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Leibniz, Gottfried Wilhelm (1646-1716). Nouveaux essais sur l ...

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<strong>Nouveaux</strong> <strong>essais</strong> <strong>sur</strong>l'entendement humain(2e édition) <strong>Leibniz</strong> ;publiés, avec uneintroduction, des noteset un [...]Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


<strong>Leibniz</strong>, <strong>Gottfried</strong> <strong>Wilhelm</strong> (<strong>1646</strong>-<strong>1716</strong>). <strong>Nouveaux</strong> <strong>essais</strong> <strong>sur</strong> l'entendement humain (2e édition) <strong>Leibniz</strong> ; publiés, avec une introduction, des notes et un appendice, par HenriLachelier,.... 1898.1/ Les contenus accessibles <strong>sur</strong> le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :*La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.*La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service.Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques.3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :*des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.*des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation.4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays.6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978.7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter reutilisation@bnf.fr.


LEIBNIZ/fz pNpt|>jEAUXESSAISL'ENTENDEMENT HUMAIN


A LA MÊME LIBRAIRIE<strong>Leibniz</strong> : JM Monadologie, publiée d'après les. manuscritsde la Bibliothèque'de Hanovre, avec introduction, notes etsuppléments par M. H. bachelier. Petit in-16, cartonné.1 fr.— Extraits de la Théodicée, publiés avec une introductionet des notes par M. P. Janet, membre de l'Institut, professeurà la Faculté des lettres de Paris; 3e édition. 1 vol.petit in-16, cartonné. 2 fr, 50Coulommicrs. — Imp. PAUL BRODAHD. — 813-97.


LEIBNIZNOUVEAUXESSAISSURL'ENTENDEMENTHUMAINf I H ï •• I PUBLIÉSKX£C JJ>È JKTIIODuCTION,DES NOTES ET UN ArPEXDICEPARHENRILAGHELIERProfesseur de philosophie au Lycée Janson de SaillyDEUXIEMEEDITIONPARISLIBRAIRIE HACHETTE ET Ole79, BOULEVAnD SAINT-GERMAIN, "91898


INTRODUCTIONAYANT-PROPOSHISTOIRE DES NOUVEAUX ESSAIS.Les <strong>Nouveaux</strong> Essais de <strong>Leibniz</strong> no furent pas publiésdu vivant do leur auteur. Ils parurent pour la prçmicrofois en 1765, c'esl-à-diro près do cinquante) ans après lamort do <strong>Leibniz</strong>, dans l'édition do ses oeuvres publiéepar E. Raspo.Voici, d'après M. Gorbardl, qui public en co momentuno édition délinitivo des oeuvres philosophiques de<strong>Leibniz</strong>, l'histoire dos <strong>Nouveaux</strong> Essais. Locke avaitdonné en 1690 son Essay conceming human Under*standing. <strong>Leibniz</strong> lut cet ouvrage et, comme les idéesqui s'y trouvaient développées étaient en contradictionavec ses propres théories, il rédigea, suivant son habitude,tout on lisant, quelques remarques, qu'il fit parvenirà Locke. Nous publions ces remarques à la fin duvolume sous les titres suivants : Sur l Essai de VEntai*devient humain de M. Locke, et Échantillon de réflexions<strong>sur</strong> le premier livre de l'Essai de l'Entendementde l'homme (Extraits n°» 1 et 2).En 1700 parut la traduction française de l'Essai doLocke, par Pierre Costc. Cette traduction permit à <strong>Leibniz</strong>,qui, de son propre aveu, savait mal l'anglais, domieux saisir la pensée de Locke. C'est alors que, voyantle succès croissant du livre du philosophe anglais, il sedécida à répondre à VEssai par un grand .ouvrage. Cetouvrago fut composé dans les années qui suivirent 1700LEIBNU. 1


AINTRODUCTION.Il ne faudrait pas conclure de l'origine de son nom que<strong>Leibniz</strong> fût un Slave, ni chercher en lui le génio de larace slave. M. Kuno Fischer le revendique énergiquementà l'Allemagne^ Ses ancêtres, en effet, aussi loinqu'on puisse remonter, étaient Saxons et ont mô.T.o occupéen Saxe des positions officielles. Son arrière grandpèreétait magistral à Allcnburg, près de Leipzig. Songrand-père exploitait des mines dans les montagnessaxonnes. Enfin son père, élevé à Mcisscn, près deDresde, accomplit à Leipzig toute une longue carrièreuniversitaire. Il était, au moment de la naissance de<strong>Leibniz</strong> (Gottfricd-Wilhclm), professeur de morale àl'université de celle ville.La vie de <strong>Leibniz</strong>, au point de vue purement philosophique,présente un intérêt moins direct que celle dePescartcs par exemple. L'histoire do sa carrière n'estpas, en effet, l'histoire de son esprit et de ses découvertes.Il n'y a guère de rapport entre les diversescharges qu'il remplit en Allemagne, à la cour de Hanovre,et les études philosophiques et mathématiques quiont fait sa célébrité. <strong>Leibniz</strong> fut mêlé à la plupart desévénements politiques et religieux de son temps, et c'estau milieu d'une vie publique agitée que son esprit prodigieusementactif trouva moyen de fonder une nouvellephilosophie et une nouvelle science '. Nous allons doncseulement indiquer les principales époques do .A vie ;nous ferons connaître ensuite ses principaux ouvragesphilosophiques.t. Dion que nous n'ayons pat àparler ici de la partie mathématiquede l'oeuvre de <strong>Leibniz</strong>, nous ne pouvonsnous dispenser d'indiquer saprincipale découverte scientifique,celle du Calcul différentiel, qu'il (Ilen 1070, à peu près en mémo tempsque Newton. On connaît le débatqui s'éleva entre ces deux grandshommes <strong>sur</strong> la qiieilton de priorité.


INTRODUCTION. 5<strong>Leibniz</strong> est né, lo 21 juin 1616, à Leipzig. Il fit sespremières éludes dans celte ville, au gymnase Saint-Nicolas (Nicolaïschule), qui existe encore aujourd'hui, etse fit immatriculer à l'université, au commencement dusemestre d'été de 1661. En IG66, après cinq ans d'étudesà Leipzig et à léna, il se fit recevoir docteur en droit àAlldorf, près de Nuremberg, avec une thèse à moitié juridiquo,à moitié philosophique, <strong>sur</strong> le sujet suivant :De casibus perplexis injure.Les dix années qui .suivirent (1666-1676) furent employéespar <strong>Leibniz</strong> à des voyages. Après avoir séjournédans différentes villes de l'Allemagne, il se rendit en1672 à Londres, en passant par Paris, puis eh 1673 ilvint s'établir à Paris, où il resta jusqu'à la fin de 1676.C'est pendant ces trois années qu'il devint à la fois écrivainfrançais et grand mathématicien. Les principauxsavants et lettrés avec lesquels il fut en relation pendantson séjour à l'étranger furent : à Paris, le théologien Arnauld,le physicien hollandais Iluygcns 'et le mathématicienlogicien allemand Wallhcr von Tschirnhauscn; àLondres, le chimiste Boylc et le mathématicien Gollins 1.En traversant la Hollande pour retourner dans son paysil alla voir, à Amsterdam, Spinoza, avec lequel il étaitdéjà entré en correspondance à propos d'une questiond'optique.En 1676 <strong>Leibniz</strong> fut nomme, par lo prince Frédéric doDrunswick-Luncbourg, conservateur de la Bibliothèquedo Hanovre, charge qu'il conserva jusqu'à sa mort. Ilreçut bientôt, en outre, la mission d'écrire l'histoire dela maison do Brunswick, cl entreprit môme, à co sujet,en 1687, un voyoge de trois ans en Allemagno et en liaiL Qui le mit l'eul-ilrç ai) courant des. travaux de Newton,


6 INTRODUCTION.lie. Pendant les.quarante années qui s'écoulèrent depuissa nomination à Hanovre jusqu'à sa mort, <strong>Leibniz</strong> participaactivement à toutes les affaires dans lesquelles setrouvèrent engagés les ducs de Hanovre. Il fut lo conseillerintime et l'ami des ducs Jean-Frédéric, Erncsl-Augusle, enfin de Georges-Louis, qui devait devenir roid'Angleterre sous le nom de George I*'". Nous croyonsinutile d'entrer dans le détail de la vie pour ainsi direpolitique de notre philosophe. Nous nous contenteronsd'en noter deux points importants : la manière activedont il contribua aux négociations entreprises, à la fin dudix-huitième siècle, pour amener un rapprochement entrel'Église catholique et l'Église protestante, et <strong>sur</strong>tout sesefforts pour favoriser lo développement de l'étude dessciences en Allemagne. La Société des sciences do Berlin,transformée en Académie en 1744, fut fondée par leroi de Prusse, Frédéric 1er,<strong>sur</strong> ses conseils. <strong>Leibniz</strong> passales années 1713-1714 ù Vienne, où l'empereur d'Autrichel'avait appelé comme conseiller particulier, revint àHanovre en 1711, et y mourut le 14 novembre <strong>1716</strong>.<strong>Leibniz</strong> commença de fort bonne heuro à philosopher.Il raconte lui-même que, à peine âgé de quinze ans, il se, promenait dans le parc de Leipzig, le lloscnllial, et y méditaitdes journées entières pour savoir s'il prendraitparti pour Uémocritc ou pour Aristotc. Son système,néanmoins, ne so forma pas en un jour; il « changea etrechangea », comme il lo dit lui-même, et co n'est qu'aprèsc une délibération do vingt ans » (vers 1680) queses principales idées furent arrêtées cl qu'il se trouvasatisfait.<strong>Leibniz</strong> n'a jamais exposé systématiquement sa doctrinedans un ouvrago de longue haleine. Les deux seulsgrands traités que nous ayons de lui, les <strong>Nouveaux</strong> Es-


INTRODUCTION. 7sais et la Théodicée, ne contiennent, ni l'un ni l'autre,toute sa pensée métaphysique. Elle est restée en partieéparso dans un nombre considérable do petits traités,d'articles de revues, et <strong>sur</strong>tout dans la correspondancequ'il entretenait avec les principaux savants de sontemps. Indiquons les litres do ses principaux écrits, doceux qu'il est indispensable do connaître pour comprendresa philosophie.Parmi les articles (publiés <strong>sur</strong>tout dans les Acta ErudilorumLipsiensium et dans le Journal des Savants):Méditâtiones de cognitione, verilate et ideis (abrégéd'une théorie do la connaissance : Acta, 1684).De primoe philosophioe cmendalione et notione substantioe(nouvelle conception de la substance : Ac/a, 1694).Système nouveau de la nature et de la communicationdes substances et Eclaircissement de ce système(premier aperçu de la théorie des Monades : Journal desSavants, 1695et 1696).De ipsa natura sive de vi insita actionibusque créalurarum(<strong>sur</strong> la force et le mouvement: Acta, 1698).Parmi les petits traités, écrits pour différentes personnes:Discours do métaphysique. (Résumé des principalesidées métaphysiques de Lcihniz, écrit pour Arnauld, aucommencement de 1686, et publié pour la première foispar Grolcfend, en 1816).ùe vent m originatione radicali (1697), publié parErdmann, d'après les manuscrits do la Bibliothèque deHanovre. (Sur les principes métaphysiques do l'explicationde l'univers.)La Monadologie, écrite pour le prince Eugèno doSavoie, en 1714, où <strong>Leibniz</strong> donne un résumé succinctde toute sa philosophie.


0 INTRODUCTION. '.''Les Principes de la Nature et de la Grâce, qui peuventêlrc considérés comme une autre rédaction do laMonadologie (1714).Parmi les lettres, nous indiquerons comme les plusimportantes :Quelques lellrcs à Bayle.La Correspondance avec Arnauld, do 1686 à 1690, enfrançais.La Correspondance avec de Volder, 1690:1706.La Correspondance avec le P. Desbosses, 1706-<strong>1716</strong>,en latin.La Correspondance avec Clarke, 1714-<strong>1716</strong>, qui s'arrêteà la mortdo <strong>Leibniz</strong>.Les <strong>Nouveaux</strong> Essais <strong>sur</strong> l'Entendement humain, enquatre livres, qui furent terminés vers 1704, et dont nousdonnons l'Avant-Propos et le premier livre, sont l'exposéd'une théorie générale do la connaissance humaine, opposéea celle de Locke.Les Essais de Théodicée, <strong>sur</strong> la bonté de Dieu, la libertéde l'homme et l'origine du niai (1710) ont pourobjet principal de justifier la Providence do l'existencedu mal dans le monde; <strong>Leibniz</strong> y expose (part. I, § 32sqq.) ses idées <strong>sur</strong> lo libre arbitre.LA PHILOSOPHIE DE LEIBNIZ, AVANT-I'ROrOS. .Les <strong>Nouveaux</strong> Essais do <strong>Leibniz</strong> sont, comme nous l'avonsdéjà dit, uno réfutation do la théorie de la connaissancehumaine quo Locke avait exposéo dans son Essaiphilosophique concernant l'Entendement humain. L'Ame


INTRODUCTION.Ôest-elle passive et purement réceptive comme une tabletteoù rien n'a encore été écrit, mais où tout peut êtreécrit, ou bien posscde-t-cllo une activité propre et peulellelirer de son fonds certaines connaissances qui dépassentl'expérience sensible? Telle est la question quoles Cartésiens cl Locke avaient posée, et résolue en sensdifférents. Cetto question pourrait être formuléo plusbrièvement ainsi: Y a-l-il ou n'y a-t-il pas en nous uneRaison ?Nous ne pouvons néanmoins nous borner, dans celteintroduction, à l'exposition de la théorie de la connaissancede <strong>Leibniz</strong>. <strong>Leibniz</strong> en effet, au cours de la discussion,s'écarte à chaque instant ""du problème particulierqu'il veut résoudre. Suivant son habitude, il saisit toutesles occasions pour développer une fois de plus les théoriesmétaphysiques qui lui sont chères. C'est ainsi quodans l'Avant-Propos cl même dans les premières pagesdu premier livre de ses Essais, il trouve moyen do revenir<strong>sur</strong> ses principales découvertes métaphysiques :l'Harmonie préétablie, la théorie des petites perceptions,le système des Monades. Il ost donc impossible de séparerdans celte élude la Théorie de la connaissance de laMétaphysique. La théorie de la connaissance tire d'ailleursses principes de la Métaphysique, car la questiondes principes de l'existence et la question des principesde la connaissance sont solidaires l'une de l'autre et sontpeut-être au fond une seule et mémo question. La doctrinedes idées de Platon, la doctrine des quatre causesd'Arislotc sont tout à la fois des systèmes logiques cldes systèmes métaphysiques. Le cartésianisme a fondéune science nouvelle, en fondant une nouvelle théorie dela connaissance. Lo système nouveau de la communicationdes substances, que <strong>Leibniz</strong> avait introduit dans la


10'INTRODUCTION.science philosophique, devait avoir pour complément unenouvelle théorie de l'entendement humain.Nous commencerons l'étude de la philosophie do <strong>Leibniz</strong>par la métaphysique, et nous passerons de la métaphysiqueà la théorio do la connaissance. Nous avonspour suivre cet ordre deux raisons : la première ost quec'est la méthode d'exposition qui semble présenter loplus de clarté ; la seconde est que c'est la marche quoparait avoir suivie la pensée de <strong>Leibniz</strong>. <strong>Leibniz</strong> a commencésa carrière philosophique par une réforme métaphysique.Nous le voyons pendant longtemps uniquementpréoccupé de substituer une nouvelle théorio do lasubstance à celle de Dcsffartcs. Co n'est quo plus tard,à l'occasion du livre do Locke, qu'il eut nettement consciencede la nécessité do compléter son oeuvre par unethéorie de la connaissance humaine et qu'il se décida àentreprendre un ouvrage <strong>sur</strong> ce sujet.Celte introduction sera donc divisée en deux parties :1° Esquisse de la Métaphysique de <strong>Leibniz</strong>;2° Théorie de la Connaissance.


PREMIÈREPARTIEESQUISSÉ DE LA MÉTAPHYSIQUE DE LEIBNIZ11APERÇUGKNE1UL.La Métaphysique cartésienne consistait essentiellementdans l'opposition de deux substances radicalement différentes,irréductibles l'une à l'autre, l'Étenduo et laPensée, l'Etendue identique à la Matière, la Pcnséo identiqueà l'Esprit. Spinoza comprit ce qu'il pouvait y avoird'arbitraire dans ce dualisme absolu. 11 pensa que laréalité devait être une, et des deux substances do Dcscartes,la Pensée cl l'Étendue, il fit deux attributs d'unosubstance unique, qu'il appela Dieu. <strong>Leibniz</strong> est, avecSpinoza, l'advcrsairo du dualisme cartésien. Mais, tandisque la substance do Spinoza reste une sorte de tout indivisible,<strong>Leibniz</strong> reconnaît l'existence d'une pluralité desubstances. H n'y a qu'un seul être pour Spinoza; il y ena une infinité pour <strong>Leibniz</strong>. En résumé, Ucscarles admetdeux espèces de réalités, Spinoza n'en reconnaît qu'une,mais celle réalité pour lui est renfermée tout entière1. Nous ne reviendrons pas <strong>sur</strong>les difficultés, déjà signalées dansl'introduction a la Monadologic.querencontre une exposition do ladoctrine métaphysique de <strong>Leibniz</strong>.Nous rappellerons seulement quecelle doctrine a varié et môme, <strong>sur</strong>certains points, n'est jim.ii.« parvenueà une forino délinitive, et que,d'autre part, <strong>Leibniz</strong> donnait uneforme difl'erente a ses idées suivantles lecteurs auxquels il s'adressait.L'interprétation idéaliste qi.c nousallons donner du système dosMonades nous semble la seulequi soit d'accord avec les textesdos dernières années de la vie deL-ibniz.


18 INTRODUCTION.dans un seul être. <strong>Leibniz</strong> commo Spinoza no reconnaîtqu'une seule espèce de réalité; mais cette réalité estpour ainsi dire morcelée en une infinité d'êtres. Telle estla pensée fondamentale quo l'on retrouve dans tous lesécrits métaphysiques de <strong>Leibniz</strong>. Nous allons essayer dol'exposersystématiquement.ILNOUVELLE THÉORIE DE LA SUIISTANCK.C'est la Physique qui parait avoir conduit <strong>Leibniz</strong> à sathéorie métaphysique de la Substance. Il so borna d'abordà modifier et à compléter l'explication carlésicnnodes phénomènes du monde physique, qui lui paraissaitinsuffisante, puis il la transforma complètement par uneconception toute nouvelle des substances et do l'univers.A la question: Quelle est l'essence dos corps? Descartesrépond : l'Étendue. Ce qui est réel dans un corps, ce n'estni sa couleur, ni sa teinpératuro, ni mémo sa pesanteurou la résistance qu'il oppose à nos efforts pour le déplacer,c'est l'étendue qu'il occupo dans l'espace. Quant auxcaractères des corps, ils se ramènent tous à des modesde l'étendue : leurs changements sont des mouvementsdans l'espace. Avec do la matièro et du mouvement Doscartesse flattait do reconstruire le mondo a priori.Quand <strong>Leibniz</strong>, élevé dans la philosophie scolastiquo,connut le système cartésien, il nous déclare lui-mémoqu'il l'adopta d'abord avec enthousiasme: « Leurs bellesmanières d'expliquer la nature mécaniquement mo charmèrent,et je méprisais avec raison la méthode de ceuxqui n'emploient que des formes cl des facultés dont ou


INTRODUCTION. 13n'apprend rien1). C'est qu'en effet les scolasliqucs, avecleurs formes et leurs facultés, ne donnaient que l'apparenced'une explication, tandis que Descartes, en ramenanttous les phénomènes à un principe simple, dont laraison trouve en elle-même la notion claire cl distincte,le mouvement, expliquait véritablement les changementsd'état des corps.<strong>Leibniz</strong> pourtant ne s'en tint pas longtemps aux principesde Dcscarlcs, ou tout au moins à la lettre de sesprincipes. Différentes considérations, les unes physiques,les autres métaphysiques, le conduisirent à perfectionnerd'abord l'explication mécanique des phénomènes,puisà remplacer la théorie cartésienne, qui opposait l'étendueà la pensée, par l'idéalisme absolu de la Monadologie.Voici quelles furent ces considérations.Les corps, suivant Descartes, ne sont que des portionsdo l'étendue ; tous leurs caractères sont des modes del'étendue, tous leurs changements sont des mouvementsdans l'étendue; aussi la science du monde physique nediffèrc-t-ello pas dejascience do l'étendue, c'est-à-direde la Géométrie. Cette théorie, qui est le fondement de lascience .cartésienne, reposait avant tout <strong>sur</strong> des raisonsa priori. Je conçois clairement et distinctement lamatière comme une chose étendue : donc l'étendue estl'essence des choses matérielles, donc les qualités descorps se ramènent aux modes de l'étendue. Mais encorefaut-il que la théorie, édifiée par la raison, s'accorde avecles faits, cl <strong>Leibniz</strong> n'eut pas de peine à démontrer qu'ily a certaines propriétés des corps, certaines lois desmouvements des corps, dont il est impossible de rendrecompto par la seule notion d'étendue.t. Sytltme nouveau,g 9.


14 "INTRODUCTION.Si l'essence des corps est l'élcnduo et rien quo l'étendue,les corps doivent être absolument indifférents aumouvement ou au repos; ils no doivent opposer aucunerésistanco aux impulsions qu'ils reçoivent. Or c'est unfait bien facile à vérifier que les corps résistent au mouvementet qu'il faut plus d'effort pour déplacer un grandcorps qu'un petit. Descartes lui-même enseigne dans sosPrincipes que tout corps qui rencontre et déplace unautre corps perd autant de mouvement qu'il en communiqueà ce corps. Mais pourquoi cette perte do mouvement,si les corps no sont rien qu'étendus? Descartes,pour répondre à celte question, invoquait la grande loisuivant laquelle la môme quantité de mouvement se conservetoujours dans lo monde. Si lo corps qui reçoit l'impulsiond'un autre corps se mettait en mouvement avectoute la vitesso de ce corps, il y aurait une véritablecréation de mouvement, puisque, au lieu d'un corpsanimé d'une certaine vitesse, il y aurait deux corps animésde celte même vitesse. C'est pourtant, répond <strong>Leibniz</strong>,ce qui devrait arriver si l'essence des corps consistaitseulement à être étendus en longueur, largeur et profondeur.< S'il n'y avait dans les corps qu'une masse étendue,et s'il n'y avait dans le mouvement que le changement doplace, et si tout se devait et se pouvait déduiro do cesdéfinitions toutes seules par une nécessité géométrique, ils'ensuivrait que lo moindre corps donnerait au plus grand,qui serait en repos et qu'il rencontrerait, la mémo vitessoqu'il a, sans perdre quoi que ce soit de la sienno 1. »Les choses no se passent pas ainsi, parce qu'il y adans lo corps qui reçoit l'impulsion, outre son étendue,une certaine force de résistance, cl dans celui qui donneI. Dite, de Miaph,, g il.


INTRODUCTION. 15l'impulsion une certaine force active qui triomphe de larésistance qui lui est opposée. On voit donc que la loicartésienne de la conservation de la même quantité demouvement suppose déjà que, l'essence des corps neconsiste pas seulement dans l'étendue.D'ailleurs, quand môme les Cartésiens pourraient accordercelte loi avec la théorie qui identifie l'essence descorps avec l'étendue, ils ne pourraient pas, avec leur?principes, expliquer celle autre loi, que deux corps quiont la même quantité de mouvement peuvent déployerune force active différente, ou, inversement, que deuxcorps peuvent déployer la même force active, sans avoirla même quantité de mouvement.t Je suppose qu'un corps tombant d'une ccrlainc hauteuracquiert la force d'y remonter, si sa direction leporlc ainsi, à moins qu'il ne se trouve quelques empêchements: par exemple un pendule remonterait parfaitementà la hauteur dont il c.sl descendu, si la résistancedo l'air cl quelques autres petits obstacles ne diminuaientun peu sa force acquise. Je suppose aussi qu'ilfaut autant de force pour élever un corps A, d'une livre, àla hauteur CD, do quatre toises, que pour élever un corpsB,do quatre livres,à la hauteur EF, d'une toise. Tout celaest accordé par nos nouveaux philosophes (les Cartésiens).Il est donc manifeste que le corps A, étant tombédo la hauteur CD, a acquis autant de force précisémentquo lo corps B, tombé de la hauteur EF; car le corps B,étant parvenu en F, et y ayant la force de remonter jusqu'àE (par la première supposition), a par conséquent laforco de porter un corps do qualro livres, c'est-à-direson propro poids, à la hauteur EF, d'une toise, et demême le corps A, étant parvenu en D et y ayant la forcedo remonter jusqu'à C, a la force de porter un corps


10 INTRODUCTION.d'uno livro, e'cst-à-diro son propro corps, à la hauteurCD, do quatro toises. Donc (par la seconde supposition) laforce do ces deux corps est égale. Voyons maintenant sila quantité do mouvement est aussi la mémo de part cld'autro 1, mais c'est là où on sera <strong>sur</strong>pris do trouvor unedifférence grandissime. Car il a été démontré par Galiléequo la vitesse acquiso par la chute CD est doublo do lavitesse acquiso par la chulo EF, quoique la hauteur soitquadruple. Multiplions donc lo corps A, qui est comme 1,par sa vitesse, qui est commo 2, le produit ouia quantitéde mouvement sera comme 2, et, de l'autre part, multiplionsle corps B, qui est comme 4, par sa vitesse, qui estcommo 1, lp produit ou la quantité de mouvement seracommo 4 : donc la quantité de mouvement du corps Aau point D est la moitié do la quantité de mouvement ducorps D au point F, et cependant leurs forces sont égales :I. La quantité de mouvement est la vitesse multipliée par la grandeurmobile.


INTRODUCTION. 17donc il y a bien do la différence enlro là quantité domouvement et la force, co qu'il fallait montrer '. >Ainsi deux corps peuvent déployer la même forco sansavoir la mémo quantité do mouvement. Lcihniz conclutde là que la < forco ou cause prochaine des changements> est quelque choso do différent dcl'étenduo, de lagrandeur, do la figure ot du mouvement, et quo < tout cequi ost conçu dans les corps ne consiste pas uniquementdans l'élcnduo et dans ses modifications ».H rcslo vrai sans doulo que < tout so fait mécaniquementdans la naturo corporelle », mais les principes dela Mécanique elle-mémo < sont plutôt métaphysiques quogéométriques et appartiennent plutôt à quelques formesou natures indivisibles >3. Ces formes immatérielles sontles principes de substance et de force que <strong>Leibniz</strong> appelales Monades.Mais <strong>Leibniz</strong> no s'en tint pas à celle modification de lathéorie cartésienne du mouvement. 11 no se borna pasà joindre à la notion géométrique do l'étendue et de sesmodes la notion métaphysique do la substance et de laforce. H no tarda pas à so convaincro que l'élcnduo etses modes no sont quo do pures apparences, des phénomènescomme la couleur cl la température, et il démontraquo la substance active, inétenduc et indivisible constitueà elle seule l'essenco des choses. Ici <strong>Leibniz</strong> devanceHa critique kantienne : il prouve, exactement par lesmêmes arguments quo Kant, l'inconccvabilité de la matièreétendue, si on veut la considérer commo chose en;soi et non comme phénomène : l'étendue matérielle estcomposée, le composé suppose le simple, or le simplematériel est inconcevable, impliquo contradiction et parV i. Disc, de Métaph., g 17. |LEIBNIZ.2. IbiJ., g 18.2


18 INTRODUCTION.conséquent n'a pasd'oxistouco réelle. < Jo m'aperçus,ditildans lo Système nouveau de lanature, publié en 1695,qu'il est impossiblo de trouver les principes d'uno véritableunité dans la matière seule... puisquo tout n'y ostquo collection et amas de parties à l'infini. Or la multiludone peut avoir sa réalité quo des unités véritables 'J .Mais comment trouver dans l'étenduo matérielle ces unitésvéritables, puisqu'un corpusculo, si petit qu'on losupposo, est encoro composé do parties, et ces parties departies, jusqu'à l'infini? Ces parties sont, il est vrai, in- .vinciblementattachées losunes aux autres, mais,commoil est toujours possible do les désunir, au moins par lapensée, on ne peut soutenir que dos agrégats do partiessoient des unités.c Supposons, dit <strong>Leibniz</strong>, qu'il y ait deux pierres, parcxemplo lo diamant du Grand Duc et celui du Grand Mogol; on pourra mellro un mémo nom collectif en ligne docomplo pour tous deux et on pourra diro quo c'est unopaire do diamants, quoiqu'ils so trouvent bien éloignésl'un do l'aulro; mais on no dira pas quo cos deux diamantscomposent uno substance. Or lo plus et lo moinsno font rien ici. Qu'on les approche donc davantage l'undo l'autre et qu'on les fasso toucher mémo, ils no serontpas plus substantiellement unis ; et quand après l'altou-.chôment on y joindrait quelque autro corps~propro à oui- .pécher leur séparation, par exemple si on les enchâssaitdans un seul anneau, tout cela n'en ferait quo ce qu'on .appelle ttiwmper accidens. Car c'çst commo par accident


INTRODUCTION. 19quo ces partios soionl indissolublement liées les unes auxautres; co no sont pas des unités véritables. Ainsi lesatomes do matièro sont contraires à la raison : il n'enoxiste donc pas. Mais, s'il n'y a pas d'atomes de malière,quollo est donc l'unité véritable, qui oxiste réellementhors do notro esprit? Celto réalité, répond <strong>Leibniz</strong>, n'estautre quo la Substance ou Force immatérielle. < 11 n'y aquo los atomes de substanco, c'est-à-dire les unités réelleset absolument destituées de parties, qui soient les sourcesdes actions et les premiers principes absolus do la compositiondes choses et comme los derniers cléments dol'analyse des substances. On pourrait les appeler pointsmétaphysiques... Ainsi les points (c'est-à-diro les atomes)physiques no sont indivisibles qu'en apparenco ; lespoints mathématiques sont exacts (c'est-à-dire de vraispoints inétendus), mais co ne sont que des modalités (desabstractions); il n'y a que les points métaphysiques oudo substance... qui soient exacts cl réels, et sans eux iln'y aurait rien do réel, puisque sans les véritables unitésil n'y aurait point do multitude * ».La conclusion de tout ce raisonnement, c'est quo l'étenduematérielle n'a aucune réalité, puisqu'il eslimpossiblodo concevoir les éléments simples dont clic devrait êtrecomposée. Ainsi l'élude des lois du mouvement avaitconduit <strong>Leibniz</strong> à ajouter à la notion d'étendue qui, pourDescartes, suffisait à rendre compte des corps et de leurschangements, la notion de force. L'analyse de la notion'étendue le conduit maintenant à résoudre la malièren atomes inétendus de substance et à déclarer quo lacule réalité dont la raison puisse concevoir l'existence,'est la Forcoinétendue.1. Systime nouveau, g il.


20 INTRODUCTION.On verra dans l'Avant-Propos dos <strong>Nouveaux</strong> Essais quo<strong>Leibniz</strong> invoque encoro contro l'existence des atomes unautre argument, fondé, non plus commo celui quo nousvenons do résumer, <strong>sur</strong> le principodo Contradiction, mais<strong>sur</strong> lo principe do Raison Suffisante, principe en vertuduquol le inondo doit réalisor la plus grande somme possiblede perfection. Un atomo de matière serait quoiquechose d'inorto, dans quoi rien ne vivrait plus; et lo principedo Raison Suffisante veut quo la naluro soit organiséejusqu'à l'infini,car l'organisation estune perfection.D'autre part, les atomes que l'on supposo seraient toussemblables et même identiques les uns aux autros ; ils nedifféreraient que numéro, et cela encoro serait uno imperfection,une véritable pauvreté *. Le monde que l'Etroparfait a jugé le meilleur des mondes possibles et qu'il apour celto raison admis à l'existence, doit être non seulementorganisé, mais encore varié à l'infini. 11faut doncque chaquo molécule de matière, si petite qu'on la suppose,contienno une infinité de parties, et quo l'ordre deces parties ne soit jamais le môme dans deux moléculesdifférentes. En un mol le meilleur des mondes doit étroinfini, et, si les corps pouvaient so résoudre en atomes,l'univers serait fini, comme notre esprit; et c'est mémopour cette raison que noire esprit borné adoplc si facilementl'hypothèse atomistique. Mais en réalité il n'y a pasd'atomes matériels, il n'y a quo des atomes immatériels,1. t H n'y a point deux individus en chercher. Deux goultos d'eau ouindiscernables. Un gentilhomme de lait regardées par le microscoped'esprit de mes amis, en parlant se trouveront discernables. C'estavec moi en présence de Mndamo un argument contre les atomes,l'Élcclricc, dans lo jardin de llerrenliauscn,crut qu'il trouverait bien le vide par les principes de la vé-qui ne sont pas moins combattus quedeux feuilles entièrement semblables.Madame l'Élcclricc l'en défia iv« lettre à Clarhe, g 4 ; Erdm.,ritable Métaphysique. » (<strong>Leibniz</strong>,et il courut longtemps en vain pour p. 155.)


INTRODUCTION.ilqu'il faut concevoir à l'imilalion de la notion quo nousavons des àmos. Cos atomes immatériels, ces âmes sontlos Monades. Quant aux corps étendus, nous verronsqu'ils so réduisent à do pures représentations des Monades:t Corpora omma cum omnibus qualitalibus suisnon sunt aliud quam phoenomena... ut iris. >IIILESMONADES1» La Force et la Perception.La réalité so compose donc d'unités do Force. Cesunités tout immatérielles, en nombre infini, sont les Monades.Partout où nos sens nous font percevoir un corpsétendu, notre raison doit seulement admettre l'existenced'un agrégat de Monades inétenducs. Les particules matériellesqui composent ce corps pour notre représentationsensible sont de simples phénomènes et n'ont aucuneexistence absolue. Mais, à chacune de ces particules, endescendant jusqu'à l'infinimcnt petit, correspond, dans lemonde réel qui échappe à nos sens, un principe de résistanceet d'action. Tout point physique n'est pour ainsidire que l'expression phénoménale d'un point métaphysique.Le dynamisme do <strong>Leibniz</strong> présenterait peu de difficultés,si la Monade y était restée un simple atome do forcoaveugle. Mais il n'en est pas ainsi. Dès les premiers écritsdo <strong>Leibniz</strong>, nous voyons, à la notion de Force, s'ajoutercelle do perception, de conscience. Dans le Système nouveaude la nature où <strong>Leibniz</strong>, pour la première fois,expose systématiquement les principes de sa métaphysique,les atomes substantiels 1


22*INTRODUCTION.chose do vital ot uno espèco do perception >. Ils « exprimentl'univers ». La perception somblo no pouvoir etrodistinguée do l'effort; tout acte se traduit en penséo. Dansla Monadologie, les deux notions sont encoro réunies.Celle do perception prend seulement une plus grande importance.La Monade est, avant tout, un miroir do l'univers,mais toulo perception est en mémo temps une tendance.Lo passago de l'idéo d'effort à l'idéo de pcrcoplion estpeut-être lo point lo plus obscur de la philosophie do<strong>Leibniz</strong>. Nous ne saurions résoudro définitivement unoquestion <strong>sur</strong> laqucllo <strong>Leibniz</strong> lui-même ne s'est jamaisclairement expliqué. Indiquons seulement une solutionqui semble justifiée par les textes.Essayons d'abord do nous représenter comment unatome, ou plutôt une molécule physique, matérielle, dumonde de nos sens, peut exprimer tout l'univers. Nouschercherons ensuite à concevoir l'expression de l'universdans la Monade spirituelle.Toutes les parties du monde sont tellement liées entroelles, qu'il ne peut s'y produire aucun changement quin'ait, pour ainsi dire, son retentissement dans l'universtout entier. La chute d'un arbre, par exemple, sera ressentiepar toutes les particules de matière dont se composele inonde, sans exception aucune; distinctement parcelles qui sont voisines du lieu où l'arbre est tombé, confusémentpar les autres, et de plus en plus confusément,à me<strong>sur</strong>o quo l'on s'éloigne de ce lieu. Mais, si faible quesoit le contre-coup, il s'étendra jusqu'aux parties les plusreculées, non seulement de la terre, mais du monde entier,à cause, dit <strong>Leibniz</strong>, c do la connexion de toute lamatière dans le plein1 ». En effet, comme il n'y a pas do1. Monadol.,% 02. Cf. Corresp. avec Amauld, lettre xxtv.


