdifficileaux colonies. Ces retranchements tombaientdéjà, faute <strong>de</strong> soins, lorsque, dans <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> 1778,on fit armer, sur les <strong>de</strong>rrières <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> anse,<strong>la</strong> batterie dite <strong>de</strong> Launay ; inattaquable <strong>de</strong> front,elle peut faire beaucoup <strong>de</strong> mal à l'ennemi au momentoù il débouche sur ce point.PREMIÈRE ATTAQUE, EN 1794-Ce fut, en effet, le seul obstacle que les Ang<strong>la</strong>is eurentà vaincre, après avoir débarqué à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> anse,au mois d'avril 1794 ; ce qui servit à démontrer que<strong>la</strong> position, choisie par M. <strong>de</strong> Nolivos, réduisait <strong>la</strong> défenseà ce qu'elle était, en 1703 , <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> rivière<strong>de</strong>s Galions. Mais comme, <strong>de</strong>puis, les défrichementsavaient été poussés à une <strong>de</strong>mi-lieue au-<strong>de</strong>ssus dupassage du grand camp , et qu'un troisième passageavait été ouvert, <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière à ces défrichements, ilétait nécessaire d'occuper le p<strong>la</strong>teau du Palmiste,également découvert, parce que, sur le haut <strong>de</strong> cep<strong>la</strong>teau, il existait une communication avec les hauteursdu quartier <strong>de</strong>s Trois-Rivières, aussi défrichées.La défense du poste <strong>de</strong> Dolé, appuyé auxmontagnes du Houelmont, étant insuffisante pours'opposer au débouché <strong>de</strong>s Trois-Rivières, sur <strong>la</strong>


(157)Basse-Terre, il fal<strong>la</strong>it également s'étendre sur <strong>la</strong>gauche <strong>de</strong> ce poste jusqu'au chemin <strong>de</strong>s hauteurs ,ou renoncer à Dolé, et couronner le Palmiste, jusqu'auxmontagnes du Houelmont.Mais alors on ne put pas juger <strong>de</strong> l'efficacité <strong>de</strong>ce système, puisque, en raison <strong>de</strong>s circonstances et<strong>de</strong> l'esprit du temps, les Ang<strong>la</strong>is s'emparèrent <strong>de</strong><strong>la</strong> colonie, sans coup férir, et que, 40 jours après, ilssuivirent un autre p<strong>la</strong>n contre Victor Hugues.DEUXIÈME ATTAQUE EN 1794.Le parti qu'ils adoptèrent, <strong>de</strong> porter une partie<strong>de</strong> leurs forces sur <strong>la</strong> rivière du Coin, au camp <strong>de</strong>Saint-Jean et à celui <strong>de</strong> Berville, fut loin d'être couronnépar le succès. La partie <strong>de</strong> leurs troupes, quise confina dans le fort Saint-Charles, ne tarda pas àse rembarquer, et il n'y eut aucune liaison dans lesmoyens <strong>de</strong> résistance (1).Victor Hugues, après sa bril<strong>la</strong>nte conquête, nevoulut pas permettre aux Ang<strong>la</strong>is d'approcher impunément<strong>de</strong>s côtes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Il les fittoutes hérisser <strong>de</strong> batteries, ayant, sous les armes,une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> couleur, et(1) Voir ces détails, dans l'Histoire politique du 3 evol., année 1794.


(158)ce service fut tellement organisé, qu'à aucune autreépoque, <strong>la</strong> colonie n'a été si bien préservée <strong>de</strong> touteinsulte.ATTAQUE DE 1802.L'attaque <strong>la</strong> plus complète, et <strong>la</strong> mieux combinée,fut celle du général Richepanse, en 1802. Ce généralhabile et plein d'activité, arrivant à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> troupesqui avaient concouru à vaincre l'Europe, eut affaireà <strong>de</strong>s nègres nombreux, enrégimentés, disciplinéset aguerris <strong>de</strong>puis long-temps par leurs expéditionscontre les îles ang<strong>la</strong>ises. Animés d'un fanatisme réel,ils pouvaient braver le climat, franchir les obstacles<strong>de</strong>s terrains les plus difficiles, et leurs chefssavaient prendre <strong>de</strong> bonnes positions. La défenserépondit à l'attaque ; les rebelles n'osèrent cependantpas sortir <strong>de</strong> leurs lignes et s'avancer au-<strong>de</strong>làdu poste <strong>de</strong> Dolé.Le général, maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, fit avancer,par terre, une partie <strong>de</strong> ses troupes, jusqu'aux troisrivières, ce qui équiva<strong>la</strong>it à un débarquement à <strong>la</strong>Gran<strong>de</strong>-Anse. Il prit terre, avec l'autre partie, à<strong>la</strong> rivière Duplessis; culbuta l'ennemi, tourna sesretranchements sur <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Pères, et investit lefort du côté <strong>de</strong> <strong>la</strong> rive droite <strong>de</strong>s Galions.La colonne <strong>de</strong>s trois rivières, ne pouvant forcer<strong>de</strong> front le poste <strong>de</strong> Dolé, le tourna, par les hauteurs ;fit replier l'ennemi sur le Palmiste, d'où elle le cul-


(159)buta, et les rebelles perdirent toutes leurs positionsentre <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Pères et celle <strong>de</strong>s Galions.Le morne Houel ayant été emporté, une portion<strong>de</strong>s négresse trouva reléguée <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>sPères, dans l'étroite enceinte du Matouba, qui n'ad'autres abord que par le pont <strong>de</strong> Nozières, sur <strong>la</strong>rivière Noire (1) : tandis que l'autre portion occupaitle fort et les hauteurs du Houelmont. On attaquaces <strong>de</strong>rniers par le Palmiste; on battit en brêche lefort ; et <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> l'assaut fit déban<strong>de</strong>r ses défenseurs,le treizième jour <strong>de</strong> l'attaque. Ils regagnèrentle pied du Palmiste par <strong>la</strong> rive gauche <strong>de</strong>s Galions.Une partie al<strong>la</strong> renforcer ceux du Matouba, dont ellerompit le pont; l'autre pénétra dans <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre,où elle fut taillée en pièces, dans <strong>la</strong> redoute Baimbridge, non loin <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière salée.Le général, ayant alors toutes ses troupes disponibles,fit tourner <strong>la</strong> position du Matouba, par leshauteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière Noire, et les rebelles, réduitsau désespoir, se firent sauter sur l'habitation d'Anglemont.Ainsi s'évanouit <strong>la</strong> renommée <strong>de</strong> ce réduitdu Matouba, qui avait toujours passé pour inac-(1) Voir <strong>la</strong> <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> ce quartier, tome 1 er , page191 ; et les détails <strong>de</strong> cette expédition , dans l'Histoirepolitique, année 1802 , tome


(160)cessible sur ses <strong>de</strong>rrières, et qu'on croyait inexpugnable(1).ATTAQUE DE 181O.Ce fut néanmoins aux avantages <strong>de</strong> cette positionque les Français parurent se confier, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> janvier1810. Us avaient rompu les passages <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivièreSaint-Louis, s'exposant ainsi à priver <strong>de</strong> retraite lestroupes qu'ils pouvaient engager vers <strong>la</strong> rivière Duplessis.Us occupaient, en outre, les hauteurs, entre<strong>la</strong> rivière Noire et le Palmiste, par <strong>de</strong>s redoutes auHouel-Morue et au Gommier, et par un retranchementà<strong>la</strong>tête du Palmiste, moyens qui n'avaient <strong>de</strong>force que contre une attaque <strong>de</strong> front ; <strong>la</strong> défensen'embrasse que le point où les troupes sont postées.Tout faisait cependant espérer que <strong>la</strong> colonie,généralement animée d'un esprit national, commandéepar un ancien guerrier, abondamment pourvue<strong>de</strong> moyens que, dès 1808, on employait pour <strong>la</strong>mettre dans un état <strong>de</strong> défense respectable, rendraitvaines tontes les tentatives <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is.(1) Mémoire manuscrit du général Ambert, remis,en 1808, au ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, et que ce généra<strong>la</strong> bien voulu nous communiquer.


(161)Mais le transfuge, qui les avait introduits à <strong>la</strong>Martinique, établit un comité secret à Saint-Pierre,et pratiqua <strong>de</strong>s intelligences avec certains personnages<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, pour app<strong>la</strong>nir les obstaclesà l'ennemi et lui en assurer <strong>la</strong> conquête. Alors uneexpédition ang<strong>la</strong>ise al<strong>la</strong> mouiller au Gozier, le 27janvier, et somma <strong>la</strong> Pointe-à-Pître <strong>de</strong> se rendre.Cette ville était étrangère aux manœuvres <strong>de</strong> trahisonqu'on avait ourdies ; le commandant <strong>de</strong> <strong>la</strong> gar<strong>de</strong>nationale réunit, à <strong>la</strong> hâte, sept à huit cents hommes,marcha à l'ennemi et lui en imposa par son audace(1),Les Ang<strong>la</strong>is , changeant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n, se dirigèrent contre<strong>la</strong>Basse-Terre, et se présentèrent, loin du théâtre<strong>de</strong> <strong>la</strong> défense, à Sainte-Marie, où un p<strong>la</strong>nteur lesaccueillit, facilita leur débarquement et guida leurmarche. A leur approche, lente et circonspecte,toute <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> défense <strong>de</strong>s Trois-Rivières futabandonnée.Le second débarquement, s'opéra, <strong>de</strong>ux jours aprèsle premier, entre le bourg <strong>de</strong>s Habitants et <strong>la</strong> rivière(1) Cette conduite énergique <strong>de</strong>s habitans <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointeà-Pître, explique les vexations et les proscriptions dontils furent, plus particulièrement, accablés , après <strong>la</strong> conquête.(Voir dans le 3 e vol., l'histoire politique <strong>de</strong> cetteépoque.II. 11


(162)Duplessis. Ici encore on se retira <strong>de</strong>vant l'ennemi.Les troupes, étonnées <strong>de</strong> cette hésitation, éprouvèrentun échec sur les hauteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre ,où elles furent mal engagées. Le 4 février au matin,l'ennemi pénétra au milieu du quartier-général, dansl'étroite enceinte du Matouba, et <strong>la</strong> colonie futrendue.ATTAQUE DE 1815.Les circonstances n'étaient plus les mêmes, enl815; les passions déchaînées avaient tout changé à<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où <strong>de</strong>s gazettes , <strong>de</strong> <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong> et <strong>de</strong><strong>la</strong> Martinique, avaient déjà annoncé les résultats <strong>de</strong><strong>la</strong> bataille <strong>de</strong> Waterloo. Il ne fal<strong>la</strong>it que donner letemps à <strong>la</strong> colonie <strong>de</strong> se reconnaître, pour qu'elle seralliât au gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole ; mais cettesage attente ne satisfaisait nil'ambition <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is,ni <strong>la</strong> vengeance <strong>de</strong> leurs partisans. Des prétextesatroces et perfi<strong>de</strong>s furent donc inventés pour enjustifier l'attaque , parce qu'on savait que <strong>la</strong> positioncritique, où l'île se trouvait, <strong>la</strong> mettait dans l'impossibilité<strong>de</strong> se défendre. Peu <strong>de</strong> mois s'étaient écoulés,et toujours dans le tumulte, <strong>de</strong>puis que les Françaisen avaient repris possession. Les Ang<strong>la</strong>is n'avaientremis <strong>la</strong> colonie qu'après les spoliations et les dégradations,les plus déplorables, <strong>de</strong> tous les objets mili-


(163)taires, Frustrée <strong>de</strong>s secours <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, elle manquait<strong>de</strong> tout, n'avait que <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ttes. Les divisionset les troubles que les Ang<strong>la</strong>is y avaient fomentés, lesrassemblements formés, en leur faveur, sur plusieurspoints <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne, et le désordre, inséparable<strong>de</strong>s circonstances aussi extraordinaires que cellesoù l'on se trouvait, ne permettaient pas <strong>de</strong> défendre<strong>la</strong> colonie, sans l'exposer à un bouleversementtotal.Elle passa, sans résistance, entre les mains <strong>de</strong>huit mille Ang<strong>la</strong>is , débarqués à Saint-Sauveur, à <strong>la</strong>Gran<strong>de</strong>-Anse et au Baillif, et que beaucoup <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nteursavaient secondés <strong>de</strong> tous leurs moyens (1).Il n'y a pas d'exemple qu'une colonie, défenduepar sa popu<strong>la</strong>tion, quand elle est enf<strong>la</strong>mmée du mêmezèle et du même esprit, ait succombé ; mais peut-oncompter aujourd'hui sur cette union ?Ce que nous venons <strong>de</strong> voir tend à démontrerque <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe n'a qu'un seul point susceptible<strong>de</strong> défense, et que les p<strong>la</strong>ns qu'on a suivis jusqu'iciont tous été défectueux. Celui qui parait l'être lemoins, est le projet que les officiers du génie donnèrenten 1806. Il a sans doute l'inconvénient <strong>de</strong>sautres; il ne couvre pas toute <strong>la</strong> colonie, mais il( 1 ) Voir ces détails dans l'histoire politique, année 1815.11


(164)met à profit l'avantage du terrain. Ce projet consisteà occuper les hauteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, mais seulementcomme première ligne, pour se retirer, encas d'infériorité, sur <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Galions, le fort servant <strong>de</strong> tête <strong>de</strong> pont ; à défendreles gorges du Houelmont, et à conserver, en <strong>de</strong>rnierlieu, pour cita<strong>de</strong>lle, le morne isolé du Houelmont.Dans le cas d'attaque du côté du Vent, les ingénieurstenaient à conserver le poste <strong>de</strong> Dolé et le chemin<strong>de</strong>s hauteurs, ainsi que le Palmiste, pour se retirerégalement sur le Houelmont.Ce système réunit aussi l'avantage <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>la</strong>communication avec <strong>la</strong> mer, qu'il est toujours siimportant <strong>de</strong> ne pas perdre


HISTOIREPOLITIQUEDESANTILLESFRANÇAISES,PARTICULIÈREMENTDE LA GUADELOUPE,DEPUIS LEUR DÉCOUVERTE JUSQU'A LA RÉVOLUTION.


(167)LIVRECINQUIEME,Établissements <strong>de</strong>s Européens auxAntilles.CHAPITREI erDécouvertes <strong>de</strong> Colomb dans le Cours <strong>de</strong> ses quatre expéditions.—Sa mort. — Découvertes <strong>de</strong>s Français. - LesFrançais sous Desnambuc et les Ang<strong>la</strong>is sous Warner, s'établissentà Saint-Christophe. — Notice sur cette colonie.L'ESPAGNE commençait, à peine , à prendre part 1506,au commerce du mon<strong>de</strong>, lorsque le Génois ChristopheColomb, rebuté par plusieurs souverains,auxquels il avait présenté son projet pour <strong>la</strong> découverte<strong>de</strong>s pays qu'il croyait exister dans l'ouest <strong>de</strong><strong>la</strong> mer At<strong>la</strong>ntique, fut enfin accueilli par Ferdinan<strong>de</strong>t Isabelle, qui régnaient sur <strong>la</strong> Castille et les Espagnes.Parti du port <strong>de</strong> Palos, en Andalousie, avec


(168)1492. les trois bâtiments que lui confièrent ces souverains,il découvrit, le II octobre 1492, l'île <strong>de</strong> Guanahani,une <strong>de</strong>s Lucayes.Il passa à Cuba, et, le 6 décembre, il prit connaissance<strong>de</strong> l'île d'Haïti, qu'il nomma Hispanio<strong>la</strong>, petiteEspagne, et qu'on appe<strong>la</strong>, plus tard, Saint-Domingue.Il ne trouva partout que <strong>de</strong>s insu<strong>la</strong>irespacifiques, qui lui prodiguaient leur or et leurs richesses,pour <strong>de</strong>s colliers <strong>de</strong> verre, <strong>de</strong>s clochettes, ou<strong>de</strong> semb<strong>la</strong>bles colifichets. Après une absence <strong>de</strong> septmois et <strong>de</strong>mi, il rentra en Espagne, où ses découvertesfurent publiées avec le plus grand enthousiasme.Ferdinand et Isabelle, pénétrés <strong>de</strong> leur importance,voulurent s'en assurer <strong>la</strong> possession exclusive, et s'adressèrent au pape, Alexandre VI , quiconsentit à leur en conférer <strong>la</strong> propriété, en sa qualité<strong>de</strong> souverain seigneur. Sous prétexte d'arracherà l'idolâtrie les peuples indigènes du Nouveau-Mon<strong>de</strong>, le pontife, par sa bulle <strong>de</strong> 1493, établit,comme ligne <strong>de</strong> démarcation , en faveur <strong>de</strong>s Espagnols, un méridien, à cent milles à l'ouest <strong>de</strong>s Açores; et ceux-ci se crurent autorisés à traiter en forbanstous les bâtiments qu'ils rencontraient au-<strong>de</strong>là<strong>de</strong> cette ligne.1493. Colomb repartit, le 25 septembre, <strong>de</strong> Cadix, avecune secon<strong>de</strong> expédition, forte <strong>de</strong> 17 bâtiments. etdécouvrit, en novembre 1493, <strong>la</strong> Désira<strong>de</strong>, <strong>la</strong> Dominique,Marie-Ga<strong>la</strong>nte, <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, Mont-


(169)serrat, Antigues , Saint-Christophe , et toutes les 1493.îles jusqu'à Saint-Domingue, où il arriva le 22 novembre.Les naturels, soulevés par les atroces vexations<strong>de</strong>s Espagnols, qu'il y avait <strong>la</strong>issés, avaientdétruit leurs premiers établissements ; il en fit <strong>de</strong>nouveaux, que les mines d'or <strong>de</strong> <strong>la</strong> montagneCibao <strong>de</strong>vaient rendre bientôtflorissants.Etant venu, le 10 avril 1496, pour visiter encore 1496,une fois <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, il fut obligé <strong>de</strong> dissiper, àcoups <strong>de</strong> canon, les Caraïbes <strong>de</strong> cette île, qui attaquèrentses chaloupes. Après y avoir séjourné dixjours, il mit à <strong>la</strong> voile, le 2oavril, pour retourner enEspagne, emmenant avec lui un cacique <strong>de</strong> Saint-Domingue et <strong>de</strong>ux femmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, quiconsentirent à le suivre.Dans un troisième voyage, entrepris en 1498, 1498.Colomb découvrit l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité, <strong>la</strong> partie ducontinent américain qui y correspond, l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong>Marguerite, et se rendit à Hispanio<strong>la</strong>, où il fonda<strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Santo-Domingo. Accusé en Espagne, ily fut renvoyé chargé <strong>de</strong> fers ; et, quoiqu'il ne parvintà obtenir qu'une faible justice , il fit une quatrièmeexpédition, en 1502, dans <strong>la</strong>quelle il décou- 1502.vrit <strong>la</strong> Martinique et l'isthme <strong>de</strong> Panama, qui jointles <strong>de</strong>ux continents. Ayant fait naufrage à <strong>la</strong> Jamaïque, il retourna à Santo-Domingo et repassaen Espagne, où il mourut le 20 mai 1506, âgé <strong>de</strong> 1506.64 ans. Le Florentin Americ-Vespucci explora les<strong>de</strong>


( 1 7 0 )découvertes <strong>de</strong> Colomb, en publia les premièrescartes, et lui déroba <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> donner son nomà celte quatrième partie du mon<strong>de</strong>.Les Portugais, ne se croyant pas obligés <strong>de</strong> déférerà <strong>la</strong> bulle d'Alexandre VI, s'étaient mis sur lestraces <strong>de</strong>s Espagnols, et, après avoir découvert lescôtes du Brésil, en 1501, les avaient occupées. Ilscherchèrent, aussi, à faire consacrer leurs prétentionspar l'autorité <strong>de</strong>s papes, et Jules II les fit participerau privilège <strong>de</strong> <strong>la</strong> première bulle. Par celle qu'ilrendit, en 1506, le méridien fut reculé à 375 milles,dans <strong>la</strong> même direction.Ces <strong>de</strong>ux peuples, dominant, sans rivaux, au-<strong>de</strong>là<strong>de</strong> l'océan, se confirmaient, <strong>de</strong> plus en plus, dansl'idée que leur droit était exclusif sur les terres etles mers nouvellement découvertes, quoiqu'ils nepussent en occuper qu'une petite partie.1508. Quelques Français, non moins persuadés que lebref <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux papes ne <strong>de</strong>vait pas leur fermer l'entréedu Nouveau-Mon<strong>de</strong>, firent <strong>de</strong> petits arméments,dans lesquels le gouvernement n'entra pour rien,et, se dirigeant vers <strong>la</strong> partie septentrionale , découvrirent,en 1508, le fleuve Saint-Laurent, le Canadaet l'Acadie ou Nouvelle-France. Mais <strong>la</strong> nation,'alors occupée <strong>de</strong> ses invasions en Italie, et,bientôt après, livrée aux fureurs <strong>de</strong>s guerres civileset religieuses, fut hors d'état <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> <strong>la</strong> suiteà ces expéditions, qui n'eurent d'abord aucun succès.


(171)L'amiral Coligny, plein <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s idées , ima- 1557.gina <strong>de</strong> propager sa secte par le système <strong>de</strong> colonisation, et envoya au Brésil, en 1557, sous Henri II,une expédition , à <strong>la</strong>quelle Calvin s'intéressa. L'apôtre<strong>de</strong> Genève ayant fourni plus <strong>de</strong> prédicans que<strong>de</strong> cultivateurs, ils excitèrent une sédition qui divisa<strong>la</strong> colonie ; les Portugais <strong>la</strong> détruisirent, et leBrésil fut perdu pour <strong>la</strong> France, toujours trop faibleou trop malheureuse pour faire valoir ses prétentionssur cette contrée.Sous Charles IX, l'amiral Coligny envoya une 1564.secon<strong>de</strong> colonie huguenote dans <strong>la</strong> Flori<strong>de</strong>, où unarmateur français était abordé dans le même tempsque les Espagnols; mais ceux-ci, s'attribuant leprivilège <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte , ruinèrentl'établissement,pendirent, aux arbres, tous les individus quis'y trouvaient, et leur attachèrent un grand écriteausur le dos, portant ces mots : Pendus, non commeFrançais, mais comme hérétiques. En vain unchevalier gascon, <strong>de</strong> Gouxgues, voulut tenter <strong>de</strong> 1566.reprendre <strong>la</strong> Flori<strong>de</strong>, il ne put s'emparer que dupetit fort Charles, dont il fit mourir tous les Espagnols, avec l'écriteau : Pendus, non commeEspagnols,mais comme assassins;transportant ainsi <strong>la</strong>peine du talion dans <strong>la</strong> loi <strong>de</strong>s nations, et en formantun <strong>de</strong>s articles du droit <strong>de</strong>s gens. La France,toujours impuissante, renonça à <strong>la</strong> Flori<strong>de</strong> comme,cinquante ans auparavant, elle avait renoncé au


(172)1566. Brésil. Il lui fal<strong>la</strong>it un monarque digne <strong>de</strong> <strong>la</strong> comman<strong>de</strong>r,pour l'arracher à l'affreuse anarchie qui <strong>la</strong>déso<strong>la</strong>it, et <strong>la</strong> mettre en état <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>-1589. trice <strong>de</strong>s intérêts politiques <strong>de</strong> l'Europe. Henri IVparut, et, sous son sceptre protecteur, le commerceprit son essor. Il avait besoin d'une forteresse, pourprotéger l'exploitation <strong>de</strong> ses premiers établissements1608. dans le Nouveau-Mon<strong>de</strong> ; Québec fut aussitôtfondé. Mais <strong>la</strong> France ne fit qu'entrevoir l'aurore <strong>de</strong>son bril<strong>la</strong>nt avenir ; le détestable fanatisme qui tran-1610 cha les jours du prince, qu'à juste titre, on peut appelerle meilleur <strong>de</strong>s rois, <strong>la</strong> replongea dans l'horreur<strong>de</strong>s divisions intestines et <strong>de</strong>s luttes <strong>de</strong>s factions.De tout le bien fait à son royaume, et <strong>de</strong>celui plus grand que lui préparait sa sagesse, il neresta, bientôt après sa mort, que le souvenir <strong>de</strong> sesvertus, et l'obligation morale, imposée aux princes<strong>de</strong> sa race, <strong>de</strong> suivre et d'imiter son exemple.Un ministre <strong>de</strong>spote, mais habile, le cardinal <strong>de</strong>Richelieu, prit enfin les rênes du gouvernement,et, <strong>de</strong> cette époque, datent les premières expéditions<strong>de</strong>s Français dans les Antilles.Quarante marins, poussés par l'espoir <strong>de</strong> faire fortune,et commandés par le capitaine Desnambuc,(qu'on peut considérer comme le fondateur <strong>de</strong> nos colonies)partirent <strong>de</strong> Dieppe, sur un brigantin armé <strong>de</strong>4 canons et <strong>de</strong> quelques pierriers. Attaqués parun galion espagnol, près <strong>de</strong>s îles Cayman,entre


(173)Cuba et <strong>la</strong> Jamaïque, ils perdirent vingt hommes 1625.dans le combat; les autres gagnèrent l'île <strong>de</strong> Saint-Christophe , où ils s'adjoignirent plusieurs Françaisqui s'y étaient réfugiés, à diverses époques, et vivaienten bonne intelligence avec les sauvages (1).Un capitaine ang<strong>la</strong>is, Warner, aborda à. Saint-Christophe, en même temps que Desnambuc. L'Ang<strong>la</strong>isprétendit que c'était son second voyage ; qu'enjanvier 1623 il y était déjà venu, mais qu'un ouraganl'avait réduit à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> retourner enAngleterre. Quoiqu'il en soit, ces <strong>de</strong>ux chefs , étantbien aises <strong>de</strong> réunir leurs forces pour s'établir dansl'île, se <strong>la</strong> partagèrent, et vécurent, d'abord, en assezbonne intelligence avec les Caraïbes. Mais ceux-ci,sur les représentations <strong>de</strong> leurs ombrageux boyezou mé<strong>de</strong>cins, formèrent le projet <strong>de</strong> se débarrasser(1) L'île <strong>de</strong> Saint-Christophe, que Colomb honora <strong>de</strong>son nom, gît par les 17° 15' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, nord, et par les 64°55' <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>. Elle fut définitivement cédée aux Ang<strong>la</strong>is,par le traité d'Utrecht,en 1713. La popu<strong>la</strong>tion est <strong>de</strong> 2,000b<strong>la</strong>ncs , 1,000 gens <strong>de</strong> couleur libres et 26,000 esc<strong>la</strong>ves.Elle a 25 lieues <strong>de</strong> circuit, possè<strong>de</strong> une belle saline, etjouit d'une aisance, que lui ont procurée <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> <strong>la</strong>canne et celle du coton. En 1816 et 1817, elle fut le ren<strong>de</strong>z-vousd'une foule d'aventuriers qui accouraient au secours<strong>de</strong>s colonies espagnoles armées pour leur indépendance.(L'Europe et ses Colonies, tome 2 e page 200.)


(174)1625. <strong>de</strong> leurs hôtes, et députèrent à tous leurs alliés,dont <strong>la</strong> réunion fut fixée à <strong>la</strong> prochaine pleine-lune.Une femme indienne, qui avait une intrigue avecun Français, <strong>de</strong>s premiers arrivés, lui révé<strong>la</strong> ce complot,et, dans une même nuit, les Indiens, au nombre<strong>de</strong> 120, furent surpris et massacrés dans leurshamacs. Les Français et les Ang<strong>la</strong>is s'empressèrent<strong>de</strong> se retrancher ; à <strong>la</strong> pleine-lune lorsque l'expéditioncaraïbe , arriva dans une cinquantaine <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>s pirogues, ils en tuèrent un nombre considérable, et mirent les autres en fuite (1).Après un séjour <strong>de</strong> huit mois, les <strong>de</strong>ux chefs,ayant <strong>la</strong>issé les hommes nécessaires à <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> dufort qu'ils avaient construit, chacun sur leur terrain, partirent pour aller réc<strong>la</strong>mer les secours <strong>de</strong>leur patrie.(1) Histoire générale <strong>de</strong>s Antilles, par le père Dutertre,publiée en 1667 , à Paris , 3 vol. in 4°.


(175)CHAPITREII.Création <strong>de</strong> <strong>la</strong> première compagnie française. — Partagedo Saint-Christophe entre les Français et les Ang<strong>la</strong>is.— Ces <strong>de</strong>rniers dépouillent les Français Ils sont battuset réduits au premier partage Ils lâchent le pied<strong>de</strong>vant les Espagnols Desnambuc les force <strong>de</strong> nouveauà se conformer aux premières conventionsÉtablissement à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. — Extrémités où cettecolonie est réduite. — Notice sur les îles <strong>de</strong> Nièves, <strong>de</strong><strong>la</strong> Barbou<strong>de</strong>, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Saint-Eustache, <strong>de</strong>Saba et d'Antigues.LE cardinal <strong>de</strong> Richelieu autorisa Desnambuc et 1626.du Rossey , son compagnon, à créer une compagnie,avec un privilège <strong>de</strong> commerce pour vingt ans;à étendre leurs établissements autant qu'ils le pourraient,sous <strong>la</strong> re<strong>de</strong>vance, envers le gouvernement,du dixième <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées provenant <strong>de</strong>s coloniesqu'ils parviendraient à fon<strong>de</strong>r; et à se faire payer undroit <strong>de</strong> 100 livres <strong>de</strong> tabac ou 5o livres <strong>de</strong> coton,par chaque habitant, <strong>de</strong>puis 10 jusqu'à 60 ans.Ainsi les îles françaises furent assujetties, dès le


(176)1626. principe, aux privilèges exclusifs <strong>de</strong>s compagnies,dont le système stationnaire ne pouvait que lesmaintenir dans un état <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngueur. Une longue expériencepouvait seule démontrer quels sont les vraisrapports qui doivent exister, entre une colonie etsa métropole. Mais, trompés par l'exemple <strong>de</strong>s Espagnols,qui ne pouvaient, sans inconvénient, <strong>la</strong>isserparticiper les étrangers à l'exploitation <strong>de</strong> leursmines , les Français considérèrent leurs îles commeune propriété privée, <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle, tout étranger<strong>de</strong>vait être exclus. Cette grave erreur fut cause queleurs établissements coloniaux prirent une tendanceque, pour le malheur <strong>de</strong>s colonies , bien plus quepour celui <strong>de</strong>s Métropoles, il n'a plus été possible<strong>de</strong> changer.1627 Desnambuc et du Rossey partirent <strong>de</strong> France , le24 février, avec 532 hommes ramassés <strong>de</strong> touscôtés , et peu propres à <strong>la</strong> fatigue ; ces hommesfurent embarqués sur trois bâtiments si mai approvisionnés, qu'ils n'arrivèrent, à Saint-Cristophe ,que le 8 mai, après en avoir perdu une gran<strong>de</strong> partiedans <strong>la</strong> traversée, faute <strong>de</strong> vivres, et par les ma<strong>la</strong>diesqui en furent <strong>la</strong> suite.Les Ang<strong>la</strong>is, au contraire, avaient reçu un secours<strong>de</strong> 400 hommes, pleins <strong>de</strong> santé et bien pourvus.Les <strong>de</strong>ux chefs procédèrent alors au partage légal<strong>de</strong>s terres, au nom <strong>de</strong> leurs souverains respectifs. Ilsfirent <strong>de</strong>s règlements, se promirent une assistance


(177)mutuelle, exploitèrent leurs terres et établirent un 1627.commerce <strong>de</strong> tabac avec les Hol<strong>la</strong>ndais, quileurportaient en échange, <strong>de</strong>s vivres et <strong>de</strong>s marchandises, à un prix modéré.La colonie ang<strong>la</strong>ise prospérait à vue d'œil; elle 1628.formait un nouvel établissement dans l'île <strong>de</strong> Nièves(1), un autre à <strong>la</strong> Barbou<strong>de</strong>, et à <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong> (2),(1) L'île dp Nièves, ou Névis, est par les 17° 5' 12" <strong>de</strong><strong>la</strong>titu<strong>de</strong> nord, et par les 64° 53' 06" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>, à unelieue N.-O. dp Saint-Christophe. Elle s'élève, du milieu<strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, comme une montagne dont <strong>la</strong> base n'a pas plus,<strong>de</strong> huit lieues détour. Le cratère éteint, que renferme sonsommet, ses sources d'eau chau<strong>de</strong>, imprégnées <strong>de</strong> souffre,toute sa surface et l'aspect <strong>de</strong> l'île, prouvent qu'elle a étéproduite par l'explosion d'un volcan. Elle était sans douteencore couverte <strong>de</strong> fumée, lorsque Colomb <strong>la</strong> découvrit, etil <strong>la</strong> nomma Nièves ou Nuée. On y compte 1,000 b<strong>la</strong>ncset 10,000 noirs. Elle est fertile , bien arrosée et produitdu sucre, du coton , du tabac, etc.(2) La Barbou<strong>de</strong>, à peu <strong>de</strong> distance <strong>de</strong> Saint-Christophe, est par Jes 17° 50' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, nord, et par les 64° 10'<strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>. Cette île, <strong>de</strong> peu d'importance,n'a que 1,500à 2,000 habitants, et produit <strong>de</strong> l'indigo, du tabac, <strong>de</strong>sfruits et <strong>de</strong>s bestiaux.Il ne faut pas <strong>la</strong> confondre avec <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>, qui est parles 13° 5' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> nord, et par íes 62° 0' 15" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>.Les Ang<strong>la</strong>is préten<strong>de</strong>nt avoir occupé <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>II. 12


(178)1628. tandis que celle <strong>de</strong>s Français végétait tristement,quoique du Rossey eût été chercher un autre renfort<strong>de</strong> 150 engagés; ceux-ci, comme lespremiers, périrentpresque tous dans le voyage ou à leur arrivée, ettoujours faute <strong>de</strong> soins et <strong>de</strong> prévoyance. Desnambuc, forcé <strong>de</strong> repasser en France pour y solliciter, lui-même, <strong>de</strong> nouveaux secours, fut trèsbienaccueilli par Richelieu. Le ministre mit à profitses observations, répara les désordres administratifs<strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, et le renvoya, avec 3oo engagés,sur l'escadre <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Cussac , qu'il expédiaitcontre l'armement espagnol <strong>de</strong>stiné à détruire <strong>la</strong>colonie <strong>de</strong> Saint-Cristophe, en al<strong>la</strong>nt attaquer lesétablissements hol<strong>la</strong>ndais dans le Brésil.1629. Pendant ce temps les Ang<strong>la</strong>is avaient profité <strong>de</strong>leur nombre, pour dépouiller les Français ; mais àen 1623, mais ¡1 paraît que ce ne fut qu'en 1626. Elle al'avantage d'être au vent <strong>de</strong> toutes les Antilles. BryanEdwards lui donne une popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> 17,000 b<strong>la</strong>ncs et63,000 esc<strong>la</strong>ves, (en 1800).Catineau Laroche dit, qu'avec une superficie <strong>de</strong> 20à 21 lieues carrées, elle avait, en 1821 , 35,000 b<strong>la</strong>ncsdomiciliés, 2,000 soldats b<strong>la</strong>ncs, 2,000 soldats noirs,4,000 marins, en tout 41,000 b<strong>la</strong>ncs et 75,oooesc<strong>la</strong>ves, ou116,000 individus, au lieu <strong>de</strong> 80,000. (<strong>de</strong> <strong>la</strong> Guyane, en1822 , page 5o.) La Barba<strong>de</strong> produit du sucre, du gingimbre,<strong>de</strong> l'indigo, etc.


(179)l'arrivée <strong>de</strong> l'escadre , à <strong>la</strong> fin d'août 162g, les usur- 1629.pateurs, quoiqu'encore plus nombreux, furent battuset obligés <strong>de</strong> se renfermer dans les limites fixées parle traité <strong>de</strong> partage <strong>de</strong> 1627. M. <strong>de</strong> Cussac, dans l'attente<strong>de</strong> l'expédition espagnole, prit possession <strong>de</strong>Saint-Eustache; y fit bâtir un fort, où il déposa quelqueshommes (1), et, ne voyant pas arriver cetteexpédition, al<strong>la</strong> croiser dans le golfe du Mexique.(1) Ces Français, déposés à Saint-Eustache, furent forcésd'abandonner l'île, par le manque d'eau. Les Hol<strong>la</strong>ndaisse l'approprièrent aussitôt après, et y firent construire<strong>de</strong>s citernes. Cette île, située par les 17° 29' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>nord, et par les 55° 25' <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong> , au N.-O. <strong>de</strong> Saint-Christophe et au S.-E. <strong>de</strong> Saba, n'est proprement qu'unemontagne qui paraît sortir du soin <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer ; elle s'élèveen pain <strong>de</strong> sucre, est creusée presque au niveau <strong>de</strong>s eauxqui l'entourent, et porte les traces évi<strong>de</strong>ntes d'un ancienvolcan. Les bords <strong>de</strong> ce gouffre, qui a <strong>la</strong> forme d'un cônerenversé, sont formés <strong>de</strong> rochers calcinés par le feu. Ony voit un fort qui rend cette île peut-être <strong>la</strong> plus inattaquable<strong>de</strong>s Antilles par son assiette; sa ra<strong>de</strong> est mauvaise.L'île <strong>de</strong> Saba a quatre lieues <strong>de</strong> tour ; elle est agréableet fertile, surtout en jardinage et en coton, que les habitantsfilent pour en faire <strong>de</strong>s bas qu'ils débitent dans les îlesvoisines. Les femmes y conservent une fraîcheur qu'on neretrouve dans aucune autre <strong>de</strong>s Antilles. Elle n'a point<strong>de</strong> port; <strong>la</strong> mer y est peu profon<strong>de</strong>, et ne permet qu'aux12


1630.(180)Saint-Cristophe. commençait à respirer, lorsqueFrédéric <strong>de</strong> Tole<strong>de</strong>, commandant une flotte espagnole<strong>de</strong> 24 vaisseaux et 15. frégates, vint l'attaquer.Les ang<strong>la</strong>is, saisis <strong>de</strong> terreur, lâchèrent pied, se;sauvèrent dans les montagnes, et les Français,après une action dans <strong>la</strong>quelle un neveu <strong>de</strong>Desnambucfut tué, allèrent se réfugier, <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong>partie à Antigue (1) avec Desnambuc, d'autres àSaint-Domingue avec quelques Ang<strong>la</strong>is ; du Rosseys'enfuiten France, où plus tard, il fut arrêté etmourut à <strong>la</strong> Bastille.Les Ang<strong>la</strong>is, qui s étaient retires dans les montannes,vinrent ensuite traiter avec les Espagnols,chaloupes d'en approcher. Latitu<strong>de</strong> 17° 39'50", longitu<strong>de</strong>65° 4 1 ' 4 " . L'île <strong>de</strong> Saba , l'îlot <strong>de</strong> Saint-Eustache, une,partie <strong>de</strong> l'île <strong>de</strong> Saint-Martin et <strong>la</strong> stérile Curacao, sont,tout ce que les Hol<strong>la</strong>ndais possè<strong>de</strong>nt aUX Antilles.(1) Antigue ou Antigoa , abandonnée par les Français,fut occupée par les Ang<strong>la</strong>is , en 1632. Ils y ont établi unchantier considérable <strong>de</strong> radoub, dont <strong>la</strong> nature avait,pour ainsi dire , fait tous les. frais ; c'est leur point militaireaux îles du vent. Antigue est située à huit lieuesnord <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par les 17° 4' 30" <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et64° 15' <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>. Elle a un b,on port, près <strong>de</strong> 20 lieues<strong>de</strong> circuit, est très-fertile , et a produit, dans les bonnesannées, jusqu'à 20,000 barriques <strong>de</strong> sucre. En 1817, sapopu<strong>la</strong>tion était <strong>de</strong> 41,317 habitants, dont 3,000 b<strong>la</strong>ncs.


(181)et s'obligèrent à abandonner <strong>la</strong> Colonie. Mais loin 1630.d'exécuter ce traité, après le départ <strong>de</strong>s ennemis,ils prétendirent en rester seuls les maîtres, et attaquèrentun vaisseau français qui se présenta. Celuiciles battit, et sur ces entrefaites, Desnambuc, arrivantd'Antigues, avec 400 hommes , les força <strong>de</strong>nouveau à se conformer au traité <strong>de</strong> partage : <strong>la</strong> foibritannique n'a jamais eu d'autre garantie que <strong>la</strong>force.Les Ang<strong>la</strong>is ne cessèrent, plus tard, <strong>de</strong> se préva- 1632.loir <strong>de</strong> leur nombre, qui était déjà <strong>de</strong> 5 à 6,000, pourinquiéter et chercher à dépossé<strong>de</strong>r les Français,réduits à 56o. Mais ce petit noyau ne quitta jamaisles armes , se défendit en désespéré et imprima unetelle terreur à ses rivaux, que ceux-ci disaient : ilvaut mieux avoir à faire â <strong>de</strong>ux diables qu'à unFrançais (1).A cette époque,-où l'on ne se servait que d'engagéseuropéens pour l'exploitation <strong>de</strong>s terres, et où l'onmanquait <strong>de</strong> bras, les Français ayant voulu, àl'exemple <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, retenir leurs engagés pourcinq ans au lieu <strong>de</strong> trois, ainsi que Ce<strong>la</strong> était réglé,il faillit y avoir une révolte générale dans <strong>la</strong> colonie.Desnambuc, que les <strong>de</strong>ux nations regardaient commeleur père commun, et qui, par une douce autorité,(1) Dutertre, 1er vol.


(182)1632. inspirait une sorte <strong>de</strong> vénération pour sa personne,parvint à l'appaiser, et à les contenter tous, en ordonnant: qu'à l'avenir , le temps <strong>de</strong> servitu<strong>de</strong><strong>de</strong>s engagés ne serait jamais que <strong>de</strong> trois ans, aubout <strong>de</strong>squels ils auraient leur liberté, conformémentaux statuts <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie ; et que, si lesmaîtres vou<strong>la</strong>ient s'en servir encore, ils les paieraientcomme <strong>de</strong>s serviteurs libres ; ce qui fut religieusementobservé par <strong>la</strong> suite.1634. D'après les représentations <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, surle commerce du tabac, avec les Hol<strong>la</strong>ndais, le roi défendit,par une déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> 1634, toute espèce <strong>de</strong>trafic avec les étrangers. Néanmoins, les naviresHol<strong>la</strong>ndais y affluaient, avec ceux <strong>de</strong> France, et yintroduisaient beaucoup <strong>de</strong> nouveaux habitans, quelquefoismême <strong>de</strong>s nègres esc<strong>la</strong>ves, qu'ils al<strong>la</strong>ient acheteren Guinée, ou qu'ils prenaient sur les Espagnols, le long <strong>de</strong>s côtes du Brésil.La partie française <strong>de</strong> Saint-Christophe commençaità prospérer, par les soins <strong>de</strong> Desnambuc ; elle<strong>de</strong>vint si peuplée, qu'il résolut <strong>de</strong> s'étendre et <strong>de</strong>former <strong>de</strong> nouveaux établissements dans les îles voisines,particulièrement à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, qu'il trouvait<strong>la</strong> plus à sa convenance. Mais Lolive, son lieutenant, et l'un <strong>de</strong>s plus riches propriétaires <strong>de</strong>Saint-Christophe, ayant fait, sous main, visiter <strong>la</strong>Dominique, <strong>la</strong> Martinique et <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, quepersonne n'avait occupées , <strong>de</strong>puis leur découverte,


(183)partit pour France, sur le rapport avantageux qu'on 1634lui fit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, afin d'aller traiter avec <strong>la</strong>compagnie, au détriment <strong>de</strong> son chef. Arrivé àDieppe, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l'année 1654, il s'associa ungentilhomme nommé Duplessis, qui y préparait unpetit armement pour les Antilles. Ils réglèrent, avec<strong>la</strong> compagnie, que le cardinal venait <strong>de</strong> constituer, le1 2 février, qu'ils comman<strong>de</strong>raient <strong>de</strong> concert, pen- 1635.dant dix ans, dans celles <strong>de</strong>s trois îles , où ils s'établirent,moyennant <strong>la</strong> re<strong>de</strong>vance du dixième <strong>de</strong>sproduits (1).La France venait <strong>de</strong> se liguer avec <strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>contre l'Espagne, lorsque Lolive et Duplessis partirent<strong>de</strong> Dieppe, le 25 mai 1653, à <strong>la</strong> tète <strong>de</strong> 5oo engagés, pour trois ans, et <strong>de</strong> plusieurs familles quipassaient à leurs frais. Le cardinal <strong>de</strong> Richelieu leuravait donné quatre missionnaires <strong>de</strong> Saint-Dominique,munis d'un bref d'Urbain VIII, qui fut <strong>la</strong>première dérogation tacite aux bulles d'Alexandre(1) Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, vol. n° 1. On y voit que<strong>la</strong> constitution <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie est du 12 février 1635;le traité <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie avec Lolive, du 14 février, et<strong>la</strong> commission du gouvernement, pour ce chef, du 27. L'éditconfirmatif, du roi, ne fut rendu qu'au mois <strong>de</strong> mars1642 ; c'est le premier <strong>de</strong> ceux que l'on trouve dans leCo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.


(184)1635. VI et <strong>de</strong> Jules II. Cette expédition, partie sur <strong>de</strong>uxvaisseaux, aborda à <strong>la</strong> Martinique, le 25 juin ; maisl'ayant trouvée trop coupée <strong>de</strong> précipices, <strong>de</strong> ravines, et trop remplie <strong>de</strong> serpents, ils firent voilepour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, dont ils prirent possession, le28 juin. Depuis sa découverte, cette île n'avaitguère été fréquentée que par les Espagnols, qui al<strong>la</strong>ienty faire <strong>de</strong> l'eau et échanger <strong>de</strong>s fruits du paysavec les sauvages (dont ils avaient, dans toutes lescirconstances, éprouvé le courage et <strong>la</strong> férocité)contre quelques objets <strong>de</strong>s manufactures <strong>de</strong> l'Europe(1).(1) Le père Malpeus dit, qu'en 1603 , six dominicainsespagnols, qui voulurent y <strong>de</strong>scendre, en se rendant auxPhilippines, furent tués, à coup <strong>de</strong> flèches, par les Caraïbes;qu'en 1604, six autres religieux, al<strong>la</strong>nt en Chine et au Japon,y furent massacrés; il ne parle pas <strong>de</strong>s marins tués <strong>de</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière.L'ang<strong>la</strong>is Thomas Gage, qui fut d'abord moine, ensuiteapostat, et que le père Labat trite fort mal, re<strong>la</strong>te (dansle tome 1 er <strong>de</strong> son ouvrage, pages 34 à 42, édition <strong>de</strong> 1690)l'attaque que <strong>la</strong> flotte espagnole, à bord <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle ilétait, en al<strong>la</strong>nt au Mexique, eut à soutenir, en 1625, <strong>de</strong> <strong>la</strong>part <strong>de</strong>s Caraïbes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où elle fit <strong>de</strong> l'eau.Ces insu<strong>la</strong>ires lui tuèrent 17 hommes et en blessèrent beaucoupd'autres ; <strong>de</strong>ux jésuites furent au nombre <strong>de</strong>s premierset trois autres furent blessés.


(185)Lolive et Duplessis, après s'être donné beaucoup 1635.<strong>de</strong> peine pour reconnaître l'endroit le plus favorableà l'établissement qu'ils projetaient, se fixèrent malheureusementdans uñe <strong>de</strong>s parties les plus ingrates,à <strong>la</strong> pointe N.-O. <strong>de</strong> l'île, dans le quartier <strong>de</strong> Sainte-Rose. Lolive, avec <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> l'expédition, pritterre, et se hata <strong>de</strong> bâtir un fort, sur <strong>la</strong> rivièredite du Vieux-Fort, qu'il appel<strong>la</strong> le fort Saint-Pierre, parce qu'il en prit possession <strong>la</strong> veille <strong>de</strong><strong>la</strong> fête <strong>de</strong> ce saint. Duplessis s'établit un peu plusà gauche, sur <strong>la</strong> rivière dite du Petit-Fort.Leurs premiers rapports, avec les indigènes, furentpacifiques. Les sauvages, auxquels ils firent quelquesca<strong>de</strong>aux, les aidèrent à bâtir <strong>de</strong>s cases , leurapprirent à creuser <strong>de</strong>s canots et à pêcher. Les secoursqu'ils en reçurent, quoique peu abondants ,furent d'autant plus précieux à <strong>la</strong> colonie qu'ellese vit réduite à <strong>la</strong> misère, dès son arrivée, par lepeu <strong>de</strong> soin qu'on avait apporté au choix et à l'aménagement<strong>de</strong>s vivres , qui tous, se trouvèrent pourrispar l'eau <strong>de</strong> mer. S t -Christophe, où l'on s'adressa, ne put fournir qu'un peu <strong>de</strong> cassave ; avant queles p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong> manioc, <strong>de</strong> patates et <strong>de</strong>s différentesespèces <strong>de</strong> pois, qu'elle envoya, pussent être en rapport,<strong>la</strong> famine <strong>la</strong> plus affreuse se fit ressentir, etavec elle, <strong>la</strong> désunion éc<strong>la</strong>ta. La chair <strong>de</strong> tortue,dont les colons mangèrent sans discrétion, causa unflux <strong>de</strong> sang funeste, et <strong>la</strong> barbarie avec <strong>la</strong>quelle on


(186)1635. traita les engagés, qu'on poussait au travail à grandscoups <strong>de</strong> fouet et <strong>de</strong> rotin, en fit périr beaucoup.Les privations <strong>de</strong>vinrent telles que cette infortunéecolonie se trouva réduite à l'horrible nécessité <strong>de</strong>brouter <strong>de</strong> l'herbe, <strong>de</strong> manger les excréments etmême jusqu'aux cadavres (1).(1) Dutertre, 1 er vol. page 80.


(187)CHAPITRE III.Lolive fait une guerre impru<strong>de</strong>nte aux Caraïbes. — Maux 1qu'elle occasione. — Premier établissement à <strong>la</strong> Martinlque.— Position topographique <strong>de</strong> cette île. — Mort<strong>de</strong> Desnambuc. - Il est remp<strong>la</strong>cé par le comman<strong>de</strong>ur<strong>de</strong> Poincy. — La Gua<strong>de</strong>loupe est menacée par les sauvagesSecours que le commandant général y envoie. \Duplessis , dont le caractère généreux et libéral 1636.avait maintenu l'harmonie entre les colons, et quis'était surtout opposé à <strong>la</strong> guerre contre les Caraïbes, qu'il prévoyait <strong>de</strong>voir entraîner <strong>la</strong> ruine <strong>de</strong><strong>la</strong> colonie, succomba le 4 décembre 1635. L'impru<strong>de</strong>ntLolive ne se vit pas plutôt chef unique, qu'ilne se contenta plus <strong>de</strong> ce que les sauvages vou<strong>la</strong>ientbien lui fournir, il leur fit <strong>la</strong> guerre pour les dépouiller,et le 26 janvier 1656, il en massacra ungrand nombre. Les Caraïbes, hors d'état <strong>de</strong> lui résister,se retirèrent à <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Terre; mais, jusqu'à<strong>la</strong> paix <strong>de</strong> 1640 , ils ne cessèrent <strong>de</strong> rentrer à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, où ils se cachaient dans l'épaisseur<strong>de</strong>s bois, pour assommer à coups <strong>de</strong> massue, ou


(188)1636. percer <strong>de</strong> leurs flèches empoisonnées, tous les Françaisqui s'écartaient pour <strong>la</strong> pêche ou pour <strong>la</strong> chasse.La nuit, ils brû<strong>la</strong>ient les cases et ravageaient les p<strong>la</strong>ntations<strong>de</strong> leurs injustes ravisseurs, que <strong>la</strong> misère ,<strong>la</strong> famine et une mortalité affreuseaffaiblissaienttous les jours. En peu <strong>de</strong> temps, cette colonie, <strong>de</strong>550 hommes qu'elle était, et qui, mieux dirigée, auraitpu <strong>de</strong>venirflorissante, se trouva réduite à l'étatle plus déplorable. Lolive, l'auteur <strong>de</strong> tous ces désastrèis,d'abord nommé, avec Duplessis , commanäantpour dix ans, fut continué, avec le titre <strong>de</strong> ca-1637. pitaine-général, le 2 décembre 1637. Tel fut le premiertitre qu'on donna aux commandants <strong>de</strong> nosîles, dont le pouvoir, quoiqu'à-peu-près sans bornes,aurait peut-être été moins dangereux, que l'autorité,mal définie, <strong>de</strong>s chefs qui leur succédèrent.Cependant le commandant <strong>de</strong> Saint-Christophe,Desnambuc , craignant <strong>de</strong> se voir supp<strong>la</strong>nter à <strong>la</strong>Martinique, comme il l'avait été à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,par son lieutenant, était parti, au commencement<strong>de</strong> 1635, avec cent hommes d'élite, bien acclimatés,faits à <strong>la</strong> fatigue, et pouvus <strong>de</strong> tout ce qui pouvaitêtre nécessaire à un premier établissement. Arrivé,cinq ou six jours après , à <strong>la</strong> Martinique, que lesIndiens nommaient Mardianna il en avait prispossession, au nom du roi , sous l'autorité <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie,et avait construit, en toute hâte, un fort surle bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer. Aussitôt que ce fort, appelé du


(189)nom <strong>de</strong> Saint-Pierre, avait été muni <strong>de</strong> canons et 1637.<strong>de</strong> tout ce qui était nécessaire à sa défense, Desnambuc,avait fait travailler à une gran<strong>de</strong> habitatien.-,Aprèsl'avoir p<strong>la</strong>ntée <strong>de</strong> manioc, <strong>de</strong> patatesr.fitid'atitresvivres, il était retourné à Saint-Christophe, <strong>la</strong>issant le sieur Dupont, homme <strong>de</strong>mérite et <strong>de</strong> courage, en qualité <strong>de</strong> lieutenant, à <strong>la</strong>Martinique, avec ordre <strong>de</strong> conserver <strong>la</strong> paix avecles sauvages. Mais ces insu<strong>la</strong>ires ne tardèrent pasà venir attaquer <strong>la</strong> colonie naissante. Dupont lesavait battus , leur avait tué beaucoup do mon<strong>de</strong> etles avait obligés à faire un accommo<strong>de</strong>ment.Partipour aller porter, à Saint-Christophe, <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong>ses. succès, et jeté, par <strong>la</strong> tempête, sur les côtes<strong>de</strong> Saint-Domingue, il y fut retenu par les Espagnolset enfermé dans une prison, où il gémit pendanttrois ans. Duparquet ; neveu <strong>de</strong> Desnarabuc,avait été envoyé à <strong>la</strong> Martinique pour le remp<strong>la</strong>cer.Il fut confirmé, le 2 décembre 1637, par <strong>la</strong> compagnieet par le roi, dans l'emploi <strong>de</strong> lieutenant-général<strong>de</strong> cette colonie, que sa bonne administrationfit rapi<strong>de</strong>ment prospérer (1).Desnambuc, après avoir mis Saint-Christophe à(1) Le fort royal <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique est situé par les35' 49" <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> nord, et par les 63° 26' <strong>de</strong>, longitu<strong>de</strong>occi<strong>de</strong>ntale, méridien <strong>de</strong> Paris. La ville <strong>de</strong> Saint-Pierre.


(190)1637. l'abri <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong>s sauvages et <strong>de</strong>s usurpations<strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, dont il avait humilié <strong>la</strong> fierté, danstoutes les occasions, était mort à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 16З6, emportantles regrets <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> colonie, qu'il <strong>la</strong>issaitdans un état florissant. Duhal<strong>de</strong> , son lieutenant,lui avait succédé et avait été confirmé, en 16З7,dans son comman<strong>de</strong>ment. Sa santé ne lui permettantpas <strong>de</strong> continuer à occuper cet emploi,Richelieu fit nommer, pour trois ans, le 6 janvier1638. 1638, le chef d'escadre, Lonvilliers <strong>de</strong> Poincy,comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Malthe, lieutenant-général du roipour toutes les îles françaises, et capitaine-général<strong>de</strong> Saint-Christophe, pour <strong>la</strong> compagnie. Le comman<strong>de</strong>urne partit <strong>de</strong> France que le 12 janvier1639. 1639, pour se rendre à Saint-Christophe, chef-lieu<strong>de</strong> son gouvernement. Vou<strong>la</strong>nt visiter, en passant,les îles <strong>de</strong> sa dépendance, il débarqua, le 11 février,gît par les 14° 14' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et par les 63° З2" 54 <strong>de</strong>longitu<strong>de</strong>.La popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique étaitt, en 1822, <strong>de</strong> :B<strong>la</strong>ncs 9,867.Gens <strong>de</strong> couleur libres. . . . . . 11,073.Esc<strong>la</strong>ves . . . . , 77,339.98,279.(Statistique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique,Sainte-Croix, Paris 1822.)par le marquis <strong>de</strong>


(191)à <strong>la</strong> Martinique, où il s'arrêta quelques jours, et arriva,le 17 du même mois, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, qu'il trouvaencore désolée par ses longs malheurs. 11 n'eut pasà se louer du gouverneur Lolive, <strong>de</strong>venu aveugle,et dont <strong>la</strong> compagnie avait aussi à se p<strong>la</strong>indre (1).A son arrivée à St-Christophe, le comman<strong>de</strong>ureut un différend avec les Ang<strong>la</strong>is , dont les prétentionsfaillirent amener une nouvelle rupture ; maisil sut les contraindre à conserver <strong>la</strong> paix. 11 convint,avec leur chef Warner, <strong>de</strong> faire arracher tout le.petum<strong>de</strong>s îles <strong>de</strong> leur dépendance, et d'en interdire<strong>la</strong> culture, pendant 18 mois, <strong>de</strong> peur que cette <strong>de</strong>nrée, tombée à vil prix par <strong>la</strong> prodigieuse quantitéqu'on en avait récolté, ne rebutât l'Europe et ne <strong>la</strong>fit renoncer à tout commerce avec les colonies. LaGua<strong>de</strong>loupe fut <strong>la</strong> seule <strong>de</strong>s îles françaises où l'onrefusa d'exécuter cette mesure ; son chef Lolive fut1639.(1) On avait déjà créé, à cette époque, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces <strong>de</strong>juge, <strong>de</strong> notaire, <strong>de</strong> receveur <strong>de</strong>s droits , <strong>de</strong> commis généralet particulier , d'arpenteur , <strong>de</strong> peseur et autresoffices.On trouve dans les Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, vol. n° 1,une commission donnée, le 6 avril 1639, à un exécuteur <strong>de</strong><strong>la</strong> haute justice, dans les îles d'Amérique, pour exécuterles jugements criminels, rendus par les juges <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie,contre les malfaiteurs.


(192)1639. inébran<strong>la</strong>ble et resta sourd aux prières, et aux menacesdu comman<strong>de</strong>ur, qui ne tarda pas à l'en punir.Obligé, par sa mauvaise santé, d'aller prendre leseaux <strong>de</strong> Nièves, Lolive s'àrrêta à Saint-Christophe,pour solliciter du comman<strong>de</strong>ur quelquescontre les sauvages qui venaientleurssecours<strong>de</strong> renouvelerincursions dans sa colonie. M. <strong>de</strong> Poincysaisît ce moment pour le retenir prisonnier, espérdntque cette mesure lui fournirait lesmoyensd'accomplir le projet qu'il avait formé <strong>de</strong> rendre <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe le chef-lieu <strong>de</strong>s autres îles et d'y établirlé siège du gouvernement. Dans ce <strong>de</strong>ssein, il s'empressa<strong>de</strong> dépêcher, en France, le capitaine Aubert,pour aller proposer à <strong>la</strong> cour<strong>de</strong> vendre aux Ang<strong>la</strong>is<strong>la</strong> partie français <strong>de</strong> Saint-Christophe, <strong>de</strong>transférer le gouvernement colonial à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,comme étant l'île <strong>la</strong> plus importante, et <strong>de</strong>nommer le sieur <strong>de</strong> Sabouilly, lieutenant-général<strong>de</strong>s îles, sous ses ordres.A peine avait-il expédié cet officier que les habitants<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe le supplièrent, dans lestermes les plus pressants, <strong>de</strong> leur envoyer <strong>de</strong>shommes et <strong>de</strong>s munitions, pour les mettre en étatd e se défendre contre les sauvages. Enchanté d'unecirconstance aussi favorable à ses projets, leman<strong>de</strong>ur rassemb<strong>la</strong> à <strong>la</strong> hâte 132 hommes, (qu'il fit1640. partir, le 28 janvier 1640, sous les ordres <strong>de</strong> Sabouilly,mais qui n'arrivèrent que trois jours après


(193)à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Il fit suivre ce détachement par 1640.un second, d'une force égale, sous les ordres <strong>de</strong> LaVerna<strong>de</strong>, Ces <strong>de</strong>ux officiers se portèrent, le premierà <strong>la</strong> Capesterre, où les sauvages exerçaient le plus<strong>de</strong> ravages, et l'autre , à <strong>la</strong> Basse-Terre, disposanttous les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> l'autorité , comme s'ils eussent éténommés chefs <strong>de</strong> l'île.Sabouilly battit les Caraïbes, dans diverses rencontres, leur <strong>de</strong>vint très-redoutable et les réduisità l'impuissance <strong>de</strong> rien tenter <strong>de</strong> long-temps. Maisplus <strong>de</strong>s trois quarts <strong>de</strong>s hommes venus <strong>de</strong> Saint-Christophe furent moissonnés par <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, suite<strong>de</strong>s fatigues et <strong>de</strong>s privations qu'ils éprouvèrent, etsurtout <strong>de</strong> l'insalubrité <strong>de</strong> l'ile, encore toute couverte<strong>de</strong> bois.II. 13


(194)CHAPITREIV.Aubert comman<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et fait <strong>la</strong> paix avecles sauvages. — M. Houel y arrive en qualité <strong>de</strong> gouyenaeur.— Ma<strong>de</strong>moiselle Lafayolle et sa suite — Aubertest condamné à mort. — Troubles dans <strong>la</strong> colonie.1640. CEPENDANT les propositions du comman<strong>de</strong>urfurent rejeteés , par <strong>la</strong> compagnie et par <strong>la</strong> cour.Les p<strong>la</strong>intes et les réc<strong>la</strong>mations <strong>de</strong>s habitans <strong>de</strong>Saint-Christophe, contre ce commandant-général, etles coups d'autorité qu'il s'était permis, donnèrent<strong>de</strong> l'inquiétu<strong>de</strong> au gouvernement; on ne jugea paspru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> lui adjoindre, comme lieutenant, unhomme, du caractère <strong>de</strong> Sabouilly , qui lui était toutdévoué. On se contenta <strong>de</strong> nommer, le 4 avril, pourtrois ans, Aubert, lieutenant-général <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, sous les ordres ou en l'absencedu capitaine-général Lolive, que le comman<strong>de</strong>ury avait renvoyé, mais que sa santé contraignit, peu <strong>de</strong> temps après, à repartir pour aller seconfiner sur son habitation <strong>de</strong> Saint-Christophe.Aubert, méditant un projet <strong>de</strong> paix avec les sau-


(195)vages, arriva, dans les premiers jours <strong>de</strong> septembre 1640.1640 , à <strong>la</strong> Martinique, où le général Duparquet luioffrit sa médiation auprès <strong>de</strong>s Caraïbes. Il s'arrêta<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Dominique , pour s'aboucher avec eux etleur faire <strong>de</strong>s ouvertures d'accommo<strong>de</strong>ment. Débarquéà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le 15 septembre, il se rendità Saint-Christophe pour soumettre ses vues <strong>de</strong>négociation au comman<strong>de</strong>ur, qui les approuva.Les sauvages , vaincus par les bons traitements et<strong>la</strong> loyauté d'Aubert, conclurent avec lui une paixsoli<strong>de</strong>, dont les bons effets se firent ressentir dansles îles voisines et jusqu'en France, d'où l'on vitarriver beaucoup <strong>de</strong> nouveaux habitans.La Gua<strong>de</strong>loupe , commençant à jouir d'une sécuritéqu'elle n'avait pas encore connue, se peup<strong>la</strong>itchaque jour; <strong>de</strong>s terrains nouveaux étaientdéfrichés, les cultures s'amélioraient, et <strong>la</strong> bonneadministration d'Aubert attirait beaucoup <strong>de</strong> navires<strong>de</strong> commerce, surtout <strong>de</strong> hol<strong>la</strong>ndais. Ces <strong>de</strong>rniers,offrant <strong>de</strong>s marchandises d'Europe à <strong>de</strong>sprix plus bas que <strong>la</strong> compagnie française, fondèrent,dès lors, un commerce interlope, dont il ne fut pluspossible <strong>de</strong> rompre le cours. On voyait accourir ,dans <strong>la</strong> colonie, un grand nombre d'individus, que<strong>la</strong> beauté <strong>de</strong>s sites invitait à former <strong>de</strong>s habitationsoù ils introduisaient <strong>de</strong>s engagés ou <strong>de</strong>s nègrespour les cultiver. Mais Aubert ne <strong>de</strong>vait pas jouirlong-temps du fruit <strong>de</strong> ses travaux.13


(196)1642. La compagnie , désirant avoir sur les lieux un <strong>de</strong>ses membres, pour veiller <strong>de</strong> plus près à ses intérêts,envoya aux îles le sieur Houël, seigneur duPetit-Pré, son associé, pour prendre une connaissanceexacte <strong>de</strong> tout ce qui s'y passait, et être àmême <strong>de</strong> désigner celle où il pourrait s'établir avecle plus d'avantages. Cet envoyé fut frappé <strong>de</strong> ceuxqu'offrait <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Aubert l'accueillit avecmagnificence, le mit au courant <strong>de</strong> tous les détails,et lui communiqua, avec beaucoup <strong>de</strong> franchise,le grand projet, qu'on avait, d'y fabriquer du sucre,II ne lui cacha point que <strong>la</strong> direction , qu'on lui enavait promise, était le but <strong>de</strong> ses désirs, et le moyenassuré d'une gran<strong>de</strong> fortune ; ne se doutant pas quel'homme, à qui il prodiguait tant d'égards, méditaitd'abuser <strong>de</strong> sa confiance.De retour à Paris, Houël s'appliqua , dans lecompte qu'il rendit, à f<strong>la</strong>tter les vues intéressées<strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, et à se faire accor<strong>de</strong>r, à force d'intrigueset <strong>de</strong> crédit, le gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong>venu l'objet <strong>de</strong> son ambition. Il vint surtoutà bout d'obtenir <strong>la</strong> direction <strong>de</strong>s établissementsà sucre, promise à Aubert, en récompense <strong>de</strong> sesservices; et, non content d'en frustrer cet officier, ilne rougit pas <strong>de</strong> lui faire donner le titre <strong>de</strong> son lieutenant,pour se ménager le secours <strong>de</strong> ses talents et<strong>de</strong> son expérience. La compagnie venait alors <strong>de</strong>créer <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d'intendant <strong>de</strong>s îles, dont elle avait


(197)donné, le 1 eroctobre 1642, <strong>la</strong> commission, au sieur <strong>de</strong>Leumont, avec ordre <strong>de</strong> rési<strong>de</strong>r à Saint-Cristophe.M. Houël, pourvu, le 1 er avril 1643, <strong>de</strong> <strong>la</strong> di- 1643.gnité <strong>de</strong> sénéchal, gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupepour trois ans (1), yarriva, le 5 septembre suivant,et <strong>de</strong>scendit à <strong>la</strong> pointe sud <strong>de</strong> l'île, au Port-Royalque Lolive avait fait construire, en quittant <strong>la</strong> partieingrate du nord-ouest (2). Ce fort était alors entrès-mauvais état; le gouverneur Houël n'y trouvaplus que cinq à six engagés français et cinquantesixnègres esc<strong>la</strong>ves , <strong>de</strong> tout âge.Peu <strong>de</strong> jours après, on vit débarquer, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,<strong>la</strong> <strong>de</strong>moiselle Lafayolle, à <strong>la</strong> tête d'une expédition<strong>de</strong> jeunes nymphes, que <strong>la</strong> compagnie envoyait,en leste équipage, aux îles, afin d'y retenir,par leurs charmes, les habitans, que le manque <strong>de</strong>femmes obligeait à venir eu chercher en France.Lafayolle, nantie <strong>de</strong> puissantes lettres <strong>de</strong> recommandation, même <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine, se vit recherchéepar tout ce qu'il y avait <strong>de</strong> plus distingué par-(1) Toutes les nominations se faisaient alors pour troisans, non compris l'année courante, et on les renouve<strong>la</strong>itpour trois autres années, h <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> chaque exercice.(2) C'est <strong>la</strong> partie qu'on a long-temps appelée <strong>la</strong> Pointedu-Fort-Lolive,et qu'on connaît aujourd'hui sous le nom<strong>de</strong> Pointe-du-Vieux-Fort.