INTRODUCTION. 23vide entre les choses, il est impossiblo d'assigner unpoint où l'ébranlomont devra cesser do so propager. Iln'est donc pas do molécule do matière, si petite qu'on lasuppose, qui, à chaque instant, no ressente, c'est-à-diro,suivant <strong>Leibniz</strong>, n'exprimo, plus ou moins distinctement,la totalité des changements <strong>sur</strong>venus dans l'univers.Considérons maintenant la Monado qui correspond,dans la réalité, à tout point du mondo do nos sens. Dansla Monade, l'ensemble des impressions subies par la moléculeétenduo prend la formo d'efforts do résistance.Chaquo Monado exerco donc, pour ainsi dire, autantd'efforls qu'il so produit de changements dans le monde,et c'est do celle manière qu'elle exprimo tout l'univers.c Celte expression arrive partout, parce quo toutes les substancessympathisent avec toules les autres et reçoiventquclquo changement proportionnel, répondant au moindrechangement qui arrive dans l'univers1.» Ainsi l'universentier ost contenu dans toute Monade sous la formod'une infinité do tendances ou efforls. Il resto maintenant,pour arriver à l'expression consciente des choses,à admettre avec <strong>Leibniz</strong>, sans l'expliquer toutefois, quel'effort est en même temps perception, et que la perceptionpeut devenir sentiment, conscience. < L'Expression estcommune à toutes les formes, et c'est un genro dont laPerception naturelle, le Sentiment animal et la Connaissanceintellectuelle des choses sont des espèces 3. » L'effortso projette donc pour ainsi diro en représentations,et il n'y a pas d'acto d'énergie qui ne soit accompagnéd'un degré quelconque de penséo. c Je crois que la penséei.Cor.avecArnauld,lettrexxtv. | 2. Ibid.


2tINTRODUCTION.consiste dons l'effort •>, écrit <strong>Leibniz</strong> à Amauld: cogilationemconsistere in conatu '.Lo mondo n'est donc plus seulomcnt composé do principesdo force aveugle, mais d'une infinité d'êlros dont lafonction essentielle est la perception. Toute substancoactive est substance pensante Mais quello csl lu nature,l'origine de ces efforts cl do cos perceptions? Elles nosont pas provoquées, commo on pourrait lo croiro, parl'action des Monades les unes <strong>sur</strong> les autres, elles naissentspontanément du fonds même de chaque Monado. Nousallons étudier maintenant la théorio dos Monades sous cenouvel aspect.11 est un point <strong>sur</strong> lequel <strong>Leibniz</strong> no vario jamais, c'estquo la Monado immatérielle ne reçoit aucune influencequi lui vienne do l'extérieur, et n'exerce aucune espèced'action hors d'elle-même. Toute substance est pour ainsidiro isolée, sans rapport avec les autres substances, c LaMonade n'a point do fenêtres par lesquelles quelquechoso y puisse entrer ou sortirs. » — t Tout lui naît doson proprofonds 3. » Il serait facile de multiplier les citalions.Comment expliquerons-nous donc celte c Expressionde l'univers > en termes d'efforts ? Si la Monade no reçoitrien du dehors, quel sens donnerons nous aux mots :Effort, Aclo, Gonalusl 11scmhlc iinpossiblcTde résoudrece problème, si l'on no voit au fond de toute la métaphysique<strong>Leibniz</strong>icnno, un idéalisme absolu, qui so découvreseulement- d'une manièro plus ou moins explicite, dansles différents écrits de noire auteur. Toute celle séried'efforts, qui expriment les changements de l'univers cn-1. Corresp. avec Amauld, lettrelatine (Grolcfciul, p. 142).2. Hlonadologie, g 7.3. Système nouveau, g 11.


INTRODUCTION. 25lier, toutes los perceplions liées à ces efforls, la Monadolos tire do son soin et les déroulo par une activité toutosponlanéo. A cet égard, los textes de <strong>Leibniz</strong> sont formels.Le mondo sensible n'est autre chose pour chaqueMonade quo l'cnsomblo do ses efforls et do ses représentations.H n'oxiste pour elle quo ses propres étals. Ellerenferme donc en elle-même, suivant l'expression si souventrépétéo do <strong>Leibniz</strong>, un € Univers concentré 1 ». L'universn'est pas un: il so trouve reproduit autant do foisqu'il existe do substances. Nous verrons plus tard co que<strong>Leibniz</strong> pensait des corps et do la malière, et quelle sorlod'existence il leur attribuait.Voyons d'abord en quoi consistent les perceptions desMonades.i° IJCS perceptions de la Monade.Lo contenu de chaque Monade comprend deux élémentsinséparables en réalité, et que nous no distingueronsque par une analyse idéale 1° l'Effort ou tendance; 2° laPerception liée à l'effort. Occupons-nous d'abord do laPerception, ol, pour plus de clarté, considérons la Perceptiontelle quo nous la trouvons dans la seule Monadequi nous soit directement connue, c'est-à-dire dans notrewio». La Monado est un miroir de l'univers. Nous savonsdans quel sens <strong>Leibniz</strong> affirme qu'elle exprime l'universjusquo dans ses derniers détails. Seulement cette expressionn'est accompagnée d'une conscience claire que pouruno très petite parlio de l'univers, celle qui est en rap-1. Il y a comme autant de différentsunivers, qui ne sont pourtantque les perspectives d'un seul (J/onadologle,g 57).< Mon.is, ut anima, est velutmundusquidamproprius. * (Lettre xvitlau 1>. Desbosscs, éd. Erdmarinp. CSO, col. 2.1.


26 INTRODUCTION.port direct avec noire corps (notro corps étant lui-mômeuno représentation do notro Monade).<strong>Leibniz</strong> distinguo trois degrés dans la perception :1° La perception obscure, qui no suffit pas pour quol'àmo distinguo la chose perçue Ainsi un souvenir cachédans les replis do notro àmo, cl qui no nous est pas présent,est uno perception obscuro do notre Monado. Nouspercevons encoro d'une façon obscure les phénomènes quinous affectent, mais quo nos sens no sont pas assez délicatspour discerner; par oxcmplo, un coup do canon enAmérique los mouvements de la lympho do notro corps.Dans quelques cas, un grand nombre do perceptions obs-'cures peuvent donner lieu à un état de conscicnco vague :c Ainsi, écrit <strong>Leibniz</strong> à Arnauld, nous sentons quoiquerésultat confus de tous les mouvements qui so passent ennous, mais, étant accoutumés à ce mouvement interne,nous no nous en apercevons distinctement quo lorsqu'ily a une altération considérable, commo dans les commencementsdo maladie 1 ».2° Lorsque nos perceptions ont assez do relief pour qu'ilsoit possible à l'âme do les distinguer les unes des autres,<strong>Leibniz</strong> leur donno lo nom de sentiments 2. Telles sontles perceptions des sens proprement dits. Dans les <strong>Nouveaux</strong>Essais il propose de distinguer entre la Perceptionet l'Aperccption, celle-ci étant seule accompagnée d'uneconscience distincte ; ainsi nous nous apercevons des sons,des couleurs, mais nous no nous apercevons pas despetites impressions infiniment nombreuses qui donnentlieu à une sonsation visuelle ou auditive. Nous nous apercevonsdu bruit de la mer, et nous no faisons queperce-\. Corresp. avec Arnauld, lettrexxtv. Cf. Monadologie, §20-25.la2. Principes de la nature et degrdee.


INTRODUCTION. 27voir obscurément lo bruit produit par chaquo vague Laperception clairo, suivio do mémoire, est la perceptionproprement animale. Elle n'est pas particulière àl'homme3° Enfin, il y a un troisièmo degré de connaissance quidistinguo l'hommo des animaux, c'est la connaissance rcflexivoou scientifiquo, qui résulte de l'application desprincipes a priori do la raison aux données do l'expériencesensible La raison est le pouvoir do découvrirdos vérités valables objectivement cl pour toute intelligence,comme celle-ci, par exemple: les trois anglesd'un triangle sont égaux à deux droits. Or il n'y a devérité quo pour l'intelligence humaine L'animal est seulementcapable d'être modifié, jamais il no s'élèvo à lanotion du vrai. Nous verrons plus tard que celle connaissanceréfléchie de la vérité repose <strong>sur</strong> deux grands principesunis dans la raison, le principe de Contradiction etle principe de Raison Suffisante 1.3° Le point de vue de la Monade.La Monade perçoit tout l'univers, mais elle ne perçoitclairement que la partie infiniment restreinte de cet universqui so trouve en rapport avec lo corps dont elle estl'enléléchio. Notre corps est la partie de l'univers quenotre Monade, c'est-à-dire notro Ame, perçoit avant toutes•les autres, et celles-ci ne sont perçues que par l'intermédiairedu corps et relativement à ce corps. Ainsi, lorsqueje suis dans ma chambre, l'objet qui m'est tout d'abordreprésenté, c'est mon corps, assis, par exemple, puis, devantce corps, une table, autour de lui des meubles, desmurs, uno fcnêlro, etc. Si je fais une promenade, mon1. Uonaiol., g§ 29 et 30.


28 INTRODUCTION.corps m'est représenté debout et en mouvement, et, autourdo ce corps, des arbres, des maisons, d'autres hommes,etc. Notro Monado se rcprésonlo donc t un corpsexprimant tout l'univers par la connexion do la matiôrodans le plein1 », et, par suite, c elle représente tout l'universen représentant co corps qui lui appartient d'unemanière particulière ». Mais, lo corps ne pouvant exprimerdistinctement, ainsi quo nous l'avons vu, qu'unepetito partie des choses, notro àmo n'a do perceptionclaire quo d'une petito partie dti monde. Tous los autreschangements qui so produisent dans l'univers sont encoroperçus, mais obscurément, c'est-à-dire sans conscience.Le corps détermine co que <strong>Leibniz</strong> appello lePointde vue do la MonadeNous savons qu'il existe un nombre infini de Monades.Partout où nous percevons uno élonduo matérielle quelconque,nous sommes en droit d'admettre l'existence deMonades douées, comme la nôlre, d'uno certaine forced'action cl de représentation. Chacune do ces Monadesexprime le mémo univers que la nôlre, mais d'un pointdo vue différent : c'est-à-dire que la petite portion del'univers qui est le plus distinctement représentée, n'y estpas la mémo que dans notre Ame Le point de vue d'uneMonade quelconque se trouve placé précisément à l'endroitoù, dans le monde do nos sens, nous percevons lepoint matériel qui lui correspond. Je vois, par exemple, unanimal devant moi. Je puis affirmer qu'il y a là une Monadedans laquelle les objets que jo perçois se trouventégalement représentés, mais do co corps d'animal prispour point de vueEt ce n'est pas seulement aux corps des animaux quei. Monadol., g Ci.


INTRODUCTION. 29correspondent dos Monades, mais encoro aux végétaux,aux plus petites plantes, mémo aux corps inorganiques.Et do plus il ne faut pas seulement concovoir uno Monadopour la totalité du corps, mais encoro pour chacunodo ses parties, on descendant jusqu'aux plus petites. Ainsiil y a, pour notro corps, uno Monade dominante, qui cslnotro Amo ; il y a des Monades de chacun do nos grandsorganes, do chacun de nos muscles, do chacuno des fibresdo ces muscles, do chacuno dos cellules vivantes do noireorganisme H y a autant de Monades que de points mathématiquesdans le inondo sensible 1. Seulement il n'y aqu'un très petit nombre do ces Monades qui soient douéesdo perceptions conscientes.L'Amo humaine a sculo des perceptions réfléchies; lesAmes des animaux n'ont que des perceptions du seconddegré 2, claires chez les animaux supérieurs, do plus enplus obscures à me<strong>sur</strong>e que l'on descend vers les espècesinférieures. Dans lo végétal, la perception est tombée àun degré d'obscurité que nous no pouvons plus nous figurer.Les perceptions d'un arbro sont commo ces souvenirsperdus qui existent quelque part dans noire âme,mais que nous no pouvons pas retrouver. Dans le rocher,la pierre, la perception csl absolument obscure: l'effortsubsisteinconscient.L'univers so trouve donc reproduit un nombre infinide fois, puisque chaque Monade l'exprime et ne reçoitpourtant aucune impression d'un être quelconque situéen dehors d'elle. Il y a autant d' « univers réduits » quei. i On pourrait les appeler point, veau, édition Erdmann, p. I2G.métaphysiques: les atomes de substanceet les points mathémati-douée de sentiment, et Esprit, la2. <strong>Leibniz</strong> appcllo Ame la Monadeques sont leur point do, vue pour Monado capable de connaître laexprimer l'univers. » (Syslimenou- vérité.


30 INTRODUCTION.de Monades. Lo mémo ensemble de phénomènes variés àl'infini est répété dans chaquesubstance : seulement lapetite partie du monde qui s'y trouve exprimée le plusdistinctement (ou le moins confusément) n'est jamaisexactement la même dans deux Monades différentes.Toutes les parties do l'univers ont leur expression, maisle maximum do clarté de cette expression ne se trouvejamais dans la môme Monade pour deux parties différentesde l'univers. Prenons un exemple: Si jo suis dansma chambre, à Paris, ma Monade ne perçoit clairementqu'un petit coin de Paris, L'intérieur do mon cabinet detravail, par exemple Mais au même moment d'autresMonades, celles des passants, perçoivent clairement lafaçade de ma maison et toute ma rue, d'autres les jardins,les boulevards, si bien que tous les coins et recoinsde Paris se trouvent distinctement représentés dans deuxmillionsd'âmes.4° Le monde des corps et la matière.H résulte clairement de loulo coite analyse que, suivant<strong>Leibniz</strong>, il n'existe pas, comme lo croyaient Malcbranchoet Descartes, doux sortes do substances, l'unepensante et inétenduc, l'autre matérielle et étendue, maisune seule espècodo suhstanco, inétenduc, spirituelle, quia pour caractère la forco cl la pensée.Il devient dès lors impossible do comprendre la doctrinedes Monades, si l'on n'y voit un idéalisme conséquent,à la' manière de Berkeley. Les corps, les chosesno peuvent élro que des perceptions, des idées. Nous nedissimulerons pas toutefois que, <strong>sur</strong> ce point, <strong>Leibniz</strong>n'est pas toujours parfaitement d'accord avec lui-mêmeOn pourrait citer des textes nombreux où il semble par-


INTRODUCTION. 31tisan d'un réalisme voisin de celui de Dcscarlcs. H opposel'àme au corps, comme un purcartésien. Il va mêmejusqu'à parler de ses Points métaphysiques, de sesAtomes formels, commo do véritables choses, siluéesdans l'espace 11 définit les corps c des agrégats do Monades», comme si des Monades spirituelles pouvaientoccuper des places les unes par rapport aux autres". Hest donc bien vrai qu'une interprétation purement idéalistedo la doctrine des Monades rencontre de grandesdifficultés ; elle a contre soi des textes nombreux et précis.D'un autre côté, comme les textes idéalistes ne sontguère moins nombreux et sont tout aussi précis, la seulechose qui resto à faire est do chercher à découvrir quelssont les plus conformes au fond de la pensée de leurauteur. Or nous savons quo <strong>Leibniz</strong> so faisait réaliste,quand il le jugeait utilo pour l'intérêt de sa philosophieH n'osait pas être idéaliste avec tout le monde Peut-êtredonc suffit-il quo quelques-uns de ses écrits, et, au pointde vue métaphysique, les plus importants, soient favorablesà l'idéalisme, pour qu'il soit permis d'adopterl'interprétation qui seule parait conséquenteNous savons par quel argument décisif <strong>Leibniz</strong> estconduit à nier l'existence do l'atome matériel cl par conséquentdo la malière elle-même : c'est que l'atome matérielest contraire à la raison. L'ntomo matériel estcontrairo à la raison, d'abord parce que les termes domatériel et û'atoms ou do simple so contredisent, et,d'autre pari, parce quo lo meilleur des mondes, oeuvred'un Dieu parfait, ne peut être fini et par conséquent nosaurail se résoudre en un nombre fini de parties indivi-1. Go qui no l'cinpéclie pas d'énii-oau i\ Dcsbosscsi %Monadesesse partes corporum, tangere sese,componcre corpora, non mngis dicidébet, quant hoc de punclis cl nulinabusdicerc llcet.» (Lettre xvin.)


32 INTRODUCTION.sibles. L'univers n'est pas seulement infini, en co sensqu'il n'a de bornes ni dans le temps ni dans l'espace,mais encore en ce sens qu'il est actuellement divisé àl'infini. Une particule de matière quo nous distinguonsà peine au microscope est encore un agrégat do parties :« Chaque partie de la matière peut être conçuo commeun jardin plein de plantes et commo un étang plein depoissons. Mais chaque rameau de la plante, chaquo membrede l'animal, chaque goutte de ses humeurs estencore un tel jardin ou un tel étangl. » On peut doncprolonger à l'infini l'analyse de la matière, jamais onn'atteindra quelque chose dont on puisse dire : Voici véritablementun être H n'y a donc aucune réalité dans lamatière Les corps sont de simples phénomènes dans lesquelsle tout existe avant les parties ; notre pensée a ledroit de les subdiviser toujours, mais sans jamais pouvoirterminer son travail. Aussitôt qu'elle veut sonderla matière, elle no trouve quo le vide; ses regards seperdent, comme les rayons d'un phare dans l'infini dol'espace.<strong>Leibniz</strong> est souvent revenu <strong>sur</strong> cette idée que les corps,avec toutes leurs qualités, ne sont que des phénomènes,des apparences:c De corporibus demonstrare possumnon tanlum lucem, calorem, colorem et similes qualitalcsesse apparentes sedet molnm et figurant et exlensionem.Et, si quid est reale, id solum esse vim agendiet paliendi*. » Dans YExamen des principes du P. Malebranchc'Wdit plus clairement encore: < Il y a mêmegrand sujet de douter si Dieu a fait autre chose que desMonades, ou des substances sans étendue, cl si les corpssont autre chose que des phénomènes résultant do cesI. Monadologie,%(Hl. 2. Er ni., u'iAiii, p 415.


INTRODUCTION. 33substances 1 ». En effet, puisquo la Monade no reçoit aucuneinfluence du dehors, pourquoi supposer, par exemple,derrière l'arbre quo je vois, touche, sens, un aulrc arbreréel, dont je n'ai aucun moyen de constater l'existence? Elpourtant <strong>Leibniz</strong> no croit pas que l'univers ne soit autrechose qu'une somme d'apparences et de vaincs images,se succédant <strong>sur</strong> le miroir de la Monade. Ces images necorrespondent pas à des réalités matérielles, qui seraientinconcevables; mais elles correspondent pourtantà quelque chose. Fouchcr, dans ses objections au Sys*tème nouveau, demandait avec beaucoup de raison :< D'où vient que Dieu no se contente pas do produiretoutes les pensées et modifications de l'Ame, sans qu'il yait des corps inutiles que l'esprit ne saurait ni connaîtreni remuer 8? » Et <strong>Leibniz</strong> répondait: « C'est que Dieu avoulu qu'il y eût plutôt plus quo moins de substances,et qu'il a trouvé bon quo ces modifications de l'âme répondissentà quelque chose en dehors 3 ». Quel est donc coc quelque chose » qui n'est pas une réalité matérielleet qui pourtant est réel? Ce quelque chose ne peut êtrequo les perceptions des autres Monades. Ce qui fait laréalité de cet arbro que je vois, c'est qu'il n'existe pas seulementpour moi, mais qu'il so trouve répété, clairementou obscurément, dans un nombre infini de Monades. Voilàco qui fait du contenu do mes perceptions plus qu'uneapparence, plus qu'un phénomène subjectif de ma conscienceL'univers est objectif en ce sens qu'il est le mêmepour toutes les Monades. Co point de la pensée de <strong>Leibniz</strong>deviendra plus clair quand nous aurons exposé la doctrinede l'Harmonio préétablie.i. tërdmann, p. 035, col. ,2.2. tirdmann, p. 130, col. 1.LEIDXIZ.3. Wyel l'édition d'Erdinaniip. 132, col. 1.


34 INTRODUCTION.IVL'HARMONIEPltÊÉTADLIE<strong>Leibniz</strong> à exposé l'Harmonie préétablie, comme laplupart de ses idées, de plusieurs manières assez différentescl difficilement conciliablcs. 11 donne à sa théoriotantôt une formo populaire, qui semble avoir pourbut principal la diffusion de sa doctrine, tantôt, au contraire,une formo toute métaphysique, qu'il réservo pourun petit nombre de ses correspondants.La première forme de l'Harmonie préétablie repose <strong>sur</strong>la conception d'un dualisme de la pensée et do l'étendue,cl resto parfaitement conciliante avec lo cartésianisme<strong>Leibniz</strong> se propose, en effet, d'expliquer les rapports dol'âme et du corps, conçus à la manière cartésienne,commo deux substances également réelles, quoique radicalementdifférentes et incapables d'exercer aucune actionl'une <strong>sur</strong> l'autre. C'est dans les éclaircissements duSystème nouveau que l'idéo do l'Harmonie préétablie soIrouvo pour la première fois exposée <strong>Leibniz</strong> essaye dela rendro sensible par la comparaison célèbro des deuxhorloges 1. H s'agit d'expliquer comment de? phénomènesdo pensée peuvent donner lieu à des phénomènesdo mouvement, ol inversement : comment, par exemple,le désir cl la résolution d'atteindre un certain but peuventproduiro dans lo corps les mouvements nécessaires pouratteindre ce but. Les modifications de l'àino no sauraientavoir aucune action <strong>sur</strong> celles du corps. C'est par unosorte d'inconséquence que Descartes avait accordé à1. Secondéclaircissementdu Systime nouveau (Erdm., p. 133)-


INTRODUCTION. 33l'âme lo pouvoir do changer la direction des esprits animaux.Admettre, d'un autre côlé, avec Mulcbranche, quoDieu produit à chaque instant, dans le monde des corps,des phénomènes correspondant à ceux du monde desâmes, ou dans les âmes des états correspondant à ceuxdes corps, c'est recourir, d'une façon peu philosophique,à un véritable deus ex machina. La seule explicationqui reste est donc celle d'une harmonie ou correspondanceétablie de toute éternité entre la série tout entièredes états de l'âme et la série totale des étals du corps.Tous les mouvements d'un corps sont des conséquencesimmédiates do ses élats antécédents, de sorte que, depuisla naissance jusqu'à la mort, toutes les modificationsde notro être matériel forment une succession continue,réglée par les lois de la mécanique. Toute modification denotro pensée trouve do même sa raison suffisante dansune pensée antécédente. La série de nos pensées forme,elle aussi, une chaîne continue et indépendante, depuisla naissance jusqu'à la mort. Mais Dieu a prévu, dès l'originedes choses, les séries des mouvements des corps etles séries des perceptions des Monades, cl il a disposéces séries do telle façon qu'il y eût toujours entre ellesune parfaito correspondance C'est en verlu do cet accordquo chacuno de nos volitions, par exemple, est immédiatementsuivie, dans lo corps, des mouvements souhaités.Dieu a agi comme un horloger qui aurait réglé lamarche do deux horloges différentes, pourvues chacuned'un mécanisme indépendant, d'une façon tellement parfaite,que les mouvements de l'une fussent toujours enconcordance avec ceux de l'attire, comme si elles obéissaientà un seul mécanisme.On voit quo celte ihéorio suppose uno dualité d'être,uno opposition de l'âme et du corps, qui est étrangère


§6 INTRODUCTION.au fond de la métaphysique de <strong>Leibniz</strong>. Nous savons que<strong>Leibniz</strong> n'admet qu'un seul genre de substance doué doforce et do conscience : « Ces perceptions ou expressionsdes choses, dit-il, arrivent à l'âme en verlu do ses propreslois, comme s'il n'existait rien que Dieu et elle1». LaMonade ne connaît que ses tendances cl ses perceptions,et le monde matériel n'est autre chose quo ces perceptionsmêmes; il no saurait donc être question d'établirune correspondance entre les perceptions de la Monadeet les modifications d'un monde matériel extérieur à elleAu contraire, il importe fort d'expliquer l'accord entreles perceptions des Monades différentes. Les Monades,en nombre infini, représentent toutes lo même univers,qui csl reproduit dans chacune d'elles. Voilà déjà uneharmonie qui a dû être réglée par Dieu. Mais, bienplus, les Mottadcs perçoivent toutes le monde à unpoint de vue différent, et il faut que l'accord soit établientre les points do vue do toutes les Monades. Par exemple,je cause avec un ami. Je me représente ma proprepersonno devant uno autre personne cl causant avecelle. C'est mon point do vue pour percevoir le monde.Mais, au même moment, une autre Monade, l'âme demon ami, doit so représenter sa personne vis-à-vis dela mienne, et causant avec elle : et cela bien que chacunodos deux Monades tire toutes ses perceptions deson propre fonds. C'est dans celte correspondance entreles perceptions do substances qui no communiquent nientre elles ni avec aucune réalité extérieure que consistecette harmonie vraiment merveilleuse que <strong>Leibniz</strong> regardaitcommo la principale découverte de la philosophieDans le Système nouveau, qui parait pourtant eni Erdmann, p. 131.


INTRODUCTION. 37grando partio réaliste, <strong>Leibniz</strong> parle déjà d'un accordparfait entre toutes les substances qui se représentent lomême univers à différents poinls de vue Dans tous lesécrits, lettres, opusculos, où il semble découvrir lo fondde sa pensée, la question qui le préoccupe est d'expliquer,non pas l'accord entre une substance pensante etuno substance matérielle, mais l'accord des perceptionsentre toutes les substances pensantes. Et l'idéo qu'ilcombat n'est pas celle d'une influence do la matière <strong>sur</strong>la pensée, mais celle d'une influence des Pensées lesunes <strong>sur</strong> les autres. Dans lo Second éclaircissement duSystème nouveau, où l'expression d'Harmonie préétablieso trouve employée pour la première fois, nouslisons : « Il y a, selon moi, des efforts (ajoutons: et desperceptions) dans toutes les substances (Monades); maisces efforts ne sont proprement quo dans la substancomême, et co qui s'ensuil dans los au1res n'est qu'enverlu d'une harmonie préétablie, et nullement par unoinfluence réelle ou par uno transmission de quelque espèceou qualité ». C'ost peut-être dans les lettres auP. Desbosses que so trouvent les toxles les plus décisifs.<strong>Leibniz</strong> y réduit lo monde sensible à des perceptions deMonades on accord les unes avec les autres, Monadumpercepliones inter se conspirantes, en renonçant à toulosubstance corporello, seposita substantia corporea. L'accordqui existo entre les perceptions des Monades nopeut s'expliquer ni par l'influence d'une substance corporelleagissant do la même façon <strong>sur</strong> toutes, ni parune action réciproque des Monades les unes <strong>sur</strong> les autres.Cet accord a donc dû être préétabli par Dieu : Har*monia phoenomenorum (les perceptions) in animabusnon orilur ex influxu corporum, sed est proeslabilita ;idyue sufficcretsi soh essent animoe vel Monades, auo


88 INTRODUCTION.casu etiam evanescerct extensio realis, nedum motus,cujus realitas ad meras phoenomenorum mulationcsredigeretur 1.V.LE DÉTERMINISME ET LE SENTIMENT DE LA LIBERTÉLa doctrine de l'Harmonie préétablie entraîne commeune conséquence nécessaire le déterminisme do la volonté.En effet, si la Monade, par son activité proprepouvait apporter uno modification, si légère qu'elle fût,à l'enchaînement des perceptions par lesquelles elle exprimetous les phénomènes do l'univers, ses représentationsno correspondraient plus à celles dos autres Monades,et l'harmonie serait rompue. En créant le monde,Dieu a connu et voulu tous les phénomènes qui devaientse produire dans ce monde, jusqu'aux plus insignifiants;il a donc connu et voulu nos moindres actions, nosmoindres perceptions. La connaissance que Dieu a eued'Adam lorsqu'il a résolu do le créer, écrit <strong>Leibniz</strong> à Arnauld,c a enfermé celle de tout co qui lui est arrivé, detout ce qui est arrivé et doit arriver à sa postérité ».Chacuno des Monades quo Dieu a créées à l'origine duinonde contenait pour ainsi dire en germe tout ce qu'elledevait percevoir et vouloir ; quelqu'un qui aurait pu alorspénétrer dans les replis d'une de ces Monades, y auraitdécouvert, à l'état do tendance, tout ce qui devait luiarriver. « La notion individuelle de chaquo personne enfermeune fois pour toutes ce qui lui arrivera à jamais. »Ainsi lo passage du Rubicon était compris, dès la création,dans la trame des phénomènesdu monde choisi\. Correspondance avec le P. Deibosses, lettre xtx (Erdm,, p. 661).


INTRODUCTION. 39par Dieu, et par conséquent dans la chaîne des perceptionsde la Monade de César; il était donc certain dès lacréation du monde quo César passerait le Ilubicon ; celaétait môme certain de toute éternité, car, pour que Césarne passât point le Ilubicon, il aurait fallu qu'un autremonde eût été appelé à l'existence, ce qui ne pouvaitarriver, car le monde qui a été créé était lo meilleur desmondes possibl JS,et Dieu, qui est déterminé à vouloir lemeilleur, ne pouvait en créer d'autre<strong>Leibniz</strong> n'admet donc pas le libre arbitre, au moinsau sens populaire du mot. La philosophie do Descartesavait d'ailleurs rendu le déterminisme inévitable, carc'est par une inconséquence que Descartes avait admis lapossibilité d'une influence de l'âino <strong>sur</strong> la direction dumouvement des esprits animaux. <strong>Leibniz</strong> n'eut pas dopeine à démontrer que tout mouvement de la matièreest déterminé, non seulement dans sa quantité, mais encoredans sa direction, par le mouvement qui en est lacause S'il csl inadmissible que la pensée produise dumouvemet ', il csl tout aussi inadmissible qu'elle dirigelo mouvement. Aussi <strong>Leibniz</strong> abandonnc-t-il résolumentl'hypothèse d'uno action quelconque de la Monade <strong>sur</strong> lemécanisme matériel : « On s'est prostitué, dit-il, en leprenant de ce biais. Les Cartésiens ont fort mal réussi, àpeu près commo Épicuro avec sa déclinaison dos atomes,dont Cicéron se moque si bien, lorsqu'ils ont voulu quel'âme, ne pouvant point donner de mouvement au corps,en change pourtant la direction : mais ni l'un ni l'autreno so peut ni no so doit, et les matérialistes n'ont pasbesoin d'y recourir, de sorte quo rien de ce qui paraitau dehors do l'homme n'est capable de réfuter leur doctrine1. »i. Il/pllque au.t réflexions de Dayle (Erdmanh,p. 185).


40 INTRODUCTION.Toute philosophie a pour premier dovoir do so conformerà cet axiomo do la physiquo moderne : qu'un mouvementne peut s'expliquer que par un mouvement. On saitqucKant, qui pourtant tenait à la liberté par-dessus tout,no songea pas un instant à révoquer en doute le déterminisme-physiqueet psychologique de nos actions, etpersonne depuis Kant, au moins dans les écoles anglaiseet allemande, n'a admis un instant qu'on pût le contester.<strong>Leibniz</strong> pourrait peut-être revendiquer l'honneur d'avoircompris un des premiers que la philosophie devait avoirpour tâche dorénavant de concilier lo déterminisme universeldes phénomènes avec le sentiment réel et trèslégitime que nous avons do noire liberté. La solutionqu'il donna do co problcmo peut no pas être considéréecomme définitive par certains esprits ; elle est moins profondequo celle de Kant ; on y est pourtant revenu de nosjours. H semble, en effet, que In théorie de la liberté deSluart Mi 11 no soit qu'une formo modorno do colle de<strong>Leibniz</strong>.<strong>Leibniz</strong> essaye do résoudro le problcmo do la liberté etdu déterminisme en prenant pourbaso la distinction consacréeentre les vérités nécessaires d'une nécessité absoluecl les vérités contingentes. La nécessité logique oumétaphysique implique l'impossibilité absolue du contraireAinsi le contraire d'une proposition géométriqueimplique contradiction et ne peut pas mémo être conçu.Si nos actions étaient nécessaires d'une pareille nécessité,elles ne sauraient, à aucune condition, nous parailrolibres. Mais il ne faut pas confondro la nécessité avec ladétermination : cl nos actions peuvent fort bien être déterminées,sans être pour cela nécessaires. Sans doute,le contraire do ce qui m'arrivo no pouvait pas arriver.La succession do toutes los perceptions do ma Monade


INTRODUCTION. 41était en effet réglée dès l'origine du monde Dieu, envoulant Adam, a voulu, par là mémo, tout ce qui lui cslarrivé et tout ce qui est arrivé à sa postérité, et il étaitvrai, dès la création d'Adam, que j'écrirais aujourd'hui.Mais si toutes mes actions sont détcnainécs, elles nesont pas nécessaires, puisque leur opposé n'implique pascontradiction. Et cet opposé aurait fort bien pu se produire,si Dieu, au lieu du monde qu'il a admis à l'existence,eût jugé à propos d'en choisir un autre Ainsi,chaque fois que je prends uno détermination, l'opposé duparti que j'adoplc m'opparaît commo étant possible Laquestion se réduit donc à savoir comment une actionqui, sans être logiquement nécessaire, est pourtantdéterminée, peut paraîtro libre La réponse de <strong>Leibniz</strong>est que « In volonté choisit librement lorsqu'ellese sent seulement inclinée cl non nécessitée' ». 11fautrenoncer à l'hypothèse chimériquo et contraire a loutcraison d'une volonté qui se déciderait sans êlrc inclinéepar des motifs. La liberté d'indifférence ne supporte pasl'examen : Libcrtas indifferentioe est impossibilis, adeout ne in Deum quidem cadal'.Or, si pour so déterminer,la volonté a besoin d'être inclinée par des motifs, il estinévitable qu'on dernière analyso cllo obéisse au motifqui l'incline le plus, de quelque nature quo soit cemotif. < 11 y n toujours une raison prévalcntc qui porlcla liberté à son choix, bien que celle raison déterminanteno nous soit pas toujours connue » Si bien quo(lo parti vers lequel la volonté est plus inclinée nemanquejamais d'être pris ». Mais, pour sauver la liberté,il suffit que cette raison t incline sans nécessiter3»,1. Cf. Théodicée, % 15.2. De Uberlale (Voyez l'éditiond'Erdm .in, il* LXXVl, p. Oi39).3. fliéoikée, U *3 cl 45.