(198)1643. mi les p<strong>la</strong>nteurs et les officiers, qui se trouvaientheureux <strong>de</strong>s mariages qu'elle vou<strong>la</strong>it bien leur fairecontracter. Ce commerce d'amour lui donna , dansl'île, un crédit, que son esprit remuant et altier sutmettre à profit. Elle prit un tel empire sur les chefs,qu'on <strong>la</strong> verra bientôt bouleverser <strong>la</strong> colonie et <strong>la</strong>mettre à <strong>de</strong>ux doigts <strong>de</strong> sa perte, par ses intrigues.Aussitôt installé, le gouverneur Houel partitpour Saint-Christophe, où il refusa <strong>de</strong> prêter leserment d'usage, au comman<strong>de</strong>ur-lieutenaut-généralpour le roi, prétendant que sa qualité <strong>de</strong> coseigneur<strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie l'eu dispensait. Ce refus<strong>de</strong>vint <strong>la</strong> source d'une infinité <strong>de</strong> maux. A son retour,il en usa si mal envers Aubert, dont il étaitjaloux, qu'il le contraignit à faire un voyage à Saint-Cristophe. Pendant son absence, il le fit accuser d'avoirtenté <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r aux sauvages qu'il n'étaitvenu gouverner <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe que pour leur faire<strong>la</strong> guerre, s'emparer <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique et les massacrertous. Il refusa <strong>de</strong> s'entendre avec le commissaire,que le comman<strong>de</strong>ur envoya à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,1644. le 8 avril 1644, pour les concilier, ne vou<strong>la</strong>nt reconnaîtred'autres juges <strong>de</strong> sa conduite que le grandconseil du roi. Il intenta, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> compagnie, unprocès criminel au vertueux Aubert , produisitcontre lui un faux témoin, nommé Durivage, quidéc<strong>la</strong>ra avoir été l'agent d'Aubert ; mais que Houelrefusa obstinément <strong>de</strong> faire comparaître <strong>de</strong>vant le


(199)comman<strong>de</strong>ur. M. <strong>de</strong> Poincy, indigné <strong>de</strong> voir son 1644.autorité ainsi méconnue, s'en p<strong>la</strong>ignit amèrement à<strong>la</strong> compagnie, et proposa <strong>de</strong> se décharger, en faveur<strong>de</strong> son neveu, <strong>de</strong> <strong>la</strong> capitainerie-générale <strong>de</strong> Saint-Cristophe, se réservant d'y rester avec <strong>la</strong> qualité<strong>de</strong> lieutenant-général <strong>de</strong> toutes les îles, pour leroi. La compagnie accueillit cette proposition , etaccorda, le 3 juin, à son neveu, Robert <strong>de</strong> Poincy,<strong>la</strong> commission <strong>de</strong> capitaine-général à Saint-Cristophe.Le gouverneur Houel, appréhendant que le comman<strong>de</strong>urne se portât à venir enlever Durivage,pour obliger ce misérable à désavouer son Infâmedéc<strong>la</strong>ration, usa <strong>de</strong> toutes sortes d'importunités, <strong>de</strong>menaces et <strong>de</strong> subterfuges, pour faire signer, à uncertain nombre d'habitants, une requête , à l'effet <strong>de</strong><strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong> mort d'Aubert, <strong>de</strong> ce chef sans reproches,dont toute <strong>la</strong> conduite passée, démentaitles accusations dirigées contre lui. Muni <strong>de</strong> cettepièce, il s'empressa <strong>de</strong> conduire Durivage à Paris,y arriva, au mois <strong>de</strong> septembre, et obtint, par lesintrigues <strong>de</strong> ses parents et <strong>de</strong> ses amis , <strong>de</strong> faire condamner, par contumace, Aubert à avoir <strong>la</strong> tête tranchée.Afin que Durivage fût hors d'état <strong>de</strong> découvrirjamais <strong>la</strong> vérité, il le fit condamner aux galères perpétuelles,où ce misérable trouva, dans une promptemort, <strong>la</strong> juste récompense <strong>de</strong>s services qu'il avaitrendus à son ingrat patron.


(200)1644. Le digne Aubert s'était vainement hâté d'accourirà Paris pour prouver son innocence, il y arrivatrop tard. Ne pouvant résister à <strong>la</strong> brigue <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissantefamille <strong>de</strong> son ennemi, il fut contraint <strong>de</strong>prendre <strong>la</strong> fuite et <strong>de</strong> se retirer à Saint-Christophe,où le comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy le fit, <strong>de</strong> nouveau, capitaine,et l'attacha sans réserve à sa fortune (1).Le comman<strong>de</strong>ur, ayant inutilement présenté, auconseil du roi, <strong>de</strong> nouveaux griefs contre le gouverneurHouel, et craignant que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, restéesans chef, ne <strong>de</strong>vînt <strong>la</strong> proie <strong>de</strong>s étrangers, ou nesuccombât sous les coups <strong>de</strong>s factieux qui <strong>la</strong> déchiraient,envoya, pour <strong>la</strong> gouverner, le sieur <strong>de</strong> Leumont,intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie : celui-ci y arrivale 3 novembre. Mais Marivet, qu'on avait nommé,le 10 avril 1643, procureur fiscal à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et commis-général dans cette île et à Saint-Christophe , et que M. Houel avait investi du comman<strong>de</strong>ment,en son absence, ne voulut pas recevoirl'intendant <strong>de</strong> Leumont, et le força à se retirer. La<strong>de</strong>moiselle Lafayolle, toute dévouée aux intérêtsd'Houel, était alors <strong>la</strong> gouvernante <strong>de</strong> fait, et rienne se faisait, dans <strong>la</strong> colonie, que par ses intrigues etcelles d'un Mathurin Hédouin, qu'Houel, <strong>de</strong> sonbou<strong>la</strong>nger qu'il était, avait fait procureur fiscal. Le(1) Dutertre, vol. 1 er , pages 239, 247 et suiv.


(201)commandant Marivet, ayant enfin voulu s'opposer 1644.aux excès <strong>de</strong> cette méchante femme, elle le fit arrêteret enchaîner par les pieds et par le milieu du corps,avec une chaîne <strong>de</strong> galérien. Ce malheureux resta,huit mois, ainsi garrotté, dans un cachot, tandis que<strong>la</strong> colonie était livrée aux caprices <strong>de</strong> cette mégère,et à l'humeur brutale d'Hédouin. De concert ils employèrenttoutes sortes <strong>de</strong> moyens, auprès <strong>de</strong> <strong>la</strong>compagnie, pour justifier leurs cruautés; mais ils nepurent empêcher <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> lui parvenir par <strong>la</strong> voix<strong>de</strong>s habitans.


( 202 )CHAPITRE V.Le général <strong>de</strong> Thoisy Patrocles est nommé pour remp<strong>la</strong>cer,aux îles, le comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy, qui ne veutpas le recevoir. — Guerre civile dans les colonies françaises.— La première compagnie vend les îles à <strong>de</strong>sparticuliers. — Notice sur les îles Vierges.1645. CEPENDANT <strong>la</strong> compagnie, n'écoutant que les ennemisdu comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy, s'était adressée à <strong>la</strong>reine régente, pour obtenir son remp<strong>la</strong>cement, etavait fait nommer, le 20 février, M. <strong>de</strong> Thoisy-Patrocles,lieutenant-général <strong>de</strong>s îles, pour le roi, et sénéchal,à Saint-Christophe, pour <strong>la</strong> compagnie. Le gouverneurHouel, malgré ses démarches et son crédit,ne put obtenir cette p<strong>la</strong>ce; <strong>la</strong> compagnie commençaità être éc<strong>la</strong>irée sur sa conduite. Il se contentadonc <strong>de</strong> se lier d'amitié avec le nouveau général, etpartit <strong>de</strong> France ,avec l'ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, d'user<strong>de</strong> sévérité, <strong>de</strong> punir les séditieux et les auteurs<strong>de</strong>s désordres <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Mais ces séditieuxétaient tous ses créatures ; et lors <strong>de</strong> son arrivée,le 29 mai il se contenta <strong>de</strong> faire sortir Marivet <strong>de</strong>


(203)prison, et proc<strong>la</strong>ma une absolution générale du 1645.passé , pour tous ceux qui avaient pu s'écarter dubon ordre : un tel déni <strong>de</strong> justice indigna les colons.Le général <strong>de</strong> Thoisy-Patrocles, parti <strong>de</strong> Francepour son gouvernement, s'était arrêté le 17 novembreà <strong>la</strong> Martinique, et le 19 à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où i<strong>la</strong>vait été solennellement reconnu. Le 25, il se présenta<strong>de</strong>vant Saint-Christophe, mais le comman<strong>de</strong>ur<strong>de</strong> Poincy refusa <strong>de</strong> le recevoir. Aussitôt qu'il avaitappris cette nomination, il s'était préparé à <strong>la</strong> défense, s'était assuré <strong>de</strong> ses officiers, avait renvoyéceux qui lui étaient suspects, et mis le général <strong>de</strong>sAng<strong>la</strong>is dans son parti; donnant ainsi, au Nouveau-Mon<strong>de</strong>, le premier exemple d'insubordination enversson souverain, et entraînant les colonies dansune affreuse guerre civile.Aucun <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Patrocles n'ayantpu obtenir <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre à terre pour signifier lesordres du roi, les Ang<strong>la</strong>is ayant même refusé <strong>de</strong> recevoirune lettre <strong>de</strong> <strong>la</strong> reine d'Angleterre, dont ilétait porteur, ce général revint, le 28 novembre, à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, pour y préparer une expédition, à <strong>la</strong>quelleon vit concourrir <strong>la</strong> Martinique et le gouverneurDuparquet. Lorsqu'il eut rassemblé toutes sesforces, M. <strong>de</strong> Patrocles les conduisit contre Saint-Christophe, et arriva, le 18 janvier 1646, à l'île <strong>de</strong> 1646.Nieves, appartenant aux Ang<strong>la</strong>is, et qui n'en estqu'à une lieue <strong>de</strong> distance dans le N.-O. C'est <strong>de</strong> là qu'il


(204)1645. expédia l'intrépi<strong>de</strong> Duparquet, comme ayant <strong>de</strong>nombreuses intelligences à Saint-Christophe, poury tenter un coup <strong>de</strong> main. Cet officier débarqua, surles dix heures du soir, dans le quartier <strong>de</strong> <strong>la</strong> Capesterre,à <strong>la</strong> pointe <strong>de</strong> sable, où tout était disposépour l'accueillir. Il surprit, au lit, les <strong>de</strong>ux neveuxdu comman<strong>de</strong>ur, les fit conduire prisonniers à bordd'un bâtiment du roi, et fit soulever tout le quartieroù ils commandaient. Mais le général <strong>de</strong> Poincy, à<strong>la</strong> tête <strong>de</strong> 2000 Ang<strong>la</strong>is, vint l'attaquer, le mit endéroute, et le contraignit à se sauver dans les bois.Bientôt réduit à l'extrémité, le brave Duparquet sevit forcé <strong>de</strong> se remettre entre les mains du généra<strong>la</strong>ng<strong>la</strong>is, qui feignit <strong>de</strong> le recevoir avec civilité, etle livra sur-le-champ au comman<strong>de</strong>ur (1).Le général Patrocles, reconnaissant l'impossibilité<strong>de</strong> soumettre Saint-Christophe, retourna à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe.(1) On voit que les Ang<strong>la</strong>is se sont montrés, <strong>de</strong> touttemps, les ennemis acharnés <strong>de</strong> <strong>la</strong> France et <strong>de</strong> ses rois;que jamais ils n'ont cessé d'user contre eux, <strong>de</strong> moyens<strong>de</strong> <strong>de</strong>struction L'Europe a frémi <strong>de</strong> leur conduite, en1793 ; mais ont-ils discontinué, à aucune époque, <strong>de</strong> fomenterpartout <strong>la</strong> discor<strong>de</strong>, <strong>de</strong> soudoyer, <strong>de</strong> protéger<strong>de</strong>s partis et d'intervenir dans tous les lieux où ils pouvaientfairepérir <strong>de</strong>s Français par les mains <strong>de</strong>s Français?


(205)Le comman<strong>de</strong>ur, triomphant, expulsa <strong>de</strong> sa co- 1646.lonie tons les pères capucins qui s'étaient montrésdévoués à son compétiteur ; traita avec violence leshabitans soupçonnés <strong>de</strong> le favoriser ; en exi<strong>la</strong> ungrand nombre aux îles Vierges, où beaucoup périrentmisérablement (1); et en força d'antres à se réfugieren France.La lutte <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux chefs plongea les trois coloniesfrançaises dans un désordre affreux. Le gouverneurHouel ne sut pas dissimuler long-temps le dépitqu'il ressentait du séjour à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, du généralPatrocles, dont l'autorité l'offusquait ; sa jalousieperça dans tous ses procédés. 11 résolut <strong>de</strong> le pousser àbout pour l'obliger à partir, mais il voulut, auparavant,en obtenir <strong>la</strong> promulgation <strong>de</strong> l'édit du(2) Les Vierges sont un groupe 4e 12 ou 15 îles, sanscompter beaucoup <strong>de</strong> rochers , qui s'élèvent au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><strong>la</strong> mer et avoisinent Saint-Christophe dans le N. N.-O.Vierge-Gorda et Torto<strong>la</strong> appartienent aux Ang<strong>la</strong>is; Saint-Thomas et Saint-Jean aux Danois : ce sont les seuleshabitées.Los Ang<strong>la</strong>is ont jeté les yeux sur ces <strong>de</strong>ux îles, parcequ'elles sont les plus voisines <strong>de</strong> Porto-Rico, dont ellesruinent le commerce, en temps <strong>de</strong> guerre, par leurs corsaires,et en temps <strong>de</strong> paix, par <strong>la</strong> contreban<strong>de</strong>. Le sol<strong>de</strong> ces îles est ingrat et stérile, il sera question plus tard<strong>de</strong> celles appartenait aux Danois.


(206)1646. roi, du 1 er août 1645, qui établissait une justice, ouconseil souverain, dans chaque île; édit que M. <strong>de</strong>Patrocles n'était obligé <strong>de</strong> mettre en vigueur , qu'aprèsson instal<strong>la</strong>tion à Saint-Christophe (1). M. Houelparvint néanmoins à le faire publier et mettre à exécutionà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le 29 avril 1646. Son attentene fut pas plutôt comblée, qu'il ne garda plus<strong>de</strong> mesures, et suscita <strong>de</strong> nouvelles tracasseries àM. <strong>de</strong> Patrocles. Des malintentionnés , profitant <strong>de</strong><strong>la</strong> division <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux chefs, provoquèrent une séditionqui aurait été funeste à <strong>la</strong> colonie si le généralne fût intervenu pour <strong>la</strong> comprimer. Mais abusant<strong>de</strong> son pouvoir, le général Patrocles établit un conseil<strong>de</strong> guerre, pour ba<strong>la</strong>ncer l'autorité du conseilsouverain; fit juger, par ce conseil, un capitaine porteurd'un manifeste du comman<strong>de</strong>ur; et fit instruireune procédure criminelle contre ses <strong>de</strong>ux neveux,qu'il tenait prisonniers. Le gouverneur Houel,cherchait alors à capter <strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce <strong>de</strong> M. <strong>de</strong>Poincy : il se servit du conseil souverain, qu'il avaitcomposé à sa dévotion, pour faire annuler cetteprocédure , et révolta tous les esprits par son ingratitu<strong>de</strong>envers le général Patrocles, son bienfaiteur.(1) Cet édit est rappellé dans les lettres patentes du 11octobre 1664, qui établissent le conseil supérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique, page 50 du 1 er vol. du Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.


(207)La compagnie, en blâmant l'entreprise du général, 1646.dans <strong>la</strong> formation du conseil <strong>de</strong> guerre, ne prescrivit<strong>de</strong>s bornes , à l'autorité <strong>de</strong> ce conseil, que pouren maintenir l'établissement; et continua, le 17août, M. Houel, dans ses fonctions <strong>de</strong> sénéchalgouverneur,encore pour trois ans.La Martinique n'était pas plus tranquille ; unsoulèvement, qui tendait à <strong>la</strong> soustraire à <strong>la</strong> dépendance<strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie et du roi, y avait éc<strong>la</strong>té;M. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pierrière, commandant <strong>la</strong> colonie pendant<strong>la</strong> détention <strong>de</strong> M. du Parquet, convint, le 6 août,d'une entrevue avec les séditieux. Aidé <strong>de</strong> plusieurshabitans, et particulièrement <strong>de</strong> Lefort, qui <strong>de</strong>vaitplus tard offrir ses services à M. Houel, et fon<strong>de</strong>r unétablissement à Marie-Ga<strong>la</strong>nte, il tomba sur eux, aumilieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion, en massacra 25 <strong>de</strong>s principaux,et coupa court à <strong>la</strong> sédition. Les habitans <strong>de</strong>mandèrentet obtinrent un oubli absolu <strong>de</strong> tout le passé.Lorsque <strong>la</strong> cour fut instruite <strong>de</strong> <strong>la</strong> rébellion ducomman<strong>de</strong>ur, et <strong>de</strong>s troubles qui en étaient <strong>la</strong> suite,elle ne voulut rien prononcer sur le fond <strong>de</strong> l'affaire,et se contenta d'ordonner, par lettres <strong>de</strong> cachet, <strong>de</strong>s16 et 28 octobre, adressées au comman<strong>de</strong>ur et augénéral Patrocles, qu'ils eussent à se livrer mutuellementtous les prisonniers qu'ils s'étaient faits.Sur ces entrefaites, le gouverneur Houel excitaun mouvement à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe contre le généralPatrocles, à <strong>la</strong> vie duquel on menaça d'attenter,


(208)1647. et l'obligea, le 1 er janvier 1647, à se sauver à <strong>la</strong> Martinique, où il fut accueilli avec toutes sortes d'honneurs.Alors M. Houel leva le masque ; il prit ouvertementparti contre lui, et persécuta outrageusementtous ceux qui s'étaient déc<strong>la</strong>rés en sa faveur (1). Lecomman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy, averti, par Houël, du départ<strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Patrocles, fit réc<strong>la</strong>mer ce général à <strong>la</strong> Martinique,le 15 janvier, par 5 bâtiments montés <strong>de</strong>800 hommes. Les Martiniquais , oubliant leur <strong>de</strong>voiret les promesses qu'ils avaient faites au généralThoisy, l'arrêtèrent d'un commun accord, et le livrèrentaux troupes du comman<strong>de</strong>ur, en <strong>de</strong>mandanttoutefois, en retour , leur gouverneur Duparquet.Le général Patrocles fut transféré à Saint-Christoрhеet enfermé dans une prison. Le triomphe ducomman<strong>de</strong>ur fut complet; M. Houël lui renvoyases <strong>de</strong>ux neveux, et dans <strong>la</strong> joie <strong>de</strong> son succès, ilmit en liberté M. Duparquet, le comb<strong>la</strong> <strong>de</strong> caresseset le fit partir, le б février, рour <strong>la</strong> Martinique.Cependant les habitans <strong>de</strong> Saint-Christophe ,froissés par l'extrême sévérité <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Poincy,firent un mouvement en faveur du général prisonnier,dont l'aménité les avait séduits. Le comman<strong>de</strong>uren craignit les suites et se hâta <strong>de</strong> renvoyer enFrance le général Patrocles (2).(1) Dutertre, 1 er vol. pages 566 et suiv.(s) Ce général débarqua à Saint-Malo le 17 mai, et


(209)Mais à peine en fut-il débarrassé, que <strong>la</strong> persé- 1647.cution <strong>de</strong>vint violente, dans les trois îles françaises,contre tous ceux qui avaient été liés au parti duvaincu. On les désigna par les noms <strong>de</strong> Patrocles;ils furent vexés, tourmentés ou expulsés sans pitié;quiconque fut soupçonné <strong>de</strong> tenir à ce parti ne dutespérer aucun quartier. Ce fut sous ce prétexte, etpar ces moyens violents, que le gouverneur Houëlse délivra <strong>de</strong> tous les individus qui lui dép<strong>la</strong>isaientà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe (1).Ces désordres et <strong>la</strong> licence <strong>de</strong>s chefs avaient portéune telle atteinte au pacte social, habitué <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>-intenta, à M. <strong>de</strong> Poincy et au gouverneur Houël, un procèsqui dura six ans.Mais le commandant général vint à bout <strong>de</strong> faire sa paixavec <strong>la</strong> cour. Il transigea avec le général Patrocles, le 25août 1650, et s'obligea à luipayer 90,000 livres <strong>de</strong> Petun,pour lui ou pour les habitants <strong>de</strong> Saint-Christophe. Le gounerneurHouël résista plus long-temps aux poursuites;il acquiesça enfin , et consentit à payer, en trois ans,61,715 livres <strong>de</strong> Petun.Ainsi, cette rébellion, qui avait entraîné nos coloniesdans une guerre civile <strong>de</strong>s plus désastreuses , et les avaitmises à <strong>de</strong>ux doigts <strong>de</strong> leur perte, resta impunie; 150mille livres <strong>de</strong> tabac suffirent pour en effacer <strong>la</strong> trace.(1) L'esprit <strong>de</strong> faction a donc toujours égaré les hommes!Le père Dutertre ne se doutait pas, en 1647, qu'ilII. 14


(210)1647. tion <strong>de</strong>s îles à se prononcer avec tant <strong>de</strong> forcecontre <strong>la</strong> compagnie et contre les droits qu'elleexigeait, que <strong>de</strong>puis long-temps ou en recouvraità peine <strong>la</strong> moitié, et qu'on finit par refuser nettementd'en payer aucun. Saint-Christophe fut celle1648. <strong>de</strong>s colonies où les liens <strong>de</strong> <strong>la</strong> sujétion se relâchèrentdavantage ; <strong>la</strong> compagnie, n'y fut plus maîtresseque <strong>de</strong> nom.Ainsi, les îles, françaises , qui n'avaient fait que<strong>la</strong>nguir jusqu'à l'heureuse époque <strong>de</strong> l'exploitationdu sucre, ne profitèrent point <strong>de</strong> cette utile découverte,et furent condamnées, par l'ambition et lesjalousies <strong>de</strong> leurs chefs, à végéter encore sous <strong>la</strong> directiond'une compagnie, qui n'avait ni <strong>la</strong> volonté ,ni les moyens <strong>de</strong> comprimer les divisions. Sesactionnaires se virent forcés <strong>de</strong> doubler, <strong>de</strong> triplermême leurs premiers fonds, faute <strong>de</strong> produits. Lesgouverneurs qu'elle avait établis, moins soucieuxdu maintien <strong>de</strong> son autorité que <strong>de</strong> songer à tirerparti <strong>de</strong> ses désastres, aggravèrent le mal en obligeantà entretenir, à grands frais, aux Antilles, <strong>de</strong>nombreux surveil<strong>la</strong>nts sous le nom d'intendants, <strong>de</strong>commis - principaux, <strong>de</strong> sous-commis et <strong>de</strong> recefaisait,l'historique <strong>de</strong>s maux qui <strong>de</strong>vaient affliger cettecolonie, 150 ans plus tard, en 1793, 1794, 1810 et 1815.(Dutertre, 1 erVOL., pages 390 et suiv.)


(211)veurs. En France, elle se trouva forcée <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> 1648.gran<strong>de</strong>s dépenses pour établir ses magasins et pourl'entretien <strong>de</strong> ses officiers ; elle éprouva <strong>de</strong>s pertes<strong>de</strong> mer considérables, ne recevant d'autre rétribution,<strong>de</strong>s colonies, que cent livres <strong>de</strong> tabac par têteou cinquante livres <strong>de</strong> coton, dont on rie trouvaitpas le débit, à cause <strong>de</strong> l'énorme importation <strong>de</strong>ces <strong>de</strong>nrées. Réduite à s'obérer pour acquitter lesavances considérables qu'on lui avait faites, <strong>la</strong> compagnîefut à <strong>la</strong> fin tellement pressée, par ses créanciers,qu'elle ne trouva d'autre remè<strong>de</strong> à sa situation, que dans <strong>la</strong> vente <strong>de</strong>s îles, dont elle avait presqu'entièrementabandonné <strong>la</strong> direction , surtout<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> mort du cardinal <strong>de</strong> Richelieu,en 1642.arrivéeM. Houël, ayant été le premier averti <strong>de</strong> cette résolution, comme actionnaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie ,s'empressa d'envoyer, â son beau-frère Boisseret, àParis, <strong>de</strong>ux procurations, l'une du 13 novembre1648, et l'autre du 14 mars 1649, avec ordre 1649.d'acheter, <strong>de</strong> moitié, et à quelque prix que ce fût,<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, Marie-Ga<strong>la</strong>nte, les Saintes eft <strong>la</strong>Désira<strong>de</strong>, dont il avait été à portée d'apprécierl'importance.Le contrat <strong>de</strong> vente <strong>de</strong> ces îles, le premier qui sesoit passé, eut lieu le 4 septembre <strong>de</strong> <strong>la</strong> même année;mais <strong>la</strong> compagnie ne voulut jamais consentirà ce que le nom d'un <strong>de</strong> ses sociétaires, <strong>de</strong> M. Houël,14


(212)1650. y fûtstipulé. M. <strong>de</strong> Boisseret les obtint, en son privénom, pour 73 mille liv., payables en argent et ensucre, y compris bâtiments, meubles, instruments,armes, munitions, bestiaux, etc. Il s'obligea àpayer les <strong>de</strong>ttes passives <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, pourgages <strong>de</strong>s agens qu'elle employait dans ces quatreîles , et eut <strong>la</strong> comp<strong>la</strong>isance <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong>son marché à son beau-frère Houël. Ce <strong>de</strong>rnier nese vit pas plutôt affranchi du joug importun <strong>de</strong> <strong>la</strong>compagnie, qu'au mépris <strong>de</strong> toutes les promesses,il ne songea qu'à réduire son beau-frère à <strong>la</strong> nécessité<strong>de</strong> lui cé<strong>de</strong>r l'autre moitié , en l'induisant àd'excessives dépenses (1).Le gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, Duparquet, surl'avis d'un <strong>de</strong>s principaux directeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, se rendit en France, et acheta pour le prix<strong>de</strong> 60 mille liv., <strong>la</strong> Martinique, Sainte-Lucie, <strong>la</strong>Grena<strong>de</strong> et les Grenadins dont il venait <strong>de</strong> prendrepossession.(1) Dutertre, 1 er vol. pages 444 et suiv.


(213)CHAPITRE VI.Établissement <strong>de</strong>s Français à Sainte-Lucie et à <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>.— L'ordre <strong>de</strong> Malthe achète diverses îles. — SecondÉtat <strong>de</strong>s colonies. — Les Hol<strong>la</strong>ndais, chassés du Brésil,se réfugient aux îles du vent. — Conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> Jamaïquepar les Ang<strong>la</strong>is. — Notice sur les îles <strong>de</strong> Mont-Serrât, <strong>de</strong> Sainte-Lucie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Sainte-Croix,<strong>de</strong> Saint-Thomas, <strong>de</strong> Saint-Jean, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue et <strong>de</strong> <strong>la</strong>Jamaïque.EN 1550, quarante Français , conduits par le 1650.brave Rousse<strong>la</strong>n, s'étaient établis à Sainte-Alonzie,aujourd'hui Sainte-Lucie, où leur chef se fit singulièrementaimer <strong>de</strong>s Caraïbes, en épousant une<strong>de</strong> leurs femmes. Mais à sa mort, qui eut lieuquatre ans après, <strong>la</strong> colonie dépérit et tout ce qu'ily resta <strong>de</strong> Français fut massacré par les indigènes.Les Ang<strong>la</strong>is l'occupèrent en 1639, et les Caraïbes<strong>de</strong>s îles voisines, s'étant réunis pour se vengerd'une perfidie qu'ils avaient éprouvée <strong>de</strong> leur part,à <strong>la</strong> Dominique, fondirent sur ceux <strong>de</strong> Sainte-Lucie, au mois d'août 1640, en tuèrent le plus


(214)1650. grand nombre, et ruinèrent tous les établissements :ce qui put échapper à leur vengeance, se réfugia àMont-Serrat (1).Les Ang<strong>la</strong>is ne manquèrent pas d'imputer cettecatastrophe aux suggestions du gouverneur <strong>de</strong><strong>la</strong> Martinique; mais M, Duparquet n'eut pas <strong>de</strong>peine à démontrer l'injustice <strong>de</strong> leur p<strong>la</strong>inte. Convaincuque <strong>la</strong> frayeur ne leur permettait plus <strong>de</strong> retourner à Sainte-Lucie, il y envoya un détachementpour s'y établir, en 1650 (2).(1) L'île <strong>de</strong> Mont-Serrat était habitée par les Ang<strong>la</strong>is<strong>de</strong>puis 1632. Elle est située par les 16° 47' 35" <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>nord, et les 64° 35' 4" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntale. Cette îlea trois lieues <strong>de</strong> long et presque autant <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge; sa popu<strong>la</strong>tionest d'environ 2,000 b<strong>la</strong>ncs ou gens libres, et 10,000esc<strong>la</strong>ves. Elle produit du sucre, du coton et <strong>de</strong> l'indigo.(a) Sainte-Lucie resta aux Français, et on lui verrajouer un rôle au commencement <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution. LesAng<strong>la</strong>is s'en emparèrent aussitôt après <strong>la</strong> vio<strong>la</strong>tion dutraité d'Amiens , en 1803 , et se <strong>la</strong> firent cé<strong>de</strong>r par celui<strong>de</strong> Paris, en 1814. Elle n'est séparée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique quepar un canal <strong>de</strong> sept lieues, au sud , et gît par les 13° 25'4o" <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et par les 63° 11'40" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>. Elle adix lieues <strong>de</strong> long sur quatre <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge, et 55 <strong>de</strong> circuit; on y,compte environ 25,000 habitans, dont 4,000 b<strong>la</strong>ncs ou gens<strong>de</strong> couleur libres, qui sont sujets à <strong>de</strong>s fièvres rebelles;mais <strong>la</strong> fertilité du sol leur donne le courage <strong>de</strong> lutter


(215)La Grena<strong>de</strong> avait attiré l'attention dit comman- 1650.<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy, dès 1638; mais son éloignement<strong>de</strong> Saint-Christophe ne lui permit pas <strong>de</strong> l'occuper.Aubert, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, avait tout préparé pouren prendre possession; le gouverneur Houël l'enempêcha. La compagnie avait donné <strong>de</strong>ux commissions,en 1645, pour aller l'habiter, elles furent sansrésultat. La gloire en était réservée à Duparquet, quiy conduisit, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, en 1650 , une petiteexpédition, et y fit un établissement durable. Dèsqu'il l'eut affermi, il y <strong>la</strong>issa pour commandant, soncousin, M. Comte, et revint à <strong>la</strong> Martinique (1).contre l'insalunrité du climat. Elfe possè<strong>de</strong> lés plus bellesforêts <strong>de</strong>s Antilles, qui fournissent d'excellent bois <strong>de</strong>construction ; on y Cultive principalement <strong>la</strong> canne et lécoton. L'île est traversée, du nord au sud, par <strong>de</strong>s montagnesvolcaniques, d'où coulent <strong>de</strong>s fontaines d'eau bouil<strong>la</strong>nte;<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ces montagnes, qu'on appelle les Pitons<strong>de</strong>-Sainto-Lucie,s'élèvent en pain <strong>de</strong> sucre, et servent,en mer, <strong>de</strong> point <strong>de</strong> reconnaissance.(1) La Grena<strong>de</strong>, dont dépend un groupe d'îlets appelésles Grenadins, fut vendue, par Duparquet, au comte <strong>de</strong>Geril<strong>la</strong>c, en 1658, et-resta au pouvoir <strong>de</strong>s Français jusqu'à<strong>la</strong> paix <strong>de</strong> 1763, époque où elle fut cédée à l'Angleterre. Lecomte d'Estaing <strong>la</strong> prit en 1779; à <strong>la</strong> paix dé 1783, ellefut rendue aux Ang<strong>la</strong>is, à qui elle est restée. Située par les


(216)1651. Le 16 août 1651, Duparquet obtint <strong>de</strong>s lettrespatentes, confirmatives <strong>de</strong> l'achat <strong>de</strong> ces îles , avecle litre <strong>de</strong> lieutenant-général pour le roi.Le comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy fut le <strong>de</strong>rnier à traiter<strong>de</strong> l'achat <strong>de</strong> Saint-Christophe. Comme son procès, en France, n'était pas encore terminé, il neparut pas dans cette négociation ; le marché se fit aunom <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion <strong>de</strong> Malte, par le bailli <strong>de</strong> Souvré,qui le conclut avec <strong>la</strong> compagnie, le 24 mai. On luivendit pour 120,000 livres, <strong>la</strong> partie française <strong>de</strong>Saint-Christophe, celle <strong>de</strong> Saint-Martin, l'île <strong>de</strong> Saint-Barthélemy, ainsi que celles <strong>de</strong> Sainte-Croix (1) et12° 2' 54" <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> , et par les 64° 8' 15" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>;elle a dix lieues <strong>de</strong> long, six <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge et 25 <strong>de</strong> circuit.Sa popu<strong>la</strong>tion est <strong>de</strong> 2,000 b<strong>la</strong>ncs ou gens <strong>de</strong> couleur libreset 25,000 esc<strong>la</strong>ves; elle est très-florissante, produit dusucre, du café, du coton et <strong>de</strong> l'indigo; on y trouve <strong>de</strong>sra<strong>de</strong>s commo<strong>de</strong>s et <strong>de</strong>s ports qu'on pourrait défendre par<strong>de</strong>s fortifications peu dispendieuses.(1) L'île <strong>de</strong> Sainte-Croix appartient aux Danois, quine possè<strong>de</strong>nt avec elle, que Saint-Thomas et Saint-Jean.Sainte-Croix est par les 17° 45' 26" <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et les67° 0' 11" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>; longue <strong>de</strong> six lieues et <strong>la</strong>rge <strong>de</strong><strong>de</strong>ux et <strong>de</strong>mie, on y compte З46 habitations, qui produisent18 à 19,000 barriques <strong>de</strong> sucre, 7 à 8,000 galons<strong>de</strong> rum et 12 à 15,000 livres <strong>de</strong> coton. Sa popu<strong>la</strong>tion est,


(217)<strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue (1), dont le comman<strong>de</strong>ur avait créé 1651,les établissements en 1648.En reconnaissance <strong>de</strong> cette cession, le Grand-Maître <strong>de</strong> Malte, honora le comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy,du titre <strong>de</strong> bailli <strong>de</strong> l'ordre, et le confirma dans sacharge <strong>de</strong> commandant-général.<strong>de</strong> près <strong>de</strong> 30,000 habitans <strong>de</strong> toute couleur; elle esttrès-arrosée et très-malsaine.L'île <strong>de</strong> Saint-Thomas, une <strong>de</strong>s Vierges, n'est, à proprementparler, qu'un poste favorable au commerce, qu'attirent<strong>la</strong> franchise et <strong>la</strong> sûreté <strong>de</strong> son port, dans lequel peuventmouiller150 bâtiments; elle est par les 18° 20' 42" <strong>de</strong><strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et les 67° 8' 24" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>. Sa popu<strong>la</strong>tion est<strong>de</strong> 6 à 7 mille habitans, dont 1000 b<strong>la</strong>ncs. Elle produitdu sucre, du coton et fabrique du rum ; l'île a cinq lieues<strong>de</strong> long et <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge.L'îlet <strong>de</strong> Saint-Jean, une <strong>de</strong>s Vierges, ne vaut pas <strong>la</strong> peined'être compté; sa superficie, quoique très-exiguë, n'est pasaux trois quarts défrichée; il est tout près <strong>de</strong> Saint-Thomas.(1) L'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue , dont il sera parlé plus tard, àl'occasion <strong>de</strong> l'établissement <strong>de</strong> Saint-Domingue, dontelle dépend, est à <strong>de</strong>ux lieues au nord du port <strong>de</strong> Paix ;elle a six lieues <strong>de</strong> long sur <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge, est très-fertile,quoique montueuse, et n'a pas d'eau. On y jouit d'un airvif et sain ; elle renferme plusieurs habitations, un fort,et est inaccessible du côté du nord; elle est située par les20" 3' 23" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>, et les 76° 3' 10" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>.


(218)1653 Au mois <strong>de</strong> mars 1653, le roi confirma cette vente,faite à l'ordre <strong>de</strong> Malte, sous <strong>la</strong> réserve <strong>de</strong> <strong>la</strong> souveraineté,qui consistait en l'hommage d'une couronned'or <strong>de</strong> 1 0 0 0 écus, à chaque mutation <strong>de</strong>roi (1).Ainsi, jusqu'au moment <strong>de</strong> cette vente, <strong>la</strong> compagnieavait confié le gouvernement <strong>de</strong>s îles françaisesà <strong>de</strong>s capitaines-généraux, qu'elle honorabientôt du titre <strong>de</strong> gouverneurs; elle y ajouta celui<strong>de</strong> sénéchal, avec pouvoir <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>r à tous íesjugements. Ces gouverneurs avaient pour émolumentsun droit <strong>de</strong> capitation, <strong>de</strong> 25 livres <strong>de</strong> tabac à préleversur chaque habitant, et autant pour l'entretien<strong>de</strong>s forts. Un certain nombre <strong>de</strong> leurs domestiquesétait exempté <strong>de</strong>s droits seigneuriaux , perçus pour<strong>la</strong> Compagnie, et ils avaient <strong>la</strong> préférence dans lescargaisons, pour l'achat <strong>de</strong>s nègres.Après <strong>la</strong> vente, les acquéreurs dés Colonies en<strong>de</strong>vinrent les souverains absolus, sous le titre <strong>de</strong>seigneurs propriétaires, et cet état, le second souslequel on peut considérer les Antilles, fut encoreplus préjudiciable, à <strong>la</strong> Métropole et aux îles , quele premier. Le bailli <strong>de</strong> Poinci, commandant pourl'ordre <strong>de</strong> Malte, et M. Duparquet, avaient seuls <strong>la</strong>qualité <strong>de</strong> lieutenants-généraux pour le roi; les ordre(1) Dutertre, 1 er vol., pages 444 et suiv.


( 2 1 9 )<strong>de</strong> <strong>la</strong> cour leur étaient adressés à chacun en particu- 1653.lier. Ils recevaient dans leur île, ou en expulsaient quibon leur semb<strong>la</strong>it, et disposaient <strong>de</strong> toutes les charges<strong>de</strong> milice et <strong>de</strong> judicature; les juges nommés par euxcondamnaient à mort, et le seigneur faisait grâce àvolonté. Pour satisfaire à leurs plus gran<strong>de</strong>s dépenseset à l'augmentation <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> leur gar<strong>de</strong> ou <strong>de</strong>sgarnisons, ils prélevaient, sur chaque habitant libreou esc<strong>la</strong>ve, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> dix ans, les 100 livres <strong>de</strong>tabac, ou 5o livres <strong>de</strong> coton, qu'on payait à <strong>la</strong> compagnie.Quelques officiers, et un certain nombre <strong>de</strong>leurs gens, étaient seuls exempts <strong>de</strong> payer ce droit.Ou ne pouvait se marier sans leur permission,sous peine d'être renvoyé <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, et nul n'étaiten droit <strong>de</strong> <strong>la</strong> quitter, sans un congé du gouverneur.Tout départ s'annonçait au prône, pourque les créanciers et les débiteurs pussent réglerleurs intérêts.Tous les habitans étaient soldats ; chaque quartierou paroisse formait une ou <strong>de</strong>ux compagnies,suivant sa popu<strong>la</strong>tion, et les capitaines étaient obéisavec <strong>la</strong> plus stricte ponctualité, ayant le droit <strong>de</strong>mettre leurs surbordonnés aux fers, pour <strong>la</strong> moindrefaute(1). Chacun montait <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> à son tour; <strong>la</strong> durée(1) Quel dommage, pour les oligarques , que ce bontemps ne puisse plus revenir !


(220)1653. <strong>de</strong> cette gar<strong>de</strong> était, partout ailleurs, <strong>de</strong> vingt-quatreheures; à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe seule, elle était <strong>de</strong> huitjours. L'exercice général se faisait, une fois parmois, dans chaque quartier, car il n'y avait alors<strong>de</strong> garnison dans aucune île ; il n'était pas permisaux esc<strong>la</strong>ves <strong>de</strong> manier <strong>de</strong>s armes.A cette époque, les Portugais conquirent toutesles côtes du Brésil, sur les Hol<strong>la</strong>ndais, et les obligèrentà les évacuer, en leur permettant, toutefois,d'emporter ce qu'il y avait <strong>de</strong> disponible dans leurfortune et d'emmener leurs esc<strong>la</strong>ves. Ces bannis firentvoile vers les îles françaises, et se présentèrent à <strong>la</strong>1654. Martinique, en suppliant le gouverneur Duparquet,d'agréer qu'ils se fixassent dans son île, aux mêmesconditions et re<strong>de</strong>vances que les Français. Les jésuitesl'ayant porté à les congédier, comme juifs ouhérétiques, les Hol<strong>la</strong>ndais se rendirent à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où M. Houël, écoutant plus ses intérêtsque les jésuites, s'empressa <strong>de</strong> les accueillir. Us débarquèrentau nombre <strong>de</strong> 100 habitans, 200 femmes,3oo soldats Wallons ou F<strong>la</strong>mands, bien acclimatés,et 300 Brésiliens, <strong>la</strong> plupart libres, mais idolâtres;ceux esc<strong>la</strong>ves étaient chrétiens; il y avait en tout900 personnes, apportant avec elles <strong>de</strong>s richesses immenses, en or ou en argent monnayé, en pierrerieset en vaisselle. Parmi eux, se trouvaient <strong>de</strong>ux nègres,dont l'un savait fabriquer les formes à sucre, qu'onétait auparavant obligé <strong>de</strong> faire venir, à grands frais,


(221)<strong>de</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong> ; et l'autre s'entendait à préparer <strong>la</strong> 1654.terre pour terrer le sucre. Ces étrangers assurèrentque le sol <strong>de</strong> <strong>la</strong> Capesterre, où se trouvaient lesprincipales propriétés <strong>de</strong> M. Houël, était parfait pour<strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s cannes, et qu'ils y feraient <strong>de</strong> plusbeau sucre que celui du Brésil. Enhardi par leurspromesses, ce gouverneur passa un contrat avec eux,et se procura, en payant fort cher, tout ce qui étaitnécessaire à une gran<strong>de</strong> exploitation. Mais ces bril<strong>la</strong>ntesespérances s'évanouirent avec les Hol<strong>la</strong>ndais,qui tardèrent peu à se retirer dans leur pays. LaMartinique ne fut pas plus heureuse avec 3oo réfugiés<strong>de</strong> <strong>la</strong> même nation, que M. Duparquet avaitenfin accueillis, à l'exemple <strong>de</strong> M. Houël ; au bout<strong>de</strong> trois ans, il ne restait plus aucun <strong>de</strong> ces Hol<strong>la</strong>ndaisavi<strong>de</strong>s, qui épuisèrent les <strong>de</strong>ux colonies <strong>de</strong>tout l'argent monnayé (1).A l'arrivée <strong>de</strong>s Brésiliens, les Caraïbes, voyantmultiplier les usurpateurs entreprenants, dont lesétablissements à Marie-Ga<strong>la</strong>nte, à Sainte-Lucie et à<strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>, les menaçaient d'une ruine totale,voulurent tenter <strong>de</strong> nouveaux efforts, pour s'en débarrasser;ils firent diverses irruptions dans ces îles,massacrèrent beaucoup d'habltants, et portèrent <strong>la</strong>majeure partie <strong>de</strong> leurs forces contre <strong>la</strong> Martinique.(1) Dutertre, pages 460 et suivantes.


(222)1654. L'intrépi<strong>de</strong> Duparquet faillit succomber sous leurscoups, mais à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> quatre vaisseaux <strong>de</strong> guerrehol<strong>la</strong>ndais, qui abordèrent dans <strong>la</strong> ra<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saint-Pierre, et lui donnèrent <strong>de</strong>s secours, il battit les Caraïbes, parvint à les chasser, et l'année suivante, illes contraignit à lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>la</strong> paix.Le gouverneur Houël ayant vainement tenté, parses lettres, <strong>de</strong> déterminer son beau-frère Boisseret,à lui cé<strong>de</strong>r sa part <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, crut ne pouvoiratteindre ce but, l'objet <strong>de</strong> tous ses désirs, qu'ense rendant en France. Il partit, le 9 juillet 1654,<strong>la</strong>issant le comman<strong>de</strong>ment à son frère, le chevalierHouël, et à son neveu Boisseret d'Herb<strong>la</strong>y. La Gua<strong>de</strong>loiipen'avait alors que 1,200 hommes portant armes, dont 5oo étaient encore <strong>de</strong> ces Brésiliens , surlesquels on comptait peu; les magasins se trouvaienttotalement vi<strong>de</strong>s; les prisons étaient remplies <strong>de</strong> <strong>de</strong>tenus;et l'a colonie entière était exaspérée. Les nouveauxcommandants, meilleurs politiques, commencèrentpar mettre tous les prisonniers en liberté,et se conduisirent avec tant <strong>de</strong> modération et <strong>de</strong>pru<strong>de</strong>nce, qu'ils firent cesser les p<strong>la</strong>intes, rappelèrent<strong>la</strong> confiance, et avec elle, <strong>la</strong> tranquillité. Lorsque<strong>la</strong> flotte ang<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> l'amiral Penn, parut, cetteannée, <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, tous les habitansétaient si bien disposés, qu'ils se levèrent en. masse,pour se porter à <strong>la</strong> défense commune.Cromwel, indigné <strong>de</strong>s cruautés commises par les


(223)Es pagnols, contre <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, aux îles <strong>de</strong> Saint 1654.Christophe, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue, <strong>de</strong> Sainte-Croix, et <strong>de</strong>scrimes <strong>de</strong> l'inquisition, dans toute l'Amérique , envoyadans ces mers Une escadre forte <strong>de</strong> 70 voileset <strong>de</strong> 10,000 combattans, pour les attaquer, et fairereconnaître son autorité dans le Nouveau-Mon<strong>de</strong>.Cet armement, ayant manqué les <strong>de</strong>ux entreprisestentées contre <strong>la</strong> Vera-Cruz et <strong>la</strong> Havane, se présenta<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, mais bien affaibli,parles ma<strong>la</strong>dies et par une mauvaise administration,<strong>de</strong>puis son apparition dans ces parages. Les retranehemeasqu'on avait eu le temps d'élever sur toute<strong>la</strong> côte , et <strong>la</strong> bonne contenance <strong>de</strong>s habitans, en impo&^r&ntà l'ennemi, au point, qu'il n'osa pas tenterune attaque. La flotte fi<strong>la</strong> sur Saint-Christophe, oùle bailli <strong>de</strong> Poincy n'accorda aux troupes ang<strong>la</strong>ises,<strong>la</strong> permission d'en traverser les établissements, qu'aprèsavoir renouvelé l'alliance contractéе, à plusieursreprises, entre les <strong>de</strong>ux nations (i).Cette flotte, se dédommagea <strong>de</strong>. l'inutilité <strong>de</strong> ses 1655.efforts, par <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> Jamaïque, qu'elle attaquaen mai, et où elle trouva, à рeine, 1,500 Espagnols(2). Le Protecteur, par cette conquête, préparaità sa nation une source, intarissable <strong>de</strong> ri-(1) Dutertre, vol. 1 er , pages 470 et suiv.(2) L'ex-moine Thomas Gage, se trouvait sur cette es-


(224)1655. chesses, qu'elle <strong>de</strong>vait recueillir plus tard, et que luipromettaient alors les progrès rapi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ses établissements.Peut-on s'en étonner , lorsqu'on a vu,<strong>de</strong> tout temps, le succès <strong>de</strong> ses colonies dépendre<strong>de</strong> <strong>la</strong> volonté nationale, beaucoup plus que <strong>de</strong>s caprices<strong>de</strong>s courtisans (1).Sans cesse occupés d'améliorations, les Ang<strong>la</strong>iss'étaient empressés, en 1641, <strong>de</strong> transporter du Brésilà <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>, <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne, qui y réussitcadre; il avait donné le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> l'expédition contre <strong>la</strong> Jamaïque, et il périt dans l'exécution.(1) La Jamaïque, une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s Antilles, n'égalepas tout-à-faitSaint-Domingue en fertilité; mais parson industrie, elle est <strong>de</strong>venue <strong>la</strong> première colonie <strong>de</strong>sAng<strong>la</strong>is aux Antilles. Située par les 18° 35' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>nord, et par les 80° 48' <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>, méridien <strong>de</strong> Paris,elle est à 24 lieues à l'ouest <strong>de</strong> Saint-Domingue. Cette île,<strong>de</strong> figure ovale, a 47 lieues <strong>de</strong> long sur 20 <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge, et160 <strong>de</strong> circuit. Toutes les productions coloniales y abon<strong>de</strong>nt,et son rum jouit <strong>de</strong> <strong>la</strong> plus haute réputation. Sapopu<strong>la</strong>tion, en 1818, était <strong>de</strong> :B<strong>la</strong>ncs . 31,700.Gens <strong>de</strong> couleur libres 16,430.Esc<strong>la</strong>ves. * . 327,172.Ses exportations se com-375,302.


(125)au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute attente. Ils eurent soin <strong>de</strong> <strong>la</strong> pro- 1655.pager, et disposèrent leur nouvelle conquête à <strong>de</strong>venir une <strong>de</strong>s plus florissantes colonies <strong>de</strong> l'Amerique (1).<strong>de</strong>: . . . . . . 121,000 barriques <strong>de</strong> sucre.61,000 barriques <strong>de</strong> rum.27,558,000 livres <strong>de</strong> café.Le café y a pris faveur au préjudice <strong>de</strong> l'indigo et <strong>de</strong>sautres cultures.Comme sa métropole, <strong>la</strong> Jamaïque à une chambre doreprésentants, que nomment les colons, et un grand conseil<strong>de</strong>s douze, ayant les attributions <strong>de</strong> <strong>la</strong> chambre <strong>de</strong>sPairs, et étant à <strong>la</strong> nomination du roi; ces <strong>de</strong>ux chambresdiscutent et déci<strong>de</strong>nt les affaires comme le parlementd'Angleterre.L'intérieur <strong>de</strong> l'île, nommé les montagnes Bleues, estpresqu'inaccessible; ces montagnes sont occupées, <strong>de</strong>puis<strong>la</strong> conquête, par dos nègres marrons qu'on tenta vainement<strong>de</strong> détruire. En 17З9, on fit un traité avec eux, d'aprèslequel on reconnut leur indépendance; <strong>de</strong>puis ce tempson leur a toujours fourni <strong>de</strong>s munitions et payé un tributpour conserver <strong>la</strong> tranquillité; ils sont fidèles à leur promesse<strong>de</strong> ne recevoir parmi eux aucun autre nègre marron.(1) Ce ne fut que cinq ans plus tard, en 1660, que <strong>la</strong>Jamaïque commença à cultiver <strong>la</strong> canne à sucre.II. 15


(226)CHAPITRE VII.Révolte <strong>de</strong>s noirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, comprimée. — Proscriptions du gouverneur Houel. — Paix générale avecles sauvages. — Nouveaux troubles excités par M. Houel.— Création <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> compagnie. — Notice historiquesur les îles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique et <strong>de</strong> Saint-Vincent.1656 QUOIQUE <strong>la</strong> traite ne se fît que faiblement, etque le gouvernement français n'eût pas encore songéà l'encourager, le nombre <strong>de</strong>s nègres augmentaitcependant, à mesure que <strong>la</strong> coutume d'avoir <strong>de</strong>sengagés, tombait en désuétu<strong>de</strong>. Leur nombre étaitdéjà bien plus considérable à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , quecelui <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>ncs , lorsque <strong>de</strong>ux d'entre eux préparèrent,<strong>de</strong> longue main, tous les nègres venus <strong>de</strong><strong>la</strong> côte d'Angole à massacrer les habitans, à s'emparer<strong>de</strong> leurs femmes et <strong>de</strong> leurs biens, et à créer<strong>de</strong>ux rois <strong>de</strong> leur nation, dans l'île, l'un à <strong>la</strong> Basse-Terre , et l'autre à <strong>la</strong> Capesterre. Ce soulèvementétait d'autant plus dangereux, que M. Houël, plusconfiant dans les esc<strong>la</strong>ves, que dans les habitans


(227)qu'il opprimait, leur avait appris à manier les armes. 1656.Le jour pris pour l'exécution, les nègres <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre , presque tous du Cap-Verd, n'osant pas sefier à ceux d'Angole , avec lesquels ils étaient continuellementen guerre en Afrique , manquèrentheureusement <strong>de</strong> parole. Les autres, exacts au ren<strong>de</strong>z-vous, commencèrent par faire main-basse surtous les b<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> l'habitation <strong>de</strong> <strong>la</strong> Capesterre, oùils avaient promis <strong>de</strong> se trouver, se saisirent <strong>de</strong>toutes les armes et gagnèrent les bois, espérant êtrejoints par leurs camara<strong>de</strong>s. M. <strong>de</strong> Boisseret, neveu,qui commandait dans cette partie <strong>de</strong> l'île, <strong>la</strong> mit sousles armes, mais ne put parvenir jusqu'aux révoltés,ni s'opposer à leurs excursions nocturnes, sur leshabitations voisines <strong>de</strong>s bois, qu'ils déso<strong>la</strong>ient parleurs pil<strong>la</strong>ges et remplissaient <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil. Un habitantwallon, M. Despinay, venu du Brésil, prit20 hommes déterminés avec lui, leur fit une guerreà outrance , dans leurs réduits, et parvint à les détruiretous.Dans ces mêmes temps, <strong>la</strong> colonie éprouva, enquinze jours, les ravages <strong>de</strong> trois ouragans, et d'unequantité énorme <strong>de</strong> grosses chenilles qui dévorèrenttout ce qui pouvait rester <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ntations. Elle étaiten proie à <strong>la</strong> disette <strong>la</strong> plus affreuse (1), lorsque(1) Voir, au 1 er vol. le détail <strong>de</strong> ces ouragans, page 29115


(228)1656. M. Houël y arriva, avec quelques soldats, revenant<strong>de</strong> Paris, où il avait épousé une <strong>de</strong>moiselle Hincelin.11 n'avait pu réussir à se faire cé<strong>de</strong>r l'autre moitié<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par son beau-frère Boisseret, ets'était emporté si violemment contre lui, que cepauvre vieil<strong>la</strong>rd était mort <strong>de</strong> frayeur, <strong>la</strong>issant saveuve, sœur d'Houël, dans <strong>la</strong> déso<strong>la</strong>tion. Jaloux <strong>de</strong><strong>la</strong> bonne administration <strong>de</strong> son frère et <strong>de</strong> son neveu, pendant son absence, il affecta <strong>de</strong> blâmer tousleurs actes, les maltraita, poussa même l'outragejusqu'à mettre aux fers son neveu, Boisseret-d'Herb<strong>la</strong>y,et , pour se soustraire à leurs p<strong>la</strong>intes et àleurs récriminations, il les renvoya tous <strong>de</strong>ux enFrance , sans aucun secours.1657. Dès qu'ils furent partis, il doub<strong>la</strong> les droits seigneuriauxet, sous prétexte d'exempter les habitans<strong>de</strong> monter <strong>la</strong> gar<strong>de</strong>, il en exigea 218 liv. <strong>de</strong> tabacpar tête, au lieu <strong>de</strong> 109 ; bientôt après, il augmentacet impôt, déjà excessif, <strong>de</strong> 60 autres livres <strong>de</strong> tabac.La colonie indignée prit les armes et se révoltacontre lui. Il l'appaisa, en lui accordant <strong>la</strong> suppressionentière <strong>de</strong>s droits seigneuriaux, et celle <strong>de</strong>s corvées;il lui fit remise <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> ce qu'elle payaitpour l'entretien <strong>de</strong> <strong>la</strong> garnison, et prononça uneamnistie absolue, pour tous les habitans. Mais iln'eut pas plutôt repris son autorité, qu'il renvoyaen France son autre neveu, Boisseret <strong>de</strong> Téméricourt,que les colons avaient voulu mettre à sa p<strong>la</strong>ce. H


(229)expulsa <strong>de</strong> l'île, plus <strong>de</strong> cent chefs <strong>de</strong> famille, dont 1657.l'opinion ne lui était pas favorable; funeste exemple<strong>de</strong> proscription que nous verrons les Ang<strong>la</strong>is , <strong>de</strong>nos jours, suivre avec toute <strong>la</strong> dureté <strong>de</strong>s premierstemps.Incapable <strong>de</strong> modérer l'aiguillon <strong>de</strong> son avarice,Houël changea bientôt le nom <strong>de</strong> capitation en celui<strong>de</strong> dixme, et préleva le dixième sur tous les biens<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie (1).Quelle différence dans <strong>la</strong> conduite du respec- 1658.table Duparquet, que <strong>la</strong> Martinique eut <strong>la</strong> douleur<strong>de</strong> perdre, le 3 janvier 1658, et dont long-temps, elleregretta le gouvernement! Les nègres <strong>de</strong> cette colonietrouvaient un asile, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans, auprès <strong>de</strong>sCaraïbes qu'on avait confinés dans <strong>la</strong> partie N.-O.<strong>de</strong> l'île, et faisaient souvent <strong>de</strong>s irruptions avec eux.On marcha contre ces agresseurs, en 1658; ils furentbattus, on bru<strong>la</strong> leurs carbets.... leurs femmes, leursenfants furent massacrés, et les Caraïbes, qui échappèrentau carnage, abandonnèrent <strong>la</strong> Martiniquepour n'y plus reparaître.Cependant <strong>la</strong> veuve Boisseret, a<strong>la</strong>rmée <strong>de</strong> <strong>la</strong> con- 1659.duite du gouverneur son frère, se décida à renvoyerà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ses <strong>de</strong>ux fils, d'Herb<strong>la</strong>y et <strong>de</strong> Téméricourt,mais sous les auspices <strong>de</strong> son frère, le(1) Dutertre, vol. 1 er pages 550 et suiv.


(230)1659. chevalier Houël, qui s'était fait chérir <strong>de</strong> toute <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> l'île pendant qu'il y avait commandé,et qu'elle intéressa à leur sort, en lui cédant, parcontrat du 12 avril 1659, <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong> ses droitssur <strong>la</strong> colonie. Celui-ci fit les préparatifs <strong>de</strong> départdans le plu s grand secret; il mit à <strong>la</strong> voile au commencement<strong>de</strong> juin, emmenant cent vigoureux soldats, pour servir <strong>de</strong> point <strong>de</strong> ralliement aux habitansqui voudraient se réunir à lui, et arriva à Marie-Ga<strong>la</strong>nteà <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> juillet. Le commandant et <strong>la</strong>garnison <strong>de</strong> cette île lui ayant prêté serment <strong>de</strong> fidélité, il en prit vingt <strong>de</strong>s plus braves, et se rendit à<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Il fit débarquer son neveu Téméricourtà <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> anse <strong>de</strong>s Trois-Rivières, pour se.rendre, par terre, au fort <strong>de</strong> Sainte-Marie, passa luimême<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> pointe du fort où résidait son frère,et débarqua dans <strong>la</strong> ra<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. Le gouverneurcommença, le 2g juillet, par les faire déc<strong>la</strong>rercriminels <strong>de</strong> lèze-majesté, et finit par consentirà partager légalement <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et lestrois îles qui en dépendaient, en <strong>de</strong>ux lots. Les limitesdu partage, pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, furent <strong>la</strong>rivière du Baillif à l'ouest, avec une ligne imaginairetirée par le sommet <strong>de</strong>s montagnes jusqu'à <strong>la</strong>gran<strong>de</strong> rivière Goyave, à l'est. Le premier lot, celui<strong>de</strong> l'ouest, échut à <strong>la</strong> succession Boisseret, dont leshéritiers construisirent, près <strong>la</strong> rivière du Baillif,le fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ma<strong>de</strong>leine. Le second lot, celui <strong>de</strong> l'est,


(231)échut à M. Houël : il fut stipulé, le 5 août, qu'ils 1659,auraient chacun sur leur lot <strong>de</strong>s droits et <strong>de</strong>s privilègeségaux; mais que l'aîné Houël conserverait lelitre <strong>de</strong> gouverneur, sa vie durant; et qu'en cas <strong>de</strong>réunion <strong>de</strong> leurs troupes, pour <strong>la</strong> défense commune,il en aurait le comman<strong>de</strong>ment général. La paixque <strong>la</strong> France conclut cette année (1659) avec l'Espagne,fut un présage heureux <strong>de</strong> celle qui termina,dans les Antilles, les guerres sang<strong>la</strong>ntes que lesCaraïbes n'avaient cessé <strong>de</strong> faire à leurs spoliateurs.Le 31 mars 1660 , <strong>la</strong> paix générale, traitée par le 1660.bailli <strong>de</strong> Poincy et le général <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, pour lesîles <strong>de</strong> l'une et l'autre nation, fut conclue avec lessauvages, par l'intermédiaire <strong>de</strong> M. Houel. Les Caraïbesy accédèrent, en abandonnant à leurs vainqueurstoutes les îles, à l'exception <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominiqueet <strong>de</strong> Saint-Vincent , qu'ils se réservèrent poury concentrer les restes <strong>de</strong> leur malheureuse popu<strong>la</strong>tion, réduite à environ 6,000 individus ; ces îlesfurent déc<strong>la</strong>rées neutres (1).(1) La Dominique, p<strong>la</strong>cée entre <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>la</strong> Martinique,par les 15° 18' 25" <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et par les 63 52'35" do longitu<strong>de</strong>, a 10 lieues du sud au nord, 5 lieues<strong>de</strong> l'est à l'ouest, et 24 <strong>de</strong> tour. Sa popu<strong>la</strong>tion est d'environ2,000 b<strong>la</strong>ncs, 1,000 gens <strong>de</strong> couleur , libres , et 18à 20,000 esc<strong>la</strong>ves. En 1732 on y trouva 938 Caraïbes


(232)1660. Ce pacte fut solennellement signé à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par les divers envoyés <strong>de</strong>s Caraïbes et parle gouverneur Houël, chargé <strong>de</strong> <strong>la</strong> procuration dugénéral ang<strong>la</strong>is. Depuis cette époque, on ne vit plusd'hostilités se renouveler <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s sauvages.il fut bien plus difficile <strong>de</strong> maintenir <strong>la</strong> paix dans<strong>la</strong> famille <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. L'acariâtregouverneur ne tarda pas à susciter <strong>de</strong> nouveauxdifférends entre lui, son frère et ses neveux. Sonbeau-frère Hincelin, qui se trouvait sur les lieux,répandus dans 32 carbets; et, sur <strong>la</strong> côte, 349 français,s3 mulâtres libres et 338 esc<strong>la</strong>ves. Elle appartint à <strong>la</strong>France , jusqu'au traité <strong>de</strong> 1763, qu'elle fut cédée à l'Angleterre.En 1778 M. <strong>de</strong> Bouillé s'en empara, et on y trouvaencore une trentaine <strong>de</strong> familles caraïbes. Elle fut restituéeà l'Angleterre par le traité <strong>de</strong> Versailles <strong>de</strong> 1783.Les montagnes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique, couvertes <strong>de</strong> bois <strong>de</strong>construction , dominent <strong>de</strong>s vallées d'une fertilité remarquable.Les Ang<strong>la</strong>is s'y sont fortifiés pour être à portée<strong>de</strong> nuire à <strong>la</strong> Martinique et à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.L'île <strong>de</strong> Saint-Vincent est située, à six lieues sud, <strong>de</strong>Sainte Lucie, par les 13° 15' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> , et les 63' 35'<strong>de</strong> longitu<strong>de</strong> ; elle est à-peu-près ron<strong>de</strong> et a 8 lieues <strong>de</strong>long, autant <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge, et 25 <strong>de</strong> circuit. Un navire faisant <strong>la</strong>traite échoua sur ses côtes, vers l'année 1 700. Les nègresqui s'échappèrent dans les montagnes furent accueillispar les Caraïbes , et <strong>de</strong>vinrent si nombreux par leur union


(233)crut <strong>de</strong>voir prendre parti en sa faveur ; ils faillirent 1660.en venir aux mains, et on fut obligé <strong>de</strong> faire intervenirle roi dans leur querelle. Par une lettre, queS. M. écrivit au bailli <strong>de</strong> Poincy, le 25 mai, il futchargé, en sa qualité <strong>de</strong> lieutenant-général, pour leroi, dans les îles, <strong>de</strong> rétablir <strong>la</strong> paix à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et d'arrêter les entreprises du sieur Houëlcontre <strong>la</strong> veuve Boisseret et ses enfants (1). Ce futlà le <strong>de</strong>rnier ordre du roi que reçut le bailli ; ce vieil<strong>la</strong>rd, tout cassé par les ans et les infirmités, venaitavec ces indigènes, et par les nègres fugitifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>,qu'on les appe<strong>la</strong> les Caraïbes noirs pour les distinguer <strong>de</strong>sindigènes qui étaient rougeâtres.La paix <strong>de</strong> 1763 , soumit Saint-Vincent à l'Angleterre.Les Caraïbes, furieux <strong>de</strong> cette cession illégitime, leur firentune guerre cruelle jusqu'en 1773, que <strong>la</strong> paix fut cimentée;alors on leur assigna pour limites <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong> Bayra etles hauteurs du château Be<strong>la</strong>ir. En 1779 ils reprirent lesarmes en faveur <strong>de</strong>s Français qui s'emparèrent <strong>de</strong> l'île,mais qui <strong>la</strong> rendirent aux Ang<strong>la</strong>is à <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> 1783.La popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> Saint-Vincent est aujourd'hui d'environ15 à 1600 b<strong>la</strong>ncs ou libres, et 1 2 à 14,000 esc<strong>la</strong>ves,y compris une peup<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong> Caraïbes, qui en occupent encore<strong>la</strong> partie orientale. Elle produit du sucre, <strong>de</strong> l'indigoet du tabac, recherché pour son parfum.(1) Dutertre 1 er vol. pages 564 et suiv.


(234)l660. d'offrir le triste exemple que <strong>la</strong> sordi<strong>de</strong> passion <strong>de</strong>l'argent ne travaille jamais plus cruellement leshommes qu'à leurs <strong>de</strong>rniers moments. Au commencement<strong>de</strong> l'année, il avait changé les droits seigneuriaux, qui étaient <strong>de</strong> cent livres <strong>de</strong> tabac, en centlivres <strong>de</strong> sucre, <strong>de</strong>nrée encore rare et d'un prix élevé.Cette dure exaction excita un cri général à Saint-Christophe; mais comme on ne <strong>de</strong>vait payer qu'à<strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l'année, on espéra que <strong>la</strong> parque propicetrancherait, avant cette époque, toute difficulté. Eneffet, cet administrateur éc<strong>la</strong>iré, grand politique,homme d'esprit, qui s'était montré jusque là magnifique,généreux et bienfaisant, mourut le 11 août, âgé<strong>de</strong> 77 ans, après avoir commandé les îles pendant21 ans. Il fut remp<strong>la</strong>cé par le comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>Sales, à qui on donna le titre d'administrateur <strong>de</strong><strong>la</strong> seigneurie <strong>de</strong> Saint-Christophe, chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> nationfrançaise, établi par le roi, pour son éminence legrand-maitre <strong>de</strong> Malte.A <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Poincy, le gouverneur Houëldonna un libre cours à son humeur violente et tyrannique;<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe fut plusieurs fois au moment <strong>de</strong>voir éc<strong>la</strong>ter <strong>la</strong> guerre civile dans son sein, par les divisions<strong>de</strong>s habitants, forcés <strong>de</strong> prendre parti pour leseigneur dans le partage duquel ils étaient tombés.Ces nouvelles difficultés firent faire à M. Houël untroisième voyage en France. L'affaire du partage y


(235)fut soumise à un arbitrage, et le 18 octobre, on renditune sentence qui parut contenter les <strong>de</strong>ux parties.Mais le gouverneur ne fut pas plutôt <strong>de</strong> retour à 1661<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, qu'il y renouve<strong>la</strong> les mêmes procédésil se p<strong>la</strong>ignit que ses <strong>de</strong>ux neveux avaient voulul'assassiner, et fit rendre un jugement qui enjoignaitaux habitans, dans le cas où les sieurs d'Herb<strong>la</strong>y, <strong>de</strong>Téméricourt et plusieurs autres personnes désignéescomme leurs complices, marcheraient armés sur lesterres <strong>de</strong> sa juridiction, <strong>de</strong> sonner le tocsin, <strong>de</strong> lesarrêter et <strong>de</strong> les conduire dans ses prisons (1).Ce jugement fut <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> fréquents désordresdans cette malheureuse colonie. Depuis le jour <strong>de</strong> safondation, elle semb<strong>la</strong>it <strong>de</strong>stinée à servir <strong>de</strong> théâtreaux passions les plus orageuses , aux plus affreusesca<strong>la</strong>mités, sans cesser d'être en butte aux capricesextravagants <strong>de</strong> ses chefs , parmi lesquels l'infortunéAubert s'était montré comme un <strong>de</strong> ces météoresbienfaisants, dont <strong>la</strong> douce influence ne dure quequelques instants. Beaucoup d'individus <strong>de</strong>vinrentvictimes <strong>de</strong> ces divisions; plusieurs établissementsfurent ruinés ; <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, en proie à <strong>la</strong> plusaffreuse anarchie, était, dans un cadre plus étroit,l'image <strong>de</strong> <strong>la</strong> France désolée par les factions. Maisbientôt <strong>la</strong> France, <strong>de</strong>venue <strong>la</strong> première monarchie(1) Dutertre, vol. 1 er pag. 569 et suiv.


(236)1661 <strong>de</strong> l'Europe, ne tarda pas à se p<strong>la</strong>cer au rang1662. <strong>de</strong>s puissances maritimes. Elle aurait sans douteobtenu <strong>la</strong> même suprématie aux Antilles, si ses <strong>de</strong>uxrivales, l'Angleterre et <strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, ne s'étaientréunies plus tard pour arrêter ses progrès. Colbertsut mettre à profit cet état <strong>de</strong> splen<strong>de</strong>ur, pour perfectionneret agrandir le système commercial <strong>de</strong>Richelieu, et il était réservé à sa sagesse <strong>de</strong> mettreles colonies sous <strong>la</strong> main du gouvernement, pour yétablir une administration régulière. Mais les coloniesn'entraient que d'une manière très-secondairedans <strong>la</strong> politique <strong>de</strong> ce ministre, si supérieur auxhommes d'état <strong>de</strong> son temps. Craignant qu'elles ne<strong>de</strong>vinssent un obstacle à ses vastes p<strong>la</strong>ns , en épuisant<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, que le goût <strong>de</strong>sinnovations et l'appât <strong>de</strong> <strong>la</strong> fortune attirait aux îles,il se <strong>la</strong>issa entraîner, par l'esprit du siècle où il vivait,et s'occupa <strong>de</strong> remettre les colonies sous le joug <strong>de</strong>srèglements prohibitifs et d'une société exclusive,genre d'administration que l'expérience et les principesse réunissaient pour proscrire. Colbert vou<strong>la</strong>it,d'ailleurs, faire concourir à ses <strong>de</strong>sseins lesgran<strong>de</strong>s ressources <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie <strong>de</strong> Terre-Fermeou <strong>de</strong> <strong>la</strong> France équinoxiale, qu'on venait <strong>de</strong> créerpour Cayenne, persuadé qu'elles ne pouvaient quepromettre <strong>de</strong>s succès et <strong>de</strong>s bénéfices considérables.Il résolut donc <strong>de</strong> <strong>la</strong> transformer en une compagniegénérale, qu'on appellerait compagnie <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s


(237)occi<strong>de</strong>ntales, d'étendre à tout le continent <strong>de</strong> l'A- 1662.mérique, aux Antilles et à toutes les côtes d'Afriqueles concessions qui lui avaient été faites, et <strong>de</strong> <strong>la</strong>rendre assez puissante pour qu'elle pût concentrer,dans les ports <strong>de</strong> France, le commerce que les étrangersfaisaient dans ces vastes contrées. La seuleappréhension qu'il pouvait avoir, pour l'exécution<strong>de</strong> ce projet, c'est que les particuliers, possesseurs<strong>de</strong>s îles françaises, ne profitassent <strong>de</strong> l'aversion généralepour les compagnies, et ne les fissent souleveren leur faveur; mais M. Houël, sans s'en douter,leva cette difficulté et app<strong>la</strong>nit tous les obstacles.Ce gouverneur, ne pouvant souffrir que ses neveuxpartageassent son pouvoir et sa fortune , et vou<strong>la</strong>ntà tout prix être seul maître <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>de</strong>ses dépendances, avait envoyé sa femme à Paris portercontre ses neveux <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>intes et <strong>de</strong>s imputations sigraves, qu'elles firent ordonner par <strong>la</strong> cour, à <strong>la</strong> fin<strong>de</strong> novembre 1663, le rappel <strong>de</strong> MM. d'Herb<strong>la</strong>y et 1663.<strong>de</strong> Téméricourt, et une enquête sur leur conduite.Mais leur mère, <strong>la</strong> veuve Boisseret, <strong>de</strong>venue madame<strong>de</strong> Champigny, vint à bout <strong>de</strong> faire éc<strong>la</strong>terleur innocence ; elle accusa à son tour son frèreHouël, et <strong>la</strong> cour rendit commun à ce gouverneur,et à tous ceux qui seraient trouvés coupables <strong>de</strong>troubles , l'ordre <strong>de</strong> rappel et d'enquête.Ces accusations indécentes et réitérées ayant fait 1664,le plus grand bruit à Paris, avaient dévoilé à <strong>la</strong>


(238)1664. cour mille petits secrets, qui <strong>la</strong> mirent en droit <strong>de</strong>dépossé<strong>de</strong>r, avec justice, tous les seigneurs propriétairesd'île. En conséquence, un arrêt du conseildu roi, daté du 17 avril 1664 , mais qu'on tintsecret jusqu'au mois <strong>de</strong> juillet, les obligea à produire,<strong>de</strong>vant le conseil, les contrats <strong>de</strong> leurs acquisitions,pour être remboursés du prix d'achat, ainsique <strong>de</strong>s dommages qui auraient pu être causés ou<strong>de</strong>s améliorations qui auraient été faites.Un édit du roi, du mois <strong>de</strong> mai, établit cette singulièrecompagnie; lui accorda, pendant 40 ans, àl'exclusion <strong>de</strong> tous autres , le droit <strong>de</strong> commerce et<strong>de</strong> navigation dans les mers <strong>de</strong> l'Amérique et <strong>de</strong>l'Afrique; exempta <strong>de</strong> tout impôt les <strong>de</strong>nrées qu'elleimporterait dans ces établissements; lui concéda, àperpétuité, <strong>la</strong> jouissance, en toute propriété, <strong>de</strong>svastes contrées déjà découvertes, ainsi que <strong>de</strong> toutesles terres qu'elle pourrait conquérir, et habiter pendantces 40 ans ; ne lui imposant, envers le souverain, d'autre <strong>de</strong>voir que <strong>la</strong> seule foi et hommageligeet le don d'une couronne d'or <strong>de</strong> 3o marcs, àchaque mutation <strong>de</strong> roi. Une somme égaie audixième du montant <strong>de</strong> ses capitaux lui fut prêtéepour quatre ans et sans intérêt.Pour faciliter à <strong>la</strong> noblesse les moyens <strong>de</strong> profiter<strong>de</strong> tant <strong>de</strong> faveurs et <strong>de</strong> s'enrichir, il fut décidé ,par ordonnance, que les associés <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagniene dérogeraient ni à leurs titres, ni à leurs privilèges.


(239)CHAPITREVIII.Le gouvernement rachète les îles françaises <strong>de</strong>s Antilles.— Le général Prouville <strong>de</strong> Tracy en prend possessionau nom du roi, et y établit <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> compagnie; ilrenvoie en France M. Houël et ses <strong>de</strong>ux neveux, — Invasion<strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is h Sainte-Lucie.LE lieutenant-général, Prouville <strong>de</strong> Tracy, nom- 1664.mé, le 19 novembre 1663, lieutenant-général pour leroi, <strong>de</strong> tous les établissements français d'Amérique,fut chargé d'aller prendre possession <strong>de</strong>s Antillesavec les troupes <strong>de</strong> S. M. et <strong>de</strong> mettre à exécutionles ordres particuliers qu'il avait reçus contreM. Houël, et ses <strong>de</strong>ux neveux.Ce général, parti le 26 février, al<strong>la</strong> prendre possession<strong>de</strong> Cayenne, qui était entre les mains <strong>de</strong>sHol<strong>la</strong>ndais. Il quitta cet établissement, le 25 mai,pour venir aux Antilles, non sans craindre que lesseigneurs-propriétaires ne voulussent s'opposer àl'exécution <strong>de</strong>s mesures qu'il <strong>de</strong>vait prendre contreeux. Mais arrivé à <strong>la</strong> Martinique, le 1 erjuin, il y fut


(240)1664. parfaitement accueilli et reconnu dans tous sesdroits.Cette île était agitée par une infinité <strong>de</strong> procèset <strong>de</strong> désordres, qu'avaient entraînés les vices et lesabus introduits dans <strong>la</strong> partie judiciaire. Il s'appliquaà les réformer et à distribuer lui-même <strong>la</strong> justice;il termina tous les différents à <strong>la</strong> satisfaction<strong>de</strong>s habitans; fit publier, le 19 juin, une ordonnance<strong>de</strong> police très-sage; jugea à propos <strong>de</strong> continuer,dans son comman<strong>de</strong>ment, M. <strong>de</strong> Clermont,tuteur <strong>de</strong>s enfants <strong>de</strong> M. Duparquet, et se fit aimer,craindre et estimer <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> colonie. Pendant cetemps, M. Houël et ses <strong>de</strong>ux neveux lui envoyèrent,séparément, <strong>de</strong>s députations pour capter sa bienveil<strong>la</strong>nce, pressentir les ordres dont il était porteur,et se prémunir contre les p<strong>la</strong>intes fondées ou non,que <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion irritée par <strong>de</strong>s actes arbitraires ,ou égarée par <strong>de</strong>s intrigants , ne manque jamais ,aux colonies , <strong>de</strong> porter contre ses chefs, lorsqu'elleles voit attaqués par une puissance supérieure.Le général rejeta les présens considérables queM. Houël vou<strong>la</strong>it lui faire accepter, et déc<strong>la</strong>ra quele seul moyen que lui et ses neveux avaient <strong>de</strong> semettre à couvert, était <strong>de</strong> se rendre sur-le-champauprès du roi pour se justifier.M. <strong>de</strong> Tracy, arrivé à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe le 23 juin ,y fut reçu avec les mêmes honneurs qu'à <strong>la</strong> Martinique.11 intima à M. Houël les ordres du roi pour


(241)son rappel, et ce gouverneur mit à <strong>la</strong> voile, pour <strong>la</strong> 1664.France, le 4 juillet. Le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> son départ,M. <strong>de</strong> Tracy abolit tous les droits que M. Houël avaitimposés ; il rétablit le droit unique <strong>de</strong> 5o livres <strong>de</strong>tabac ou <strong>de</strong> sucre, pour <strong>la</strong> compagnie , d'autantpour le gouverneur , et réduisit à un pour cent ledroit <strong>de</strong> poids.M. d'Herb<strong>la</strong>y, sans s'être <strong>la</strong>issé aller à d'aussidures exactions, prélevait néanmoins, sur chaquehabitant, 5o livres <strong>de</strong> tabac, en sus <strong>de</strong>s i 00 livresanciennement imposées; M. <strong>de</strong> Tracy. rendit cedroit égal dans toute <strong>la</strong> colonie (1).MM. d'Herb<strong>la</strong>y et <strong>de</strong> Téméricourt partirent pourFrance, le 12 juillet 1664, huit jours après leur oncle.Dès le len<strong>de</strong>main , le général <strong>de</strong> Tracy retira lesgarnisons <strong>de</strong>s trois forts (2) <strong>de</strong> l'île, et en fit prendrepossession par les troupes du roi. 11 <strong>la</strong>issa lechevalier Hincelin, dont il connaissait <strong>la</strong> bonneconduite, les talens et le courage, dans le fort <strong>de</strong><strong>la</strong> Basse-Terre pour y prendre soin <strong>de</strong>s intérêts <strong>de</strong>(1) Dutertre, 3 e vol., imprimé en 1671, pages 76 etsuivantes.(2) Ces trois forts étaient; celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe Sud <strong>de</strong>l'île , construit par Lolive ; celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, élevépar M. Houël; et celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ma<strong>de</strong><strong>la</strong>ine, bâti par M.d'Herb<strong>la</strong>y, au Baillif.II. 16


(242)1664. M. Houël, son beau-frère, et commit M. Dulion aucomman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> ce fort. Il établit M. Vincentcommandant du fort <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ma<strong>de</strong>leine , au Baillif, ety <strong>la</strong>issa le sieur <strong>de</strong> Roses, dont il faisait le plusgrand cas, pour soigner les affaires <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Boisseret.Dans l'acte <strong>de</strong> vente, les seigneurs-propriétairess'étaient ménagés <strong>de</strong>s réserves sur presque toute<strong>la</strong> partie nord <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong>puis le cap duGros-Morne (dans le quartier <strong>de</strong> Deshaies), jusqu'à<strong>la</strong> Rivière-Salée (Gran<strong>de</strong>-Terre), partie qu'on comprenaitalors dans ce qu'on appe<strong>la</strong>it le Grand-Cul<strong>de</strong>-Sac.A peine se trouvait-il, dans tout cet espace,une lieue <strong>de</strong> terrain qui n'appartînt aux héritiersou représentants <strong>de</strong> ces seigneurs; leurs prétentionscontinuèrent d'être si exagérées, qu'elles en éloignèrentles colons; ce qui fit que cette partie restalong-temps dépeuplée.M. <strong>de</strong> Tracy, par l'éc<strong>la</strong>tante justice qu'il venait<strong>de</strong> rendre , par sa modération et sa conduite probeet sévère, ramena dans <strong>la</strong> colonie le calme et l'espérancequ'en avaient bannies les injustices, lesconcussions et les désordres scandaleux <strong>de</strong>s chefs ;mais on aura <strong>la</strong> douleur <strong>de</strong> les voir se renouveler àbien d'autres époques <strong>de</strong> cette histoire.Pendant que M. <strong>de</strong> Tracy s'occupait à jeter lesbases <strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, il appritque les Ang<strong>la</strong>is, embarrassés d'un excé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>


(243)popu<strong>la</strong>tion , que leur colonie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong> ne pou- 1664.vait déjà plus contenir, avaient fait une expédition<strong>de</strong> 14 ou 1500 hommes, embarqués sur cinq vaisseaux<strong>de</strong> guerre, et s'étaient présentés <strong>de</strong>vant Sainte-Lucie, â <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> juin. Soutenus par 600 sauvages,ils prétendaient en avoir acheté cette île, qu'ilsavaient possédée avant les Français (1). M. Bonnardy commandait sous les ordres du gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique; il occupait un misérable petit fort avec14 soldats, se reposant sur <strong>la</strong> foi <strong>de</strong> <strong>la</strong> paix et <strong>de</strong> <strong>la</strong>bonne intelligence qui régnait entre les <strong>de</strong>uxnations. Mais , attaqué et forcé <strong>de</strong> capituler, ilobtint d'être transporté à <strong>la</strong> Martinique avec ses 14soldats, ses canons, ses armes et tous ses bagages.La capitu<strong>la</strong>tion ne fut pas plutôt signée, qu'ellefut violée. Les Ang<strong>la</strong>is, fiers <strong>de</strong> leur nombre, s'emparèrent<strong>de</strong> tous les objets, et se contentèrent <strong>de</strong>renvoyer les hommes entièrement dépouillés. M. <strong>de</strong>Tracy les força, plus tard , à une restitution qu'ilsne firent cependant qu'en partie ( 3 ) .(1) Ce prétexte pouvait-il être p<strong>la</strong>usible <strong>de</strong> là part<strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, qui s'étaient emparés, à force ouverte , <strong>de</strong>Surinam, malgré <strong>la</strong> possession qu'en avait prise, en 1643,M. <strong>de</strong> Brétigny , au nom du roi <strong>de</strong> France. (Voir pourSainte-Lucie, <strong>la</strong> note <strong>de</strong> <strong>la</strong> pag. 214.)(9) Dutertre, tome 3 e , pag. 81 et suiv.16


(244)1664. Celte invasion, <strong>la</strong>ite au mépris du droit <strong>de</strong>s gens,jeta l'épouvante dans toutes les colonies. M. <strong>de</strong>Tracy, prévenu que les Ang<strong>la</strong>is avaient aussi l'intention<strong>de</strong> s'emparer <strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte, y envoya,le 5 juillet, <strong>de</strong>s canons, <strong>de</strong>s munitions, une compagnie<strong>de</strong> soldats, et remp<strong>la</strong>ça le commandant,M. <strong>de</strong> Bourgneuf, par M. <strong>de</strong> Roses, sur l'intrépiditéduquel il comptait. Mais ces précautions <strong>de</strong>vinrentinutiles, les Ang<strong>la</strong>is ne s'y présentèrent pas.La Gua<strong>de</strong>loupe éprouva un coup <strong>de</strong> vent d'autantplus extraordinaire qu'il eut lieu du 22 au 23octobre, époque où l'on croyait <strong>la</strong> saison <strong>de</strong>s ouraganspassée. Il occasiona une gran<strong>de</strong> disette.Un arrêt du conseil du roi, venait d'y proscriretout commerce avec les étrangers , surtout avec lesHol<strong>la</strong>ndais qui l'approvisionnaient, sous prétexteque <strong>la</strong> peste était à Amsterdam. Cet arrêt, en privant<strong>la</strong> colonie <strong>de</strong> cette ressource , accrut sa détresse.M. <strong>de</strong> Tracy, pressé par les p<strong>la</strong>intes réitérées<strong>de</strong>s habitants <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong> , qui, <strong>de</strong>puis 1658 queleur colonie avait été vendue au comte <strong>de</strong> Céril<strong>la</strong>c,étaient exposés aux vexations <strong>de</strong> ce propriétaireet <strong>de</strong> ses enfants, investit M. Dulion, dugouvernement provisoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe qu'i<strong>la</strong>vait <strong>de</strong>mandé pour lui, et partit pour <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>,le 5 novembre 1664, afin d'y établir M. Vincent enqualité <strong>de</strong> gouverneur. De retour à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,


(245)<strong>de</strong>puis le 29 novembre, il s'occupait à contenir <strong>la</strong> 1665.popu<strong>la</strong>tion affamée et réduite presque au désespoir,lorsqu'il apprit l'arrivée, à <strong>la</strong> Martinique,<strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, portant <strong>de</strong>s vivres,<strong>de</strong>s munitions, <strong>de</strong>s troupes et un grand nombre<strong>de</strong> commis. Il s'y rendit sur-le-champ, le 19 février1665 , mit <strong>la</strong> compagnie en possession <strong>de</strong>s îleset <strong>de</strong>s privilèges extraordinaires que le roi lui avaitaccordés, et revint à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe pour y faire<strong>la</strong> même opération.D'après l'estimation, faite sur les lieux, par M. <strong>de</strong>Tracy et par M. <strong>de</strong> Chambré, lieutenant-général<strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, il fut remboursé aux enfants <strong>de</strong>M. Duparquet <strong>la</strong> somme <strong>de</strong> 120,000 livres tournois,pour l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique et celle <strong>de</strong> Sainte-Lucie.M. <strong>de</strong> Clodoré, dont <strong>la</strong> réputation était <strong>de</strong>s plus bril<strong>la</strong>ntes,venait d'en être fait gouverneur pour le roiet pour <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième compagnie.On paya au comte <strong>de</strong> Céril<strong>la</strong>c , le 37 août,100,000 livres tournois, pour <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong> et lesGrenadins , où on <strong>la</strong>issa l'estimable gouverneur,M. Vincent.Sur l'évaluation faite au mois d'avril , par M. <strong>de</strong>Tracy, on remboursa 120,000 livres à madame<strong>de</strong> Champigny ou à ses enfants, pour sa moitié <strong>de</strong> <strong>la</strong>propriété <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et <strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> celle<strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Désira<strong>de</strong>, sauf <strong>la</strong> ré-


(246)1665. serve du marquisat <strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte et <strong>de</strong> ses habitations, suivant le partage qui en avait été fait.M. Houël fut le seul qui s'obstina à ne pas vendresa moitié, et il <strong>de</strong>meura dans <strong>la</strong> jouissance <strong>de</strong>tous ses droits, à l'exception du gouvernement.M. Dulion avait reçu, au mois <strong>de</strong> mars, son brevet<strong>de</strong> gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>de</strong> ses dépendances, pour <strong>la</strong> compagnie et pour le roi. 11 seconduisit, dans cette p<strong>la</strong>ce, avec beaucoup d'adresseet <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce; <strong>la</strong> justice sévère qu'il rendit, saprobité et sa modération lui gagnèrent tous lescœurs.La compagnie acheta aussi <strong>de</strong> l'ordre <strong>de</strong> Malte,par contrat du 10 août l665, les îles <strong>de</strong> Saint-Christophe,<strong>de</strong> Sainte-Croix, <strong>de</strong> Saint-Martin , <strong>de</strong> Saint-Barthélemy et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue. La propriété absolue <strong>de</strong>ces îles (seulement pour <strong>la</strong> partie française <strong>de</strong> Saint-Christophe et <strong>de</strong> Saint-Martin) avec les armes, lesmunitions, les nègres, les bestiaux et généralementtout ce qu'elles contenaient, lui coûta 5oo millelivres tournois (1).(1) Dutertre, 3 e vol. ,pag. 250, 266 et suiv.


(247)CHAPITREIX.Colbert procure à <strong>la</strong> France <strong>la</strong> partie occi<strong>de</strong>ntale <strong>de</strong>Saint-Domingue. — Origine <strong>de</strong> cette colonie. — LesBoucaniers, les Flibustiers.LE ministre Colbert acquit, à cette même époque, 1665.<strong>la</strong> portion <strong>de</strong> Saint-Domingue qui <strong>de</strong>vait <strong>de</strong>venir <strong>la</strong>plus importante <strong>de</strong>s colonies françaises. 11 semblequ'on ne puisse pas se dispenser d'en faire connaître<strong>la</strong> singulière origine.Une partie <strong>de</strong>s Français et <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, chasses<strong>de</strong> Saint - Christophe , en 1630 , par l'escadreespagnole <strong>de</strong> Frédéric <strong>de</strong> Tolè<strong>de</strong>, s'était réfugiéedans <strong>la</strong> petite île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue, à <strong>de</strong>ux lieuesau nord <strong>de</strong> Saint-Domingue. Un port sûr, unair salubre, <strong>de</strong> bonnes eaux, mais peu abondantes,et une position facile à défendre, les invitèrentà s'y fixer. Leur nombre s'accrut bientôtpar <strong>de</strong>s aventuriers <strong>de</strong> toutes les nations, surtoutpar <strong>de</strong>s Hol<strong>la</strong>ndais fuyant les violences <strong>de</strong>s Espagnols.Passionnés pour <strong>la</strong> liberté, affranchis <strong>de</strong>slois <strong>de</strong> leur patrie, et vivant dégagés <strong>de</strong> toute espèce


(248)1665. d'entraves ; ils n'avaient d'autre occupation que <strong>de</strong>faire <strong>la</strong> guerre aux bœufs sauvages extrêmementmultipliés à Saint-Domingue , <strong>de</strong>puis que les Espagnolsles y avaient apportés. On les appe<strong>la</strong>it boucaniersdu nom d'une espèce <strong>de</strong> gril nommé boucan,sur lequel ils rôtissaient leurs vian<strong>de</strong>s (1), et souvent<strong>de</strong>s cochons entiers dont ils se nourrissaient sansmanger <strong>de</strong> pain; ils conservaient avec soin tous lescuirs qu'ils vendaient aux Hol<strong>la</strong>ndais. Les orgueilleuxet avares Espagnols, qui s'étaient appropriésl'Amérique avec toutes ses îles , firent un armementcontre <strong>la</strong> Tortue. Profitant du moment oùles hommes, en état <strong>de</strong> <strong>la</strong> défendre, étaient à <strong>la</strong>chasse à Saint-Domingue, ils y débarquèrent, égorgèrentles femmes, les enfants, les vieil<strong>la</strong>rds, détruisirenttous les établissements, et se retirèrent.Instruits <strong>de</strong> ce qui venait <strong>de</strong> se passer et <strong>de</strong>s mesuresqu'on prenait pour les harceler et les détruire,les boucaniers se choisirent un chef, l'Ang<strong>la</strong>isWillis, reprirent possession <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue à <strong>la</strong> fin<strong>de</strong> 1738, et s'y fortifièrent. Animés par <strong>la</strong> vengeanceils firent <strong>de</strong>s incursions chez les Espagnols,se renforcèrent <strong>de</strong> beaucoup d'Européens, dont lemétier était d'attaquer et <strong>de</strong> dépouiller les galionsd'Espagne quand ils revenaient chargés d'or, d'ar-(1) Dutertre, tome 3 e , page 141.


(249)gent, ou <strong>de</strong> <strong>de</strong>nrées précieuses ; ils reçurent beau- 1666.coup <strong>de</strong> colons qui fuyaient les privilèges exclusifsauxquels on les assujettissait. Leur haine pourles Espagnols étant imp<strong>la</strong>cable , ils réduisirenttoutes leurs colonies à un état <strong>de</strong> détresse extrême.Ayant tous adopté le métier <strong>de</strong> forbans, pour leurfaire une guerre d'extermination, ils portèrentau loin <strong>la</strong> terreur du nom <strong>de</strong> flibustiers qu'ilss'étaient donnés , sans qu'on en connaisse l'origine.Après une longue suite <strong>de</strong> succès et <strong>de</strong> revers, lesflibustiers français <strong>de</strong>meurèrent en possession <strong>de</strong>l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue et s'étendirent sur <strong>la</strong> côte septentrionale<strong>de</strong> Saint-Domingue, qu'ils conservèrenttoujours <strong>de</strong>puis, tandis que les flibustiers ang<strong>la</strong>isallèrent se fixer à <strong>la</strong> Jamaïque. En temps <strong>de</strong> guerre,ils prenaient leurs commissions, les uns du généralfrançais résidant à Saint-Christophe, ou du gouverneur<strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue, les autres du général ang<strong>la</strong>is,en payant le dixième <strong>de</strong> leurs prises. En temps <strong>de</strong>paix, ils se contentaient d'une permission <strong>de</strong> chasseet <strong>de</strong> pêche, et sous les noms <strong>de</strong> chasseurs et <strong>de</strong>pêcheurs, ils pil<strong>la</strong>ient les Espagnols sur terre et surmer. Leur courage les rendait toujours les plusforts ; s'ils étaient cent on les croyait mille ; il étaitdifficile <strong>de</strong> leur échapper, et encore plus <strong>de</strong> lesatteindre. Le bruit <strong>de</strong> leurs exploits et <strong>de</strong> leurs pil<strong>la</strong>gesavait attiré parmi eux une foule d'aventuriers<strong>de</strong> tous les pays, qui les mirent en état <strong>de</strong> servir dans


(250)1665. les différentes colonies et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s expéditionsformidables sur toutes les mers du sud et du nord.Les îles <strong>de</strong> Saint-Domingue, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue, <strong>de</strong> <strong>la</strong>Jamaïque, <strong>de</strong>vinrent les arsenaux <strong>de</strong> leurs armémentset l'entrepôt <strong>de</strong>s richesses immenses que leurscrimes et leur rare intrépidité leurprocuraient,et qu'ils y dissipaient au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> débauche <strong>la</strong>plus effrénée. Leur vie fut un mé<strong>la</strong>nge <strong>de</strong>s vertusguerrières les plus héroïques et du brigandage leplus atroce. L'histoire n'offre que ce seul exempled'une société <strong>de</strong> cette nature. Elle aurait subjuguél'Amérique entière si elle avait été sous <strong>la</strong> directiond'un chef unique, qui, au lieu <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> rapine,aurait su leur inspirer celui <strong>de</strong> conquête.La côte nord <strong>de</strong> Saint-Domingue et l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong>Tortue ne commencèrent qu'en 1665 à fixer les regards<strong>de</strong> <strong>la</strong> France ; les hommes <strong>de</strong> mer y étaientalors en grand nombre, mais il n'y avait pas plus<strong>de</strong> 400 cultivateurs, Le gouvernement qui, jusqu'alors,les avait désavoués, agréa, pour les comman<strong>de</strong>r, <strong>la</strong> présentation que lui fit <strong>la</strong> compagnie , à <strong>la</strong>sollicitation <strong>de</strong> M, <strong>de</strong> Clodoré, gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique, <strong>de</strong> son ami Bertrand d'Ogeron,quiavait déjà vécu long-temps parmi les flibustiers. Ilfut nommé gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie française <strong>de</strong>Saint-Domingue et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Tortue, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> février1665. L'immortel d'Ogeron créa cette précieusecolonie, et prouva , à <strong>la</strong> gloire <strong>de</strong> l'humanité, qu'il


(251)n'est point d'hommes, si pervers qu'ils soient, dont 1665.on ne puisse tirer un parti avantageux par une sageadministration. C'est un modèle à offrir, sinon auxprinces, du moins aux gouverneurs (1).(1) Le traité <strong>de</strong> Ryswick, en 1697, garantit à <strong>la</strong> France<strong>la</strong> possession <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie fondée par d'Ogeron. Philippe V,quand il monta sur le trône d'Espagne, en 1700 , reconnut<strong>la</strong> légitimité <strong>de</strong> cette possession, et Saint-Domingue<strong>de</strong>vint <strong>la</strong> plus importante <strong>de</strong> nos colonies : elle s'étend du15° 59' au 17° 76' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> nord, et du 70° 40' au 76°•55' 52" <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong> occi<strong>de</strong>ntale , méridien <strong>de</strong> Paris. Sapopu<strong>la</strong>tion, au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution, était d'environ40 mille b<strong>la</strong>ncs, 35 mille gens <strong>de</strong> couleur libres, et 5oomille esc<strong>la</strong>ves.Les autres flibustiers continuèrent à remplir l'universdu bruit <strong>de</strong> leurs exploits; le <strong>de</strong>rnier qu'ils firent, en 1697,fut <strong>la</strong> prise et le pil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> Carthagène, <strong>la</strong> ville <strong>la</strong> plusfortifiée <strong>de</strong> toute l'Amérique; ils y débarquèrent le 15 avril,sous les ordres <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Pointis, chef d'escadre, qui rentraà Brest le 9 août. A <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> leur expédition, les flibustierstombèrent au milieu d'une flotte ang<strong>la</strong>ise et hol<strong>la</strong>ndaise,alliée <strong>de</strong> l'Espagne, qui les écrasa. Disséminésalors dans tout le nouveau mon<strong>de</strong>, et voyant leurs chefsappelés à <strong>de</strong>s emplois, dans leur patrie, les flibustiers renoncèrentenfin à leur étonnante réunion, pour se donnerau roi <strong>de</strong> France, dont ils étaient, en majeure partie, néssujets. Ils <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong>s citoyens utiles; les uns consa-


(252)1665. D'Ogeron partit pour Paris, en 1675, al<strong>la</strong>ntsoumettre à <strong>la</strong> cour le glorieux projet <strong>de</strong> réduiretoute l'île <strong>de</strong> Saint-Domingue. Il y mourut <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>die, avant d'avoir pu se faire entendre du roini <strong>de</strong>s ministres. La mort le surprit dans une honorablepauvreté ; il <strong>la</strong>issa aux colonies , qu'i<strong>la</strong>vait gouvernées pendant dix ans , le souvenir <strong>de</strong>ses vertus ; elles seront chères tant que le désintéressement, <strong>la</strong> loyauté et le désir du bien y seronten honneur.crèrent leurs armes à <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> leur pays, et les autresleur industrie au commerce ou à <strong>la</strong> culture. (Dutertre ,3° vol. pages 126, 141 et suiv.; le père Labat; Voltaire,Essai sur les Moeurs, etc. Questions sur l'Enciclopédie;Raynal, 7 e vol. pages 157 et suiv. ; l'Histoire <strong>de</strong>Saint-Domingue, en 1818, pages 56 et suiv.; Républiqued'Haïti, par Gastine, pages 23 et suiv. etc. etc.)


(253)CHAPITRE X.Mauvaise administration <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième compagnie, —Armement du lord Willougby, contre <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ,détruit par un ouragan Cette colonie est mise, pour<strong>la</strong> première fois, sous <strong>la</strong> dépendance <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.— La <strong>de</strong>uxième compagnie est forcée <strong>de</strong> se dissoudre.Les colonies sont réunies au domaine <strong>de</strong> l'État Noticesur les îles <strong>de</strong> Curaçao et <strong>de</strong> Tabago.LA compagnie avait nommé pour son intendant- 1665.général dans les colonies, M. <strong>de</strong> Chambré , qui,malgré ses talents et son activité, ne put pas prévenir<strong>la</strong> ruine réservée à cette société.Les premiers arméments, qu'elle fit avec trop <strong>de</strong>mesquinerie, furent encore en butte aux traits <strong>de</strong> <strong>la</strong>fortune. Dispersés par <strong>la</strong> tempête, ils arrivèrenttard et ne purent suffire à tous les besoins , jusquelà, abondamment satisfaits par le commerce considérable<strong>de</strong>s Hol<strong>la</strong>ndais, qu'on venait <strong>de</strong> fairecesser. Un cri général se fit entendre contre <strong>la</strong>nouvelle compagnie; toutes les îles françaises furenta<strong>la</strong>rmées <strong>de</strong> voir sitôt recommencer les mêmes mal-


(254)1665. heurs, les mêmes souffrances qu'elles avaient déjàéprouvées sous <strong>la</strong> première. Bien que M. <strong>de</strong> Tracyeût fait les règlements les plus sages, qu'il eût réduità 2000 livres <strong>de</strong> sucre le prix d'un nègre, que lesHol<strong>la</strong>ndais y vendaient 3000, et à 1800 au lieu <strong>de</strong>2500, le prix <strong>de</strong> chaque cheval qu'ils y apportaient<strong>de</strong> l'île <strong>de</strong> Corosol (Curaçao) (1), il ne put garantir <strong>la</strong>Martinique <strong>de</strong>s divers soulèvements qui s'y mani-(1) L'île <strong>de</strong> Curaçao est tout-à-fait sous le vent, près<strong>de</strong> <strong>la</strong> côte <strong>de</strong> Caracas, par les 12° 33' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et 71°84' <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>; elle a près <strong>de</strong> 9 lieues <strong>de</strong> long sur 4 à 5<strong>de</strong> <strong>la</strong>rge. Sa popu<strong>la</strong>tion est d'environ 36,000, habitants,dont 4,000 b<strong>la</strong>ncs; près <strong>de</strong>s trois quarts <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>ncs sontjuifs, et presque toute cette popu<strong>la</strong>tion est contenue dans I<strong>la</strong> ville. Cette ville est belle et partagée au milieu par un<strong>de</strong>s plus beaux ports que <strong>la</strong> nature et l'art aient jamais formé.L'approche en est étroite et difficile; mais les bâtimentsmouillent au raz <strong>de</strong>s maisons; ils peuvent entrer à pleinesvoiles, et se réunir en nombre considérable dans <strong>de</strong>uxsuperbes bassins où ils sont parfaitement à l'abri. Curaçaoest l'entrepôt <strong>de</strong> tout le commerce interlope qui sefait avec <strong>la</strong> côte ferme; elle appartient aux Hol<strong>la</strong>ndais.Cette île est stérile, ce n'est qu'à force <strong>de</strong> travaux et <strong>de</strong>soins qu'on lui fait produire quelques <strong>de</strong>nrées coloniales.Les fruits qu'on y cueille, sur tout <strong>la</strong> sapotille, y sontdélicieux.


(355)festèrent, dès qu'il se fut éloigné <strong>de</strong> ces parages pour 1665.aller en Canada.La Gua<strong>de</strong>loupe avait alors <strong>la</strong> réputation d'être ,<strong>de</strong> toutes les Antilles, l'île dont les habitans étaientles plus tranquilles; ils étaient plus mo<strong>de</strong>stes etplus retenus que ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique (1). Cette circonstanceengagea M. <strong>de</strong> Chambré à former unecompagnie <strong>de</strong> Gua<strong>de</strong>loupéens armés, à <strong>la</strong>quelleil donna le nom <strong>de</strong> compagnie auxiliaire. Il lesembarquait toujours avec lui, et les conduisait danstous les lieux menacés <strong>de</strong> soulèvements, pour secourirles gouverneurs; car toutes les îles étaient tellementmécontentes du peu <strong>de</strong> secours qu'elles recevaient<strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie , <strong>de</strong> <strong>la</strong> cherté <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées qu'elleleur vendait, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> friponnerie <strong>de</strong> ses commis ,qu'elles étaient toujours au moment <strong>de</strong> se révolter.MM. <strong>de</strong> Clodoré et <strong>de</strong> Chambré ne parvinrent, qu'aprèsles plus grands efforts, à comprimer les séditionsqui éc<strong>la</strong>taient à <strong>la</strong> Martinique. Cette île forma enfin,très-sérieusement, le projet <strong>de</strong> secouer tout-à-fait lejoug. M. Dulion, gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,prévenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> position critique où se trouvait réduitM. <strong>de</strong> Clodoré, s'empressa d'envoyer à son secoursplusieurs compagnies, avec son lieutenant Hince-(1) Dutertre, tom. 3, page 196.


(256)1665. lin; mais tout était heureusement terminé lorsqu'ellesy arrivèrent (1).Les Ang<strong>la</strong>is, qui tantôt suivent, tantôt précè<strong>de</strong>nt,et toujours accompagnent les fléaux dont les Françaissont atteints, vinrent ajouter leurs pirateriesaux misères qu'enduraient alors les colonies françaises.Leurs corsaires préludèrent à <strong>la</strong> guerre dansles Antilles, huit mois avant qu'elle ne fût déc<strong>la</strong>rée.Leur gouverneur-général, à <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>, éluda,par les détours les plus subtils (2), toutes les réc<strong>la</strong>mationsqui lui furent adressées à ce sujet. La proportion<strong>de</strong>s forces ang<strong>la</strong>ises, à Saint-Christophe,étant <strong>de</strong> six contre un , il refusa d'abord <strong>de</strong> ratifierle concordat passé entre les <strong>de</strong>ux nations, qu'onrenouve<strong>la</strong>it à chaque changement d'état. Cependanton vint à bout <strong>de</strong> faire stipuler, le 20 janvier 1666,que le traité <strong>de</strong> 1627 continuerait d'être en vigueur,et, qu'en cas <strong>de</strong> guerre, on ne s'attaqueraità Saint-Christophe, que par un ordre exprès <strong>de</strong>chaque souverain, et en se prévenant trois foisvingt-quatre heures à l'avance.(1) Dutertre, page 208.(2) Ce ne fut pas seulement en 1756, que les Ang<strong>la</strong>isviolèrent les droits <strong>de</strong>s nations; on voit dans le 3° vol.<strong>de</strong> Dutertre, pages 243 , 282 et suiv., et dans tous les historiens, que leur ministère les a violés , sans pu<strong>de</strong>ur, àtoutes les époques.


(257)A celte époque, <strong>la</strong> colonie ang<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> Sainte-Lucie , que les ma<strong>la</strong>dies, <strong>la</strong> famine et <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong>ssauvages avaient réduite à 8g individus, <strong>de</strong> 1500 dontelle était composée, crut reconnaître dans cette affliction, un châtiment du ciel pour son usurpation;elle abandonna une secon<strong>de</strong> fois cette île, le 6janvier, mais après en avoir détruit tous les établissements(1). Les Ang<strong>la</strong>is s'en dédommagèrent ens'emparant <strong>de</strong> l'île <strong>de</strong> Tabago, dont ils dépouillèrentles Hol<strong>la</strong>ndais (2), singulier acte <strong>de</strong> péni-L666.(1) Dutertre, vol. 3 e , page 244.(2) L'île do Tabago, autrefois Tabaco, au N.-E. et à7 lieues <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité, par les 11° 16' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong>, et 60°9' <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>, n'est qu'une suite <strong>de</strong> rochers <strong>de</strong> 11 lieues<strong>de</strong> long, sur 4 et <strong>de</strong>mi do <strong>la</strong>rge. Colomb <strong>la</strong> découvrit en1498. En 1632 , 200 Flessingois envoyés par<strong>la</strong> compagniehol<strong>la</strong>ndaise, y firent un établissement, qui porta ombrageaux Espagnols. Ces <strong>de</strong>rniers se réunirent aux Indiens ducontinent, attaquèrent <strong>la</strong> nouvelle colonie, <strong>la</strong> soumirentet massacrèrent tous les Hol<strong>la</strong>ndais sans pitié. Les Ang<strong>la</strong>iss'en emparèrent, en 1666; ils <strong>la</strong> restituèrent, en 1677, auxHol<strong>la</strong>ndais, qui l'occupèrent tour-à-tour avec les Français.Elle fut déc<strong>la</strong>rée neutre, en 1748. On <strong>la</strong> céda aux Ang<strong>la</strong>ispar le traité <strong>de</strong> 1763. Les Français l'ayant prise, en 1781,sa possession fut garantie à <strong>la</strong> France, en 1782. Les Ang<strong>la</strong>isl'envahirent, en 1792 , <strong>la</strong> rendirent aux Français par letraité d'Amiens, en 1802 ; <strong>la</strong> reprirent en 1803; et elleII. 17


(258)1666 tence ! Le 2 août 1666, on vit paraître sur les côtes<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, une escadre ang<strong>la</strong>ise, forte <strong>de</strong>dix-huit bâtiments chargés <strong>de</strong> troupes, aux ordres <strong>de</strong>lord Willougby. Il commença par se rendre maître<strong>de</strong>s Saintes, où les capitaines Desmeuriers et Baronse défendirent avec vigueur. La Gua<strong>de</strong>loupe ,n'étant point en mesure, se voyait au moment <strong>de</strong>succomber, lorsqu'un ouragan, qui eut lieu du 4 au5, et dura vingt-quatre heures , <strong>la</strong> délivra <strong>de</strong> sesappréhensions, en lui faisant payer un peu chercette protection. La colonie fut ravagée par les éléments,mais l'escadre ennemie, son chef et ses équipaecspérirent en entier. Les débris allèrent échouersur les côtes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Capesterre et aux Saintes, où legouverneur Dulion se porta, le 15 août, et forçale reste <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is à se rendre à discrétion.On cite MM. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Moraudière , <strong>de</strong> Surmont,<strong>de</strong> <strong>la</strong> Boissière et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Roque pour s'être distinguésleur a été cédée par le traité <strong>de</strong> Paris, en 1814. Tabago après <strong>de</strong> 36 lieues <strong>de</strong> circuit, et jouit <strong>de</strong> plusieurs havrescommo<strong>de</strong>s ; son terroir se prête à <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> diverses- sortes d'épiceries; mais <strong>de</strong> très-grands espaces <strong>de</strong> terrainy sont encore en friche. L'Angleterre saura les mettre envaleur, parce que l'île domine le détroit qui sépare lesAntilles du continent, et c'est, en temps <strong>de</strong> guerre, d'unavantage inappréciable.


(259)dans cette occasion. En mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> victoire et 1666<strong>de</strong> <strong>la</strong> protection visible du ciel, il fut décidé quel'anniversaire du 15 août serait célébré par un TeDeum. Le 20 du même mois, on prit encore troisnavires et 200 hommes , qu'un neveu du feu lordconduisait à son oncle, comme renfort. Les pertescausées à <strong>la</strong> colonie, par l'ouragan, furent évaluéesà plus <strong>de</strong> 10 millions pesant <strong>de</strong> sucre, ou 1,500,000 f.L'année 1668 vit introduire un changement no- 1668table dans l'administration <strong>de</strong>s colonies françaises;ce fut l'époque funeste où <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe passa sous<strong>la</strong> dépendance <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, déc<strong>la</strong>rée le cheflieudu gouvernement général <strong>de</strong>s Antilles, lorsquece gouvernement fut confié à M. <strong>de</strong> Baaz. Si le comman<strong>de</strong>ur<strong>de</strong> Poincy, séduit par les avantages <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, quoiqu'il ne connût encore que <strong>la</strong>partie <strong>de</strong> l'ouest, eût réussi, en 1639, à en faire lesiège du gouvernement, elle fût <strong>de</strong>venue, sans contredit,<strong>la</strong> plus florissante <strong>de</strong>s îles du vent, car sa popu<strong>la</strong>tionpassa long-temps pour <strong>la</strong> plus sage et <strong>la</strong> plusappliquée aux cultures. Le refus qu'essuya M. <strong>de</strong>Poincy peut être considéré comme le premier anneau<strong>de</strong> cette chaîne d'événements malheureux qui, <strong>de</strong>puis,ont pesé sur cette colonie, presque ruinée par l'impru<strong>de</strong>nce<strong>de</strong> son fondateur. En proie, pendant les 21ans <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>structive domination <strong>de</strong> M. Houël, auxplus affreux désordres et à <strong>de</strong>s jalousies intestines qui,plus d'une fois, mirent aux mains ses cultivateurs,17


(260)1G68. elle fut dédaignée par les flibustiers. Ces aventurierspréféraient à son sol, plus favorable à <strong>la</strong> culture qu'auxarmements, <strong>la</strong> commodité du port du Fort-Royal.Les commerçants furent attirés à <strong>la</strong> Martinique parl'espoir d'obtenir, à vil prix, le butin <strong>de</strong> ces intrépi<strong>de</strong>scorsaires, et les cultivateurs, par l'idée d'yvivre tranquilles, sous leur protection. Cet accroissementrapi<strong>de</strong> appe<strong>la</strong> les regards <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie,qui trouva plus commo<strong>de</strong> et plus économique <strong>de</strong>p<strong>la</strong>cer M. Dulion sous les ordres <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Baaz,Elle ne prévit pas les haines, les divisions qu'elleal<strong>la</strong>it susciter entre ces <strong>de</strong>ux gouverneurs (1), etl'état <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce auquel elle livrait <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>-(1) Dans le vol. n. 5 <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, onvoit une lettre <strong>de</strong> reproches adressée, le 1 ermai 1672, àM. Dulion, sur ses différents interminables avec M. <strong>de</strong> Baaz;dans le vol. n° 7, on en trouve une autre, du 23 mars 1674,sur le môme sujet. Rien ne put cependant <strong>de</strong>ssiller lesyeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Versailles, lorsqu'elle reprit les rênes<strong>de</strong> l'administration <strong>de</strong>s colonies. Trompée par les mêmesapparences, elle <strong>la</strong>issa subsister ce que <strong>la</strong> compagnie avaitfait, et p<strong>la</strong>ça à <strong>la</strong> Martinique le gouvernement civil etmilitaire <strong>de</strong>s Antilles. N'entendant ensuite parler que <strong>de</strong>cette île, qui était plus particulièrement sous sa direction,elle s'en occupa exclusivement, lui accorda plus d'encouragcmcns,et lui donna cette suprématie impolitiqueque <strong>la</strong> Martinique a conservée jusqu'à nos jours.


(261)loupe, en l'abandonnant à <strong>de</strong>s subalternes souvent 1670.sans considération, sans force, sans pouvoir, etquelquefois sans volonté <strong>de</strong> faire le bien.Bientôt l'état <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngueur où se trouvait <strong>la</strong> compagniefit végéter tristement les îles françaises ,tandis que celles <strong>de</strong> leurs voisins prospéraient soustous les rapports. Au lieu <strong>de</strong> reconnaître le principedu mal dans le vice <strong>de</strong> ces sociétés qui, trop âpresau gain , spéculent sur tout et dévorent le présentau détriment <strong>de</strong> l'avenir; on en attribua <strong>la</strong> causeaux trois années <strong>de</strong> servitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s engagés. On s'imaginaque sa trop longue durée inspirait ce découragement, et s'opposait à l'accroissement <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionb<strong>la</strong>nche. On crut donc y remédier en abrégeantle temps <strong>de</strong> cette espèce d'esc<strong>la</strong>vage, que <strong>la</strong>première compagnie avait introduit, que <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>exploitait, et qu'aucune loi n'avait encore consacré.Un arrêt du conseil d'état, du 28 février 1670,légalisa cette coutume odieuse, en réduisant à 18mois le service <strong>de</strong>s engagés.Qu'un usage aussi anti-social eût pris naissanceavec les colonies, on pourrait l'imputer à <strong>la</strong> dureté<strong>de</strong>s temps et à <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>s circonstances; maisque sous un roi <strong>de</strong> 32 ans , dont <strong>la</strong> cour était <strong>la</strong> pluspolie <strong>de</strong> l'Europe; que sous Louis XIV, ce honteuxet inique trafic, au lieu d'être prohibé, ait été sanctionnépar un acte <strong>de</strong> son conseil, on a droit <strong>de</strong> s'enétonner !


(262)1970. Il aurait cependant suffi, pour l'abolir et pour encourager<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion b<strong>la</strong>nche, <strong>de</strong> fournir <strong>de</strong>s passagesgratis aux Européens; mais l'avarice <strong>de</strong> <strong>la</strong>compagnie s'y opposait; et on ne sut pas plutôtqu'on retirait plus <strong>de</strong> bénéfice <strong>de</strong>s bestiaux envoyés<strong>de</strong> France que <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> l'étranger, qu'un édit du20 décembre 1670, ordonna à tout bâtiment al<strong>la</strong>ntaux îles, <strong>de</strong> donner passage à <strong>de</strong>ux juments, vachesou ânesses.Les nègres esc<strong>la</strong>ves venaient à peine d'être introduitsaux colonies , et déjà quelques habitansprovoquaient, par leur cruauté envers ces malheureux,<strong>la</strong> décision du 20 octobre 1670, portant quenul n'avait le droit <strong>de</strong> mutiler <strong>la</strong> chair et <strong>de</strong> répandrele sang <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves, sous peine <strong>de</strong> perdre ledroit d'esc<strong>la</strong>vage qu'on avait acquis sur eux. Néan-1573. moins, lorsqu'il s'agit d'augmenter <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionnoire, on ne ba<strong>la</strong>nça pas, le 11 novembre 1673, àfavoriser, par <strong>de</strong>s concessions avantageuses, ceuxqui voudraient profiter du droit <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> traite.Mais on eut beau combler <strong>de</strong> faveurs cette secon<strong>de</strong>compagnie, elle n'eût pas un instant d'éc<strong>la</strong>t. Ses pertesse multiplièrent avec ses fautes; elle n'approvisionnaque fort mal les colonies, et les obligea à recourirau commerce interlope, pour pourvoir à leursbesoins. En vain chaque ordre du roi, aux gouverneurs,fut accompagné d'une sévère interdiction <strong>de</strong>commerce avec l'étranger ; en vain six compagnies


(263)d'infanterie avaient été envoyées aux îles, le 23 janvier1672 , pour ai<strong>de</strong>r à réprimer ce commerce, <strong>la</strong>nécessité et l'appât du gain l'emportèrent sur leslois. La contreban<strong>de</strong>, <strong>la</strong> guerre déc<strong>la</strong>rée à <strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>le 7 avril 1672, et l'infidélité <strong>de</strong>s agents <strong>de</strong> <strong>la</strong>compagnie, lui portèrent le <strong>de</strong>rnier coup.Au bout <strong>de</strong> dix ans d'exercice, elle se trouva en<strong>de</strong>ttée<strong>de</strong> 3,523,000 liv. tournois, et fut forcée <strong>de</strong>se dissoudre. Le roi <strong>la</strong> révoqua au mois <strong>de</strong> décembre1674, se chargea d'éteindre sa <strong>de</strong>tte, et <strong>de</strong> lui rembourserson capital, montant à 1,287,185 liv.Ainsi furent réunies à <strong>la</strong> masse <strong>de</strong> l'état ces possessionsimportantes, qui lui avaient été étrangèresjusqu'alors , qui n'avaient pas cessé <strong>de</strong> souffrir <strong>de</strong>ce funeste abandon et <strong>de</strong> <strong>la</strong> tyrannie d'une fourmilière<strong>de</strong> commis intéressés et violents, seuls provocateurs<strong>de</strong>s mouvements séditieux dont elles avaientété agitées.1673.1674.


(265)LIVRESIXIÈME.Les Ang<strong>la</strong>is portent <strong>la</strong> déso<strong>la</strong>tion dans lesAntilles françaises Etat do ces établissementsjusqu'à l'époque <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution.— Pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1675 à 1789.CHAPITRE I er .Les colonies françaises et Ang<strong>la</strong>ises comparées. — Traitésigné à Londres, qui déc<strong>la</strong>re les colonies neutres, encas <strong>de</strong> guerre Les Ang<strong>la</strong>is le violent, s'emparent <strong>de</strong>Marie-Ga<strong>la</strong>nte , attaquent <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , en 1691, etsont repoussés Ils ravissent Saint-Christophe à <strong>la</strong>France.IL serait difficile d'exprimer les transports <strong>de</strong> joie 1675que les colonies firent éc<strong>la</strong>ter, lorsqu'on eut rompuleurs fers, pour les rendre véritablement françaises,


(266)1675. et qu'on eut accordé à tous les citoyens, sans distinction,<strong>la</strong> liberté d'aller s'y fixer ou d'ouvrir <strong>de</strong>scommunications <strong>de</strong> commerce avec elles (1). C'étaitun grand pas <strong>de</strong> fait en leur faveur ; rien ne paraissaitdésormais pouvoir y ralentir l'activité du travailet <strong>de</strong> l'industrie ; chacun donnait carrière à son ambition, et ces établissements <strong>de</strong>vaient bientôt atteindrele plus haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> splen<strong>de</strong>ur. Mais les préjugésou l'ignorance ne tardèrent pas à tromper cebril<strong>la</strong>nt espoir, en opposant aux développements <strong>de</strong>l'industrie, <strong>de</strong>s entraves in<strong>de</strong>structibles. Une capitationnouvelle fut établie sur tous les individus ,sans distinction <strong>de</strong> caste ni <strong>de</strong> sexe; toutes les productionscoloniales furent surchargées <strong>de</strong> droits ;l'esprit <strong>de</strong> prohibition fit diminuer le prix <strong>de</strong> cellesqu'on <strong>la</strong>issa libres ; le privilège <strong>de</strong> les exporter futconcentré dans un petit nombre <strong>de</strong> ports; on réussità exclure les navires étrangers <strong>de</strong>s possessions françaises, et l'on astreignit les nationaux à effectuerleur retour, non-seulement dans <strong>la</strong> Métropole, maismême dans les ports d'où ils étaient partis, commesi le commerce pouvait faire <strong>de</strong>s progrès ailleurs,que dans les lieux où on le <strong>la</strong>isse libre ! Pendant plusd'un siècle, les Antilles françaises furent soumises(1) Raynal, tome 7°.


(267)à ce système oppressif; il ne fut ni modifié ni 1675.combattu par les actes <strong>de</strong> l'administration.Plus heureuses, les colonies ang<strong>la</strong>ises, que l'embrasement<strong>de</strong> leur Métropole peup<strong>la</strong> <strong>de</strong> paisibles fugitifs,eurent l'avantage <strong>de</strong> répandre elles-mêmes leurs<strong>de</strong>nrées, partout où elles en espéraient un meilleurdébit, et <strong>de</strong> recevoir indistinctement dans leurs portsles navires <strong>de</strong> toutes les nations, surtout ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong>Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>. Ces faveurs insolites concoururent à leurrapi<strong>de</strong> accroissement, jusqu'au moment où le fameuxacte <strong>de</strong> navigation, <strong>de</strong> Cromwel, vint fermer, en 1652,l'entrée <strong>de</strong> leurs ports à tout autre pavillon, qu'àcelui britannique, et obligea les Ang<strong>la</strong>is à s'adonnerau commerce, pour reverser sur <strong>la</strong> nation , les profitsimmenses que les étrangers avaient eus jusquelàsans partage. Toutefois, ce ne fut qu'en 1660,que cette loi gênante pour les colonies ang<strong>la</strong>ises , yfut exécutée avec rigueur. Mais pendant que l'acte <strong>de</strong>navigation fournissait au peuple ang<strong>la</strong>is les moyensd'accaparer plus tard le commerce du mon<strong>de</strong> entier, l'importante révolution <strong>de</strong> 1688, vint consacrerles droits et <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> l'Angleterre, et dédommagerses colonies <strong>de</strong> leur état momentané <strong>de</strong>gêne, en leur donnant un modèle <strong>de</strong> constitution qui,<strong>de</strong>puis cette époque, n'a pas cessé <strong>de</strong> favoriser lesintérêts <strong>de</strong> tous les colons.Le gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, M. Dulion, 1677.étant mort, au mois <strong>de</strong> juillet 1677, le lieutenant <strong>de</strong>


(268)1679. roi, Hincelin, beau-frère <strong>de</strong> M. Houël, lui succédaprovisoirement. Le roi nomma à cette p<strong>la</strong>ce ,M. <strong>de</strong> Baaz <strong>de</strong> l'Herpinière, neveu du gouverneurgénéral<strong>de</strong> ce nom, mort à <strong>la</strong> Martinique, en 1676.Mais cette nomination, ayant été sans résultat,M. Hincelin fut confirmé dans le gouvernement, et semontra toujours digne <strong>de</strong> ce choix. (1).1685. Les colonies inquiètes, à cette époque, sur le sort<strong>de</strong>s propriétés que, dans les nombreuses circonstances<strong>de</strong> guerre, elles avaient été menacées <strong>de</strong> voirravager et incendier, avaient vivement exprimé(1) Le fol. n° 8, <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, ne faitplus mention <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Baaz <strong>de</strong> l'Herpinière après sanomination; mais on y trouve une lettre du ministreadressée, un peu plus tard, à M. Hincelin, gouverneur <strong>de</strong><strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, pour <strong>de</strong>s secours à fournir à l'escadre ducomte d'Estrées. Le vol. n° 11, offre une pareille lettreécrite le 23 septembre 1683, au sujet d'états <strong>de</strong> recensement,et fait voir qu'il n'y avait alors pour garnison, à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, qu'une compagnie d'infanterie, et à Marie-Ga<strong>la</strong>nte , qu'une <strong>de</strong>mie compagnie.On ne trouve aucun fait remarquable <strong>de</strong> 1679 à 1685;on voit seulement dans le vol. n° 12. <strong>de</strong>s Archives, qu'unenvoi <strong>de</strong> 100 nouvelles nymphes <strong>de</strong>stinées pour les îles duVent, fut fait <strong>de</strong> Paris, au Havre et à Brest le 9 novembre1685; et que cent autres furent aussi envoyées à Saint-Domingue.