42 INTRODUCTION.autrement dit il suffit que la volonté conserve lo sentimentqu'elle aurait pu choisir autrement. Dieu mômen'est pas libre d'une liberté d'indifférence; il no peutmanquer do choisir lo meilleur, par conséquent il obéitau principe de Raison Suffisante Ainsi il y a une raisonsuffisante fjui a déterminé Dieu à choisir le monde oùnous vivons, plutôt quo tout autre monde possible, c'estque ce monde était le meilleur des mondes possibles.Dieu est donc, lui aussi, déterminé, Detcrminatus itleest ad optimum efficiendum 1. Or l'homme no sauraitprétendre à uno liberté qui n'appartient pas mômo àDieu.On voit que, pour <strong>Leibniz</strong>, co que la philosophie moderneappelle < l'objection des motifs » n'est pas réfulableMais il sait bien que, si notre volonté n'échappepas au déterminisme universel, il y a lieu, néanmoins,do distinguer entro l'activité humaine et l'activité animaleL'animal obéit on aveugle à l'inclination qui lopousse ; il no se rend pas compte de la fin do son action.L'homme, au contraire, est capable do se déterminer parla représentation nettement conçue d'un but à atteindre.Ainsi l'oiseau qui bâtit son nid cèdo à une impulsion irréfléchie;selon touto vraisemblance, il n'a aucune idée nide ce que sera son nid terminé, ni do l'usage auquel ilservira. Au contraire, l'homme, avant de bâtir une maison,s'est représenté sa maison touto bâtie et l'usagoqu'il peut en faire, et c'est cctlo représentation qui l'adéterminé. On peut donc dire que l'homme accepte librementlo motif qui le détermine, co quo no peut fairo l'animal.Et la liberté humaine peut être conçue commo « laspontanéité d'un ôlro intelligent », qui, incliné vers unoI. De Ltbertale (Erdmann, n* Lxxvi, p. C09).


INTRODUCTION. 43éterminalion, s'y porlo de son plein gré, sans subirucunc nécessité logique ni aucune contrainto physiqueibertas est spontancitas inteltigentis, itaque, quodontancum est inbruto... id in homine... ait i us as<strong>sur</strong>itet liberum appellatur.— Spontaneitas est contingentiasine coactionè, seu spontaneum est quod necnecessarium nec coaclum est. — Contingens seu Nonnecessariumest cujus oppositum non implicat contradictionem.— Çoactum est cujus principium est externuml.Le déterminisme do la volonté, conçu de cette manière,se concilie aisément avec le témoignage de notreconscience. Comme l'a fort bien remarqué Stuart Mill,lorsque je prends un parti, j'ai seulement conscienceque lo contrairo de ce parti eût été logiquement possible,mais non pas qu'il eût été réellement possible, les antécédentsrestant les mêmes. J'aurais pu agir autrement,si je l'avais préféré, c'est-à-diro si les circonstances extérieurescapablesd'influer <strong>sur</strong> ma volonté et si ma dispositiond'esprit avaient été autres au moment où jeme suis décidé ; mais je n'ai pas lo sentiment que, cescirconstances et mes inclinations restant exactement lesmêmes, je pouvais choisir autrement. Mais Stuart Milln'aperçoit pas co qui, dans uno décision prise do cettemanière, csl véritablement libre, c'est-â-dire l'acte parlequel le mot intelligent conçoit le motif et s'en disligue,tandis quo lo moi animal reste confondu avec le mobileo l'acte Do là l'impuissance do Stuart Mill à rendreompte d'uno façon satisfaisante du sentiment que nousvons de notro liberté, alors môme que nous savons obéirun motif.1. De Libertate (Brdmatm, n* LXXVI, p. 000).


44 INTRODUCTION.<strong>Leibniz</strong>, au contrairo, nous parait satisfaire à toutes lesexigences do la conscience et du sons commun. Le senscommun no prétend pas quo nous nous déterminions sansmotif; il prétend seulement quo, deux motifs d'action soprésentant dans uno circonstance donnée, nous pouvonsfaire un choix, c'ost-à-diro quo lo motif lo plus puissantno l'emporte pas d'une manièro fatale et aveuglo, commeun poids mis <strong>sur</strong> le plateau d'uno balance. Mais voyonsen quoi consiste co choix. Les deux motifs sont d'abordnettement conçus, aperçus par l'intelligence ; mais, pourquo l'un des doux inclino la volonté, il faut qu'il s'accordeavec d'autres motifs plus profonds, permanents,avec ces inclinations intellectuelles, morales et religieusesqui forment lo fond do notro caractôro, c'est-à-diro notro«loi. Cet accord entre lo motif fortuit, accidentel, cl lomotif profond est encoro aperçu par l'intelligence, clalors seulement la volonté est déterminéo à agir. Lavolonté nous parait alors agir librement. Qu'est-ce qu'unhonnête homme ? C'est un homme qui a dos inclinationsmorales inébranlables, liées à des idées morales nettementconçues. Si un tel homme se trouve avoir à choisirentre un parti honnéto et un parti déshonnélo, c'est-à-dirosi sa volonté est à la fois sollicitée par un motif moral etpar un motif immoral, le motif moral, s'accordant avecles inclinations morales qui forment lo fond-du caractèredo cet hommo, l'empoitcra certainement. Ainsi un véritablehonnête homme no peut pas violer son serment.Le sens commun on est convaincu, cl pourtant il est égalementconvaincu quo cet honnête homme est libre C'estqu'il prend le mot liberté dans le sens do <strong>Leibniz</strong> : spontaneitasintelligenlis. C'est d'une façon consciente, réfléchie,vouluo, que l'honnête hommo ne peut pas violerson serment. 11csl donc libre En résumé, une seule chose


INTRODUCTION. 15csl incompatible avec l'idéo do notro liberté: In nécessitémétaphysique ou logiquo, mais nullement le déterminismeVIL'IMMORTALITÉ DES MONADES11nous reste, pour terminer co résumé do la Monadologiede <strong>Leibniz</strong>, à répondro à uno dernière question :Quelle est l'origine et quelle est la destinée des Monades»?Uno substance simple, dit <strong>Leibniz</strong> au début do sa Mo*nadologic, no peut ni commencer ni finir naturellement.Toulc naissance naturelle n'est en effet qu'uno combinaison,uno intégration d'éléments simples; toute mortnaturelle est une désintégration : les notions de naissanceet do mort no peuvent donc s'appliquer à la Monade,qui n'est pas composée Les Monades ne peuvent commenceret finir quo tout d'un coup, c'est-à-diro elles nepeuvent commencer quo par création et finir que parannihilation. Mais, si la création est certaine, car lesMonades, n'existant pas par elles-mêmes, ont dû êtrecréées par Dieu, l'annihilation est inadmissible ChaqueMonado ayant on effet pour mission do représenter clairementou confusément l'univers à un certain point devue, on peut dire qu'il n'y a pas de Monade qui neoit nécessaire à l'harmonie du monde La destruction'une Monado équivaudrait d'abord à la destruction d'uneartio de l'univers ; de plus, comme il y a uno corresponancoentro les perceptions d'une Monado et celles de4. Voyez l'Extrait n* 8 à la fin du volume.


40 INTRODUCTION.loutos los autres, la suppression d'uno Monade causeraitun vido dans les perceptions des autres ot briserait lacontinuité do leurs représentations.Cet argument, qui prouve que los Monades doiventdurer aussi longtemps quo l'univors, prouvo en mémotemps qu'elles sont aussi anciennes que lui.Mais il reste à expliquer co que tout lo monde entendpar naissance et par mort.Nous savons que la Monade ne cesse jamais de percevoirlo mondo d'un certain point do vue; nous savonsaussi que co point do vue est déterminé par le corpsauquel la Monade est unie, c'est-à-dire par la portion domatière qui fait l'objet immédiat do ses représentations:« l'âme représente tout l'univers on représentant locorps qui lui appartient d'une manière particulière1».Notre Monade était donc unie à quelque particule matérielle,bien avant co que nous appelons notre naissance,et même dès l'orig.!no du mondo, et, do cctlo particuleprise commo point do vue, elle représentait, confusémentil est vrai, l'univers entier. Tant que cette particulematérielle est demeurée isolée, les perceptions dola Monade sont restées obscures, mais lorsqu'elle se futunie à d'autres particules do manière à former un organisme,et lorsque cet organisme out atteint un certaindéveloppement, nos perceptions devinrent-de moins enmoins confuses, puis enfin, grâce aux organes des senset au cerveau, tout à fait distinctes. La naissance n'estdonc qu'un développement et le passage de la Monade c àun plus grand théâtre >*. Do môme quo la naissance estun développement, la mort est un enveloppement. La décomposition,la séparation des parties qui composent lo1. ilcnadologie, g 62. | Se Monadologie, § 75.


INTRODUCTION. 47corps, n'empêche pas la Monado de rester attachée àquelquo molécule, c à quelque dépouille organiquo >,parl'intormédiairo do laquelle elle continue à percevoirl'univers. Mais, les conditions de l'aperception n'étantplus réalisées, elle relombo dans l'i.nconscience dont lanaissance l'avait fait sortir.Tel csl lo sort commun dos Monades animales. Mais<strong>Leibniz</strong> a bien senti qu'il fallait faire aux Ames raisonnablesuno condition exceptionnelle, car l'immortalité,sans la conservation de la conscience et do la personnalité,équivaudrait pour nous à l'anéantissement. L'idéod'un pareil avenir ne pourrait évidemment, ni nous soutenirdans los épreuves do la vie, ni nous déterminer àla pratiquo de la vertul. La deslinéo de l'Ame raisonnablene peut donc être la même que colle des Monadessimples ou des Monades animales.L'Ame d'un hommo, avant sa naissance, n'est qu'unoc simple Monado » qui perçoit confusément lo mondeLorsque, par la formation du corps, elle so trouvo unieà l'organisme le plus parfait de l'univers, non seulementelle acquiert des perceptions claires, comme les animaux,mais encore elle est < élevée au degré do la raison et àla prérogative do l'esprit ». Or l'Esprit, la Monade raisonnable,non seulement découvre les vérités universelleset nécessaires, dont l'ensemble constitue la Scienceet la Philosophie, mais encoro conçoit lo bien et agit*moralement 3. Mais un ôtro moral doit conserver, aprèsla vio terrestre, la conscience de lui-même, afin de pou-I. t Car c'est lo souvenir ou laconnaissance do ce moi qui la rendcapable de châtiment ou de récompense.» (<strong>Leibniz</strong>, Disc, de flétaph.,g 31 ) Voyez à la fin du volumel'Extrait il* 8.2. Elle n'exprime pas seulementle monde, elle le connaît aussi eti y gouverne» à la façon do Dieu »,c'cst-à-diro en obéissant à l'idéedu meilleur. (Disc, de Uétaph.,g3o.)


18 tNTRObUCTlON.voir être puni ou récompense s"elon ses mérites. LàMonade do l'homme, l'Esprit échappera donc nu sortcommun, il c ne subsistera pas seulement métaphysiquement,il demeurera encoro le mémo moralement et feralo môme personnage». <strong>Leibniz</strong>, à la fin du Discours deMétaphysique, exprime celto idée, touto kantienne, quola personne raisonnable no peut mourir. « Il no fautdonc point douter que Dieu n'ait ordonné tout en sorloquo los esprits, non seulement puissent vivro toujours, coqui csl immanquablo, mais encore qu'ils conservent toujoursleur qualité moralo,afin quo sa cité no perdeaucune personne, comme lo monde ne perd aucune substanceEt par conséquent ils sauront toujours co qu'ilssont, autrement ils no seraient susceptibles de récomcomponsoni do châtiment, co qui est pourtant do l'essenced'une république, mais <strong>sur</strong>tout do la plus parfaiteoù rion ne saurait ôlre négligé. » {Disc, de Mètaph., §30.Voyez l'Extrait n° 8.)


DEUXIÈMEPARTIETHÉOUIH DE LA CONNAISSANCEAVANT-PROPOS.La question qui doit fairo l'objet de la sccondo parliode cetto étude a déjà été poséo dans la première On a vuque la Monado humaine ou Esprit fait plus que représenterl'univers, on sait qu'elle réfléchit et découvre dosvérités universelles et nécessaires. C'est celte faculté doréfléchir qu'il faut étudier maintenant. Qu'est-ce d'abordquo réfléchir, et ensuite quéllo est la nature, quelle estl'élcnduo de la connaissance que fonde la réflexion? Si laconnaissance réfléchie du monde scnsiblo est quelquechoso do plus quo la simplo aperception de ce mondo, ilfaut découvrir ce que l'Esprit ajoute à l'aperccplion. Ilfaut chercher, d'un autro côlé, si l'Esprit est borne à laconnaissance do l'univers sensible, s'il ne peut pas s'éleverplus haut, atteindre l'absolu et créer la science duréel et do l'éternel, la métaphysique. En un mot,-il nousreste à fairo d'après <strong>Leibniz</strong> la théorie de la Raison.Mais, avant d'aborder l'étude de la Raison, il est indispensabledo revenir avec quelques détails <strong>sur</strong> la représentation.Car, s'il csl vrai quo la Raison est uno facultéradicalement différente do la faculté représentative, il cslégalement vrai que c'est la représentation qui, d'un côté 1,fournil à la Raison l'objet de ses réflexions et qui, del'autre, l'excite à chorcher dans son propre fonds los idéespar lesquelles elle peut s'élever à la connaissance de l'absolu.<strong>Leibniz</strong> croit, comme Descarlos, quo la Raison reste-LEIU.XIZ. 4


60 INTRODUCTION.rait aveugle ot inorto sans la représentation. C'est doncpar uno théorio do la représentation ou perception, quedoit commencer uno théorie do lu Raison.CONNAISSANCE NON RÉFLÉCHIE.IPERCEPTIONS INSENSIBLES ET PERCEPTIONS CLAIRES 1.Si nous voulons descendro jusqu'au dernier fondementdo nos connaissances, il ne faut pas nous arrêter, commole font la plupart des philosophes, aux idées ou perceptionsdont nous avons une connaissance distincte : il fautpénétrer plus avant, dans lo domaine do ces perceptionsobscures dont nous avons déjà dit quelques mots,— ondirait aujourd'hui dans lo domaine de l'inconscient. C'esten effet dans l'inconscient quo se trouvent, suivant <strong>Leibniz</strong>,les racines do toutes nos représentations claires et mémocelles des idées a priori au moyen desquelles la Penséofondela science.La doctrine des petites perceptions ou perceptions insensiblesost un des organes les plus importants do toutola Métaphysique de <strong>Leibniz</strong>.Elle résulte nécessairement do la doctrine des Monadeset de l'Harmonie préétablie Los perceptions de la Monadovont à l'infini, elles embrassent l'univers entier, jusquodans ses moindres détails, telle est la thèse fondamentalede la Monadologie. Mais iious ne percevons clairementqu'une partie très restreinte de cet univers; il doit donc yavoir en nous, outre les perceptions dont nous avons unoi. Voyez à la fin du volume les Extraits n" 1, 2 et 3.


INTRODUCTION. 51conscience nette, uno infinité d'autros perceptions quonous no sentons pas ot qui n'en composent pas moins laparlio la plus considérable du conlonu do notro Monado.Il y a mémo un nombre infini do Monades, celles que <strong>Leibniz</strong>appelle los simples Monades, par opposition aux Ameset aux Esprits, qui n'ont aucuno perception clairo; si cesMonades expriment l'univers entier, il faut bien quo cosoitpar des perceptions obscures.En second lieu, la succession des perceptions clairesdans notre Monade ost périodiquement interrompue parlo sommeil, quelquefois par l'évanouissement, la léthargieMais, l'univers n'existant pour chaquo Monado quodans ses représentations et la Monado, no recevant riendu dehors, uno interruption véritable dans l'enchaînementdes perceptions équivaudrait à uno destruction et à unonouvelle création do l'univers. Il faut donc que les lacunesde nos perceptions claires soient comblées par des perceptionsinsensibles qui rétablissent la continuité absoluede nos états d'âme. C'est môme en co sens quo <strong>Leibniz</strong>affirme, comme Descartes, que l'âme pense toujours.<strong>Leibniz</strong> tire encoro do la définition de la Monado untroisième argument a priori en faveur do l'existence despetites perceptions. 11 no faut pas considérer la Monadecommo unesubstanco à laquelle l'activité n'appartiendraitque par accident: la Monade est par essence une activité,elle n'est mémo qu'une activité. Jamais <strong>Leibniz</strong> n'a admisl'existence d'un je ne sais quoi qui servirait dosubstrat à celte activité. La substance n'existe doncqu'autant qu'elle agit. Mais agir, pour la Monade, c'estpercevoir. La Monado perçoit donc toujours, et, commeelle n'a pas toujours des perceptions claires, il faut bienqu'elle possède, outro ses perceptions claires, des perceptions'insensibles.


02 INTRODUCTION.. Enfin l'Harmonie préétablie suppose los perceptions insensibles.L'Ilarmonio préétablie est l'accord établi parDieu de toute éternité ontro les perceptions des Monadesen nombre infini, qui toutes so représentent lo mémo univers,mais à des points do vue différents. En vertu do celteharmonie, il faut quo toute perception d'une Monado sotrouve reproduite dans les autres. Ainsi tout ce quo jeperçois clairement aujourd'hui est porçu par toutes lesMonades do l'univers, mais il est impossible quo ce soitd'une façon distincte; car lo paysan qui habile à l'intérieurdos terres ne perçoit pas clairement lo bruit des vaguesqui, en ce moment, frappe mon oreille <strong>sur</strong> le rivage. C'estdonc sous formo de perceptions insensibles que presquetoutes les Monades qui composent l'univers représententles phénomènes que, démon point do vue, j'aperçoisdistinctement.Nous expliquerons, dans los notes do l'Avant-Propos, lesautres preuvos a priori que <strong>Leibniz</strong> invoque à l'appui dosa théorie des petites perceptions. Qu'il nous suffise d'avoirindiqué les plus importantes. Il faut chercher maintenantquel est le rôle des petites perceptions dans laconnaissanceLes perceptions claires supposent l'existence des petitesperceptions.Je me promène <strong>sur</strong> lo rivage do la mcr,J['entends lobruit dos vagues qui déferlent : voilà une perceptionclaire. Mais si j'entends lo bruit des vagues, c'est quo j'entendsle bruit de chaque vague, et mémo do chaquegoutte d'oau qui tombe, car si jo ne percevais à aucundegré le bruit d'une goulto d'eau, je ne percevrais pasnon plus le bruit de mille, de cent mille, d'un million degouttes d'eau, et par conséquent je n'entendrais pas lebruit de la mer qui déferle. Mais la perception d'une goutte


INTRODUCTION. 53d'eau qui tombo <strong>sur</strong> lo rivago à cent pasdo moi est uneperception insensible Touto perception clairo se composedonc de perceptions insensibles.c Qu'un hommo qui dort soit appelé par plusieurs à lafois, ot qu'on suppose que la voix de chacun ne serait pasassez forto pour l'éveiller, mais quo lo bruit do toutesces voix ensemble l'éveille ; prenons-en uno : il faut bienqu'il ait été touché do cette voix en particulier, car lesparties sont dans lo tout, cl si chacuno à part ne fait rien,le tout ne fera rien non plus. Cependant il aurait continuéà dormir si elle avait été seulo, ot cola sans so souvenird'avoir été appelé 1. »Ainsi je perçois lo bruit d'une goulto d'eau qui tombe àcent pas de moi, lo dormeur perçoit Je moindre bruit,même un mot prononcé à voix basse près de lui, mais con'est pas d'une manière consciente. La perception, dans cocas, est une simple affection, un simple état do la Monade,que la conscience ne sent pas.On a objecté à <strong>Leibniz</strong> que les mouvements, qui, d'aprèssa théorio, doivent déterminer des perceptions insensibles,pourraient bien affecter le cerveau sans affecter l'âmeAinsi uno goutte d'eau tombe à cent pas do moi : sansdoute les ondes sonores atteignent mon tympan, ébranlentle nerf acoustique et parviennent jusqu'au cerveau; maisest-il nécessaire d'admettre qu'elles arrivent jusqu'àl'âme? L'excitation trop faiblo pour déterminer un état deconscience claire, ne pourrait-elle pas rester un simple phénomènephysiologique? Ainsi, qu'une cordo donne seulementquinze vibrations à la seconde, le cerveau seul seraaffecté ; qu'elle en donne vingt-cinq, la conscience perce-1. Échantillon . de réflexions<strong>sur</strong> le second livre [de l'Essai deLocke). Voyez à la lin du volumol'Extrait n» 2.


64 INTRODUCTION.vra un son. Mais <strong>Leibniz</strong> a prévu l'objection ot a pris soind'y répondre H n'y a point, suivant Loibniz, do phénomènopurement matériel, puisqu'il n'y a pas do matièreen dehors dos représentations des Monades. Il n'y a doncpoint d'étal du cerveau qui no soit un état, uno affectiondo la Mona'dc. La Monade, qui, par ses perceptions, représentetous los changements qui se produisent dans l'universentier, peut a fortiori représenter tout co qui sepasso dans le corps, mais elle représente les changementsinsensibles par des perceptions insensibles.Co sont ccs~pcrccplions insensibles qui, devenant plus intenseset se produisant en grand nombre à la fois, formentnos perceptions claires et distinctes : c Les perceptions remarquablesviennent par degrés do celles qui sont troppetites pour être remarquées. En juger autrement c'estpeu connailro l'immense subtilité des choses qui enveloppeun infini actuel toujours et1partout >. Ce passagedes perceptions insensibles aux perceptions claires cslnettement expliqué dans la Monadologie : c La nature adonné des perceptions relevées aux animaux, par les soinsqu'elle a pris de leur donner des organes qui ramassentplusieurs rayons do lumière ou plusieurs ondulations del'air, pour les faire avoir plus d'efficacité par leurUnion 2 ». Une perception claire, comme celle que modonnent mes yeux on co moment-ci, résulte donc d'uneaccumulation do petites perceptions dont chacune prise àpart, isolée des autres, resterait confuse. Un rayon lumineux,frappant seul un point quelconque du corps, produiraitdans la Monade une perception insensible. Mais, soitun organe disposé de manière à concentrer dos milliersi, <strong>Nouveaux</strong> Essais. Avant-Propos (Erdm., p. l'JS. col. S),fi. Monadologie, g 25.


INTRODUCTION. 55do rayons lumineux, soit un nerf composéd'uno multiludodo fibros dont chacune conduit au cerveau l'oxcitation produitepar un de ces rayons, et la Monade percevra la lumièreavec pleine conscience 11 y a lieu de croire qu'unereprésentation qui revient à notre mémoire exprime unemultitude do petits mouvements insensibles qui so réveillentdans les cellules du cerveau. Et co no sont passeulement nos représentations, co sont oncore nos actesqui s'expliquent par les perceptions insensibles. Nousavons sans doute bien souvent une conscience nctto, ctdola fin quo nous poursuivons, et des motifs pour lesquelsnous la poursuivons : mais dans des cas incomparablementplus nombreux nous ne saisissons quo partiellement, oumémo nous ne saisissons pas du tout, les motifs auxquelspourtant nous obéissons. Et cela arrive même quand nousavons délibéré, quand nous avons soigneusement fait leplan de nos actes. Nous avons préféré lo parliA au parti H ;parmi les moyens que l'expérience nous suggérait pouratteindre la fin A, nous avons préféré la série a b c (là lasério a' V c' d'. Mais par quoi au juste a' été déterminé lechoix de la fin cl ensuite le choix de chacun des moyens?la plupart du temps par des tendances dont nous nousrendions mal compte; ot c'est ainsi que nous savons bbnrarement, et que peut-ôtro nous no savons jamais, quelssont les derniers motifs de nos actes.C'est cette ignorance des motifs profonds de notre conduitoqui explique, suivant <strong>Leibniz</strong>, l'illusion du librearbitro absolu. Quand nous croyons nous décider sansmotifs, c'est quo nous no voyons pas ce qui nous faitagir. Quand nous croyons choisir malgré l'équilibre desmotifs, c'est que nous n'en apercevons pas les légèresdifférences, c Les petites perceptions nous déterminenten bien des rencontres sans qu'on y pense, et trompent


56 INTRODUCTION.le vulgairo par l'apparence d'uno indifférence d'équilibro1. »IICONNAISSANCERÉFLÉCHIE.La formation des perceptions claires, los conséculionsou associations do ces perceptions, l'activité spontanéo,nous sont communes avec l'animal. Ces facultés constituent,pour ainsi dire, uno.intelligence d'un degré inférieurqui, chez l'animal, ost touto l'intelligence, mais qui,chez l'homme, n'est que la base d'une intelligence supérieure,c'csl-à-diro de la Pensée réfléchie La Penséoréfléchie est l'cssenco mémo de la Monade humaine ouEsprit. Tandis que l'animal so borno à former des représentationset à les associer, l'homme réagit <strong>sur</strong> ces représentations;il réfléchit d'abord <strong>sur</strong> los choses sensibleset, ramenant les faits d'expérience à des formules abstraitesot générales, il fonde la science; ensuito, stimulépar un puissant désir do savoir, il tâche do dépasser laconnaissance du monde des phénomènes, il s'efforce des'élever à l'intuition de l'absolu et jette les fondementsde la Métaphysique. Mais comment, à quelles conditionsla Science et la Métaphysique sont-elles possibles? <strong>Leibniz</strong>répond : la Science est possible, parco que l'Esprittrouve on lui-même deux grands principes au moyendesquels il jugo cl raisonne, lo principo de Contradictionet lo principe do Raison Suffisante. La Métaphysique est1. Nouv. Essais. Avant-propos.Voy. ci-dessons p. 103. Voy. aussilo Théodicée, g 40 et suivants :« Uno infinité do grands cl depetits mouvements externes clinternes concourent avec nous,dont le plus souvent on no s'aperçoitpas ».


INTRODUCTION. 57possible, parco quo l'Esprit humain a la faculté do réfléchir<strong>sur</strong> sa propre cssenco, parco qu'il peut so penserlui-môme cl trouver ainsi dans son propre fonds losidéos premières do la Métaphysique, los idées d'être, dosubstanco, d'activité. En résumé, la Scienco et la Métaphysiquesont rendues possibles par les idées et véritésque l'Esprit contient en lui-môme La théorio des idéesinnées est la baso de toute la théorie de la connaissancede <strong>Leibniz</strong>.H est nécessaire, pour bien comprendre la doclrino do<strong>Leibniz</strong> <strong>sur</strong> l'origine des idées, do donner un aperçu dol'étal de cetto question à l'époque où furent composés les<strong>Nouveaux</strong>Essais.1LA QUESTION DES IDÉES INNÉES AVANT LEIBNIZ.Deux écoles, avant <strong>Leibniz</strong>, avaient abordé le problèmedo l'origine do nos connaissances et le résolvaient différemment.Les Cartésiens admettaient l'existence de notionsclaires cl distinctes, indépendantes de l'expérience,que la Pensée peut découvrir en elle-même par un effortd'attention. Locko et l'école anglaise niaient l'existencede pareilles idées et s'efforçaient de rendre compte parla seule expérience de tout le contenu de la connaissancehumaine1° Les Cartésiens et le Rationalisme.Le principe de loute connaissance, c'est-à-dire de touteexplication scientifique et philosophique, doit être cherché,suivant Descartes, dans des notions telles nue l'es-


58 INTRODUCTION.prit puisse en tirer par déduction toutes les vérités nécessairesqui composent la science cl la philosophie Ainsiles sens nous font connaître les corps avec leurs caractèresvariés à l'infini, leurs changements constants. Cescaractères, ces changements, ne peuvent être dits connuset expliqués que lorsqu'ils sont ramenés à un petit nombredo notions, de lois simples que nous concevons clairement.Ces notions sont les notions de l'étendue cl doses modes; ces lois sont les lois du mouvement. Or lapensée bien arrêtée et souvent exprimée do Descartes, c'estquo la raison, peut découvrir en elle-même, par une sorted'intuition, les notions et les lois simples qui rendentles choses et les phénomènes intelligibles, et que la perceptionsensible no fait que nous exciter à chercher ennous-mêmes ce qui s'y trouve déjà 1. Si nos facultésétaient bornées aux sens et à la mémoire qui conservecl reproduit les sensations, nous pourrions bien percevoirle ciel étoile, commo les animaux, et retrouver au besoincette représentation, mais nous no pourrions pas apercevoirles lois mathématiques qui règlent les mouvementsdes astres, ni <strong>sur</strong>tout concevoir ces lois comme des véritésclaires, distinctes, valables pour toutes les intelligences,dans tous les temps, dans tous les lieux.Ainsi, tandis que les données des sens sont confuses, lesidées que la raison découvre dans son fonds sont claires,distinctes. Toutes les idées claires cl distinctes peuventdonc être appelées idées innées. Ainsi les notions mathématiques,les lois du mouvement sont innées en nous.Je conçois clairement cl distinctement l'âmo comme unechose qui pense, Dieu commo un ôlrc parfait. Les notionsde la substance pensante, de Dieu, sont innées.1. Méditation Ut cl Réponsesaux troisièmes objections»


INTRODUCTION. 50Nulle part Descartes n'a donné une liste complète etraisonnéo des idées ou vérités qu'il considérait commeinnées. Sa pensée était certainement que tout ce quin'était pas donaturo sensible était inné. Il s'est borné àramener à trois chefs principaux les idées et vérités d'originerationnelle:L'idée do la substance étendue et de ses modes (avec lesnotions mathématiques, les lois du mouvement, etc.);L'idée de la substance pensante et do ses modes ;Enfin l'idéo de Dieu *.Nous pouvons ajouter que Descartes ne s'est pas assezpréoccupé do chercher un critérium suffisant <strong>sur</strong> lequelon pût s'appuyer pour décider si une idée, si une véritéest ou n'est pas innée, et même qu'il n'a pas trouvé d'argumentdécisif pour démontrer qu'il y a véritablementquelque chose d'inné en nous. Lo fait que nous concevonsclairement cl distinctement une idée, une vérité, suffit-ilpour démontrer quo celle idée ou que celle vérité n'estpas d'origine sensible ? C'est là précisément l'une desprincipales objections que Locko cl les empiristes ferontaux Cartésiens. La véritable preuve de l'innéilé et dei'apriorité d'une idée n'est pas en effet la clarté avec laquelleelle se présente à l'esprit, ce n'est même pas sonuniversalité, mais sa nécessité.2» Locke et l'Empirisme.Dansson Essai <strong>sur</strong> l'Entendement humain, Locke combatla théorie cartésienne des idées et vérités innées, etentreprend d'expliquer par l'expérience l'origine de toutest. Voyez Principes, 1" pariie, cipales idées qu'il considère commotS, ou Dcscarle* indique les prin- Innées.


60 INTRODUCTION.i les idées qui constituent la connaissance humaine. C'estdans le premier des quatre livres de YEssai que se trouvela discussion dé la doctrine des idées innées : le secondest consacré à l'explication empirique de la connaissanceToute l'argumentation do Locke contre l'innéité desidées et des vérités peut se ramener aux deux points suivants:1° L'hypothèse de l'existence d'idées ou vérités innéescsl contredilo par les faits, car uno idée ou vérité innéedoit être universelle, et il n'y a aucun principe <strong>sur</strong> lequelles hommes s'accordent généralement ;2» Quand le fait du consentement universel serait vrai,il ne prouverait en rien que les vérités <strong>sur</strong> lesquelles tousles hommes s'accorderaient fussent innées, si l'on pouvaitmontrer uno autre voie par laquelle les hommes ont puarriver à celle uniformité do sentiment <strong>sur</strong> les choses dontils conviennent *.Locke-croit facile la démonstration du premier point,car, si l'on considère les principes auxquels on donne préférablcmenlà tous les autres la qualité de principes innés,commo le principe d'Identité cl lo principo do Contradiction,on remarque que « les enfants, les idiots, les sauvagesn'ont pas la moindre idée de ces principes ». Cettesimple observation suffit, suivant Locke, pour détruirel'argument tiré du consentement universel, car dire qu'ily a des vérités imprimées dans l'âme quo l'âme n'aperçoitpas, csl une espèco de contradiction.Mais ne peut-on pas dire qu'il y a des vérités quotout homme reconnaît et admet comme évidentes aussitôtqu'on les énonce devant lui ? et n'est-ce pas ainsi qu'ilfaut entendre le consentement universel? Mais, répond1. Cl. Locke, Essai, Itv. I, cli. I, gg 3 cl 4.