(269)leurs craintes à leurs métropoles. Colbert n'était 1686.plus ; <strong>la</strong> France avait eu le malheur <strong>de</strong> le perdre,<strong>de</strong>ux ans auparavant ; mais son es- prit éc<strong>la</strong>iré, p<strong>la</strong>nantencore sur nos colonies, porta le gouvernementà proposer, à l'Angleterre, un traité qui futsigné à Londres, le g novembre 1686. Il y fut statué,qu'une paix soli<strong>de</strong> et durable serait établieentre toutes les possessions d'Amérique, dépendantes<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux états , et qu'en cas <strong>de</strong> guerre, enEurope, <strong>la</strong> neutralité <strong>la</strong> plus absolue serait observéeà l'égard <strong>de</strong>s colonies du Nouveau-Mon<strong>de</strong> (1).Ces conventions, rassurantes pour <strong>de</strong>s pays essentiellementagricoles, ne furent pas long-temps observées; <strong>la</strong> politique intéressée qui y avait fait souscrireles Ang<strong>la</strong>is, les leur fit violer, dès qu'ils crurentpouvoir attaquer les colonies françaises avec quelqu'espoir<strong>de</strong> succès. La Gua<strong>de</strong>loupe et Marie-Ga<strong>la</strong>ntene tardèrent pas à ressentir les effets <strong>de</strong> leurmauvaise foi.La guerre <strong>de</strong> ce temps n'avait aucune ressemb<strong>la</strong>nceavec celle <strong>de</strong> nos jours ; il s'agissait, pour les colons,d'être dépossédés par l'ennemi ; et cette crainte faisait<strong>de</strong> tous les habitans indistinctement, d'intrépi<strong>de</strong>sdéfenseurs. A <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le théâtre <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerreétait très-resserré ; <strong>la</strong> défense et l'attaque se réduisaientau seul point <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, où était le(2) Annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 1 er page 293.


(270)1689. principal établissement. Le fort Saint-Charles , seulobjet <strong>de</strong> l'attaque, était loin d'être alors, ce qu'onle voit aujourd'hui (1). La rivière du Galion, sur <strong>la</strong>droite <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle il est construit, est extrêmementencaissée, et n'offrait que <strong>de</strong>ux passages, le premierà son embouchure , sous le feu du fort, et l'autreà 1,500 toises plus haut. Pour arriver au fort par<strong>la</strong> rive gauche, il eût fallu franchir l'escarpementdu Galion, et débarquer auparavant à l'anse <strong>de</strong> <strong>la</strong>rivière <strong>de</strong> Sens, sous le fendu fort. Mais une chaîne<strong>de</strong> mornes bor<strong>de</strong> ce mouil<strong>la</strong>ge en arrière, joint lesmonts Saint-Remy, Houëlmont, et empêche le développement<strong>de</strong>s troupes assail<strong>la</strong>ntes. On ne pouvaitdonc songer à faire les approches du fort, que1691. par <strong>la</strong> rive droite.Les Ang<strong>la</strong>is, après s'être emparés <strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte(2) , parurent, vers <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> mai, sous les ordres<strong>de</strong> Codrington le père. Mais, presque aussi faiblesen nombre que les colons, ils ne songèrent qu'àopérer leur débarquement par surprise, et allèrentprendre terre au fond <strong>de</strong> l'anse à <strong>la</strong> Barque, à troislieues sous le vent <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. Us ne pouvaientchoisir un point plus défectueux, par <strong>la</strong> quantité<strong>de</strong> fourrés, <strong>de</strong> ravines et <strong>de</strong> défilés qu'ils avaientà passer pour arriver au fort. Ils auraient été taillés(1) Voir sa <strong>de</strong>scription , tome 1 er , page 184.(2) Voir ce qu'il en est dit, tome 1 er , page 310.


(271)en pièces, si le gouverneur Hincelin , affecté d'une 1691hydropisie grave, eût pu agir avec son activité ordinaire,et se fût douté que leur attaque était réelle.Il se contenta d'y envoyer 25 éc<strong>la</strong>ireurs qui, postésau-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'anse , suffirent pour tenir l'ennemien échec pendant trois heures. Au bout dé cetemps l'ai<strong>de</strong>-major Bor<strong>de</strong>nave, qui les commandait, ayant été tué avec quatre hommes , le reste<strong>de</strong> sa troupe se retira, en bon ordre, à travers <strong>la</strong> ririvièreBeaugendre, sur celle <strong>de</strong>s Habitants , <strong>de</strong>rrière<strong>la</strong>quelle 400 hommes , commandés par lelieutenant <strong>de</strong> roi, arrêtèrent les Ang<strong>la</strong>is tout lereste du jour. Mais l'escadre ennemie, étant venuemouiller à l'embouchure <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière Dupléssis ,les Français se replièrent, pendant <strong>la</strong> nuit, <strong>de</strong>rrièrecette rivière, dont les <strong>de</strong>ux passages étaientretranchés. L'ennemi, ayant perdu, en quatreheures, près <strong>de</strong> 3oo hommes pour forcer ces passages, se disposait à <strong>la</strong> retraite, quand une terreursaisit les <strong>de</strong>ux postes en même temps, et les fit seretirer en désordre. Une réserve, p<strong>la</strong>cée sur les hauteurs<strong>de</strong> <strong>la</strong> Ma<strong>de</strong><strong>la</strong>ine, et bordant <strong>la</strong> rivière du Baillif,aurait rétabli le combat; mais partout les fuyardslâchèrent pied jusqu'au bourg <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, etl'on repassa, dans <strong>la</strong> nuit, <strong>la</strong> rivière du Galion.Cependant les Ang<strong>la</strong>is, qui avaient dévasté toutle pays, <strong>de</strong>puis l'anse à <strong>la</strong>Barque, brûlèrent et saccagèrentle bourg et le quartier du Baillif, détruisi-


(272)1691 rent le château <strong>de</strong> <strong>la</strong> Ma<strong>de</strong><strong>la</strong>ine, dont on ne voitplus que <strong>de</strong>s ruines , et s'approchèrent du fortSaint-Charles, pour en former l'attaque. Le lieutenant;<strong>de</strong> Roi, <strong>la</strong> Malmaison, s'y était renfermé pourle défendre, et tout mauvais qu'il fût, il y fit <strong>de</strong> sibonnes dispositions qu'il résista au canon et à tousles efforts <strong>de</strong> l'ennemi, pendant 36 jours ; il donna letemps au marquis d'Eragny , gouverneur-général,d'arriver <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique avec un renfort, <strong>de</strong> flibustierset d'autres troupes <strong>de</strong> cette colonie. LesAng<strong>la</strong>is, contraints à lever le siège, se rembarquèrent,après avoir pillé et ruiné <strong>de</strong> fond en comble,tous les quartiers où ils avaient pénétré; ils évacuèrentMarie-Ga<strong>la</strong>nte <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière (1).1693. La mauvaise santé du gouverneur Hincelin lui fitsolliciter un congé pour aller se rétablir en France.On le lui expédia, le 29 juillet 1693, mais il n'enprofita pas. Ce ne fut cependant qu'au mois <strong>de</strong>juillet 1695 que <strong>la</strong> colonie eut <strong>la</strong> douleur <strong>de</strong> le perdre.Il avait donné <strong>la</strong> moitié <strong>de</strong>s biens qu'il possédait(1) En 1694, le gouverneur <strong>de</strong> Saint-Domingue, Ducasse,usant <strong>de</strong> représailles, fit une <strong>de</strong>scente à <strong>la</strong> Jamaïque,et lui fit éprouver <strong>de</strong>s torts considérables ; maisles Ang<strong>la</strong>is le lui rendirent l'année d'après, en s'emparantdu Cap-Français et du Port-<strong>de</strong>-Paix, qu'ils livrèrent aupil<strong>la</strong>ge.


(273)<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe aux quatre ordres <strong>de</strong> moines qui y 1695.existaient. Le chevalier Auger, gouverneur particidier<strong>de</strong> Marie - Ga<strong>la</strong>nte , prit le comman<strong>de</strong>mentprovisoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et en fut nommé gouverneur,le 21 août 1695 (1).La colonie n'avait encore fait que très-peu <strong>de</strong>progrès ; <strong>la</strong> France, <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Colbert, négligeaitentièrement ses îles <strong>de</strong>s Antilles; elles commençaientà peine à se ressentir <strong>de</strong>s bons effets <strong>de</strong><strong>la</strong> paix <strong>de</strong> Ryswick, lorsqu'une nouvelle guerre vintencore les mettre à <strong>la</strong> merci <strong>de</strong> leurs ennemis lesplus imp<strong>la</strong>cables. Les Ang<strong>la</strong>is n'en attendirent pas 1702.<strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration pour commencer à piller <strong>la</strong> partie française<strong>de</strong> Saint-Christophe, et pour y enlever les esc<strong>la</strong>ves;ils coupèrent même <strong>la</strong> communication entreles quartiers, et exercèrent, à l'avance, toutes sortesd'actes d'hostilités. Au moment où <strong>la</strong> guerre fut annoncée,ils gardèrent d'autant moins <strong>de</strong> mesures,qu'ils étaient <strong>de</strong> beaucoup les plus forts ; <strong>la</strong> coloniefrançaise n'avait pas 400 hommes pour se défendre,et se trouvait dénuée <strong>de</strong> tout espoir <strong>de</strong> secours.L'observation <strong>de</strong>s anciens pactes <strong>de</strong> neutralité, entre(1) Le chevalier Auger était créole <strong>de</strong> Saint-Christophe;il avait été pris, par un corsaire <strong>de</strong> Salé, dans le royaume<strong>de</strong> Fez, et n'avait pu se racheter qu'après plusieurs annéesd'esc<strong>la</strong>vage. ( Voir à <strong>la</strong> page 310 , du tome 1 er .)II. 18


(274)1702. les <strong>de</strong>ux nations, fut réc<strong>la</strong>mée par les français, maisles Ang<strong>la</strong>is , au lieu d'y souscrire, réunirent lestroupes qu'ils avaient dans les îles voisines , et le généralChristophe Codrington, fils, se trouva bientôt à<strong>la</strong> tête <strong>de</strong> 2,500 hommes. Le 15 juillet 1702, quatrevaisseaux ang<strong>la</strong>is s'approchèrent <strong>de</strong> <strong>la</strong> ra<strong>de</strong> française,et proposèrent une capitu<strong>la</strong>tion , qui fut acceptéesans combattre, et d'après <strong>la</strong>quelle tout ce qu'il yavait <strong>de</strong> Français à Saint-Christophe, fut transportéà <strong>la</strong> Martinique (1). Telle fut <strong>la</strong> manière dont lesperfi<strong>de</strong>s rivaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> France lui ravirent cette colonie,mère <strong>de</strong> tous les établissements formés aux Antilles,qui lui était garantie par les traités les plus solennels(2).(1) Labat, 2 e vol. <strong>de</strong> l'édition <strong>de</strong> 1724, pages 239 etsuiv.(2) Les Ang<strong>la</strong>is s'en firent assurer <strong>la</strong> possession par letraité d'Utrecht, en 1713.


(275)CHAPITREII.Attaque <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par les Ang<strong>la</strong>is, on 1703. —Ils sont forcés à se rembarquer, après avoir pillé etincendié les quartiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. — État <strong>de</strong>sAntilles françaises, jusqu'en 1717.LE gouverneur Auger ayant reçu, dès le 19 juil- 1702.let, <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> Saint-Christophe, et<strong>de</strong> l'intention, manifestée par l'ennemi, <strong>de</strong>venirattaquer <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, ne négligea rien pourmettre cette colonie en état <strong>de</strong> défense.Dans les premiers jours <strong>de</strong> mars , 1703, les An- 1703.g<strong>la</strong>is parurent <strong>de</strong>vant Marie-Ga<strong>la</strong>nte, dont ils s'emparèrentle 6. Pendant qu'ils y rassemb<strong>la</strong>ient uneexpédition, sous les ordres du même général Codrington,le gouverneur Auger réunit, à <strong>la</strong> Basse-Terre , les milices <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre,et <strong>de</strong>s Saintes , qui formèrent un total <strong>de</strong>1418 défenseurs armés, y compris <strong>de</strong>ux compagnies<strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, <strong>de</strong> 120 hommes. Le père Labat, alorssur les lieux, faisait, <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans, l'office d'in-18


(276)1703. génieur et d'artilleur ; il avait ajouté, au fort Saint-Cliarles, une <strong>de</strong>mi-lune, avec quelques autres ouvrages,et avait élevé une tour, sur le bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer,à l'ouest <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Pères. Ce fut le 18 mars, aumatin, que l'escadre ennemie se montra par le travers<strong>de</strong> <strong>la</strong> pointe du vieux fort ; elle était composée <strong>de</strong>7 vaisseaux, 1 frégate, 18 bâtiments marchands armésen guerre, et 19 transports ; en tout 45 voiles.Deux chaloupes armées qu'elle envoya contre lesSaintes, en furent repoussées parles valeureux habitans.Après plusieurs démonstrations, qui ne leur réussirentpas, les Ang<strong>la</strong>is débarquèrent, le 20 mars,400 hommes à l'anse <strong>de</strong> Bouil<strong>la</strong>nte. Ils brûlèrent etsaccagèrent le bourg et ses environs, mais ils perdirentdu mon<strong>de</strong> , et furent obligés <strong>de</strong> se rembarquer,le même soir. Un nouveau débarquement futrepoussé, le 22, à l'anse <strong>de</strong>s Habitants. Enfin, le 23,l'ennemi opéra un débarquement d'environ 1,500hommes, sur trois points, aux anses du Gros-François,<strong>de</strong> Val-<strong>de</strong>-l'Orge et <strong>de</strong>s Habitants, sans trouverd'opposition immédiate dans les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers. Maisau Gros-François, et à l'attaque <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière Dupléssis, il perdit du mon<strong>de</strong>, et ne parvint à les forcer, qu'après une heure et <strong>de</strong>mie <strong>de</strong> combat. Alorsles Français furent obligés <strong>de</strong> se retirer <strong>de</strong>rrière <strong>la</strong>rivière <strong>de</strong>s Pères , où ils se maintinrent le reste dujour, quoique menacés <strong>de</strong> front par l'ennemi, et


(277)battus d'écharpe par le canon <strong>de</strong> l'escadre. Le désa- 1703.vantage <strong>de</strong> cette position décida le gouverneurAuger, à se retirer, <strong>la</strong> nuit, dans le fort, et <strong>de</strong>rrièrele Galion, ce qui s'opéra en bon ordre. Dès le 24,au matin, l'ennemi occupa <strong>la</strong> Basse-Terre, jusqu'à<strong>la</strong> rivière aux Herbes, et fit ses préparatifs d'attaquecontre le fort, où commandait, encore une fois, lelieutenant <strong>de</strong> roi, La Malmaison, qui l'avait si biendéfendu en 1691. Pendant les apprêts du siège, lespartis ang<strong>la</strong>is, chargés d'incendier et <strong>de</strong> dévastertoutes les campagnes où ils pouvaient pénétrer,furent constamment battus. Le 2 avril, les asssiégeansdémasquèrent une batterie, qui ne fut d'abordque <strong>de</strong> cinq pièces <strong>de</strong> dix-huit, et qu'ils portèrentincontinent, à onze pièces.Le 5 avril, M. <strong>de</strong> Gabaret, lieutenant <strong>de</strong> M. <strong>de</strong>Machault, gouverneur-général <strong>de</strong>s îles françaisesd'Amérique, envoyé <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, débarquadans <strong>la</strong> partie <strong>de</strong> l'est, au port <strong>de</strong> Sainte-Marie,avec douze compagnies <strong>de</strong> secours, dont six <strong>de</strong> cesbraves flibustiers qui remplissaient encore ces mersdu bruit <strong>de</strong> leur nom. Le len<strong>de</strong>main tous les Françaisfurent réunis près <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s galions ,sous le comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Gabaret, âgé <strong>de</strong>plus <strong>de</strong> 60 ans , très-caduc et peu propre à remplirles <strong>de</strong>voirs d'un chef militaire. En attaquant sur-lechamples Ang<strong>la</strong>is avec vigueur il les eût forcés àse rembarquer, puisque leur nombre n'était que <strong>de</strong>


(278)1703. quatre mille; mais aussi entêté dans le comman<strong>de</strong>mentqu'incapable <strong>de</strong> résolution, il temporisa et réduisitson système à se replier continuellement <strong>de</strong>vantl'ennemi, quoique ses troupes eussent toujours l'avantage.Enfin ce général craignant, disait-il, queles défenseurs du fort ne fussent massacrés, s'ilétait pris d'assaut, ajouta à toutes ses fautes celleimpardonnable d'en ordonner l'évacuation. Ni lesreprésentations <strong>de</strong>s chefs, ni les murmures <strong>de</strong>stroupes et <strong>de</strong>s habitans, ni <strong>la</strong> protestation écrite ducommandant du fort et <strong>de</strong> tous ses officiers nepurent le faire revenir sur cet ordre funeste. Lefort fut évacué, le 14 avril, après qu'on en eût faitsauter le donjon. Le len<strong>de</strong>main 15, les Ang<strong>la</strong>is furentdéfaits au bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer; mais , malgré cet avantage,M. <strong>de</strong> Gabaret fit encore évacuer un posteretranché, établi sur <strong>la</strong> savanne Milet, à 800 toisesdu rivage, qui battait le fort <strong>de</strong> revers. La colonieeût été perdue, si le général ang<strong>la</strong>is se fût trouvéplus entreprenant. Une tentative , sans vigueur ,qu'il fit contre le réduit <strong>de</strong>s trois rivières, le 27avril, ayant été courageusement repoussée par M. <strong>de</strong>La Malmaison qui y commandait, M. <strong>de</strong> Gabaret,se remit en ligne. L'ennemi fut encore battu, le29 avril, sur <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Galions , et le 7 mai,dans une autre rencontre. A <strong>la</strong> fin les Ang<strong>la</strong>is, découragéspar une perte <strong>de</strong> 1964 hommes, tués oumis hors <strong>de</strong> combat, par <strong>la</strong> guerre ou les ma<strong>la</strong>dies,


(379)<strong>de</strong>puis les cinquante-six jours qu'ils étaient à terre, 1703.prirent, le 18 mai, le parti <strong>de</strong> se rembarquer; mais,selon leur barbare usage, ce ne fut qu'après avoirmis le feu partout. Leurs exploits se bornèrentdonc au pil<strong>la</strong>ge et à l'incendie <strong>de</strong>s bourgs <strong>de</strong>Bouil<strong>la</strong>nte, <strong>de</strong>s Habitants, du Baillif, <strong>de</strong> Saint-François,<strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre; <strong>de</strong> huit églises, <strong>de</strong>s cinqcouvents <strong>de</strong>s religieux, <strong>de</strong> vingt-neuf sucreries, etd'autant <strong>de</strong> petites habitations.Tels furent les germes <strong>de</strong> <strong>la</strong> haine invétérée queles Ang<strong>la</strong>is semèrent, dès le principe, dans le cœur<strong>de</strong> tous les Français <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , et queleurs outrages et <strong>la</strong> violence <strong>de</strong> leur conduite <strong>de</strong>vaientenraciner <strong>de</strong> plus en plus.Le père Labat, qu'on distingua parmi les défenseurs<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, a écrit que le général Codringtonfaisait usage, dans cette expédition, d'un miroircoucave <strong>de</strong> 15 à 16 pouces <strong>de</strong> diamètre, attachéau bout d'une perche <strong>de</strong> 12 à 15 pieds <strong>de</strong> long.Il le faisait porter au premier rang pour démasquerles embûches qu'on aurait pu lui tendre dansles champs <strong>de</strong> cannes brûlées : ce singulier expédientne fit pas fortune.Peu <strong>de</strong> temps après le gouverneur Auger fûtnommé au gouvernement <strong>de</strong> Saint-Domingue, etpartit, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> septembre, pour s'y rendre, <strong>la</strong>issantle comman<strong>de</strong>ment, par interim, <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie àM. <strong>de</strong> Bois-Fermé, gouverneur <strong>de</strong> l'île <strong>de</strong> Marie-


(280)1704. Ga<strong>la</strong>nte, qui était restée au pouvoir <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is.Mais M. <strong>de</strong> La Malmaison, qui avait <strong>de</strong> si beauxtitres au gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, ypromu par le roi et en prit possession, en 1704.1706. Cependant <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> succession au trôned'Espagnefutavait embrasé toute l'Europe. Les arméesnavales <strong>de</strong> Louis XIV avaient éprouvé <strong>de</strong>srevers à Vigo et à Gibraltar. Les victoires <strong>de</strong> Vil<strong>la</strong>rsen Allemagne, d'où l'intrigue le fitavaientrappeler,été suivies du désastre d'Hochstet. Vendômese couvrait <strong>de</strong> gloire en Italie, mais les autresgénéraux français étaient battus en F<strong>la</strong>ndres et àTurin. Au milieu <strong>de</strong> cette lutte opiniâtre , le roifit passer <strong>de</strong>s forces aux Antilles dans l'espoir d'opérerune diversion favorable, ou <strong>de</strong> se préparer <strong>de</strong>smoyens <strong>de</strong> compensation. Ces forces, après avoirrepris Marie-Ga<strong>la</strong>nte aux Ang<strong>la</strong>is, se réunirent à<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe sous les ordres du chef d'escadred'Hyberville et du capitaine <strong>de</strong> vaisseauChavagnac.La division, forte <strong>de</strong> 12 vaisseaux, 1 frégateet 21 bâtiments légers, avait à bord 700hommes<strong>de</strong> troupes <strong>de</strong> débarquement auxquels on en joignit1200 autres, tirés <strong>de</strong>s garnisons <strong>de</strong>s colonies. Ellemit à <strong>la</strong> voile, le 2 avril 1706; attaqua et prit, parcapitu<strong>la</strong>tion, les îles <strong>de</strong> Saint-Christophe et <strong>de</strong>Nièves, se contenta <strong>de</strong> les rançonner, et rentra à <strong>la</strong>Martinique après cette expédition.Tantque le génie <strong>de</strong> Colbert avait survécu à ce


(281)grand-homme , les colonies s'étaient ressenties du 1706bien qu'il avait <strong>la</strong>it. Mais lorsque <strong>la</strong> France, déjàépuisée par <strong>de</strong> nombreuses guerres, se trouva absorbéepar celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> succession d'Espagne, elle neput que s'occuper faiblement <strong>de</strong> ses îles , et les négligeatout-à-fait pendant <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnièresannées <strong>de</strong> Louis XIV. Livrées à <strong>de</strong>s a<strong>la</strong>rmes continuelles, elles eurent à souffrir toutes sortes <strong>de</strong> privations.La paix conclue à Utrecht, le 11 avril 1713, 1713.vint enfin mettre un terme à leurs maux, el lorsqu'ellesen reçurent <strong>la</strong> nouvelle, le 24 août, elles <strong>la</strong>célébrèrent par <strong>de</strong>s réjouissances et une pompe quitémoignaient assez <strong>la</strong> satisfaction qu'elles en ressentaient.Cette allégresse fut troublée, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par un affreux ouragan qui lui fit éprouver<strong>de</strong> grands ravages.Le gouverneur-général, M. <strong>de</strong> Phelipaux, étant1714.mort à <strong>la</strong> même époque, à <strong>la</strong> Martinique, l'ordrefut expédié, le 6 novembre, à M. <strong>de</strong> La Malmaison,gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, d'aller le remp<strong>la</strong>cerprovisoirement. Il s'y rendit, le 8 janvier 1714,et conserva le comman<strong>de</strong>ment général jusqu'au 7novembre suivant, que le marquis Duquesne y arriva,avec le titre <strong>de</strong> gouverneur-général <strong>de</strong>s îlesdu vent. Jusqu'alors ses prédécesseurs avaient portécelui <strong>de</strong> gouverneurs-généraux <strong>de</strong>s îles françaises<strong>de</strong> l'Amérique, dont <strong>la</strong> Martinique était le chef-lieu.


(282)1715. Mais, à dater <strong>de</strong> 1715 , l'île <strong>de</strong> Saint-Domingue enfut séparée et forma un gouvernement général distinct, qui ne tarda pas à <strong>de</strong>venir le plus important<strong>de</strong> tous.Le traité d'Utrecht, qui contenait le principe <strong>de</strong><strong>la</strong> force maritime <strong>de</strong> l'Angleterre, avait enlevé à<strong>la</strong> France une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ses importantes possessionsdu nord <strong>de</strong> l'Amérique , Terre-Neuve,l'Acadie et <strong>la</strong> baie d'Hudson; mais il réveil<strong>la</strong> sasollicitu<strong>de</strong> en faveur <strong>de</strong> celles qui lui restaient. LesAntilles <strong>de</strong>vinrent l'objet plus particulier <strong>de</strong> sa protection; le commerce, auquel plus <strong>de</strong> liberté futaccordée, y reçut <strong>de</strong> nouveaux développements.1717. Un règlement c<strong>la</strong>ir et simple fut substitué, en1717 (1), à tous les arrêts équivoques, qui avaientété successivement arrachés au besoin et à <strong>la</strong> faiblessedu gouvernement. La Métropole semb<strong>la</strong>itvouloir prendre une part active à <strong>la</strong> prospérité <strong>de</strong>ses colonies , lorsqu'elle apprit <strong>la</strong> nouvelle que <strong>la</strong>Martinique venait d'être le théâtre <strong>de</strong> l'événementle plus extraordinaire qui fût encore arrivé dansces contrées.(1) Déc<strong>la</strong>rations du roi du 1 er janvier, 1 er et 2 août1717.


(283)CHAPITREIII.Révolte suscitée à <strong>la</strong> Martinique Le représentant duroi et l'intendant sont dégradés <strong>de</strong> leur emploi et embarqués pour France. — Amnistie générale.UNE rebellion, méditée avec pru<strong>de</strong>nce, ourdie1717.avec audace, éc<strong>la</strong>ta, en 1717, à <strong>la</strong> Martiniqae. Cetterévolte, dont l'histoire <strong>de</strong>s colonies n'avait pas encoreoffert d'exemple, a trop influé sur <strong>la</strong> <strong>de</strong>stinée<strong>de</strong>s Antilles françaises ; les circonstances en ont ététrop méconnues et les détails trop défigurés par lesécrivains qui en ont parlé, pour ne pas les rappeleret rétablir <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong>s faits dans toute leur exactitu<strong>de</strong>.Le marquis Duquêne avait été rappelé en France;M. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Varenne, capitaine <strong>de</strong> vaisseau , nommégouverneur-général <strong>de</strong>s îles du Vent, et M. <strong>de</strong> Ricouard,nommé intendant, arrivèrent à <strong>la</strong> Martinique, le 7 janvier 1717. Dans les instructions,


(284)1717. datées du août 1716, qui leur furent remises àParis, le roi leur enjoignait (1) :« De surveiller le relâchement qui se manifestait» pour <strong>la</strong> religion, surtout parmi les prêtres religieux;d'ôter aux jésuites et aux dominicains, <strong>de</strong>-» venus trop riches par leurs habitations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Mar-» tinique et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, les appointements» qu'ils recevaient comme curés, pour les affecter» à d'autres dépenses; d'empêcher que les commu-» nautés religieuses ne fissent <strong>de</strong> trop grands établis-» sements, et n'eussent pas plus <strong>de</strong> cent nègres tra-» vail<strong>la</strong>nt; d'obliger les habitans à réparer les églises» et à en construire <strong>de</strong> nouvelles; <strong>de</strong> réprimer le» commerce étranger, le monopole et <strong>la</strong> contre-» ban<strong>de</strong> ; <strong>de</strong> mettre ordre aux vexations <strong>de</strong>s officiers» <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> leur faire payer leurs <strong>de</strong>ttes ; <strong>de</strong>» soutenir les petits habitans, qui font <strong>la</strong> force <strong>de</strong>s» colonies, contre les grands et les puissants; d'en(1) Le vol. n° 40 (1716) <strong>de</strong>s Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine,contient un long mémoire et les instructions du roi, particulièresà chacun d'eux, ainsi qu'un autre mémoire, etles instructions qu'ils reçurent en commun.Ces <strong>de</strong>rnières sont rapportées en entier dans le 1 ervol.du Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, (1716), édition in-8° <strong>de</strong>1803.


(285)i attirer <strong>de</strong> nouveaux ainsi que <strong>de</strong>s b<strong>la</strong>ncs engagés, 1717.» qui <strong>de</strong>vaient être dans <strong>la</strong> proportion d'un pour 20)) nègres ; d'établir toutes sortes <strong>de</strong> cultures, et» d'empêcher <strong>de</strong> trop MULTIPLIER LES SUCRERIES ,» par <strong>la</strong> crainte que <strong>la</strong> trop gran<strong>de</strong> culture <strong>de</strong> <strong>la</strong>« canne n'épuisât les terres ; <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer <strong>de</strong> petits ha-« bitanTs dans l'intérieur <strong>de</strong> l'île; <strong>de</strong> faire ouvrir <strong>de</strong>s» chemins pour le transport <strong>de</strong>s <strong>de</strong>nrées, etc., etc. »Une pareille mission, toute opposée aux <strong>de</strong>sseins<strong>de</strong> l'oligarchie, qu'on sentait déjà <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>réprimer, ne pouvait que froisser ses prétentions etses intérêts. Le caractère <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux chefs et les premiersactes émanés <strong>de</strong> leur autorité l'ayant convaincuequ'ils seraient sévères dans l'exécution <strong>de</strong>sordres dont ils étaient porteurs , les oligarques nevirent d'autre moyen <strong>de</strong> s'y soustraire que celuid'une levée <strong>de</strong> bouclier, dont <strong>la</strong> minorité du roi et<strong>la</strong> légèreté <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour semb<strong>la</strong>ient leur promettrel'impunité (1). Elle fut préparée dans le plus grand(1) On voit dans <strong>la</strong> Statistique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, parM. <strong>de</strong> Sainte-Croix, 1 er vol., pages 86 et 87, que les actesadministratifs <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux chefs se bornèrent : 1° A défendre,le 1 ermars 1717, <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> nouvellessucreries; 2° à faire enregistrer, le 3 mars, l'ordre duroi, re<strong>la</strong>tif aux fusils que <strong>de</strong>vaient porter aux colonies lesnavires marchands, Sous peine <strong>de</strong> 30 livres d'amen<strong>de</strong>;


(286)1717. silence; le gouverneur et l'intendant semblèrent <strong>la</strong>favoriser, par <strong>la</strong> confiance avec <strong>la</strong>quelle ils se mirenten route, le 13 mai, pour faire <strong>la</strong> tournée <strong>de</strong> l'île,et pour passer <strong>la</strong> revue <strong>de</strong>s milices, n'ayant d'autresuite qu'un capitaine, un secrétaire et <strong>de</strong>ux gar<strong>de</strong>s.Des tyrans, <strong>de</strong>s concussionnaires, qui ont exaspérétous les esprits, ainsi qu'on l'écrivit alors, ne sontpas ordinairement aussi confiants.Le 17 mai, à 8 heures du soir, au moment où legouverneur et l'intendant se mettaient à table,sur unehabitation du quartier du Diamant, une troupe d'officiers<strong>de</strong> milice, armée <strong>de</strong> fusils et <strong>de</strong> pistolets, pénétraavec fracas dans <strong>la</strong> salle, et les arrêta en leur criantqu'ils avaient ordre <strong>de</strong> les tuer, s'ils faisaient <strong>la</strong>moindre résistance. З00 hommes <strong>de</strong>s milices les gardèrent<strong>la</strong> nuit; le len<strong>de</strong>main matin on les conduisitau bourg du Lamentin, où se trouvait un corps <strong>de</strong>plus <strong>de</strong> mille hommes <strong>de</strong> tous les quartiers, au milieu<strong>de</strong>squels on les p<strong>la</strong>ça, en leur intimant <strong>la</strong> défense <strong>de</strong>parler, sous peine <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie. Les principaux conjuréstinrent conseil pendant ce temps, et aussitôt que3° à <strong>de</strong>stituer, le 3 mai, et à condamner à 1000 livresd'amen<strong>de</strong> un greffier, pour avoir donné communicationd'une procédure criminelle, à <strong>la</strong> partie adverse. Ce sontces actes qui furent taxés <strong>de</strong> concussions , d'abus <strong>de</strong> pouvoiret <strong>de</strong> tyrannie révoltante !


(287)leur chef, le sieur Dubuc, lieutenant-colonel <strong>de</strong>s1717.milices, sortit et signifia au représentant du roiqu'il n'était plus gouverneur, et à M. <strong>de</strong> Ricouardqu'il n'était plus intendant, <strong>la</strong> troupe cria vive leroi! vive M. Dubuc notre commandant! Le 19 aumatin, Dubuc, investi du comman<strong>de</strong>ment en chef<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, fit assembler <strong>la</strong> noblesse, les conseillers,les officiers, les privilégiés, pour délibérer surles moyens d'assurer <strong>la</strong> tranquillité publique. Desmesures violentes, contre le gouverneur et l'intendant,y furent proposées, mais on s'en tint à déci<strong>de</strong>rqu'ils seraient conduits à Saint-Pierre pour y êtreembarqués et déportés en France; qu'une députationserait sur-le-champ envoyée aux troupes <strong>de</strong> ligneen garnison dans les forts, pour leur proposer d'observer<strong>la</strong> plus exacte neutralité, et les engager à nepas s'immiscer dans les affaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie jusqu'àce qu'on eût reçu <strong>de</strong> nouveaux ordres du roi, leurpromettant, en retour, une entière liberté. Les <strong>de</strong>uxlieutenants <strong>de</strong> roi <strong>de</strong> l'île <strong>de</strong>vaient être conservés,chacun dans le département qui lui était confié,mais sans agir ni rien ordonner que <strong>de</strong> concert avecle commandant en chef Dubuc. Ces propositions,ratifiées et acceptées <strong>de</strong> part et d'autre, on mit les<strong>de</strong>ux prisonniers en route, et le 20, en passant <strong>de</strong>vant<strong>la</strong> cita<strong>de</strong>lle du Fort-Royal, on les prévint ques'ils s'avisaient <strong>de</strong> faire le moindre signal aux troupesqui étaient sur les g<strong>la</strong>cis, on leur ferait sauter


(288)1717. <strong>la</strong> cervelle. Ils furent déposés dans une maison duCarbet, à un quart <strong>de</strong> lieue <strong>de</strong> Saint-Pierre, toutesles milices <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie étant sous les armes. Lemai, sans leur permettre <strong>de</strong> communiquer, mêmeavec leurs gens, d'emporter aucun <strong>de</strong> leurs papiers,ni les moindres effets, on les fit embarquer, sur unbâtiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Rochelle. Ce bâtiment portait enmême temps une lettre adressée au roi, au nom <strong>de</strong>shabitants, pour justifier cette étrange rebellion ; etles prisonniers furent escortés , jusqu'au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>sdébouquements, par un bateau monté <strong>de</strong> 150 miliciensbien armés.Ainsi s'opéra cette audacieuse révolte, appeléedans le pays du nom caraïbe <strong>de</strong> gaoulé. Toute <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion y prit part ; elle y fut portée par l'appréhension<strong>de</strong> voir réprimer <strong>la</strong> contreban<strong>de</strong>; leshonnêtes gens y furent contraints par force, afin <strong>de</strong>sauver leurs biens et leur vie, qu'une popu<strong>la</strong>ceégarée menaçait <strong>de</strong> leur enlever. Mais elle ne futpas plutôt consommée, que les chefs sentirent toutel'énormité <strong>de</strong> l'attentat qu'ils venaient <strong>de</strong> commettre;ils s'empressèrent <strong>de</strong> faire écrire, par <strong>la</strong> colonie,au régent du royaume, au grand amiral et aumaréchal d'Estrées, vice-roi d'Amérique, pour solliciterleur protection auprès du roi. Le 25 mai,Dubuc se démit du comman<strong>de</strong>ment général; il futconfié au plus ancien lieutenant <strong>de</strong> roi, M. <strong>de</strong> Bègue,et les habitants dressèrent un second Mémoire res-


(289)pectueux au roi, pour chercher à se justifier parles imputations d'abus <strong>de</strong> pouvoir , <strong>de</strong> concussionset <strong>de</strong> tyrannies, dont Us chargèrent MM. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Varenneet <strong>de</strong> Ricouard (1).La cour, étant instruite <strong>de</strong> cet événement, jugeaà propos <strong>de</strong> n'user que <strong>de</strong> clémence envers <strong>la</strong> colonie,dans l'espoir d'y faire cesser tout commerce avec lesétrangers. Depuis long-temps elle tendait vers cebut; mais jusque-là elle avait fait pour l'atteindred'inutiles efforts. Une amnistie fut promise, sous1717.(1) Lo pòro Labat n'a pu parler <strong>de</strong> cet événement danssa première édition <strong>de</strong> 1724 , parce que son ouvrage s'arrêteà l'année 1705; mais il l'a rapporté, et défiguré, commeon l'a voulu, dans son édition <strong>de</strong> Comp<strong>la</strong>isance, impriméeà Paris, en 1742; et c'est d'après lui que tous les écrivainsen ont rejeté l'odieux sur les concussions et <strong>la</strong> tyrannie<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux chefs , plusieurs même ont présenté cotte révoltecomme un coup d'état digne <strong>de</strong>s plus beaux temps <strong>de</strong>s républiquesgrecque et romaine.Mais dans les Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, années 1716, 1717et 1718, on trouve les pièces officielles qui mettent à portéed'en mieux juger; d'ailleurs les Annales <strong>de</strong> ta Martinique,édition <strong>de</strong> 1786, vol. 1 er , page 411 à 467, contiennentles détails <strong>de</strong> cette rebellion, toutes les lettres écrites parles habitants, et les mémoires justificatifs <strong>de</strong> MM. <strong>de</strong> <strong>la</strong>Varenne et <strong>de</strong> Ricouart à leur arrivée à Paris.II. 19


(290)1718. cette condition expresse. Le vaisseau le St-Florent,chargé <strong>de</strong> toutes espèces <strong>de</strong> secours, en hommes et envivres, fut expédié, <strong>de</strong> Nantes; avec ordre <strong>de</strong> prendreà <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>, le gouverneur, M. <strong>de</strong> Feuquières, et<strong>de</strong> le porter à <strong>la</strong> Martinique, pour y comman<strong>de</strong>r provisoiremenl(i).Il y arriva le 5 octobre 1717, et le 15mars 1718, M. <strong>de</strong> Feuquières fut nommé gouverneurgénéral <strong>de</strong>s îles du Vent. Une amnistie pleine etentière fut, en même temps, publiée à <strong>la</strong> Martinique ;on feignit d'exclure Dubuc, le chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolte, etcinq <strong>de</strong>s officiers <strong>de</strong> milice qui avaient arrêté le gouverneuret l'intendant ; il fut ordonné à ces six individus<strong>de</strong> se rendre au Fort-Royal, pour être envoyésen France, où l'on examinerait leur conduite.Le gouverneur <strong>de</strong> Feuquières ayant fait prêterséparément à chaque ordre un nouveau serment <strong>de</strong>fidélité, en fut réprimandé ; le ministre lui écrivit,le 26 décembre, que tous les sujets du roi étaientobligés au serment par le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> leur naissance,(1) Le conseil supérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe écrivit auroi, le 21 juillet 1717, au sujet <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolte <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, pour lui renouveler l'assurance <strong>de</strong> <strong>la</strong> fidélité <strong>de</strong><strong>la</strong> colonie. Le 27 octobre suivant, il lui fut répondu unelettre <strong>de</strong> satisfaction. (Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, année1717.)


( 2 9 1 )et que, dans les colonies, on ne <strong>de</strong>vait pas con- 1719.naître <strong>de</strong> corps <strong>de</strong> noblesse , <strong>de</strong> clergé ni <strong>de</strong> tiersétat.A <strong>la</strong> sollicitation du gouverneur, le sieurDubuc fut dispensé du voyage <strong>de</strong> France ; il lui futmême tenu compte <strong>de</strong> ce qu'il s'était constitué prisonnierau Fort-Royal ; on lui expédia, en mars1719, <strong>de</strong>s lettres d'abolition, qu'il reçut au mois <strong>de</strong>mai par le vaisseau le Triton.Le conseil supérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique avait reçuordre <strong>de</strong> faire le procès aux cinq autres officiers quiavaient pris <strong>la</strong> fuite ; ils furent condamnés par contumace, mais <strong>de</strong>s lettres portant amnistie ayant étéaccordées, dès le 22 septembre, leur furent expédiéesle 14 janvier suivant. Le procureur-général,qu'on savait avoir été un <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> l'insurrection(1), ne fut point recherché.Ainsi se termina cette rébellion, <strong>la</strong> plus extraordinairedont une colonie ait jamais donné l'exempleen pleine paix, et sans autre motif que celui <strong>de</strong><strong>la</strong> résistance coupable <strong>de</strong> quelques habitans privilégiésà l'autorité du roi et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole. Ce couphardi <strong>de</strong> l'oligarchie <strong>la</strong> convainquit qu'elle pouvaitimpunément tout tenter pour fixer sa dominationexclusive sur les îles. A partir <strong>de</strong> cette époque, on(1) Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, année 1719.19


(292)1719. verra les exploiter à son profit particulier, et concentreren elle seule ce qu'elle saura, dans tous lestemps, décorer du titre d'intérêt colonial, au détriment<strong>de</strong> l'intérêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> France et du plus grand nombre<strong>de</strong>s colons.


(293)CHAPITREIV.Comment fut provoquée l'ordonnance <strong>de</strong> 1719, qui défenditaux gouverneurs et intendants <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s habitationsaux colonies Désastre occasioné par le système<strong>de</strong> Law. — État <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. —Dernière époque<strong>de</strong>s engagés. — Guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> succession d'Autriche.— Paix d'Aix-<strong>la</strong>-Chapelle. — Histoire du faux prince <strong>de</strong>Modène. — Perfidie <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, en 1755.M. <strong>de</strong> La Malmaison, gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>- 1719.loupe, était mort, en mai 1717 , <strong>la</strong>issant une mémoireglorieuse et chère à <strong>la</strong> colonie. Le major Bachelieren prit le comman<strong>de</strong>ment, par intérim; lechevalier <strong>de</strong> Feuquières, commandant à <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>,venait d'être nommé gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,le 21 juillet 1717, lorsque les troubles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martiniquel'appelèrent dans cette colonie; il y fut faitgouverneur-général <strong>de</strong>s îles du vent, le 15 mars 1718.En conséquence, le comte <strong>de</strong> Moyencourt, quiavait été promu au gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>le 14 août 1717, fut nommé gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua-


(294)1719. <strong>de</strong>loupe le 18 mars 1718; il ne partit <strong>de</strong> Paris quel'année suivante, sur le vaisseau le Triton. M. <strong>de</strong>Savigny ayant été fait lieutenant <strong>de</strong> roi, vint <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique, comman<strong>de</strong>r, par intérim, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Le comte <strong>de</strong> Moyencourt y arriva, en mai1719, <strong>de</strong>ux mois et <strong>de</strong>mi après qu'on y eut reçu<strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Franceà l'Espagne.Ce gouverneur, ayant voulu former une habitation,<strong>de</strong>manda <strong>la</strong> permission <strong>de</strong> tirer 5o nègres <strong>de</strong>scolonies étrangères; il en fut vivement réprimandédans une lettre du 3 novembre, ou le conseil du roilui reprocha <strong>de</strong> vouloir ainsi, par son exemple, autoriseravec les étrangers un commerce <strong>de</strong>puis longtempsprohibé. C'est ce qui provoqua l'ordonnancedu roi, du 7 novembre 1719, qui défendit à tous lesgouverneurs et intendants <strong>de</strong> colonie d'y possé<strong>de</strong>r1720. <strong>de</strong>s habitations. On craignait qu'en <strong>de</strong>venant p<strong>la</strong>nteurs, ils ne fussent portés à favoriser les intérêtsparticuliers <strong>de</strong>s colons, aux dépens <strong>de</strong>s intérêts générauxdu commerce <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole.Au moment où l'on s'attendait à voir se réaliserles apparences <strong>de</strong> prospérité produites par les faveiirsque <strong>la</strong> France avait, en 1717, accordées à sescolonies , elles eurent beaucoup à souffrir <strong>de</strong>sfunestes résultats du système proposé par un vilétranger, et qu'un déplorable aveuglement avait faitadopter par le régent du royaume. Law bouleversa


(295)toutes les idées reçues ; son système plongea <strong>la</strong> 1720.France dans un abîme <strong>de</strong> maux, et son influencefut fatale aux colonies (1). Ainsi, <strong>de</strong>puis leur originejusqu'à nos jours, on voit ces établissementsincessamment occupés à réparer les désastres causéstantôt par les erreurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, tantôt par <strong>la</strong>haine et <strong>la</strong> jalousie <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is , tantôt, et plus fréquemmentencore, par <strong>la</strong> fureur <strong>de</strong>s éléments (2).Cependant les Antilles françaises <strong>de</strong>venaient flo- 1724.rissantes, soit par l'heureuse culture du café, quicommença <strong>de</strong> se propager à <strong>la</strong> Martinique dès l'année1723, et à <strong>la</strong>quelle les Ang<strong>la</strong>is ne se livrèrent quedix ans plus tard (3); soit par <strong>la</strong> liberté plus étenduedonnée au commerce <strong>de</strong>s colonies par <strong>la</strong> métropole;soit surtout par l'usage qu'avaient adopté les colons<strong>de</strong> s'établir au milieu <strong>de</strong> leurs propriétés, pour endiriger eux-mêmes l'exploitation, moyen assuréd'accroître leur fortune; soit enfin par les bénéfices(1) Voir <strong>la</strong> note première à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> ce volume.(2) Une lettre que le gouverneur Moyencourt écrivitle 12 décembre 1724, au ministre, fait connaître que <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe éprouva, dans <strong>la</strong> nuit du 23 au 24 août, uncoup <strong>de</strong> vent affreux, dont les ravages causèrent unegran<strong>de</strong> disette.(3) Voir <strong>la</strong> page 38 <strong>de</strong> ce vol., et <strong>la</strong> page 29 du premiertome.


(296)1725. considérables qu'elles retiraient <strong>de</strong> <strong>la</strong> contreban<strong>de</strong>avec les Espagnols. C'est cette contreban<strong>de</strong>, ou commerceinterlope avec les étrangers, que <strong>la</strong> cour,malgré ses sollicitu<strong>de</strong>s et ses défenses, ne pouvaitparvenir à détruire ; et dont les gouverneurs donnaientassez ordinairement l'exemple (1). M. <strong>de</strong>Moyencourt fut soupçonné <strong>de</strong> le favoriser à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,et c'était le moindre <strong>de</strong>s torts qu'on eût à luireprocher. Il parvint au ministère <strong>de</strong> nombreusesp<strong>la</strong>intes <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s colons, qui l'accusaient d'empiétersur <strong>la</strong> justice, <strong>de</strong> troubler les juges dans leursfonctions , <strong>de</strong> délivrer <strong>de</strong>s ordonnances contrairesaux jugements, et en opposition les unes aux autres.Dans <strong>la</strong> suite, <strong>de</strong> plus graves reproches lui furent faitsau sujet du commerce considérable avec les étrangers,qu'il tolérait, ce qui provoqua les lettres-pa-(2) Dans ces temps , peu <strong>de</strong> gouverneurs furent à l'abridu reproche <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> contreban<strong>de</strong>; le 27 janvier 1694 ,le ministre en adressa d'assez vifs, au comte <strong>de</strong> Blenac,gouverneur-général à <strong>la</strong> Martinique, accusé <strong>de</strong> faire ce commerceavec les ennemis; ce qui fut reconnu par <strong>de</strong>s lettrestrouvées sur un bâtiment, venant <strong>de</strong> Saint-Thomas,capturé par les Français à <strong>la</strong> hauteur du Cap Saint-Vincent;néanmoins le 20 octobre suivant, le roi lui fit témoignersa satisfaction pour ses bons services, (vol. n° 19,année 1694 , <strong>de</strong>s Archives.)


(297)tentes, en forme d'édit du roi, du mois d'octobre 1727.1727; elles prescrivirent <strong>de</strong>s précautions suffisantespour faire cesser ce commerce frauduleux, et prononcèrent<strong>de</strong>s peines sévères contre les contrevenants.Enfin, M. <strong>de</strong> Moyencourt fut rappelé enFrance le 21 octobre (1).Une ordonnance <strong>de</strong> <strong>la</strong> même date, le remp<strong>la</strong>çaà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par M. Dupoyet, gouverneur<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>, à qui les ordres les plus précis furentdonnés pour réprimer le commerce interlope, querien ne semb<strong>la</strong>it pouvoir détruire dans cette île (2).Ce gouverneur créa , l'année suivante , l'importantétablissement <strong>de</strong>s lépreux , à <strong>la</strong> Désira<strong>de</strong> (3). 1728.La France avait fait, quelques années auparavant;(1) En 1720, il avait écrit en faveur <strong>de</strong> l'arpenteurDavid, qui prétendait avoir résolu le problème <strong>de</strong> <strong>la</strong> quadraturedu cercle; on lui répondit, le 20 septembre, pourautoriser ce savant à vendre son prétondu secret auxAng<strong>la</strong>is ou aux Hol<strong>la</strong>ndais.(2) M. Dupoyet avait été fait lieutenant-colonel d'unrégiment <strong>de</strong> milices <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le 22 août 1717;en 1720, il était major <strong>de</strong> Mario-Ga<strong>la</strong>nte, et commandant<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre , d'où il avait passé au gouvernement !<strong>de</strong> <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>. Il y fut remp<strong>la</strong>cé par M. do Larnage lieutenant<strong>de</strong> roi. |3) Voir le chapitre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Désira<strong>de</strong>, 1 er vol. page 327.


(298)1733. <strong>de</strong>s tentatives pour former <strong>de</strong>s établissements dansles îles neutres <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique et <strong>de</strong> Saint-Vincent,qui appartenaient aux Caraïbes. Elle s'engagea, parcette entreprise, dans <strong>de</strong>s discussions avec l'Angleterre,qui commencèrent en 1732,et ne se terminèrentqu'en 1733, par un traité, dans lequel,l'une et l'autre puissance consentirent à évacuer ces<strong>de</strong>ux îles.1734. L'état <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> M. du Poyet, et l'affaiblissement<strong>de</strong> ses forces, faisant craindre que dans les conjoncturesoù se trouvait l'Europe, menacée d'unerupture prochaine entre <strong>la</strong> France et l'Angleterre ,il ne pût pas conserver l'île importante <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe: le roi lui donnasa retraite, le 27 juilet1734. Mais pour reconnaître le désintéressementdont il avait donné <strong>de</strong>s preuves, et ses bons servicesjil lui fut accordé une pension <strong>de</strong> 3,000 liv.,<strong>la</strong> plus forte qu'eût encore obtenue un gouverneur<strong>de</strong> colonie.M. <strong>de</strong> Larnage, gouverneur très-estimé <strong>de</strong> <strong>la</strong>Grena<strong>de</strong>, futnommé gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loiipe,le 27 juillet, et reçut l'ordre <strong>de</strong> mettre <strong>la</strong>Basse-Terre et le Fort Louis <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gran<strong>de</strong>-Terre,1735. en état <strong>de</strong> défense (1). Mais les fortifications furent(1) Un officier du nom d'Houël, était alors chargé <strong>de</strong>


(299)endommagées par les secousses d'un tremblement <strong>de</strong> 1736.terre, qui se renouvelèrent plus violemment pendantles <strong>de</strong>ux mois d'août et <strong>de</strong> septembre 1736, etnécessitèrent <strong>la</strong> construction d'un nouveau magasinà poudre.Tous les chemins <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie furent aussi rétablis 1737.par les soins du Marquis <strong>de</strong> Larnage, dont l'expellenteadministration , exempte <strong>de</strong> tout reproche,doitêtre citée pour modèle. Le 25 juin 1737 , ilfut appelé au gouvernement <strong>de</strong> Saint-Domingue,et M. <strong>de</strong> Clieu, lieutenant <strong>de</strong> roi, à <strong>la</strong> Martinique, qui se trouvait alors en France, futnommé gouverneur à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Larnage. Ilpartit <strong>de</strong> Rochefort, le 16 juillet, sur le vaisseau leProfond,et arriva peu après à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.L'année suivante, en 1738, un coup <strong>de</strong> vent força 1738.beaucoup d'habitants, par suite <strong>de</strong>s pertesqu'ilséprouvèrent, <strong>de</strong> quitter <strong>la</strong> colonie, ce qui en affaiblitconsidérablement <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion (1).La coutume <strong>de</strong> se servir d'engagés,s'était insensiblementperdue à cette époque, quoiqu'en 1716,on eût enjoint à chaque habitant, d'en avoir au<strong>la</strong> construction et <strong>de</strong> l'entretien <strong>de</strong>s fortifications <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe; il fut promu, en 1740, au gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> capi<strong>la</strong>ine.(1) Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine.


(300)1738. moins un sur 20 nègres : et que le 12 mai 1719, leconseil d'état eût arrêté , que les vagabons et genscondamnés aux galères, seraient transportés auxcolonies, pour y servir comme engagés. Le 15 novembre1728, un règlement du roi, avait <strong>de</strong> nouveaufixé leur service à trois ans , au lieu <strong>de</strong> dixhuitmois , et ordonné que chaque bâtiment partantpour les colonies , fût forcé d'y porter trois <strong>de</strong> cesengagés.Le 5 novembre 1730, on avait réglé que <strong>la</strong> capitation<strong>de</strong> 100 livres <strong>de</strong> sucre brut, établie sur chaque individu,continûeraitd'êtrepayéepar les engagés. Le 27novembre 1735 , il leur fut permis, comme à tousles autres habitans, <strong>de</strong> se racheter, en argent, <strong>de</strong> celtecapitation, et c'est <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière fois qu'il est fait mentiond'eux. En 1737, il fut ordonné que les bâtimentsobligés <strong>de</strong> porter un certain nombre d'engagésdans les colonies, les remp<strong>la</strong>ceraient par autant <strong>de</strong>soldats (1).L'usage avait aussi prévalu jusqu'alors aux AntilleSj^<strong>de</strong>vendreet d'acheter, comme esc<strong>la</strong>ves , les Ca-(1) Un arrêt du conseil d'État, renouve<strong>la</strong> cette disposition,le 10 septembre 1774, et ordonna que les capitainesjadis obligés <strong>de</strong> porter dans les îles un certain nombred'engagés, étaient tenus d'y passer <strong>la</strong> même quantité <strong>de</strong>soldats ou d'ouvriers <strong>de</strong>stinés au service <strong>de</strong>s colonies.


( 3 0 1 )raïbes et les Indiens : mais un arrêt du conseild'état, du 2 mars 1739, défendit ce trafic, et déc<strong>la</strong>ralibres, tous ceux qui iraient dans nos colonies. Cetteconquête <strong>de</strong> l'humanité sur <strong>la</strong> barbarie, mérite d'êtreconservée dans le souvenir <strong>de</strong>s peuples civilisés.Les ravages causés par un nouvel ouragan forçèrent<strong>la</strong> Métropole à se relâcher <strong>de</strong> son système d'exclusion; le gouverneur <strong>de</strong> Clieu fut autorisé à permettrel'introduction momentanée <strong>de</strong>s vivres et <strong>de</strong>sbois étrangers, en prohibant sévèrement tout autreobjet.Nonobstant leurs ca<strong>la</strong>mités , <strong>la</strong> situation <strong>de</strong>s coloniesfrançaises s'améliorait. La culture du cafésemb<strong>la</strong>it les dédommager <strong>de</strong> leurs pertes ; ses produitsavaient enrichi le commerce et ranimé l'activité<strong>de</strong>s habitans, lorsque le feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong>succession d'Autriche se répandit au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s mers,et détruisit encore une fois leur prospérité. Cetteguerre, que <strong>de</strong>s victoires rendirent glorieuse à <strong>la</strong>France continentale, fut funeste à ses colonies par<strong>la</strong> négligence que le cardinal <strong>de</strong> Fleuri avait apportéà sa marine. Les Ang<strong>la</strong>is, fiers <strong>de</strong> parcourirlibrement les mers que nous leur abandonnionsécrasaient notre commerce, au moyen <strong>de</strong> leursnombreuses escadres, et <strong>la</strong> France n'avait que 35vaisseaux <strong>de</strong> ligne à leur opposer. La disette se faisaitcruellement sentir dans nos possessions d'Amérique,qui n'avaient ni un Labourdonnaye, ni un Dupleix,1739.1740.1741.


(302)1733. pour tenter en leur faveur, ce que le gouvernementne pouvait plus faire. L'obligation <strong>de</strong> récourir âl'étranger, fit alors inventer un système <strong>de</strong> comiricrcé,dont <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong>s temps empêcha d'abord<strong>de</strong> prévoir les déplorables effets. Les étrangers furentadmis dans nos colonies, avec <strong>de</strong>s permissions qu'onleur vendit très-cher, mais dont ils surent bien sefaire rembourser par les habitans. Tout tendait à1748. une ruine prochaine, lorsque <strong>la</strong> paix d'Aix-La-Chapelle,vint mettre un terme aux souffrances <strong>de</strong>s côlonset ranimer en eux l'espoir d'une prospéritéqu'ils n'avaient fait qu'entrevoir (1).Mais combien cet espoir fut <strong>de</strong> courte durée ! Lesre<strong>la</strong>tions amicales qui s'étaient établies entre làFrance et l'Angleterre, cessèrent bientôt, par <strong>la</strong>jalousie qu'inspirèrent au cabinet <strong>de</strong> Saint-James,l'ar<strong>de</strong>ur et l'activité, que les Français mettaient àréparer leurs désastres. Redoutant <strong>de</strong> les voir luidisputer l'empire <strong>de</strong>s mers, Ce cabinet perfi<strong>de</strong> re-1749. nouve<strong>la</strong>, sans déc<strong>la</strong>ration et en vio<strong>la</strong>tion du droit<strong>de</strong>s gens, les hostilités dans le Canada, qu'il con-(1) A cette époque parut à <strong>la</strong> Martinique, un fauxprince héréditaire <strong>de</strong> Modène, dont l'histoire est aujourd'huisi peu connue qu'on nous saura quelque gréd'en avoir retracé les circonstances les plus curieuses,dans <strong>la</strong> note n° 2 , p<strong>la</strong>cée à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> cet ouvrage.


(303)voi<strong>la</strong>it. Une c<strong>la</strong>use équivoque, insérée à <strong>de</strong>sseindans le traité d'Aix-<strong>la</strong>-Chapelle, en fut le prétexte.II s'en suivit <strong>de</strong>s explications, que les Ang<strong>la</strong>is surentfaire traîner en longueur, pour se préparer, dansan ténébreux silence, à une explosion soudaine.Le gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, M. <strong>de</strong> Clieu,que ses affaires obligèrent d'aller en France, parcongé, et <strong>de</strong> séjourner à <strong>la</strong> Martinique, reçut, en témoignage<strong>de</strong> <strong>la</strong> confiance du roi pour ses bons services, l'autorisation <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r dans cette <strong>de</strong>rnièreîle, sous les ordres du gouverneur-général,pendant tout le temps qu'il y resterait. En son absence,M. <strong>de</strong> Lafond, lieutenant <strong>de</strong> roi, remplitpar intérim, les fonctions <strong>de</strong> gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, et sa conduite fit vivement regretterM. <strong>de</strong> Clieu. Celui-ci revint l'année suivante, avec<strong>la</strong> mission particulière, et sans cesse renouvelée, <strong>de</strong>réprimer le commerce étranger, qui dépuis son absence,s'y faisait publiquement. Mais sa santé le forçabientôt après son arrivée, <strong>de</strong> repasser en France,pour y présenter <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa retraite. Ill'obtint le 24 septembre, avec une pension <strong>de</strong>6,000 livres ; c'était le double <strong>de</strong> celle accordée àM. du Poyet, qui cependant avait été jusqu'à cetteépoque, <strong>la</strong> plus forte <strong>de</strong> celles accordées aux gouverneurs<strong>de</strong> colonies.Le lieutenant <strong>de</strong> roi, Lafond , prit <strong>de</strong> nouveau ,17491750.1751.1752.


(304)par interim, le comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.1753. Le chevalier <strong>de</strong> Mirabeau, capitaine <strong>de</strong> vaisseau,en fut nommé gouverneur , mais il n'y arrivaqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1753. Il avait reçu en partant, l'in-1754 jonction <strong>la</strong> plus précise <strong>de</strong> ne rien entreprendre,sans les ordres du gouverneur-général, M. <strong>de</strong> Bompar,et <strong>de</strong> s'entendre surtout avec son ordonnateur,M. Marin, pour comprimer <strong>la</strong> contreban<strong>de</strong> avecles étrangers.1755. Le commerce français s'abandonnait à une sécuritéprofon<strong>de</strong>, au sein d'une paix qu'aucun orage nesemb<strong>la</strong>it menacer. Ce moment parut favorable à <strong>la</strong>déloyauté <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, pour exécuter l'iniqueagression, à <strong>la</strong>quelle ils s'étaient secrètement préparés.Sans déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> guerre, sans aucun motifqui pût faire pressentir une attaque soudaine,ils envoyèrent, à l'improviste et sur toutes les mers,<strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong> guerre pour se saisir <strong>de</strong> tous lesnavires français naviguant sur <strong>la</strong> foi <strong>de</strong>s traités. Ilsen enlevèrent plus <strong>de</strong> 300, et s'emparèrent <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxvaisseaux <strong>de</strong> ligne, refusant, avec hauteur, d'entrerdans aucune <strong>de</strong>s voies d'accommo<strong>de</strong>ment, dontl'ouverture; leur fut faite par Louis XV.1756. La France indignée sortit enfin <strong>de</strong> <strong>la</strong> stupeur oùl'avait jetée cette odieuse aggression; <strong>de</strong> grands armemensfurent le résultat <strong>de</strong> ses sacrifices, et les


(305)affaires changèrent bintôt <strong>de</strong> face. Les Ang<strong>la</strong>is , 1756.battus au Canada, furent menacés d'une invasiondans <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne ; <strong>la</strong> Galisonnière remportasur eux cette victoire navale, qui fit tomber<strong>la</strong> tête <strong>de</strong> l'amiral Bing , sacrifié à l'orgueil et à l'amour - propre national ; Port - Mahon , regardécomme imprenable, leur fut enlevé par Richelieu,et leurs armées <strong>de</strong> terre éprouvèrent plusieurs échecsen Allemagne.Le chevalier <strong>de</strong> Mirabeau fatigué <strong>de</strong> l'inaction où 1757.il était forcé <strong>de</strong> rester, <strong>de</strong>manda et obtint <strong>la</strong> permission<strong>de</strong> quitter le gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, pour reprendre son service dans <strong>la</strong> marine.M. Na<strong>de</strong>au du Treil, lieutenant <strong>de</strong> roi à <strong>la</strong> Martinique, fut nommé à sa p<strong>la</strong>ce, le 15 janvier 1757 , gouverneur<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Il reçut ordre <strong>de</strong> se teniren gar<strong>de</strong> contre une flotte ang<strong>la</strong>ise, <strong>de</strong> 120 à 13ovoiles, parmi lesquelles on comptait 18 vaisseaux.Elle portait 15,000 hommes <strong>de</strong> troupes; cestroupes avaient été débarquées à l'île d'Aix; maiscontenues par le faible corps que commandait lemaréchal <strong>de</strong> Senneterre, elles avaient remis en mer.Le gouvernement français craignit qu'elles ne fussentdirigées vers les Antilles : cette crainte ne seréalisa pas.II. 20


(306)CHAPITRE V.Attaque <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, repoussée. — Attaque et prise<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe par les Ang<strong>la</strong>is, en 1759. — Procèset jugement du gouverneur et <strong>de</strong>s principaux officiers<strong>de</strong> cette colonie. — Prise <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, en 1762.1758. LA guerre se prolongeait et occupait trop sérieusement<strong>la</strong> France , en Europe, pour lui permettre<strong>de</strong> veiller à <strong>la</strong> sûreté <strong>de</strong> ses colonies. Sespossessions dans l'In<strong>de</strong>, en Afrique et sur le continentaméricain tombèrent au pouvoir <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>isqui, enflés par leurs succès , vinrent attaquerles îles du vent.Une escadre <strong>de</strong> douze vaisseaux, six frégates,quatre galiotes à bombes et quatre-vingt transports ,commandée par le chef d'escadre Moore, portant6,000 soldats <strong>de</strong> ligne, sous les ordres du général Barrington,partit<strong>de</strong> Portmouth, le 15 novembre 1758.Arrivée à <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>, le 3 janvier, elle y prit 2,000hommes <strong>de</strong>s milices ou <strong>de</strong>s noirs travailleurs <strong>de</strong>s îles1759. voisines, et se présenta <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Martinique, le 15.


(307)Elle opéra, le len<strong>de</strong>main, <strong>de</strong>ux débarquements à Case- 1759.Navire et à <strong>la</strong> Pointe <strong>de</strong>s Nègres. Mais les habitans ,encouragés par leur gouverneur-général, le marquis<strong>de</strong> Beauharnais, s'y portèrent en foule, sans leurdonner le temps <strong>de</strong> prendre pied. Ils s'embusquèrentdans les halliers, dans les ravins et dans lesbois, harcelèrent les troupes débarquées, les mirenten déroute sur le morne Tartanson, leurtuèrent ou prirent 400 hommes, et forcèrent les autresà se rembarquer. L'escadre, après avoir éprouvé<strong>de</strong>s avaries, lit voile pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, oùelle parut le 20 janvier.Le succès avec lequel cette colonie était parvenueà repousser les attaques dirigées contre elle, en 1691et en 1703 , avait donné une haute idée <strong>de</strong> sa forceà <strong>la</strong> France qui se dissimu<strong>la</strong>it les changements survenus, dans l'intérieur <strong>de</strong> l'île, pendant le cours <strong>de</strong>cinquante-six années. Autrefois l'usage était <strong>de</strong> détruirepar le fer et par le feu tout ce qu'il était impossibled'enlever; aussi tous les habitants, sansdistinction, rivalisaient-ils d'audace et <strong>de</strong> patriotismepour concourir à <strong>la</strong> défense commune. Maisles progrès <strong>de</strong> <strong>la</strong> civilisation, en abolissant l'usage<strong>de</strong> ces dépossessions, avaient malheureusementamorti l'ar<strong>de</strong>ur et changé l'esprit <strong>de</strong> <strong>la</strong> défense. Leshabitans n'étaient plus ces anciens flibustiers qui,au premier signal <strong>de</strong> guerre, al<strong>la</strong>ient chercher sur<strong>la</strong> mer <strong>de</strong>s ressources qu'ils employaient à <strong>la</strong> cul-20


(308)1759. ture et à <strong>la</strong> fertilisation du sol. Ils étaient circonscritsdans <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, qu'ils avaientenrichie par les nombreuses prises <strong>de</strong> leurs corsaires.Les petits propriétaires, qui font <strong>la</strong> force <strong>de</strong>scolonies (1), avaient cédé <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce aux grands colons.Ceux-ci n'avaient plus <strong>la</strong> même énergiepour défendre <strong>de</strong>s biens qu'il n'était plus question<strong>de</strong> leur ravir; ils voyaient d'ailleurs avec dépitl'espèce d'abandon où les <strong>la</strong>issait <strong>la</strong> France, et l'accusaientd'être <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> leur ruine par le bas prixoù elle avait maintenu les <strong>de</strong>nrées coloniales. Néanmoinsle gouverneur Na<strong>de</strong>au, à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> ses compagnies<strong>de</strong> marine, et <strong>de</strong>s valeureux habitans <strong>de</strong> <strong>la</strong>ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre , <strong>de</strong> tout temps renomméspour leur dévouement, aurait pu se défendre etrepousser un ennemi affaibli et découragé par l'échecqu'il avait reçu au Morne-Tartanson, si sesdispositions eussent été meilleures, et s'il eût su(1) On a vu, qu'en 1717, les instructions du roi àMM. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Varenne et <strong>de</strong> Ricouart, leur enjoignaient <strong>de</strong>multiplier Les petits habitans, dans les <strong>de</strong>ux colonies, <strong>de</strong>les soutenir et <strong>de</strong> les protéger contre les grands et lespuissants; mais les vues oligarchiques <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers,favorisées par l'extention <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne , quiexige <strong>de</strong> vastes propriétés, avaient prévalu sur lesordres du roi.


(309)donner à <strong>la</strong> colonie l'é<strong>la</strong>n dont <strong>la</strong> Martinique lui 1759.avait offert l'exemple.Le 22 janvier , les Ang<strong>la</strong>is , pour se garantir d'unpremier mouvement, qui venait <strong>de</strong> leur être sifuneste, commencèrent par canonner et bombar<strong>de</strong>r<strong>la</strong> ville et le fort ; ensuite ils opérèrent un débarquementdans <strong>la</strong> partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville appelée Saint-François,qu'ils incendièrent. Dans <strong>la</strong> nuit, le fort fut évacué,le gouverneur rappe<strong>la</strong> <strong>la</strong> garnison près <strong>de</strong> lui et se retira,avec les habitants, sur <strong>la</strong> rive gauche <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière<strong>de</strong>s Galions, dans <strong>la</strong> position du grand camp. Legénéral ang<strong>la</strong>is Barrington , suivant l'usage immémorial<strong>de</strong> sa nation, livra aux f<strong>la</strong>mmes toute <strong>la</strong> partiesituée sur <strong>la</strong> rive droite <strong>de</strong> cette rivière ; et setrouvant en mesure d'en défendre le passage, il fitrembarquer une partie <strong>de</strong> ses troupes, sous les ordresdu général Hopson, pour aller s'emparer duFort-Louis, dans <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre. Hopsonsaccageatoute cette partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, dans l'espoir d'yattirer les défenseurs du grand camp; mais n'yréussissant pas, il se détermina à prendre terre à<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, dans l'anse <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivière du Coin ,pour inquiéter les Français sur leurs <strong>de</strong>rrières. Iléprouva peu <strong>de</strong> résistance <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s détachementsqui y avaient élevé <strong>de</strong>s retranchements à <strong>la</strong>hâte : ces troupes craignant d'être coupées par <strong>de</strong>sdébarquements partiels et n'ayant d'autre communicationouverte que celle du rivage <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, se


(310)1759. replièrent jusqu'à <strong>la</strong> rivière <strong>de</strong>s Bananiers. Hopsoncontinua <strong>de</strong> battre le pays, sans faire d'efforts pourenlever <strong>la</strong> position escarpée <strong>de</strong>s Bananiers, appuyée,en secon<strong>de</strong> ligne, par celle du Trou au Chien.Cependant on s'attaquait mollement; le siègeétait aussi mal soutenu que faiblement formé (1),et le temps s'écou<strong>la</strong>it sans que rien pût faire présumerqu'on en verrait bientôt <strong>la</strong> fin. Le 27 avril, onfut fort étonné d'apprendre que le gouverneur, <strong>de</strong>concert avec un membre du conseil supérieur et uncolon , ancien mousquetaire , stipu<strong>la</strong>nt au nom<strong>de</strong>s habitants, avait conclu une capitu<strong>la</strong>tion qui livrait<strong>la</strong> colonie aux généraux ang<strong>la</strong>is. A peine lesarticles en étaient-ils convenus , qu'on aperçut lemarquis <strong>de</strong> Beauharnais, gouverneur général <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique, arrivant, mais trop tard, avec <strong>de</strong>ssecours. L'ennemi avoua que si <strong>la</strong> signature <strong>de</strong> <strong>la</strong> capitu<strong>la</strong>tioneût été différée d'une heure, il était forcéd'abandonner <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Pourquoi donc legouverneur Na<strong>de</strong>au ne tint-il pas aussi long-tempsqu'il le pouvait? et pourquoi, <strong>de</strong>puis le 8 mars, quel'escadre, sous les ordres <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Bompar étaitarrivée au fort royal <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, ne se détermina-t-onque le 21 avril à lui envoyer <strong>de</strong>s ren-(1) Annales <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 2 e , page 81.


( 3 1 1 )forts (1)? c'est ce qu'aucun document n'a indiqué. 1759.La capitu<strong>la</strong>tion fut ratifiée le 1 ermai; elle portait:qu'après trois mois <strong>de</strong> siège et d'une belle défense,les habitants <strong>de</strong>s îles <strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique(qui était alors française) et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, venus au secours <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, auraient<strong>la</strong> liberté <strong>de</strong> se retirer chez eux, avec armes et bagages.Toutefois ceux <strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte, dont les Ang<strong>la</strong>iss'étaient aussi rendus maîtres, furent transportésà <strong>la</strong> Martinique (2).Ce fut cette reddition <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe qui fit prendrel'ordonnance du 1 er décembre 1759, défendantaux gouverneurs , commandants et autres chefs<strong>de</strong>s colonies, d'y contracter <strong>de</strong>s mariages avec <strong>de</strong>scréoles, et d'y acquérir <strong>de</strong>s biens fonds (3). Ce quivenait <strong>de</strong> se passer, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, démontraitévi<strong>de</strong>mment que, dans <strong>la</strong>guerre, les intérêts particuliersdu colon ne sont pas ceux du souverain, etque les chefs , trop intimement liés aux colonies,(1) Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, année 1759. On n'y trouveque les lettres où le ministre se p<strong>la</strong>ignait do <strong>la</strong> promptereddition <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et du retard qu'on avait misà lui envoyer <strong>de</strong>s secours.(2) Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, tome 2 e , page 55 et suiv.<strong>de</strong> l'édition in-8°.(3) Voir le chapitre du gouvernement colonial, tome1 er , page 360.


(312)sacrifient souvent à <strong>de</strong>s considérations particulièresles intérêts généraux dont <strong>la</strong> défense leur est confiée.1760. Les circonstances qui avaient accompagné <strong>la</strong>perte <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ayant fait soupçonner lesofficiers principaux d'un accord avec les habitants,pour <strong>la</strong> livrer aux ennemis, le roi ordonna qu'unconseil <strong>de</strong> guerre fut convoqué à <strong>la</strong> Martinique pourles juger.1761. Le 15 janvier 1761, l'ex-gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, accusé <strong>de</strong> n'avoir rien fait pour s'opposerà <strong>la</strong> <strong>de</strong>scente <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is et à <strong>la</strong> conservation dufort; <strong>de</strong> leur avoir abandonné, sans combattre, <strong>la</strong> rivedroite <strong>de</strong>s Galions ; <strong>de</strong> n'avoir pas conservé le reste<strong>de</strong> l'île, ni maintenu <strong>la</strong> discipline parmi les troupes;d'avoir fait preuve <strong>de</strong> lâcheté, d'incapacité ; et d'avoir,par ses propos indiscrets et son mauvaisexemple, occasioné le désordre et le relâchementqui avaient empêché le secours <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martiniqued'arriver à temps, fut condamné à être cassé, et dégradéà <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>s troupes et <strong>de</strong>s milices, sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>cedu Fort-Royal ; fut déc<strong>la</strong>ré indigne <strong>de</strong> servir, etconduit en France pour y être enfermé à perpétuité.Le lieutenant <strong>de</strong> roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, accusé<strong>de</strong> lâcheté, d'incapacité et <strong>de</strong> désobéissance, futcondamné à <strong>la</strong> même peine.Le procès fut révisé en France, et le jugement


(313)ayant été confirmé, ces <strong>de</strong>ux officiers furent enfer- 1761.més dans le fort <strong>de</strong>s îles Sainte-Marguerite.Le lieutenant <strong>de</strong> roi <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre, etl'ai<strong>de</strong>-major du petit Cul-<strong>de</strong>-Sac, accusés, le premier<strong>de</strong> désobéissance, et le second <strong>de</strong> lâcheté et<strong>de</strong> poltronerie, furent condamnés, celui-ci à êtrecassé, dégradé et déc<strong>la</strong>ré incapable <strong>de</strong> servir, et l'autreseulement à être cassé. Mais ces <strong>de</strong>ux officierssurent se soustraire à l'exécution <strong>de</strong> leur sentence ,en restant à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe avec les Ang<strong>la</strong>is (1).Une nouvelle expédition ennemie, sous les ordres 1662.<strong>de</strong> l'amiral Rodney et du général Monkton, attaqua<strong>la</strong> Martinique, s'en empara, le 13 février 1762, et(1) A <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> 1765, le gouverneur-général, M. <strong>de</strong> <strong>la</strong>Bour<strong>la</strong>marque, fut chargé, en reprenant possession <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong> faire arrêter ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers officiers;et d'envoyer en France, comme incapables d'exerceraucun emploi, le membre du conseil supérieur et le colonqui avaient capitulé, au nom <strong>de</strong>s habitants, sans y êtreautorisés.Ce <strong>de</strong>rnier ordre fut révoqué, le 27 janvier 1764, à <strong>la</strong>sollicitation <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bour<strong>la</strong>marque. (Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong>Marine, année 1763, page 8. Lettre du roi et du ministre<strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, écrites le 18 avril 1763, au chevalier<strong>de</strong> <strong>la</strong> Bour<strong>la</strong>marque.)


(314)1662. toutes les possessions françaises aux îles du vent, setrouvèrent au pouvoir <strong>de</strong> S. M. B.Les Ang<strong>la</strong>is n'eurent pas plutôt reconnu l'importance<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, que, spécu<strong>la</strong>nt sur lesproduits qu'ils pourraient retirer <strong>de</strong> ses terres viergesencore, ils s'occupèrent <strong>de</strong> <strong>la</strong> faire sortir <strong>de</strong> l'état<strong>de</strong> gêne où <strong>la</strong> guerre et leurs dévastations l'avaientplongée. Les expéditions qu'ils y firent, furent tellementmultipliées , que les marchandises d'Europey tombèrent à vil prix ; ils donnèrent tous leurs soinsà étendre ses cultures; ils y introduisirent 20,000esc<strong>la</strong>ves (1), et accordèrent aux colons <strong>de</strong> longs dé<strong>la</strong>ispour les paiements , persuadés qu'une aussi précieusecolonie ne sortirait plus <strong>de</strong> leurs mains.Mais leur politique, changeant <strong>de</strong> but, ne ba<strong>la</strong>nçapas à <strong>la</strong> sacrifier à <strong>de</strong>s intérêts d'une plushaute importance, que <strong>de</strong>s intrigants lui mé<strong>la</strong>ngèrentauprès du ministère français.Cependant, en restituant <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, en 1763,les Ang<strong>la</strong>is se f<strong>la</strong>ttaient d'avoir <strong>la</strong>issé dans le cœur<strong>de</strong>s habitans, qu'ils avaient tous favorisés, <strong>de</strong>s sou-(2) Des colons en ont porté le nombre jusqu'à 30,000;mais il paraît exagéré : les Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine ne lefont monter que <strong>de</strong> 18 à 20,000.


(315)venirs dont, tôt ou tard, ils sauraient tirer parti. 1762.L'événement les détrompa, et ils n'ont jamais pupardonner à cette colonie d'avoir supporté leurjoug avec impatience, et d'avoir, en rentrant sous<strong>la</strong> domination française, fait éc<strong>la</strong>ter les plus vivesdémonstrations <strong>de</strong> joie.


(316)CHAPITREVI.Traité <strong>de</strong> paix <strong>de</strong> 1763, funeste à <strong>la</strong> France. — La Gua<strong>de</strong>loupeest rendue indépendante <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique. — Ellerentre sous son joug, en 1769. — On veut l'en délivrer,en 1771 — Elle y est définitivement soustraite, en1775.1763. LE honteux traité <strong>de</strong> 1763 , dicté par l'esprit légeret capricieux d'une maîtresse en titre, qu'adu<strong>la</strong>ient<strong>de</strong>s ministres aussi frivoles qu'elle, consacral'empire absolu <strong>de</strong> l'Angleterre, et fit passer en sesmains presque toutes les possessions françaises <strong>de</strong>l'In<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l'Amérique septentrionale. L'insinuanteoligarchie <strong>de</strong>s Antilles sut y glisser son intervention, et le Canada, le Mississipi, <strong>la</strong> Louisianefurent indignement sacrifiés à d'ambitieux intérêts.L'Angleterre acquit, en outre, à titre <strong>de</strong> propriété,l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique, où il n'y avait d'autres Européensque <strong>de</strong>s Français , et que <strong>de</strong>s motifs du plushaut intérêt, re<strong>la</strong>tivement à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et à <strong>la</strong>Martinique , n'auraient jamais dû permettre à <strong>la</strong>


(317)France <strong>de</strong> cé<strong>de</strong>r à sa rivale; celle-ci obtint encore 1763.l'île neutre <strong>de</strong> Saint-Vincent.Les faibles restes <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion aborigène <strong>de</strong>sCaraïbes, se trouvaient réunis dans ces <strong>de</strong>ux îles ;les Ang<strong>la</strong>is les concentrèrent dans celle <strong>de</strong> Saint-Vincent (1).En échange d'établissements immenses, ce traitérendit à <strong>la</strong> France <strong>la</strong> Martinique et <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,avec ses dépendances. L'état florissant où les Ang<strong>la</strong>isavaient élevé <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, dans l'espace <strong>de</strong>quatre ans, frappa tout le mon<strong>de</strong>, et inspira à <strong>la</strong>métropole un sentiment <strong>de</strong> considérationn'avait pas encore eu pour cette colonie.Subordonnéequ'ellejusqu'alors à <strong>la</strong> Martinique , ses liaisonsdirectes, avec <strong>la</strong> France, s'étaient bornées à en recevoirsix ou sept navires chaque année.Privée(1) Voir <strong>la</strong> note statistique <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux îles, pages 231et 232 <strong>de</strong> ce volume.Les Caraïbes vécurent tranquilles et isolés à Saint-Vincentjusqu'en 1795; à cette époque ils prirent parti en faveur<strong>de</strong>s Français , qu'ils avaient toujours préférés, contre lesAng<strong>la</strong>is , dont une antipathie naturelle les avait constammentéloignés; mais ces <strong>de</strong>rniers , étant <strong>de</strong>meurés vainqueurs, en firent périr un grand nombre , et déportèrentles autres dans les îles <strong>de</strong> Bonaire et d'Aruba, près <strong>de</strong>Curaçao.


(318)1763. par conséquent d'un commerce immédiat, dontses cultures et son industrie auraient retiré <strong>de</strong>grands avantages, elle se voyait, à regret, forcée<strong>de</strong> contribuer à <strong>la</strong> prospérité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, parl'envoi <strong>de</strong> toutes ses <strong>de</strong>nrées dans les marchés <strong>de</strong>Saint-Pierre, et l'obligation d'y prendre tous sesobjets <strong>de</strong> consommation. Si cet assujétissementfut <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> l'infériorité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>la</strong>source dès prospérités <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, il fut aussil'origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> rivalité qui a toujours existé entreces <strong>de</strong>ux îles. Mais cette fois, en rentrant sous leslois <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère patrie, <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe fut délivrée<strong>de</strong> ce joug importun ; il lui fut accordé une administrationet <strong>de</strong>s chefs indépendants. Le chevalier <strong>de</strong><strong>la</strong> Bour<strong>la</strong>marque , maréchal-<strong>de</strong>-camp, et M. <strong>de</strong>Peynier, prési<strong>de</strong>nt au parlement d'Aix, nommés, le19 février 1763, le premier, gouverneur-général,et le second, intendant <strong>de</strong> police, justice, guerre,finances et marine, partirent pour aller reprendrepossession <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>de</strong> ses dépendancesavec le régiment <strong>de</strong> Beauvoisis.Toutes les p<strong>la</strong>ces <strong>de</strong> gouverneurs particuliers et<strong>de</strong> lieutenants <strong>de</strong> roi venaient d'être supprimées, parordonnance du roi du 25 mars.C'est dans cette circonstance, le 3o juin, qu'onexigea l'expulsion totale <strong>de</strong>s noirs qui se trouvaientdans le royaume, et qu'on enjoignit à tous les gouverneurset intendants <strong>de</strong>s colonies <strong>de</strong> ne permettre


( 3 1 9 )à l'avenir à aucun nègre, libre ou esc<strong>la</strong>ve, <strong>de</strong> se 1763.rendre en France.Les Ang<strong>la</strong>is différèrent <strong>la</strong> restitution <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, sous <strong>de</strong> fal<strong>la</strong>cieux prétextes, pour se donner letemps d'en enlever tout ce qui était à leur convenance.Le général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bour<strong>la</strong>marque, obligé <strong>de</strong>rester trente-neuf jours en ra<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre ,refusa <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre jusqu'à <strong>la</strong> remise en possession, qui eut lieu dans les premiers jours <strong>de</strong> juillet(r).Des ordres furent expédiés, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns furenttracés et une nouvelle ville s'éleva bientôt dans lequartier du Morne-Renfermé, qui vit sortir du sein<strong>de</strong> ses palétuviers une mo<strong>de</strong>rne Venise, <strong>la</strong> Pointeà-Pitre.Le roi, ayant appelé en France le gouverneur 1764et l'intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, réunit provisoirement,le 13 juillet 1764, les îles du vent sous lesordres du gouverneur et <strong>de</strong> l'intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Mais ce gouverneur, le général <strong>la</strong> Bour<strong>la</strong>marque, si digne <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> confiance <strong>de</strong> son(1) On voit qu'à aucune époque les Ang<strong>la</strong>is n'ont été<strong>de</strong> bonne foi dans l'exécution <strong>de</strong>s traités; et qu'en 1763 ,ils ne respectèrent pas plus le représentant du roi et lepavillon b<strong>la</strong>nc, qu'ils n'ont eu d'égards pour ses commissaireset pour ses couleurs, en 1814.


(320)1764. souverain, étant mort au mois <strong>de</strong> juin précé<strong>de</strong>nt,le gouvernement <strong>de</strong>s îles resta tel qu'il se trouvaitauparavant.Le baron <strong>de</strong> Copley, le premier commandanten second qu'ait eu <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>la</strong> gouvernapar interim ; M <strong>de</strong> Peinier étant passé à l'inten-1765. dance <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, M. <strong>de</strong> Laval, subdéléguégénéral, qui l'avait remp<strong>la</strong>cé, aussi par interim,mourut l'année suivante.Le comte Nolivos, nommé gouverneur-général,arriva à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, au mois <strong>de</strong> mars 1765.Trouvant une imprimerie et une librairie récemmentétablies à <strong>la</strong> Basse-Terre, il y créa une posteaux lettres, avec un bureau particulier dans chaquequartier (1).1766. Secondé par M. <strong>de</strong> Moissac, intendant, qui arrivaau mois <strong>de</strong> février 1766, tous les chemins <strong>de</strong><strong>la</strong> colonie furent refaits ; une communication, plusfacile, fut ouverte entre <strong>la</strong> Basse-Terre et <strong>la</strong> Pointeà-Pître;<strong>de</strong> grands travaux s'exécutèrent à <strong>la</strong> Rivière-Salée,pour cet objet, et <strong>de</strong> nouveaux ouvrages<strong>de</strong> défense (2) furent entrepris.(1) Cet établissement s'est conservé jusqu'à <strong>la</strong> révolution, et a été recréé <strong>de</strong>puis.(2) Voir à <strong>la</strong> page 155 <strong>de</strong> ce volume, le projet <strong>de</strong> défense, en 1766.


(321)La colonie manquait déjà <strong>de</strong> bois pour les cons- 1767.tructions, parce qu'on en avait beaucoup trop abattu;ces <strong>de</strong>ux administrateurs ordonnèrent, par unarrêté du 16 novembre 1767, que le dixième aumoins <strong>de</strong>s terrains qui n'étaient pas tout-à-fait défrichés, sur les habitations, serait conservé en bois<strong>de</strong>bout, ou qu'il en serait p<strong>la</strong>nté dans cette proportion.Ils établirent sur les hauteurs du Matouba ,comme étant le quartier dont <strong>la</strong> fraîcheur se rapprochele plus <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s contrées <strong>de</strong> l'Europe,les familles alleman<strong>de</strong>s que le gouvernement venait<strong>de</strong> faire passer à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.M. Nolivos, partit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre le 29 novem- 1768.bre 1768, emportant tous les regrets; il venait d'obtenirson rappel, avec <strong>la</strong> permission d'aller arrangerses affaires à Saint-Domingue, dont il fut,plus <strong>la</strong>rd, nommé gouverneur-général.M. <strong>de</strong> Ma<strong>la</strong>rtio, colonel du régiment <strong>de</strong> Vermandois,gouverna, par interim, <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Cette colonie eut encore <strong>la</strong> douleur <strong>de</strong> se voir 1769.ravir son indépendance; les prétentions <strong>de</strong> sa rivaleprévalurent sur ses droits, et sous prétexte <strong>de</strong>vues militaires, elle fut remise sous l'ancien joug<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, le 7 mars 1769. En vertu d'uneordonnance du roi, du 20 septembre 1768, toutesles îles du vent, <strong>la</strong> Martinique , Sainte-Lucie , <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, les Saintes, Marie-Ga<strong>la</strong>nte, <strong>la</strong> Dési-II. 21


(322)1769. ra<strong>de</strong>, Saint-Barthélemy et <strong>la</strong> partie française <strong>de</strong>Saint-Martin, ne formèrent qu'un seul gouvernementgénéral, qui fut confié au comte d'Ennery.Le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Peinier en fut fait intendant pour<strong>la</strong> secon<strong>de</strong> fois.Le marquis <strong>de</strong> Bouillé, colonel du régiment <strong>de</strong>Vexin, nommé gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, yarriva le 27 février, venant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique. Lap<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> subdélégué-général fut supprimée, etM. d'Eu <strong>de</strong> Mont<strong>de</strong>noix remp<strong>la</strong>ça, en qualité d'ordonnateur,l'intendant, M. <strong>de</strong> Moissac, mort le 16janvier précé<strong>de</strong>nt.Cette réunion intempestive fit rétablir le commerceforcé, entre les <strong>de</strong>ux îles, sans qu'on osâtcependant priver tout-à-fait <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe <strong>de</strong> sesre<strong>la</strong>tions directes avec <strong>la</strong> métropole. Mais les premierschefs, le conseil supérieur, et <strong>la</strong> chambred'agriculture ayant représenté : que tous les maux<strong>de</strong> l'ancienne dépendance se faisaient vivement ressentir;que <strong>la</strong> culture et le commerce retombaientdans leur abandon primitif; qu'enfin l'influenced'une protection immédiate pouvait seule conserverles ressources acquises et en créer <strong>de</strong> nouvelles;le gouvernement parut, encore une fois , vouloiradopter d'autres principes.1771. La cour accepta <strong>la</strong> démission qu'elle venait<strong>de</strong> recevoir du marquis <strong>de</strong> Bouillé ; et le 5 mai1771, le roi, en faisant témoigner à cet officier qu'il


(323)était satisfait <strong>de</strong> ses services, lui annonça : qu'ayant 1771résolu <strong>de</strong> rendre, <strong>de</strong> nouveau, <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe indépendante, il y avait nommé pour gouverneurgénéral, le maréchal <strong>de</strong> camp comte <strong>de</strong> Nozières ,et pour intendant M. <strong>de</strong> Tascher, prési<strong>de</strong>nt à mortierdu parlement d'Aix. Mais ces dispositions furentajournées aussitôt que prises (1), et les chefs <strong>de</strong>stinéspour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe furent envoyés, peu <strong>de</strong>mois après, à <strong>la</strong> Martinique, d'où leur autorité s'étenditsur toutes les îles du vent.Le marquis <strong>de</strong> Bouillé quitta <strong>la</strong> colonie au moisd'août 1771. Le chevalier Dion, lieutenant <strong>de</strong> roi,en ayant pris le comman<strong>de</strong>ment, par interim, futnommé gouverneur, le 28 novembre, et reçut sacommission, le 18 mars 1772, <strong>de</strong>s mains du comte 1772.<strong>de</strong> Nozières, qui vint <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique , avec leprési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> Tascher, faire un voyage à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Peu après, M. Dion tomba ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et partitle 14 avril, pour aller rétablir sa santé en France; 1773.le comte <strong>de</strong> Tilly , lieutenant <strong>de</strong> roi, le remp<strong>la</strong>çaprovisoirement.Cependant le ministère <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Sartines, se livrantà l'examen impartial <strong>de</strong>s motifs qui avaient(1) C'est ce qui a fait dire à Raynal, qu'en 1772, onretira <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe <strong>de</strong> <strong>la</strong> dépendance <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique,pour l'y faire rentrer six mois après.21


(324)1773. fait p<strong>la</strong>cer <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe sous <strong>la</strong> dépendance <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique, ne put se dissimuler que <strong>la</strong> suprématie<strong>de</strong> celle-ci, n'était fondée sur aucune considérationraisonnable ; qu'il était injuste d'exiger le versement<strong>de</strong>s produits d'une colonie plus importante enétendue, en fertilité , et susceptible d'accroisse-.ments, dans les marchés d'une île qui lui était inférieureet dont les terres commençaient déjà à s'épuiser.Le motif le plus p<strong>la</strong>usible <strong>de</strong> cet asservissement,celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> réunion <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux îlespour leur défense mutuelle, en temps <strong>de</strong> guerre ,1774. avait été détruit par l'impolitique cession <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominiqueaux Ang<strong>la</strong>is. Cette île p<strong>la</strong>cée entre les<strong>de</strong>ux autres, surveille le double canal qui <strong>la</strong> sépare<strong>de</strong> chacune d'elles, et peut intercepter leurs communications, toutes les fois que, dans ces mers,les forces <strong>de</strong>s Français sont inférieures à celles <strong>de</strong>leurs ennemis. Renonçant donc à ces idées surannées, M. <strong>de</strong> Sartines prêta une oreille attentiveaux vives représentations <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.1775. Le 24 octobre 1775, il <strong>la</strong> délivra définitivement<strong>de</strong> ses liens, pour <strong>la</strong> rendre à une indépendance,qu'elle a toujours conservée <strong>de</strong>puis, et qu'on nesongera sans doute jamais plus à lui ravir (1).(1) La Gua<strong>de</strong>loupe ne reconnut pas sans effroi, en


(325)Le comte d'Arbaud-Jouques , capitaine <strong>de</strong> vais- 1775.seau, fut nommé, le même jour 24 octobre, gouverneur-général<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ; et M. <strong>de</strong> Peynierintendant, pour <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> fois. Ces <strong>de</strong>uxchefs partirent, peu <strong>de</strong> temps après, pour s'yrendre, et y débarquèrent le 29 décembre. Lecommandant en second, Beauné <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sau<strong>la</strong>is n'yarriva que le 5 août 1776.1814 et en 1815, certaines velléités <strong>de</strong> <strong>la</strong> ramener sousson ancien joug.


(326)CHAPITREVII.Révolte du régiment d'Armagnac, à <strong>la</strong> suite d'un assassinat.— Massacre. Impunité. — Guerre <strong>de</strong> l'indépendance<strong>de</strong>s États-Unis d'Amérique. — Succès <strong>de</strong>s arméesfrançaises aux Antilles. — Paix <strong>de</strong> 1780.1776. LA Gua<strong>de</strong>loupe jouissait d'un calme profond ,lorsqu'un événement inattendu , dont les conséquencesfurent terribles, vint plonger <strong>la</strong> coloniedans les plus vives a<strong>la</strong>rmes.1778. Dans <strong>la</strong> nuit du 13 au 14 janvier 1778, un habitantrespectable, âgé <strong>de</strong> 73 ans , est assassiné dansson lit sur son habitation du quartier du Baillif.Trois individus masqués s'introduisent dans sachambre en tuant, d'un coup <strong>de</strong> pistolet, un domestiquemétif; assommant, d'un coup <strong>de</strong> hache,une mulâtresse ; et attachent, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l'habitation,le mulâtre économe qu'ils confient à <strong>la</strong> gar<strong>de</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> leurs complices. Au bruit qui se fait, lesnègres <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> poussent <strong>de</strong>s cris , sonnent <strong>la</strong>cloche , éveillent l'atelier et les assassins fuientsans avoir eu le temps d'enfoncer un coffre-fort.


(327)contenant 500,000 livres en or; qu'ils s'étaient pro- 1778.posés d'enlever.Mais <strong>la</strong> mulâtresse, qu'ils croyaient tuée, avait ététémoin <strong>de</strong> tous les détails du meurtre <strong>de</strong> son maître;elle , et le mulâtre économe qui s'était évadé ,avaient reconnu, dans les assassins, un neveu <strong>de</strong>l'habitant égorgé, un capitaine <strong>de</strong> grenadiers, ungrenadier et <strong>de</strong>ux soldats du régiment d'Armagnac.Aussitôt <strong>de</strong>s mesures sont prises par le gouvernement,et au bout <strong>de</strong> quelques jours, ces cinq individussont arrêtés. Accablés par le nombre et l'évi<strong>de</strong>nce<strong>de</strong>s preuves, ils finissent par avouer leurcrime, et sont condamnés, les quatre premiers àexpirer sur <strong>la</strong> roue, et un <strong>de</strong>s soldats à être pendu.Leur exécution est annoncée pour le 10 février, à 6heures du soir, sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s Capucins, à <strong>la</strong> Basse-Terre; et, <strong>de</strong> tous les quartiers voisins, on s'y ren<strong>de</strong>n foule pour y assister. Deux forts détachements <strong>de</strong>srégiments d'Armagnac et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , lesfusils chargés et les gibernes pleines, bor<strong>de</strong>nt <strong>la</strong>haie, en face l'un <strong>de</strong> l'autre, sur le lieu <strong>de</strong> l'exécution, ayant l'échafaud au milieu d'eux. Le détachementd'Armagnac a <strong>de</strong>rrière lui un grand échafaudage, sur lequel se sont p<strong>la</strong>cés environ 5oo curieux.Le grenadier et les <strong>de</strong>ux soldats sont exécutés dansun profond silence ; mais à l'instant où l'on détachele capitaine , un coup <strong>de</strong> sifflet part, et aussitôt le


(328)1778. chef du détachement d'Armagnac, faisant faire<strong>de</strong>mi-tour à <strong>la</strong> ruoillé <strong>de</strong> sa ligne, comman<strong>de</strong> lefeu, qui se dirige contre l'échafaudage où les 3oocurieux étaient p<strong>la</strong>cés, tandis que l'autre moitié,restée immobile, dirige le sien vers l'échafaud.Les <strong>de</strong>ux criminels tombent morts , mais plusieurssoldats du détachement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupetombent aussi, et ce détachement, surpris d'unepareille attaque , fait feu, à son tour, sur celuid'Armagnac. Le désordre et <strong>la</strong> confusion sont bientôtà leur comble; <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> fusil partent <strong>de</strong>toutes parts contre les spectateurs qui sont aux fenêtresou dans les rues; les <strong>de</strong>ux confesseurs ainsique le bourreau parviennent à s'échapper, leurs habitscriblés <strong>de</strong> balles.Le lieutenant <strong>de</strong> roi accourt avec <strong>de</strong>s troupes,ayant eu soin <strong>de</strong> p<strong>la</strong>cer <strong>de</strong>ux canons sur le pontaux Herbes. Sa présence ramène le calme, et il ordonne,<strong>de</strong> <strong>la</strong> part du gouverneur, que le corps <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux criminels, tués, soit exposé sur <strong>la</strong> roue pendant24 heures ; mais il ne s'est pas plutôt retiré, que letrouble se renouvelle avec plus <strong>de</strong> fureur encore. Dessoldats d'Armagnac pénètrent dans les maisons,sous prétexte que les habitans, vou<strong>la</strong>nt leur faire <strong>la</strong>guerre, ont caché <strong>de</strong>s armes et <strong>de</strong>s munitions;ils y égorgent un chirurgien du quartier <strong>de</strong>s Habitants.Le colonel <strong>de</strong> ce régiment, M. <strong>de</strong> Lowendal,


(329)parcourt lui-même les rues sabre en main, avec <strong>de</strong>s 1778.grenadiers; il veut pénétrer dans une maison oùbeaucoup <strong>de</strong> personnes se sont réfugiées, mais M. <strong>de</strong>Clugny, commandant <strong>la</strong> frégate <strong>la</strong> Cybèle, alorsen ra<strong>de</strong>, l'arrête et lui reproche <strong>la</strong> honte <strong>de</strong> saconduite. Les soldats d'Armagnac poursuivent lesfuyards dans toutes les rues ; le bourreau est trouvémort sur le cours, et cette scène d'horreurs continuejusqu'à onze heures du soir. Le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong>nuit fut employé à entasser les cadavres sur <strong>de</strong>s cabroucts(charrettes à bœuf), pour les enterrer hors<strong>de</strong> <strong>la</strong> ville. On n'a jamais su le nombre positif <strong>de</strong>svictimes <strong>de</strong> cette terrible catastrophe ; on présumaqu'il avait péri au moins 5oo personnes.On n'eut rien à dire contre le régiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, il mérita <strong>de</strong>s éloges ; mais, qui le croirait?La conduite criminelle du régiment d'Armagnacresta impunie , et l'affaire fut étouffée par l'ascendant<strong>de</strong> son colonel sur l'esprit du gouverneur. Desdétails supposés furent envoyés en France ; le ministèrerépondit, le 9 mai, an comte d'Arbaud, àl'intendant et au colonel Lowendal : « Que le» compte qu'ils avaient rendu, <strong>de</strong> <strong>la</strong> catastrophe,« était uniforme, mais n'offrait aucun éc<strong>la</strong>ircisse-« ment précis sur les objets les plus essentiels. Pour-» quoi les troupes avaient-elles fait feu avant qu'il» y eût une émeute caractérisée? et pourquoi.


(330)1778. » parmi les personnes tuées, se trouvait-il 15» officiers ou soldats, qui <strong>de</strong>vaient être sous les» armes, etc. » (1).Néanmoins <strong>la</strong> tranquillité ne fut que momentanémenttroublée à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et malgré cedésastreux événement, elle jouissait avec confiance<strong>de</strong>s avantages <strong>de</strong> <strong>la</strong> paix. Son exploitation, commecelle <strong>de</strong> toutes les îles voisines, acquérait un granddéveloppement, et promettait les plus bril<strong>la</strong>nts résultats, lorsqu'une guerre, qui n'eut que les coloniespour objet, vint paraliser encore les progrès <strong>de</strong>sAntilles. Des symptômes <strong>de</strong> soulèvement, trop longtempsméprisés par l'Angleterre, qui les avait provoqués,se manifestèrent sur les points les plus importans<strong>de</strong> <strong>la</strong> côte <strong>de</strong> l'Amérique, colonisée par elle.Toutes les colonies agricoles ten<strong>de</strong>nt vers leur affranchissement.En voyant s'élever et se multiplier,dans leur sein, une popu<strong>la</strong>tion riche <strong>de</strong>s produits dusol qu'elles cultivaient, les colonies ang<strong>la</strong>ises proc<strong>la</strong>mèrentleur indépendance. La cour <strong>de</strong> Versailles,<strong>de</strong>puis long-temps irritée <strong>de</strong>s perfidies du cabinetbritannique, et surtout <strong>de</strong> ces paroles fameuses,prononcées en plein parlement : « Que <strong>de</strong>viendrait» l'Angleterre, si elle était toujours juste envers <strong>la</strong>(1) Archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, année 1778.


(331)» France? Craignez, réprimez <strong>la</strong> maison <strong>de</strong> Bour- 1778,)) bon etc. (1), reconnut l'indépendance <strong>de</strong>s Etats-Unis , et <strong>la</strong> fière Albion lui d'éc<strong>la</strong>ra <strong>la</strong> guerre.La frégate <strong>la</strong> Concor<strong>de</strong>, commandée par le capitaine<strong>de</strong> Tilly, arriva à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le 17 août,portant au gouverneur <strong>la</strong> lettre <strong>de</strong> Louis XVI, quiordonnait d'user <strong>de</strong> représailles envers les Ang<strong>la</strong>is;et bientôt on vit les amiraux d'Estaing, Lamothe-Piquet, <strong>de</strong> Grasse et <strong>de</strong> Vaudreuil, faire flotterdans l'Archipel le pavillon français triomphant. Lemarquis <strong>de</strong> Bouille, pourvu, dès l'année précé<strong>de</strong>nte,du gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, s'empara, le 8septembre, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique, dont l'administrationfut réunie au gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Maisl'escadre <strong>de</strong> d'Estaing, partie <strong>de</strong> Boston, le 4 novembre,et arrivée à <strong>la</strong> Martinique, le 8 décembre, neput empêcher les Ang<strong>la</strong>is <strong>de</strong> se rendre maîtres <strong>de</strong>Sainte-Lucie, le 12 du même mois.Cet amiral prit sa revanche bientôt après, il s'em- 1779.para <strong>de</strong> Saint-Vincent, le 19 juin, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>le 4 juillet, Toute l'Amérique était bouleversée par(1) Ce discours fut tenu par lord Chatam, en 1764,dans <strong>la</strong> séance mémorable, re<strong>la</strong>tive aux troubles <strong>de</strong>s coloniesang<strong>la</strong>ises <strong>de</strong> l'Amérique; on vit, dans cette séance,comparaître à <strong>la</strong> barre, l'illustre Francklin défenseur <strong>de</strong>sAméricains.


(332)le démon <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre et par celui <strong>de</strong>s tempêtes (1).1780. La France envoya au secours <strong>de</strong>s Etats-Unis12,000 hommes, sous les ordres du général comte<strong>de</strong> Rochambeau (2) ; une foule <strong>de</strong> volontaires, à <strong>la</strong>tête <strong>de</strong>squels bril<strong>la</strong>it le marquis <strong>de</strong> Lafayette, partirentavec eux, et allèrent associer leurs efforts etleur gloire à ceux <strong>de</strong> l'immortel Washington. Ilsquittèrent <strong>la</strong> baie <strong>de</strong> Chesapeack, pour marcher1781. contre lord Cornwallis, qui commandait les Ang<strong>la</strong>isen Virginie. Ce lord, après avoir été contraint <strong>de</strong>livrer York-Town et Gloccster, mit bas les armesavec son armée, forte <strong>de</strong> 8000 hommes, et consolida, par sa défaite, <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> l'union.Cette guerre fît <strong>la</strong> gloire du règne <strong>de</strong> Louis XVI,mais elle fut peut-être <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> sa ruine.Tabago était tombée au pouvoir <strong>de</strong>s Français, le 2juin; quand l'amiral Rodney se présenta le 3 févriersuivant, <strong>de</strong>vant Saint-Eustache, avec 13 vaisseauxet 4000 hommes <strong>de</strong> troupes, commandées par le généralVaughan. Le gouverneur hol<strong>la</strong>ndais, à quiils annoncèrent <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> l'Angleterrecontre sa nation, pris au dépourvu et sans(1) Deux ouragans firent <strong>de</strong>s ravages affreux dans cesparages, le § octobre 1779, et le 10 octobre 1,780.(2) Fait maréchal <strong>de</strong> France, le 1 er janvier 1792,.etpère du lieutenant-général tué à Leipsick, en 1813.


(333)troupes, fut obligé <strong>de</strong> se rendre à discrétion, et <strong>de</strong> 1881.livrer plus <strong>de</strong> 200 bâtiments marchands qui se trouvaienten ra<strong>de</strong>. Les Ang<strong>la</strong>is traitèrent cette colonieavec une rigueur inouie, qu'on semb<strong>la</strong>it ne plusavoir à craindre d'une nation policée. Cette barbariejeta l'épouvante dans toutes les Antilles.Pendant qu'ils se gorgeaient <strong>de</strong> butin à Saint-Eustaçhe, une frégate <strong>de</strong> leur escadre al<strong>la</strong> se présenter<strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Désira<strong>de</strong>, et envoya un officier àterre pour <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s vivres, qui lui furent refusés.11 revint, et annonça aux habitans qu'ils étaientsous <strong>la</strong> domination ang<strong>la</strong>ise; ceux-ci, indignés, leretinrent prisonnier avec l'équipage <strong>de</strong> sa chaloupe.Vainement <strong>la</strong> frégate canonna l'île et menaça d'une<strong>de</strong>scente; les habitans attendirent l'ennemi <strong>de</strong> piedferme au bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer, et, <strong>la</strong> frégate étonnée <strong>de</strong>cette audace, préféra quitter ces bords que <strong>de</strong> tenterles chances d'une attaque.La prompte reprise, par Lamothe-Piquet, <strong>de</strong> 32<strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong> Saint-Eustache, chargés <strong>de</strong> dépouilles,et <strong>la</strong> conquête <strong>de</strong> cette île, par les Français,ne tardèrent pas à venger les Hol<strong>la</strong>ndais <strong>de</strong> <strong>la</strong> déloyautébritannique.Le marquis <strong>de</strong> Bouillé, parti <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique,avec trois frégates, et <strong>de</strong>s troupes commandées parle colonel <strong>de</strong> Dillon, feignit d'aller au-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>l'escadre du comte <strong>de</strong> Grasse, qu'on attendait <strong>de</strong>s


(334)1781. Etats-Unis. A travers mille obstacles, il se présenta, dans <strong>la</strong> nuit du 26 novembre 1781, au vent<strong>de</strong> Saint-Eustache, qui n'est abordable que par lecôté opposé, où cependant elle est défendue par unbon fort construit sur un roc escarpé. Les Ang<strong>la</strong>is,pourvus <strong>de</strong> troupes, d'artillerie, <strong>de</strong> fortificationsnouvelles, et <strong>de</strong> toutes sortes <strong>de</strong> munitions, étaientsans défiance sur ce rocher, qu'ils appe<strong>la</strong>ient leGibraltar <strong>de</strong> l'Amérique. Le général français eutbeaucoup <strong>de</strong> peine à débarquer avec 35o hommes ;<strong>de</strong>s chaloupes furent brisées et <strong>de</strong>s soldats noyés. Ilgravit, à leur tête, le roc, au milieu <strong>de</strong> précipicesaffreux, et le jour commençait à luire, lorsqu'ilsparvinrent dans <strong>la</strong> ville haute, assez près du fort.Une troupe ennemie, qui faisait l'exercice, prit l'épouvante,et voulut s'y réfugier; l'officier Dufresnecourut sur ses talons , à <strong>la</strong> tête d'un détachement <strong>de</strong>Royal-Comtois ; il s'empara du pont-levis, et 700Ang<strong>la</strong>is se rendirent à 35o Français. A quel châtimentne <strong>de</strong>vaient pas s'attendre ces déprédateursenlevés l'épée à <strong>la</strong> main? mais tout se passa dans leplus grand ordre, et le marquis <strong>de</strong> Bouillé secontenta d'exiger <strong>la</strong> restitution, aux malheureuxhabitans, du million qu'il trouva séquestré chez legouverneur ang<strong>la</strong>is Cokburn. Cette entreprise, aussicourageuse que difficile, fit le plus grand honneuraux armes, à <strong>la</strong> lojauté françaises, et retrempa


(335)l'âme <strong>de</strong>s colons. Le pavillon <strong>de</strong>s états-généraux fut 1782.<strong>de</strong> nouveau arboré à Saint-Eustache, à Saba, etdans <strong>la</strong> partie hol<strong>la</strong>ndaise <strong>de</strong> Saint-Martin.La chute <strong>de</strong> Saint-Christophe, <strong>de</strong> Nièves, <strong>de</strong> Mont-Serrat, tombées les 12 et 22 février sous les coups <strong>de</strong>M. <strong>de</strong> Bouillé (1), et les succès <strong>de</strong>s escadres françaisesdans toutes ces mers, avaient mis en attente <strong>de</strong> voirsuccomber le boulevard <strong>de</strong> <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>isaux Antilles , <strong>la</strong> Jamaïque, dont <strong>la</strong> prise aurait consolidé<strong>la</strong> suprématie maritime , que <strong>la</strong> France avaitdéjà conquise. Mais le comte <strong>de</strong> Grasse, en al<strong>la</strong>ntse réunir à <strong>la</strong> flotte espagnole, à Saint-Domingue ,fournit malheureusement à l'amiral Rodney, l'occasion<strong>de</strong> faire un funeste essai <strong>de</strong> sa nouvelle tactique.Le fameux combat naval, livré entre ces<strong>de</strong>ux amiraux, sous <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le 12 avril 1782,détruisit cet espoir, et fit reprendre à l'Angleterre,sa prépondérance maritime.Dans toute cette guerre, <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ne participaqu'aux maux qui en furent inséparables, sansavoir aucune part aux avantages qu'elle procura à(1) On voit que le marquis <strong>de</strong> Bouillé , combattait avecautant d'ar<strong>de</strong>ur , dans cette guerre où il s'agissait docimenter <strong>la</strong> liberté do l'Amérique; qu'il <strong>de</strong>vait plus tard,à Pilnits, porter <strong>de</strong> zèle , pour déterminer les coursdu nord à venir envahir sa pairie.


(336)1782. <strong>la</strong> Martinique. Le Fort-Royal étant <strong>la</strong> base <strong>de</strong>toutes les opérations militaires , les re<strong>la</strong>tions commerciales<strong>de</strong> cet île <strong>de</strong>vinrent immenses; les commissionnaires<strong>de</strong> Saint-Pierre surent les mettre à profit,pour accaparer tout le commerce <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.M. <strong>de</strong> Foulquier , prési<strong>de</strong>nt au parlement <strong>de</strong>Toulouse, fut nommé intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, ety arriva le 2 février 1782 (1).Le gouverneur d'Arbaud, fait chef d'escadre ,le 3 octobre I778, obtint son rappel, et partit pourFrance, le l2 décembre 1782. Le vicomte <strong>de</strong> Damas,qui avait momentanément remp<strong>la</strong>cé le marquis <strong>de</strong>Bouille, à <strong>la</strong> Martinique, en était arrivé le 16 novembre, ayant été appelé au gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong>1783. Gua<strong>de</strong>loupe : il en repartit le 28 mars suivant,parcequ'il venait d'être nommé au gouvernementgénéral <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique; il fut remp<strong>la</strong>cé, provisoirementà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par le commandant ensecond, Beauné <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sau<strong>la</strong>is.La paix avec l'Angleterre mit enfin un terme aufléau <strong>de</strong>structeur qui ravageait le mon<strong>de</strong>, et consolidal'indépendance <strong>de</strong>s Étas-Unis <strong>de</strong> l'Amérique; un(1) Ce fut ce magistrat estimable qui enrichit les colonies<strong>de</strong> <strong>la</strong> canne d'Otaïti. La Gua<strong>de</strong>loupe <strong>la</strong> cultivait, <strong>de</strong>puis<strong>de</strong>ux ans, lorsque M. <strong>de</strong> Foullon l'introduisit, en second,à <strong>la</strong> Martinique. (A rectifier, à <strong>la</strong> page 25 du 1 er vol).


(337)nouveau traité modifia les pages honteuses <strong>de</strong> celui 1783.<strong>de</strong> 1763, qui n'avait que trop long-temps pesé surl'honneur français. Le cabinet <strong>de</strong> Vesailles acquit,en Afrique, le Sénégal; dans l'In<strong>de</strong>, on lui restituatoutes les prises qui avaient été faites; en Amérique, il fut admis aux pêcheries <strong>de</strong> Terre-Neuve,et obtint les <strong>de</strong>ux îles <strong>de</strong> Saint-Pierre et <strong>de</strong> Miquelon;dans les Antilles, l'île <strong>de</strong> Tabago lui fut cédée,et il y eut promesse réciproque <strong>de</strong> conclure, dansl'espace <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux années, un traité <strong>de</strong> commerce.,II. 22


(338)CHAPITREVIII.Les îles françaises du Vent sont subordonnées, pour <strong>la</strong>partie militaire, au gouverneur-général <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.— Établissement du collège <strong>de</strong> Saint-Victor ; <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeest obligée <strong>de</strong> concourir à son entretien. — Cession<strong>de</strong> Saint-Barthélemy à <strong>la</strong> Suè<strong>de</strong>. — Première stationnavale établie aux îles du Vent. — Établissement <strong>de</strong>paquebots aux Antilles. — Traité <strong>de</strong> commerce, entre<strong>la</strong> France et l'Angleterre, funeste aux colonies Pittintroduit <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne dans l'In<strong>de</strong>, pournuire à <strong>la</strong> prospérité <strong>de</strong> Saint-Domingue. — Assembléescoloniales. — Ce que c'est que l'oligarchie coloniale.1783. PENDANT qu'à <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> <strong>la</strong> paix <strong>de</strong> I783, qui ne<strong>de</strong>vait être troublée que par les événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution, les Antilles françaises renouve<strong>la</strong>ient leursefforts pour réparer les pertes <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre, et atteindrele <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> prospérité dont elles étaientsusceptibles ; leur jalouse rivale réunissait les siens,pour préparer dans l'In<strong>de</strong>, les moyens <strong>de</strong> miner leurexistence, ainsi qu'on aura bientôt l'occasion <strong>de</strong> leremarquer.


(339)Le baron <strong>de</strong> Clugny, capitaine <strong>de</strong> vaisseau, nommé 1784.le 20 juillet 1783, gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ,en remp<strong>la</strong>cement <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Damas, n'y arriva que le27 mai 1784. Une ordonnance rendue le 20 décembreprécé<strong>de</strong>nt, avait déterminé que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, ettoutesles îles du Vent, seraient subordonnées, pourle comman<strong>de</strong>ment militaire, au gouverneur lieutenant-général<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique; qu'il y aurait à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe un gouverneur-général ou particulier ;que le commandant en second rési<strong>de</strong>rait à <strong>la</strong> Pointeà-Pître, jusqu'à ce que le siège du gouvernementy fût transporté ; qu'il y aurait un major et unai<strong>de</strong>-major à <strong>la</strong> Basse-Terre, et un ai<strong>de</strong>-major seulementà <strong>la</strong> Pointe-à-Pître (1). Ce nouvel assujettissement<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, quoiqu'il n'eût traitqu'à <strong>la</strong> partie militaire, y fut regardé d'un œil inquiet;et il fut, surtout, très-impolitique <strong>de</strong> <strong>la</strong>rendre, sous un autre rapport, tributaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.Le conseil supérieur <strong>de</strong> cette île avait, le7 juillet 1768 , fondé, au Fort-Royal, le collège <strong>de</strong>Saint-Victor, et s'était permis d'en fixer l'administrationet les statuts, quoique ce droit n'ap-(1) Le commandant en second, Beauné <strong>de</strong> <strong>la</strong> Sau<strong>la</strong>is,partit pour France, le 10 mai 1784, et fut remp<strong>la</strong>cé parle vicomte d'Arrot, qui occupa cette p<strong>la</strong>ce jusqu'à <strong>la</strong> mort<strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Clugny.22


(340)1784. partînt qu'au roi. Le ministre, duc <strong>de</strong> Praslin, désapprouva,le 3o septembre suivant, le pouvoir quele conseil s'était arrogé ; mais il envoya néanmoins<strong>de</strong>s lettres-patentes <strong>de</strong> confirmation; et, le 30 juillet1784, le maréchal <strong>de</strong> Castries décida, que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,paierait annuellement , à <strong>la</strong> Martinique,que somme <strong>de</strong> 5,000 livres, prise sur lesdroits <strong>de</strong> cabaret, pour contribuer aux dépenses <strong>de</strong>ce collège , qui lui était étranger. Il ajouta ainsi,un nouveau sujet <strong>de</strong> rivalité à ceux qui existaientdéjà entre ces <strong>de</strong>ux colonies.Le 20 octobre 1784, MM. <strong>de</strong> Clugny et <strong>de</strong> Foulquierfirent <strong>la</strong> remise à <strong>la</strong> Suè<strong>de</strong>, <strong>de</strong> l'île Saint-Barthélemy , une <strong>de</strong>s dépendances <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,cédée pour obtenir <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> déposer <strong>de</strong>smarchandises françaises dans le port <strong>de</strong> Gothembourg,et <strong>de</strong> les réexporter, sans payer <strong>de</strong> droits.Par cette acquisition, <strong>la</strong> Suè<strong>de</strong> se créa <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tionscommerciales dans les Antilles, et <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,sçut mettre à profit, plus qu'aucune autre, l'avantage<strong>de</strong> sa position et <strong>de</strong> <strong>la</strong> franchise du port <strong>de</strong> Saint-Barthélemy , pour établir avec elle un commerce interlope,qui lui a été très-lucratif, dans tous les temps,et qu'on a toujours vainement tenté <strong>de</strong> détruire (1).(1) Voir <strong>la</strong> Statistique <strong>de</strong> Saint-Barthélemy, dans le1 er vol. <strong>de</strong> cet ouvrage, page 339.


(341)Ce fut pour réprimer ce commerce interlope dans 1784les îles françaises, et empêcher l'introduction <strong>de</strong>smarchandises étrangères, que, le 2,6 octobre 1784,le roi établit, pour <strong>la</strong> première fois, aux îles duVent, une station composée d'un vaisseau, <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxfrégates et <strong>de</strong> quatre corvettes, aux ordres du gouverneur-général<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.Le gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe soupçonné <strong>de</strong> 1786.faire et <strong>de</strong> protéger ouvertement <strong>la</strong> contreban<strong>de</strong>, futmandé en France , pour y venir rendre compte <strong>de</strong>sa conduite. Il fut remp<strong>la</strong>cé par le comte <strong>de</strong> Micoud,maréchal-<strong>de</strong>-camp, ancien gouverneur <strong>de</strong> Sainte-Lucie , en retraite à Paris, qu'on envoya pour lerelever. Le nouveau chef arriva à <strong>la</strong> Basse-Terre, le9 juin 1786, et M. <strong>de</strong> Clugny mit à <strong>la</strong> voile le mêmejour. Ce rappel était commun à l'intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, qui était passé, le 7 mars 1786, à l'intendance<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, d'où il partit pour France,le 25 juin. M. Foullon d'Ecotier, maître <strong>de</strong>s requêtes, nommé intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où ilétait arrivé le 19 février, en repartit le 25 juin, pouraller prendre, par interim, l'intendance <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.MM. <strong>de</strong> Clugny et <strong>de</strong> Foulquier, s'étant facilementdisculpés, obtinrent immédiatement <strong>la</strong> faveur<strong>de</strong> retourner à leur poste. Le premier repritles rênes du gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, le4 décembre, et M. <strong>de</strong> Foulquier, celles <strong>de</strong> l'administration<strong>de</strong><strong>la</strong>Martinique. Le comte <strong>de</strong> Micoud repartit


(342)1786. pour France, le 5 décembre, et M. Foullon d'Ecotierrevint à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Un règlement du 14 décembre 1786, établit <strong>de</strong>spaquebots pour les communications <strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole,avec toutes ses colonies, et un tarif <strong>de</strong>s frais <strong>de</strong>transport à payer, tant par les passagers que pour lesmarchandises. Douze <strong>de</strong> ces paquebots furent <strong>de</strong>stinéspour les Antilles. Ils partaient le premier <strong>de</strong>chaque mois, et alternativement, <strong>de</strong>s ports du Havreet <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux ; se rendaient directement à <strong>la</strong>Martinique, où ils restaient cinq jours ; en passaienttrois à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, pour y attendre les paquets<strong>de</strong>s autres îles ; et faisaient voile pour Saint-Domingue,d'où ils repartaient pour l'Europe, le 1 erjour du quatrième mois <strong>de</strong> leur expédition.La France, autrefois susceptible <strong>de</strong>s é<strong>la</strong>ns les plusénergiques et les plus heureux, voyait en gémissant,germer les funestes fruits que font mûrir les gouvernemensfaibles. Les intentions régénératrices duvertueux Louis XVI, n'avaient pu relever le royaume<strong>de</strong> <strong>la</strong> dégradation où l'avait plongé, pendant plus<strong>de</strong> vingt ans, <strong>la</strong> cour dépravée et le caprice extravagant<strong>de</strong>s maîtresses <strong>de</strong> son prédécesseur. La diplomatie, marchant dans les voies tortueuses, semb<strong>la</strong>itvouloir hâter <strong>la</strong> ruine du royaume ; son succèsfut remarquable dans l'onéreux pacte <strong>de</strong> commerceconclu avec l'Angleterre. Si les hommes d'état ,dédaigneux du commerce, en ignoraient <strong>la</strong> science,


(343)ils <strong>de</strong>vaient savoir au inoins que Colbert avait refuse 1786.ce traité, en 1669 ; que ce refus s'était renouvelé en1715 ; et que Montesquieu, ce penseur éc<strong>la</strong>iré, quipossédait une connaissance si approfondie <strong>de</strong>s <strong>de</strong>sseinsd'Albion, avait écrit : que <strong>la</strong> France ne <strong>de</strong>vaitjamais faire <strong>de</strong> traité <strong>de</strong> commerce avec l'Angleterre,qu'à coups <strong>de</strong> canon. Ce traité fut signé dans<strong>de</strong>s circonstances où <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne al<strong>la</strong>it toujours croissant, et ne pouvait qu'abuser<strong>de</strong> notre faiblesse. La rivalité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux nations,<strong>de</strong>puis long-temps résolue en faveur <strong>de</strong> l'Angleterre,et incessamment animée parle voisinage <strong>de</strong>leurs colonies , permettait-elle à <strong>la</strong> France d'attendre<strong>de</strong> ce traité d'autres résultats que <strong>la</strong> ruine <strong>de</strong> soncommerce ; il lui porta, en effet, un coup plus fatalque <strong>la</strong> perte <strong>de</strong> vingt batailles.Le fils du fameux lord qu'en 1764 , nous avonsvu jurer haine et injustice à <strong>la</strong> France et auxBourbons, Pitt, avait hérité <strong>de</strong>s talents <strong>de</strong> son père,et surtout <strong>de</strong> son inimitié contre les Français. Lapaix <strong>de</strong> 1783 ne fut pas plutôt signée, qu'il entrevit,dans le lointain , le moyen <strong>de</strong> les punir <strong>de</strong> leursgénéreux efforts en faveur <strong>de</strong> l'indépendance <strong>de</strong>sÉtats-Unis; quoique, dans cette circonstance, <strong>la</strong>conduite <strong>de</strong>s Français eût été provoquée par les déc<strong>la</strong>mations<strong>de</strong> son père. Il introduisit, en 1784, dansles In<strong>de</strong>s Orientales, <strong>la</strong> culture <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne à sucre,et l'usage <strong>de</strong>s moulins, persuadé que <strong>la</strong> rapidité avec


1787à1789.(344)<strong>la</strong>quelle ils se propageraient ne tar<strong>de</strong>rait pas à faireprimer, en Europe, les sucres manipules à trèsbasprix, par <strong>de</strong>s mains libres, sur ceux <strong>de</strong>s Antilles, fabriqués à un prix bien plus élevé, par<strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves (1). Le machiavélisme <strong>de</strong> Pitt sacrifiaitsans regret <strong>la</strong> Jamaïque, qu'il remp<strong>la</strong>çait par <strong>de</strong>nouveaux établissements, pourvu qu'il fit tomberSaint-Domingue, cette souveraine <strong>de</strong>s colonies,dont les richesses excitaient un vif sentiment d'envie, dans le cœur jaloux <strong>de</strong> tous les Ang<strong>la</strong>is. Mais <strong>la</strong>révolution, que hâtaient un concours singulier <strong>de</strong>circonstances, vint bientôt changer <strong>la</strong> face <strong>de</strong> l'Europeet <strong>de</strong>s Antilles, et fournir au ministère Britaunique<strong>de</strong>s occasions plus promptes et plus décisives,<strong>de</strong> signaler sa haine contre les Bourbons, etcontre tout ce qui était Français.(1) Il ne se trompait pas, l'état <strong>de</strong> détresse <strong>de</strong> nos îlesdu Vent, en 1823, n'a pas d'autre cause, et les colonsqui l'attribuent à <strong>la</strong> révolution , ne veulent pas voir que,ans <strong>la</strong> révolution, l'énorme quantité <strong>de</strong> sucre qui reflueaujourd'hui <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Cochinchine, <strong>de</strong> Manille, <strong>de</strong>tous les établissements espagnols, <strong>de</strong> Bourbon même,ui n'en fabriquait pas, en 1786, les aurait réduits à <strong>la</strong>détresse dont ils se p<strong>la</strong>ignent; cette détresse ne peutqu'aller croissant, surtout lorsque l'Égypte, qui est à nosportes, versera en Europe le sucre, produit <strong>de</strong> <strong>la</strong> canne,dont un pacha éc<strong>la</strong>iré à su y introduire <strong>la</strong> culture.