INTRODUCTION. 61Locke, ce fait prouve seulement qu'il y a des connaissancesque tout esprit humain a le pouvoir d'acquérir; il neprouve nullement que l'esprit contienne en lui-même cesconnaissances.Si l'on objecte que tout homme raisonnable peut arriver3 par lui-même et sans l'aide de personne à concevoir certainsprincipes, co fait, même en supposant qu'il fûtprouvé, no démontrerait pas encore l'innéilé de ces principes,car alors il faudrait soutenir qu'une vérité commecelle-ci : lo doux n'est pas l'amer, est une vérité innée,sous prétexte quo tout enfant arrive par ses seules forceset sans l'aide de personne à la saisir clairement etdistinctement.Lo fait de l'accord de tous les hommes <strong>sur</strong> certainesidées ou vérités est donc fort contestable, et, quand même ,il serait démontre vrai, il ne prouverait pas l'innéilé de'ces idées et de ces vérités, car une expérience universelle,dont les résultats sont les mêmes pour tout esprit, suflîl,dans tous les cas, à en rendre compte. 11 n'y a d'inné quela faculté que possède l'âme de recevoir du dehors leséléments sensibles dont sont formées les idées et véritésgénérales.Dans le second livre de son Essai, Locke expose sa proprethéorio do l'origine de nos connaissances. L'âme, à lanaissance, est vide comme une tablette <strong>sur</strong> laquelle rienn'a encore été écrit. Les données fournies parles sens externeset lo sens intime ou réflexion remplissent celletablette, et forment, par leur combinaison, toutes nosidées générales. Ainsi la vue nous fait connaître la lumièreet la couleur; le toucher, la dureté cl la mollesse, le chaudet lo froid. La réflexion nous donne les idées de la volonté,de la perception et de nos diverses facultés ; la réflexionunie à la sensation externe, celle du plaisir et do la doit


62 INTRODUCTION.leur, de la succession, do la force, de l'unité. Les idées ouvérités générales qui servent de principes à la connaissancescientifique ou philosophique sont également composéesd'éléments fournis par l'expérience externe ouinterne Les idées de temps et d'espace se forment quandnous comparons nos, sensations entre elles; ainsi, quandnous remarquons l'enchaînement de nos sensations, nousconcovons la durée L'idée de puissance se forme quandnous considérons dans uno chose la simple possibilitéqu'il y a qu'une de ses idées simples (c'est-à-dire un deses caractères) soit changée et, dans uno autre choso,la possibilité de produire ce changement *. Enfin l'idéodo substance naît dans notre esprit quand nous remarquonsquo plusieurs idées simples, venues des sens ou dola réflexion, vont toujours cnsemblo ; nous sommes alorsportés à considérer cet amas d'idées toujours unies commouno seule idée simple, parce quo, c ne pouvant imaginercomment ces idées simples peuvent subsister par ellesmêmes,nous nous accoutumons à supposer quoique chosoqui les soutienne, où elles subsistent et d'où elles résultent,à qui pour cet effet on a donné lo nom de substance8 ».Le syslèmo do Locke contient en germe, commo on lovoit, tout l'Empirisme moderno; il faut donc reconnaîtreà Locke le mérite d'avoir le premier formulé nettementlos principes de la théorie empirique do la connaissance.Stuart Mill, Spencer même, ne changeront rien au fond desa doctrinp, ils s'efforceront seulement do rendre mieuxcomplo du caracléro do nécessité des idées et vérités ditesinnées, caractère dont Locke n'a pas assez compris l'im-1. Essai de Lockecl <strong>Nouveaux</strong>Estais, Hv.Il, ch. xxi. g 1.2. Essai de Lockeet <strong>Nouveaux</strong>Essais,liv. Il, ch. xxin, g 1.


INTRODUCTION- 63portance II faut avouer, d'un autro côté, quo l'argumentationdo Locke contre la thèse do l'innéilé ost faible otsuperficielle Ses raisons sont celles d'un hommo qui saisitimparfaitement la pensée de ses adversaires et quimême ne comprend pas bien toutes les difficultés duproblème qu'il entreprend de résoudre. H se fait évidemmentla partie trop belle Descartes ne prétendait pas quoles idées et vérités claires et distinctes existassent toutesformées dans l'âme à la naissance II prétondait seulementquo la faculté do concevoir des vérités éternellesdépassait infiniment le pouvoir do sentir, do se souvenir,d'imaginer. Locke déplace la question en croyant qu'ils'agit do jugements ou do notions toutes faites, dont unexemplaire serait déposé pour ainsi dire dans tous lesesprits ; et cela parce qu'il no soupçonno pas la diffé-- renec qui sépare uno simple sensation ou combinaison dosensations d'une vérité nécessaire ou mémo do la moindrenotion ; parco que lo problème des rapports de lapensée active avec la sensation passivo lui échappe absolument.H n'en est pas moins vrai quo le livre de Locko contribuaà mettre en lumière les points faibles, les lacunesdo la théorio de la connaissance des Cartésiens, et qu'enprovoquant la composition des <strong>Nouveaux</strong> Essais il futl'occasion d'un progrès considérable de la philosophie dola Raison.


64 INTRODUCTION.IlLA QUESTION DES IDÉES INNÉES CHEZ LEIBNIZ.IL Y A DES IDÉES ET VÉRITÉS INNÉES.On comprend maintenant quelle tâcho s'imposait à<strong>Leibniz</strong>:1° Prouver contro Locko l'existence d'idées et do vé«rites innées;2° Déterminer exactement le nombro do ces idées cl doces vérités.\° H y a des idées et vérités innées. Nous savons quedans la pensée do <strong>Leibniz</strong>, à parler rigoureusement, toutco que nous connaissons est inné, puisquo la Monado ne'reçoit rien du dehors, et tire de son propre fonds toutes'ses représentations. Mais l'idéalisme do <strong>Leibniz</strong> ne rempêchenullement de so poser la même question quo Lockecl les Cartésiens. En effet les perceptions claires, par'lesquelles la Monado se représente lo monde des phénomènes,constituent pour <strong>Leibniz</strong> commo pour tout lemonde l'expérience sensible <strong>Leibniz</strong> admettait mémo enun certain sens que ces perceptions vinssent du dehors,parce qu'elles ont leur raison d'être dans les perceptionsdos attires Monades. Il peut donc so demander s'il y ndans la Monade des idées cl des vérités antérieures auxperceptions qui constituent l'expérience de celle MonadeL'idéulistqcl le réaliste diffèrent seulement en co qu'ilsconsidèrent le inonde, l'un comme un ensemble de réalitésindépendantes do l'esprit, l'autre commo un systèmedo représentations produites par l'activité do l'esprit.Mais, pour l'un commo pour l'autre, il y a un ensembledo perceptions et de souvenirs qui méritent le nom d'ex-. i


INTRODUCTION. 65périence, et tous deux peuvent se poser la question do.savoir si les idées et vérités générales qui servent defondement à la connaissance cl règlent la conduite précèdentcelte expérience ou en résultent.Le premier livre des <strong>Nouveaux</strong> Essais est consacré àla démonstration de l'existence d'idées et de véritésinnéesl.Locke avait dit : H n'y [a point d'idées ni de véritésinnées, car s'il y avait des idées ou des vérités innées,elles devraient être présentes à tous les esprits. Or il n'ya pas une notion, pas uno proposition, dont on puisseaffirmer qu'elle est actuellement conçue par toutes lesintelligences 3.<strong>Leibniz</strong> répond qu'il est impossible de soutenir quol'âme penso actuellement à toutes les idées qu'elle contient.Nous avons en nous une foule do souvenirs auxquelsnous no songeons pas. Pourquoi donc les enfants,les sauvages n'auraient-ils pas dans leur âme, à l'étatdo virtualités, certaines idées et vérités générales qu'ilssont incapables d'exprimer? H est vrai quo les souvenirsauxquels nous ne pensons pas sont d'anciennes représentationsqui ont été autrefois actuellement perçuespar l'esprit, tandis que le sauvage et <strong>sur</strong>tout l'enfantn'ont jamais eu uno connaissance expresse du principede Contradiction ou du principe de Raison Suffisante.Mais si une connaissance acquise peut rester à l'étatlatent dans l'âme, rien n'empêche que la nature n'y ailcaché quclquo connaissance originale 3.Il peut donc y avoir des idées ou vérités innées quetous les esprits possèdent, bien qu'ils n'en nient pas unei, Voyei lur cette question l'Extraitn* 4.LEIBNIZ.i. Nouv. Essais, liv. 1,clup. t, M3. Ibhl., g 6. 6


66 INTRODUCTION,connaissance actuelle Pour démontrer maintenant queces idées et vérités existent réellement dans les esprits,même dans ceux des sauvages et des enfants, il suffit deremarquer quo toul homme doué de la parole formodes jugements cl des raisonnements qui supposent l'existencede ces idées et de ces vérités. Un sauvage .serachoqué des contradictions d'un menteur, il juge doncimpossible qu'une choso soit et no soit pas en mêmetemps. Un enfant dira: Ce fruit n'est pas doux, puisqu'ilest amer. L'enfant est donc convaincu qu'une chose nepeut pas avoir et no pas avoir à la fois le même caractère.Le principe do Contradiction, ou plutôt de l'impossibilitéde la Contradiction, csl donc inné dans l'espritdu sauvage cl dans celui do l'enfant.Mais pourquoi ne pas voir dans le principe de Contradictionun principe abstrait, résultant d'un grand nombred'expériences? L'expérience no peut-elle pas apprendreà l'enfant, dès lo premier éveil de son intelligence,qu'un fruit n'est jamais à la fois doux et amer, quo levent n'est pas à la fois froid et chaud, qu'il ne fait pasjour quand il fait nuit; cl no peut-il pas ainsi s'accoutumerà penser qu'une choso quelconque ne peut pas àla fois êtro et n'être pas, avoir et no pas avoir un mêmecaractère?Celte explication, suivant <strong>Leibniz</strong>, est Impossible, parceque des principes commo le principe de Contradictionrenferment une certitude, uno nécessité, dont l'expériencene saurait rendre compte Là est la véritablepreuve qu'un principe est inné, a priori. L'expériencenous apprend co qui est, et non ce qui esl nécessairement,non co qui ne peut pas no pas être. Autre chose estpercevoir l'orner et lo doux, sentir le froid et ensuite lechaud, autre chose est affirmer commo une vérité néecs-


INTRODUCTION. 67saire, valable dans tous los temps et dans tous les lieux,quo le doux ne peut pas être l'amer, que le chaud nopeut pas être le froid. Co quo la raison ajoute à l'expérience,c'est donc la conception d'une nécessité ou d'uneimpossibilité de penser, et celle conception, la raison nopeut la puiser qu'en elle-même.Le consentement universel, c'est-à-dire l'accord detous les hommes <strong>sur</strong> certaines vérités, n'est donc pas,comme le croyaient les Cartésiens, la preuve principaledo l'innéilé do ces vérités. H faut sans doute quo tousles hommes s'accordent <strong>sur</strong> les principes innés, car, laraison étant une, tout principe rationnel doit élre universel; et nous savons que cet accord existe toujours dansl'applicationd'un principe Mais lo fait qu'une vérité estuniversellement admise ne saurait prouver que celtevérité n'est pas due à l'expérience: car une expérienceunivcrsollo peut fort bien engendrer des croyances universelles.Ainsi tous les hommes savent que le soleil estchaud et brillant: personne ne soutient pourtant quecette vérité soit innée. D'un autre côté, comme tout principenécessaire doit ôtro par cela mémo universel, le consentementpeut être, comme le dit <strong>Leibniz</strong>, « l'indiced'un principe inné »; autrement dit, quand nous voyonstous les hommes s'accorder <strong>sur</strong> uno vérité, cet accordpeut élre uno raison do croire quo celte vérité csl innée:< mais la preuvo exacte et décisive de ces principes consisteà fairo voir quo leur certitude no vient que de coqui est en nous 1 ».Lo mot Raison a donc pour <strong>Leibniz</strong> le même sens quopour Descartes. H désigno un certain pouvoir de formordes idées et de concevoir des vérités qui ont leur ori-1. <strong>Nouveaux</strong>Estait, Ht. I, cb. i, g 4


68 INTRODUCTION.ginc en nous-mêmes, etc. Mais ni Descartes ni <strong>Leibniz</strong>n'ont cru que ces idées et ces vérités fussent écrites dansl'âme, avant la naissance, comme los édils du préleur <strong>sur</strong>son album. La plupart des esprits n'en ont aucune connaissanceexpresse. Un enfant, un paysan, devant qui on lesexprimerait, pourrait même no pas les reconnaître; ellesexistent pourtant cachées dans les âmes; elles dirigentmême à noire insu tout le travail do notro pensée; sanselles aucun jugement, aucun raisonnement no seraitpossible C'est à peu près comme nous marchons et couronson contractant dos muscles que nous connaissons àpeine, au moyen de nerfs que nous ignorons et en verlude lois mécaniques que nous ne soupçonnons pas et quepersonne, môme aujourd'hui, ne connaît encore bien.H n'est pas impossible de voir dans la théorie do laRaison de <strong>Leibniz</strong>, ainsi comprise, un acheminement versla doctrine Kantienne dos formes et lois a priori do laPensée <strong>Leibniz</strong> soutient quo ce qui est inné en nous, cosont, non pas des vérités générales, mais certaines dispositionsnaturelles en vertu desquelles l'esprit réfléchit <strong>sur</strong>les données do l'expérience sensible 11 n'y a, scmblct-il,qu'un pas à fairo pour transformer ces virtualités, cesdispositions, en lois, en catégories do l'esprit. La doctrineKanticnno permet seule d'échapper complètementaux objections de Locke. Car Locke a raison de dire quol'on no conçoit guère des idées innées qui sont dans l'espritsans que l'esprit y ait jamais pensé; mais on conçoittrès bien des lois auxquelles l'esprit obéit sans les connaîtreLes vérités ou principes innés dans ce systèmeno sont quo les lois mêmes de la pensée, dont nous noussommes rendus compte par la réflexion et quo nous exprimonsdans une formule préciseH nous resle maintenant à chercher quels sont les


INTRODUCTION. 69principes innés qui, suivant <strong>Leibniz</strong>, servent de fondementà toutes nos connaissances. <strong>Leibniz</strong> croit qu'unebonne philosophie doit en réduire le nombre autant quopossible. 11faut pousser aussi loin que l'on peut la démonstrationdes vérités que l'on affirme, mémo de cellesqui nous paraissent claires et distinctes, et ne s'arrêterque lorsqu'on a découvert les principes simples et irréductiblesqui rendent compte de cclto clarté et de cettedistinction. C'est ce quo <strong>Leibniz</strong> entreprit de faire; ildivisa les vérités innées en deux classes : 1° vérités quiservent do principes à nos raisonnements en général, et2° vérités qui servent do base à la Métaphysique 11 réduisità deux les principes de la connaissance et ramena lesvérités métaphysiques à ce que l'intuition nous fait connaîtreimmédiatement de la substance active qui est nousmêmes.IIILES IDEES ET LES VÉRITÉS SUIVANT LEIIINIZ,LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE.c 11 y a deux grands principes do nos raisonnements.L'un est lo principe do la contradiction, qui porte que, dodeux propositions contradictoires, l'une csl vraie, l'autrefausse; l'autre principe est celui de la raison déterminante(ou suffisante) : c'est que jamais rien n'arrive sansqu'il y ait uno cause ou du moins uno raison déterminante,c'est-à-dire quelque chose qui puisse servir àrendre raison a priori, pourquoi cela est existant plutôtque non existant cl pourquoi cela csl ainsi plutôt quo detouto aulre façon. » {Théodicée, § 44.)


INTRODUCTION.a. Le Principe de Contradiction.Le Principe de Contradiction peut so formuler ainsiqu'il suit : A n'est pas non-A. La formulo : A n'est pas Rexprime uno vérité moins évidcnlo et déjà dérivée ; laraison qui-fait que A n'est pas D, c'est que A n'est pasnon-A.La Pensée s'appuio <strong>sur</strong> co principe pour affimer :1° qu'un prédicat contenu dans la notion d'un sujetappartient nécessairement à ce sujet; 2" qu'un prédicatqui est la négation d'un autre prédicat contenu dans lanotion d'un sujet n'appartient pas à ce sujet. C'est doncen vertu du principe de Contradiction quo notre espritaffirme los propositions identiques et nie les propositionscontradictoires. Ainsi un arbre est un arbre, un corps(qui, par définition, csl une chose étendue) est étendu; lodoux n'est pas l'amer (qui est lo non-doux); l'âme (qui, pardéfinition, est inélcnduc) n'est pas étendue.b, Le Principe de liaison Suffisante. .Le principe do Raison Suffisante est le fondement detoutes les propositions qui ne sont pas identiques. L'esprits'appuie <strong>sur</strong> co principe pour lier lo prédicat ausujet dans ces propositions; pour affirmer .les propositionsoù co lien peut être découvert, et nier celles où il nopeut pas être établi.Le principe de Raison Suffisante a un rôle incomparablementplus étendu quo le principe de Contradiction :car les propositions qui peuvent être affirmées ou niéesimmédiatement, en vertu du principe do Contradiction,sont infiniment moins nombreuses que celles dont lavérité ou dont la fausseté doit étro établie médiatemont,


INTRODUCTION*7lc'est-à-diro démontrée. Il faut en effet, suivant <strong>Leibniz</strong>,compter parmi ces dernières propositions, non seulementtoutes les vérités de fait, mais encoro toutes les véritésmathématiques qui ne sont pas évidentes 1. De plus,comme les vérités qui s'appuient <strong>sur</strong> le principe de RaisonSuffisante sont do nature différente (les unes sont, oneffet, des vérités do fait, les autres des vérités nécessaires),il s'ensuit que le principe qui sert de fondement communà toutes ces vérités devra prendre des formes différentes.Il sera, tantôt principe de démonstration mathématique,et alors il différera peu du principe de contradiction; tantôt principe d'explication mécanique, et alors ildeviendra principo do causalité et même principe dofinalité.Lorsqu'il s'agit de vérités nécessaires, comme les véritésmathématiques, le rapport nécessaire qui unit losujet au prédicat, s'il n'apparatl pas immédiatement àl'esprit, peut être découvert au moyen d'une analyse quiramène ces vérités à des vérités identiques. Voici unexemple d'analyse en matière nécessaire donné par <strong>Leibniz</strong>lui-même. 11 s'agit de prouver quo tout multiple do12 est multiple de 6. On raisonne ainsi : tout multiple do12 est multiple do 2 X 2 X 3 ( co qui est la définitionde 12) ; mais tout multiple 2 X 2 X 3 ost multiple de 2X 3 (la seconde expression est contenue dans la première),et tout multiple do 2 X3 ost multiple do 6 (car2 X 3 csl la définition même de 6) : donc, etc. On voitI. Voyez les |g33«3t) de la Monadologie.<strong>Leibniz</strong> y dit que leprincipe de Raison Suffisante noussert k rendre compte, d'abord dosvérités de raisonnement ou véritésnécessaires {c'csl-a-dirc des véritésmathématiques), que l'on résout enidées et en vérités plus simples jusqu'àco qu'on vienne aux prunlives,puis ensuite des vérités contingentesou vérités do fait, dans lesqu:llcs larésolution en raison» particulièrespourrait aller à un détail sansbornes.


72 INTRODUCTION.que l'artifice de celte démonstration consiste à décomposerles idées de 12 et de 6 dans leurs éléments respectifset à résoudre la proposition donnée dans celle proposilionidentique et par conséquent nécessaire : toul multiplede 2X2X3 est multiple de 2 X 3. H y a ici,suivant <strong>Leibniz</strong>, application du principe do la Raison SuffisanteMais la raison Suffisante de la vérité do cetteproposition : tout multiple de 12 est multiple de 6, n'estautre que l'identité des termes donnés, 12 cl 6, avec leurspropres éléments, 2X2X3 et 2X3.Lo principe de Raison Suffisante, dans son applicationaux vérités do raisonnement, sert done à fairo tombersous l'application du principe de Contradiction des véritésqui n'y sont pas immédiatement soumises. On no peut pasdire qu'il se confonde entièrement avec co principe, maison peut dire qu'il en est uno extension.Arrivons maintenant aux vérités contingentes ou defait, comme, par exemple : il pleut aujourd'hui, ou Césarpasse le Rubicon. Qu'est-ce que donner la raison suffisantedo pareilles vérités?C'est d'abord indiquer la causo efficiento du fait donton veut rendre compte, c'est-à-dire ramener la propositionqui exprime co fait à uno aulro proposition qui exprimeun fait antécédent. Ainsi: il pleut maintenant, parcequ'un courant d'air froid a condensé la vapeur d'eaucontenue dans l'air; César a passé le llubicon, parce qu'ila pris la décision de marcher <strong>sur</strong> Rome La raison suffisanted'une vérité do fait est donc contenue dans uneoutre vérité do fait, commo la raison suffisante d'unovérité nécessaire est contentio dans uno autre vérité nécessaire.Seulement lo lien qui unit entre elles los véritésde fait csl tout différent de celui qui unit les vérités nécessaires.On démontre en effet uno vérité nécessaire c>


INTRODUCTION. 73la ramenant à d'autres vérités, dans lesquelles elle sotrouvait implicitement contenue ; tandis qu'une vérité defait n'est pas contenue dans la vérité do fait qui sert à enrendre raison. Ainsi la proposition : il pleut maintenant,n'est pas contenue logiquement dans la proposition : lovent a condensé la vapeur d'eau. Le principe de RaisonSuffisante, dans son application aux vérités de fait, n'estdonc plus une extension du principe de Contradiction,c'est un principe tout différent, dont la nécessité est, nousallons lo voir, non plus logique, mais morale 1.Pourquoi lo phénomène a succède-t-il toujours et partoutau phénomène 6? La Science répondait déjà audix-septième siècle* : en vertu des lois mécaniques quirégissent les phénomènes, en vertu do la loi de la conservationdo la force. <strong>Leibniz</strong> est plus convaincu quopersonne do l'universalité et de la nécessité do cclto dernièreloi, qu'il a découverte lui-même et soutenue contreles Cartésiens. Mais il ne croit pas qu'elle suffise pourdonner la raison suffisante d'un phénomène. D'abord, eneffet, l'analyse des causes mécaniques peut remonter àl'infini; on no peut pas dire qu'on a rendu raison d'unfait quand on a montré qu'il dépendait d'un autre fait quilui-mémo reste inexpliqué. Or, si loin quo l'on remontedans le pftssé, on no trouvera jamais quo des causes secondes,c'est-à-dire des fails dont il faudra encore chercherla raison suffisante. Mais supposons mémo qu'ilsoit possible do remonter jusqu'à une première cause, ilresterait toujours vrai qu'un autre monde, c'est-à-direun attire enchaînement de phénomènes, aurait pu élroappelé à l'existence, et il faudrait expliquer pourquoi lomonde commençant par la première causo a a été crééI. Voyez l'Extrait n* 5 h la lin du volume.


74 INTRODUCTION.plutôt qu'un autre monde commençant par la prcmièrocause a'. Bien plus, Dieu aurait même pu créer un mondeoù les phénomènes auraient été régis par d'autres loisque les lois mécaniques que nous connaissons, et il faudraitdire pourquoi un monde où règne la loi de laconservation de la force a été réalisé de préférence à unmondo régi par d'autres lois 1.La loi do causalité est donc insuffisante pour rendreraison des vérités de fait; il faut rendre raison do cetteloi elle-même, et pour cela il faut recourir à un principonouveau. Ce principe est celui que <strong>Leibniz</strong> appelle:Principe du Meilleur ou do Convenance.H y a, suivant <strong>Leibniz</strong>, deux sortes do nécessités, l'unologique, qui s'exprime par le principe de Contradiction, etl'autre toute morale, en vertu de laquelle lo bien tend àl'existence et le meilleur se réalise toujours; or c'est précisémentcelle nécessité morale qui s'exprimo par lo principedo Raison Suffisante. Ainsi il est logiquement ab<strong>sur</strong>deque deux propositions contradictoires soient vraiesà la fois, et il csl moralement ab<strong>sur</strong>de que lo meilleurno soit pas admis, à l'existence Avant la création, unoinfinité de mondes étaient possibles, mais Dieu no pouvaitpas no pas créer lo meilleur de ces mondes: < Ut possibilitasest principium essentioe, ita perfectio seu essenlioegradus est principium existentioei ».Ce principe étant posé, il devient facile de Vendre raisond'un fait donné.1. <strong>Leibniz</strong> dit, dans la Correspondanceavec Arnauld,i\{\o: * cnmmeSI y a une infiniié d'univers possibles,il y a aussi uno infinité dolois, les unes propres à l'un, lesmitres propres& l'autre». <strong>Leibniz</strong>no considère donc pas lo principedo causalité commo nécessaire enlui-même, et en cela il diiloro deKant.2. De rerum ortglnalione radicall,Erdm., p. Us, col. I.


INTRODUCTION. 75D'abord, si le monde qui contenait le passage du Rubiconet la pluie d'aujourd'hui a été choisi par Dieu etappelé à l'existence, c'est quo ce monde était le meilleurdes mondes possibles.Ensuite, si le mondo où nous vivons est régi par les loisdu mouvement quo nous connaissons, c'est-à-dire par laloi de la conservation de la force, ce n'est pas seulementparce quo celle loi est le moyen d'obtenir la plus grandosomme possible de perfection, mais encore et <strong>sur</strong>toutparco qu'elle est en elle-même belle et digne de la sagessedo Dieu : il y a en effet quelque chose de bon et debeau dans l'équivalence de l'effet plein à la cause pleineDe cette façon la loi de causalité, qui n'est pas nécessairelogiquement, le devient moralement.Ainsi compris, le principe de Raison Suffisante peuts'appeler principe de Convenance ou du Meilleur, ou encoreprincipe de Finalité. C'est donc le principe do Finalitéqui, pour <strong>Leibniz</strong>, rend compte do la causalité efficiente,et la véritable raison suffisante d'un fait doit être cherchéedans sa fin : c Causoe efficientes pendent a finalibus »,disait <strong>Leibniz</strong> dans une lettre écrite vers la fin de sa vie(en 1711), c'csl-â-dirc : 1° lo passage do la cause à l'effettire sa nécessité du principe do la tendance au meilleur,et 2° lo systèmo do causes et d'effets qui constitue lomonde actuel a été choisi par Dieu de préférence à toutnuire, parce qu'il réalisait la plus grande somme debien 1.11 ne nous rcslo plus, pour donner touto sa précision àl'idéo do Raison Suffisante, qu'à expliquer co que <strong>Leibniz</strong>entend par le bien, le meilleur, la perfection.I. Cf. Dite, de Métaph., g 101* C'est là (dans les causes finales)ou il faut chercher lo principo dotoutes les existences cl des loti dela Nature. • Voyez à la fin du volumel'Extrait n* 5.


76 INTRODUCTION.La perfection n'est autre choso que lo plein développementd'une essence, le maximum de réalisation et d'existence,si l'on peut ainsi parler, d'une substance créée Oruno substance, une Monade, se développe, so réalise,existe d'autant plus qu'elle s'élève à un plus haut degréde perception et de connaissance Ainsi ce qu'il y a doplus imparfait au monde, c'est la «simple Monado», quine sort jamais do la nuit des perceptions insensibles.C'est parce quo la malière brute se compose uniquementde telles Monades, qu'elle nous paraît vilo et grossière.Le degré lo plus bas de conscicnco est un premier progrèsvers la perfection. Si lo végétal nous parait plus parfaitque le roc brut, c'est que, dans ses efforls pour croître clse développer, il semble manifester un vague sentimentdcl'cxislonco, uno obscure volonté do vivre La supérioritéde l'animal <strong>sur</strong> lo végétal vient de co qu'il perçoitclairement le monde. Plus ses perceptions sont distincteset variées, plus nous lui reconnaissons do valeur, et plusnous le jugeons respectable. Enfin ce qu'il y a de plusparfait dans la création, c'est l'Esprit, qui, non seulementreprésente le monde, mais encore réfléchit <strong>sur</strong> l'objet doses représentations, et mémo s'élèvo à la connaissancedo l'absolu. En résumé, l'imperfection,pour <strong>Leibniz</strong>, c'estla perception confuse; la perfection, c'est la connaissanceréfléchie, c'est la raison. H faut donc croire quo la fin quoDieu s'est proposée en créant le monde, c'est de développeret do multiplier, pour ainsi dire, la raison. <strong>Leibniz</strong> cslsouvent revenu <strong>sur</strong> cette idée: quo ce qu'il y a de «plusélevé cl de plus divin dans les ouvrages do Dieu », c'estl'« assemblage des Esprits », c'est-à-diro l'ensemble desMonades qui ne sont pas seulement des miroirs do l'univers,mais encore « des images do la Divinité même ou del'Auteur mémo de la nature ». Les Monades qui sont capa-


INTRODUCTION. 77bles do connaître les vérités nécessaires, objet de l'entendementdivin, et de vouloir le bien, objet do la volontédivine, forment la cité de Dieu. Or, s'il est vrai que la findernière du monde soit de réaliser la perfection, et si laperfection est lo développement de la raison, il est permisde croire que la véritable raison suffisante de l'existencedo l'univers, c'est la formation de la cité de Dieu 1.IVLE FONDEMENT DE LA MORALE<strong>Leibniz</strong>, dans la seconde partie du premier livre de ses<strong>Nouveaux</strong> Essais, soutient contre Locke l'existence doprincipes de pratique innés, principes qui ne sont pasclairement aperçus par toutes les intelligences, mais quin'en sont pas moins présents dans tous les esprits, et dirigent,même quand ils ne sont pas connus, la conduitedes hommes. Ces principes sont donc do même naturequo les principes do la connaissance scientifique; ils ontpourtant ceci de particulier qu'ils manifestent leur présencedans l'esprit par un ensemble d'instincts. « Cesinstincts ne sont que la perception confuse d'un principerationnel inné, car tout sentiment est la perception d'unevérité, et tout sentiment naturel l'est d'une vérité innée »« ils nous portent d'abord et sans raison à ce quo la raisonordonno »; mais en môme temps ils nous poussent àrechercher le plaisir et à fuir la peine : < la morale a desprincipes indémontrables, et un des premiers cl des pluspratiques csl qu'il faut suivre la joie et éviter la tristesse ».Ces principes, qui so manifestent par des instincts, et parl.Ct.Honadol„Utocl suiv. Voy.aussi l'Extrait n»8à la fin du volume.


78 INTRODUCTION.des instincts qui nous portent à suivre la joio et à fuir lapeine, <strong>Leibniz</strong> no les formule pas nettement dans le premierlivre des <strong>Nouveaux</strong> Essais; mais, si l'on rapprochedu texte de ce premier livre les autres endroits où il aabordé la question du fondement de la moralité, on arriveà se ce vaincre que ces principes ne sont autre choso,au fond, que le principe de la Raison Suffisante ou duMeilleur 1.Dans le second livre des <strong>Nouveaux</strong> Essais*, <strong>Leibniz</strong> nousdonne comme me<strong>sur</strong>e du bien moral et do la vertu c larègle invariable de la raison que Dieu s'est chargé demaintenir ». Or cette règle invariable à laquelle Dieuobéit dans tous ses actes, nous le savons, c'csl la règle dumeilleur 3: c Detcrminatus ille est ad optimum efficiendum». Lo bien est, en effet, pour <strong>Leibniz</strong> comme pourPlaton, l'objet éternel do la pensée et de la volonté doDieu. Dieu connaît par sa sagesse, choisit par sa bonté, etproduit par sa puissance, lo meilleur. H a créé le mondoc pour communiquer sa bonté ».On voit que le principe de Raison Suffisante contient enlui-mémo le principe suprême de notre conduite En concevantlo bien ou la perfection qui csl l'objet éternel dela volonté de Dieu, je conçois la fin dernière do la créationcl la raison d'être do tous les phénomènes physiques,et jo conçois en môme temps la règle suprême à laquclloje dois obéir. Jo comprends que tous mes efforts doiventtendre à connaître cl à vouloir la perfection, afin do merendre aqtanl que possiblesemblable à Dieu.Or, commo l'univers entier tend, par un instinct spon-1. Voyez l'Extrait iV 7 à la fin duvolume.2. <strong>Nouveaux</strong> Essais, livro 11,ch. xxvill, g 7. Extrait n» 7.3. Cf. Causa Ùel,% 39: * Doisitaqtic inter objecta volnnlalls habetoptimum ut finciit ullimum », clMonadologie, gg 53 et suiv.