(345)Jusqu'à celte époque, les divisions les plus funestess'étaient trop souvent élevées entre lesgouverneurs et les intendants. L'oligarchie colonialen'avait jamais négligé <strong>de</strong> tirer parti <strong>de</strong> ces rivalités,et <strong>la</strong> tranquilitépublique en avait été maintes foistroublée. La Métropole, obligée d'intervenir dansces débats, n'avait pas songé à tarir leur source,en apportant quelque modification au systèmeétabli. Louis XVI, le premier , voulut remédier àces inconvénients, et créa, en 1787 , <strong>de</strong>s assembléescoloniales. Mais l'oligarchie (1), qui a l'œilsanscesse ouvert sur ses intérêts, retira seule quelqueavantage <strong>de</strong> cette précieuse institution, et l'on verrabientôt ces assemblées causer les plus grands mauxaux Antillesfrançaises.1787à1789.(1) L'oligarchie coloniale se compose d'un très-petitnombre d'habitants, ayant <strong>de</strong>s prétentions à être privilégiés.Avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> pouvoir, ils ont toujours pensé que l'intérêtcolonial résidait en eux seuls, et que l'exploitation<strong>de</strong>s îles ne <strong>de</strong>vait tourner qu'à leur avantage. Ils ont été etsont encore dominateurs exclusifs; une clientelle peuétendue, d'ambitieux subalternes, se p<strong>la</strong>cent sous leurpatronage.


(347)LIVRESEPTIÈME.La révolution se propage aux Antillesfrançaises. — Les Ang<strong>la</strong>is en font <strong>la</strong>conquête. — 1789 à 1794CHAPITRE I er .Premiers effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution aux Antilles. — Conduite<strong>de</strong>s colons à Paris.LES colonies jouissaient d'une paix profon<strong>de</strong>; 1789.leurs habitans, <strong>de</strong> toute c<strong>la</strong>sse et <strong>de</strong> toute couleur,occupés <strong>de</strong> culture et <strong>de</strong> commerce, paraissaient satisfaits<strong>de</strong> leur situation ou résignés à leur sort;une longue habitu<strong>de</strong> leur ôtait toute idée d'un étatmeilleur; le co<strong>de</strong>-noir, qu'on observait encore, semb<strong>la</strong>itsuffire à leur légis<strong>la</strong>tion, mais on ne par<strong>la</strong> pas


(348)1789. plutôt, en France, <strong>de</strong> doléances et <strong>de</strong> réformes, queles prétentions s'élevèrent <strong>de</strong> toutes parts. Les colonsoublièrent qu'ils n'étaient qu'une association<strong>de</strong> Français, cultivateurs par essence, qui <strong>de</strong>vaientse serrer entre eux pour rompre l'effort <strong>de</strong>s milliersd'Africains qu'une poignée <strong>de</strong> b<strong>la</strong>ncs retenait dansl'esc<strong>la</strong>vage.Leurs intérêts étaient communs, ils le méconnurent;leurs <strong>de</strong>voirs n'avaient jamais été bien déterminés, ils voulurent s'en affranchir ; se croyantfaits pour se gouverner eux-mêmes, et à l'exclusion<strong>de</strong> ceux qu'ils regardaient comme étrangers,parce qu'ils n'étaient point créoles.Dès qu'on apprit, aux Antilles , les premiers événements<strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution française, défigurés parles préjugés ou les passions <strong>de</strong>s individus qui y arvaient,le même mouvement qui avait agité <strong>la</strong>France, se communiqua aux îles avec toute <strong>la</strong> violencequ'on <strong>de</strong>vait attendre <strong>de</strong> leur climat brû<strong>la</strong>nt.Saint-Domingue, dont <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion se composait<strong>de</strong> 40 mille b<strong>la</strong>ncs, <strong>de</strong> 3o à 35 mille gens <strong>de</strong> couleurlibres, et d'environ 5oo mille esc<strong>la</strong>ves, donnal'é<strong>la</strong>n à toutes les autres colonies. Ses grands p<strong>la</strong>nteursrésidaient alors à Paris pour y jouir <strong>de</strong> leursrichesses. Ils saisirent avec transport l'espoir d'unerégénération qui, en abaissant les agents <strong>de</strong> l'ancienrégime, <strong>de</strong>vait les élever eux-mêmes au premierrang. Obtenir le pouvoir était <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière jouis-


(349)sance qu'ambitionnait l'orgueil oligarchique <strong>de</strong> ces 1789.maîtres absolus, blâsés sur les autres biens <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie.Qu'ils étaient loin <strong>de</strong> prévoir que les droits <strong>de</strong>l'homme, qu'ils proc<strong>la</strong>maient, seraient plus tardrevendiqués par leurs esc<strong>la</strong>ves, et qu'ils creusaient<strong>de</strong> leurs propres mains, l'abîme qui <strong>de</strong>vait les engloutir!Les comtes <strong>de</strong> Renaud, <strong>de</strong> Magallon, les marquis<strong>de</strong> Rouvray, <strong>de</strong> Périgny, <strong>de</strong> Gouy-d'Arcy, les chevaliers<strong>de</strong> Cochorel, <strong>de</strong> Douge, MM. <strong>de</strong> Villeb<strong>la</strong>ncheet <strong>de</strong> Bodkin-Filtz-Gérald, choisis dans un conciliabule<strong>de</strong> colons réunis à Paris, sans convocationrégulière, se présentent à l'assemblée <strong>de</strong>s députésdu tiers ou <strong>de</strong>s communes (1), les 8 et 13 juin 1789,comme députés <strong>de</strong> Saint-Domingue, et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ntà être reçus en cette qualité. L'assemblée répondit :que lorsqu'elle serait constituée, elle vérifieraitleurs pouvoirs, et statuerait sur leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Cependantles événements se pressent et, le 20 juin, cesmêmes députés, réunis au nombre <strong>de</strong> douze, seren<strong>de</strong>nt en toute hâte à <strong>la</strong> séance du jeu <strong>de</strong> paume,où ils sollicitent et obtiennent <strong>la</strong> faveur d'être admiset <strong>de</strong> prêter le fameux serment, <strong>de</strong> ne se dis-(1) C'étaient les députés du tiers-état aux états généraux,après <strong>la</strong> scission du clergé et <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse; ils neprirent le titre d'assemblée nationale, que le 27 juin.


(350)178g. soudre qu'après avoir donné une constitution à <strong>la</strong>France ( 1 ) .Les jours sulvants, ils prétendirent que Saint-Domingue<strong>de</strong>vait avoir vingt représentants à l'assembléenationale; <strong>la</strong> discussion s'ouvrit, et un décret, du 4juillet, en fixa le nombre à six.La Gua<strong>de</strong>loupe avait aussi <strong>de</strong>mandé <strong>la</strong> faveurd'être représentée aux états-généraux. Ceux <strong>de</strong> sescolons qui se trouvaient à Paris , se réunirent, àl'exemple <strong>de</strong>s colons <strong>de</strong> Saint-Domingue , et nommèrentsix députés que le roi autorisa à se faire admettreà l'assemblée nationale. Un décret du 22septembre eu fixa le nombre à <strong>de</strong>ux pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et, quelques jours après, à pareil nombrepour <strong>la</strong> Martinique.Mais tous ces députés, élus à Paris, éprouvèrent<strong>de</strong> l'opposition <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s habitans <strong>de</strong>s îles, quine vou<strong>la</strong>ient pas les reconnaître comme légalementnommés ; et l'on ne peut pas se dissimuler que , <strong>de</strong>puisleur précoce admission dans le sein <strong>de</strong> l'assemblée, les questions re<strong>la</strong>tives aux colonies, n'yaient été d'autant plus indiscrètement agitées , queles intérêts <strong>de</strong>s villes maritimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole,(1) Moniteurs <strong>de</strong> 1789, n° s 14 et 61 ; Recueil <strong>de</strong>s loisre<strong>la</strong>tives à <strong>la</strong> marine et aux colonies, arrêtés <strong>de</strong>s 8, 27juin et 4 juillet.


(351)qui avaient aussi leurs représentants, paraissent avoir 1789.été dans une dissi<strong>de</strong>nce constante avec les intérêts<strong>de</strong>s colons.Les p<strong>la</strong>nteurs qui se trouvaient alors à Paris, se<strong>la</strong>issèrent tous aller au torrent révolutionnaire; ilsétablirent une société, connue sous le nom <strong>de</strong> club<strong>de</strong> l'hôtel <strong>de</strong> Massiac, pour y délibérer sur leursintérêts, sur <strong>la</strong> marche à suivre dans leurs débats, etdans leur lutte avec l'administration. Ils soufflèrentet allumèrent l'incendie dans les îles, parleur correspondance; ce fut à qui s'élèverait le plus fortementcontre l'autorité <strong>de</strong>s agents du roi, et à qui <strong>la</strong> dénonceraitavec le plus <strong>de</strong> fureur.Les hommes <strong>de</strong> couleur libres, qui avaient tout àgagner à <strong>la</strong> révolution , restaient encore les seulscalmes et silencieux, au milieu <strong>de</strong> ce concert unanime<strong>de</strong> p<strong>la</strong>intes. Par leurs ménagements étudiés,ils parvinrent à s'attirer <strong>la</strong> confiance et l'intérêt <strong>de</strong>sfonctionnaires qui cherchèrent à s'en faire une diguepour l'opposer, à <strong>la</strong> fois, aux prétentions extraordinaires<strong>de</strong>s oligarques et aux insurrections,peut-être prochaines, <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves (1).La question re<strong>la</strong>tive à l'état <strong>de</strong>s nègres, quel'Angleterre venait d'agiter publiquement, et lesdéc<strong>la</strong>mations <strong>de</strong> <strong>la</strong> société phi<strong>la</strong>ntropique <strong>de</strong>s Amis(1) Pamphile-Lacroix, 1 er vol, pages 8, 15 et suiv.


(352)1789. <strong>de</strong>s noirs, établie à Londres, propageaient <strong>de</strong>s doctrinesdont les résultats ne pouvaient être que sinistrespour les colonies. Beaucoup d'hommes marquansavaient formé à Paris, dès l'année 1787, uneassociation pareille. Ils provoquaient, avec autant<strong>de</strong> bonne foi que d'enthousiasme, une discussionqu'ils étaient bien éloignés <strong>de</strong> penser <strong>de</strong>voir compromettre,plus tard, <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s colons, l'existence<strong>de</strong>s colonies et les intérêts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole.Pendant que <strong>la</strong> prévoyance ang<strong>la</strong>ise, se contentantd'un vain éta<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> phi<strong>la</strong>ntropie, donnaitchaque jour plus d'étendue et d'activité au honteuxcommerce <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves , en peup<strong>la</strong>it ses colonies,afin <strong>de</strong> se mettre en état d'abolir <strong>la</strong> traite aussitôtqu'elle pourrait s'en passer, et que cette abolitionentraînerait <strong>la</strong> ruine <strong>de</strong>s établissements français auxAntilles, il n'était plus question dans les sociétés <strong>de</strong>Paris que <strong>de</strong> <strong>la</strong> manière <strong>de</strong> réaliser le projet <strong>de</strong> l'émancipation<strong>de</strong>s nègres. Tous les cercles et tous lesclubs ne retentissaient que <strong>de</strong> cette proposition,déjà plusieurs fois agitée à <strong>la</strong> tribune nationale ; <strong>de</strong>sémissaires avaient été envoyés dans les îles françaises,pour y préparer les esprits aux grands changementsqu'on méditait ; comme s'il eût été possible<strong>de</strong> faire impunément retentir dans les Antilles lesmots magiques <strong>de</strong> liberté et d'égalité, avant d'avoirréglé l'usage <strong>de</strong> cette liberté ?L'assemblée nationale et son comité <strong>de</strong>s colonies,


(353)environnés <strong>de</strong> séductions et influencés alternative- 1789.ment par une foule d'opinions et d'intérêts opposés, cherchèrent à concilier toutes les prétentionsen adoptant une légis<strong>la</strong>tion ambiguë et versatileplus propre à attiser qu'à éteindre le feu <strong>de</strong>s passions.II.23


(354)CHAPITRE II.Commencement <strong>de</strong>s troubles qui agitèrent les colonies.1789. LORSQUE <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong>s événements qui s'étaientpassés en France, dans le courant <strong>de</strong> juillet, parvintaux colonies, l'ivresse y fut portée jusqu'au délire.La cocar<strong>de</strong> nationale, prise en France avec enthousiasme, le fut dans les îles avec fureur par <strong>la</strong> popidation<strong>de</strong> tout âge, <strong>de</strong> tout sexe, <strong>de</strong> toute couleur;on l'offrit avec apparât aux membres <strong>de</strong> toutes lesautorités, qui furent obligés <strong>de</strong> <strong>la</strong> porter, et quibientôt, pour <strong>la</strong> plupart, se virent contraints d'abandonnerleur poste. Les hommes <strong>de</strong> couleuravaient été, jusque-là, attachés, comme cliens, à <strong>la</strong>première c<strong>la</strong>sse <strong>de</strong>s colons , dont ils avaient l'habitu<strong>de</strong><strong>de</strong> rechercher le patronage; p<strong>la</strong>cés entre eux etles noirs, comme <strong>de</strong>s enfants naturels que leur existenceliait plus étroitement aux <strong>de</strong>stins <strong>de</strong>s colonies,ils voulurent à leur tour obtenir <strong>la</strong> jouissance <strong>de</strong>sdroits qu'on déc<strong>la</strong>rait être l'attribut essentiel <strong>de</strong> tous


(355)les hommes. Ceux <strong>de</strong> Saint-Domingue , prenant 1789.l'initiative , parurent à <strong>la</strong> barre <strong>de</strong> l'assemblée nationale,le 22 octobre 1789, pour y réc<strong>la</strong>mer, avecl'exercice <strong>de</strong>s droits politiques et civils, <strong>la</strong> faveurd'être représentés, et déposèrent sur l'autel <strong>de</strong> <strong>la</strong>patrie un don <strong>de</strong> six millions <strong>de</strong> livres.L'assemblée ne leur eut pas plutôt réponduqu'aucune partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> nation ne réc<strong>la</strong>merait envainses droits auprès <strong>de</strong>s représentants du peuplefrançais, qu'aussitôt les nègres libres y portèrent<strong>la</strong> même réc<strong>la</strong>mation, et se présentèrent sous le nom<strong>de</strong> colons américains; ils prétendirent être c<strong>la</strong>ssésavant <strong>la</strong> race bâtar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mulâtres, et ils appuyèrentleur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> par l'offre d'un faible don patriotique<strong>de</strong> douze millions <strong>de</strong> livres (1).Tel fut le résultat <strong>de</strong> ces premières impru<strong>de</strong>nces,si inconsidérément répétées ; les terribles catastrophesqui les suivirent, et <strong>la</strong> perte, pour <strong>la</strong> France, <strong>de</strong><strong>la</strong> plus précieuse <strong>de</strong> ses colonies en ont été les fataleset inévitables conséquences. Il est dans l'ordremoral comme dans l'ordre physique, <strong>de</strong> certainesdéclivités où le mouvement une fois imprimé auxidées ne cesse que quand elles ne peuvent plus <strong>de</strong>scendre.Lorsque les membres du club <strong>de</strong> l'hôtelMassiac discutaient les moyens <strong>de</strong> se soustraire à(1) Moniteur <strong>de</strong> 1789, n° 99.23


(356)1789 l'autorité <strong>de</strong>s délégués <strong>de</strong> <strong>la</strong> France, ils ne se doutaientpas que les mêmes arguments seraient un jouremployés contre eux par leurs propres esc<strong>la</strong>ves. Lesprétentions <strong>de</strong>s noirs furent éveillées et justifiées parcelles <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> sang mêlé ; et les gens <strong>de</strong> couleurne <strong>de</strong>mandèrent à participer aux droits politiquesque parce que les colons b<strong>la</strong>ncs voulurent s'emparer<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces réservées jusqu'alors aux agents <strong>de</strong><strong>la</strong> métropole.A <strong>la</strong> Martinique, à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, à Sainte-Lucie,à Tabago, <strong>la</strong> révolution fut accueillie avec le mêmeenthousiasme et souleva, dans toutes les c<strong>la</strong>sses, unintérêt aveugle et <strong>de</strong>s passions violentes. Les colonsd'Amérique n'avaient jamais vu arriver d'Europeque <strong>de</strong>s tyrans et <strong>de</strong>s fers ; en apprenant quele peuple français, presqu'aussi malheureux qu'eux,avait repris son ancienne puissance, ils voulurentêtre libres comme lui (1).Chacune <strong>de</strong> ces c<strong>la</strong>sses prétendit faire tourner àson avantage les idées <strong>de</strong> liberté répandues enFrance. Les p<strong>la</strong>nteurs y virent le moyen <strong>de</strong> se p<strong>la</strong>cerau-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l'autorité du gouvernement; lesautres b<strong>la</strong>ncs, celui <strong>de</strong> se mettre au niveau <strong>de</strong>s pri-(1)Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre,<strong>de</strong>puis <strong>la</strong> révolution, imprimé à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, en 1791,page 1 re .


(357)vilégiés , qui leur avaient témoigné jusqu'alors un 1789mépris offensant; les gens <strong>de</strong> couleur, <strong>la</strong> plupartpropriétaires, jouissant d'une honnête aisance, maistenus dans une condition humiliante, espérèrentune amélioration graduelle et une participation aux.droits civils et politiques; et le mot <strong>de</strong> liberté, en sefaisant entendre dans les ateliers <strong>de</strong>s noirs , dut nécessairementy produire une fermentation, que <strong>de</strong>sinstigateurs secrets surent mettre à profit. Cettedifférence <strong>de</strong> vues et d'intérêts produisit <strong>de</strong>s haineset <strong>de</strong>s discor<strong>de</strong>s qui bientôt déchirèrent les colonieset firent éc<strong>la</strong>ter, à <strong>la</strong> Martinique, une déplorableguerre civile (1).A <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> <strong>la</strong> nouvelle cocar<strong>de</strong>faillit être funeste à <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître,que l'on vit passer d'une joie tumultueuse à <strong>la</strong> fermentation<strong>la</strong> plus a<strong>la</strong>rmante. Le commandant en(1) On trouve dans le n° 102, du Moniteur <strong>de</strong> 1789,une adresse , par <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux représentaità l'assemblée nationale, qu'il était à craindre quel'exemple <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique n'influât sur les autres coloniesfrançaises. Le marquis <strong>de</strong> Gouy d'Arcy, député <strong>de</strong> Saint-Domingue , saisit cette circonstance pour dénoncer, le1 er décembre, le ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, M. <strong>de</strong> <strong>la</strong> Luzerne,comme ayant consommé <strong>la</strong> ruine <strong>de</strong>s colonies qu'il vou<strong>la</strong>itretenir encore sous son pouvoir <strong>de</strong>spotisque, etc.


(358)1789 second, M. D'Arrot, qui voulut, impru<strong>de</strong>mmentpeut-être, <strong>la</strong> réprimer, ne dut <strong>la</strong> vie qu'aux soinset à l'influence du gouverneur, M. <strong>de</strong> Clugny, quetoute <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion aimait et respectait. Cette crise,trop violente pour être <strong>de</strong> longue durée, se calmasans effort; aucune effusion <strong>de</strong> sang ne <strong>la</strong> souil<strong>la</strong>,et l'on se borna à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r que l'entrepôt du commerce<strong>de</strong>s Américains, établi d'abord à <strong>la</strong> Pointeà-Pître,et qu'une ordonnance du 28 décembre 1786,avait porté à <strong>la</strong> Basse-Terre, fût <strong>de</strong> nouveau transférédans <strong>la</strong> première <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux villes. M <strong>de</strong> Clugnyconvoqua l'assemblée coloniale, établie par l'ordoimancedu 7 avril 1787 , pour débattre <strong>la</strong> question,« Ce corps, formé dans le principe <strong>de</strong> quelquesgens honnêtes, ensuite <strong>de</strong>s agents ou <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>vesdu gouvernement, n'ayant d'autres fonctionsque <strong>de</strong> recevoir l'impulsion <strong>de</strong>s administrateurs, et<strong>de</strong> <strong>la</strong> communiquer à leurs parents et a leurs amis,courbés comme eux sous le joug d'une puissancequ'ils croyaient tous partager (1) », n'arrêta rien àcet égard, et se contenta <strong>de</strong> convenir que chaque paroissenommerait <strong>de</strong>s électeurs pour s'occuper <strong>de</strong>scahiers que <strong>la</strong> colonie enverrait à l'assemblée nationale.Chacune <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux villes éleva encore <strong>de</strong>s(2) Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre etc.


(359)prétentions sur le privilège d'avoir l'assemblée <strong>de</strong>s 1789.électeurs dans son sein ; on mit fin à <strong>la</strong> contestationen désignant le Petit-Bourg pour point <strong>de</strong> réunion.Ce premier mouvement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ne futdonc point, comme à Saint-Domingue, une guerreentre les b<strong>la</strong>ncs et les hommes <strong>de</strong> couleur, ni, commeà <strong>la</strong> Martinique, une guerre entre les colons <strong>de</strong>scampagnes et les négociants <strong>de</strong>s villes. Une simplerivalité <strong>de</strong> commerce entre les <strong>de</strong>ux villes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître y donna lieu, et lecalme se rétablit aussitôt que l'assemblée du Petit-Bourg eût décidé, le 9 décembre, qu'elles se partageraientle commerce américain (1).(1) Rapport à l'assemblée nationale, par le député;Queslin , au nom du comité colonial, imprimé en 1792.


(360)CHAPITREIII.Suite <strong>de</strong>s troubles à <strong>la</strong> Martinique et à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.1790. PENDANT que Saint-Domingue et <strong>la</strong> Martiniqueétaient en proie aux troubles qu'une fatale imprévoyancey avait fait naître, les symptômes <strong>de</strong> discor<strong>de</strong>, peu nombreux à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , n'y avaientaucun caractère a<strong>la</strong>rmant. L'assemblée <strong>de</strong>s électeurs,réunie à <strong>la</strong> Basse-Terre, dans le courant <strong>de</strong>janvier 1790, n'était animée que d'un seul sentiment, celui d'échapper aux malheurs qui pressaientles colonies <strong>de</strong> toutes parts. Elle fit, en très-peu <strong>de</strong>temps , un p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> constitution, qui se trouva entièrementconforme aux dispositions du décret du 8mars 1790 et aux instructions du 28 du mêmemois.Les anciennes milices, dont l'organisation n'étaitplus en harmonie avec les idées nouvelles, furentabolies dans <strong>la</strong> colonie. On avait élu et envoyétrois députés à l'assemblée nationale; ils étaient


(361)partis le 1 er septembre, leur traitement fut fixé à 1790.dix-huit mille liv. chacun (alors 12,000 fr.)(1).L'assemblée arrêta l'établissement <strong>de</strong> municipalitésà <strong>la</strong> Pointe-à-Pître et à <strong>la</strong> Basse-Terre, et celui<strong>de</strong> juges <strong>de</strong> paix dans les quartiers.Au milieu <strong>de</strong> ces travaux, <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe reçutune députation <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Saint-Pierre qui réc<strong>la</strong>maitles secours les plus urgents. Depuis plusieursannées, » le gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique s'était» servi <strong>de</strong> l'assemblée coloniale pour établir, entre» les villes et les campagnes , <strong>de</strong>s divisions éter-» nelles en chargeant celles-là d'un surcroît d'im-» positions dont il sou<strong>la</strong>geait celles-ci.» Les grands propriétaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> campagne durent» donc chérir le pouvoir arbitraire dont ils dispo-(1) MM. <strong>de</strong> Curt et <strong>de</strong> Galbert avaient été admis,commedéputés <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, à l'assemblée nationale pardécret du 22 septembre 1789; cependant MM. Chabert<strong>de</strong> <strong>la</strong> Charrière, Nadal <strong>de</strong> Saintrac pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,et Robert-Coquille pour Marie-Ga<strong>la</strong>nte, furent reçus enqualité <strong>de</strong> représentants, le 27 juillet 1790, sans quecette mesure pût tirer à conséquence pour les légis<strong>la</strong>turesà venir. (Recueil <strong>de</strong>s lois pour <strong>la</strong> marine et les colonies,tome 1 er , page 86.)Le marquis <strong>de</strong> Dampierre, MM. Guillon, Boyvin et Fi<strong>la</strong>ssier<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ,obtinrent le droit d'assister aux |séances.


(362)1790. » saient à leur gré, et les villes désirer avec ar<strong>de</strong>ur» <strong>la</strong> révolution qui assurait à <strong>la</strong> colonie une plus» juste distribution <strong>de</strong>s avantages et <strong>de</strong>s charges» publiques. Aussi <strong>la</strong> campagne prépondérante» conserva-t-elle sa milice; et ceux <strong>de</strong> ses officiers« qui ne purent pas être députés à l'assemblée co-» loniale, allèrent au Fort-Royal, au milieu <strong>de</strong> <strong>la</strong>» paix, enf<strong>la</strong>mmer le ressentiment du gouverneurcontre Saint-Pierre, par le spectacle d'un nom-» breux cortège militaire qu'il rencontrait toujours» sur ses pas (1) ». Mais que pouvait ce petitnombre contre <strong>la</strong> multitu<strong>de</strong> ? On s'assura donc <strong>de</strong>sgens <strong>de</strong> couleur, et Saint-Pierre, sans en avoir <strong>de</strong>spreuves ostensibles, ne put plus douter que sa pertene fût jurée par ceux qui avaient toute influencedans les affaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie.L'outrage fait par <strong>de</strong>ux officiers du régiment <strong>de</strong><strong>la</strong> Martinique, en plein spectacle, à <strong>la</strong> nouvelle cocar<strong>de</strong>, excita le trouble ; les troupes mirent les spectateursen joue, et le sang al<strong>la</strong>it couler, si l'intendant,M. <strong>de</strong> Foulon et M. <strong>de</strong> Thomaseau, ne s'étaient jetésau-<strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s baïonnettes. Les soldats, en trop petitnombre , partirent pour le Port - Royal, et l'ony fit <strong>de</strong>s dispositions effrayantes pour aller venger,(1) Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, etc.pag. 9 et suiv.


(363)disait-on, l'honneur du régiment offensé. La ville<strong>de</strong> Saint-Pierre crut <strong>de</strong>voir chercher au-<strong>de</strong>hors<strong>de</strong>s secours que <strong>la</strong> crainte ou <strong>de</strong>s considérations particulièresrendaient peu nombreux sur son territoire.Elle s'adressa aux îles françaises, qui toutes,lui envoyèrent <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s armes.L'assemblée <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, à <strong>la</strong>quelle les députés<strong>de</strong> Saint-Pierre se présentèrent, nommaquatre <strong>de</strong> ses membres pour aller y ramener le calme.Une jeunesse ar<strong>de</strong>nte s'offrit <strong>de</strong> les accompagner ,et le brave Dugommier, que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe s'honnored'avoir vu naître (1), fut choisi pour les comman<strong>de</strong>r.Le gouverneur <strong>de</strong> Clugny que, par unelettre du 5 avril, <strong>la</strong> municipalité <strong>de</strong> Saint-Pierrepressait instamment d'y venir, partit avec eux.Cette députation armée eut tout le succès qu'on enpouvait espérer; justice fut rendue à <strong>la</strong> ville <strong>de</strong>Saint-Pierre ; M. <strong>de</strong> Clugny parvint à calmer lesesprits ; et vers <strong>la</strong> fin d'avril, l'expédition triomphanterevint à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où une insurrectionavait éc<strong>la</strong>té dans divers ateliers <strong>de</strong> nègres <strong>de</strong> <strong>la</strong> Capesterre, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Goyave et du Petit-Bourg. Le conseilsupérieur évoqua à lui <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> cette affaire.L'exécution <strong>de</strong> cinq <strong>de</strong>s coupables suffit pour17(2) Voir <strong>la</strong> note biographique sur Dugommier, 1 er vol.page 298.


(364)1790. comprimer cette insurrection produite par unefausse interprétation <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> liberté, d'égalité.En l'absence <strong>de</strong>s forces qui s'étaient rendues à Saint-Pierre, cette insurrection avait failli <strong>de</strong>venir funesteà <strong>la</strong> colonie.La paix régnait à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ; mais à <strong>la</strong> Martinique,l'animosité <strong>de</strong>s partis s'était renouvelée avecplus d'aigreur. Les mulâtres étaient réunis en armesau fort royal, où s'étaient aussi rassemblés les officiers<strong>de</strong> milice, les membres du conseil et tous ceuxqui tenaient à l'ancien ordre <strong>de</strong> chose. Un appareilformidable était encore dirigé contre <strong>la</strong> ville <strong>de</strong>Saint-Pierre, ouvertement menacée <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>struction.Cette ville recourut une secon<strong>de</strong> fois à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeoù il n'y eut qu'un même avis et qu'un crigénéral d'indignation. Les volontaires, que Dugommiercommandait encore, et qui <strong>de</strong>vaient accompagnerles députés qu'on envoyait à <strong>la</strong> Martinique,invitèrent M. <strong>de</strong> Clugny à se mettre à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>l'expédition; elle partit pour <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Saint-Pierre,au secours <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle tous les quartiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, Marie-Ga<strong>la</strong>nte, Sainte-Lucie et Tabago accouraientaussi. Mais cette fois <strong>la</strong> haine <strong>de</strong>s partisy était portée si loin , que tout ce qu'on put obtenird'eux , ce fut <strong>la</strong> promesse <strong>de</strong> ne pas se nuire réciproquement;l'état <strong>de</strong>s choses était tel, qu'on crutavoir beaucoup gagné. M. <strong>de</strong> Clugny, les députéset les volontaires furent comblés d'éloges à leur re-


(365)tour à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où régnait une harmonie par- 1790.faite entre toutes les autorités et <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion (1).Mais les germes d'une division sérieuse, dont lescommencements furent longs et assez difficiles à reconnaître,finirent cependant par éclore entre legouverneur et <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. Du côté<strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, un sentiment très-prononcé pour <strong>la</strong> liberté, accru sans doute par <strong>la</strong> communication <strong>de</strong>sa jeunesse avec celle <strong>de</strong> Saint-Pierre; et <strong>de</strong> <strong>la</strong> part<strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Clugny , <strong>la</strong> crainte, peut-être prématurée,<strong>de</strong> voir se former à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, comme à <strong>la</strong>Martinique, <strong>de</strong>ux partis armés ; l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> negouverner que par le régime militaire ; ses communicationsintimes et secrètes avec M. <strong>de</strong> Damas,gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique , et <strong>la</strong> similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>leurs p<strong>la</strong>ns et <strong>de</strong> leur politique, firent naître cettedivision. La Basse-Terre <strong>de</strong>vint d'autant plus ombrageuse, qu'elle découvrit <strong>de</strong> toutes parts <strong>de</strong>sour<strong>de</strong>s menées pour lui ravir sa liberté. Les défiancess'augmentèrent par les obstacles multipliésque l'on opposait à l'établissement <strong>de</strong> sa municipalité,dont l'organisation et les règlements avaient étéarrêtés dès le 31 mars, et qu'elle ne put obtenirque le 20 mai, après <strong>la</strong> publication du décret du 8(1) Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, pag.10 et suiv.


(366)1790. mars, qui ordonnait son instal<strong>la</strong>tion; et par lesécrits et les discours fréquents dans lesquels les amisdu gouverneur cherchaient à démontrer que lesavantages assurés par <strong>la</strong> constitution n'étaient pasfaits pour un pays d'esc<strong>la</strong>ves. On vit, avec inquiétu<strong>de</strong>, que l'assemblée coloniale , convoquée à<strong>la</strong> Basse-Terre pour le 15 juin, n'était plus composéeque d'hommes dont on redoutait surtoutl'opinion et le dévouement à M. <strong>de</strong> Clugny, surl'esprit duquel ils avaient le plus grand ascendant.Ces motifs, les nouvelles a<strong>la</strong>rmantes qu'on recevait<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, et <strong>la</strong> correspondance assidue<strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Clugny avec M. <strong>de</strong> Damas, firentperdre à ce gouverneur le crédit et l'influence quelui avaient acquises sa modération, ses qualitéspersonnelles et les concessions qu'il avait su faire àpropos.La révolution s'avançait à grands pas et faisaitsentir chaque jour, aux soldats comme au peuple,qu'elle était faite par eux et pour eux ; qu'ils avaientbesoin <strong>de</strong> se réunir pour <strong>la</strong> défendre et pour conserverles avantages qu'elle leur promettait. Cetteréunion ne s'était pas encore opérée à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.Ellese fit tout naturellement, le 1 erseptembre1790. Les soldats du régiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ,plus particulièrement instruits <strong>de</strong> leurs véritablesintérêts, par un mémoire que venait <strong>de</strong> publierleur quartier-maître , sortirent en ordre du fort; ils


(367)vinrent renouveler à <strong>la</strong> municipalité leur serment 1790.civique, fraternisèrent avec les habitans <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville,et dès lors <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion , faisant corps avec les soldats, partagea leurs méfiances , à l'égard <strong>de</strong>s officiers,qui affectaient une opposition ouverte aunouvel ordre <strong>de</strong>s choses (1).(1) Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, etc.Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale.


(368)CHAPITREIV.Événements qui se succédèrent à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et à <strong>la</strong>Martinique.1790. CEPENDANT les menaces faites <strong>de</strong>puis long-tempsà <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> Saint-Pierre , dont <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupen'avait pu que retar<strong>de</strong>r l'effet, venaient <strong>de</strong> seréaliser. Cette ville avait été conquise et occupée militairementpar une armée <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong> mer d'environsix mille hommes, ayant un train considérabled'artillerie. Sans aucun droit et contre toutesles lois, une liste <strong>de</strong> proscription fut dressée : chacuny p<strong>la</strong>ça son créancier ou son ennemi. Troiscents hommes, arrachés du lit <strong>de</strong> leurs femmes,<strong>de</strong>s bras <strong>de</strong> leurs enfants, furent envoyés prisonniersau Fort-Royal, pour y être jugés par ceuxqui étaient venus les enlever, ou par les parents etles amis <strong>de</strong> leurs oppresseurs (1).(1) Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, etc.,pages 19 et 31.


(369)La Gua<strong>de</strong>loupe eu était indignée, lorsqu'elle 1790.apprit, le 5 septembre, que les <strong>de</strong>ux forts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martiniquevenaient d'être enlevés par les troupes quitenaient au parti <strong>de</strong>s habitans <strong>de</strong> Saint-Pierre ;cet important événement <strong>la</strong> remplit <strong>de</strong> joie. Le calmerégnait et l'on n'était encore avi<strong>de</strong> que <strong>de</strong> nouvelles,quand un bateau, arrivant furtivement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique,le 10 septembre, débarqua à <strong>la</strong> Basse-Terre<strong>de</strong>ux passagers que l'on vit conduire, avec mystère,chez M. <strong>de</strong> Clugny. Ces précautions donnèrentl'éveil; <strong>la</strong> foule, qui les suivit, se précipita dans <strong>la</strong>maison du gouvernement et trouva M. <strong>de</strong> Clugnylisant une dépêche. On <strong>de</strong>manda qu'elle frit portéeà <strong>la</strong> municipalité et que les <strong>de</strong>ux passagers y fussentconduits. Ce vœu fut rempli, et <strong>la</strong> lettre lue publiquement;elle était <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Damas, et datée du 6septembre; après avoir parlé du parti que les troupesavaient pris, à <strong>la</strong> Martinique, <strong>de</strong> s'emparer<strong>de</strong>sforts, M. <strong>de</strong> Damas ajoutait : dans un tel état <strong>de</strong>choses, vous voyez que je ne puis vous fournir aucunesorte <strong>de</strong> secours. Ces expressions rappellent à<strong>la</strong> mémoire une foule d'événements et <strong>de</strong> circonstancesqu'on rapproche; chacun croit y voircomplot, un projet <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction; se représente<strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe en proie aux malheurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, et <strong>la</strong> Basse-Terre asservie, par <strong>la</strong> force, etréduite à l'état déplorable <strong>de</strong> Saint-Pierre, La commotionfut générale dans <strong>la</strong> ville; <strong>la</strong> municipalitéII. 24un


(370)1790. ne voulut rien prendre sur elle; on décida que <strong>la</strong>lettre serait envoyée an comité colonial, et qu'uneassemblée générale serait convoquée. Lesdébatsfurent vifs sur le parti qu'il convenait d'adopter ;enfin <strong>la</strong> lettre fut reportée chez M. <strong>de</strong> Clugny, pour<strong>la</strong>voir communication <strong>de</strong> celle qu'il avait lui-mêmeécrite à M. <strong>de</strong> Damas ; il protesta n'en avoirpasconservé <strong>de</strong> copie , et n'avoir rien écrit qui pûtprovoquer cette réponse.On ne put tirer aucun éc<strong>la</strong>ircissement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxpassagers, ni du capitaine du bateau (1). L'indignationfut extrême, <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> fureur se firent entendre, mais cette effervescence n'eut aucune suite,et <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe n'eut à se reprocher aucun meurtre.Après <strong>de</strong>ux jours <strong>de</strong> délibération, on se déterminaà consulter <strong>la</strong> colonie entière. Surl'avis que legouverneur s'occupait le jour et <strong>la</strong> nuit à écrire Ouà expédier <strong>de</strong>s dépêches, on craignit quelque entreprise<strong>de</strong> sa part. Deux députés lui furent envoyés,(1) Les habitans <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville ayant découvert que le bateauet l'équipage appartenaient au prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'assemblée<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, et que le mulâtre capitaine, étaitun bâtard <strong>de</strong> sa famille, n'en fuirent que plus ar<strong>de</strong>nts àcroire que cet antagoniste <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville Saint-Pierre excitaitaussi M. <strong>de</strong> Damas contre <strong>la</strong> Basse-Terre. ( Historique <strong>de</strong>sévénements, etc. page 36.


(371)le 12 septembre, pour le prévenir qu'une gar<strong>de</strong> 1790.municipale se rendrait chez lui, afin <strong>de</strong> faire près <strong>de</strong>sa personne, le service <strong>de</strong> concert avec <strong>la</strong> troupe<strong>de</strong> ligne. M. <strong>de</strong> Clugny répondit, par écrit,qu'i<strong>la</strong>cceptait avec p<strong>la</strong>isir <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> qui lui était offerte.Les paroisses instruites <strong>de</strong> tous ces détails , parle comité colonial et par M. <strong>de</strong> Clugny lui-même,mais dans un sens tout différent, envoyèrent <strong>de</strong>sdéputés à <strong>la</strong> Basse-Terre. Ces députésarrêtèrentunanimement, le 26 septembre : <strong>de</strong> retirer <strong>la</strong> gar<strong>de</strong>municipale <strong>de</strong> chez le gouverneur, et d'inviter lesparoisses et les corps civils et militaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie,à une fédération générale à <strong>la</strong> Basse-Terre ,pour cimenter <strong>la</strong> concor<strong>de</strong> et l'union parmi tous leshabitans.La gar<strong>de</strong> ne fut pas plutôt levée, que M.Clugny, malgré sa promesse <strong>de</strong> ne pas quitter <strong>la</strong>Basse-Terre, partit en secret pour <strong>la</strong> Pointe-à-Pître; ses amis lui préparaient une entrée triomphantedans cette ville. Elle s'y fit avec <strong>de</strong>s cris et<strong>de</strong>s circonstances auxquelles il eût été plus sage <strong>de</strong>ne pas se prêter.Pendant<strong>de</strong>que ces événements se passaient à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong> nouveaux malheurs se succédaientà <strong>la</strong> Martinique. Un massacre avait été commis auxenvirons du Fort-Royal, par <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> couleur; ledirectoire colonial et le général <strong>de</strong> Damas étaientcampés au Gros-Morne, avec tous les hommes <strong>de</strong>24


(372)1790. couleur et un grand nombre d'esc<strong>la</strong>ves armés et débandés, qui ravageaient le pays jusqu'aux portes<strong>de</strong> Saint-Pierre. Cette ville ouverte et dominée <strong>de</strong>toutes parts, se voyant prête à succomber sous lesefforts <strong>de</strong> ses ennemis furieux, se décida à réc<strong>la</strong>merune troisième fois l'intervention <strong>de</strong>s îles françaises.Deux députations arrivèrent à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe les25 et 28 septembre. Après <strong>de</strong> longs débats, il futdécidé, par tous les quartiers réunis, d'envoyer <strong>de</strong>ssecours aux habitans <strong>de</strong> Saint-Pierre. Cette décisionfut approuvée par M. <strong>de</strong> Clugny. Vingt-<strong>de</strong>uxdéputés conciliateurs, appuyés par <strong>de</strong>ux cents cinquantehommes <strong>de</strong> troupes et quatre-vingts jeunesgens, sous les ordres <strong>de</strong> Dugommier, passèrent à <strong>la</strong>Martinique, non pas pour renforcer un <strong>de</strong>s partisbelligérants, mais pour ajouter plus <strong>de</strong> poids auxpropositions d'accommo<strong>de</strong>ments. Dugommier sedistingua dans cette guerre, dite du Gros-Morne ;ce fut à sa pru<strong>de</strong>nce et à son humanité que Saint-Pierre dut sa conservation (1).(1) Les Ang<strong>la</strong>is, après avoir formé <strong>de</strong>ux partis à <strong>la</strong> Martinique, fomentaient encore <strong>de</strong>s divisions dans celui quicombattait pour <strong>la</strong> liberté. Les <strong>de</strong>ux compagnies <strong>de</strong> chasseurs<strong>de</strong>s régiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> plusieurs querelles, résolurent <strong>de</strong> se battrel'une contre l'autre. Elles étaient sur le terrain, lorsqu'on


(373)Mais les secours envoyés à <strong>la</strong> Martiniquc avaient 1790tellement dégarni <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe qu'il n'y restaitplus que cent hommes <strong>de</strong> toutes les compagnies durégiment, lorsque le bruit se répandit <strong>de</strong> nouveaud'un projet d'expédition militaire contre <strong>la</strong> Basse-Terre, où <strong>de</strong>vaient s'opérer <strong>de</strong> nombreuses arrestations,comme ce<strong>la</strong> avait eu lieu à Saint-Pierre. Laconnaissance qu'on eut <strong>de</strong>s moyens secrets employéspour séduire et animer les troupes contre lescitoyens, <strong>la</strong> déposition faite par un caporal <strong>de</strong> grenadiersà <strong>la</strong> municipalité, et confirmée par un adjudant; <strong>la</strong> remise qu'il fit d'un écrit anonyme, renfermantle p<strong>la</strong>n d'invasion projetée contre <strong>la</strong> Basse-Terre , et beaucoup d'autres circonstances non moinsfortes , semb<strong>la</strong>ient justifier l'a<strong>la</strong>rme <strong>de</strong>s habitans.M. <strong>de</strong> Clugny avait-il réellement l'intention <strong>de</strong> lesasservir, ou seulement <strong>de</strong> les contenir? Dans lesen avertit Dugommier. Le général monte à cheval, donneordre à divers postes <strong>de</strong> faire un feu rou<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> canonset <strong>de</strong> fusils , et court aux compagnies qu'il trouve en présence.Il se précipite au milieu d'elles, et leur crie :Camara<strong>de</strong>s, que faites-vous, n'enten<strong>de</strong>z-vous pas le feu<strong>de</strong> l'ennemi? marchons à lui. Tous le suivent du côté oùle feu ordonné se faisait entendre, et là Dugommier sefit pardonner aisément son stratagême. ( Commerce Maritime,Audouin, part. 1 page 164.)


(374)1790. circonstances nouvelles où se trouvaient <strong>la</strong> Franceet les colonies, n'aurait-il pas dû prendre d'autresmesures que celle d'imposer à <strong>la</strong> Basse-Terre, par <strong>la</strong>terreur, et d'adopter, du moins eu partie, le système<strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Damas? En se rendant, contre sa parole,à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître ; en y transférant le siège du gouvernement; en s'y unissant intimement avec l'assembléecoloniale, qui s'y était établie et dont il eutpeu <strong>de</strong> peine, étant gouverneur et grand-propriétaire, à entraîner <strong>la</strong> majorité dans son parti, ne justifiait-ilpas les doutes et les appréhensions?Les autorités se trouvaient alors toutes concentréesà <strong>la</strong> Pointe-à-Pître. Au lieu d'y gar<strong>de</strong>r une pru<strong>de</strong>nteneutralité, elles se coalisèrent ouvertementavec le Gros-Morne <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, qui <strong>de</strong>mandait<strong>de</strong>s vivres, <strong>de</strong>s armes, <strong>de</strong>s munitions , et proposaitune fédération avec les p<strong>la</strong>nteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.L'ordre que le gouverneur envoya à <strong>la</strong> Basse-Terre,pour en tirer beaucoup <strong>de</strong> fusils et <strong>de</strong> munitions <strong>de</strong>guerre, rendit les soldats et <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion encoreplus défiants ; ils crurent que ces poudres et ces armesétaient <strong>de</strong>stinées à servir, au Gros-Morne, contreceux <strong>de</strong> leurs compagnons qui défendaient Saint-Pierre; les soldats ne voulurent pas les <strong>la</strong>isser sortirdu fort.A <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, le commerce <strong>de</strong> France vit<strong>de</strong> mauvais œil l'envoi qu'on faisait au Gros-Morne;


(375)les matelots, armés <strong>de</strong> bâtons, coururent au fort 1790.Louis qui est à l'entrée du port., et s'en emparèrent.Cette p<strong>la</strong>isante expédition fit du bruit; environ 400p<strong>la</strong>nteurs, bien armés, <strong>de</strong>scendirent à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, et voulurent marcher au fort. Le gouverneur,qui sentait les conséquences du premier coup <strong>de</strong>canon qu'on tirerait à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, s'y opposa<strong>de</strong> toutes ses forces. Il fut enfin convenu que les bateaux<strong>de</strong>stinés pour le Grog-Morne, seraient déchargéset le fort évacué. Les matelots tinrent parole, mais les bateaux furent rechargés ensuite etenvoyés à leur <strong>de</strong>stination.La Basse-Terre était cependant tranquille, lorsque,le 10 décembre, <strong>de</strong>ux bâtiments du roi, faisantpartie <strong>de</strong> <strong>la</strong> station <strong>de</strong>s Antilles que commandaitM. <strong>de</strong> Brayes, y arrivèrent manquant <strong>de</strong> vivres; ilsen <strong>de</strong>mandèrent à l'intendant, M. Petit <strong>de</strong> Viévignes,qui leur en refusa, dit-on, avec dureté. Cerefus causa du désordre dans les équipages et compromitl'intendant; <strong>la</strong> municipalité intervint; lesvivres furent délivrés, mais l'intendant contrariése retira c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinement à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, dansl'intention <strong>de</strong> se venger. Ainsi, à l'exemple <strong>de</strong> ce quise faisait en France par les ordres privilégiés , tousles chefs <strong>de</strong>s colonies crurent <strong>de</strong>voir se coaliser pourformer une opposition ; Us le firent avec plus <strong>de</strong>force et <strong>de</strong> succès, mais les événements ne tardèrentpas à déci<strong>de</strong>r s'ils avaient pris le parti le plus sage.


(376)1790 Ce fut pendant ces débats , et malgré <strong>de</strong>s illégalitésintroduites dans le nombre et <strong>la</strong> composition<strong>de</strong> l'assemblée coloniale, quelle fixa <strong>la</strong> quotité <strong>de</strong>l'impôt. Cette mesure donna lieu à <strong>de</strong> vives réc<strong>la</strong>mations<strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s habitans <strong>de</strong>s villes ; il avaitété arrêté que jamais l'impôt ne serait fixé, avantque l'on n'eût rendu compte , ainsi que ce<strong>la</strong> sepratiquait en France, <strong>de</strong> l'emploi <strong>de</strong>s fonds livrésl'année précé<strong>de</strong>nte et ce compte n'avait pas étérendu (1).(1) Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, etc.Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale.


(377)CHAPITRE V.Envoi <strong>de</strong> troupes et <strong>de</strong> quatre commissaires du roi, à <strong>la</strong>Martinique pour les îles du vent. — Événements quiappellent ces commissaires à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.CEPENDANT <strong>la</strong> France voyait avec inquiétu<strong>de</strong> les 1791.troubles qui agitaient les îles du vent. L'assembléenationale avait rendu, le 29 novembre 1790, undécret sanctionné, par le roi le 8 décembre, portantque S. M. y enverrait quatre commissaires.Ils <strong>de</strong>vaient prendre <strong>de</strong>s informations préa<strong>la</strong>bles surl'état <strong>de</strong>s îles, procé<strong>de</strong>r provisoirement à leur organisationet à leur administration. Ils étaient autorisésà réquérir toutes les forces <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong> mer, lesquellesseraient tenues <strong>de</strong> leur obéir; à suspendreles séances <strong>de</strong>s assemblées coloniales jusqu'à l'arrivée<strong>de</strong>s instructions qu'on leur annonçait, et à fairecesser tout pouvoir qui ne serait pas confirmé parles lois ou par les commissaires. Le même décret or-


(378)1791. donnait l'envoi <strong>de</strong> six mille hommes <strong>de</strong> troupes auxAntilles, etc. etc. (1).MM. Lacoste, Magnitot, Mont<strong>de</strong>noix et Linger,furent les quatre commissaires nommés par le roi;M. <strong>de</strong> Béhague fut chargé <strong>de</strong> remp<strong>la</strong>cer M. <strong>de</strong> Damasdans le gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.Us partirent tous à bord <strong>de</strong> l'expédition commandéepar M. <strong>de</strong> Girardin, et arrivèrent, le 12 macs1791, au Fort-Royal.Le premier soin <strong>de</strong>s commissaires fut d'envoyerà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe <strong>de</strong>s exemp<strong>la</strong>ires du décret, et <strong>de</strong>lui annoncer qu'aux termes <strong>de</strong> leurs instructions,ils suspendraient l'assemblée coloniale et <strong>la</strong> municipalité.M. <strong>de</strong> Clugny accourut auprès d'eux, accompagné*<strong>de</strong>plusieurs membres <strong>de</strong> rassemblée, etfit les plus vives instances pour empêcher cette suspension, qui perdrait, leur dit-il, <strong>la</strong> colonie.Les commissaires ayant cédé à ses représentations,il employa , auprès <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Béhague, dont le caractèrequoique tranchant, se <strong>la</strong>issait facilementprévenir , l'ascendant <strong>de</strong> son expérience du pays,pour empêcher qu'il ne fût envoyé à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,d'autres troupes que le 2 e bataillon du 14 e régiment(1) Recueil <strong>de</strong>s lois pour <strong>la</strong> marine et les colonies, I ervol, pages 196 et suiv.


( 3 7 9 )ci-<strong>de</strong>vant Forez; et, sous prétexte qu'une foule d'a- 1791.venturiers, chassés <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique , portaient ledésordre à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où il s'étaient retirés,il se fit requérir, par les commissaires , <strong>de</strong> prendreles mesures nécessaires , pour les faire partir, etempêcher qu'il ne s'y en introduisît d'autres.Pendant son absence, l'assemblée coloniale, quoiqu'ennombre insuffisant, continuait à délibérer;dans tous ses actes, elle se déc<strong>la</strong>rait incompétente;cependant le commandant en second approuvaitson travail. A son retour, M. <strong>de</strong> Clugny, sans s'embarrasser<strong>de</strong> l'incompétence, sanctionna tout cequ'elle avait fait, lui <strong>la</strong>issa continuer sa marche illégale;et, dans une parfaite intelligence avec elle,refusa obstinément <strong>de</strong> recevoir, comme ordonnateur, un administrateur éc<strong>la</strong>iré , M. Masse, prétextantqu'il avait pris part aux troubles <strong>de</strong> Tabago :M. <strong>de</strong> Clugny craignait, sans doute, <strong>de</strong> ne pouvoirle faire entrer dans ses vues.Les volontaires <strong>de</strong>s diverses îles qui avaient étéporter <strong>de</strong>s secours à <strong>la</strong> Martinique, en partirentalors par ordre <strong>de</strong>s commissaires du roi. Ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, ayant Dugommier à leur tête , revinrentle 26 mars à <strong>la</strong> Basse-Terre, où <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> nationaleleur donna une fête splendi<strong>de</strong>. Ces démonstrationset les services qu'ils venaient <strong>de</strong> rendre à <strong>la</strong>ville <strong>de</strong> Saint-Pierre, n'étaient pas <strong>de</strong>s titres <strong>de</strong> recommandationauprès <strong>de</strong> certaines personnes. On fit


(380)1791. courir le bruit qu'ils avaient le <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> s'emparerdu fort. Les ennemis <strong>de</strong> l'ordre accréditèrent cebruit, le soutinrent par toutes sortes <strong>de</strong> ruses, etcherchèrent à prouver qu'il était fondé, en forgeant<strong>de</strong> prétendues preuves. Un caporal, <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> à <strong>la</strong>porte du fort dressa procès - verbal <strong>de</strong>s insultesqu'il disait lui avoir été faites par une patrouillebourgeoise. Le maire exigea ce rapport, le déféra aupouvoir judiciaire et une procédure s'en suivit. Cettemarche légale intimida ceux qu'elle "pouvait compromettre.Le caporal désavoua son rapport, lecommandant défendit aux soldats <strong>de</strong> comparaîtrepour déposer ; le gouverneur écrivit aux commissairesdu roi pour faire suspendre les poursuites quipouvaient jetter un grand jour sur les troubles <strong>de</strong> <strong>la</strong>colonie et même en découvrir les auteurs. Les commissairess'y refusèrent, mais d'autres moyens furentmis en usage pour arrêter le cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> procédure.La justice paralysée fut sour<strong>de</strong> à <strong>la</strong> voix<strong>de</strong>s poursuivants, ne fit point droit à leurs réquisitionsmultipliées et le procès fut enseveli dans l'oubli(1). Alors Dugommier, pour se soustraire à <strong>la</strong>(1) Historique <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre, etc.pages 58 à 75.Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale,pages 8 à 12.


(381)persécution du parti oligarchique, dont il avait toujoursdésavoué les prétentions et les projets, al<strong>la</strong>se réfugier à Paris, et c'est à cette circonstance singulièreque <strong>la</strong> France futbril<strong>la</strong>nts <strong>de</strong> ce général.re<strong>de</strong>vable <strong>de</strong>s servicesLa compagnie d'artillerie <strong>de</strong> Marcilly était à <strong>la</strong>Basse-Terre et nuisait sans doute à quelques <strong>de</strong>sseinssecrets ; on l'accusa d'insubordination , d'indiscipline, d'avoir enlevé <strong>de</strong> <strong>la</strong> poudre et <strong>de</strong>s ballesà l'arsenal et d'avoir excité <strong>de</strong>s troubles à Marie-Ga<strong>la</strong>nte, où l'on prétendait qu'elle avait un détachement.On obtint son renvoi, elle fut embarquée,le 20 juillet 1791,avec tout l'appareil <strong>de</strong> <strong>la</strong> forcepublique. Mais les officiers, sous-officiers et quelquescanonniers qui étaient restés , constatèrent <strong>la</strong>fausseté <strong>de</strong>s griefs imputés à leur compagnie ; ellen'avait jamais fourni <strong>de</strong> détachement à Marie-Ga<strong>la</strong>nte(1).La frégate <strong>la</strong> Calypso,envoyée par M. <strong>de</strong> Béhagueà <strong>la</strong> Basse-Terre, dans les premiers joursjuillet, y débarqua quelques hommes <strong>de</strong> son<strong>de</strong>équipage;leur inconduite mit <strong>la</strong> ville en émoi; les crisaux armes se firent entendre; et il ne s'agit <strong>de</strong>rien moins que <strong>de</strong> charger les canons <strong>de</strong> <strong>la</strong> frégate1791.(1) Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale,où se trouve le mémoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie.


(482)1791. pour foudroyer <strong>la</strong> ville. La municipalité et les commissairesdu roi dénoncèrent en vain ces délits auxtribunaux, ils ne purent en obtenir <strong>la</strong> poursuite,et l'on n'a jamais connu le véritable motif <strong>de</strong> l'arrivée<strong>de</strong> cette frégate. IL paraît qu'elle se rattachaitau projet d'une expédition militaire contre <strong>la</strong> Basse-Terre. La municipalité se p<strong>la</strong>ignit en effet <strong>de</strong>s troublesexcités par les officiers et sous-officiers du régiment<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, qui armés <strong>de</strong> sabres et <strong>de</strong> bâtons,provoquaient et outrageaient les habitans <strong>de</strong> <strong>la</strong>ville.Ce fut au milieu <strong>de</strong> cette fermentation que (d'aprèsle dire <strong>de</strong>s députés extraordinaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre), le gouverneur y rentra comme en triomphe,environné d'un cortège nombreux, et précédé <strong>de</strong>scris <strong>de</strong> vive Clugny, vive l'aristocratie. Les frégates<strong>la</strong> Calipso et <strong>la</strong> Didon vinrent alors mouiller <strong>de</strong>nouveau sur <strong>la</strong> ra<strong>de</strong>. Elles débarquèrent une partie<strong>de</strong> leurs équipages, et les rues furent encombrées<strong>de</strong> soldats <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong> mer qui se livrèrent à toutessortes d'excès.La ville était consternée ; <strong>la</strong> municipalité députale maire vers le gouverneur , qui lui signifia : « que» <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> nationale était vue d'un mauvais œil, et» qu'il fal<strong>la</strong>it <strong>la</strong> licencier pour obtenir <strong>la</strong> paix. »On subit, avec résignation, ce licenciement ;M. <strong>de</strong> Clugny écrivit aux commissaires du roi :« Je ne puis trop donner d'éloges à <strong>la</strong> conduite qu'a


(383)» tenue <strong>la</strong> municipalité , dans cette circonstance , 1791.» en adoptant, sans discussion , les principes <strong>de</strong>» l'invitation que je lui ai faite 5 <strong>la</strong> tranquillité et» <strong>la</strong> paix règnent aujourd'hui dans <strong>la</strong> ville. » Illeur envoyait, en même temps , un mémoire oùquelques particuliers <strong>de</strong>mandaient l'anéantissement<strong>de</strong> <strong>la</strong> municipalité, afin <strong>de</strong> pouvoir en accuser lesmembres <strong>de</strong>vant les tribunaux. Lui-même, en annonçantque l'assemblée coloniale venait <strong>de</strong> suspendreses séances jusqu'à l'arrivée <strong>de</strong>s instructions <strong>de</strong>l'assemblée nationale, sollicitait avec instance <strong>la</strong>suspensions <strong>de</strong>s municipalités.Les commissaires , surpris <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> , siopposée à celle que le gouverneur avait faite peu<strong>de</strong> temps auparavant, s'y refusèrent.Cependant tout cet appareil <strong>de</strong> guerre avait rehaussél'audace <strong>de</strong> <strong>la</strong> soldatesque triomphante. Dessous-officiers, se prétendant insultés , attaquèrentle sieur Parent, retiré dans une maison; il sautapar <strong>la</strong> fenêtre , Se cassa <strong>la</strong> jambe, et d'autres sousofficiersl'assommèrent dans <strong>la</strong> rue, sans qu'il fûtfait aucune poursuite contre eux.Le len<strong>de</strong>main , le sieur Négré , marchand, futassailli chez lui à coups <strong>de</strong> sabre; il tira, pour sedéfendre , <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> pistolet qui ne blessèrentpersonne : on l'arrêta, on le traduisit en justice ;mais les Informations , ne répondant sans doutepas aux espérances qu'on en avait conçu , tous les


(384)1791. actes furent annulés, sous le prétexte que <strong>la</strong> municipalitéen avait fait d'autres.Pendant ce temps, le gouverneur , pour consoli<strong>de</strong>r<strong>la</strong> paix , disait-il, autorisait certaines fédérationsdont les statuts , que nous ferons connaître, annonçaient c<strong>la</strong>irement <strong>de</strong>s listes <strong>de</strong> proscription; ces listes circu<strong>la</strong>ient déjà. L'assemblée coloniale, présidée, <strong>la</strong> plupart du temps, par le neveudu gouverneur , et marchant sur les traces <strong>de</strong> <strong>la</strong> fameuseassemblée générale <strong>de</strong> Saint-Domingue (1),inquiétait et cassait, sans forme <strong>de</strong> procès , <strong>la</strong> municipalité<strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. Toutes les têtes fermentaient, et les commissaires du roi, occupés à<strong>la</strong> Martinique , croyaient, sur <strong>la</strong> foi <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tionsdu gouverneur , que <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe jouissait d'uncalme profond. Quele fut leur surprise lorsque ,par l'envoi <strong>de</strong>s procès-verbaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> municipalité<strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre , ils connurent le véritable état<strong>de</strong>s choses! Us prirent le parti <strong>de</strong> se transporteraussitôt à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, où une nouvelle lütteal<strong>la</strong>it s'engager (1).(1)V. Pamphile-Lacroix, tome 1 erpages 31 à 37. Révolution<strong>de</strong> Saint-Domingue, par M. Dalmas, tome1 er , pages 44 et suiv.Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale.


(385)CHAPITREVI.Lutte <strong>de</strong>s commissaires du roi avec les autorités <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe.PARTIS (le <strong>la</strong> Martinique, le 23 août 1791, MM. La- 1791.coste, Magnytot, Mondtenoix et Linger débarquèrentle 25, à <strong>la</strong> Basse-Terre, où leur présence produisit<strong>de</strong>s impressions très-diverses. Ils remarquèrent,d'un côté, <strong>la</strong> joie peinte sur les visages <strong>de</strong> ceux quis'attendaient, ce jour là même, à <strong>de</strong>s proscriptionsdont ils se trouvaient préservés , et <strong>de</strong> l'autre, <strong>de</strong>sregards inquiets, soit par l'effet <strong>de</strong> projets déconcertés, soit par celui <strong>de</strong>s préventions qu'on avait eusoin <strong>de</strong> répandre contre eux. Les commissaires nefurent pas peu étonnés, <strong>de</strong> voir circuler une copie,signée par M. <strong>de</strong> Béhague, <strong>de</strong>s procès-verbaux <strong>de</strong><strong>la</strong> municipalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre , <strong>de</strong>s observationssur le régiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe communiquéesà ce gouverneur, par les commissaires du roi, aumoment <strong>de</strong> leur départ; et d'entendre dire qu'ilsavaient requis le renvoi en France, <strong>de</strong> ce régi-II. 25


(386)1791. ment, ce qui n'était pas vrai. Ce trait <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Béhague,qu'il crut pallier, en disant qu'on ne luiavait pas <strong>de</strong>mandé le secret, comme si l'honneur etle <strong>de</strong>voir ne l'exigeaient pas ; ces bruits répandus,cette publication <strong>de</strong> pièces et d'observations contretoutes les parties intéressées ; l'assemblée coloniale,que les commissaires trouvèrent réunie, quoiqueM. <strong>de</strong> Clugny leur eût écrit, qu'elle avait suspenduses séances, annoncent assez qu'il existait une coalitionentre les chefs militaires et les privilégiés, pours'opposer à ce que les commissaires rectifiassent cequ'il y avait d'illégal et d'arbitraire dans l'administration<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Cette opposition <strong>de</strong>vint<strong>la</strong> principale cause <strong>de</strong>s maux qui affligèrent <strong>la</strong> colonie.Les fédérations furent le premier objet dont lescommissaires s'occupèrent. On sait combien ellesavaient été funestes à Saint-Domingue, l'année d'auparavant(1). Il s'en était formé une à Sainte-Anne,le 3 août, et une secon<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Basse-Terre, le 17 dumême mois. La première avait dressé, le jour même,une liste <strong>de</strong> proscription où se trouvaient portés lesnoms d'une trentaine d'individus. Les statuts fondamentaux<strong>de</strong> ces réunions oligarchiques, où l'onadmettait les gens <strong>de</strong> couleur, étaient ceux-ci : « il(1) Pamphile-Lacroix, tome 1 er , pages 40 et 50.


(387)» y aura une fédération générale <strong>de</strong> tous les bons 1791.» citoyens <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux paroisses <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. —» Les citoyens à qui l'on peut avoir quelques torts» graves à reprocher, n'y seront point admis. —» Personne ne pourra être forcé à prêter et signer» le serment; mais ceux qui le refuseront, seront» considérés comme gens suspects, sur <strong>la</strong> conduite» <strong>de</strong>squels , les fédérés <strong>de</strong>vront avoir, sans cesse, les» yeux ouverts. — Après <strong>la</strong> fédération effectuée , il» sera avisé aux moyens d'expulser , tant <strong>de</strong> <strong>la</strong>» Basse-Terre, que <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, les gens qui seront» reconnus dangereux et perturbateurs. — Il sera» nommé quatre commissaires qui, entre autres» fonctions , seront chargés <strong>de</strong> prendre connais-» sance <strong>de</strong> toutes les infractions au serment, qui« pourront être commises par les fédérés, etc.(1) »Ce règlement étrange, inquisitorial , pleind'énonciations vagues qui ouvraient un champvaste à l'arbitraire, aux vengeances et aux désordres; cet acte <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux associations d'hommes armés,(1) Ces statuts sont à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> proc<strong>la</strong>mation <strong>de</strong>scommissaires du roi, dans les détails <strong>de</strong>s débats entre l'assembléecoloniale <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et les commissaires duroi, imprimés à Saint-Pierre, en 1791.Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale,en 1792.25


(388)1791. avait été revêtu, hautement, <strong>de</strong> l'autorisation <strong>de</strong>rassemblée coloniale et <strong>de</strong> <strong>la</strong> signature du gouverneUr.Cependant à <strong>la</strong> nouvelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> première,dération les commmissaires avaient représenté, augouverneur son irrégu<strong>la</strong>rité et ses dangers, en lepressant, sous sa responsabilité, <strong>de</strong> <strong>la</strong> dissoudre.Sa réponse avait été satisfaisante ; il assurait lescommissaires, qu'il n'adhérerait jamais à aucunemesure inconstitutionnelle, et que l'assemblée COLOniale,également persuadée du danger <strong>de</strong>s fédérationsparticulières, avait arrêté, pour le 15 septembre,une fédération générale ayant <strong>de</strong>s statuts tout différens.Cet arrêté parut en effet, et tranquillisa lescommissaires. Mais peu <strong>de</strong> jours après, un nouve<strong>la</strong>rrêté, dérogeant à divers articles du premier, maintintimplicitement les fédérations particulières, etle gouverneur l'approuva, malgré les assurancescontraires qu'il avait données(1).Néanmoins, <strong>la</strong> fédération générale eut lieu à <strong>la</strong>Pointe-à-Pître, où elle fut un nouveau sujet <strong>de</strong>,trouble. Les grenadiers du <strong>de</strong>uxième bataillon, duquatorzième régiment, députés à cette cérémonie ,(1) La fédération <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre donna lieu à unepièce <strong>de</strong> vers burlesques où se trouvent décrits l'associationet le caractère <strong>de</strong>s principaux individus qui <strong>la</strong> composaient.


(1) Le pavillon b<strong>la</strong>nc n'était pas encore supprimé; à <strong>la</strong>suite <strong>de</strong> l'insurrection <strong>de</strong> Brest, l'assemblée nationale avaitdécrété, le 21 octobre 1790, que le pavillon français porteraitdésormais les trois couleurs nationales, suivant <strong>la</strong>forme que le comité <strong>de</strong> marine proposerait. Le 24 octobreelle décréta que le pavillon porterait ces trois couleurs,dans le coin supérieur qui serait le quart <strong>de</strong> sa totalité, etque le reste du pavillon serait b<strong>la</strong>nc. Le roi sanctionna cedécret Le 31 octobre 1790; mais on ne fixa pas encorel'époque où il pourrait être arboré partout, sans inconvénient.(389)voyant qu'au lieu du serment prêté en France, celui 1791.qu'on leur <strong>de</strong>mandait était à-peu-près semb<strong>la</strong>ble auxstatuts <strong>de</strong> <strong>la</strong> fédération <strong>de</strong> Sainte-Anne, s'y refusèrent,retournèrent à leurs casernes et arborèrentle pavillon tricolore (1). La fermentation fut gran<strong>de</strong>dans <strong>la</strong> ville ; les officiers du corps et <strong>la</strong> municipalitése portèrent aux casernes , sans pouvoir obtenir <strong>de</strong>faire amener ce nouveau pavillon Le gouverneur,et toutes les autorités civiles et militaires s'ytransportèrent, l'abaissèrent eux-mêmes, désarmèrentles soldats et en conduisirent quarante en prison.Cette expédition fut suivie <strong>de</strong> l'arrestation <strong>de</strong> quatrepersonnes, accusées d'avoir participé à là révolte,(Recueil dos lois pour <strong>la</strong> marine et les colonies, tome1 er , pages 176 et 179.)


(390)1791. et un procès criminel fut intenté à ces quatreindividus.Les commissaires ne furent pas ménagés dans lesimputations et les calomnies <strong>de</strong> tout genre qu'on inventapour les représenter comme les ennemis <strong>de</strong><strong>la</strong> colonie, et les perdre dans l'opinion publique.Us se p<strong>la</strong>ignirent <strong>de</strong> ce qu'à l'assemblée coloniale,chacune <strong>de</strong> leurs actions était dénoncée comme unattentat, comme une conspiration ; <strong>de</strong> ce que les motionss'y succédaient pour les man<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> barre ,les renvoyer en France, discuter leurs pouvoirs ouaffirmer qu'ils n'en avaient aucun; on répandit à profusion,<strong>de</strong>s pamphlets pour accréditer cette calomnieet toutes sortes d'intrigues furent mises en usagepour les dégra<strong>de</strong>r et les avilir.Us eurent <strong>de</strong> longs débats à soutenir avec l'assembléecoloniale, au sujet <strong>de</strong> l'ordonnateur Masse,qui ne pouvant être admis, se vit obligé <strong>de</strong> renoncerà sa p<strong>la</strong>ce et <strong>de</strong> quitter <strong>la</strong> colonie. Par une étrange bizarrerie, l'assemblée coloniale consentit à lui donnerun certificat, en forme <strong>de</strong> lettre, où elle reconnutque M. Masse était un homme <strong>de</strong> probité, etqu'elle n'avait aucun grief à alléguer contre lui (1).(1) Détails <strong>de</strong>s débats entre l'assemblée coloniale <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe et les commissaires du roi, imprimée à Saint-Pierre, eu 1791.


(391)Les commissaires ne furent pas plus heureux à 1791.l'égard <strong>de</strong> <strong>la</strong> municipalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. L'assembléecoloniale l'avait mandée à sa barre ; lui avaitreproché d'avoir correspondit avec eux ; avait faitenlever <strong>de</strong>s registres , sous prétexte <strong>de</strong> les compulser, toutes les pièces qui constataient ces illégalités ;l'avait cassée, dans les termes les plus injurieux, elleet le conseil <strong>de</strong> <strong>la</strong> commune, le 13 septembre 1791 ;avait déc<strong>la</strong>ré, sans forme <strong>de</strong> procès, les membres incapables<strong>de</strong> remplir aucune fonction publique pendantcinq ans, et les avait remp<strong>la</strong>cés par <strong>de</strong>s membresnouveaux (1). Les commissaires ne purent ramenercette assemblée, à l'exécution <strong>de</strong>s lois, ni dans léslimites <strong>de</strong> ses pouvoirs. Elle éluda, ou repoussatoutes les propositions qu'ils lui firent; à chacune<strong>de</strong> leurs représentations, on répondait : gar<strong>de</strong>z-vous<strong>de</strong> prendre telle ou telle mesure, <strong>la</strong> colonie seraitperdue. Lui indiquer <strong>la</strong> loi qu'elle <strong>de</strong>vait suivre,c'était vouloir le désordre; <strong>la</strong> rappeler aux principesconstitutionnels, c'était provoquer à l'anarchie ;(1) Protestations <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux paroisses <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre,<strong>de</strong>s 9 et 17 octobre 1791, contre <strong>la</strong> compétence <strong>de</strong> l'assembléecoloniale, et nomination d'un député pour lesporter à l'assemblée nationale, imprimées à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeen 1791.Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale.


1791.(392)contrarier les vues du gouverneur , c'était vouloirmettre le feu partout.Sous le titre pompeux d'assemblée générale coloniale, cette assemblée , comme celle <strong>de</strong> Saint-Domingue,puisait dans les préventions créoles , lesprincipes <strong>de</strong> hauteur qui dirigeaient sa conduite ;empoisonnait, par un orgueil et une obstinationdép<strong>la</strong>cés, le bien qu'auraient pu faire les commissairesdu roi, et détruisait l'effet <strong>de</strong>s mesures pacifiques<strong>de</strong> <strong>la</strong> Métropole.La modération <strong>de</strong> ces commissaires, inspirée à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, comme à Saint-Domingue, par l'amourdu bien , contraste singulièrement avec l'exagérationet <strong>la</strong> turbulence <strong>de</strong>s assemblées coloniales<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux îles, quoiqu'il existât une gran<strong>de</strong> différenceentr'elles. Celle <strong>de</strong> Saint-Domingue, prétendaitrégner seule, et avait délibéré sur l'embarquement<strong>de</strong>s commissaires, sur <strong>la</strong> dégradation du gouverneuret le renvoi <strong>de</strong> tous les chefs militaires (1).Celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe , au contraire, était toutedévouée au gouverneur, et entrait parfaitement dansle projet d'une contre-révolution, qui paraissait tramée,pour les îles du vent, entre M. <strong>de</strong> Béhague et elle.(1) Pamphile-Lacroix, 1 er vol, page 183.


(393)CHAPITREVII.Après une lutte pénible et infructueuse , les commissairesdu roi quittent <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, qui reste livrée aux dissentions.CEPENDANT , les commissaires du roi s'étaient 1791.rendus à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître. Ils avaient requis <strong>la</strong> sénéchaussée<strong>de</strong> cette ville , le 17 septembre, <strong>de</strong> commencerl'instruction et les poursuites contre les auteurs<strong>de</strong>s troubles. survenus dans <strong>la</strong> paroisse <strong>de</strong>Sainte-Anne, les 26, 27 juillet et 1 eraoût; troublespendant lesquels , une liste <strong>de</strong> proscription contreune trentaine d'individus, avait été lue, et <strong>de</strong>vaitêtre exécutée par les fédérés. L'assemblée généralecoloniale s'y opposa et écrivit aux commissaires,que cette réquisition l'avait fait frémir d'indignation(1).1791.(1) Détail <strong>de</strong> ces débats, imprimés à Saint-Pierre, en


(394)1791. L'assemblée eut néanmoins l'air <strong>de</strong> se radoucir ,et nomma cinq commissaires pour conférer et s'entendreavec ceux du roi; mais les conférences qu'ilseurent ensemble, du 19 au 23 septembre, n'amenèrentaucun résultat heureux(1).Lassés, enfin, du rôle passif qu'ils jouaient, lescommissaires du roi retournèrent à <strong>la</strong> Basse-Terre,et rédigèrent, le 29 septembre, une proc<strong>la</strong>mation,pour chercher à faire prévaloir <strong>la</strong> loi, dont ils étaientles organes. Les principes <strong>de</strong> modération et <strong>de</strong> sagesse,énoncés dans cette proc<strong>la</strong>mation, auraient sansdoute désillé les yeux <strong>de</strong> tous les colons, et rallié ,autour <strong>de</strong>s commissaires, les esprits qu'on en avaitéloignés ; mais elle blessait les vanités oligarchiques; aussi le gouverneur et l'assemblée colonialeopposèrent <strong>la</strong> résistance <strong>la</strong> plus opiniâtre à sa publication(2).Sur ces entrefaites, <strong>de</strong>s troubles survenus à Sainte-Lucie , obligèrent les commissaires du roi à se sé-(1) Procès-verbaux <strong>de</strong> ces conférences, observations <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux parties, lettres respectives, imprimées à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, en 1791.(2) Cette proc<strong>la</strong>mation, l'opposition <strong>de</strong> l'assembléecoloniale et <strong>la</strong> réponse <strong>de</strong>s commissaires, sont à <strong>la</strong> fin durapport du député Queslin; voir aussi les détails <strong>de</strong> leursdivers débals, imprimés à Saint-Pierre, en 1791.


(395)parer; MM. <strong>de</strong> Mont<strong>de</strong>noix et Linger se transpor- 1791.tèrent dans cette île.MM. Lacoste et Magnytot, restés seuls à <strong>la</strong> Basse-Terrerequirent <strong>de</strong> nouveau le gouverneur, <strong>de</strong>faire publier leur proc<strong>la</strong>mation. Aussitôt, les fédéréss'agitèrent, <strong>de</strong>s émissaires répandirent l'a<strong>la</strong>rmedans les quartiers; on annonça une <strong>de</strong>scente<strong>de</strong> r5oo hommes, pour venir réduire <strong>la</strong> Basse-Terre, où tout était tranquille; dans <strong>la</strong> nuit, ondonna avis aux commissaires , qu'ils courraient lesplus grands dangers, s'ils ne se hâtaient <strong>de</strong> retirerleur proc<strong>la</strong>mation; et enfin le gouverneur, qui plusd'une fois en avait fait <strong>la</strong> menace, se démit, le3 octobre , <strong>de</strong> ses fonctions, pour ne pas ordonnercette publication (1).11 <strong>de</strong>venait instant que cette proc<strong>la</strong>mation, tantcalomniée, fût rendue publique, pour en faire connaîtreles dispositions aux campagnes, qu'on s'efforçaitd'égarer, et pour calmer <strong>la</strong> Basse-Terre, qu'oneffrayait par les craintes d'une <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> colons.Les commissaires s'adressèrent au commandant ensecond, mais il leur exprima <strong>la</strong> résolution d'imiter(1) Les observations <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Clugny, sa lettre <strong>de</strong>démission, et les diverses réponses <strong>de</strong>s commissaires duroi, ont été imprimées, en 1731 , à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.


1791.(396)le gouverneur , et <strong>de</strong> se démettre <strong>de</strong> son comman<strong>de</strong>mentplutôt que d'obtempérer à leur réquisition.L'assemblée coloniale, qui s'était séparée quelquesjours avant, se réunit <strong>de</strong> nouveau, et, quoiqueincomplète, prit <strong>de</strong>s arrêtés, écrivit aux commissaires<strong>de</strong>s lettres dures , contenant <strong>de</strong>s menaces, <strong>de</strong>sinculpations graves, et défendit aux municipalités<strong>de</strong> rien publier sans son ordre, et <strong>de</strong> reconnaîtred'autre autorité que <strong>la</strong> sienne (1). Les mêmes doctrinesfurent inculquées aux gens <strong>de</strong> couleur commeaux troupes, et un sergent-major ayant osé dire quec'était aux commissaires qu'il fal<strong>la</strong>it obéir, puisqu'ilsétaient envoyés par le roi et par <strong>la</strong> nation,fut mis au cachot et embarqué <strong>de</strong> nuit, pour êtredéporté en France(2.)M. <strong>de</strong> Béhague, vers qui l'assemblée colonialeavait député trois <strong>de</strong> ses membres, et qui entretenaitune correspondance très-active avec elle, écrivitaux commissaires, pour leur annoncer, sans entrerdans aucun détail, qu'il venait d'ordonner à M. <strong>de</strong>(1) Lettres et réponses <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux partis, pendant lemois d'octobre; adresse <strong>de</strong> l'assemblée coloniale aux paroisses,imprimées à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, en 1791.Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale ,imprimé à Paris , en 1792.(2) Rapport du député Queslin à l'assemblée nationale.


(397)Clugny <strong>de</strong> reprendre ses fonctions <strong>de</strong> gouverneur, 1791.après 24 heures d'arrêts, pour les avoir quittéessans sa permission,Fatigués <strong>de</strong> cette multiplicité d'obstacles, qu'ilsn'avaient plus l'espoir <strong>de</strong> surmonter, les commissairesdu roi publièrent à <strong>la</strong> Basse-Terre, le 4 octobre,une nouvelle proc<strong>la</strong>mation, dégagée <strong>de</strong> tout cequi pouvait blesser ,les prétentions <strong>de</strong> l'assembléecoloniale (1), cessèrent leurs travaux, et partirent,pour Ja Martinique, où ils arrivèrent le 20 octobre.Leurs <strong>de</strong>ux collègues, <strong>de</strong> retour <strong>de</strong> Sainte-Lucie,y étaient, <strong>de</strong>puis quelque, temps, en conférencecontinuelle avec M. dp Béhague et les trois députés<strong>de</strong> l'assemblée coloniale <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. Aussilorsque, réunis tous les quatre avec le gouverneurgénéral pour délibérer, M. Lacoste eut fait le rapport<strong>de</strong> tout ce qui s'était passé, et proposé, commemesure d'ordre, d'envoyer en France legouverneuret le commandant en second <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe,pour rendre compte <strong>de</strong>, leur conduite au roiet à l'assemblée nationale, MM. <strong>de</strong> Mont<strong>de</strong>noix etLinger furent d'un avis opposé; M. <strong>de</strong> Béhague serangea <strong>de</strong> leur côté, et l'affaire en resta là.MM. Lacoste et Magnytot, forcés <strong>de</strong> renoncer à(1) Cette proc<strong>la</strong>mation a été imprimée à <strong>la</strong> Basse-Terre,en 1791.


(398)1791. fondions que désormais il leur était impossible<strong>de</strong> remplir, se mirent en <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> retourner enFrance. Toutes les pièces <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission furent,en conséquence, déposées dans une boîte, scelléeset embarquées avec eux, pour être remises AU ministre.Mais au moment où ils al<strong>la</strong>ient mettre à <strong>la</strong>voile, un lieutenant <strong>de</strong> vaisseau vint se saisir <strong>de</strong> <strong>la</strong>cassette, en vertu d'un ordre <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Béhague,expédié sur <strong>la</strong> réquisition <strong>de</strong> MM. Linger et Mont<strong>de</strong>noix.,gui gardèrent à <strong>la</strong> Martinique ces pièces importantes(1).Les dispositions qu'ON Venait <strong>de</strong> prendre à Parisfournirent un nouvel aliment aux dissentions <strong>de</strong>scolonies, E N froissant les préjugés créoles à l'égard<strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> couleur. L'assemblée nationale, séduitepar l'espoir do ramener les colons à <strong>la</strong> soumission,en rabaissant leur vanité et leur crédit,vou<strong>la</strong>nt d'ailleurs consacrer les principes du droitnaturel, qu'elle avait reconnu, décréta, les 13, 15et 29 mai 1791: « qu'aucune loi sur l'état <strong>de</strong>s personnesnon libres ne pourrait être faite que sur» <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> formelle <strong>de</strong>s assemblées coloniales ;» mais que les gens <strong>de</strong> couleur nés <strong>de</strong> pères et» <strong>de</strong> mères libres, et ayant propriétés et qualités re-» quises , jouiraient <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> citoyens actifs, et(1) Rapport du député Queslin.


(399)» seraient admis, comme les b<strong>la</strong>ncs, dans les as- 1791.» semblées paroissiales et coloniales (1). »Ce décret, rendu malgré les plus vives oppositions,sanctionné par le roi, le 1 erjuin, et mis à exécutionavec une précipitation inconsidérée, provoquaen France une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> réc<strong>la</strong>mations etd'adresses qui en <strong>de</strong>mandaient l'abrogation, et fitdéserter l'assemblée nationale par les députés <strong>de</strong>scolonies. Il porta l'effroi dans les Antilles, produisità Saint-Domingue un embrasement aussi promptque <strong>la</strong> foudre (2) ; il fut cependant moins dangereuxà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, parce que les gens <strong>de</strong> couleur yétaient sages et modérés.Au milieu <strong>de</strong>s fluctuations et <strong>de</strong>s rivalités auxquellescette colonie avait été en butte , <strong>la</strong> Pointeà-Pîtren'avait pas été exempte d'orages. Plusieursparticuliers y avaient été poursuivis; quatre d'entreeux furent emprisonnés, et trois autres n'évitèrent<strong>de</strong> l'être qu'en prenant <strong>la</strong> fuite. Une énorme procédurecriminelle avait été suivie contre eux; niaisl'assemblée coloniale, convaincue enfin <strong>de</strong> leur innocence,fit prononcer leur é<strong>la</strong>rgissement, et expédier,en leur faveur, <strong>de</strong>s mandats sur le trésorier <strong>de</strong>(1) Recueil <strong>de</strong>s lois pour <strong>la</strong> marine et les colonies, vol.1 er , pages 48 et 63.( 2 Pamphile-Lacroix, 1 er vol., pages 80 et suiv.


(400)1791. <strong>la</strong> colonie, pour une somme <strong>de</strong> 42,200 livres , àtitre d'in<strong>de</strong>mnité. Après le départ <strong>de</strong>s commissairesdu roi, ces individus poursuivirent en vain le gouverneur,pour s'en faire payer, ils essuyèrent undéni <strong>de</strong> justice au conseil supérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie,et furent contraints d'aller se pourvoir en France (1).Les quarante soldats et les quatre autres individusarrêtés, le 15 septembre, à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, à <strong>la</strong>suite <strong>de</strong> <strong>la</strong> fédération générale, réc<strong>la</strong>mèrent inutilementl'exécution <strong>de</strong>s lois. L'assemblée colonialearrêta qu'ils seraient renvoyés en France, pour êtretraduits <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> haute-cour nationale, à <strong>la</strong>quelleserait envoyée <strong>la</strong> procédure déjà instruite contreeux, quoique cette procédure ne fît point mention <strong>de</strong>squatre prévenus non militaires, dont aucun témoinn'avait prononcé le nom. Le gouverneur approuvacet arrêté, le conseil supérieur se <strong>de</strong>ssaisit <strong>de</strong> l'instruction,et le 28 octobres, ces 44 individus furenttransportés dans les prisons <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique. Ils yattendaient leur départ pour France, lorsque <strong>la</strong>loi du 28 septembre, qui portait amnistie généraleet anéantissement <strong>de</strong> toute procédure pour délits re<strong>la</strong>tifsà <strong>la</strong> révolution , arriva dans <strong>la</strong> colonie. MaisM. <strong>de</strong> Béhague garda cette loi dans son portefeuille,(1) Rapport du député Queslin, pages 55 et 36.


(401)fit embarquer et partir les prévenus, le 2 décembre, 1791et ne <strong>la</strong> promulgua que le 4.Ce fut à cette époque que l'assemblée coloniale<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, d'accord avec le gouverneur,réunit au domaine <strong>de</strong> l'état les biens <strong>de</strong>s religieux<strong>de</strong> <strong>la</strong> charité, dont elle abolit l'ordre, moins puissantet moins riche que celui <strong>de</strong>s dominicains,qu'elle respecta, et <strong>la</strong>issa disposer à leur gré <strong>de</strong>sbiens considérables qu'ils possédaient, sans qu'onpuisse indiquer <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> cette inconséquence (1).Par l'exposé rapi<strong>de</strong> qu'on vient <strong>de</strong> voir, extrait<strong>de</strong>s documents les plus authentiques <strong>de</strong> ce temps, ilest facile <strong>de</strong> saisir les causes <strong>de</strong>s événements qui sesuccédèrent aux Antilles. Partout les chefs militairesavaient vu avec peine naître un régime quiétablissait une justice égale pour tous, et faisait évanouirl'arbitraire, jusque-là règle unique <strong>de</strong> leurconduite. Les habitans privilégiés, qui prenaientpart à cette autorité ; et les magistrats, qui n'étaientque les instruments dociles <strong>de</strong> leurs volontés, semontrèrentd'abord les partisans zélés <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong><strong>la</strong> révolution, qu'ils croyaient n'être faite que pour(1) Rapport du député Queslin, page 39.Le décret du 2 novembre 1789, qui mettait les biens duclergé à <strong>la</strong> disposition <strong>de</strong> <strong>la</strong> nation, était applicable àtous les ordres, et non à un seul.II. 26


(402)1791. eux ; mais ils ne tardèrent pas à <strong>la</strong> voir dumême œil que les chefs. Ces trois c<strong>la</strong>sses, sentantalors que leurs intérêts étaient les mêmes, firentscission avec les autres, se liguèrent entre elles, etquiconque se montra favorable aux principes <strong>de</strong> <strong>la</strong>restauration politique, sanctionnée par le roi; quiconqueparut désirer l'extirpation <strong>de</strong>s abus, futregardé comme ennemi. De là les menaces, les machinationssecrètes, les vexations, les dénis <strong>de</strong> justice, les proscriptions qui furent exercées, les extravagantesprétentions <strong>de</strong>s assemblées coloniales,et tous les troubles qui ont agité les colonies.Le gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, M. <strong>de</strong> Clugny,était cependant un homme <strong>de</strong> mérite, plein <strong>de</strong> talents, <strong>de</strong> modération et d'excellentes vues. Maisaccessible aux suggestions, il donna une nouvellepreuve du danger d'enfreindre les anciennes lois,qui défen<strong>de</strong>nt qu'un gouverneur soit pris parmi lescréoles, ou soit grand propriétaire ou marié dans <strong>la</strong>colonie.


(403)CHAPITREVIII.La contre-révolution s'opère aux îles du vent. — Les nouvellesautorités, et les troupes envoyées <strong>de</strong> France,sont obligées <strong>de</strong> s'en éloigner.L'ASSEMBLÉE constituante s'était dissoute, le 3o 1791.septembre 1791 ; l'assemblée légis<strong>la</strong>tive, qui lui succéda,crut voir dans les troubles qui déso<strong>la</strong>ient lescolonies , et dans le refus <strong>de</strong> <strong>la</strong>isser jouir les gens <strong>de</strong>couleur libres <strong>de</strong> l'égalité <strong>de</strong>s droits politiques qu'onleur avait accordés, une suite <strong>de</strong> projets liés aucomplot tramé contre <strong>la</strong> France, et qui <strong>de</strong>vait éc<strong>la</strong>terà-<strong>la</strong>-fois dans les <strong>de</strong>ux hémisphères. Espérantque l'intérêt et le patriotisme <strong>de</strong>s colons l'emporteraitchez eux sur les causes <strong>de</strong> leur désunion, sur lespréjugés créoles, et qu'ils se livreraient, sans réserve,à <strong>la</strong> douceur d'une réunion franche et sincère, quiseule pouvait garantir les colonies d'une subversiontotale, elle rendit, le 28 mars 1792, un décret sanctiounépar le roi, le 4 avril, portant «que, dans cha-» cune <strong>de</strong> nos îles, on procé<strong>de</strong>rait, sur-le-champ, à26


(404)1792, « <strong>la</strong> réélection <strong>de</strong>s assemblées coloniales et <strong>de</strong>s mu-» nicipalités, dans les formes prescrites par le dé-* cret du 8 mars 1790 et les instructions du 28 dudit» mois ; que les hommes libres , <strong>de</strong> toute cou-* leur, seraient admis à voter dans les assemblées» paroissiales, et seraient éligibles à toutes les p<strong>la</strong>-» ces, s'ils réunissaient les conditions prescrites;» qu'il serait nommé, par le roi, trois commissairesX civils pour Saint-Domingue et quatre pour lés îles« du Vent, avec pouvoir <strong>de</strong> prendre toutes les me-» sures nécessaires pour ramener l'ordre et <strong>la</strong> paix;> <strong>de</strong> suspendre les autorités ; <strong>de</strong> dissoudre les as-» semblées, et <strong>de</strong> traduire en France tous les cou-» pables. Il <strong>de</strong>vait être envoyé dans les colonies une>' force armée suffisante, et composée en gran<strong>de</strong>» partie <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>s nationales, pour assurer l'exé-,1 cution <strong>de</strong> ces mesures ; aussitôt après leur forma-» tion, les assemblées coloniales <strong>de</strong>vaient émettre» et envoyer au corps légis<strong>la</strong>tif, leur vœu sur <strong>la</strong>« constitution, <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion et l'administration,» qui convenaient à leur colonie, et nommer» <strong>de</strong>s représentants pour se rendre à l'assemblée» légis<strong>la</strong>tive, suivant le nombre proportionnel» qui serait déterminé plus tard, etc. » (1).(1) Recueil <strong>de</strong>s lois sur <strong>la</strong> marine et les colonies, 2 evol. pages 414 et suiv.Le nombre <strong>de</strong>s députés ne fut point déterminé, et au-


(405)La même assemblée rendit le 2 juillet, et le roi 1792.sanctionna le 4, un décret portant que MM. <strong>de</strong>Béhague, <strong>de</strong> Clugny , d'Arrot et Mont<strong>de</strong>noix (M.Linger était mort à <strong>la</strong> Martinique), seraient mandésà sa barre, pour y rendre compte <strong>de</strong> leur conduite(1).Dans ces <strong>de</strong>rniers moments <strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchie conscunecolonie n'en nomma pour l'assemblée légis<strong>la</strong>tive. IIfut décrété le 22 août 1792, qu'elles en enverraient à<strong>la</strong> prochaine convention nationale, dans <strong>la</strong> proportion suivante:Saint-Domingue 18.La Gua<strong>de</strong>loupe 4.(il n'y en eut que trois. )La Martinique 3.( il n'y eut que MM. Crassous et Litté. )Sainte-Lucie 1.Tabago I.Les députés <strong>de</strong>s colonies ne parurent h <strong>la</strong> conventionqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1793.Ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe étaient : MM. Dupuchet Lion,dont <strong>la</strong> nomination fut déc<strong>la</strong>rée va<strong>la</strong>ble par décret du 15septembre 1793.M. Pautrizel fut admis par décret du 9 fructidor, an 11,(26 août 1794.(1) Recueil <strong>de</strong>s lois sur <strong>la</strong> marine, etc. 3 e v. pag 28 et 29.


(406)1792, titutionnelle , le général <strong>de</strong> division Rochambeau,fils du maréchal <strong>de</strong> ce nom, fut nommé commandant-général<strong>de</strong>s îles du Vent, à <strong>la</strong> Martinique ; legénéral Collot fut appelé au gouvernement <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, et le général Ricard à celui <strong>de</strong> Sainte-Lucie.La frégate <strong>la</strong> Sémil<strong>la</strong>nte, capitaine Bruix, eut <strong>la</strong>mission d'escorter , à !a Martinique , le convoi quiportait, avec ces trois généraux, quatre commissairescivils, nouvellement nommés , mille hommes<strong>de</strong> troupes <strong>de</strong> ligne, et mille gar<strong>de</strong>s nationales. L'exj)éditionpartit <strong>de</strong> l'Orient le jour même <strong>de</strong> <strong>la</strong> catastrophedu 10 août, qui ébran<strong>la</strong> l'Europe dans sesfon<strong>de</strong>ments, et dont les contre-coups se firentressentirjusqu'aux Antilles.Pendant qu'elle faisait route, le gouverneur <strong>de</strong><strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, M. <strong>de</strong> Clugny, mourut <strong>de</strong> ma<strong>la</strong>dieà <strong>la</strong> Basse-Terre, et cette époque, qui fut bientôtcelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> confusion et <strong>de</strong> l'anarchie, le lit regretter.Le vicomte D'Arrot prit en main les rênes dugouvernement, et eut, pour successeur au comman<strong>de</strong>menten second <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, le colonel Fitz-Maurice, qui céda le comman<strong>de</strong>ment du régiment<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe au marquis du Barrail (1).Ces mutations s'étaient à peine opérées, lorsque,(1) eu 1786, M. Fitz-Maurice, était déjà colonel du


(407)dans les premiers jours <strong>de</strong> septembre, une lettre 1792.venue <strong>de</strong> l'île ang<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> Mont-Serrat, annonça à<strong>la</strong> Basse-Terre que les Prussiens et les Autrichiensétaient entrés à Paris , et que <strong>la</strong> contre-révolutionétait faite en France. Au milieu <strong>de</strong> l'agitation qu'occasionaitcette nouvelle, le capitaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> frégate<strong>la</strong> Calypso, arrivant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, <strong>de</strong>manda àM. D'Arrot <strong>la</strong> permission d'arborer le pavillonb<strong>la</strong>nc. Le nouveau gouverneur, prévoyant les dangersque pouvait amener <strong>la</strong> reprise prématurée <strong>de</strong>ces couleurs , qu'aucun avis officiel ne justifiait, s'yrefusa trois fois ; néanmoins elles furent hisséesà bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> frégate, et appuyées <strong>de</strong> vingt-uncoups <strong>de</strong> canon. Cet exemple séduisit <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion;le gouverneur fut entraîné, et le pavillon b<strong>la</strong>ncfut arboré à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.M. <strong>de</strong> Mallevaut, capitaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> Calypso, remitaussitôt à <strong>la</strong> voile pour porter ces nouvelles à <strong>la</strong>Martinique, où M. <strong>de</strong> Béhague et tous les commandants<strong>de</strong>s bâtiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> station s'empressèrent <strong>de</strong>reprendre le pavillon b<strong>la</strong>nc.Sainte-Lucie, qui avait pour commandant le lieutenant-colonelMontel, du 31 erégiment (Aunis) etrégiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe; le marquis du Barrail, ayantrang <strong>de</strong> colonel, en était lieutenant-colonel.


(408)1792. Marie-Ga<strong>la</strong>nte furent les seules îles qui restèrentfidèles aux trois couleurs (1).Dans cet état <strong>de</strong> choses, l'expédition partie <strong>de</strong>France parut le 16 septembre <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Martinique.Des députés du comité colonial se rendirent à bord.Le général Rochambeau envoya ses dépêches auFort-Royal, par son ai<strong>de</strong>-<strong>de</strong>-camp Dancourt. Mais cetofficier, loin d'être accueilli, fut arrêté en mettantpied à terre, et renvoyé au moment où le capitaine<strong>de</strong> <strong>la</strong> Calypso signifiait aux chefs <strong>de</strong> l'expédition ,<strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Béhague et <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Rivièrecommandant <strong>de</strong> <strong>la</strong> station, qu'ils eussent à s'éloigner,ou bien qu'on al<strong>la</strong>it les traiter en ennemis. Lesforts tirèrent en effet à boulet sur <strong>de</strong>ux bâtiments duconvoi. La partie n'était pas égale, car <strong>la</strong> stationse composait du vaisseau <strong>de</strong> 74 <strong>la</strong> Ferme, <strong>de</strong>s frégates<strong>la</strong> Calypso el<strong>la</strong> Royaliste, et <strong>de</strong>s corvettes leMaréchal <strong>de</strong> Castries et le Balon. L'expéditionjugea donc à propos <strong>de</strong> prendre le <strong>la</strong>rge. En voyantflotter à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe les mêmes couleurs qu'à <strong>la</strong>Martinique, elle passa outre, fit voile pour Saint-(1) Dans le recueil <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, etc. 3° vol.,pages 177 et 178, on trouve un rapport du 7 septembre1792 , sur <strong>la</strong> contre-révolution opérée aux îles du Vent.La convention nationale surnomma Sainte-Lucie l'îleFidèle.


(409)Domingue, et al<strong>la</strong> mouiller dans <strong>la</strong> ra<strong>de</strong> du Cap, le 1792.28 septembre (1). Ce secours inespéré mit les commissairescivils <strong>de</strong> Saint-Domingue à même <strong>de</strong> déjouerle projet <strong>de</strong> contre-révolution dont ils étaientmenacés , et ils nommèrent le général Rochambeaugouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, en attendant les ordres<strong>de</strong>, <strong>la</strong> métropole.(1) Rapport autographe du général Rochambeau, faitau Cap, le 3o septembre 1792.


(410)CHAPITREIX.La Gua<strong>de</strong>loupe rentre dans le giron <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère-patrie.1793. L'ASSEMBLÉE légis<strong>la</strong>tive avait mis tin à ses travauxle 20 septembre 1792, et avec elle s'était terminée<strong>la</strong> première pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution. La secon<strong>de</strong>pério<strong>de</strong> , ou gouvernement révolutionnaire ,commença avec <strong>la</strong> convention nationale. Cette assembléemarqua son début, le 21 septembre, par l'abolition<strong>de</strong> <strong>la</strong> royauté ; sur <strong>la</strong> proposition <strong>de</strong> l'excomédienCollot-d'Herbois , elle proc<strong>la</strong>ma <strong>la</strong> républiqueet décréta une ère républicaine, à dater <strong>de</strong>ce jour (1).Le résultat <strong>de</strong> l'expédition du général Rochambeaune pouvait pas encore être connu; mais le(1) Un décret, du 2 janvier 1792, avait fait commencerl'an 1 er<strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté , avec cette année. L'ère <strong>de</strong> <strong>la</strong> républiqueannu<strong>la</strong> celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté. Cependant l'usage <strong>de</strong>l'ère chrétienne ne fut interdit qu'en octobre 1793.


(411)nouveau gouvernement vou<strong>la</strong>nt étonner I Amen- 1792.que par le bruit <strong>de</strong>s victoires et <strong>de</strong>s changementsqui venaient <strong>de</strong> frapper l'Europe <strong>de</strong> stupeur, chargeale capitaine <strong>de</strong> frégate Lacrosse, ancien lieutenant<strong>de</strong> vaisseau, d'aller en porter <strong>la</strong> nouvelleaux îles du Vent. Afin d'empêcher qu'on ne prit lechange sur les événements du 10 août, cet officiereut ordre <strong>de</strong> répandre dans les Antilles les décretset les divers écrits qu'on lui confia ; -d'éc<strong>la</strong>irer lesnouveaux citoyens, gens <strong>de</strong> couleur libres; d'attacherles colonies à <strong>la</strong> métropole par <strong>la</strong> reconnaissanceet <strong>la</strong> fraternité ; d'employer tous les moyensque son patriotisme lui suggérerait pour faireaimer et respecter <strong>la</strong> république , et <strong>de</strong> rendrecompte au ministre dé <strong>la</strong> conduite dès agents civilset militaires dans les Colonies.De là, il <strong>de</strong>vait aller remplir <strong>la</strong> même mission àSaint-Domingue, et il lui était enjoint <strong>de</strong> remonterensuite aux îles du vent pour se metrre sous les ordres<strong>de</strong>s commissaires civils , et faire partie <strong>de</strong> <strong>la</strong>station.M. Lacrosse, parti <strong>de</strong> Brest le 24 octobre, avec <strong>la</strong>frégate <strong>la</strong> Félicité, arriva le 1 er décembre <strong>de</strong>vantSaint-Pierre, où il apprit l'insurrection <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe et <strong>la</strong> retraite <strong>de</strong> l'expéditionRochambeau à Saint-Domingue. Il écrivit surle-champà M. <strong>de</strong> Béhague pour chercher à le ramenerau parti <strong>de</strong> <strong>la</strong> république , et remit sa lettre


(412)1792. et les paquets qu'il avait pour <strong>la</strong> Martinique, à <strong>la</strong>corvette le Balon qu'il trouva <strong>de</strong>vant Saint-Pierre.Convaincu du danger qu'il courait en restant dansle voisinage <strong>de</strong> <strong>la</strong> station <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Rivière, mouilléeau Fort-Royal, et qu'il regardait comme ennemie,le capitaine Lacrosse fit voile pour l'île ang<strong>la</strong>ise <strong>de</strong><strong>la</strong> Dominique, où beaucoup <strong>de</strong> patriotess'étaientretirés.Il y jeta l'ancre le 2 décembre. Les conférencesqu'il eut avec les réfugiés <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique et <strong>de</strong> <strong>la</strong>-Gua<strong>de</strong>loupe le décidèrent à s'y arrêter pour tenter<strong>de</strong> faire rentrer ces <strong>de</strong>ux colonies sous les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong>métropole. Mais le gouverneur James Bruce l'obligéad'en partir; il fit route, le 5, pour Sainte-Lucie,et reconnut <strong>de</strong> loin, <strong>la</strong> division Rivière qui lepoursuivait.Sainte-Lucie, que <strong>la</strong> métropole venait <strong>de</strong> surnommer<strong>la</strong> Fidèle, accueillit le capitaine Lacrosseavec enthousiasme. L'assemblée coloniale l'ayantrequis d'y rester avec sa frégate, il expédia, par <strong>de</strong>savisos, les paquets pour Tabago et pour Saint-Domingue;il écrivit au général Rochambeau, l'invitantà lui envoyer les forces <strong>de</strong> mer dont il pouvaitdisposer, et mit tous les moyens en usage pourremplir <strong>la</strong> mission dont il était chargé.Pendant ce temps <strong>la</strong> Martinique et <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeprenaient <strong>de</strong>s mesures; sévères pour romprel'effet <strong>de</strong> ses tentatives. Par un arrêté, qu'elles pu-


(413)blièrent le 10 et le 13 décembre, elles déc<strong>la</strong>rèrent 1792.<strong>la</strong> guerre à <strong>la</strong> France républicaine, traitèrent M.Lacrosse d'aventurier sans titre et sans mission ; et,à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>la</strong> peine <strong>de</strong> mort fut prononcéecontre quiconque y introduirait l'adresse que cetofficier venait <strong>de</strong> faire aux colonies.Toutefois les documents qu'il avait publiés faisaientfomenter les esprits. A <strong>la</strong> Martinique, les patriotesabandonnaient les villes <strong>de</strong> Saint-Pierre etdu Fort-Royal pour venir grossir le parti <strong>de</strong>s républicains<strong>de</strong> Sainte-Lucie; les marins <strong>de</strong> <strong>la</strong> station,particulièrement ceux du vaisseau <strong>la</strong> Ferme, désertaient, chaque nuit, avec les canots qu'ils pouvaientenlever, pour se rendre à bord <strong>de</strong> <strong>la</strong> Félicité.Tout faisait présager que le parti dominant ne tar<strong>de</strong>raitpas à succomber, lorsqu'on apprit que <strong>la</strong>ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître venait <strong>de</strong> donner l'impulsion.-a La nouvelle <strong>de</strong> Mont-Serrat, qui avait fait prendreles couleurs b<strong>la</strong>nches à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, ne s'étantpas confirmée, le bataillon du régiment <strong>de</strong> Forezavait refusé <strong>de</strong> prêter serment, et une partie<strong>de</strong>s habitans <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux villes préféra s'expatrierplutôt que <strong>de</strong> s'y soumettre. Les gens <strong>de</strong> couleurfurent aigris par une continuité <strong>de</strong> violences que lesoupçon d'attachement aux couleurs rivales fitexercer contre eux; les soldats conservaient à peinel'apparence <strong>de</strong> <strong>la</strong> soumission ; tout semb<strong>la</strong>it conspi-


(414)1792. rer pour amener un changement général. Là Pointe-à-Pître,impatiente du joug qu'on faisait tropindiscrètement peser sur elle, avait manifesté ledésir <strong>de</strong> s'en affranchir. Les équipages <strong>de</strong> tous lesbâtiments <strong>de</strong> commerce qui étaient mouillés dans leport, irrités d'avoir été contraints à hisser le pavillonb<strong>la</strong>nc, s'étaient réunis aux habitans <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville,avaient forcé les p<strong>la</strong>nteurs d'évacuer le petit fortFleur-d'Epée, et y avaient arboré le pavillon national,le 28 décembre. Les frégates <strong>la</strong> Calypso et<strong>la</strong> Royaliste, envoyées avec un train d'artillerie,par M. <strong>de</strong> Béhague, au secours <strong>de</strong> M. d'Arrot, neservirent qu'à redoubler l'énergie <strong>de</strong>s républicains;ils se formèrent en compagnies, fortifièrent <strong>de</strong>spostes avantageux, armèrent <strong>de</strong>s batteries et parvinrentà repousser et à. battre complètement lieparti royaliste, qui attaquait <strong>la</strong> Pointe-à-Pître sur<strong>de</strong>ux points différens.Aussitôt, les républicains invitèrent, par une députation,le capitaine Lacrosse à se rendre danscette p<strong>la</strong>ce. 11 y arriva le 5 janvier, au milieu <strong>de</strong>s acc<strong>la</strong>mationsles plus vives et reçut <strong>la</strong> soumission <strong>de</strong>toute <strong>la</strong> ville, comme se trouvant le seul fonctionnairedélégué par <strong>la</strong> métropole.Cet exemple entraîna toute <strong>la</strong> colonie ; le parti <strong>de</strong><strong>la</strong> république triompha partout, et M. d'Arrotn'eut d'autre alternative que celle d'aller se réfugierà <strong>la</strong> Trinité espagnole, où le suivirent les officiers


(415)(le troupe et les p<strong>la</strong>nteurs qui partageaient son opi- 1793nion (1). Ainsi fut rompu le <strong>de</strong>rnier frein <strong>de</strong> <strong>la</strong>multitu<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> cette époque date l'émigration <strong>de</strong>scolons qui s'étaient montrés les ennemis du gouvernementrépublicain.En moins <strong>de</strong> huit jours tous les quartiers <strong>de</strong> l'îleenvoyèrent <strong>de</strong>s députés au capitaine Lacrosse ; <strong>de</strong>nouveaux magistrats furent nommés ; les municipalitésorganisées; on forma <strong>de</strong>s clubs dans les villes etdans les principales paroisses ; le séquestre fut missur les biens du clergé et <strong>de</strong>s émigrés, en vertu <strong>de</strong>sdécrets <strong>de</strong>s 3 novembre 1789, et 25 août 1792.Les représentants, élu,s par chaque quartier <strong>de</strong> <strong>la</strong>colonie, se réunirent à <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, et prirentle nom <strong>de</strong> commission générale extraordinaire. Lepremier acte <strong>de</strong> cette assemblée, fut <strong>de</strong> requérir, le(1) La plupart <strong>de</strong>s individus qui avaient voulu le drapeaub<strong>la</strong>nc, furent <strong>de</strong>s premiers à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r sa suppression ;ce fut en vain que le vicomte d'Arrot leur rappe<strong>la</strong> sa résistanceet leur serment. Ne vou<strong>la</strong>nt pas arborer une secon<strong>de</strong>fois le drapeau tricolore, qu'on l'avait, sur une faussenouvelle, forcé d'amener, ce gouverneur profita du momentoù beaucoup <strong>de</strong> convives se réunissaient à dîner chezlui, traversa <strong>la</strong> Basse-Terre, sans mot dire, et al<strong>la</strong> s'embarquersur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge du Baillif où un bateau l'attendaitpour le conduire à <strong>la</strong> Trinité. Dès que son départ futconnu, <strong>la</strong> ville suivit l'impulsion générale.


(416)1793. 24 janvier 1793, le capitaine Lacrosse <strong>de</strong> remplirles fonctions <strong>de</strong> gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe ,jusqu'à l'arrivée <strong>de</strong> celui que <strong>la</strong> république déléguerait.11 accepta, sous <strong>la</strong> condition qu'il pourraitconfier les fonctions <strong>de</strong> sa p<strong>la</strong>ce au capitaine Kermené,du 31 erégiment, commandant militaire àMarie-Ga<strong>la</strong>nte, toutes les fois qu'il s'absenteraitpour faire reconnaître les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole dansd'autres îles françaises; le capitaine Kermené futdonc agréé en qualité <strong>de</strong> commandant en second(1).(1) Compte rendu du capitaine Lacrosse, en 1792 et1793 , pièces officielles; et mémoire pour les habitans <strong>de</strong><strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, imprimé à Paris, en 1803, 1 er vol., pages13 et suiv.


(417)CHAPITRE X.La Martinique se rep<strong>la</strong>ce sous les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> République.— Événements désastreux qui se succè<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.— Notice sur l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité, et sur son <strong>la</strong>cd'asphalte.PENDANT que ces événements se passaient à <strong>la</strong> 1793.Gua<strong>de</strong>loupe, les patriotes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, dont lecourage s'était ranimé et dont le nombre s'étaitaccru par <strong>la</strong> foule <strong>de</strong> prosélytes qu'avaient faits lesécrits du capitaine Lacrosse, intimidaient les fonctionnairesroyalistes et annonçaient <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong>rep<strong>la</strong>cer <strong>la</strong> colonie sous l'autorité <strong>de</strong> <strong>la</strong> république.M. <strong>de</strong> Béhague, perdant tout espoir <strong>de</strong> se maintenirdans <strong>la</strong> fausse position où il s'était p<strong>la</strong>cé, s'embarquale 11 janvier; il fit voile le len<strong>de</strong>main, avectous les bâtiments <strong>de</strong> <strong>la</strong> station et un grand nombre<strong>de</strong> p<strong>la</strong>nteurs, pour l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité (1). La colo-(1) L'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité, que Colomb découvrit à sonII. 27


(418)1793 nie s'empressa d'envoyer, le même jour, au capitaineLacrosse, une <strong>de</strong>putation pour l'instruire <strong>de</strong>troisième voyage, en 1498, commence, dans le sud, <strong>la</strong>chaîne <strong>de</strong> l'archipel américain. Elle est située entre le10° 3' et le 10° 51' <strong>de</strong> <strong>la</strong>titu<strong>de</strong> nord, et entre le 63° 9' et64° 12' <strong>de</strong> longitu<strong>de</strong>, h 7 lieues dans le S. S.-O. <strong>de</strong> l'île<strong>de</strong> Tabago, et à 4 lieues au nord <strong>de</strong>s bouches <strong>de</strong> l'Orénoque.Les Espagnols s'y établirent, en 1532; l'amiral ang<strong>la</strong>isRaleigh <strong>la</strong> prit, en 1595, pénétra fort avant dans l'intérieur<strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre-Ferme, et conçut <strong>de</strong> vastes projets <strong>de</strong>conquête, auxquels l'Anglerre ne put, à cette époque,donner aucune suite.Restée aux Espagnols, <strong>la</strong> Trinité fut long-temps exposéeaux déprédations <strong>de</strong>s pirates, qui retardèrent ses progrès.Les Français <strong>la</strong> prirent, en 1676, et se retirèrent aprèsavoir rançonné les habitans.Ses cacaotiers étant morts, en 1727, une partie <strong>de</strong>scolons fut obligée <strong>de</strong> se retirer à <strong>la</strong> côte- ferme.Prise par les Ang<strong>la</strong>is , en 1797 , <strong>la</strong> Trinité fut donnée,en 1802, par le traité d'Amiens; l'Espagne <strong>la</strong> leur acédée définitivement, en 1810.La position importante <strong>de</strong> cette île, qui est <strong>la</strong> clef<strong>de</strong> l'Amérique méridionale, leur sert à tenir en échecCayenne et Surinam; ils en ont fait un lieu <strong>de</strong> dépôtpour répandre les produits <strong>de</strong> leurs manufactures, à <strong>la</strong>Terre-Ferme, au Mexique, au Perou et au Chili. Ils sauronty attirer les richesses du Nouveau-Mon<strong>de</strong>, pat les


(419)<strong>la</strong>. reprise du pavillon national, et, le 28 janvier, <strong>de</strong> 1793.nouveaux députés lui portèrent une délibération <strong>de</strong>avantages inappréciables que leur offre le golfe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité,appel par Colomb golfe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Baleine, par lesEspagnols golfe Triste, et que les autres peuples connaissentsous le nom <strong>de</strong> Paria. La communication <strong>de</strong> cegolfe avec celui du Méxique, par le nord, a quatre lieues<strong>de</strong> <strong>la</strong>rge; trois ilots <strong>la</strong> divisent en quatre passages, quiont retenu le nom <strong>de</strong> Bouches-du-Dragon, que Colombleur donna.Ce fut dans ces parages , entre l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marguerite et <strong>la</strong>Terre-Ferme, à <strong>de</strong>ux lieues <strong>de</strong> l'île <strong>de</strong> Coche, où jamaisbâtiment <strong>de</strong> guerre n'avait passé, que <strong>la</strong> frégate française<strong>la</strong> Conso<strong>la</strong>nte, <strong>de</strong> 48 canons, fit naufrage le 11 février1805. L'auteur <strong>de</strong> cet ouvrage y était embarqué; toutl'équipage fut sauvé.L'Orénoque décharge ses eaux par <strong>de</strong> nombreuses embouchures, dans le S.-E. du golfe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité.L'île est do forme à peu près carrée, faisant face auxquatre points cardinaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> boussole; elle a 17 lieues,(<strong>de</strong> 2,000 toises) du nord au sud, 14 <strong>de</strong> l'est h l'ouest, et96 lieues <strong>de</strong> circuit. Sa surface est <strong>de</strong> 320 lieues carrées,chacune <strong>de</strong> 5,000 varres castil<strong>la</strong>nes , ou 2187 toises et<strong>de</strong>mie.Elle est divisée en quatre parties appelées ban<strong>de</strong> dusud, ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'est, ban<strong>de</strong> du nord et ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'ouest.Dans l'intérieur, sont p<strong>la</strong>cés quatre groupes <strong>de</strong> montagnes,dont le fond est <strong>de</strong> quartz recouvert d'un terne léger27


(420)1793. rassemblée coloniale, qui lui déférait le gouvernementprovisoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique.et peu profond ;<strong>la</strong> plus élevée, celle <strong>de</strong> Tomanaco, est inaccessibleà cause <strong>de</strong>s marais dangereux qui l'entourent.On y compte six rivières assez considérables, et beaucoupd'autres plus petites. Les pluies y sont abondantes <strong>de</strong>puisle commencement <strong>de</strong> mai, jusqu'à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> décembre, et<strong>la</strong> sécheresse du reste <strong>de</strong> l'année , n'est pas incommo<strong>de</strong>parce que l'île est bien arrosée.Les immigrations, à <strong>la</strong> Trinité, ont été très-considérables;les Ang<strong>la</strong>is les ont beaucoup favorisées. L'état <strong>de</strong>popu<strong>la</strong>tion qu'ils dressèrent, en 1799, ne comprenait que21, 176 individus ; en 180З , il était <strong>de</strong> 28,000 âmes, dont :3,000 b<strong>la</strong>ncs, 5,000 gens <strong>de</strong> couleur libres, 1,100 Indienset 18,900 esc<strong>la</strong>ves. Le nombre <strong>de</strong>s Français, parmi lesb<strong>la</strong>ncs et les gens <strong>de</strong> couleur, était <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> moitié,les autres étaient Ang<strong>la</strong>is ou Espagnols. Depuis cette époque,les Ang<strong>la</strong>is y ont introduit une gran<strong>de</strong> quantitéd'esc<strong>la</strong>ves.La ville <strong>de</strong> Saint-Joseph, premier établissement européen,a long-temps été <strong>la</strong> capitale <strong>de</strong> l'île, quoique nerenfermant qu'un groupe <strong>de</strong> cases recouvertes en paille , ettrès-peu en essentes. Les Ang<strong>la</strong>is y ont élevé <strong>de</strong>s caserneset d'autres établissements. Elle est située au pied<strong>de</strong>s montagnes <strong>de</strong> <strong>la</strong> ban<strong>de</strong> du nord, à <strong>de</strong>ux lieues duPort-d'Espagne, <strong>la</strong> seule ville et le seul port qu'il y aitdans l'île, elle est située sur le golfe <strong>de</strong> Paria, à <strong>la</strong> ban<strong>de</strong><strong>de</strong> l'ouest. Ses rues, bien alignées, ont 20 pieds <strong>de</strong> <strong>la</strong>rge,


(421)Ce jour-là, les généraux Rochambeau et Ri- 1793card venaient <strong>de</strong> débarquer à <strong>la</strong> Basse-Terre. Rolesmaisons sont petites et en bois. Sa popu<strong>la</strong>tion est <strong>de</strong>8 à 9,000 âmes. Les bâtiments <strong>de</strong> commerce mouillentdans le port, par un fond <strong>de</strong> trois à six brasses ; ceux <strong>de</strong>guerre jettent l'ancre à une lieue en <strong>de</strong>hors.Les Indiens <strong>de</strong> l'île, <strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s anciens naturels;ils sont doux, timi<strong>de</strong>s et indolents, vivent patriarchalement,sont très-attachés à leur sol, et tous catholiques.Il y en vient, en outre, un millier <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre-Ferme , qui se remp<strong>la</strong>cent par <strong>de</strong> nouveaux, dès qu'ils ontamassé quelque argent, en se louant, à <strong>la</strong> journée pour lesdéfrichement, les divers travaux <strong>de</strong>s magasins, et le chargemens<strong>de</strong>s navires.Le sol <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité est une espèce d'argile sabloneuse,légère; <strong>la</strong> végétation y est peu forte. Une bonne partie<strong>de</strong> l'île est encore en friche. Elle produit <strong>de</strong>s cannes dontles Espagnols ne faisaient que du sucre brut; du tabac quipeut être comparé à celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Louisiane; du café, ducoton et du cacao, estimés 10 pour 100 au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> ceux<strong>de</strong>s autres îles; <strong>de</strong> très-bon ris; <strong>de</strong>s raisins et <strong>de</strong>s figuesmeilleurs que ceux d'Europe; tous le fruits d'Amériqueet beaucoup <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, qu'on y a transp<strong>la</strong>ntés ;on n'y voit pas d'indigo.Les bois <strong>de</strong> ses forêts sont incorruptibles et propres àtoutes les constructions; on y trouve <strong>de</strong>s bois <strong>de</strong> teinture;beaucoup <strong>de</strong> vanille, dont les singes et les per-


(422)1793. chambeau, que les horreurs commises à Saint-Domingue déterminèrent à s'en éloigner, avait <strong>de</strong>mandé,au ministre Monge, l'autorisation <strong>de</strong> <strong>la</strong>quitter, lorsqu'il en reçut l'ordre précis <strong>de</strong> retour-roquets font seuls <strong>la</strong> récolte. On y voit aussi do l'ocreet <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> minéraux précieux.Une production rare, et particulière à cette île, estcelle du brai ou bitume sec, qu'on tire du <strong>la</strong>c <strong>de</strong> Brai,dans <strong>la</strong> ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'ouest. Ce <strong>la</strong>c d'asphalte, élevé <strong>de</strong>.80 pieds au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer , a plus d'une lieue <strong>de</strong> tour ,et est <strong>de</strong> niveau dans toute son étendue. C'est un lit dobitume dur que l'on enlève à coup <strong>de</strong> hâche, et qui seremp<strong>la</strong>ce à mesure qu'on en prend, Ce brai, toujoursfroid, est en usage dans <strong>la</strong> marine; mais il a besoin d'êtrec<strong>la</strong>rifie au feu et mêlé avec du suif et <strong>de</strong> l'huile pourêtre employé. — L'huile <strong>de</strong> pétrof ou <strong>de</strong> goudron, qui endécoule vers <strong>la</strong> mer, est toujours froi<strong>de</strong>, liqui<strong>de</strong> et sertavantageusement pour les cordages, sans aucune préparation.Dans l'intérieur du <strong>la</strong>c, on rencontre <strong>de</strong>s trous <strong>de</strong> septà huit pieds <strong>de</strong> pronfon<strong>de</strong>ur qui contiennent <strong>de</strong> très-bonneeau.A <strong>la</strong> ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'est, dans <strong>la</strong> baie <strong>de</strong> Mayace, à unelieue <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre, est un gouffre où se fait, au mois <strong>de</strong>mars, une détonnation comme celle du tonnerre ; il en sortune f<strong>la</strong>mme et une fumée noire et épaisse qui disparaissentaussitôt; vingt-quatre heures après on trouve, sur lerivage, <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>cards <strong>de</strong> brai <strong>de</strong> trois à quatre pouces d'épais-


(423)пеr, <strong>de</strong> sa personne, aux îles du vent, avec les géné- 1793.raux Ricard et Collot, pour prendre possession <strong>de</strong>leur gouvernement respectif. Les <strong>de</strong>ux premiers,embarqués sur le brick le Lutin, arrivèrent, le 28janvier, à <strong>la</strong> Basse-Terre, où leur présence inattenduecausa beaucoup <strong>de</strong> fermentation 5 on ignoraitqu'ils fussent porteurs <strong>de</strong> nouveaux pouvoirs <strong>de</strong> <strong>la</strong>république et on refusait <strong>de</strong> les recevoir. Le capitaineLacrosse accourut <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pointe-à-Pître, détrompa<strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion , et Rochambeau fut reconnu,avec solennité, comme gouverneur-général. Cenouveau chef, après avoir confirmé le capitaineseur, sur six à huit pieds <strong>de</strong> surface; ce brai est beaucoupplus pur que celui du <strong>la</strong>c, et on l'emploie avec succès.Les quadrupè<strong>de</strong>s et les oiseaux du continent <strong>de</strong> l'Amériqueaffluent à <strong>la</strong> Trinité, c'est aujourd'hui <strong>la</strong> seule<strong>de</strong>s Antilles où on en trouve. On y voit aussi <strong>de</strong>s cerfs et<strong>de</strong>s biches d'une très-petite espèce. Le gibier <strong>de</strong> maraiset <strong>de</strong> savannes y est très-abondant, ainsi que le poisson.On y rencontre le serpent, dit tête-<strong>de</strong>-chien, le plusgrand <strong>de</strong> ceux dont parle Buffon; on en a pris qui avaientjusqu'à 25 pieds <strong>de</strong> long; ils ne sont pas venimeux.Les bœufs et les mulets, qui coûtent 600 et 800 francsdans les autres îles, ne se ven<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> Trinité que 100à 150 francs.L'air passe assez généralement pour y être mal-sain.


(424)1793. Lacrosse dans le comman<strong>de</strong>ment militaire <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, jusqu'à l'arrivée <strong>de</strong>scommissaires-civilset <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> terre et <strong>de</strong> mer qui étaient annoncées, partit, le 3 février, pour <strong>la</strong> Martinique,où il entra <strong>de</strong> suite en fonction. Ce fut le capitaineLacrosse qui l'y porta sur sa frégate, et qui conduisit, le 5 février, le général Ricard à Sainte-Lucie,où ce général fut installé.Pendant ce temps, le général Collot, parti <strong>de</strong>Saint-Domingue sur le bâtiment l'Ar<strong>de</strong>ur, touchaità Saint-Eustache , et arrivait, le 6 février, à <strong>la</strong>Basse-Terre. En y apprenant <strong>la</strong> confirmation ducapitaine Lacrosse, dans le comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> <strong>la</strong>colonie , il se détermina à y rester, comme simpleparticulier, jusqu'à l'arrivée <strong>de</strong> l'expédition qu'on attendait.Mais sa présence ralluma l'espoir <strong>de</strong>s ennemis<strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution; un parti se forma en sa faveur etle <strong>de</strong>manda pour gouverneur. Il s'adressa lui-mêmeau capitaine Lacrosse, qui était rentré à <strong>la</strong> Pointeà-Pître,le 16 février, et lui écrivit, le 28, pourqu'il eût à réunir <strong>la</strong> commission générale extraordinaire,à l'effet <strong>de</strong> le faire reconnaître. Cettecommission arrêta, le 14 mars, que, ne pouvantprononcer ni sur <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du général Collot, nisur <strong>la</strong> démission que donnait le commandant Lacrosse; elle requérait ce <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> continuer sesfonctions. Le général Rochambeau, à qui il en fut


(425)référé, improuva <strong>la</strong> conduite <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission, 1793.d'après un décret nouvellement arrivé, maintenantdans leurs fonctions les agents non révoqués.La guerre que <strong>la</strong> France avait déc<strong>la</strong>rée, le 1 erfévrier,à l'Angleterre et à <strong>la</strong> Hol<strong>la</strong>n<strong>de</strong>, et dont on reçut<strong>la</strong> nouvelle vers ce temps-là, p<strong>la</strong>çait nos îles duVent dans une position d'autant plus pénible, qu'ellesne voyaient point arriver l'expédition qu'on leuravait annoncée comme très-prochaine. Dans cetteoccurrence , une décision du général Rochambeaufit désister M. Lacrosse du comman<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe. Le 20 mars , <strong>la</strong> même commissionreconnut, en qualité <strong>de</strong> gouverneur, le généralCollot, et le capitaine Lacrosse partit, le 4 avril,pour se rendre à <strong>la</strong> Martinique.L'escadre du contre-amiral Morard <strong>de</strong> G ailes ,forte <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux vaisseaux et <strong>de</strong> quatre frégates (1) ,portant <strong>de</strong>s troupes et trois bataillons <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>snationales (2), qu'on avait annoncée comme <strong>de</strong>vantse rendre aux îles du Vent, était partie <strong>de</strong> Brest,le 8 mars 1793 ; mais elle avait une autre <strong>de</strong>stina-(1) Décret du 8 novembre 1792.(2) Décret du 14 novembre 1792.Recueil <strong>de</strong>s lois pour <strong>la</strong> marine et les colonies, tome 3 epages 178, 183 et 185


(426)1793. tion secrète, que le gouvernement vou<strong>la</strong>it masquer.La frégate <strong>la</strong> Pique, capitaine <strong>de</strong> vaisseau Leyssegue,en faisait partie, et avail seule l'ordre <strong>de</strong> s'enséparer, à certaine hauteur, pour porter aux îles duvent <strong>de</strong>s troupes et les quatre commissairescivilsChrétien, <strong>de</strong> Périgueux; Coroller, ex-constituant;Jeannet et Antonnelle, ex-légis<strong>la</strong>teurs (1).Cette escadre fut dispersée , le 17 mars, par unetempête violente, et <strong>la</strong> frégate <strong>la</strong> Pique, forcée par<strong>de</strong>s avaries considérables, <strong>de</strong> renoncer à sa mission,vint relâcher à Rochefort.Cet acci<strong>de</strong>nt jeta les colonies dans une situationembarrassante et que ne pouvait qu'aggraver <strong>la</strong>nouvelle déc<strong>la</strong>ration <strong>de</strong> guerre faite par <strong>la</strong> Franceà l'Espagne, le 7 mars 1793. La Gua<strong>de</strong>loupe, agitéepar <strong>la</strong> tourmente révolutionnaire d'autant plusviolemment qu'elle y avait rencontré plus d'opposition, se trouvait dans un état <strong>de</strong> pénurie afiligeant;sans fonds, sans vivres et sans un seul bâtiment<strong>de</strong> guerre. Les détachements et les désertionsy avaient réduit tes troupes à 27 hommes du 14 erégiment, et à 144 <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.(1) Décret du 22 novembre 1792.Recueil <strong>de</strong>s lois pour <strong>la</strong> marine et les colonies, tome3 e , pages 178, 183 et 185.