INTRODUCTION. 79tané, à la perfection,il s'ensuit qu'une tendance naturelleme porte à désirer la perfection, car je fais partie do l'univers.J'ai une inclination qui me porte à me conservercl à me développer; j'en ai une autre qui m'invite à aiderà la conservation et au développement des autres. Je veuxêtre moi-même autant quo possible, et développer l'êtreanlour de moi: jo veux donc la perfection, puisque laperfection est, comme nous l'avons déjà dit, le plus hautdegré d'être. Mais, cette perfection, jo la veux d'abord sansla connaître, poussé par un instinct aveugle; et, tant quej'obéis à cet instinct, sans réflexion, ma conduite n'a pasencore de valeur morale, parce que, comme Kant le diraplus tard, j'agis conformément au devoir, mais non parl'idée du devoir. Jo deviens un étro moral le jour oùpar la raison j'arrive à me rendre Compte de la fin verslaquelle me portait la nature, et lorsque je veux, par réflexionot librement, la perfection que d'abord je poursuivaisen aveugle. Hicn n'est changé par là dans la directiongénérale do ma conduite, car je n'échappe pas à l'empiredes instincts, mais je connais l'objet de ces instincts. Laverlu est donc, pour <strong>Leibniz</strong> comme pour Socratc, unescience, et ainsi se. trouve expliqué ce passage des <strong>Nouveaux</strong>Essais: «Les instincts sont des perceptions confusesdo principes rationnels ».Mais» d'un autre côlé, nous savons quo ces mêmes instinctsnous portent à rechercher le plaisir cl à fuir lapeine. C'est quo, pour <strong>Leibniz</strong> comme pour Arislotc, leplaisir est le couronnement do tout acte qui nous élèveen perfection, tandis que la peine résulte de tout abaissementdo notro élre, do touto imperfection. Toutes nosinclinations naturelles nous portent à conserver et à développernotre être; on peut donc dire que toutes nos inclinationsnous portent vers lo bien, puisque le bien consisto


80 . INTRODUCTION.à élre autant que possible : aussi toulo inclination satisfaitedevient-elle une source de plaisir. Mais le plaisir leplus pur est celui qui résulte de l'exercice de la plus noblodo nos facultés, de ccllo qui fait de nous des êtres parexcellence, c'est-à-dire de la Raison. Aussi la plus grandojoie de l'être raisonnable est-elle la connaissance desvérités dont Dieu est lo fondement, <strong>sur</strong>tout la connaissancedecetle perfection que conçoit l'entendement divinet la volonté réfléchie d'agir en vue de ccllo perfection.L'être qui connaît lo plus clairement ce quo Dieu connaît,qui veut le plus fortement ce que Dieu veut, l'être quis'approche lo plus do l'idéal divin csl à la fois le meilleurmoralement cl lo plus heureux.Co système de morale, que <strong>Leibniz</strong>, à vrai dire, n'a faitqu'ébaucher et dont le premier livre des <strong>Nouveaux</strong> Essaisnous présente encore l'esquisse la plus complète, ne sauraitpasser pour un système original. <strong>Leibniz</strong>, à l'exemplede Descartes, parait s'inspirer des moralistes anciens,<strong>sur</strong>tout d'Arislolo et des Stoïciens. Arislotc avait dit quela vertu consistait dans uno certaine habitude d'agir suivantla raison, et il avait ajouté que lo bonheur était laconséquence et la récompense nécessaire de l'exercico dela plus noblo do nos facultés. Mais co furent pcut-ôlrelcsStoïciens qui s'approchèrent le plus do la pensée do<strong>Leibniz</strong>: les Stoïciens enseignèrent en effet quo lo plushaut degré do la sagesso et du bonheur est do concevoirpar la raison l'ordre du mondo que nul morlel ne peutchanger, de comprendre la beauté cl la perfection do cetordre divin cl d'y conformer absolument notre volonté.Quand <strong>Leibniz</strong> déclare quo la vertu consiste à connaîtreet à vouloir la perfection, qui est la raison suffisante dumonde, il csl donc stoïcien plus encore quo péripatéticien.En résumé, la morale do <strong>Leibniz</strong> est une moralo antique,


INTRODUCTION. 81et ses défauts sont les mômes quo ceux des doctrines dol'antiquité : l'idéo d'obligation, dont Kant le premier abien compris l'importance fondamentale, en est à peuprès absente. La vertu est, pour <strong>Leibniz</strong>, une connaissance,elle consiste avant tout à réfléchir, à contempler. La volonté,qui d'abord obéit aveuglément à des instincts,prend une valeur morale quand elle est éclairée par laraison qui s'est rendu compte des fins de notre natureen.mémo temps quo do l'ordre du monde; mais il semblequo jamais cetto volonté n'ait à lutter, que jamais il nolui arrive d'entendre l'impératif catégorique de la Raisons'élever contre ses instincts et ses désirs.VLES PRINCIPES DE LA MÉTAPHYSIQUELa liaison, suivant <strong>Leibniz</strong>, n'est pas seulement lafaculté qui réfléchit <strong>sur</strong> les données de l'expérience sensibleet les ramèno à des propositions universelles etnécessaires; ce n'est pas seulement la faculté qui combinodes moyens pour atteindre des fins et propose comme findernière à notro activité lo meilleur : c'est encore la facultéqui s'élève à la conception de la réalité absolueLes idées directrices de la connaissance cl de la conduitene sont donc pas los seules notions innées et a prioriquo nous possédions : il faut y ajouter certaines notionssuprascnsibles, pour ainsi dire, par lesquelles nous pénétronsdans le monde des choses en soi. Nous savonsdéjà comment la Monade forme ces notions. En réfléchissaut<strong>sur</strong> lo monde, en donnant uno direction à sa conduite,la Monade s'est constituée commo Esprit. L'Espritréfléchit ensuito <strong>sur</strong> lui-mêmo et prend conscience deLKIDNIZ,


82 INTRODUCTION*Son essence et de ses opérations: c'est ainsi qu'il trouveen lui les notions fondamentales de la Métaphysique.<strong>Leibniz</strong> a plusieurs fois énuméré ces notions : « Lanotion quo j'ai do moi et de mes pensées, dit-il dans leDiscours de Métaphysique, et par conséquent de l'Être,de la Substance, de l'Action, de l'Identité et de bien d'autrès, vient d'une expérience interne 1 ». Et, Monadologie,§ 30 : « Et c'est ainsi qu'en pensant à nous, nouspensons à l'Être, à la Substance, au simple et au composé,à l'immatériel et à Dieu même, en concevant quoco qui est borné en nous est en lui sans bornes ». C'esten ce sens qu'il faut interpréter le célèbre tnisi intellectusipse » que <strong>Leibniz</strong> proposait d'ajouter au « Nihil estin intcllcclu quod non prius fuerit in sensu » do LockeLes mots inteltectus ipse no signifient pas tant les principesdirecteurs do la connaissance, quo l'essenco, la naturemême do la Monade, dont l'Esprit prend conscience.« On 'm'opposera cet axiomo reçu parmi les philosophes :Que rien n'est dans l'âme qui ne vienne des sens. Maisjj/aut excepter l'âme mémo ot ses affections. Or l'Ameréijfcrmo l'Etre, la substance, l'un, lo môme, la cause, laperception, le raisonnement et quantité d'autres notionsque les sens ne sauraient donner. > (<strong>Nouveaux</strong> Essais,liv. Il, ch. I, § 2; Erdmann, p. 223.)Or <strong>Leibniz</strong> ne considère pas celle connaissance que laMonade raisonnable a do sa nature et do ses opérations,comme une connaissance empirique, analogue à la connaissanceque nous avons du mondo extérieur. En pensantà nous, dit-il, nous pensons à /'Être, « l'Amo renfermel'Être ». « Nous trouvons l'idéo do la Substanceen nous-mêmes, parco que nous sommes des substan-1. DiscoursdeMétaphysique,g 87,


INTRODUCTION. 83ces.» La pensée de <strong>Leibniz</strong> était donc certainement quola Monade, dans l'intuition qu'cllo a d'elle-même, découvrenon pas un être particulier, périssable et contingent,mais l'être absolu, qui seulement lui apparaît souscertaines restrictions cl limitations.Ainsi la réflexion que je fais <strong>sur</strong> moi-même me permetd'affirmer que la réalité, ce que Kant appellera plus tardla chose en soi, se réduit partout à des substances simplescl actives, qui manifestent leur activité par la perceptionet l'appétition. Toutes les Monades créées sont do pareillessubstances, Dieu mémo n'est pas d'une essencedifférente, et c'est pourquoi, < en pensant à nous, nouspensons à Dieu mémo ».La Métaphysique ou science de l'absolu csl donc possible.Elle s'appuie, commo la science du monde physique,<strong>sur</strong> des idées et vérités a priori, innées, avec celle différence,quo les idées et vérités a priori qui servent defondement à la science do la nature sont des principesdirecteurs qui servent de base au raisonnement, tandisquo les idées et vérités qui servent de point do dépari àla Métaphysique sont, non plus la forme, mais l'objetmême de nos raisonnements.VIL'IDÉE DE DIEU<strong>Leibniz</strong> dit dans lo premier livre des <strong>Nouveaux</strong> Essais,et répèle dans le quatrième, qu'il compte parmi les idéesinnées l'idée do Dieu 1; mais il ne faut pas conclure doI. Nouveau- Essais, liv. I,


84 INTRODUCTION.ces passages qu'une nouvelle idée doive être ajoutée à laliste des idées et vérités innées, après les principes doContradiction et do Raison Suffisante et après les notionsmétaphysiques d'Être et de Substance active. Il suffit, eneffet, d'analyser, avec <strong>Leibniz</strong>, l'idée de la Divinité, pourvoir qu'elfe ne contient aucun élément qui ne so trouvedéjà dans les idées et vérités que nous avons examinées.Dieu n'est, en effet, pour <strong>Leibniz</strong>, que l'Être conçu danstouto sa plénitude La notion d'Être unie à celle de Perfectionsuffit donc à nc.'s donner l'idéo de Dieu.Or la notion d'Être ou de-Substance nous est fournie parla réflexion que nous faisons <strong>sur</strong> notre propre essenceNous savons, en effet, que cette réflexion <strong>sur</strong> nousmêmesnous fait apercevoir, dans l'être particulier clcontingent qui est notre Monade, l'Être en général, tel qu'ilexiste nécessairement. Dieu ne diffère donc pas de nousquant à l'essence, ni même quant aux facultés, car l'activitédo la Substance est toujours et partout la môme.Nous sommes des substances simples, Dieu est une substancesimple Notre activité se manifeste parla perceptionet l'appélition ou tendance. L'activité do la Monade suprême,qui est Dieu, se manifeste par la connaissance, quicorrespond à la perception, et par la volonté, qui correspondà l'appélition : c II y a en Dieu la puissance, qui cslla source do tout, puis la connaissance, qui contient ledétail des idées, et enfin la volonté, qui fait les changementsou productions, selon le principe du Meilleur. Etc'est ce qui répond à ce qui, dans les Monades créées, faitle sujet ou la base, la faculté perceptive et la facultéappétilivo 1. %Mais, pour nous élever do la connaissance de nous-I. Monad., g 48. Voyez aussi le Disc, de Métaph., p. 35 et 30 (Exlr. n» 8).


INTRODUCTION. 85mômes à celle de Dieu, il faut « concevoir que ce qui cslborné en nous ost en lui sans bornes », il faut élever à laperfection les facultés do la Monade humaine 11 fautdonc, pour concevoir Dieu, ajouter l'idée du Parfait à l'idéedo l'Être Or celte idée du Parfait n'est pas une idéenouvelle Elle ne diffère pas de l'idéo qui sert de fondementà la plupart do nos raisonnements et do règlo ànotre conduite; car c'est en concevant la perfection quenous concevons à la fois la raison d'être de la création etl'idéal suprême vers lequel doit tendre notro activité.Celte même idée do la perfection va nous servir maintenantà former la notion de Dieu, parce qu'elle est ellemêmed'origine divine « Les idées distinctes sont unoreprésentation de Dieu. »La perfection consiste, nous lo savons, dans une sortede libération de la substance active, qui s'affranchit dela matière, ou, plus exactement, de ce qui exprime, dansla Monade, la matière et ses changements, c'est-à-diredes perceptions confuses. Mais les substances crééesn'atleigncnt jamais qu'une perfection relative, car ellesrestent toujours attachées à un corps, qui oppose unobstacle in<strong>sur</strong>montable au développement complet desfacultés supérieures de la Monade C'est au corps, eneffet, qu'il faut attribuer ces perceptions des sens, toujoursplus ou moins confuses, qui rendent si difficile la connaissancedes vérités éternelles cl nécessaires. C'est ducorps que viennent ces passions qui empêchent notrevolonté do suivre toujours lo principe du Meilleur. Il fautdonc, si nous voulons concevoir l'être parfait, nous figureruno Monade semblable à In nôtre, quant à l'essenceet quant aux facultés, mais absolument délivrée de toutattachement à la matière et par conséquent de toutolimitation.


86 INTRODUCTION.Celto Monado suprêmo aura deux facultés, correspondantùco qui, chez nous, s'appcllo perception et tendance.La première de ces facultés sera l'Intelligence, qui contempleraavec uno parfoilo clarté los vérités éternelles,cl connaîtra l'univers entier entant qu'il est l'expressionde ces vérités. La seconde sera la Volonté, qui choisira'etréalisera toujours le Moillcur, sans étro jamais sollicitéepar aucune passion. Le Dieu do <strong>Leibniz</strong> est donc un purEntendement cl uno pure Volonté; c'est la Raison même,absolument dégagée do tout élément sensible, et les Monadeshumaines ou Esprits, qui composent la Cité deDieu, qui conçoivent les vérités éternelles et veulent lobien, sont des images de celto Raison suprêmeMais il ne suffit pas d'avoir une mélhodo pour formerla notion de l'Être Parfait, il faut encoro prouver quocelte notion exprime un être réel. <strong>Leibniz</strong> est aussi convaincuque Descarlcs de la nécessité de démontrer l'existencede Dieu. H croit cette démonstration possible et laréduit aux trois arguments suivants :1° Le premier est tiré de la considération du monde clse divise en deux parties : d'abord le monde est contingent,et toute existence contingente suppose uneexistence nécessaire : < 11 y a, dit <strong>Leibniz</strong> dans la Monadologie,des êtres contingents, lesquels no sauraientavoir leur raison dernière et suffisante que dans l'Êtrenécessaire, qui a la raison de son existence en lui-même » ;en second lieu, l'harmonie, c'est-à-dire l'accord entreles substances infiniment nombreuses qui, toutes, perçoiventle même univers à des points de vue différents,n'a pu être établie que par un être d'une puissanceet d'une intelligence infinies, ajoutons d'une bonté-infinie, car celte harmonie réalise la plus grande sommepossible de perfection. Or la puissance, l'intelligence,


INTRODUCTION. 87la bonté infinies, sont, par définition, los attributs doDieu,2* Les vérités éternelles que conçoivent nos espritsbornés fournissent uno seconde prouve do l'existence doDieu. Ces vérités, en effet, sont antérieures à l'exislencoactuelle des créatures ; car, avant la création du mondo.écl, il y avait déjà dos mondes possibles, et parmi cesmondes possibles il y en avait un meilleur quo les autres.Lo principe de Contradiction ou principo du possible, etlo principo do Raison Suffisante ou principe du meilleur,s'appliquaient donc déjà, sinon à des existences, au moins,commo dit <strong>Leibniz</strong>, à dos essences. Mais il fallait bienquoces vérités idéales eussent leur fondement dansquelque chose do réel et d'actuel. Ce quelque chose nepouvait être que l'entendement divin.3° Enfin, <strong>Leibniz</strong> admet, comme Descartes et saint Anselme,que l'existence do l'Être Parfait peut être déduite dosa notion mémo, à la condition toutefois que celle notionsoit possiblo, c'est-à-dire n'cnfeime aucuno contradiction.Mais « rien no peut empêcher la possibilité do cequi n'enferme aucune borne, aucune négation, cl parconséquent aucune contradiction ». Donc l'Être Parfaitexiste nécessairement.


88 INTRODUCTION.CONCLUSIONSRésumons dans un petit nombre do courtes propositionsles idées principales de la Mélaphysiquo et do laThéorio de la Connaissance do <strong>Leibniz</strong>.1. — MÉTAPHYSIQUE1° 11 n'y a pas deux substances, commo l'avait cruDcscarles, mais uno seule ; cctto substance est immatérielle,aclivo par essence, et elle manifeste son activitépar l'effort cl la perception ; clic est divisée en un nombreinfini d'êtres, qui sont les Monades.2° Les Monades, par leurs efforts ou leurs perceptions,expriment l'univers tout entier. Le mondo sensible n'aaucune réalité en dehors des perceptions des 3Ionadcs,mais il est reproduit autant de fois qu'il existe de Monades,3° Chaque Monado n'exprime distinctement qu'unopartie du monde, celle qui est en rapport avec le corpsqui lui est attribué. Le corps délcrmino le point do vuode la Monade. Toutes les Monades perçoivent le mémounivers, chacune à un point do vue différent, et c'estl'accord entre les perceptions cl les points" de vue desMonades, incapables d'agir les unes <strong>sur</strong> les autres, que<strong>Leibniz</strong> appelait l'Harmonie préétablie.4° La succession des perceptions de chaque Monade estréglée depuis l'origine du monde Toutes nos actions sontdonc déterminées. Mais co déterminisme est conciliabloavec le sentiment de la liberté, parco quo nous avonsconscience quo lo contraire du parti que nous avons prisétait, sinon réellement, au moins logiquement possible.


INTRODUCTION. 805° Les Monades sont immortelles. Dieu les a créées enmémo temps quo l'univors, cl elles dureront aussi longtempsquo l'univers. Par une grâce spéciale, les Monadeshumaines ou Esprits, qui se sont élevées au degré do laRaison et de la Moralité, conserveront toujours la conscienced'elles-mêmes et la personnalité qu'elles ontacquiso en ccllo vieII. — THÉORIE DE LA CONNAISSANCE1° La Monade humaine ou Esprit est capable de connaissanceréfléchie Elle connaît d'abord le mondesensible,c'csl-à-diro qu'elle ramène, en vertu de principesnécessaires, les phénomènes particuliers à des lois générales; ensuite elle dépasse l'univers sensible, s'élève àla connaissance de l'absolu et fonde la Métaphysique.2° La réflexion s'ajoute à la représcnttùion claire etdistincte des choses sensibles. La représentation claireprocède elle-même des perceptions insensibles que laconscience n'aperçoit pas.3° La connaissance réfléchie s'appuie <strong>sur</strong> un certainnombre d'idées et de vérités muées. <strong>Leibniz</strong> prouved'abord, contre Locke, qu'il y a de telles idées et de tellesvérités. Son argument capital est tiré du caractère decertitude et de nécessité do ces idées et vérités, certitudeet nécessité dont l'expérience ne peut rendre compte.4° Les idées et vérités que l'Esprit découvre en luisont d'abord les principes fondamentaux de la connaissance,c'est-à-dire le principe de Contradiction, qui sertdo fondement aux vérités identiques, et le principe deRaison Suffisante, qui est le fondement, à la fois des véritésde raison qui ne sont pas identiques, cl des vérités defait. Dans son application aux vérités de fait, le principe


00 INTR06UCTI0N,do Raison Suffisante devient lo principo do convenance oudu Meilleur. Lo principe do la Morale ne diffère pas, aufond, do ce principe. Nous devons connaître le bien, quicsl la raison d'êlro du monde, ot vouloir ce bien, commoDieu lo veut.5° L'Esprit, on réfléchissant <strong>sur</strong> sa propro nature,trouve encore en lui les notions fondamentales do laMétaphysique, c'est-à-diro les notions d'Êtro, do Substance,do Force, etc.G0 Enfin, en combinant la notion do l'Être avec colle duMeilleur ou do la Perfection, l'Esprit formo lo conceptdo Dieu.


NOUVEAUXESSAISSURL'ENTENDEMENTHUMAINAVANT-PROPOS\SEssai <strong>sur</strong> VEntendement, donné par un illustreAnglais, étant un des plus beaux et des plusestimés ouvrages de ce temps, j'ai pris la résolutiond'y faire des remarques, parce qu'ayant assez méditédepuis longtemps <strong>sur</strong> le môme sujet et <strong>sur</strong> la plupartdes matières qui y sont touchées, j'ai cru quo ceserait une bonne occasion d'en faire paraître quelquechose sous le titre de <strong>Nouveaux</strong> Essais <strong>sur</strong> l'Entendement,et de procurer une entrée favorable à mespensées en les niellant en si bonne compagnie. J'aicru encore pouvoir profiter du travail d'autrui, nonseulement pour diminuer le mien (puisque, en effet, ily a moins de peine à suivre le fil d'un bon auteur qu'àtravailler à nouveaux frais en tout), mais encore pourajouter quelque chose à ce qu'il nous a donné, ce quiest toujours plus facile que de commencer; car jecrois avoir levé quelques difficultés qu'il avait laisséesen leur entier. Ainsi sa réputation m'est avantageuse;étant d'ailleurs d'humeur à rendre justice etbien loin de vouloir diminuer l'estime qu'on a pour


112 LES NOUVEAUX ESSAIS.cet ouvrage, jo l'accroîtrais, si mon approbation étaitdo quelquo poids. Il est vrai quo jo suis souvent d'unaulro avis, mais, bien loin do disconvenir du méritedes Écrivains célèbres, on leur rend témoignage onfaisant connaître on quoi cl pourquoi on s'éloigne deleur sentiment, quand on juge nécessaire d'empôchcrquo leur autorité ne prévaille à la raison en quelquespoints do conséquenco, outro qu'en satisfaisant à dosi excellents hommes, on rend la vérité plus reccvnble,et il faut supposer quo c'est principalementpour elle qu'ils travaillent. En effet, quoique l'AuteurdeYEssai dise mille belles choses, où j'applaudis, nossystèmes diffèrent beaucoup. Le sien a plus de rapportà Arislotc 1, et lo mien h Platon 9, quoique nousnous éloignions en bien des choses l'un et l'autre dola doctrine de ces deux anciens. Il est plus populaire,et moi je suis forcé quelquefois d'être un peu plus3acroamatique et plus abstrait, ce qui n'est pas uni. <strong>Leibniz</strong> semble considérer icila philosophie d'Arislote commeune philosophie purement expérimentale.Aristote, il est vrai, nocroyait pas, comme Platon semblel'avoir admis, que l'âme, avant lanaissance, eût déjà contemplé avecjilcîno conscicnco les idées detoutes choses; il admettait mémoque l'expérience csl indispensablepour arriver à une connaissancenclucllo dos idées; mais il élaitconvaincu, lotit commo Platon, quoles idées existent dans l'esprit àl'état do virtualités, avant touteexpérience. La théorio de la connaissanced'Arislote est donc touterationaliste cl se rapproche mêmebeaucoup de celle do <strong>Leibniz</strong>.S. Platon croyait, en effet, a l'innéitédetoutes les idées. Il admettaitmême, s'il faut prendre à la Icllrole texto de certains dialogues, quel'âme, solliciléo par la perceptionsensible, ne fait que retrouver dansson fonds des idées auxquelles clica pensé dans uno existenco antérieureVoy. lo Mythe du Phèdre.3. On appelait acroamatique s,dans l'antiquité, les écrits qui n'étaientquclarédacliond'unenseignementoral, par opposition aux écrilspopulaires. Ainsi la physique d'Arislotecsl intitulée 4>usixî) «xf6«?i(.


AVANÏ-PROPOS. 03avantage h moi, <strong>sur</strong>tout quand on écrit dans unolangue vivante. Jo crois cependant qu'en faisant parlerdeux pcisonnos, dont l'une exposo les sonlimentstirés do YEssai do cet Auteur, et l'autio y joint mesobservations, le parallèle sera plus au gré du lecteurque des remarques toutes sèches dont la lecture auraitété interrompue à tout moment par la nécessitéde recourir à son livre pour ontendre le mien, Il serapourtantbon de conférer encore quelquefois nosécrits et do no juger do ses sentiments quo par sonpropre ouvrage, quoique j'en aie gardé ordinairementles exprossions. Il est vrai que la sujétion que donnole discours d'autrui, dont on doit suivre le fil en faisantdes remarques, a fait que je n'ai pu songeraattraper les agréments dont le dialogue est susceptible: mais j'espère que la matière réparera le défautde la façon.Nos différends sont <strong>sur</strong> des sujets de quelque importance.Il s'agit de savoir si l'Ame en elle-mêmeest vide entièrement comme des Tablettes où l'on n'aencore rien écrit (Tabula rasa) 1, suivant Arislotc etI. L'expression de table rase setrouve en effet chez Arislotc, DeAnima, liv. III, ch. iv, g 11 : 4iUi' «itu; Û7T.tf t» y}«ni*aT«î vo^xi, sont enpuissance dans l'Amo.ctjy restentcachées lant que l'esprit n'y a pasactuellement pensé. Cette comparaisoncélèbre do la table rase aété reprise par les Stoïciens, dontla théorio do la connaissanceétait purement empirique et sorapprochait beaucoup de celle deLocke. On la trouve citée par Plularque,De Placilis philosophal'IOW,IV, 11 : "0w ïlv/r.Gi; 6 Hi-Ojuzo; ïju i% t,fVf.vivAi Jttfro; -t,i^"Z^îi #**'? J[«JTÎOK lv«}Y«* •'> 4"«-


94 LES NOUVEAUX ESSAIS,l'Auteur do YEssai, et si tout co qui y est tracé vientuniquement dos sons et do l'expérienco, ou si l'Ainocontient originairement les principes do plusieursnotions ot doctrines quo les objets externes réveillentseulement dans les occasions, commo jo lo crois avecPlaton et mémo avec l'Kcolo, et avec tous ceux quiprennent dans cette signification lo passage de saintPaul (Hom.f II, 15) 1, où il marque quo la Loi do Dieuest écrite dans les coeurs. Les Stoïciens appelaient cesPrincipes Prolepses 3, c'est-à-dire dos assomplionsfondamentales, ou ce qu'on prend pour accordé paravance. Les mathématiciens les appellent Notionscommunes (xotvàçêvvo(aî) 3. Les philosophes modernesleur donnent d'autres beaux noms, et Jules 1Scaligcrparticulièrement les nommait Semina oetemitatis;item Zopyra 5, comme voulant dire des feux vivants,1. Saint Paul, Ait Romanos,II, 15 : olïtvi; IvJiixvjvTat t4 »?*'''2. La ngôluv}i; joue un rôle Importantdans la théorio stoïciennede la connaissance. Suivant lesStoïcic;is,la perception est la sourcounique de nos connaissances; toutesnos idées générales, tous les conceptsqui nous élèvent au-dessusde ce qui csl immédiatement perçaipar les scn%. dérivent do l'expériencesensible; mais les conceptsse divisent nn deux classes. La formationdes concepts est, en effet,tantôt artificielle, tantôt naturelleet spontanée. A celle dernière catégorieappartient la nfô>vj"« (onlatinprasumptio): t«t *•$ i?}4>.»ij"SIvvota çuïixi) xS-i xaOôXvj. Ilost doncimpossiblo do voir dans les prolepsesdos idées innées.3. Eucltdc appelle ces axiomesxoivà; tvvoïa;, par CX. : :i ?$ aitùlt»a, xai dlW^otî t»tiv *»«.4. Jules Scaligcr, célèbre médecinet littérateur italien, né à Padouoen 1484, inorl à Agen en 1558. Se*deux principaux ouvrages, écritstous les deux à Agen, sont unePoétique et une longue réfutât!' ndu De subtilitate de Cardan. Codernier ouvrage contient la plupartdes idées philosophiques de J. Scaligcr.Voy. particulièrement YExercitatio307, qui trailo do l'âme etde ses facultés.5. Les expressions zûxuaa (sclntlllulot)et Semina sont stoïciennes.


AVANT-PROPOS. 95des traits lumineux, cachés au dedans de nous, maisquo la rencontro des sons ot des objets externes faitparallro comme des étincelles quo le choc fait sortirdu fusil. Et co n'est pas sans raison qu'on croit que ceséclats marquent quelque choso do divin et d'éternelqui parait <strong>sur</strong>tout dans les vérités nécessaires. D'où ilnaît une autre question, si toutes les vérités dépendentde l'expérience, c'est-à-dire do l'induction etdes exemples, ou s'il y en a qui ont encoro un autrefondement. Car si quelques événements se peuventprévoir avant toute épreuve qu'on en ait faite, il estmanifeste que nous y contribuons quelque chosedu nôtre 1. Les sens, quoique nécessaires pour toutesnos connaissancesi actuelles, ne sont point suffisantspour nous les donner toutes, puisque les sens nedonnent jamais que des exemples, c'est-à-dire desvérités particulières ou individuelles. Or tous lesexemples qui confirment une vérité générale, dequelque nombre qu'ils soient, ne suffisent pas pourétablir la nécessité universelle de cette môme vérité,Elles désignent, non pas des idéesinnées, mais uno disposition naturelleà la vertu. Cic, De Finib.,V, xv, 43 : in pueris vlrlutumquasi scintillulas videmus. M.,ibid, vu, 18 : virliitum igniculielsemina. Id., Tusc, III, 1,2 (S'atitra)parvulos nobis dédit igniculos;sunt entm ingeniis nostrissemina innat* vlrlutum. Cf. Justc-U[>se,Manuductioadphilos.Stolc,liv. II. dis.ll : Istx flammuhe, siveignlculos mavis dice're [Groeci «*w-'?î«»W*vf«, Ivaûjjma appellant).1. Lorsque nous affirmons avanttoute observation qu'un événementse) produira nécessairement d'unecertaine façon, cette affirmationno peut élre fondée que <strong>sur</strong> quelqueprincipe quo notre pensée découvreen elle-même, et qui est àla fois, connue Kant lo dira plustard, loi de notre esprit et loi deschoses.2. En effet, nous ne pouvons pasconcevoir actuellement uno idéequelconque sans le secours dessens.


96 LES NOUVEAUX ESSAIS.car il no suit point quo co qui ost arrivé arrivera domôme, Par exemple, los Grecs et les Romains et tousles autres peuples de la terre connue aux anciens onttoujours remarqua qu'avant le décours do 2


AVANT-PROl'OS. 97assez par l'expérienco ot par les images sensibles',La Logique encoro, avec la Métaphysique et la Morale,dont l'une forme la Théologie et l'aulro la Jurisprudence,naturelles toutes deux, sont pleines do tellesvérités, et par conséquent leur preuve no peut venirque des principes internes qu'on appelle innés. Il estvrai qu'il no faut point s'imaginer qu'on peut liredans l'Ame ces éternelles lois do la raison à livreouvert, comme l'éditdu préleur so lit <strong>sur</strong> son album,sans peine et sans recherche 3 ; mais c'est assez qu'onles peut découvrir en nous à force d'attention, à quoiles occasions sont fournies par les sens, et le succèsdes expériences sert encore de confirmation à la raison,à peu près commo les épreuves servent dansl'arithmétique pour mieux éviter l'erreur du calculquand le raisonnement est long. C'est aussi en quoiles connaissances des hommes et celles des hôtes sontdifférentes: les bêtes sont purement empiriques etne font que so régler <strong>sur</strong> les exemples ; car elles n'arriventjamais à former des propositions nécessairesautant qu'on en peut juger ; au lieu que les hommes1. Dans le « Premier échantillon<strong>sur</strong> l'Essai de l'Entendement humainde M. Ijockii, <strong>Leibniz</strong> déclarequ'il csliiuo extrêmement laméthode d'Eucl.dc, qui a démontréque, dans un triangle, un côté csltoujours moindre que les deux autrespris ensemble, ce qui pourraitsembler suffisamment démontré par,la simple inspection do la figure/^Voyez à la fin du volume l'Exuj&ln» 1, intitulé: Sur l'Essai dc/r&i-'LEIBMZ.:ûtcndemenl humain de M. Locke.2. Ceci est dirigé contre certainsCartésiens qui semblaient admcllroquelcs idées innées existaient toutesformulées dans l'âme et qu'il suffisaitd'un peu d'attention pour lesy trouver et les lire comme à livreouvert. <strong>Leibniz</strong> croit quelcs notionspremières sont seulement en puissKiçfcdimsl'esprit, co qui expliqueque ^-JyNl do personnes arriventà Jcs concevoir nettement.''Zf 7


08 LES NOUVEAUX ESSAIS.sont capables des sciences démonstratives. C'est encorepour cola que la faculté quo les botes ont do fairodes consécutions est quelque chose d'inférieur à laraison qui csl dans los hommes ', Les consécutionsdes hôtes sont purement comme celles des simplesempiriques, qui prétendent que ce qui est arrivéquelquefois arrivera encore dans un cas où ce qui lesfrappe est pareil, sans être capables de juger si lesmômes raisons subsistent. C'est parla qu'il est si aiséaux hommes d'attraper les hôtes*, et qu'il est si facileaux simples empiriques de faire des fautes. C'estde quoi los personnes devenues habiles par l'Age etpar l'expérience ne sont pas exemptes lorsqu'elles sofient trop A leur expérience passée, commo cela estarrivé A plusieurs dans les affaires civiles et militaires,parce qu'on no considère point assez que lemonde change et que les hommes deviennent plushabiles en trouvant mille adresses nouvelles, au lieuque les cerfs où les lièvres de ce temps ne deviennentpoint plus rusés que ceux du temps passé. Les consécutionsdos botes no sont qu'une ombre de raisonnement,c'est-à-diro ce no sont que connexions d'imaginationet que passages d'une image A une autre,parce que, dans une rencontre nouvelle qui paraitl.Lcibnit parle, dans h Monadologie(g 20), de conséculio-s, do seulement à l'ordre habituel destions dans leur esprit correspondperceptions que la mémoire phénomènes II suffit donc de modifiercet ordre pour détruire lafournit aux bêtes et qui imitent laraison.correspondance établie par l'habitudeentre la nature et la conscience2. Il est facile d'attraper les bétesparce que l'association des sensa- de l'animal.


AVANT-PROPOS. 00somblablo A la précédonto, on s'attend do nouveau Aco qu'on y trouvait joint autrefois, comme si les chosesétaient liées on ciTct, parco que leurs images le sontdans la mémoire '. Il est vrai qu'encore la raison conseillequ'on s'attende pour l'ordinaire de voir arriverA l'avenir co qui est conforme à uno longue expériencedu passé, mais ce n'est pas pour cela une vérité nécessaireet infaillible, et le succès peut cesser quandon s'y attend le moins, lorsque les raisons changentqui l'ont maintenu. C'est pourquoi les plus sages nos'y fient pas tant, qu'ils ne lâchent do pénétrer quclquochose de la raison (s'il est possible) de ce fait pourjuger quand il faudra des exceptions. Car la raisonest seule capable d'établir des règles sûres 2 et desuppléer ce qui manque à celles qui ne l'étaient point,en y insérant leurs exceptions ; et de trouver enfin desliaisons certaines dans la force des conséquences nécessaires,ce qui donne souvent le moyen de prévoirl'événement sans avoir besoin d'expérimenter les liaisonssensibles des images, où les botes sont réduites,de sorte que ce qui justifie les principes internes desvérités nécessaires dislingue l'homme de la bôtcii. C'est encore aujourd'hui leplus solide des arguments que l'onoppose à l'associationisme. Ou faitcérébral et tout subjectif de laliaison des images, et de notre tendanceà passer d'une imago à uneautre, il csl impossible de conclureà l'existence d'une liaison objectiveet nécessaire do phonetiènes.ï. En un mot, peur que la loiphysique nous paraisso Certaine clnécessaire, il faut que la raisonnous apprenne quo la successionconstante do phénomènes expriméspar celte loi ne peut être conçued'une manière différente de celleque nous constatons. Voyez, dans la3« partie des Principes do Descarlcs,la déduction a priori desloir du mouvement.


100 LES NOUVEAUX ESSAIS.Peut-être que notre habile * Auteur ne s'éloignerapas entièrement de mon sentiment. Car, après avoiremployé tout son premier livre à rejeter les lumièresinnées, prises dans un certain sens, il avoue pourtant,au commencement du second et dans la suite, que lesidées qui n'ont point leur origine de la sensation,viennent de la réflexion 9. Or la réflexion n'est au Irechose qu'une attention à ce qui est en nous, et les sensne nous donnent point ce que nous portons déjà avecnous. Cela étant, pcut-o.n nier qu'il y a beaucoupd'inné en notre esprit, puisque nous sommes innéspour ainsi dire A nous-mêmes, et qu'il y a en nousmêmesÊtre, Unité, Substance, Durée, Changement,Action, Perception, Plaisir, et mille autres objets denos idées intellectuelles? Et ces objets étant immédiatsà notre entendement et toujours présents (quoiqu'ilsne sauraient être toujours aperçus, à cause dénos distractions et besoins), pourquoi s'étonner quenous disons que ces idées nous sont innées, avec toutce qui en dépend? Je me suis serviaussi do la coint.Habile, au xvu* siècle, signifiesimplement : érudit, savant.i. Cf. Introducl, 2* partie, 11,t' La question des Idées innée»avant <strong>Leibniz</strong>. La réflexion, pourLocke, n'est quo l'observation Intérieure,et celte observation ne découvreque des faits particuliers cl coutingents. La connaissance des véritéséternelles cl nécessaires par la raisonne peut guère élre assimilée àl'expérience du sens intime. Néanmoins<strong>Leibniz</strong> a raison do faire remarquerquo la philosophie del'expérience cllc-mcmo attribue unrôle important, dans la formait nido nos idées, à la ïcllcxion <strong>sur</strong> coqui csl en nous. Car celte réflexionou attention, bien dirigée, pourranous faire découvrir, dans noirepropre fonds, des Idées qui sontéW'Iewinent plus que de simplesconstatations do faits subjectifs etcontingents, par exemple celles dol'Être, de la Substance, de l'Acli*vile .etc. Par sa théorio de la réflexion,Locke tait donc un pasvers le rationalisme.


AVANT-PROPOS. 101paraisoii d'une pierre de marbre * qui a des veines,.plutôt que d'une pierre de marbre tout unie ou des!Tablettes vides, c'est-A-diro de ce qui s'appelle Ta-,bula rasa chez les Philosophes. Car, si l'Ame ressemblaità ces Tablettes vides, les vérités seraient ennous comme la figure d'Hercule est dans un marbre,quand ce marbre est tout à fait indifférent à recevoirou cette figure ou quelque autre, Mais s'il y avait desveines dans la pierre qui marquassent la figure d'Herculepréférablement à d'autres figures, cette pierre yserait plus déterminée, et Hercule y serait comme innéen quelque façon, quoiqu'il faudrait du travail pourdécouvrir ces veines et pour les nettoyer par la politurc,en retranchant ce qui les empêche de paraître. Etc'est ainsi que les idées et les vérités nous sont innées,comme des inclinations, des dispositions, des habitudesou des virtualités naturelles, et non pas commodes actions, quoique ces virtualités soient toujoursaccompa nées de quelques actions souvent insensiblesqui y répondent.Il semble quo notre habile Auteur prétend qu'il n'ya rien de virtuel en nous, et môme rien dont nous nonous apercevions toujours actuellement; mais il nepeut pas le prendre A la rigueur', autrement son sen-1. Rapprochez do celle comparaisoncelle de l'âmo avec un cabinetpercé de fcnclres (<strong>Nouveaux</strong>Essais, liv. Il, ch. xtl). Lo sens dela comparaison est quo l'âme estprédisposée à un certain mode doconnaissance. Voyey k la fin du voluniol'Extrait n* 4.2. Locke no peut pa3 nier qu'ily ait dans notre esprit quelquorlio«c de virtuel, car nos souvenirs,lorsque nous n'y pensons pas, sontoi nous a l'état de puissance: maisIl refuse d admettre qu'il y ail eunous aucune connaissance viituclloqui n'ait été actuelle autrefois,


i02 LES NOUVEAUX ESSAIS.timent serait trop paradoxe, puisque encore les habitudesacquises et les provisions do noire mémoirene sont pas toujours aperçues et même ne viennent pastoujours à notre secours au besoin, quoique souventnous nous- los remettions aisément dans l'osprit <strong>sur</strong>quelque occasion légère qui nous en fait souvenir,comme il ne nous faut que le commencement pournous faire souvenir d'une chanson* H limite aussi sathèse en d'autres endroits, en disant qu'il n'y a rienen nous dont'nous ne nous soyons au moins aperçusautrefois.Mais outre que personne ne peut as<strong>sur</strong>er parla seule raison jusqu'où peuvent être allées nos aperceptionspassées, que nous pouvons avoir oubliées,<strong>sur</strong>tout suivant la réminiscence des Platoniciens, qui,toute fabuleuse qu'elle est, n'a rien d'incompatible,au moins en partie, avec la raison toute nue : outrecela, dis-je, pourquoi faut-il que tout nous soit acquispar les aperceptions des choses externes, et que rienne puisse être déterré en nous-mômes? Notre Amoest-elle donc seule si vide, qu'outre les images empruntéesdu dehors, elle n'est rien? Ce n'est pas 1Aunsentiment, jo m'as<strong>sur</strong>e, que notre judicieux Auteurpuisse approuver. Et où trouvera-t-on des tablettesqui no soient quelque choso de varié par ollcs-inômos?Car jamais on no verra un plan parfaitement uni otMats, répond <strong>Leibniz</strong>, comment refuserd'admetlro qu'avant touteexpérience l'esprit ait déjà unecertaine nature, certaines.dispositionset facultés qui lui sont propres?Cctto naluro, ces fatuités ne10 manifesteront, il est vrai, qu'aucontact de l'expérience sensible,mais, avant toute expérience, ellesexistaient déjà a l'élal virtuel jet l'on peut dlro quo les notionsque nous formons de celte natureet do ces facultés sont dos idéesinnées.


AVANT-PROPOS. 103.f uniforme. Donc, pourquoi ne pourrions-nous pas fourniraussi quelque chose do pensée de notre proprefonds à nous-mêmes, lorsque nous y voudrons creuser?Ainsi je suis porté à croire que, dans le fond, sonsentiment <strong>sur</strong> ce point n'est pas différent du mienou plutôt du sentiment commun, d'autant qu'il reconnaîtdeux sources de nos connaissances, les Senset la Réflexion.Je ne sais s'il sera si aisé de l'accorder avec nouset avec les Cartésiens, lorsqu'il soutient que l'espritne pense pas toujours 1, et particulièrement qu'il estsans perception quand on dort sans avoir des songes,ot il objecte que, puisque les corps peuvent être sansmouvement, les Ames pourront bien être aussi sanspensée. Mais ici je réponds un peu autrement qu'onn'a coutume de le faire, car jo soutiens que naturel»lement une substance ne saurait étro sans action, etqu'il n'y a même jamais de corps sans mouvement 2,L'expérience me favorise déjA, et on n'a qu'à consulterle livre de Pilluslrc M. Boylo3 contre le repos absolu,pour en être persuadé, mais je crois que la raison y1. <strong>Leibniz</strong>, après avoir démontréqu'il y a dans notre esprit quelquechoso de virtuel cl d'inné, abordeuno autre question, celle de savoirsi l'âme pense toujours et s'ily a des perceptions insensibles.Car le mot penser signifie Ici percevoir,ne fut-ce que confusémentet sans conscience distincte.Voyez, a la fin du volume, l'Extraitir> 3.9. L'action, c'est-à-dire la perception,appartient par essence àla substance immatérielle ou Monado,comme le mouvement appartientpar essence à ce qui estmatériel.3. Uoylc, illustre physicien etchimiste anglais, né en Irlande enIGzM, mort à Londres en 1801, peutélre considéré comme le fondateurde la cblmio moJerno 11 est lepremier qui ail donnd au mot élémentson sens moderne, cl qui aitnettement distingué les combinaisonschimiques des simples mélanges.l'Essai <strong>sur</strong> le Itepos absoludont parte Lcib.ilz parut en ICO


104 LES NOUVEAUX ESSAIS.est encore, et c'est une des preuves que j'ai pour dé^truirc les atomes1. %->D'ailleurs il y a mille marques qui font juger qu'ily a à tout moment une infinité de perceptions en nous,-mais sans aperccplion et sans réflexion, c'ost-A-dirodes changements dans l'Ame môme dont nous no nousu; creevons pas, parce que les impressions sont ontrop petites et en trop grand nombre, ou trop unies, ensorte qu'elles n'ont rien d'assez distinguant A partjmais, jointes A d'autres, elles ne laissent pas de faireleur effet et de se faire sentir, au moins confusément]dans l'assemblage *. C'est ainsi que l'accoutumancefait que nous ne prenons pas garde au mouvementd'un moulin ou à une chute d'eau, quand nous avons 1habité tout auprès depuis quelque temps. Cen'est pasque ce mouvement no frappe toujours nos organes, cl1. la raison y est encore. Cen'est pas seulement l'expérience,mais encore la raison qui protestecontre le repos absolu. <strong>Leibniz</strong> nie,an nom de 11 raison, c'est-à-diro apriori, qu'il existe en réalité aucunélément matériel indivisible. Unatome matériel en effet seraitqueiquo chose d'Inerte, dans quoirien no remuerait, rien no vivrait.Or <strong>Leibniz</strong> croit qu'en vertu dupr ncipo de la Raison Suffisante oudu Meilleur, le monde matériel doitîtro organisé et vivant jusqu'à l'infini.Voyez Monad , § 85: t Chaquepartie do la malière n'est pas seulementdivisible à l'infini, commeles anciens l'ont reconn >, matsencore tous-divisco actuellementtans fin, chaque partio en pirllesdont chacune a quelque mouvementI ropre ». Voyez aussi les %67 et GoV« Ainsi il n'y a rien d'inculte, dejstérile, de morldnnsl'univers». Dansl'apostille de ta 4' lettre à Clarkcï<strong>Leibniz</strong> formule plus nettement;encore son argument a prioricontre les atomes. S'il y avait vd±flilablement des atomes, c'cst-à-dirçr• des corps tout d'une pièco élsans subdivision », la naluro serait'finie, comme notre esprit. C'est}mémo pour celto raison que notro'esprit fini adopte si alternent \'hf4pothi'so des atomes. Mais en.réalité la naluro est Infinie, "thtous sens, et lo moindre corpuscujejcontient encore toul un monde de,• créatures."''*•i. Touto perception claire résutled'une nccumulit'on ou assemblagede petites perceptions.)


AVANT-PROPOS. 105qu'il né so passe encore quelque chose dans l'Amequi y réponde, à cause de l'harmonie de l'Ame et ducorps; mais ces impressions qui sont dans l'Ame etdans le corps, destituées des, attraits de la nouveauté,ne sont pas assez fortes pour s'attirer notre attentionet notre mémoire, attachées à des objets plus occupants.Car toute attention demande de la mémoire ',et souvent quand nous ne sommes point admonestéspour ainsi dire et avertis de prendre garde à quelques-unesde nos popres perceptions présentes, nousles laissons passer sans réflexion et même sans êtreremarquées ; mais si quelqu'un nous en avertit incontinentet nous fait remarquer, par exemple, quelquebruit qu'on vient d'entendre, nous nous en souvenonset nous nous apercevons d'en avoir eu tantôtquelque sentiment. Ainsi c'étaient des perceptionsdont nous ne nous étions pas aperçus incontinent,l'aperccplion ne venant, dans ce cas, que de l'avertissementaprès quelque intervalle, tout petitqu'il soit. Et pour juger encore mieux des petitesperceptions que nous ne saurions distinguer dansla foule, j'ai coulume de me servir de l'exemple dumugissement ou du bruit de la mer dont on estfrappé quand on est au rivage. Pour entendre cebruit comme l'on fait, il faut bien qu'on entendeles pallies qui composent ce tout, c'est-à-dire lesbruits de chaque vague, quoique chacun de ces petitsbruits ne se fasse connaître nue dans l'assemblage:•!. Nousne pouvons, en effet, porternotre attention'perceptionquo<strong>sur</strong> unedéjà donnéo cl, par conséquent,déjà pasn'e.


106 LES NOUVEAUX ESSAIS.confus de tous les autres ensemble, c'est-A-dire dans cemugissement même, et ne se remarquerait pas si cettevague qui le fait était seule. Car il faut qu'on en soitaffecté un pou par le mouvement de cette vague etqu'on ait quelque perception de chacun de ces bruits,quelque petits soient; autrement on n'aurait pas cellede cent mille vagues, puisque cent mille riens ne sauraientfaire quelque chose. On ne dort jamais si profondémentqu'on n'ait quelque sentiment faible etconfus, et on ne serait jamais éveillé par le plus grandbruit du monde, si on n'avait quelque perception doson commencement, qui est petit, comme on no rompraitjamais une corde par le plus grand effort dumonde, si elle n'était tendue et allongée un peu pardes moindres efforts, quoique celte petito extensionqu'ils font ne paraisse pas.Ces petites perceptions sont donc do plus grandeefficace par leurs suites qu'on ne pense. Ce sont ellesqui forment co je ne sais quoi, ces goûts, ces imagesdes qualités des sens, claires dans l'assemblage, maisconfuses dans les parties ', ces impressions que descorps environnants font <strong>sur</strong> nous, qui enveloppent l'infini,cette liaison que chaque être a avec fout le restede l'univers. On peut môme dire qu'en conséquencedo ces petites perceptions lo présent est gros de l'aveniret chargé du passé, que tout est conspirant (oop.itvot«îrdtvMc', comme disait Hippocrate), et que dans la inoinl.Uneréuniondcpcrccptions.dontchacune prise à part restera lnscnsiblo,forme uno perception claire.î, xû^Rvftitt tîivt*. Cf. Monadologie,g 61. Mais la citation n'estpas cxaclo i on lit en effet dans


AVANT-PROPOS. 107dre des substances, des yeux aussi perçants que ceuxdo Dieu pourraient lire toute la suite des choses dol'univors* :Quoe sint, qu» fuerint, qu» mox futura traliantur',Ces perceptions insensibles marquent encore et constituentle même individu 3 qui est caractérise par lestraces ou expressions qu'elles conservent des étatsprécédents de cet individu, en faisant la connexionavec son état présent, qui se peuvont connaître par unesprit supériour quand cet individu même ne les sentiraitpas, c'est-à-dire lorsque le souvenir exprès n'yserait plus, Mais elles, ces perceptions, dis-jc, donnentmôme le moyen de retrouver ce souvenir au besoin'llippocrate, De Aliment. : Sv?'r4i«(Med. Gracia Kûhn.t. XXII, p.20.)1. Parce que lo passé rote utilpour ainsi dire dans l'état présentde la Monade et que l'avenir y estimplicitement contenu. Il s'ensuitque toute Monado perçoit, confusémentil est vrai, le passé et l'avenir.Cf. Monadol., %22, et Disc, deMétaphysique, g 8 i « Dieu voyantla notion individuelle d'Alexandre(c'est-à-dire pénétrant les replisde la Monade d'Alexandre) y voiten mémo temps lo fondement cl laraison do tous les prédieds qui sopeuvent dire de lui véritablement,comme par exemple qu'il vaincraitDarius cl Porus; jusqu'à y connaîtrea priori (et non par expérience)s'il csl mort d'une mort naturelleou par poison, ce quo nousno pouvons savoir par l'hlslo'rcAussi, quand on considère bien laconnexion, des choses on peut direqu'il y a de tout temps dans lïunod'Alexandre des restes de tout cequi lui csl arrivé, cl les marquesdo tout ce qui lui arrivira et mêmedes traces do tout co qui sepassodans l'univers, quoiqu'il n'appartiennequ'à Dieu de les reconnaîtretoutes, i2. Virg., iieorg., IV, 357. <strong>Leibniz</strong>,ici encoro, rite Inexactement. Virgilea écrit : Quoi sint, quoe fuerint,qux mox ventura (rahantur.3. <strong>Leibniz</strong> explique ainsi par lespetites perceptions ce qu'on appelleaujourd'hui l'identité personnelle.Nous sommes toujoursmôme personne, parce que notreétat présent conserve la trace detout noire passé et contient engerme, à l'état virtuel, lotit notreavenir.


108 LES NOUVEAUX ESSAIS.par des développements périodiques qui peuvent arriverun jour. C'est pour cela qu'elles font aussi quela mort ne saurait être qu'un sommeil, et même nosaurait en demeurer un, les perceptions cessant seulementà êtr.c assez distinguées et se réduisant à un étatde confusion, dans les animaux, qui suspend l'apcrception,mais qui ne saurait durer toujours, pour neparler ici de l'homme, qui doit avoir en cela degrands privilèges pour conserver sa personnalité *.C'est aussi par les perceptions insensibles que s'expliquecette admirable harmonie préétablie 8 de l'Ameet du corps, et môme de toutes les Monades ou substancessimples, qui supplée A l'influence insoutenabledes unes <strong>sur</strong> les autres, et qui, au jugement de l'auteurdu plus beau des Dictionnaires, exalte la grandeurdes perfections divines au delA de ce qu'on en ajamais conçu. Après cela, j'ajouterais peu de chose sije disais que ce sont ces petites perceptions qui nousdéterminent en bien des rencontres sans qu'on y pense,et qui trompent le vulgaire par l'apparence d'il no indifférenced'équilibre, comme si nous étions indiffércnlsentièrement de tourner(par exemple) Adroite ouA gauche 3. 11n'est point nécessaire aussi "que je fasseremarquer ici, comme j'ai fait dans le livre môme,1. La Monade Raisonnable PUEsprit a une destinée plus élevéeqie toutes les autres Monades: elleconserve la conscience, le sentimentde sa p. rsonnaliié cl la conn.ilss.incedes vérités universelles. (Voyez Introduction,partie I, VI, et uussil'Extrait n» 8.2. Second usage do la théorie despetites perceptions! explication de.l'harmonie préétablie. (Voyez Introduction,partie II, I.)3. Les perceptions Insensiblesexpliquent, au moins en partie, nosvolitions (Voyez Introduction, partieH,|.)


AVANT-PROPOS. 100qu'elles causent cette inquiétude, que je montre consisteren quelque chose qui ne diffère de la douleurque comme le petit du grand, et qui fait pourtantsouvent notre désir et même notre plaisir, en lui donnantcommo un sel qui pique. Ce sont aussi les parties* insensibles de nos perceptions sensibles qui font qu'ily a un rapport entre ces perceptions des couleurs, deschaleurs, et autres qualités sensibles, et entre les mouvementsdans les corps qui y répondent, au lieu quelés Cartésiens, avec notre Auteur, tout pénétrant qu'ilest, conçoivent les perceptions que nous avons de cesqualités comme arbitraires' 1, c'est-à-dire comme siDieu les avait données à l'Ame suivant son bon plaisir,sans avoir égard à aucun rapport essentiel entre lesperceptions et leurs objets : sentiment qui me <strong>sur</strong>prendet qui me parait peu digne de la sagesse de l'Auteurdes choses, qui ne fait rien sans harmonie et sansraison.En un mot, les perceptions insensibles sont d'unaussi grand usage dans la 4 Pneumatique que les corpusculesinsensibles le sont dans la Physique 3, et il1. Dieu, suivant Locko et lesCartésiens, aurait décidé, par undécret tout arbitraire, que tel mouvementde la matière se traduiraitdans noire conscience par une sensationlumineuse, tel autre par unesensation auditive, etc. <strong>Leibniz</strong>croit qu'il y a un rapport naturelentre nos perceptions cl tes mouvementsde la matière qui on sont l'occat!on.Percevoir de la lumière, c'estpercevoir confusément certainesondulations de l'éther. VoyezThéodlcée, partie II, §f 310 cl 350:t La représentation a un rapportnaturel à ce qui doit élrereprésenté ».2. Pneumatique : science del'esprit. Grec, ll».3. La combinaison des perceptionsInsensibles explique les perceptionsclaires, comme la combinaisondes corpuscules matérielsexplique la formation des corps.


110 LES NOUVEAUX ESSAIS.est également déraisonnable de rejeter les uns et lesautres sous prétexte qu'ils sont hors de la portée denos sens. Rien ne se fait tout d'un coup, et c'est unede mes grandes maximes et des plus vérifiées, que lanature ne fait jamais de sauts : co que j'appelais laLoi de la Continuité l, lorsque j'en parlais dans lespremières Nouvelles de la République des lettres, etl'usage de cette loi est très considérable dans la Physique: elle porto qu'on passe toujours du petit augrand, et à rebours, par le médiocre, dans les degréscomme dans les parties, et que jamais un mouvementne nait immédiatement du repos, ni s'y réduit quepar un mouvement plus petit, comme on n'achèvejamais do parcourir aucune ligne ou longueur avantque d'avoir achevé une ligne plus petite, quoique jus*1. Sur la loi do continuité, voyezErdmann, n* xxtv, Extrait d'unelettre à M. Daylo, publiée à Amsterdamen 1687 dans les Nouvellesde ta République des lettres.En vertu do la loi do continuité,le déplacement apparent d'un corpsqui reçoit un choc n'est quo lacontinuation d'un mouvement insensiblede co corps. Si un corps,après avoir rencontré un autrecorps, vient à rebondir, c'est pardes transitions Insensibles qu'il passede ta premlèro direction à la directioncontraire. Lo premier mouvementdimlnuo progressivement,puis Insensiblement se transformeen un second mouvement, do directioncontraire, qui d'abord est infinimentlent, puis, peu à peu, devientsensible. Commo les perceptionsde la Monado no font qu'exprimerdes mouvements, lo passaged'uno perception à uno autroperception doit se fairo comme lepassage d'un mouvement à un autremouvement, par des transitions insensibles.Ainsi, si un chien reçoituncouf do bâton pendant qu'il inangoun bon morceau, il ne passe pasbrusquement du plaisir à la souffranco:son plaisir devient plusfaible, puis nul, puis insensiblementso change en un sentiment dopeine. Seulement lo chien n'aaucuno consclenco nette do cestransitions. Ainsi la loi docontinuité suppose les perceptionsinsensible, parce que la Monade nopeut exprimer que par do tellesperceptions les mouvements desplus petites particules de malière,qui établissent la continuité deiphénomènes.


AVANT-PROPOS.Htqu'ici ceux qui ont donné les lois du mouvementn'aientpoint observé celle loi, croyant qu'un corps peut recevoiren un moment un mouvement contraire au précédent.Et tout cela fait bien juger que les perceptionsremarquables viennent par degrés de celles qui sonttrop petites pour être remarquées. En juger autrement,c'est peu connaître l'immense subtilité deschoses, qui enveloppe un infini actuel toujours et partout.J'ai aussi remarqué qu'en vertu des variationsinsensibles, deux choses individuelles ne sauraientêtre parfaitement semblables, et qu'elles doivent toujoursdifférer plus que numéro l, ce qui détruit lesTablettes vides de l'Ame, une Ame sans pensée, unesubstance sans action, le vide do l'espace, les atomeset môme les parcelles non actuellement divisées dansla matière, le repos pur, l'uniformité entière dans unepartie du temp3, du lieu ou de la malière % les1. Expression d'Arlslote. DeuxIndividus de même espèce, SelonArislotc, dirtercnl AftV? (on cesens quo lo premier n'est pas lcsccond),mais non ittu (c'est-à-diropar leur forme ou l'ensemble doleurs attributs). Selon <strong>Leibniz</strong>, nucontraire, il n'y a pas de différencenumérique qui no soit en mêmetemps, u qiictquo degré, spécifique.Deux Monades vides de tonte perceptionseraient M on tiques cl nedifféreraient quo numéro. Voy. Monaiol,\ 81 « Les Monades, étantsans qualités, seraient Indistlnguablcsl'une do l'autre, puisqnWslbien elles ne diffèrent point en quantité,s Elles no peuvent différer enquantité, parce qu'elles n'ont niétendue ni figure, il faut doncqu'elles diffèrent en qualité, c'està-direparla manière dont elles représententl'univers.2. <strong>Leibniz</strong> combat toujours le systèmesuivant lequel il pourrait yavoir des parties do temps, d'espaceou de malière, qui ne renfermeraientaucune variété, et qui, parconséquent, seraient • indistlnguables». Ainsi deux atomes do mêmegrandeur et do mémo figure seraientindiscernables. Mais, suivant<strong>Leibniz</strong>, il n'y n pas d'atomes domatière. Une particule matérielle,si petite qu'un la suppose, renfermetout un mondo do parties plus pe-


112 LES NOUVEAUX ESSAIS.globes parfaits du second élément, liés des cubesparfaits originaires *, et mille autres fictions des philosophes,qui viennent de leurs notions incomplètes,et que la nature des choses ne souffre point, et quonotre .ignorance et le peu d'attention que nous.avonsA l'insensible fait passer, mais qu'on ne saurait rendrelolérables, à moins qu'on no les borne à desabstractions de l'esprit *, qui proteste de ne point nierce qu'il met à quartier et qu'il juge no devoir pointentrer dans quelque-considération présente. Autrement,si on l'entendait tout de bon, savoir, quo leschoses dont on ne s'aperçoit pas no sont point dansl'Ame ou dans le corps, on manquerait, en Philosophiecomme en Politique, en négligeant to fmpdv, lesprogrès insensibles, au lieu qu'une abstraction n'estpas une erreur, pourvu qu'on sache que ce qu'on dissimuley est. C'est comme les mathématiciens enusent quand ils parlent des lignes parfaites qu'ilslites, cl l'arrangement de ces partics,qui vont à l'infini, n'est jamais posent pas un corps entièrement su-boules jointes ensembles no com-le même dans deux corpuscules différents.Mais, pour comprendre celto nent rondes par suite du frottement,lido et continu ». Mais elles devien-subdivision do ta matière à l'infini, comme les galets d'une plage. Cesil fatitadmcllro un infini actuel de particules arrondies sont les globesperceptions oxpriuiant les moindres du second élément, nés des cubesparticules de matière, car nous savonsque, pour <strong>Leibniz</strong>, la malièro 2. On fait abstraction d'uneparfaits originaires.n'est i ion en dehors dos perceptions choso lorsqu'on n'en tient pasdes Monades.compte ou qu'on la laisse de côté,1. Cf. Descartes, Peine. III, XLVill. sans nier pour cela qu'elle cxi.-tc.La matière qui, suivant Des-' On ne so trompe pas en ni tenantcartes, remplit absolument l'espace, pas compte des changements insensiblesde la matière, pourvu quoest diviséo par Dieu en particules.Ces particules primitives ne sont l'on so souvienne que ces changementsont lieu pas rondes, « parco quo plusieurs ré«lleur\).il,


AVANT-PROPOS. 113nous proposent, des mouvements uniformes ot d'autreseffets réglés, quoique la matière (ç'est-à-dire lomélange dos effets de l'infini environnant 4) fassotoujours quoique exception. tVcst pour distinguer lesconsidérations et pour réduire les effets aux raisons 9,autant qu'il nous est possible, et en prévoir quolqucssuites, qu'on procède ainsi : car plus on est attentif à'ne rien négliger des considérations quo nous pouvonsrégler, plus la pratique répond à la théorie 3. Mais iln'appartient qu'à la suprême Raison, à qui rien n'échappe,de comprendre distinctement tout l'infini,et de voir toutes les raisons et toutes les suites. Toutce quo nous pouvons <strong>sur</strong> les infinités, c'est de lesconnaître confusément, et de savoir au moins distinctementqu'elles y sont; autrement nous jugeons fortmal do la beauté et de la grandeur do l'univers,comme aussi nous ne saurions avoir une bonne Physiquequi explique la nature des corps on général, etencore moins une bonne Pneumatique qui comprendla connaissance do Dieu, des Ames et des substancessimples en général.t. Uno perception d'un objet matérieln'est qu'une combinaison d'un d'une manière absolument exacte.pliquent jamais aux phénomènesnombre infini do petites perceptions.Et chacuno do ces petites exactement en ligne droite, à causoAinsi un corps ne tombe jamaisperceptions correspond, on vertu do la résistance do l'air, de l'actiondo l'harmonto préalable, à des perceptionsobscures d'autres Monades phénomènes échappont jamais andu veut, etc. Co n'est pas que tess environnantes ».délerminisiuo universel, mats une2. Les effets aux raisons, foule do lois concourent a ta productiond'un phénomène sic'est-à-dire les faits particuliersaux lois nécessaires que la simpleraison qu'il soit, Pratiquement on no tientdécouvre.pas compte do toutes ces lois, mais3. Lesloisdo ta phyiiquo ne s'ap- seulement des plus importantes.


111 LES NOUVEAUX ESSAIS.Ccllo connaissance des perceptions insensibles sertaussi A expliquer pourquoi et comment deux Ameshumaines ou autrement d'uno mémo espèco no sortentjamais parfaitement semblables des mains duCréateur el ont toujours chacuno son rapport originaireaux points do vuo qu'elles auront dans l'univers*. Mais c'est co qui suit déjà do co quo j'avaisremarqué do deux individus, savoir quo leur différenceest toujours plus que numérique. Il y a encoreun autre point de conséquence, où jo suis obligé dom'éloigner non seulement dos sentiments do notroAuteur, mais aussi do ceux do la plupart des modernes,c'est quo jo crois, avec la plupart des anciens,que tous lès génies, toutes les Ames, toutes les substancessimples crééos, sont toujours joints à uncorps, et qu'il n'y,a jamais des Ames entièrementséparées 8. J'en ai des.raisons a priori, mais ontrouvera encore qu'il y a cela d'avantageux dans cedogme, qu'il résout toutes les difficultés philosophiques<strong>sur</strong> l'état des Ames, <strong>sur</strong> leur conservation perpétuelle,<strong>sur</strong> leur immortalité et <strong>sur</strong> leur opération. La1, Chaque Monado expriuc l'universentier, mais elle no représenteclairement qu'une partie do cet univers,et n'a quo des perceptionsinsensibles d» l'immcnso majoritédos phénomènes. Commo chaqueMonade perçoit le mondo à un pointde vuo différent, il s'ensuit que lesMonades différent les unesdesautrespar le rapport de leurs perceptionsclaires à leurs perceptions obscures.2. Dieu seul est détaché de toutematière, mais il faut quo toutes lesautres Monades expriment l'universchacuno à un point de vue différent :or le point do vuo do la Monade estdéterminé p


AVANT-PROPOS. 115différence d'un do leurs états à l'autre n'étant jamaisou n'ayant jamais été quo du plus au moins sensible,du plus parfait au moins parfait, ou à rebours, ce quirend leur état passé ou A venir aussi explicable quocelui d'à présent. On sent assez, en faisant tant soitpeu do réflexion, quo cela est raisonnable, et qu'unsaut d'un état à un autre infiniment différent ne sauraitélro naturel. Jo in'étonno qu'en quittant le naturel,sans sujet, les écoles ont voulu s'enfoncer exprèsdans des difficultés ' très grandes, et fournir matièroaux triomphes apparents des esprits forts, dont toutesles raisons tombent tout d'un coup par cette explicationdes choses, où il n'y a pas plus de difficulté àconcevoir la conservation des Ames (ou plutôt, selonmoi, de l'animal 2) quo celle qu'il y a dans le changementde la chenille en papillon, et dans la conservationdo la pensée dans le sommeil, auquel Jésus-Christ a divinement bien comparé la mort 3. Aussiai-jo déjà dit qu'aucun sommeil no saurait durertoujours, et il durera moins ou presque point du toutaux Ames raisonnables, qui sont toujours destinées àconserver le personnage* qui leur a été donné dansla Cité do Dieu 5 et par conséquentla souvenance, et1. La question était do savoir àquel moment l'âmo entrait dans locorps.2. <strong>Leibniz</strong> appelle animal locomposéd'âme et de corps (Monad.,%G3).3. Voy. Jean, XI, il à 14:AiÇajo; i ç'^*î tpài «««Ijuivai": AVtà^',}ivoi*at ïva Uuiîvlou aJTGV.• 4. Voy. Monadol., %%,74 sqq. etDisc, de Mélaph., %$ 14 et 31.L'immortalité de la Monado no faitpas de douto pour <strong>Leibniz</strong>. Co quipourrait étro douteux, c'est la cou-~sdF--»JlQn_(tala conscience claire etde la personnalité. <strong>Leibniz</strong> démontrecelte conservation do notro « personnage» en s'appuyant <strong>sur</strong> des raisonsmorales. Voyez l'Extrait \\*%.5. LeiLuiz appelle Cité de /)(


116 LES NOUVEAUX ESSAIS.cela, pour être mieux susceptibles dos châtiments etdes récompenses. Et j'ajoute encore qu'on généralaucun dérangement des organos visibles n'ost capabledo porter los choses à une ontièro confusion dansl'animal ou.de détruire tous les organes ot priverl'Ame do tout son corps organique et des restes inef-façables de toutes les traces précédentes. Mais lafacilité qu'on a euo do quitter l'ancienne doctrine descorps subtils joints aux anges (qu'on confondait avecla corporalité des anges mômes), et l'introduction dosprétendues intelligences séparées dans les créatures(à quoi celles qui font rouler les deux d'Aristoto l ontcontribué beaucoup) et enfin l'opinion mal entendue,où l'on a été, qu'on ne pouvait conserver les Amosdes bêtes sans tomber dans la métempsycose ot sansles promener do corps en corps, et l'embarras où l'ona été no sachant ce qu'on en devait fairo, ont fait, Amon avis, qu'on a négligé la manière nalurolle d'expliquerla conservation de l'Ame : ce qui a fait biendu tort A la religion naturelle, et a fait croire à plusieursque notre immortalité n'était qu'une grâce miraculeusede Dieu dont encore notre célèbre Auteurparle avec quelque douto, comme je dirai tantôt. Maisil serait A souhaiter que tous ceux qui sont do co sentiment,en eussent parlé aussi sagement et d'aussibonne foi é]ue lui, car il esta craindre que plusieurs,'connaître les vérités éternelles quoDieu connaît et de vouloir le bienquo Dieu veut. Cf. Monadologie,| 85-86.1. Voyez Ntlslole, Métaphysique,liv. XI (XII), ch. Vin. Il s'agit dessphères auxquelles,suivant Aristote,sont attachées les planètes. Chaquesphère ost pénétreo d'une âme quien explique Ici mouvements.


AVANT-PROPOS. 117qui parlent do l'immortalité par grAce, ne lo font quopour sauver les apparences, et approchent dans lofond do ces Avcrroïstes * et de quelques mauvaisQuiélistcs 3, qui s'imaginent une absorption et laréunion de l'aine A l'océan de la Divinité, notiondont pcut-ôtro mon systèmeseul fait bien voir l'impossibilité.Il semble aussi quo nous différons encoro par rapportà la Matière 3, on ce que l'Auteur juge que levide y est nécessaire pour lo mouvement, parce qu'ilcroit que les petites parties do la matière sont raides.Et j'avoue qiie, si la matière était composéede tellesparties, le mouvement dans le plein serait impossible,comme si uno chambre était pleine de quantitéde petits cailloux, sans qu'il y èùt la moindre1. Avcrroès, philosopho arabe cl tiques ordinaires de la jùété chrétienne.<strong>Leibniz</strong>, dans ce passage,commentateur d'Aristole, vécut àSévillo et à Cordouc, au douzième semble admettre qu'il y a un bonsièclo. Il croyait quo l'intellect actifqui, dans la doctrine d'Aristole, bon quiétismo consisterait sansquiétismo opposé au mauvais. Lerépond à peu près à ce que nous douto à ne pas aller jusqu'à nousappelons aujourd'hui la raison, était rendre indifférents à notre proproun et Identique dans toutes les âmes bonheur, mais à chercher notre félicitédans le bonheur et dans lahumaines et en formait en quelquesorlo la substance commune.perfection do Dieu. Voy. Monadol.,2. Le quiélisme est une doctrine % 00, où <strong>Leibniz</strong> parle de ceux quiniystiquoqui se répandit à la fin du « aiment cl imitent, comme il faut,dix-septième siècle et donl les principauxreprésentants furent l'Espa-duu la considération de ses per-l'Auteur de tout bien, se plaisantgnol Molinos (16*7-1G95) et, en fections, suivant la nature du purFrance, M»* Guyon (I64S-1717). amour véritable ».Selon celte doctrine, l'âme, unie à 3. <strong>Leibniz</strong> aborde ici une nouvelloDieu par un acte de pur amour, devenaitindifférente à tout, mémo à matière, et cette question le conduitquestion, celle do l'essence de lason propre salut t elle était aussi à une autre, ceKc do savoir si ladispensée, dans cet état, des pra- matière peut penser.