(427)Le reste <strong>de</strong> <strong>la</strong> force armée , composé <strong>de</strong> gens <strong>de</strong> 1793couleur, raisonnait son obéissance et ne réprimaitque faiblement les esc<strong>la</strong>ves, dont les mouvemenspouvaient favoriser ses vues. Le général Collot,sans force et presque sans autorité, n'ayant d'autreressource que celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> persuasion, et en butte aux<strong>de</strong>ux partis, n'était guère propre à calmer lesesprits et à ramener <strong>la</strong> confiance et <strong>la</strong> tranquillité.Pendant <strong>la</strong> tournée qu'il faisait, sous le vent <strong>de</strong> <strong>la</strong>Basse-Terre, une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> noirs fondit, dans<strong>la</strong> nuit du 21 au 22 avril, sur les habitations Vermont,Go<strong>de</strong>t, Roussel, Gondrecourt, Brin<strong>de</strong>au etIthier, dans le quartier <strong>de</strong>s trois rivières. Elle les pil<strong>la</strong>après avoir massacré vingt-<strong>de</strong>ux b<strong>la</strong>ncs, femmes ouenfants, dont elle muti<strong>la</strong> les cadavres avec <strong>la</strong> plus outrageantebarbarie, et, au lieu <strong>de</strong> fuir, elle se rendità <strong>la</strong> Basse-Terre auprès du comité <strong>de</strong> sûreté, formédans le sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> commission générale extraordinaire.Le général Collot accourt, à cette nouvelle;indigné d'entendre dire que ces hommes ne paraîtrontpas aussi coupables, lorsqu'on connaîtra lefond <strong>de</strong> l'affaire , il se rend, sans autre suite quecelle <strong>de</strong> M. Artaud père, officier municipal et unofficier d'artillerie, dans <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> l'arsenal où cesmonstres s'étaient retirés. Seul, il se fit obéir, etparvint à leur faire mettre bas les armes ; mais il neput obtenir qu'ils fussent renfermés dans le fort; lecomité se contenta <strong>de</strong> les mettre sous <strong>la</strong> gar<strong>de</strong> d'un


(428)1793. simple poste, et leur <strong>la</strong>issa <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> communiqueravec tout le mon<strong>de</strong> (1). Ils ne tardèrent pas àêtre mis en liberté, pour concourir à <strong>la</strong> formation<strong>de</strong>s corps noirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie.De nouveaux septembriseurs préparèrent, à <strong>la</strong>Pointe-à-Pître, un autre exemple <strong>de</strong>s massacres <strong>de</strong>Paris. Le 7 juillet, <strong>de</strong> frénétiques sicaires <strong>de</strong> l'anarchie, sous prétexte d'une rixe entre une sentinelleet un prisonnier, envahissent <strong>la</strong> prison <strong>de</strong>cette ville, malgré les efforts du maire et <strong>de</strong>s autoritésqu'ils méconnaissent; et <strong>de</strong>s dix-huit malheureuxcolons qui y gémissaient <strong>de</strong>puis plusieursmois, ils en égorgent sept. Les autres dûrent <strong>la</strong> vieà l'humanité du concierge , homme <strong>de</strong> couleur,qui, dans le désordre, parvint à les cacher et à lessoustraire à là fureur <strong>de</strong> ces assassins (2),A <strong>la</strong> Basse-Terre une autre hor<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces forcenésmarcha, avec <strong>de</strong>s pièces d'artillerie, pour abattre <strong>la</strong>porte du fort Saint-Charles , dans lequel étaient dé-(1) Mémoire imprimé à Paris , en 1803 , pour les habitans<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, 1 ervol, pages 35 et suiv.Compte rendu du capitaine Lacrosse, en 1792 et 1793,et pièces officielles.(2) Mémoire du général Collot, cité dans les notes <strong>de</strong>celui pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, imprimé, en 1803, page 6,vol. I er .


(429)tenus quarante-<strong>de</strong>ux colons que le général Collot 1795.avait en-vain tenté <strong>de</strong> faire mettre en liberté.Ce gouverneur qui n'avait , comme les administrateurs, que ses ressources personnelles pourcombattre l'effervescence générale et neutraliser lesefforts <strong>de</strong>s scélérats que <strong>la</strong> licence avait déchaînés ,ne put parvenir à les arrêter; mais il présenta sapoitrine à <strong>la</strong> bouche du canon. Son héroïque dévouementconfondit l'audace <strong>de</strong> ces hommes égarés,que le crime n'avait pas encore entièrement endurcis; ils n'osèrent faire feu sur leur premier chef; ilsse dispersèrent, et le généreux Collot reçut le prix<strong>de</strong> son intrépidité ; il sauva <strong>la</strong> vie à ces quarante<strong>de</strong>uxinfortunés (1). L'esprit d'insurrection éc<strong>la</strong>taencore à Sainte-Anne, le 25 août, se propagea àSaint-François , et semb<strong>la</strong> gagner tous les quartiers.Ces mouvements séditieux déterminèrent à fuirbeaucoup d'hommes paisibles ou menacés ; <strong>la</strong> peurse communiqua à tous les b<strong>la</strong>ncs , et <strong>la</strong> colonie semb<strong>la</strong>ittoucher au moment d'un bouleversement général.(1) Procès-verbal <strong>de</strong> <strong>la</strong> municipalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre,cité à <strong>la</strong> page 7 <strong>de</strong>s notes du mémoire imprimé, en1803, I er vol.


(430)CHAPITREXI.La Martinique, en proie h <strong>la</strong> guerre civile, met en pleinedéroute une expédition britannique Projets <strong>de</strong> l'Angleterrecontre <strong>la</strong> France.1793. LA Martinique n'était guère plus tranquille que <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe; <strong>la</strong> fermeté, l'expérience et les effortsdu général Rochambeau n'avaient pu parvenir àl'arracher aux crises qui <strong>la</strong> déso<strong>la</strong>ient <strong>de</strong>puis près <strong>de</strong>quatre ans. Ce général n'y conservait qu'une ombred'autorité. Devenu lui-même suspect au parti dominant,tous ses moyens se trouvaient paralysés ; il étaitréduit à voir le bien qu'il ne pouvait faire, et à gémirsur le mal qu'il ne pouvait arrêter. Les villes, entièrementdévouées à <strong>la</strong> France républicaine , étaientagitées par une espèce d'esprit <strong>de</strong> vertige. Les P<strong>la</strong>nteurs, pénétrés d'un sentiment tout opposé et entraînéspar les succès <strong>de</strong> l'Angleterre, qui s'étaitemparée <strong>de</strong> Tabago , le 17 avril 1793, s'étaient concertésavec les P<strong>la</strong>nteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, etavaient député secrètement, vers les Ang<strong>la</strong>is, <strong>de</strong>ux


(431)colons très-connus, à l'effet <strong>de</strong> négocier un accord 1793.pour livrer les <strong>de</strong>ux colonies à <strong>la</strong> première expéditionbritannique qui viendrait s'y présenter (1).Divers rassemblements s'étaient formés à <strong>la</strong> Martiniquesous <strong>la</strong> bannière b<strong>la</strong>nche; le poste <strong>de</strong> Case-Navire était tombé en leur pouvoir; le vaisseau lePhocion (2) y avait débarqué, le 7 mai, M. <strong>de</strong> Béhagueavec tous les autres émigrés <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie ;l'habitant Sauter, qu'on a vu en tout temps venduà <strong>la</strong> cause <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is , s'était emparé du Gros-Morne ; les forts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité et du Marin avaientaussi été enlevés. Les <strong>de</strong>ux partis se faisaient uneguerre à mort, que souil<strong>la</strong>ient les plus affreuses barbaries, lorsqu'une escadre ang<strong>la</strong>ise, commandéepar l'.amiral Gardner, forte <strong>de</strong> huit vaisseaux, dont<strong>de</strong>ux à trois ponts, et <strong>de</strong> plusieurs frégates , ayantsous ses ordres <strong>la</strong> division Rivière , se présenta, le11 juin, <strong>de</strong>vant le Fort-Royal et Case Navire, persuadéeque <strong>la</strong> colonie al<strong>la</strong>it se rendre à discrétion.Mais le général Rochambeau sut mettre à profit(1) Bryan Edwards, history of the war in the vestindies, tome 3 e pages 436 et 457.Moniteurs <strong>de</strong> 1793 , n° s 63 et 66.Compte rendu du capitaine Lacrosse, en 1792 et1793.(2) La même qu'on appe<strong>la</strong>it auparavant Laferme.


(432)1793. cet instant d'a<strong>la</strong>rme pour rallier à lui tout ce qu'il yavait <strong>de</strong> Français, et les porter à une vigoureuserésistance contre les ennemis <strong>de</strong> l'état. Ses troupes ,quoique très-peu nombreuses, furent si bien disposées, qu'elles s'emparèrent <strong>de</strong> trois postes importans.Le général Bruce, commandant les troupes ang<strong>la</strong>ises, débarqua, le 16 juin, à Case-Navire,quinze cents hommes auxquels se joignirent unmillier d'habitants. Formés sur <strong>de</strong>ux colonnes, ils semirent en marche, le 18, avant le jour, pour allerattaquer Saint-Pierre. Cette ville, que son attachementà <strong>la</strong> mère-patrie a toujours distinguée, n'avaitpas attendu l'attaque ; elle avait envoyé à <strong>la</strong>rencontre <strong>de</strong> l'ennemi tout ce qu'elle avait <strong>de</strong> forcesdisponibles. Les colonnes d'anglo-émigrés, attaquéessur plusieurs points par <strong>de</strong>s tirailleurs embusqués,se prirent mutuellement pour adversaires, etfirent feu l'une contre l'autre. Au milieu <strong>de</strong> ce désordre,Rochambeau, qui s'était porté contre ellesavec <strong>la</strong> rapidité <strong>de</strong> l'éc<strong>la</strong>ir, les chargea impétueusementet les mit dans une déroute complète. M. <strong>de</strong>Gimat, ancien colonel du régiment <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, commandait alors les émigrés ; il eut <strong>la</strong> cuissecassée, et mourut plus tard <strong>de</strong> sa blessure. Les Ang<strong>la</strong>is,épouvantés, prirent <strong>la</strong> fuite jusqu'à Case-Navire, et se réfugièrent sous le feu <strong>de</strong> leurs vaisseaux.


(433)Ils employèrent les <strong>de</strong>ux jours suivants à se rem- 1793.barquer, avec <strong>la</strong> foule d'émigrés et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nteurs quis'étalent battus dans leurs rangs. La consternationétait générale dans les familles <strong>de</strong> ces Infortunés; ledésordre le plus affreux présidait à cette fuite ; lesrépublicains pouvaient en profiter pour exterminerleurs ennemis , mais ces ennemis étaient <strong>de</strong>s Françaiset <strong>de</strong>s Français malheureux; ou leur <strong>la</strong>issa letemps d'emmener jusqu'à leurs femmes et leurs enfans.Le 21 juin , <strong>la</strong> Martinique triomphante fut débarrassée<strong>de</strong> ses nombreux adversaires (1).Le général Rochambeau, n'ayant plus à s'occuperque <strong>de</strong> ramener le calme et le bon ordre dans <strong>la</strong> colonie,mit tous ses soins à <strong>la</strong> réorganiser. Il ordonnaau capitaine Lacrosse d'aller croiser, avec safrégate (le seul bâtiment <strong>de</strong> guerre qu'il eût), auvent <strong>de</strong> <strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> rentrer à <strong>la</strong> Martinique aubout d'un temps limité. Mais cet officier, parti du(1) Les Ang<strong>la</strong>is n'ont jamais <strong>la</strong>issé percer <strong>la</strong> cause <strong>de</strong>cette déroute, ni ses résultats. Bryan Edwards dit quetout ce que sa nation a pu en connaître, se trouve dansun rapport très-bref du général Bruce , lequel en rejette<strong>la</strong> faute sur les émigrés royalistes, dont <strong>la</strong> conduiteprouva évi<strong>de</strong>mment qu'on ne pouvait pas compter sureux. (3° vol. <strong>de</strong> l'ouvrage ang<strong>la</strong>is, page 438. Londres1807.II. 28


(434)1793. Fort-Royal, le 27 août, était à peine en mer queson équipage le força <strong>de</strong> faire route pour France.Aussitôt après son arrivée il parut à <strong>la</strong> barre <strong>de</strong> <strong>la</strong>convention, le 15 octobre, et rendit compte <strong>de</strong> samission aux Antilles.Beaucoup <strong>de</strong> personnes pensèrent, à cette époque,que <strong>la</strong> coïnci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s efforts <strong>de</strong> M. <strong>de</strong> Béhague, auxîles du Vent, avec les événements qui se passaient àSaint-Domingue , était <strong>la</strong> suite d'un p<strong>la</strong>n formépour établir une scission entre <strong>la</strong> France et ses colonies,et pour opérer ensuite <strong>la</strong> contre-révolution.On se <strong>de</strong>manda comment un faible parti , p<strong>la</strong>cé à1800 lieues <strong>de</strong> <strong>la</strong> métropole, osait se promettre <strong>de</strong>faire ce que 400,000 soldats <strong>de</strong>s puisances coaliséesen Europe, n'avaient pu parvenir à exécuter. La conduite<strong>de</strong> l'Angleterre alors , comme avant et <strong>de</strong>puis<strong>la</strong> révolution , a révélé le vrai sens <strong>de</strong> l'énigme; ellea montré que , toujours attentive à intervenir dansnos dissentions, cette imp<strong>la</strong>cable rivale n'a jamaiseu d'autres vues , d'autres projets que <strong>la</strong> ruine <strong>de</strong> <strong>la</strong>France. Croira-t-on qu'en accueil<strong>la</strong>nt à <strong>la</strong> Dominiqueles patriotes <strong>de</strong> nos îles du Vent ; en favorisant leursp<strong>la</strong>ns et leurs attaques; en prodiguant, à Saint-Christophe, <strong>de</strong>s secours à l'expédition <strong>de</strong> Rochambeau,qu'elle avait empêché <strong>la</strong> Martinique <strong>de</strong> recevoir (1);(1) Rapport sur <strong>la</strong> contre-révolution opérée aux îles


(435)et en souil<strong>la</strong>nt le feu <strong>de</strong> <strong>la</strong> discor<strong>de</strong> à Saint-Domin- 1793.gue(1), elle travail<strong>la</strong>it pour le bien <strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchiefrançaise? La guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vendée et celle <strong>de</strong>schouans, qu'elle avait fomentées, et qu'elle alimentaitdans nos seuls départements maritimes, où lesinsurgés ne vivaient que par <strong>la</strong> navigation ou par letrafic <strong>de</strong>s marchandises d'outre-mer, qu'y apportaientnos navigateurs, avait-elle un autre but quel'affaiblissement <strong>de</strong> notre marine ? Cette Vendée,que les Ang<strong>la</strong>is dirigeaient à l'époque dont nousparlons, n'aurait-elle pas pu renverser <strong>la</strong> république,lorsque ses provinces du nord étalent occupées parles coalisés, Toulon en leur pouvoir, l'intérieur <strong>de</strong><strong>la</strong> France, divisé d'opinions et d'intérêts , et que,maîtresse elle-même <strong>de</strong> l'autre rive <strong>de</strong> <strong>la</strong> Loire, elleétait aux portes <strong>de</strong> Tours, d'Orléans , et n'avaitqu'un pas à faire pour approcher <strong>de</strong> Paris? Au Heu<strong>de</strong> lui fournir alors les secours nécessaires pour s'emparer<strong>de</strong>s rives <strong>de</strong> <strong>la</strong> Seine et pour fatiguer <strong>la</strong> capitale,on vit les Ang<strong>la</strong>is, par d'astucieux conseils,faire disperser les armées vendéennes , les porterdans <strong>la</strong> Normandie, où aucune p<strong>la</strong>ce forte, aucunedu vent, 3 e vol. du Recueil <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> Marine, page177.(1) Voir toutes les histoires <strong>de</strong> Saint-Domingue, et leschapit. 7 et 8 <strong>de</strong> l'ouvrage du général Pamphile-Lacroix.28


(436)1793. position militaire ne leur donnait l'espoir <strong>de</strong> semaintenir ; mais cette direction les rapprochait <strong>de</strong><strong>la</strong> Manche, <strong>de</strong> Cherbourg, le seul objet <strong>de</strong>s vœuxd'Albion; elle préludait à l'attaque <strong>de</strong> ce port parcelle <strong>de</strong> Fougères et <strong>de</strong> Grandville (1).Nous verrons, dans <strong>la</strong> suite, ces Ang<strong>la</strong>is, toujoursconstants dans leur politique, ne cesser d'employerleur or et leurs intrigues pour exciter <strong>de</strong>s troubleset <strong>de</strong>s insurrections, pour faire égorger <strong>de</strong>s Françaispar <strong>de</strong>s Français, protégeant les plus faibles ,<strong>de</strong> quelque parti qu'ils fussent, contre les plus forts;leur donnant asile , leur prodiguant <strong>de</strong> l'argentquand ils pouvaient servir leurs intérêts , et les repoussantinhumainement aussitôt qu'ils n'avaientplus rien à en espérer.201.(1) Commerce maritime d'Audouin, 1 er vol., page


(437)CHAPITREXII.Les Ang<strong>la</strong>is s'emparent <strong>de</strong>s îles françaises situées au vent<strong>de</strong> l'Amérique.LA république , pressée par l'Europe coalisée An II.contre elle, se trouvait dans l'impuissance d'envoyer (1)aucune espèce <strong>de</strong> secours à ses colonies du Vent.Instruite <strong>de</strong> leur état a<strong>la</strong>rmant et <strong>de</strong>s pressantes dé-(1) Un décret <strong>de</strong> <strong>la</strong> convention nationale, rendu le 5octobre 1793 , abolit l'ère vulgaire et porta le commencement<strong>de</strong> l'ère française au 22 septembre 1792 , jour <strong>de</strong> <strong>la</strong>fondation <strong>de</strong> <strong>la</strong> république, où le soleil était arrivé à l'équinoxevrai d'automne, en entrant dans le signe <strong>de</strong> <strong>la</strong>ba<strong>la</strong>nce; l'année, les mois et les jours furent établis d'aprèsun système analogue à l'ordre <strong>de</strong>s saisons. L'an II<strong>de</strong> <strong>la</strong> république commença le 22 septembre 1793, finitle 21 septembre 1794 , et ainsi <strong>de</strong> suite.


(438)An II. marches que ses nombreux ennemis faisaient auprès(1794) <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, pour provoquer leur vengeance, et lesexciter à une attaque décisive, <strong>la</strong> convention nationalene vit <strong>de</strong> remè<strong>de</strong> à leurs maux que dans l'excèsmême du mal, le renversement absolu du systèmecolonial. Par un décret du l6 pluviose an 2 (4 février1794), et l'esc<strong>la</strong>vage fat aboli, et tous les hommes, sans distinction, domiciliés dans les colonies,furent déc<strong>la</strong>rés citoyens français. Les suites inévitables<strong>de</strong> ce décret, qu'une exécution spontanée nepouvait que rendre funestes, ne furent pas mêmeenvisagées. Le jour où on le rendait, une expéditiortformidable se présentait <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> Martiniquepour l'attaquer.L'Angleterre, humiliée <strong>de</strong> l'échec que l'honneur<strong>de</strong> ses armes venait d'éprouver, avait résolu d'envoyer<strong>de</strong>s forces assez imposantes pour s'emparernon seulement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, mais même pourchasser les Français <strong>de</strong> toutes leurs possessions <strong>de</strong>sîles du Vent (1).Un armement considérable , aux ordres <strong>de</strong> l'amiralJervis (lord Saint-Vincent), du général sirCharles Grey, et dont faisait partie le princeEdouard, mort duc <strong>de</strong> Kent, partit <strong>de</strong> PortsmouthJe 26 novembre 1793, et arriva le 6 janvier à <strong>la</strong> Bar-(1) Bryan Edwards, 3° vol., pages 440 et suiv.


(439)ba<strong>de</strong>. Après un mois , employé à réunir les troupes An II.<strong>de</strong>s autres îles ang<strong>la</strong>ises, et à faire <strong>de</strong>s préparatifs (1794)immenses, <strong>la</strong> flotte parut sur les côtes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique,le 4 février. Elle opéra, le 5 , son débarquementsur trois points différents. Le général en chefet le lieutenant-général Prescott commandaient celuidu cul-<strong>de</strong>-sac Marin , au sud-est <strong>de</strong> l'île; le généralDundas celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> baie du Galion , au nord ; et lecolonel Gordon celui <strong>de</strong> Case-Navire, au sud. Legénéral Rochambeau, abandonné par les gar<strong>de</strong>s nationales<strong>de</strong> ces quartiers , dont les unes n'opposèrentqu'une faible résistance, et les autres se soumirentaux Ang<strong>la</strong>is , n'avait que 8oo hommes pourrésister à toutes ces forces; niais les habitants <strong>de</strong> <strong>la</strong>ville <strong>de</strong> Saint-Pierre se refusèrent à toute conventionavec l'ennemi. Le plus grand nombre préféras'expatrier plutôt que <strong>de</strong> se soumettre aux Ang<strong>la</strong>is ;d'autres formèrent <strong>de</strong>s compagnies avec lesquellesRochambeau, déjà réduit à 6oo hommes, s'enfermadans le fort Bourbon, où tout manquait. Néanmoinsil y soutint un siège mémorable, pendant lequel lerégiment <strong>de</strong> Turenne se distingua. Enfin , après 32Jours d'atraque ou <strong>de</strong> bombar<strong>de</strong>ment, il fat forcéle 23 mars 1794, <strong>de</strong> capituler. Il défi<strong>la</strong> avec le peud'hommes qui lui restaient, <strong>de</strong>vant les rangs <strong>de</strong> sesnombreux ennemis, qui, étonnés <strong>de</strong> sa beile etlongue défense, lui rendirent les honneurs <strong>de</strong> <strong>la</strong>guerre, avec les égards que l'on doit au courage


(440)Au II malheureux (1). La garnison fut prisonnière, le(1794) général et son état-major obtinrent <strong>la</strong> faveur <strong>de</strong> serendre aux Etals-Unis d'Amérique (2).Les Ang<strong>la</strong>is, sans perdre <strong>de</strong> temps, <strong>la</strong>issèrent legénéral Prescott, avec cinq régiments, à <strong>la</strong> Martinique, et partirent le 31 mars pour Sainte-Lucie. Legénéral Ricard, réduit à une très-faible garnison,ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et dénué <strong>de</strong> tout, était hors d'état <strong>de</strong> faireune gran<strong>de</strong> résistance. Après quatorze heures d'at-(1) Les Ang<strong>la</strong>is, sur l'exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>squels il est impossible<strong>de</strong> jamais compter, prétendirent dans leur rapport,que Rochambeau était sorti du fort avec 900 hommes,mais <strong>la</strong> Martinique entière sait le contraire. (Bryan Edwards, 3 e vol., page 456. )(2) Le général <strong>de</strong> division Rochambeau, <strong>de</strong> retour enFrance, fut nommé gouverneur général <strong>de</strong> Saint-Domingue, en 1796, et y arriva le 11 mai. Déporté arbitrairement<strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, et rendu à Bor<strong>de</strong>aux, il fut renfermé auchâteau <strong>de</strong> Ham, en septembre, et mis en liberté, le 26 рагordre du directoire. Employé encore à St-Domingue , en1802, et <strong>de</strong>venu général en chef, par <strong>la</strong> mort du général Le<strong>de</strong>re,il se vit forcé <strong>de</strong> capituler, et fut retenu prisonnierpar les Ang<strong>la</strong>is, au mépris <strong>de</strong> <strong>la</strong> capitu<strong>la</strong>tion. Rentré enFrance, il n'obtint <strong>de</strong> l'emploi, qu'en 1813 , au 5° corps,ou il donna, dans toutes les occasions, <strong>de</strong>s preuves<strong>de</strong> valeur et <strong>de</strong> talents. II fut tué en avant <strong>de</strong> Leipsick, le18 octobre 1813.


(441)taque, il capitu<strong>la</strong> aux mêmes conditions que le gé- An II.néral Rochambeau. (1794)Le colonel Gordon, désigné pour comman<strong>de</strong>r àSainte-Lucie , y resta avec quelques troupes, etl'expédition retourna à <strong>la</strong> Martinique.Le 8 avril, elle fit voile pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe,qu'elle savait être dans l'impuissance <strong>de</strong> se défendre,par <strong>la</strong> privation <strong>de</strong> troupes , <strong>de</strong> moyens , et l'état <strong>de</strong>crise où l'avaient p<strong>la</strong>cée les factions qui <strong>la</strong> déchiraient.Un détachement <strong>de</strong> <strong>la</strong> flotte fut envoyé contreles Saintes, dont il s'empara. Le 10, l'expédition jetal'ancre à l'entrée du petit Cul-<strong>de</strong>-Sac; le 11, elleopéra un débarquement considérable au Gosier;le 1 2 , le petit fort Fleur-d'Epée fut enlevé d'assaut,et <strong>la</strong> majeure partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> garnison fut passée au fil<strong>de</strong> l'épée (1). Le fort Saint-Louis, l'îlet à Cochon et<strong>la</strong> Pointe-à-Pître ayant été abandonnés, par suite <strong>de</strong>cette cruauté, les Ang<strong>la</strong>is furent les maîtres <strong>de</strong>toute <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong>-Terre.Le général Dundas avait débarqué à <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>anse <strong>de</strong>s Trois-Rivières ; mais ayant essuyé quelquescoups <strong>de</strong> canon <strong>de</strong>s faibles batteries élevées entre lesTrois-Rivières et le Palmiste, il perdit plusieursjours sur les hauteurs <strong>de</strong> ce quartier, avant que son(1) C'est ainsi que s'exprime Bryan Edwards , à <strong>la</strong> page461, <strong>de</strong> son 3 e vol.


(442)An II. excessive circonspection lui permît <strong>de</strong> s'avancer.(1794) L'approche <strong>de</strong> l'ennemi plongea <strong>la</strong> ville <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre dans un désordre complet ; un ramassis <strong>de</strong>gens <strong>de</strong> mer et d'hommes sans aveu en profitèrentpour piller et incendier l'hôpital, l'intendance, où setrouvaient les archives <strong>de</strong> <strong>la</strong> colonie, et <strong>la</strong> partiebasse <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville. Cependant le prince Edouard et lecolonel Symes s'étant emparés <strong>de</strong> <strong>la</strong> position duPalmiste, le général Dundas prit lui-même celle duHouelmont; et le général Collot, ne pouvant plusse défendre, capitu<strong>la</strong> le 21 avril, pour <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupeet toutes ses dépendances (1).Dans l'espace d'un mois , les Ang<strong>la</strong>is s'emparèrent<strong>de</strong> nos colonies, et il ne resta pas aux Français unseul point aux îles du Vent.(1) Le général (le division Collot resta six ans prisonnier<strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is et arriva à Bor<strong>de</strong>aux le 1 ervendémiairean 9 (23 septembre 1800) sur un parlementaire <strong>de</strong>s États-Unis d'Amérique, avec 72 autres prisonniers. (Moniteurdu 9 vendémiaire an 9 (1 eroctobre 1800) Sous le consu<strong>la</strong>t,le général Collot sollicita <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> gouverneur <strong>de</strong> <strong>la</strong>Louisiane; mais n'ayant pu compter 12,000 francs à l'employéqui pouvait <strong>la</strong> lui faire avoir, il ne l'obtint pas; cegénéral mourut peu <strong>de</strong> temps après.FIN DU SECOND VOLUME.


(443)NOTEPREMIÈRE.(Page 295 du tome II)JEAN L A W , ou Lass , fils d'un orfèvre d'Edimbourg ,posséda éminemment l'esprit <strong>de</strong> calcul et <strong>de</strong> combinaison.Il étudia , dans toutes leurs branches , les banques ,les loteries, les compagnies da commerce <strong>de</strong> Londres,d'Amsterdam, et forma, <strong>de</strong> ses connaissances, un systèmoprofond |K)ur l'ordre et l'enchaînement <strong>de</strong>s opérations.Mais <strong>la</strong> bonne foi, l'équité et l'humanité y étaientremp<strong>la</strong>cées par <strong>la</strong> perfidie, l'injustice, <strong>la</strong> violence et <strong>la</strong>cruauté. Aussi cet homme , sans mœurs et sans religion,fut-il obligé <strong>de</strong> se sauver d'Angleterre pour un meurtre.Son système, réduit à <strong>de</strong> justes bornes, pouvait êtreutile, mais Law l'avait compliqué <strong>de</strong> manière à payertoutes les <strong>de</strong>ttes d'un état avec du papier, en attirant,d'ans les coffres du prince, non seulement l'or et l'argentmonnoyés, mais même ces métaux, sons quelque formequ'ils fussent employés : moyen assuré <strong>de</strong> ruiner unroyaume.Louis XIV, malgré ses besoins , le repoussa avec horreur.Victor-Amédée lui répondit qu'il n'était pas assez


(444)puissant pour se ruiner ; le régent l'accueillit pour lemalheur <strong>de</strong> <strong>la</strong> France.En 1716, Law établit une banque en son nom.Le 10 avril 1717, il fut ordonné à tous les préposésroyaux d'acquitter, sans escompte, les billets <strong>de</strong> cettebanque. Cet arrêt, plein d'artifice, fit <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque ledépôt <strong>de</strong> tous les revenus du roi; elle accorda sur-lechampsept et <strong>de</strong>mi pour cent d'intérêt.En août et en décembre, <strong>la</strong> compagnie d'occi<strong>de</strong>nt ou<strong>de</strong> Mississipi fut créée. Son objet était <strong>la</strong> culture <strong>de</strong>s coloniesfrançaises du nord <strong>de</strong> l'Amérique. Cette compagnieobtint <strong>la</strong> cession <strong>de</strong> toutes les terres <strong>de</strong> <strong>la</strong> Louisiane.Les étrangers, comme les Français, purent s'y intéresseren prenant <strong>de</strong>s actions, payables en partie, en billets<strong>de</strong> l'état, qui perdaient alors 5o et 60 pour cent. Le publicne résista pas à cette amorce; <strong>la</strong> banque fit <strong>de</strong> grandsprogrès, et le 4 décembre elle fut déc<strong>la</strong>rée BANQUEROYALE, sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> Law. La déc<strong>la</strong>ration portaitque le roi avait remboursé, en argent, aux actionnaires, les capitaux <strong>de</strong>s actions qui avaient été payées enbillets <strong>de</strong> l'état.Il résulta <strong>de</strong> cette déc<strong>la</strong>ration :1° Que le monarque, ayant été ainsi transformé enbanquier universel, toute <strong>la</strong> France, les seigneurs et lesprinces eux-mêmes, ne rougirent pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir agioteurset usuriers;2° Que le public, émerveillé <strong>de</strong> voir le roi acheter500 livres en espèces, <strong>de</strong>s actions qui n'avaient coûté que5oo livres en billet <strong>de</strong> l'état (environ 170 livres valeur


(445)réelle, vu leur discrédit) courut à l'envi pour s'en procurer,3° Que les actions <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie, préférées par lescroupiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque à leur remboursement en espèces,furent estimées à l'égal <strong>de</strong> l'or et s'élevèrent promptementau taux <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque.Ce fantôme <strong>de</strong> fortune produisit un tel vertige, que le27 décembre 1718, on établit <strong>de</strong>s bureaux particuliers<strong>de</strong> banque à Lyon, à <strong>la</strong> Rochelle, à Tours, à Orléans età Amiens, Mais Lille , Nantes , Saint-Malo, Marseille etBayonne s'opposèrent à leur établissement.En I 7 I 9, on ordonna <strong>la</strong> fabrication <strong>de</strong> cent millions<strong>de</strong> billets <strong>de</strong> banque, qui ne pouvaient être sujets à aucunediminution comme les espèces. Il fut défendu <strong>de</strong>faire <strong>de</strong>s paiements en numéraire, d'abord au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>600 livres, ensuite au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 10 livres en argent, et<strong>de</strong> 3oo livres en or. On vou<strong>la</strong>it faire préférer à ces métauxle papier <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque.Pour vaincre les opiniâtres, on réduisit l'intérêt dunuméraire à 3 et <strong>de</strong>mi, à 2 et <strong>de</strong>mi et à 2 pour cent; ontint les monnaies dans une variation continuelle par unefoule d'arrêts contradictoires ; et dans ce délire <strong>de</strong> <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion,le public se <strong>la</strong>issa aller à l'impulsion du gouvernement.On poussa <strong>la</strong> frénésie jusqu'à défendre d'avoirchez soi plus <strong>de</strong> 5oo livres en espèces; on encouragea lesdé<strong>la</strong>tions; on autorisa <strong>de</strong>s recherches odieuses, et enfinon interdit tout paiement au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> 100 livres en numéraire.Le papier <strong>de</strong> <strong>la</strong> banque inondait <strong>la</strong> France; pour lefaire convertir en actions <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie d'occi<strong>de</strong>nt,


(446)on donna à cette compagnie , on 1718, le privilège et lesdroits <strong>de</strong> celle du Sénégal et do <strong>la</strong> traite <strong>de</strong>s nègres; ensuiteon y réunit <strong>la</strong> compagnie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Chine et <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>sorientales, en lui abandonnant leurs îles, forts,magasins, habitations, munitions et vaisseaux. Elle pritle nom <strong>de</strong> COMPAGNIE DES INDES; <strong>la</strong> ferme du tabac et lebénéfice <strong>de</strong>s monnaies lui furent accordés. Le bail <strong>de</strong>sfermes générales fut résilié en sa faveur, et les receveursgénérauxfurent supprimés. La réunion do <strong>la</strong> banque à <strong>la</strong>compagnie <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s suivit <strong>de</strong> près celte mesure. Lacompagnie avait déjà créé soixante mille actions, montantà 1,677,500,000 livres do capital primitif. Leur jeucombiné s'éleva si haut que <strong>la</strong> masse <strong>de</strong> leurs papiersréunis était présumée représenter six milliards.Parts n'avait pas encore <strong>de</strong> bourse; tout l'agiotago <strong>de</strong>sactions se faisait dans <strong>la</strong> rue Quincampoix; une chambres'y louait jusqu'à dix livres par jour. Dès le point dujour, le passage <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue était obstrué par les joueurs,et le soir, au son d'une cloche , il fal<strong>la</strong>it les en chasser<strong>de</strong> force. Le régent et Law gagnèrent <strong>de</strong>s sommes immenses,(1), et les princes firent <strong>de</strong>a fortunes colossales;(1) L'Opéra n'était encore éc<strong>la</strong>iré que par <strong>de</strong>s chan<strong>de</strong>lles, <strong>la</strong>munificence <strong>de</strong> Law y subtitua <strong>de</strong>s bougies, en 1717. En abjurantsa religion, dans l'église Saint Roch , en 1720, afin d'êtrenommé contrôleur-général <strong>de</strong>s finances , Law donna cent millefrancs pour achever cette église. Mais ce fut en billets <strong>de</strong> banquequi ne va<strong>la</strong>ient déjà plus rien , et Saint-Roch ne put être terminéqu'en 1740. ( Histoire <strong>de</strong> Paris, par Du<strong>la</strong>ure, t. IV, p. 99;t. v , pag. 114, 296 et suiv.


(447)les bénéfices <strong>de</strong> ce jeu servirent à rebâtir Chantilly avectant <strong>de</strong> faste. Un bossu gagna, en peu do jours, danscette rue, 150,000 livres, en prêtant sa bosse, en forme<strong>de</strong> pupître , aux agioteurs.Mais l'équilibre, entre le numéraire et le papier, unefois rompu , il fut impossible <strong>de</strong> soutenir ce crédit énorme,qui surpassait <strong>de</strong> plus <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux tiers les espèces d'or etd'argent dans tout le royaume. Law, nommé contrôleurgénéral<strong>de</strong>s finances, le 5 janvier 1720, usa vainement<strong>de</strong>s stratagêmes et <strong>de</strong>s édita les plus arbitraires poursoutenir son système; le vertige se dissipait; chacuncherchait à réaliser sa fortune, et le jour fatal <strong>de</strong> sa chutearriva. Mais son odieux objet était rempli ; tout le numéraireet toutes les matières d'or et d'argent du royaumeétaient dans les mains du gouvernement.Le II mai 1720, un arrêt réduisit <strong>de</strong> moitié les billets<strong>de</strong> banque et les actions <strong>de</strong> <strong>la</strong> compagnie. La consternationdans Paris fut à son comble; tous les ordres firent<strong>de</strong>s représentations, et six jours après , cet arrêt futrévoqué, mais <strong>la</strong> confiance ne fut pas rétablie. Tout paiementfut suspendu à <strong>la</strong> banque, sous prétexte d'examinerles friponneries supposées, et les caisses en furentscellées pour vérifier les comptes.Le désordre était considérable; pour l'arrêter, il fallutfinir par interrompre le cours <strong>de</strong>s billets et remettre l'argentdans le commerce. Ainsi s'évanouit, après quatreans <strong>de</strong> fascination, le rêve d'une fortune fantastique quidoub<strong>la</strong> les <strong>de</strong>ttes <strong>de</strong> l'état, anéantit le commerce <strong>de</strong> <strong>la</strong>France, celui <strong>de</strong>s colonies françaises d'Amérique, et compléta<strong>la</strong> ruine <strong>de</strong> plusieurs milliers <strong>de</strong> familles.


(448)L'aventurier, fauteur <strong>de</strong> tous ees maux, ce Law, <strong>de</strong>méprisable mémoire, qui avait été couvert d'honneurs;qui possédait quatorze terres titrées, fut ignominieusementchassé dès que <strong>la</strong> France ouvrit les yeux. Le peuplevoulut le mettre en pièces; son carrosse fut brisé , etil ne dut son salut qu'à <strong>la</strong> vitesse <strong>de</strong> ses chevaux. Dégradé<strong>de</strong> ses titres et <strong>de</strong> ses honneurs, les biens qu'il avaitusurpés furent confisqués ; ses meubles furent vendus publiquement;il al<strong>la</strong> cacher sa honte à Londres, et ensuiteà Venise, où il mourut <strong>de</strong> misère en 1729 : triste compensation<strong>de</strong>s maux irréparables qu'il avait causés.Pour parvenir à réduire les <strong>de</strong>ttes publiques, proportionnellementaux facultés <strong>de</strong> l'état, on ordonna un visagénéral <strong>de</strong> tous les effets nouveaux; on était tenu <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>rerleur origine et le prix auquel on les avait acquis,afin qu'ils fussent réduits en conséquence. Il y eut jusqu'àhuit cent commis employés à ce travail. Que <strong>de</strong> découvertesfrappantes il en résulta ! La fortune du ministreLeb<strong>la</strong>nc montait à 17 millions; celle <strong>de</strong> M. Lafaye à autant; celles <strong>de</strong> MM. <strong>de</strong> La Farge à 20 millions , <strong>de</strong> M. <strong>de</strong>Verrue à 28 et <strong>de</strong> Madame <strong>de</strong> Chaumont à 120 millionsPar ce visa, les déc<strong>la</strong>rations <strong>de</strong> tous les effets et <strong>de</strong>toutes les actions, existantes alors, tant sur le roi quesur <strong>la</strong> compagnie, montaient à 3,200,000,000, et prèsdu tiers <strong>de</strong> cette somme était formé par les actions <strong>de</strong><strong>la</strong> compagnie, dont le capital était <strong>de</strong> 900 millions. Il s'élevaitoriginairement au double <strong>de</strong> cette somme, mais i<strong>la</strong>vait été réduit <strong>de</strong> moitié, tant par les sacrifices volontaires<strong>de</strong>s seigneurs mississipiens, à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong>squels étaientle duc <strong>de</strong> Bourbon , le duc d'Antin et Law lui-même,


(449)que par leur réduction du nombre <strong>de</strong> 600,000 à 50,000lors <strong>de</strong>s liquidations.Des p<strong>la</strong>isants , car on rit do tout en France, composèrent<strong>la</strong> généalogie suivante , pour marquer les nuances dusystème :Belzébut engendra Law ,Law engendra <strong>la</strong> banque ,La banque engendra billet,Billet engendra Mississipi,Mississipi engendra système,Système engendra agio ,Agio engendra souscription ,Souscription engendra action,Action engendra escompte,Escompte engendra argent-fort,Argent-fort engendra compte ouvert,Compte ouvert engendra registre,Registre engendra monnaie idéale,Monnaie idéale engendra zéro,Zéro engendra Nihil auquelPuissance d'engendrer fut ôtée.II.29


(451)NOTEDEUXIÈME.(Page 3o2 , tome II.)LE FAUX PRINCE DE MODÈNE.L'un <strong>de</strong>s aventuriers les plus remarquables qui aientparu, fut celui qui arriva, à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> 1748, à <strong>la</strong> Martinique,sous le nom <strong>de</strong> prince héréditaire <strong>de</strong> Modène, dans unpetit bâtiment marchand appelé le Coureur, armé à <strong>la</strong>Rochelle. Pressé par les Ang<strong>la</strong>is , l'équipage <strong>de</strong> ce navirese jeta dans une chaloupe, et se sauva au cul-<strong>de</strong>-sac duMarin, abandonnant le navire à l'ennemi. Parmi eux étaitun seul passager, <strong>de</strong> 18 à 19 ans, d'une figure agréable,d'une tournure noble, remarquable surtout par <strong>la</strong> b<strong>la</strong>nchcuret <strong>la</strong> délicatesse <strong>de</strong> sa peau. Il dit s'appeler lecomte <strong>de</strong> Tarnaud, fils d'un maréchal-<strong>de</strong>-camp; maisles respects <strong>de</strong> l'équipage semb<strong>la</strong>ient annoncer un personnageplus éminent. Il était cependant sans aucunesuite : le nommé Rho<strong>de</strong>z, second du capitaine, jeune marin<strong>de</strong> 24 ans, bien élevé, qu'il avait connu à bord, avait seulsa confiance, mais sans familiarité. 11 fut accueilli auMarin, par M. Duval Férol, avec tout l'empressement


(451)et tous les soins, qu'aux Antilles, on sait si bien prodigueraux étrangers; il s'établit chez lui avec Rho<strong>de</strong>z. Bientôtune foule <strong>de</strong> petits détails qu'on apprit sur le mystèrequi avait présidé à son embarquement à <strong>la</strong> Rochelle, surses actions et ses paroles , par fois extraordinaires, pendant<strong>la</strong> traversée, se répandirent dans l'île et intriguèrenttout le mon<strong>de</strong>. M. Nadau, lieutenant <strong>de</strong> roi du Marin,voulut l'avoir chez lui, et il fut s'y loger. Dans une lettrequ'il écrivit à son premier hôte, il signa d'Est au lieu <strong>de</strong>Tarnaud; il n'en fallut pas davantage pour tourner toutesles têtes; on en conclut que c'était Hercule-Renaud d'Est,prince héréditaire <strong>de</strong> Modène, et frère <strong>de</strong> <strong>la</strong> duchesse <strong>de</strong>Penthièvre. Des officiers qui connaissaient <strong>la</strong> duchesseprétendirent qu'ils se ressemb<strong>la</strong>ient comme <strong>de</strong>ux gouttesd'eau; on le traita <strong>de</strong> monseigneur ; on lui prépara <strong>de</strong>sfêtes, et il eut l'air <strong>de</strong> confier au commandant: qu'il ne s'attendaitpas à être reconnu, mais qu'il vou<strong>la</strong>it absolumentgar<strong>de</strong>r l'incognito et ne paraître que le comte <strong>de</strong>Tarnaud.Le marquis <strong>de</strong> Caylus était alors gouverneur-général<strong>de</strong>s îles du Vent à <strong>la</strong> Martinique, et le dé<strong>la</strong>brement <strong>de</strong>ses affaires le livrait à une foule d'intrigants qui le jetaientdans <strong>de</strong>s spécu<strong>la</strong>tions dont le fruit était pour eux,et l'odieux pour lui; M. <strong>de</strong> Ranché était intendant-général.La colonie se trouvait froissée, et <strong>la</strong> disette qu'elleressentait par l'état <strong>de</strong> blocus où <strong>la</strong> tenaient les Ang<strong>la</strong>is ,augmentait son mécontentement. De toutes parts on portait<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>intes au nouveau prince, contre M. <strong>de</strong> Caylus :il jurait qu'il ferait cesser un pareil scandale , et M. Nadaucroyait sa fortune faite. Ces bruits parvinrent au gou-


(452)verneur, qui donna l'ordre qu'on lui envoyât, à St.-Pierre,le comte <strong>de</strong> Tarnaud ; on lui répondit que c'était le prince<strong>de</strong> Modène, et qu'il était ma<strong>la</strong><strong>de</strong>; le gouverneur lui écrivitpar son capitaine <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s et un autre officier. Le prince,après avoir lu <strong>la</strong> lettre, s'exprima ainsi : Dites à votremaître que je suis le comte <strong>de</strong> Tarnaud pour tout le mon <strong>de</strong>,mais pour lui, Hercule-Renaud d'Est, et que s'il veut mevoir, il fasse <strong>la</strong> moitié du chemin et se ren<strong>de</strong> au FortRoyal où. je serai dans quatre ou cinq jours. Ce fut làun coup décisif, il n'y eut plus d'incrédules, le gouverneurlui-même perdit <strong>la</strong> tête, partit pour le Fort Royal,changea d'avis, et revint h Saint-Pierre. Le princearriva au Fort Royal, continua jusqu'à Saint-Pierre, traversa<strong>la</strong> ville avec un nombreux cortège, et se rendit auxjésuites qui furent tout bouffis d'orgueil <strong>de</strong> <strong>la</strong> préférencequ'il vou<strong>la</strong>it bien leur accor<strong>de</strong>r, et qui déployèrent toutleur faste pour loger dignement un si grand personnage.Le gouverneur quitta <strong>la</strong> ville pour lui <strong>la</strong>isser le champ libre,et se rendit au Fort Royal. Dès lors le prince ne se cachaplus, il forma sa maison; le marquis d'Eragny fut songrand écuyer, Duval Férol, Laurent-Dufond, Boisferméfurent ses gentilshommes, et Rho<strong>de</strong>z <strong>de</strong>vint son page.Il tint une cour, eut <strong>de</strong>s audiences réglées où l'on vint enfoule présenter <strong>de</strong>s mémoires contre le gouverneur.L'intendant, M. <strong>de</strong> Ranché et les premiers personnages <strong>de</strong> <strong>la</strong>colonie s'estimèrent heureux <strong>de</strong> jouer auprès <strong>de</strong> lui le rôle<strong>de</strong> courtisans. L'homme d'affaires, à qui le duc <strong>de</strong> Penthièvreavait confié les biens considérables qu'il possédait à<strong>la</strong> Martinique, eut avec le prince <strong>de</strong> longues conversationsqui firent disparaître les <strong>de</strong>rniers doutes , s'il en restait


(454)encore. Les jésuites étaient fiers <strong>de</strong> le possé<strong>de</strong>r et lesdominicains leur enviaient cet honneur. Le prince crut<strong>de</strong>voir dédommager ces <strong>de</strong>rniers en al<strong>la</strong>nt loger chezeux, et ils le reçurent encore plus magnifiquement luiet toute sa cour. Jamais Saint-Pierre n'avait offert unpareil spectacle <strong>de</strong> joie et <strong>de</strong> désordre; l'action du gouvernementen était suspendue. Le prince courtisait toutesles femmes, mystifiait les hommes , se livrait à tous lesexcès du vin et <strong>de</strong> <strong>la</strong> table, al<strong>la</strong> même un jour jusqu'àse décorer du cordon bleu ; mais ne démentit jamais soncaractère <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> désintéressement.Depuis long-temps on avait donné avis do cotte apparitionau ministère <strong>de</strong> France; le prince avait écrit lui-mômeostensiblement à sa famille, et au milieu <strong>de</strong> toutes ces démarches,il conservait une sérénité et une tranquillitéextraordinaires. Aucune réponse n'arrivait, l'hivernageapprochait et on commençait , après sept mois <strong>de</strong>profusions, à trouver que son altesse coûtait un peu cher.Enfin le prince s'embarqua pour France, sur le vaisseaumarchand le Raphaël, <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux emmenant toute samaison, un aumônier, et le mé<strong>de</strong>cin du roi Garnier. Ilpartit salué par le fort et en arborant le pavillon amiral.Quinze jours après son départ arrive Desrivières que <strong>la</strong>colonie avait envoyé à Paris où l'on s'était beaucoup moqué<strong>de</strong> lui et <strong>de</strong> son prince <strong>de</strong> Modène. Il revenait avecl'ordre d'arrêter son altesse , et <strong>de</strong> l'envoyer en France,par le premier bâtiment, pour lui faire son procès. Maison avait été six mois avant <strong>de</strong> lui donner cet ordre, et lesMartiniquais ne manquèrent pas <strong>de</strong> dire que c'était pourlui donner le temps <strong>de</strong> s'en aller. D'autant plus que <strong>la</strong>


(455)duchesse <strong>de</strong> Penthièvre avait, disait-on, fait mille questionsà son égard, et que le duc écrivit à son chargé d'affairesqu'il entendait entrer <strong>de</strong> moitié dans les 150,000écus qu'il avait fournis au prince. Celui-ci n'avait pasvoulu en prendre davantage, et avait refusé les offres qu'ons'était empressé <strong>de</strong> lui faire <strong>de</strong> toutes parts. Le ministre<strong>de</strong> <strong>la</strong> marine, dans sa lettre du 18 juin, au marquis <strong>de</strong>Caylus, témoignait combien il était indigné <strong>de</strong> cette mistification,et annonçait que ce prétendu prince était undéserteur <strong>de</strong>s valets <strong>de</strong> <strong>la</strong> troupe <strong>de</strong> ta maison du roi;mais l'amour-propre empêcha les Martiniquais d'en riencroire. Le ministre écrivit <strong>de</strong> nouveau le 17 juillet; le 4août suivant <strong>de</strong>s lettres patentes du roi furent expédiées partriplicata au gouverneur-général et à l'intendant <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique pour faire faire le procès à l'imposteur. Enseptembre le ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> marine entretenait encoreune correspondance, avec diverses personnes, au sujet <strong>de</strong>Cette aventure, et ne cessait <strong>de</strong> témoigner sa surprise surle rôle du faux prince et sur l'illusion qu'il avait produiteà <strong>la</strong> Martinique.Cependant le Raphaël voguait tranquillement. Le prince<strong>de</strong>scendit à Faro, en Portugal, et y fut reçu en altesse.Il se rendit à Séville , précédé d'une gran<strong>de</strong> réputation <strong>de</strong>ga<strong>la</strong>nterie qu'il établissait chaque jour davantage. Au milieu<strong>de</strong>s fêtes qu'on lui donnait, on l'arrêta un jour, par ordredu roi d'Espagne, et on le conduisit dans une petite tour,quoiqu'il se dît né souverain comme le roi. Ennuyé danscette tour, il <strong>la</strong> quitta par <strong>la</strong> porte qu'il trouva ouverte,et se rendit aux dominicains, qui eurent beaucoup <strong>de</strong>peine à consentir qu'on le tirât <strong>de</strong> chez eux, pour le


(455)mettre au cachot chargé <strong>de</strong> chaînes. Au bout <strong>de</strong> vingtquatreheures, on le fit paraître <strong>de</strong>vant le conseil, à quiil répondit : Vous n'avez aucun droit <strong>de</strong> m'interroger,mon nom suffira pour vous apprendre que né, votre maître,je ne dois compte qu'il Dieu <strong>de</strong> ma conduite. Je suis Hercule-Renaudd'Est, fils <strong>de</strong> prince régnant, et <strong>de</strong> CharlotteAg<strong>la</strong>é on lui <strong>de</strong>manda : n'avez-vous pas cherchéà soustraire <strong>la</strong> Martinique, au pouvoir du roi <strong>de</strong>France? Je n'ai rien à répondre, dit-il, à une questionsi dépourvue <strong>de</strong> bon sens. Les juges s'arrêtèrent là, et <strong>la</strong>scène changea; au lieu <strong>de</strong> cachot, on le logea commodémentdans <strong>la</strong> salle du conseil ; on lui donna tout ce qu'ildésirait, avec une gar<strong>de</strong> particulière et <strong>de</strong>ux officiers. Oninterroga sa suite sur le prétendu projet <strong>de</strong> soulever <strong>la</strong>colonie; elle en haussa les épaules, et on se contenta <strong>de</strong><strong>la</strong> bannir du territoire d'Espagne. Le prétendu princefut condamné aux galères, en Afrique.Le jour du départ pour Cadix, où <strong>de</strong>vait s'embarquer<strong>la</strong> chaîne al<strong>la</strong>nt à Ceuta, toute <strong>la</strong> garnison <strong>de</strong> Séville futsous les armes; il monta en voiture, appuyé sur le lieutetant<strong>de</strong> sa gar<strong>de</strong>, portant un habit neuf d'écar<strong>la</strong>te et poudréà b<strong>la</strong>nc, soutenant, avec un ruban couleur <strong>de</strong> rose , le petitfer qu'il avait au pied. A Cadix, il fut traité avec égard; onle fit enfin partir pour Ceuta,<strong>la</strong>issant l'Espagne toute pleine<strong>de</strong> son histoire et d'intérêt pour lui. Nadau reçut à <strong>la</strong> Martinique<strong>de</strong>s présens <strong>de</strong> sa part, et une lettre qui lui apprenaitqu'il était à Ceuta chez les Cor<strong>de</strong>liers où il était très-bientraité et assez libre etc. il paraît cependant qu'il s'évada,car un bâtiment mouil<strong>la</strong> à Gibraltar, à-peu-près à cetteépoque. Le capitaine ang<strong>la</strong>is dit au commandant <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce


(456)qu'il avait à bord l'homme connu sous le nom <strong>de</strong> prince<strong>de</strong> Modène et qu'il <strong>de</strong>mandait à <strong>de</strong>scendre : qu'il ne s'enavise pas, dit le commandant, je le ferais arrêter sur lechamp. Le capitaine remit à <strong>la</strong> voile, et avec lui disparutpour toujours ce personnage, ne <strong>la</strong>issant d'autres traces<strong>de</strong> son existence, que le souvenir d'une énigme probablementinexpliquable.FIN DES NOTES DU SECOND VOLUME.


(459)TABLEDES MATIÈRES DU SECOND VOLUME.LIVRE QUATRIÈME.Suite du Système colonial et <strong>de</strong> ses variations.Pag.Chap. III. — Religion et Clergé 1IV. — Popu<strong>la</strong>tion. — Naissances. — Décès.... 18V. — Cultures 29Produit du carré <strong>de</strong> terre 45VI. — Commerce 47VII. — Finances. 77Service financier, en janvier 1 8 2 3 . . . 95VIII. — Monnaies 109IX. — État militaire 121X. — Milices. — Gar<strong>de</strong>s nationales 138XI. — Système <strong>de</strong> défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe.. . 149


(458)Histoire politique <strong>de</strong>s Antilles françaises, particulièrement<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, <strong>de</strong>puis leur découverte jusqu'à<strong>la</strong> révolution.LIVRE CINQUIÈME.Établissement <strong>de</strong>s Européens aux Antilles. — 1492 à 1674.Pag.CHAP. I er . — Découvertes <strong>de</strong> Colomb dans ses quatreexpéditions. — Sa mort. — Découvertes<strong>de</strong>s Français. — Les Français, sousDesnambuc, et les Ang<strong>la</strong>is sous Warner,s'établissent à Saint-Christophe. — Noticesur cette colonie 167II. — Création <strong>de</strong> <strong>la</strong> première compagnie française.— Partage <strong>de</strong> Saint-Christopheentre les Français et les Ang<strong>la</strong>is. —Ces <strong>de</strong>rniers dépouillent les Français.— Ils sont battus et réduits au premierpartage. — Ils lâchent le pied <strong>de</strong>vantles Espagnols. — Desnambuc les force,<strong>de</strong> nouveau, à se conformer aux premièresconventions. — Premier établissementà <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. — Extrémités oùcette colonie se trouve réduite. — Noticesur les îles dé Nièves, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Barbou<strong>de</strong>, <strong>de</strong><strong>la</strong> Barba<strong>de</strong>, <strong>de</strong> Saint-Eustache, <strong>de</strong> Sabaet d'Antigues. 175III. — L'Olive fait une guerre impru<strong>de</strong>nte aux


Pag.(459)Caraïbes. — Maux qu'elle occasione.— Premier établissement à <strong>la</strong> Martinique.— Position topographique <strong>de</strong> cetteîle. — Mort <strong>de</strong> Desnambuc. — Il estremp<strong>la</strong>cé par le comman<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Poincy.— La Gua<strong>de</strong>loupe est menacée par lessauvages. — Secours que le commandantgénéraly envoie 187IV. — Aubert comman<strong>de</strong> à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, et fait<strong>la</strong> paix avec les sauvages. — M. Houëly arrive en qualité <strong>de</strong> gouverneur. —M lleLafayolle et sa suite. — Aubert estcondamné à mort. — Troubles dans <strong>la</strong>colonie 194V. — Le général <strong>de</strong> Thoisy-Patrocles est nommépour remp<strong>la</strong>cer, aux îles, le comman<strong>de</strong>ur<strong>de</strong> Poincy qui ne veut pas le recevoir.— Guerre civile dans les coloniesfrançaises. — La première compagnievend les îles à <strong>de</strong>s particuliers. — Noticesur les îles Vierges 202VI. — Établissement <strong>de</strong> Français à Sainte-Lucieet à <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>. — L'ordre <strong>de</strong> Malteachète diverses îles. — Second état <strong>de</strong>scolonies. — Les Hol<strong>la</strong>ndais, chassés duBrésil, se réfugient aux îles du Vent. —Conquête <strong>de</strong> <strong>la</strong> Jamaïque par les Ang<strong>la</strong>is.— Notice sur les îles <strong>de</strong> Montserrat,<strong>de</strong> Sainte-Lucie, <strong>de</strong> <strong>la</strong> Grena<strong>de</strong>,<strong>de</strong> Sainte-Croix, <strong>de</strong> Saint-Thomas, <strong>de</strong>Saint-Jean et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Jamaïque 213VII. — Révolte <strong>de</strong>s noirs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, com-


Pag.(462)primée. — Proscriptions du gouverneurHouël. — Paix générale avec les sauvages.— Nouveaux troubles excités parM. Houël. — Création <strong>de</strong> <strong>la</strong> secon<strong>de</strong>compagnie. — Notice historique sur lesîles <strong>de</strong> <strong>la</strong> Dominique et <strong>de</strong> Saint-Vincent226VIII. — Le gouvernement rachète les îles françaises<strong>de</strong>s Antilles. — Le général Prouville<strong>de</strong> Tracy en prend possession aunom du roi, et y établit <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> compagnie; il renvoie en France M. Houëlet ses <strong>de</strong>ux neveux. — Invasion <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>isà Sainte-Lucie 239IX. — Colbert procure à <strong>la</strong> France <strong>la</strong> partie occi<strong>de</strong>ntale<strong>de</strong> Saint-Domingue. — Origine<strong>de</strong> cette colonie. — Les boucaniers, lesflibustiers 247X. — Mauvaise administration <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxièmecompagnie. — Armement <strong>de</strong> lord Willougby,contre <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, détruitpar un ouragan. — Cette colonie estmise, pour <strong>la</strong> premiere fois, sous <strong>la</strong> dépendance<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique. — La<strong>de</strong>uxième compagnie est forcée <strong>de</strong> sedissoudre. — Les colonies sont réuniesau domaine <strong>de</strong> l'Etat. — Notice sur lesîles <strong>de</strong> Curaçao et <strong>de</strong> Tabago 253


(463)LIVRE SIXIÈME.Les Ang<strong>la</strong>is portent <strong>la</strong> déso<strong>la</strong>tion dans les Antilles françaisesÉtat <strong>de</strong> ces établissements jusqu'à l'époque <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution.Pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1675 à 1689.CHAP. I er . — Les colonies françaises et ang<strong>la</strong>ises comparées.— Traité signé à Londres, quidéc<strong>la</strong>re les colonies neutres, en cas <strong>de</strong>guerre. — Les Ang<strong>la</strong>is le violent, s'emparent<strong>de</strong> Marie-Ga<strong>la</strong>nte, attaquent <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe, en 1691, et sont repoussés.— Ils ravissent Saint-Christophe àPag.<strong>la</strong> France 265II. — Attaque <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, par les Ang<strong>la</strong>is,en 1703. — Ils sont forcés à serembarquer, après avoir pillé et incendiéles quartiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Basse-Terre. —État <strong>de</strong>s Antilles françaises jusqu'en1717 275III. — Révolte suscitée à <strong>la</strong> Martinique. — Lereprésentant du roi et l'intendant sontdégradés <strong>de</strong> leur emploi, et embarquéspour France. — Amnistie générale. . . 283IV. — Comment fut provoquée l'ordonnance <strong>de</strong>1719, qui défendit aux gouverneurs etintendants <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s habitationsaux colonies. — Désastre occasioné parle système <strong>de</strong> Law. — État <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua-


(462)Pag.<strong>de</strong>loupe. — Dernière époque <strong>de</strong>s engagés.— Guerre <strong>de</strong> <strong>la</strong> succession d'Autriche.— Paix d'Aix-<strong>la</strong>-Chapelle. —Histoire du faux prince <strong>de</strong> Modène. —Perfidie <strong>de</strong>s Ang<strong>la</strong>is, en 1749 et en1755 293V. — Attaque <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique, repoussée. —Attaque et prise <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe, parles Ang<strong>la</strong>is, en 1769. — Procès et jugementdu gouverneur et <strong>de</strong>s principauxofficiers <strong>de</strong> cette colonie. — Prise <strong>de</strong> <strong>la</strong>Martinique, en 1762З06VIII. —VI. — Traité <strong>de</strong> paix, <strong>de</strong> 1763, funeste à <strong>la</strong>France. — La Gua<strong>de</strong>loupe est rendueindépendante <strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique. — Ellerentre sous son joug en 1769.— On veutl'en délivrer en 1771. — Elle y est définitivementsoustraite en 1775 316VII. — Révolte du régiment d'Armagnac, à <strong>la</strong>suite d'un assassinat. — Massacre ; impunité.— Guerre <strong>de</strong> l'indépendance <strong>de</strong>sÉtats-Unis, d'Amérique. — Succès <strong>de</strong>sarmées françaises aux Antilles. — Paix<strong>de</strong> 1783 326Les îles françaises du Vent sont subordonnées,pour <strong>la</strong> partie militaire, au gouverneur-général<strong>de</strong> <strong>la</strong> Martinique. —Établissement du collège <strong>de</strong> Saint-Victor; <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe est obligée <strong>de</strong> concourirà son entretien. — Cession <strong>de</strong>Saint-Barthélemy à <strong>la</strong> Suè<strong>de</strong>. — Premièrestation navale établie aux îles du


(465)Vent. — Établissement <strong>de</strong> paquebotsaux Antilles. — Traité <strong>de</strong> commerce en­Pag.tre <strong>la</strong> France et l'Angleterre, funesteaux colonies. — Pitt introduit <strong>la</strong> culture<strong>de</strong> <strong>la</strong> canne dans l'In<strong>de</strong>, pour nuire à <strong>la</strong>prospérité <strong>de</strong> Saint-Domingue. — Assembléescoloniales. — Ce que c'est quel'oligarchie coloniale 338LIVRE SEPTIÈME.La révolution se propage aux Antilles françaises. — Les Ang<strong>la</strong>isen font <strong>la</strong> conquête. — 1789 à 1794.Pag.CHAP. I er . — Premiers effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> révolution aux Antilles.— Conduite <strong>de</strong>s colons à Paris. . 347II. — Commencement <strong>de</strong>s troubles qui agitèrentles colonies 354III. — Suite <strong>de</strong>s troubles à <strong>la</strong> Martinique et à <strong>la</strong>Gua<strong>de</strong>loupe 360IV. — Événements qui se succè<strong>de</strong>nt dans ces<strong>de</strong>ux colonies 368V. — Envoi <strong>de</strong> troupes et <strong>de</strong> quatre commissairesdu roi à <strong>la</strong> Martinique, pour lesîles du Vent. — Événements qui appellentces commissaires à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe . . . 377VI. — Lutte <strong>de</strong>s commissaires du roi avec les autorités<strong>de</strong> <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe 385VII. — Après une lutte pénible et infructueuse,les commissaires du roi quittent <strong>la</strong> Gua-II. 301


(466)Pag.<strong>de</strong>loupe qui reste livrée aux dissentions. 393VII. — La contre-révolution s'opère aux îles duVent. — Les nouvelles autorités et lestroupes envoyées <strong>de</strong> France, sont obligées<strong>de</strong> s'éloigner. 403IX. — La Gua<strong>de</strong>loupe rentre dans le giron <strong>de</strong> <strong>la</strong>mère-patrie 410X. — La Martinique se rep<strong>la</strong>ce sous les lois <strong>de</strong> <strong>la</strong>république. — Événements désastreuxqui se succè<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> Gua<strong>de</strong>loupe. —Notice sur l'île <strong>de</strong> <strong>la</strong> Trinité et sur soncurieux <strong>la</strong>c d'Asphalte 417XI. — La Martinique, en proie à <strong>la</strong> guerre civile,met en pleine déroute une expéditionbritannique. — Projets <strong>de</strong> l'Angleterrecontre <strong>la</strong> France 430XII. — Les Ang<strong>la</strong>is s'emparent <strong>de</strong> toutes les îlesfrançaises, situées au vent <strong>de</strong> l'Amérique437NOTE I ere . — Précis du système <strong>de</strong> Law 443II. — Extrait <strong>de</strong> <strong>la</strong> singulière histoire du fauxprince <strong>de</strong> Modène, à <strong>la</strong> Martinique. . . 451FIN DE LA TABLE DU SECOND VOL.

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