118 LES NOUVEAUX ESSAIS.place vido *. Mais on n'accordo point cotto supposition,dont il no parait pas aussi qu'il y ait aucuneraison, quoique cet habile Autour aille jusqu'à croiroque la raideur ou la cohésion dos petites parties faitl'ossenco du corps. Il faut concevoir plutôt l'espacecomme plein d'une maliôro originairement fluide,susceptible de toutes les divisions, et assujettie mômeactuellement9 à des divisions et subdivisions à l'infini,mais avec cetlo différonco, pourtant, qu'elle est divisibleet divisée inégalement en différents endroits àcause dos mouvements qui y sont déjà plus ou moinsconspirants : ce qui fait qu'elle a partout un degré deraideur aussi bien que de fluidité, et qu'il n'y a aucuncorps qui soit dur ou fluido au suprême degré, c'està-direqu'on n'y trouve aucun atome d'une duretéin<strong>sur</strong>montable, ni aucune masse entièrement indifférenteà la division 3. Aussi l'ordre de la nature etparticulièrement la Loi de la Continuité détruisentégalement l'un et l'autre.J'ai fait voir aussi quo la Cohésion qui ne seraitpas elle-même l'effet de l'impulsion ou du mouve-1. Locke aurait raison si la matièreso composait réellement do et par conséquent la nioind


AVANT-PROPOS. 119ment causerait uno Traction, prise A la rigueur '.Car, s'il y avait un corps originairement raide, par'cxcmplo un Atomo d'Épicuro, qui aurait uno partieavancée on forme do crochet (puisqu'on peutse figurer des atomes de toulo sorte de figures), cocrochet poussé tirerait avec lui lo reste de cet Atomo,c'cst-A-dire la partie qu'on no pousso point, et qui notombe point dans la ligne de l'impulsion. Cependantnotro habile Auteur est lui-môme contre ces Tractionsphilosophiques, telles qu'on attribuait autrefois A lacrainte du vide, et il les réduit aux impulsions, soutenantavec les modernes qu'une partiede la matièren'opère immédiatement <strong>sur</strong> l'autre qu'en la poussantdo près, en quoi jo crois qu'ils ont raison, parcequ'autrement il n'y a rien d'intelligible dans l'opération.Il faut pourtant que je ne dissimule point d'avoirremarqué une manière do Rétractation do notro excellentAuteur <strong>sur</strong> ce sujet, dont jo ne saurais m'empècherde louer en cela la modeste sincérité, autant quej'ai admiré son génie pénétrant en d'autres occasions.C'est dans la réponse A la seconde lettre do feuM 8' l'Évoque do Worccsler 2, imprimée en 1C99,1. Lo seul mode d'action d'unoparlio do matièro <strong>sur</strong> uno autre,c'est l'impulsion. Il n'y a pas decorps originairement raide, parcoque la matière, actuellement diviséeà l'infini, est toujours fluide, cl c'estpourquoi la traction d'uno partie matériellepar un* autre est inconcevable.Un corps solide, Comme unebarre di fer, doit sa raideur aumouvement des parties les unesvers les antres.4. Edward Stillingflcet, doyen doSaint-Paul, puis évoque de Worccs!cr,avait attaqué YEssal de Lockedans uno Défense du dogme de laTrinité contre les Unitaires. Ilvisait particulièrement un passagedo l'Essai où Locko avançait qu'ilpourrait y avoir des êtres matériels


mLES NOUVEAUX ESSAIS.p. 408, où, pour justifier lo sontimont qu'il avait soutenucontre ce savant prélat, savoir, que la matièrepourrait penser, il dit entre autres choses : « J'avouo» que j'ai dit (livre 2 de VEssai concernant l'entcn-» dénient, chap. 8, § 11) que lo corps opère parh impulsion et non autrement. Aussi était-ce mon seii-» timent quand jo l'écrivais, ot oncoro présentement* jo ne saurais y concevoir uno autro manière d'agir.» Mais depuis j'ai été convaincu par lo livre incompa-D rable du judicieux M, Newton 1, qu'il y a trop do» présomption h vouloir limiter la puissance do Dieu» par nos concoptions bornées *. La gravitation de laf> matière vers la matière par des voies qui me sont» inconcevables, est non seulement uno dômonstra-» tion que Dieu peut, quand bon lui semblo, mettre» dans les corps des puissances et manières d'agir qui» sont au-dessus de ce qui peut être dérivé de notref> idée du corps, ou expliqué par ce que nous connais-» sons de la matière; mais c'est encore une instancedoués do pensée (liv. IV, cli. m).L'édition complète dos oeuvres doLocke, en 9 volumes, contient deuxlongues lettres de l'évéque de Worcesterà Locke cl deux réponses deLocke.I. Newton (1019-1727) avait découvertlo fait 0*0 l'attraction, c'està-direlo mouvement do deux corpsdistants l'un vers l'autre. Mais il nefaudrait pas croire qu'il eût proposédo ranger l'attraction ou pesanteurparmi les qualités premières descorps. Il so demande mémo dansson Optique (liv. III, quxstio 21)si la pesanteur ne pourrait pas êtreexpliquée par l'élasticité do l'éther,élasticité qui irait en croissant àme<strong>sur</strong>o quo l'on s'éloignerait d'uncorps solide. Do cette façon lescorps ne seraient pas attirés, maispoussés l'un vers l'autre.i. C'est un des principes delouto pliilosophio rationaliste, clnotamment de la pliilosophio cartésienne,que ce que nous no pouvonspas concevoir avec clarté cl distinctionn'existe pas. Nous no pouvonspas concevoir l'attraction à distance:donc l'attraction n'existe pas.


AVANT-PHOPOS. 121j> incontestable qu'il l'a fait effectivement. C'est pour-» quoi j'aurai soin quo dans la prochaino édition do» mon livre co passago soit redressé *. » Jo trouveque, dans la Yorsion Française df ce Livre, faitesans doute <strong>sur</strong> les dernières éditions, on l'a mis ainsidans co § 11 : ceII osl visible, au moins autant que» nous pouvons le concevoir, que c'est par impulsion,» et non autrement, que les corps agissent les unsJ><strong>sur</strong> les autres; car il nous est impossible do com-» prendre que le corps puisse agir <strong>sur</strong> ce qu'il ne» touche point, ce qui est autant que d'imaginer qu'il» puisse agir où il n'est pas. »Je no puis quo louer celte piété modeste de notrecélèbre Auteur, qui reconnaît quo Dieu peut faire audelà de ce que nous pouvons entendre, et qu'ainsi ilpeut y avoir des mystères inconcevables dans les articlesde la foi ; mais je ne voudrais pas qu'on fût obligédo recourir au miracle dans le cours ordinaire dola nature, et d'admettre des puissances et opérationsabsolument inexplicables. Autrement, on donnera1. Il faut se rappeler, pour comprendrela pensée do Lorkc, que, matériel pe


1m LES NOUVEAUX ESSAÎS.trop do liconco aux mauvais philosophes, à la faveurdo co quo Dieu peut faire, et, on admettant ces vertuscentripètes ou cos attractions immédiates do loin,sans qu'il soit possible de les rendro intelligibles, jono vois pas co qui empocherait nos Scolasliques dpdire que tout se fait simplement par les facultés, etde soutenir leurs espèces intentionnelles, qui vont desobjets jusqu'à nous, et trouvent moyen d'entrer jus*quo dans nos âmes *. Si cola va bien,Omnia jam fient, ficri quto posso negabam '.De sorte qu'il me semble que notre Auteur, tout judicieuxqu'il est, va ici un peu trop d'une extrémité àl'autre. Il fait le difficile <strong>sur</strong> les opérations dosâmes,quand il s'agit seulement d'admettre ce qui n'estpoint sensible, et le voilà qui donne aux corps coqui n'est pas môme intelligible, leur accordant despuissances et des actions qui passent tout co qu'à monavis un esprit créé saurait faire et entendre, puisqu'il1. Voy. Nouvtau$Etsai$,\is. IV,chap. ni :f SI Dieu donnait aux choses despuissances accidentelles, détachéesde leurs natures, et par conséquentéloignées de la raison en général,ce serait une porte de derrièreet quidqttid schola flnxitotiosa,lutinsSCCOUIMUICS, qui viennentpour rappeler les qualités occultes,qu'aucun esprit ne peut entendreet ces petits lutins de facultés incapablesde raisons,paraîtrecomnio les dieux de théâtre,ou comme les fées do l'Amadis, etqui feront au besoin tout co quovoudra un philosophe, sans façon,cl sans outils. »Voy. aussi Théodicie, g 310: c tlicano marque mieux l'imperfectionl'une philosophto quo la nécessitéoù lo philosophe se trouve d'avouerqu'il so passe suivant son systèmequelque chose dont il n'y a aucunoraison; et cela vaut bien la déclinaisondes atomes d'KpIcure. »S. Vers d'Ovide, ÊUg. VIII, v. 7.


AVANT-PltOPOS. 123leur accordo l'attraction, et mémo à do grandes distances,sans so borner à aucune sphère d'activité, etcela pour soutenir un sentiment qui ne parait pasmoins inexplicable, savoir, la possibilité de la penséede la matière dans l'ordre naturel.La question qu'il agito avec lo célèbre prélat quil'avait attaqué est : si la Matière peut penser, et,comme c'est un point important, même pour le présentouvrage, je ne puis me dispenser d'y entrer unpeu et do prendre connaissance de leur contestation.J'en représenterai la substance <strong>sur</strong> ce sujet et prendraila liberté de dire ce que j'en pense. FeuMsr l'Évoque do Worccstcr, appréhendant (mais sansen avoir grand sujet, à mon avis) que la doctrine desidées de notre Auteur ne fût sujette à quelques abuspréjudiciables à la foi chrétienne, entreprit d'en examinerquelques endroits dans sa Vindication de ladoctrine de la Trinité, et, ayant rendu justice à cetexcellent écrivain, en reconnaissant qu'il juge l'existencede l'Esprit aussi certaine que celle du corps,quoique l'une do ces substances soit aussi peuconnue que l'autre, il demande (p. 241 et sqq.)comment la réflexion nous peut as<strong>sur</strong>er de l'existencede l'Esprit, si Dieu peut donner à la matièrela faculté do penser suivant le sentiment denotre Auteur, liv. A, chap. 3, puisqu'ainsi la voiedes idées, qui doit servir à discerner ce qui peut convenirà l'àme ou au corps, deviendrait inutile, au lieuqu'il était dit dans lo livre 2 de YEssai <strong>sur</strong> l'entendement,chap. 23, § 15, 27 et 28, que les opérations


12t LES NOUVEAUX ESSAIS.do l'àmo nous fournissent l'idéo do l'osprit, et quorcnlondemont avec la volonté nous rend cette jdéoaussi intelligible quo la nature du corps nous ost renduointelligible par la solidité et par l'impulsion.Voici comment notre Autour y répond dans la premièrelettre : « Jo crois avoir prouvé qu'il y a uno» substance spirituollo on nous, car nous oxpérimen-» tons en nous la pensée; or cette action ou ce mode» ne saurait être l'objet de l'idéo d'une chose subsis-» tante de soi, et par conséquent ce mode a besoin» d'un support ou sujet d'inhéslon, et l'idéo de co» support fait ce que nous appelons substance car,» (puisque l'idée générale de la substance est partouti» la môme) il s'ensuit que, la modification qui s'ap-Î> pelle penséo ou pouvoir de penser y étant jointe,» cela fait un Esprit, sans qu'on ait besoin de conside-» rer quelle autre Modification il a encore, c'est-à-dire» s'il a la solidité ou non. Et, de l'autre côté, la sub-» stance qui a la modification qu'on appelle soliditéj> sera matière, soit quo la pensée y soit jointe du non.» Mais, si par une substance spirituelle vous enlen-» dez une substance immatérielle, j'avoue n'avoir» point prouvé qu'il y en a en nous et qu'on ne peut», point le prouver dômonslrativement <strong>sur</strong> mes prin-> cipes. Quoique ce que j'ai dit <strong>sur</strong> les systèmes de» matière (liv. A, chap. 10, § 16), en démontrant que» Dieu est immatériel, rondo probable au suprême» degré que la substance qui pense en nous estimma-» léricllo..... Cependant j'ai montré (ajoute l'Auteur,» p. 68) quo les grands buts de la religion et de la


AYANT-PROPOS. 12*» moralô sont as<strong>sur</strong>és par rimmortalilé do l'àmo, sans» qu'il soit bosoin do supposer son immatérialité ', »Lo savant Évoque, dans sa Réponse à cctto Lettre,pour faire voir quo notro Auteur a été d'un autre sentimentlorsqu'il écrivait son second livre de YEssai,on allègue, page 51, ce passage (pris du môme livre,chap. 23, §, 15) où il est dit que, « par los idées» simples que nous avons déduites des opérations do» notre Esprit, nous pouvons former l'idée complexe» d'un Esprit; et quo, mettant ensemble les idées do» pensée, de perception, do liberté et de puissanco» de mouvoir notre corps, nous avons une notion» aussi claire des substances immatérielles que des» matérielles ». Il allègue d'autres passages encoropour fairo voir que l'Auteur opposait l'esprit au corps,et dit (p. 54) que le but de la religion et de la moraleest mieux as<strong>sur</strong>é en prouvant que l'àmo est immortellepar sa nature, c'est-à-dire immatérielle. Il allègueencoro (p. 70) ce passage : « Que toutes les idées» que nous avons des espèces particulières et dis-» tinctes des substances ne sont autre chose que diffé-» rentes combinaisons d'idées simples. » Et qu'ainsil'Auteur a cru que l'idée de penser et de vouloir donnaitune autre substance, différente de celle que1. Locke, dans ce passage, entendpar substance une réalité inconnue,et inconnaissable en ellcmêmo,qui pcit être lo substratcommun de la pensée et de l'étendueDans le second ïivre de sonEssai il avait appliqué le mômemot de tuottance h des sommesd'idées ou de caractères. Ainsi ilavait appelé Esprit l'ensemble de nosfacultés et de nos opérai ions inlellcctue'les;corps l'ensemble des caractèresqui constituent pour nousles choses sensibles: il avait ainsinettement oppose comme deux substancesdilTorentes l'esprit et le corps.


126 LES NOUVEAUX ESSAIS.don no l'idée do la solidité et do l'impulsion, et quo(§17) il marque quo ces idées constituent lo corps,opposé à l'esprit.M. de Worcesler pouvait ajouter que, do co quoVidée générale de substance est dans lo corps et dansl'esprit, il lio s'ensuit pas que leurs différences sont'des modifications d'une mômo chose, comme notreauteur vient de lo dire dans l'endroit que j'ai rapportédo sa première lettre. Il faut bien distinguerentre modifications et attributs. Los facultés d'avoirde la perception et d'agir, l'étendue, la solidité, sontdes attributs ou des prédicats perpétuels et principaux,mais la pensée, l'impétuosité, les figures, lesmouvements sont des modifications de ces attributs '.Do plus, on doit distinguer entre genre physique (ouplutôt Réel) et genre logique ou idéal *. Les chosesqui sont d'un môme genre physique, ou qui sont1. Attributs perpétuels tt principaux:attributs qui appartiennenttoujours et nécessairement à unosubstance, et qui la constituent.Ainsi la perception appartient toujoursà la substance spirituelle.Les attributs qui sont des modifications,des attributs principaux,comme une certaine manière depercevoir, sont au contraire contingentset variables.2, Voici quelle est, en résumé, laréponse de l.cib/iiz à Locke : Logiquementl'idée et lo mot de substancepeuvent également convenirà ce qui pense et a ce qui est étendu;mais physiquement, réellement,il est impossible qu'une même substanceait pour attributs à la fois lapensée et l'étendue. Pour comprendrel'argument de <strong>Leibniz</strong>, ilne faut pas oublier que, suivant lesCartésiens, les substances né sontrieu en dehors de ce qui peut étroconçu clairement et distinctementen elles, c'est-à-dire en dehors deleur attribut essentiel-.- Ainsi l'âmen'est rien en dehors do la pensée, lamalièro n'est rien en dehors del'ét>-ndue. Il est donc impossibled'ail mettre l'existence réelle d'unesubstanco qui ne serait ni penséeni étendue et qui se manifesteraitpar la pensée et par l'étendue.Celte substance serait un je nosais quoi que l'esprit no peutconcevoir, et pur conséquent ellen'existe pas.


AVANT-PROPOS. 127homogènes, sont d'une même matière pour ainsi dire,et peuvent souvent être changées l'une dans l'autropar le changement de la modification, comme lescercles et les canes. Mais deux choses hétérogènespeuvent avoir un genre logique commun, et alorsleurs différences no sont pas de simples modificationsaccidentelles d'un môme sujet ou d'une môme matièremétaphysique ou physique. Ainsi le temps etl'espace sont des choses fort hétérogènes, et on auraittort do s'imaginer je ne sais quel sujet réel communqui n'eût quo la quantité continue en général *, etdont les modifications fissent provenir le temps oul'espace. Cependant leur genre logique commun estla quantité continue. Quelqu'un se moquera peut-êtrede ces distinctions des Philosophes, de deux genres,l'un logique seulement, l'autre réel, et de deux matières,l'une physique, qui est celle des corps, l'autremétaphysique seulement ou générale, comme si quelqu'undisait que deux parties de l'espace sont d'unomôme matière ou que deux heures sont aussi entreelles d'une môme matière. Cependant ces distinctionsno sont pas seulement des Termes, mais des chosesmêmes, et semblent venir bien à propos ici, où leurconfusion a fait naître une fausse conséquence. Cesdeux genres ont une notion commune, et celle dugenre réel est commune aux deux matières, de sorteque leur généalogie sera telle :1. Do coque l'idéo de continu convientégalement au temps tt àl'cspaco,on ne saurait conclure quelo continu est une réalité qui sertdo substrat à la fuis au temps et àl'espace.


123 LES NOUVEAUX ESSAIS.ILogique seulement, varié par des différences simples.Réel, dont les différences sont des / Métaphysique seulement,modifications , c'est-à-dire Ma- \ où il y a homogénéité.titre.i Physique, où il y a u"o( masse homogèno solide ',Je n'ai point vu la seconde lettre de l'Auteur àl'Évoque, et la réponse que ce Prélat y fait ne toucheguère au point qui regarde la pensée de la matière.Mais la réplique de notre autour à cette seconde réponsey retourne : « Dieu (dit-il à peu près dans ces» termes, p. 397) ajoute à l'essence do la matière les» qualités et perfections qui lui plaisent : le mouvei>ment simple dans quelques parties, mais dans les» plantes la végétation, et dans les animaux le senti-» ment. Ceux qui en demeurent d'accord jusqu'ici so» récrient aussitôt qu'on fait encore un pas, pour dire» que Dieu peut donner à la matière pensée, raison,» volonté, comme si cela détruisait l'essence de la» matière. Mais, pour le prouver, ils allèguent que la» pensée ou raison n'est pas renfermée dans l'essence» de la matière, co qui no fait rien, puisque le moîi-» vement et la vie n'y sont pas renfermés non plus.1. Genre logique.— Ainsi lasubslanco en général est genrelogique par à larappoil pensée cla l'étendue. Les différences sont Icila pensée et l'étenluo elles-mêmes,et <strong>Leibniz</strong> appelle ces différence*simples, par opposition acelles qui sont les modiilcationsd'uno matière commune.Genre réel. —On pourrait dire,par exemple, quo le mnrbro estgenre réel par rapport à toutes lesligures do imrbre. Les différentesici sont les différentes configurationson modifications du marbre luimême.Matière métapkystq te. — Parexemple, lo temps par rapport auxannées cl aux jours, l'espace parrapport a ses différentes parties.Malière physique.— Par exemple,le marbre, pir rapport aux statues,


AVANT-PROPOS. 129» Ils allèguent aussi qu'on ne saurait concevoir que» la matière pense : mais notre conception n'est pas» la me<strong>sur</strong>e du pouvoir de Dieu. » Après cela, il citel'exemple de l'attraction de là matière, p. 99, mais<strong>sur</strong>tout p. 408, où il parle de la gravitation de lamatière vers la matière, attribuée à M. Newton (dansles termes que j'ai cités ci-dessus), avouant qu'onn'en saurait jamais concevoir lo comment. Ce qui est,en effet, retourner aux qualités occultes ou, qui plusest, inexplicables. Il ajoute (p. 401) que rien n'estplus propre à favoriser les sceptiques que de nier cequ'on n'entend point, et (p. 402) qu'on ne conçoit pasmôme comment l'àmc pense. Il veut (p. 403) que, lesdeux substances, matérielle et immatérielle, pouvantêtre conçues dans leur essence nue sans aucuneactivité, il dépend do Dieu de donner à l'une et àl'autre la puissance do penser. Et on veut se prévaloirde l'aveu de l'adversaire, qui avait accordé lesentiment aux bêtes, mais qui ne leur accorderait pasquelque substance immatérielle. On prétend que laliberté, la consciosité(p. 408) et la puissance de fairedes abstractions (p. 409) peuvent être données à lamatière, non pas comme matière, mais comme enrichiepar une puissance divine. Enfin on rapporte(p. 434) la remarque d'un voyageur aussi considérableet judicieux que M. de La Loubèro *, quo lesI. Simon de La Loubère, littérateuret voyageur français (1012- pénétrer le christianisme. Il publiacommcrcialesavec co pays et y fatro17-20), fut envoyé a Siam par une relation do son voyago sous coLouis XIV, pour nouer des relations titre : Du royaume de Siam.LËIUNIZ, 9


'130 LES NOUVEAU ESSAIS.païens de l'Orient connaissent l'immortalité de l'àmosans en pouvoir comprendre l'immatérialité.Sur tout cela je remarquerai, avant que de venir àl'explication do mon opinion, qu'il est sûr que lamatière est aussi peu capable de produire machinalement{ du sentiment que de produire de la raison,comme notre Auteur en demeure d'accord; qu'à lavérité je reconnais qu'il n'est pas permis de nier cequ'on n'entend pas; mais j'ajoute qu'on a droit denier (au moins dans l'ordre naturel) ce qui absolumentn'est point intelligible ni explicable. Je soutiensaussi que les substances (matérielles ou immatérielles)ne sauraient être conçues dans leur essencenue sans activité, que l'activité est de l'essence do lasubstance en général 3; qu'enfin la conception descréatures n'est pas la me<strong>sur</strong>e du pouvoir de Dieu,mais que leur conceplivité, ou force de concevoir, estla me<strong>sur</strong>e du pouvoir do la nature ; tout co qui estconforme à l'ordre naturel pouvant être conçu ouentendu par quelque créature 3.1. Machlnalewtnt, c'csl-à-diromécaniquement, par la force cl lomouvement.3. Les substances n'étant rienen dehors do leur activité, la questionrevient n savoir si l'activitéde la pensée/ peut être réduite al'activité mécanique, et Locko aavoué que lo sentiment est inexplicablepar des raisons mécaniques.3.C'est toujours l'idée cartésienne,quo dans l'ordre naturel il n'existe,il n'arrive rien qui no puisse êtreconçu par la raison, Or Locke aavoué, cuinmo nous venons do levoir, quels pensée.no peut so ramenerà aucune modification assignablede la matière. C'est donc,ajoutera <strong>Leibniz</strong>, par un véritablemiracle quo l'on prétend attribuerh la iiiallère,c'est-à-Jlrc a l'étendue,des qualités qui no sont pas desmodifications de l'étendue. Or est-iladmissible quo l'on recoure dansuno théorie scientifique ou mêmephilosophique à un mtraclo perpétuel?Voyez <strong>Nouveaux</strong> Essais,liv. IV) Erdm., p. 34711 Vouloir quo


AVANT-PROPOS. 131Ceux qui concevront mon système jugeront que je'ne saurais me conformer en tout avec l'un ou l'autrede ces deux excellents Auteurs, dont la contestationcependant est fort instructive. Mais pour m'expliquerdistinctement, il faut considérer, avant toutes choses,que les modifications qui peuvent convenir naturellementou sans miracle à un sujet y doivent venirdes limitations ou variations d'un genre réel oud'une nature ordinaire constante et absolue l. Carc'est ainsi qu'on dislingue chez les Philosophes lesmodes d'un ôtre absolu de cet être môme, comme l'onsait que la grandeur, la figure et le mouvement sontmanifestement des limitations et des variations do lanature corporelle. Car il est clair comment une étenduebornée donne des figures, et que le changementqui s'y fait n'est autre chose que le mouvement. Ettoutes les fois qu'on trouve quelque qualité dans unsujet, on doit croire que si on entendait la nature doce sujet et de cette qualité, on concevrait commentcette qualité en peut résulter. Ainsi, dans l'ordre dola nature (les miracles mis à part), il n'est pas arbitraireà Dieu de donner indifféremment aux substancestellesou telles qualités *, et il ne leur en donnerajamais que celles qui leur seront naturelles, c'est-àdirequi pourront ôtre dérivées de leur nature conimoDieu donne aux choses des accidentsqui ne sont pas des façonsd'être ou des modifications dérivéesde ces substances, c'est recourirau miracle, st, Voyez plus haut la noto 1 do lapage 12.1 ri la nolc3 de lapage 130.2. Il n'y a tien d'arbitriire dansla nature : tout ce que Dieu crée,il le crée en verlu des principosra»tioiincls qui constituent son essencemême.


132 LES NOUVEAUX ESSAIS.' des modifications explicables. Ainsi on peut juger quela matière n'aura pas naturellement l'attraction mentionnéeci-dessus, et n'ira pa.î d'elle-même en lignecourbe, parce qu'il n'est pas possible de concevoircomment cela s'y fait, c'est-à-dire de l'expliquer mécaniquement;au lieu que ce qui est naturel doit'pouvoir devenir concevable distinctement, si l'onétait admis dans les secrets des choses. Cette distinctionentre ce qui est naturel et explicable et ce quiest inexplicable et miraculeux lève toutes les difficultés: et, en la rejetant, on soutiendrait quelquechose de pis que les qualités occultes, et on renonceraiten cela à la Philosophie et à la Raison, enouvrant des asiles de l'ignorance et de la paresseparun système sourd, qui admet non seulement qu'il ya des qualités que nous n'entendons pas, dont il n'yon a que trop, mais aussi qu'il y en a que le plusgrand esprit, si Dieu lui donnait toute l'ouverturepossible, no pourrait point comprendre, c'est-à-dire, qui seraient ou miraculeuses ou sans rime et sansraison; et cela môme serait sans rime et sans raison,que Dieu fit des miracles ordinairement * ; de sortequo cette Hypothèse fainéante détruirait égalementnotre Philosophie, qui cherche les raisons, ot ladivine sagesse,qui les fournit.Pour co rjui est maintenant de la Pensée, il est sûr,et l'Auteur lo reconnaît plus d'une fois, qu'elle ne1. Il serait ab<strong>sur</strong>deque Dieu, quiest la raison suprême, agit par desmiracles continuels, c•.ï-d. d'unemanière tonlrafre à toute raison.


AVANT-PROPOS. 133saurait être une modification intelligible de la matière,ou qui y puisse ôtre comprise et expliquée,c'est-à-dire que l'être sentant ou pensant n'est pasune chose machinale, comme une montre ou commeun moulin, en sorte qu'on pourrait concevoir desgrandeurs, des figures et mouvements dont laconjonctionmachinale pût produire quelque chose de pensantet même de sentant dans une masse où il n'yavait rien de tel, qui cesserait aussi de même par ledérèglement do cette machine. Ce n'est donc pas unechose naturelle à la matière de sentir et de penser,et cela ne peut arriver chez elle que de deux façons,dont l'une sera que Dieu y joigne une substance à quiil soit naturel de penser, et l'autre que Dieu y mettela pensée par miracle 1. En cela donc, je suis entièrementdu sentiment des Cartésiens, excepté que jeretends jusqu'aux hôtes, et que je crois qu'elles ontdu sentiment et des àmes immatérielles 8 (à proprementparler) et aussi peu périssables que les Atomesle sont chez Démocritc ou Gassciuli 3, au lieu que lesI.Cf.JVOMûtfo(.,§17.2. Suivant les Cartésiens, la penséene se trouve unie a l'étendue,t'ost-a-diro au corps, que chezl'homme seul. L'animal appartientdonc tout entier au monde do IV-Iciidue, il n'est quo pure matière.Voy. Dcscarlcs, Disc, de la Méth.,5' partie. <strong>Leibniz</strong> attribue aux animauxdes Monades capables, sinondo réflexion, au moins d'nppélilionet de perception.3. ùéinocrito *est lo fondateur de l'a (omis niequi depuis s'est appelé atomismoépicurien.Gassendi, physicien et philosophefrançais, né à Digne en 1592,mort en 1055, renouvela le systèmedo Démocritc cl d'Kpicure, enessayant de lo concilier avec lesdogmes de la théologie chrétienne.Dieu, première cause, a créé un nombreInfini d'atomes qui sont lesélé*nicnls dont to composent leschoscs,


134 LES NOUVEAUX ESSAIS.Cartésiens, embarrassés sans sujet des âmes desnotes * et ne sachant ce qu'ils en doivent faire si ellesse conservent (faute do s'aviser de la conservation del'animal même réduit en petit), ont été forcés do refusermôme'le sentiment aux hôtes, contre toutes les,apparences et contre le jugement du genre humain.Mais si quelqu'un disait quo Dieu au moins peutajouter la faculté de penser à la machine préparée,je répondrais que si cela se faisait, et si Dieu ajoutaitcette faculté à la matière', sans y verser en mômotemps une substance qui fût lo sujet d'inhésion docette môme faculté (comme je le conçois), c'est-àdiresans y ajouter une âme immatérielle, il faudraitquo la matière eût été exaltée miraculeusement pourrccovoir uno puissance dont elle n'est pas capablonaturellement : comme quelques Scolastiqucs pré*tendent que Dieu oxalto le feu jusqu'à lui donner laforce de briller immédiatement des esprits séparésde la matière, ce qui serait un miracle tout pur. Etc'est assez qu'on no peut soutenir quo la matièropense, sans y mettre uno âme impérissable oubien un miracle 9, et qu'ainsi l'immortalité de nos1. Les Cartésiens disaient quo ladoctrine qui attribue des âmes auxanimaux compromet la croyance hl'immortalité do l'Amo humaine. Sil'on accorde uno âmo à l'animal, ilest bien difficile d'admettre queccllonmo soil Immortelle, car l'immortalitén'a aucuno raison d'être pourdes créatures étrangères à loulo notionmorale; et si l'on admet quoeclto Ame sera anéantie, commentempêcher les esprits faibles do croirequo nos âmes auront lo mémo sort?Suivant <strong>Leibniz</strong>, toutes ht ouïessont également immatérielles etimpérissables : mais il n'y A quo lesAmes humaines qui conservent leuridentité morale cl pcrsonncllo,8. <strong>Leibniz</strong> no niait pas lo miracle.11croyait quo Olcii, pour ilesralsonssupérieures, a pu décider, on créantlo inonde, qu'il se produirait quel*


AVANT-PROPOS. 135âmes suit de ce qui est naturell : puisqu'on nesaurait soutenir leur extinction que par un miracle,soit en exaltant la matière, soit en anéantissant l'âme.Car nous savons bien que la puissance de Dieu pourraitrendre nos âmes mortelles, tout immatérielles(ou immortelles par la nature seule) qu'elles peuventcire, puisqu'il les peut anéantir.Or cette vérité de l'immatérialité de l'Ame est sansdoute de conséquence. Car il est infiniment plusavantageux à la religion et à la morale, <strong>sur</strong>tout dansle temps où nous sommes, de montrer que les âmessont immortelles naturellement, et que ce serait unmiracle si elles ne le fussent pas, que de soutenirque nos âmes doivent mourir naturellement ; maisque c'est en vertu d'une grâce miraculeuse, fondéedans la seule promesse de Dieu, qu'elles ne meurentpoint. Aussi sait-ondepuis longtemps que ceux qui ontvoulu détruire la religion naturelle, et réduire letout à la révélée, comme si la raison no nous enseignaitrien là-dessus, ont passé pour suspects, et con'est pas toujours sans raison. Mais notre Auteurn'est pas de ce nombre : il soutient la démonstrationquefois certaines dérogations auxlois naturelles. Mais ce qu'il neveut pas admettre, c'est que l'on recoure,pour expliquer le monde, à unmiracle perpétuel. Ainsi 11 repoussel'attraction à distance, parco que ceserait un miruclo perpétuel: i Si Dieufaisait uno loi générale qui portâtquo les corps s'attirassent les unsles autres, il n'en saurait obtenirl'exécution quo par des miraclesperpétuels » (Théodicée, % 201).I. H est naturel, c'est-à-direconforme à la raison, quo l'âmesoit conservée après la mort ducorps, cl continue a exprimer l'univers.Cequi serait un miracle, ce seraitl'anéantissement p'ar Dieu d'uneMonade,qui, naturellement, ne peutpérir. Voyez Monadol., %\ \, 6 cl 0.


136 LES NOUVEAUX ESSAIS.do l'existence de Dieu, et il attribue à l'immatérialitéde l'âme une probabilité dans le suprême degré,qui pourra passer par conséquent pour une certitudemorale, de sorte que je m'imagine qu'ayant autantdo sincérité, que de pénétration, il pourrait bien s'accommoderde la doctrine que je viens d'exposer, etqui est fondamentale en toute philosophie raisonnable,ou autrement je ne vois pas comment on sepuisse empêcher de retomber dans la philosophiefanatique, telle que la-Philosophie Mosaïque deFludd ', qui sauve tous les phénomènes en les attribuantà Dieu immédiatement et par miracle, ou barbarc*,comme celle de certains philosophes et médecinsdu temps passé, qui se ressentait encore de labarbarie de leur siècle, et qu'aujourd'hui on mépriseavec raison, qui sauvaient les apparences en forgeanttout exprès des qualités occultes ou facultés qu'ons'imaginait semblables à des petits démons ou lutins,capables de faire sans façon ce qu'on demande,comme si les montros de poche marquaient lesheures par une certaine faculté horodéiclique, sansavoir besoin de roues, ou comme si les moulins brisaientles grains par une faculté fractive, sans avoir1. Robert Fludd, médecin etphilosophe anglais, né en 1574 àMilgnte, comté de Kent, mort àLondres en 1037. Il avait Intitulélui-même Philosophie Mosaïque unouvrage qui parut à Gouda, enHollande, un. ml après sa mort.Celle philosophie était un mélangeconfus d'idées empruntées su néoplatonisme,à la Cabale et auxsciences occultes.4. Par philosophlo barbare, <strong>Leibniz</strong>entend le pciipatélismo dégénérédu moyen âge, qui so servaitd'idées métaphysiques, comme cellesde forme et de faculté, pour expliquerlo détail des phénomènes physiques.


AVANT-PROPOS. 137besoin de rien qui rcsscmbàt aux meules 1. Pour cequi est de la difficulté que plusieurs peuples ont euedo concevoir une substance immatérielle, elle cesseraaisément (au moins en bonne partie) quand onno demandera pas des substances séparées de lamatière, comme en effet je ne crois pas qu'il y en aitjamais naturellement parmi les créatures.1. Voyez la note 1 do la page 123.


LIVREPREMIERDES NOTIONS INNÉESCHAPITREPREMIERS'il y a des Principes innés dans l'esprit de l'homme.PIIILALÈTHE. Ayant repassé la mer après avoirachevé les affaires que j'avais en Angleterre, j'aipensé d'abord à vous rendre visite, Monsieur, pourcultiver notre ancienne amitié, et pour vous cntrelctenirdes matières qui nous tiennent fort à coeur àvous et à moi, et où je crois avoir acquis de nouvelleslumières pendant mon long séjour à Londres.Lorsque nous demeurions autrefois tout proche l'unde l'autre à Amsterdam, nous prenions beaucoup doplaisir tous deux à faire des recherches <strong>sur</strong> les principeset <strong>sur</strong> les moyens de pénétrer dans l'intérieurdes choses. Quoiquo nos sentiments fussent souventdifférents, 'cette diversité augmentait notre satisfactionlorsque nous en conférions ensemble, sans quela contrariété qu'il y avait quelquefois y mêlât rien dedésagréable. Vous étiez pour Descartes et pour lesopinions du célèbre Auteur de la llecherche de la


LES NOUVEAUX ESSAIS. 139Vérité 1, et moi je trouvais les sentiments de Gassendi,éclaircis par M. Dernier 9, plus faciles et plusnaturels. Maintenant je me sens extrêmement fortifiépar l'excellent ouvrage qu'un illustre Anglais, quej'ai l'honneur de connaître particulièrement, a publiédepuis, et qu'on a réimprimé plusieurs fois en Angleterresous le titre modeste d'Essai concernantl'Entendement Humain. Et je suis ravi qu'il paraitdepuis peu en latin et en français 3, afin qu'il puisseêtre d'une utilité plus générale. J'ai fort profité de lalecture de cet ouvrage, et même de la conversationde l'Auteur, que j'ai entretenu souvent à Londres, etquelquefois à Oates*, chez Milady MashamB, dignefille du célèbro M. Cudworlh 6, grand Philosophe et1. Malcbranchc, dont le principalouvrage est la Recherche de laVérité.2. Dernier, voyageur, médecin etphilosophe français (10-20-88); 11fut élève de Gassendi, et résumala doctrine do son maître dans unouvrugo intitulé t Abrégé de laphilosophie de Gassendi (Lyon,1078 a 1081).3. L'Essai do Locko fut traduiten latin par Richard llurridgc,cccléslastiquo irlandais. Celto traductionparut à Londres en 1701,sous ce titre : De intellectu humano.Le traducteur français de YEssaiest Pierre Coste, qui avait connuLocke en Hollande et traduit sesPensées <strong>sur</strong> l'éducation cl sa /?c


140 LES NOUVEAUX ESSAIS.Théologien anglais, Auteur du système intellectuel,dont elle a hérité l'esprit de méditation et l'amourdes belles connaissances, qui paraît particulièrementpar l'amitié qu'elle entretient avec l'Auteurde VEssai. Et, comme il a été attaqué par quelquesDocteurs de mérite 1, j'ai pris plaisir à lire aussi l'apologiequ'une demoiselle fort sage et fort spirituellea faite pour lui 8, outre celles qu'il a faites luimôme.Cet Auteur est assezdans le système de M. Gassendi,qui est, dans le fond, celui de Démocritc; ilest pour le vide et pour les atomes ; il croit que lamatière pourrait penser; qu'il n'y a point d'idéesinnées ; que notre esprit est tabula rasa, et que nousno pensons pas toujours; et il paraît d'humeur àapprouver la plus grande partie des objections queM. Gassendi a faites à M. Descartes3. 11a enrichi etrenforcé ce Système par mille belles réflexions; et jene doute point que maintenant notre parti no triomphela conséquenco des principes dollobbcs. Il entreprit do rétablir lescauses finales en physique, ri, pourexpliquer les phénomènes do la vie,admit l'existence d'une force organisatriceou nature plastique analoguoà la 1"m< Ofiittix^ d'Arlslole,et aux A4ï«t des Stoïciens.Son principal ouvrage est«ti^ixtixtlintitulé: The true intelleclual Systemof the Universe, wherein ailthe reasons and the philosophy ofAthelsm are confuled.1. Ces docteurs sont, oulro Slillingllcctiuncertain John Edwards,dont les attaques, dirigées <strong>sur</strong>toutcontre la lîeasonableness of Christianity,datent do 1093; JohnNorris, disciplo de Malebranchc,Thomas Uumcl, auteur d'uno nouvellethéorla do la terre, et JohnScrjant, prêtro catholique.2. Cctto dcmoiscllo est peut-êtreKsthcr Masham, issuo d'un premiermariage de str Francis Masham,cl aussi attachée h Locke quesi belle-mère, lady Masham.3. Les objections do Gassendisont les cinquièmes quo l'on trouveà la suito des Méditations de Descartes.Gassendi y soutient a la foisl'atomtsmo cl l'empirisme.


LES NOUVEAUX ESSAIS. i ilhautement de ses adversaires, les Péripatéticicns etles Cartésiens 1. C'est pourquoi, si vous n'avez pasencore lu ce livre, je vous y invite, et, si vous l'avezlu, je vous supplie de m'en dire votre sentiment.THÉOPHILE. Je me réjouis de vous voir de retouraprès une longue absence, heureux de la conclusiondo votre importante affaire, plein de santé, fermedans l'amitié pour moi, et toujours porté avec uneardeur égale à la recherche des plus importantes vérités.Jo n'ai pas moins continué mes méditationsdans le môme esprit, et je crois avoir profilé aussiautant, et peut-être plus que vous, si je ne me flattepas. Aussi en avais-jc plus besoin que vous, car vousétiez plus avancé que moi. Vous aviez plus de commerceavec les Philosophes spéculatifs, et j'avais plusde penchant vers la morale. Mais j'ai appris de plusen plus combien la morale reçoit d'affermissementdes principes solides de la véritable philosophie, c'estpourquoi je les ai étudiés depuis avec plus d'application,et je suis entré dans des méditations assez nouvelles*.De sorte que nous aurons de quoi nousdonner un plaisir réciproque do longue durée, encommuniquant l'un à l'autre nos éclaircissements.Mais il faut que je vous dise pour nouvelle que je ne1, Lo matérialisme et l'empirismeont pour adversaires a la foisles Péripatéticicns ou Scolastiqueset les Cartésiens. Les promtersexpliquent tous les phéno*mènes par l'action do forces spirituellesol animent ainsi loulola nature. Les seconds opposentla Pcnséo a l'étendue, l'Ame auCorps, et soutiennent l'existence d'idéesInnées.2. <strong>Leibniz</strong>, avant d'aborder laquestion qui doit faire l'objet de cepremier livre, donne un aperçu deses principales découvertes métaphysiques.


M* LES NOUVEAUX ESSAIS.suis plus Cartésien ', et quo copondant jo suis éloignéplus que jamais do votro Gassendi* dont jo reconnaisd'ailleurs lo savoir et le mérite. J'ai été frappé d'unnouveau Système3 dont j'ai lu quelque choso dansles Journaux des Savants do Paris, do Leipzig et doHollande, et dans lo merveilleux Dictionnaire doM. Bayle*, article do Rorarius*; et depuis, jo croisvoir uno nouvelle face de l'intérieur des choses. Cosystème parait allier Platon avec Démocritc, Arisloteavec Descarlcs?les Scolastiques avec les Modernes,la Théologie et la Morale "avec la Raison 0. Il semble1. Dans le Système nouveaude la Nature, publié on 1095, <strong>Leibniz</strong>dit que les Cartésiens lo firentrenoncer de bonno heure à la philosophiescolastique. Mais il notarda pas à s'écarter du cartésianisme.Peu après, on le voit soprononcer contro les principes dola physiquecartéstenno (voy. Lettreà Philippi, éd. Gerhard!, t. IV,p. 281). Lo système des Monades,qui supprime l'opposition entre lasubstance pensante et la substancoétenduo, et qui absorbe pour ainsidire lo matériel dans le pensant, esten complet désaccord avec la métaphysiquede Descartes.2. Lo système suivant lequel iln'existe que des Monades, principesimmatériels de force et do perception,est encoro plus éloigné dol'atomismo de Gassendi que du dualismecartésien.3. Lo Système nouveau de laNature. Voy. Erdmann, n*>xxxvi.4. Bayle, professeur do phllosophioa Sedan, puis à Rotterdam,auteur d'un célèbre dictionnairehistorique, né au Cariât, dans lecomté do Folx, en 1017, mort aRotterdam en 1700.5, Rorarius (GlrolamoRorario)futnonce du pape Clément VU à lacour do Hongrie et composa vers1517 un 7Va{/l,dans lequel il essayado démontrer tquod animalia brutaratione utantur melius homine ».Bayle consacra à Rorarius un articlede son dictionnaire, et prit occasionde ce Traité pour discuter,dans deux longues notes, lo systèmedo <strong>Leibniz</strong>.G. Dans ce passage, Démocritc,Descartes, les Modernes, d'un côté,représentent l'explication mécaniquodu monde, fondée <strong>sur</strong> laRaison; Platon, Aristotc, les Scolastiques,les théologiens, d'autrepart, représentent la philosophiequi explique lo matériel par l'immatériel,et rend possible la Morale.Or <strong>Leibniz</strong> croit avec lespremiers que tout, dans lo inonde,s'expliquo mécaniquement, et avecles seconds, qu'il n'y a do réel quel'âme, l'immatériel.


LES NOUVEAUX ESSAIS, 113qu'il prend le meilleur do tous côtés, et que puisaprès il va plus loin qu'on n'est allô encore. J'y trouveuno explication intelligible do l'union do l'âme etdu corps 1, chose dont j'avais désespéré auparavant.Jo trouve les vrais principes des choses dans leu Unitésde Substance que ce Système introduit et dans leurharmonio préétablie par la Substance primitive. J'ytrouve uno simplicité et une uniformité <strong>sur</strong>prenante 2,en sorte qu'on peut dire quo c'est partout et toujoursla môme chose, aux degrés do perfection près. Jevois maintenant ce que Platon entendait quand ilprenait la matière pour un ôtro imparfait et transitoire3; ce qu'Aristote voulait dire par son Entéléchio*;co que c'est que la promesse que Démocritcmôme faisait d'une autre vio chez Pline 5;jusqu'où les Sceptiques avaient raison en déclamantcontre les sens 0 ; comment les animaux sont des au-1. Par l'Harmonie préétablie. Cf.Introduction, i"> partie, IV.2. Parce qu'il n'existe que desMonades, semblables les unes auxautres quant à l'essence, qui perçoiventtoutes le mémo univers, clno diffèrent quo par leur point devue et par la clarté plus ou moinsgrande de leurs perceptions.3. La matière, pour Platon, n'estpas mémo un être. Il n'y a de réel,pour Platon, quo les idées. La matièreest une apparence résuliantdo la combinaison des idées. Cetteapparence est soumise à do continuelschangements.4. Lo mot tm>(xit«, chez Aristotc,est à peu près 'synonyme delv/fY«», et désigne non pas un être,mais ce que les scolasliques ontappelé l'acte, par opposition à lapuissance : ^vi;m rX* ivTili^not tiihitjlv a» voîj {Dtanimâ,\. III, c. iv).L'esprit est en puissance (contienten puissance) les idées, mais n'estrien en acte avant d'avoir pensé.5. Plino [llisl. Nat., liv. VII,eh. 50), combat la croyance k l'immortalitéde l'Ame séparée, etajoute : Similis et de adservandiscorporibus hominum ac reviviscendipromissa a Democrito vanitas,qui non revixit ipse.0. Les principaux arguments dessceptiques do l'antiquité étaient en


114 LES NOUVEAUX ESSAIS.tomatos suivant Dcscartos, et comment ils ont pourtantdes âmes et du sentiment, selon l'opinion du 1genre humain '; commont faut-il oxpliquor raisonna-,blcmcnt ceux qui ont logé vio et perception en touteschoses, comme Cardan', Campanclla 3, et mieuxqu'eux feu Madamo la Comtesse do Connaway *, Platonicienne,et notre ami feu M. François-MercureVan Hclmont 5 (quoique d'ailleurs hérissé do paradoxesinintelligibles) avec son ami feu M. Henri Morus°.Comment les lois do la naturo(dpnt une bonnecfl'ct tirés do l'incertitude du témoignagedes sens. Pour <strong>Leibniz</strong>,comme pour Descartes, toute connaissancescnslblo est confuse; laraison seule peut dégager do laperception scnsiblo l'universel clio nécessaire, qui est l'objet do lascience.1. Tout, dans lo corps de l'animal,se passe suivant la.loctrino do Descartes,tout s'y réduit à des mouvements; mais ces mouvements sontreprésentés dans uno Monade sousforme d'appétitions et do perceptions.Et c'est cette Monade quiconstitue l'amo de l'animal.9. Cardan (llieronymus Caidanus,1501-1570), mathématicien, médecinet philosophe italien, admettaitl'explication mécaniquo de tous lesphénomènes, mais croyait en mémotemps à l'existence d'une âme dumonde pénétrant toutes les partiesde l'univers. ll.< écrivit un grandouvrage intitulé : De Subtilitate,qui fut réfuté par Jules Scaliger.3. Campanclla, né à Stilo en Calabro,en 1503, mort à Paris en1039, dominicain philosophe, admettait,commo Cardan, quo lomondo tout entier était pénétré etanimé par un principo spirituel. Ilattribuait uno amo h l'univers considérédans son ensemble, et desâmes particulières, qu'il appelaitMonades, à tout les êtres do lacréation.4. Co nom no so trouve pasdans le Peerage and Baronelage doBurke (20e édit., 1858), qui donnela généalogie do toutes les famillesnobles d'Angleterre. Mais il y a eu,au dix-huitième siècle, en Angleterre,un comte do Conway qui,n'ayant pas d'héritier direct, à testéen 1083 en faveur do son cousinPopham Seymour, do sorto qu'audix-huitième siècle les noms deSeymour et do Conway ont étéréunis <strong>sur</strong> la mémo tête. On peutadmettro quo la comtesso dont parlo<strong>Leibniz</strong> était la femmo do co comtedo Conway.5. François-Mercure Van llelmont,fils de J.-B. Van Hclmont,né en 1018, mort en 1099, avaitadopté le systèmo des âmes vitalesou Archées du médecin Paracclsc.0. Morus (Henry More), né àGranlham, dans le Lincolnshire,


LES NOUVEAUX ESSAIS. 145partie était ignorée avant co Systômo) ont leur originodes principes supérieurs à la matiôro 1, et quo pourtanttout se fait mécaniquement dans la matière, enquoi les autours spiritualisants quo jo viens de nommeravaiont manqué avec leurs Archées et môme lesCartésiens, en croyant que les substances immatérielleschangeaient sinon la force, au moins la directionou détermination des mouvements des corps 3,au lieu quo l'âme et le corps gardent parfaitementleurs lois, chacun les siennes, selon lo nouveau système,et que néanmoins l'un obéit à l'autre autant qu'il lofaut. Enfin c'est depuis que j'ai médité ce système quej'ai trouvé comment les âmes des bêtes et leurs sensationsne nuisent point à l'immortalité des âmeshumaines, ou plutôt comment rien n'est plus propreà établir notre immortalité naturelle que de coneccn1014, mort en 1037, appartientà l'écolo platonicienne d'Angleterre,dont Cudworlh est lo principal représentant.Il admettait des principeshylarchiques analogues auxArchées de Paracelso. •— II fut undes correspondants do Descartes.1. Les lois do la nature sont fondées,suivant <strong>Leibniz</strong>, <strong>sur</strong> le principedo la conservation do la force :et ce principe lui-mémo n'est nécessaire,selon lui, quo d'une nécessitémétaphysique, ou, comme ildit, morale. Voyez l'Introduction,II» partie, H, 3, b.3. Descartes croyait quo Dieu,« qui agit d'une façon qu'il nechange jamais », devait conservertoujours la même quantité de mou»LEIBNIZ.vcment dans l'univers. (La quantitéde mouvement est la vltesso multipliéepar la grandeur du mobile.)Cette loi devait s'appliquer au corpshumain commo ù tous les corps;mais Descartes admettait que l'àmopeut, sinon créer du mouvement,au moins diriger lo mouvement desesprits animaux, commo un cavalierdirige les mouvements do son cheval,quoiqu'il ne les produlso pas.Voyez Passions de l'Ame, part. 1,art. 41, et lo fragment intitulé\'Homme, dans l'édition Cousin,t. IV, p. 317 sqq., où l'Ame estcomparée a un foiitalnicr qui, sansaugmenter la quantité de l'eau dontil dispose, peut la diriger a son grédans différents tuyaux.10


146 LES NOUVEAUX ESSAIS.voir que toutes les àmos sont impérissables (morteeurent animoe1), sans qu'il y ait pourtant des métempsycosesà craindro 3, puisque non seulement lesâmes, mais encoro les animaux, demeurent ol demeurerontvivants, sentants, agissants: c'est partoutcommo ici, et toujours et partout commo chez nous,suivant co que jo vous ai déjà dit. Si co n'est quoles états-des animaux sont plus ou moins parfaitset développés, sans qu'on ait jamais besoin d'âmestout à fait séparées pendant quo néanmoins nousavons toujours des esprits aussi purs qu'il se peut 3,nonobstant nos organos qui no sauraient troublerpar aucune influence les lois do notre spontanéité,Jo trouve lo vîdo et les atomes exclus bien autrementque par lo sophismo des Cartésiens, fondé dansla prétendue coïncidence de l'idée du corps et dol'étendue*. Je vois toutes choses réglées et ornées audelà de tout co qu'on a conçu jusqu'ici, la malièroorganique partout, rien de vide, stérile, négligé,1. Ovide, Met., XV, 158.3. La Monado ne peut jamaisêtre séparéo de son corps pour êtreunie à un autre, mais lo corpsattribué à une Monado peut sotransformer progressivement. Cf.Monadol, g72: « ... il y a souventmétamorphose dans les animaux,mais jamais métempsycose, nitransmigration des âmes*.3. Nos esprits sont aussi pursqu'il se peut, en co sens que l'actiond'une Monade est toujoursspontanée, et physiquement indépendantedo celle des autres.4. Voyei Descartei, Principes,11* partie, U 8 cl suiv. D'aprèsDescartes, il n'y a pas plus d'étenduosans corps que do corps sansétenduo, parce quo les notions decorps et d étenduo sont identiques.On sait quo Descartes et los Cartésiensadmettent qu'on peut concluredo la notion à l'être <strong>Leibniz</strong>croit, comme Descartes, qu'il n'y apas de vido; mais la princlpalo raisonqu'il en donno est qu'en vertudu principe du Meilleur il faut qu'ily ait partout do la vio et do l'organisation.Dieu n'a pu laisser dansl'univers aucune partie morte, stérile,comme le serait un espace


LES NOUVEAUX ESSAIS. 147rien do trop uniformo, tout varié, unis avecordro 1 ;et, co qui passé l'imagination, tout l'univers en raccourci,mais d'uno vuo différento dans chacune doses parties, et mémo dans chacune do ses unitésdo substance. Oulro ccltonouvello Analyse des choses,j'ai mieux compris celle des notions ou idées et desvérités. J'entends ce que c'est qu'idée vraie, claire,distincte, adéquate, si j'ose adopter ce mot 3. J'entendsquelles sont les vérités primitives cl les vraisAxiomes 3, la distinction des vérités nécessaires et docelles de fait*, du raisonnement des hommes et desconsécutionsdes hôtes 5, qui en sont une ombre. Enfinvous serez <strong>sur</strong>pris, Monsieur, d'entendro tout ce quoj'ai à vous dire, et <strong>sur</strong>tout do comprendre combien laconnaissance des grandeurs et des perfections doDieu en est relevée 0. Car je ne saurais dissimuler àvide. Voy. Monadoi.,%% 00 et suivants,et l'Apostille à la quatrièmelettre de Leibni* à Clarke, Erdm.,p. 758.1. Tout varié, parce que toutesles Monades expriment l'univers àdes points de vue différents; maisavec ordre, parce qu'il y a accordparfait entre ces points do vue.2. Voy. Medilaliones de cognitlone,veritate et ideis et Disc, deMétaph., § 24. — Uno idée clalroest celle qui nous suffit pour « reconnaîtreuno chose parmi lesautres ». « Mais lorsquo je puisexpliquer les marques que j'ai, laconnaissance s'appello distincte. Ettelle est la connaissance d'un essayeur,qui distinguo lo vrai or dufaux par lo moyen do certainesépreuves ou marques' qui font ladéfinition de l'or. » Enfin une ideoest adéquate* lorsque tout ce quientre dans une déllnition ou connaissancedistincte est connu distinctement», par uno sorte d'analysedes notions qui va « jusqu'auxnotions primitives ». Telle est laconnaissance quo nous avons desnombres.3. Les vrais axiomes sont les véritésirréductibles, comme le principedo Contradiction : A n'est pa3non-A.4. Voy. Introduction, II* partieII, Connaissance réfléchie, 3 b.5. Cf. Monadol., § 20.G. Ce qui relève l'idéo quonous nous faisons do Dieu, c'estavant tout la variété, la richesseinfinie de l'univers. « L'univers esten quelque façon multiplié autant


148 LES NOUVEAUX ESSAIS.vous, pour qui je n'ai eu rien do caché, combien josuis pénétré maintenant d'admiration et (si nous pouvonsoser do nous servir de co terme) d'amour pourcette souveraino source do choses et de beautés,ayant trouvé quo celles quo ce systèmo découvre passenttout ce qu'on en a conçu jusqu'ici. Vous savez quej'étais allé un peu trop loin ailleurs, et quo jo commençaisà pencher du côté des Spinosisles*, qui nelaissent qu'une puissance infinie à Dieu, sans reconnaîtreniperfection,ni sagesse à son égard, et,méprisant la recherche des causes finales, dériventtout d'une nécessité brute. Mais ces nouvelles lumièresm'en ont guéri; et, depuis co temps-là, jeprends quelquefois le nom do Théophile. J'ai lu lelivre do co célèbre Anglais, dont vous venez do parler.Jo l'estime beaucoup, et j'y ai trouvé de belles choses.Mais il me semble qu'il faut aller plus avant, etqu'il faut môme s'écarter do ses sentiments, lorsqu'ilon a pris qui nous bornent plus qu'il ne faut, et ravalentun peu non seulement la condition de l'homme,mais encore celle de l'univers.PIIILALÈTE. Vous m'étoimcz en effet avec toutesles merveilles dont vous me faites un récit un peutrop avantageux pour que je les puisse croire facidefois qu'il'y a do substances, etla gloiro do Dieu est redoubléo domémo par autant do représentationstoutes différentes do son ouvrage. •Disc, de Métaph., g 0.1. <strong>Leibniz</strong> reprochait aux Carlégienset à Spinoza do négliger larechercho des causes finales et dene voir dans lo mondo qu'un mécanismeaveugle. Dans lo système de<strong>Leibniz</strong>, au contrairo, les idées d'organisation,de tendanco au meilleuret de perfection jouent un rôloconsidérablo.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 149lcment. Cependant jo veux espérer qu'il y auraquelquo chose de solide parmi tant de nouveautésdont vous me voulez régaler, En ce cas vous metrouverez fort docile. Vous savez quo c'était toujoursmon humeur do mo rendre à la raison, et que joprenais quelquefois lo nom do Philalèthe, C'est pourquoinous nous servirons maintenant, s'il vous plait,de ces deux noms, qui ont tant do rapport. 11 y amoyen de venir à l'épreuve, car, puisque vous avezlu lo livre du célèbre Anglais qui me donne tant dosatisfaction, et qu'il traite une bonne partie des matièresdont vous venez de parler, et <strong>sur</strong>tout l'Analysede nos idées et connaissances, ce sera le plus courtd'en suivro le fil, et do voir ce qiie vous aurez à remarquer.THÉOPHILE. J'approuve votre proposition. Voici lelivre.§ 1. PHILALÈTHE. Je l'ai si bien lu, que j'en ai retenujusqu'aux expressions, que j'aurai soin de suivre.Ainsi je n'aurai point besoin de recourir au livrequ'en quelques rencontres, où nofïs le jugerons nécessaire.Nous parlerons premièrement de l'originedes idées ou Notions (livre 1), puis des différentessortes d'idées (livre 2), et des mots qui servent à lesexprimer (livre 3), enfin des connaissances et véritésqui en résultent (livre 4), et c'est celte dernière partiequi nous occupera le plus. Quant à l'origine desidées, je crois, avec cet Auteur et quantité d'habilesgens, qu'il n'y en a point d'innées, non plus que doprincipes innés. Et pour réfuter l'erreur de ceux qui


150 LES NOUVEAUX ESSAIS.en admettent, il suffirait do montror, commo il paraîtradans la suite, qu'on n'en a point besoin, et que leshommes peuvent acquérir toutes leurs connaissancessans le secours d'aucune impression innéeTHÉOPHILE. VOUS savez, Philalèthe, que jo suisd'un autre sentiment depuis longtemps, quo j'ai toujoursété comme je le suis encoro pour l'idée innéode Dieu, que M. Descartes a soutenue', et par conséquentpour d'autres idées innées et qui ne nous sauraientvenir des sens. Maintenant je vais encore plusloin, en conformité du nouveau Système, et je croismême que toutes les pensées et actions de notre âmeviennent de son propre fonds, sans pouvoir lui ôtredonnées par les sens, commovous allez voir dans lasuite 9. Mais à présent jo mettrai cette rechercho àpart, et, m'accommodant aux expressions reçues,puisqu'on effet elles sont bonnes et soutcnablcs etqu'on peut dire, dans un certain sens, que les sensexternes sont cause en partie de nos pensées, j'exami-1. Voyez Disc, de la Méthode,partie IV ; Méditation II* et Principes,part. I, gg xtv et suivants.9, On sait que, suivant <strong>Leibniz</strong>,la Monade, qui n'a pas do fenêtres,tiro toutes ses perceptions et toutesses idées de son propre fonds. Maiscetto conception tout idéaliste del'univers n'empêche pas <strong>Leibniz</strong>do parler commo tout lo monde etde se poser la même question queLocke, car, parmi les pcrcepllonsou idées que la Monade tiro de sonfonds, il y en a qui lui apparaissentcomme venant du dehors: ce sontles perceptions ou idées sensiblesqui ml leur raison d'être dans lesperceptions des Monades subordonnéesà notre Monado dominante.« J'ai remarqué déjà de quellefaçon on peut dffe véritablementque les substances particulières agissentl'uno <strong>sur</strong> l'autre, et dans cemémo sens on peut diro aussi quonous recevons do dehors des connaissancespar lo ministère dessens, parco quo quelques chosesextérieures contiennent ou exprimentplus particulièrement les raisonsqui déterminent notro amoà certaines pensées. » Disc, deMétaph., % 27.


LES NOUVEAUX ESSAIS, 151nerai comment on doit diro à mon avis, encoro danslo système commun (parlant do l'action des corps <strong>sur</strong>l'âme commo les Coperniciens parlent avec les autreshommes du mouvement du Soleil, et avec fondement),qu'il y a des idées et des principes qui ne nous viennentpoint des sens, et que nous trouvons en noussans les former, quoique les sens nous donnent occasiondo nous en apercevoir. Je m'imagine que votrehabile auteur a remarqué que, sous le nom do prin*cipes innés, on soutient souvent ses préjugés et qu'onveut s'exempter de la peine des discussions et que cetabus aura animé son zèle contre cette supposition. Ilaura voulu combattre la paresse et la manière superficiellede penser de ceux qui, sous le prétexte spécieuxd'idées innées et de vérités gravées naturellementdans l'esprit, où nous donnons facilementnotre consentement, no se soucient point de rechercheret d'examiner les sources, les liaisons et la certitudede ces connaissances. En cela je suis entièrementde son avis, et je vais même plus avant. Jevoudrais qu'on no bornât point notre Analyse, qu'ondonnât les définitions de tous les Termes qui en sontcapables, et qu'on démontrât ou donnât le moyen dedémontrer tous les Axiomes qui ne sont point primitifs1, sans distinguer l'opinion que les hommes enont, et sans se soucier s'ils y donnent leur consentementou non. 11 y aurait en cela plus d'utilité qu'onne pense. Mais il semble que l'auteur a été porté trop1. Il faut réduire autant que possiblo lo nombre des idées innées. Cf.Introduction, 11» partie, II 9.


152 LES NOUVEAUX ESSAIS.loin d'un autre côté par son zèlo fort louable d'ail- ^leurs. 11 n'a pas assez distingué, à mon avis, l'originedes vérités nécessaires dont la source est dans l'en- ;tendcmcnl d'avec celle des vérités do faii qu'on tire -des expériences des sens, et môme des perceptions confusesqui sont en nous. Vous voyez donc, Monsieur,'que je n'accorde pas co quo vous mettez en tait, quenous pouvons acquérir toutes nos connaissances sans •avoir besoin d'impressions innées. Et la suite fera,voir qui do nous a raison,§ 2. PHILALÈTHE. Nous l'allons voir en effet. Jo


LES NOUVEAUX ESSAIS. 153temps. Car il y a uno grande partie du genre humainà qui ces deux propositions, qui passeront sans doutepour vérités nécessaires et pour des Axiomes chezvous, ne sont pas mémo connues *.-THÉOPHILE. Je ne fonde pas la certitude des principesinnés <strong>sur</strong> lo consentement universel, car jevous ai déjà dit, Philalèthe, que mon avis est qu'ondoit travailler à pouvoir démontrer tous les axiomesqui ne sont point primitifs. Je vous accorde aussiqu'un consentement fort général, mais qui ne soitpas universel, peut venir d'une tradition répanduepar tout le genre humain, comme l'usage de la fuméedu Tabac a été reçu presque par tous les peuplesen moins d'un siècle, quoiqu'on ait trouvé quelquesinsulaires qui, no connaissant pas môme le feu,n'avaient garde de fumer. C'est ainsi que quelqueshabiles gens, môme parmi les théologiens, mais duparti d'Arminius 2, ont cru que la connaissance dela Divinité venait d'une tradition très ancienne etfort générale ; et je veux croire en effet que renseignementa confirmé et rectifié cette connaissance.Il paraît pourtant que la nature a contribué à y menersans la Doctrine; les merveilles de l'univers ont faitpenser à un Pouvoir supérieur. On a vu un enfant1. Philalèthe résume ici les deuxprincipaux arguments de Locko :Ie lo consentement universel <strong>sur</strong>certaines idées et vérités, s'il existaitréellement, ne prouverait pasl'innéité de ces idées; 2° ce consentementuniversel n'existe pas.<strong>Leibniz</strong> répond que la vraie preuvede l'innéité n'est pas le consentementuniversel, mais la certitude,la nécessité interne des véritésinnées.2. Arminius (Jacques-Hcrman),professeur do théologie protestanteà l'université de Leyde, né en 1560mort en 1009.


154 LES NOUVEAUX ESSAIS,né sourd et muet marquor de la vénération pour lapleino lune, ot l'on a trouvé des nations qu'on nevoyait pas avoir appris autre chose d'autros peuples,craindro des puissances invisibles. Jo vous avouo,mon cher Philalèthe, que ce n'est pas encoro l'idéodo Dieu telle quo nous avons et que nous demandons; mais celte idée môme no laisse pas d'être dansle fond de nos âmes, sans y ôtre mise, comme nousverrons, et les lois éternelles de Dieu y sont en partiegravées d'une manièro encoro plus lisible, et par unoespèce d'instinct. Mais ce sont des principes de pratiquedont nous aurons aussi occasion do parler. Ilfaut avouer cependant que lo penchant quo nousavons à reconnaître l'idée de Dieu est dans la naturehumaine. Et, quand on en attribuerait le premierenseignement à la révélation, toujours la facilitéque les hommes ont témoignée à recevoir cette doctrinevient du naturel do leurs âmes. Mais nousjugerons, dans la suite, quo la doctrine externe 1 nofait qu'exciter ici ce qui est en nous. Jo conclus qu'unconsentement assez général parmi les hommes est unindice et non pas une démonstration d'un principeinné ; mais que la preuve exacte et décisivo do cesprincipes consiste à faire voir que leur certitude nevient que de ce qui est en nous. Pour répondre encoreà oe que vous dites contre l'approbation généralequ'on donne aux deux grands principes spéculatifs,qui sont pourtant des mieux établis, jei. Doctrine externe, c'est-à-dire enseignement extérieur.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 155puis vous dire que, quand môme ils ne seraientpas connus, ils no laisseraient pas d'ôtre innés,parce qu'on les reconnaît dès qu'on les a entendus :mais j'ajouterai encore que, dans le fond, tout lomonde les connaît, et qu'on se sert à tout momentdu principe de contradiction, par exemple, sans leregarder distinctement, et il n'y a point de barbarequi, dans une affaire qu'il trouve sérieuse, ne soitchoqué do la conduite d'un menteur qui se contredit.Ainsi on emploie ces maximes sans les envisagerexpressément. Et c'est à peu près comme on a virtuellementdans l'esprit les propositions suppriméesdans les Enthymèncs, qu'on laisse à l'écart nonseulement au dehors, mais encore dans notre pensée.§ 5. PHILALÈTHE. Ce que vous dites de ces connaissancesvirtuelles et de ces suppressions intérieuresme <strong>sur</strong>prend ; car de dire qu'il y a des véritésimprimées dans l'âme qu'elle n'aperçoit point,c'est, ce me semble, une véritable contradiction.THÉOPHILE. Si vous êtes dans ce préjugé, je nem'étonne pas que vous rejetez les connaissances innées.Mais je suis étonné comment il ne vous est pasvenu dans la pensée que nous avons une infinité deconnaissances dont nous ne nous apercevons pas toujours,pas môme lorsque nous en avons besoin. C'està la mémoire de les garder, et à la réminiscence denous les représenter, comme elle fait souvent aubesoin, mais non pas toujours. Cela s'appelle fortbien souvenir (subvenire), car la réminiscence demandequclque'aide. Et il faut bien que dans cette


150 LES NOUVEAUX ESSAIS.multitude de nos connaissances nous soyons déterminéspar quelque choso à renouveler l'une plutôtque l'autre, puisqu'il est impossible de penser distinctementtout à la fois à tout ce que nous savons.PHILALÈTHE. En cela jo crois quo vous avez raison :et cetto affirmation trop générale, quo nous kousapercevons toujours de toutes les vérités qui sontdans notre âme, m'est échappée sans que j'y aiedonné assez d'attention. Mais vous aurez un peu plusdo peine à répondre à.ce que je m'en vais vous représenter.C'est que, si on peut dire do quelque propositionen particulier qu'elle est innée, on pourra soutenirpar la môme raison que toutes les propositionsqui sont raisonnables, et que l'esprit pourra jamaisregarder comme telles, sont déjà imprimées dansl'âme.THÉOPHILE. Je vous l'accorde à l'égard des idéespures, quo j'oppose aux fantômes dos sens, et à l'égarddes vérités nécessaires ou do raison, que j'opposeaux vérités de fait. Dans ce sens on doit dire quo toutel'Arithmétique et touto la Géométrie sont innées etsont en nous d'une manière virluello, en sorte qu'onles y peut trouver en considérant attentivement etrangeant co qu'on a déjà dans l'esprit, sans so servird'aucuno vérité apprise par l'expérience ou par latradition d'autrui, comme Platon l'a montré dans unDialogue où il introduit Socrato menant un enfant àdes vérités abstruses par les seules interrogations,sans lui rien apprendreâ. On peut donc se former ces1. Dans lo Ménon (ch, XVt sqq, p. 8i»qq), où Socrato fait résoudre


LES NOUVEAUX ESSAIS. 157sciences dans son cabinet et môme à yeux clos, sansapprendre par la vue ni même par l'attouchement lesvérités dont on a besoin, quoiqu'il soit vrai qu'onn'envisagerait pas les idées dont il s'agit, si l'on n'avaitjamais rien vu ni touché. Car c'est par une admirableÉconomie de la naturel quo nous no saurions avoirdes pensées abstraites qui n'aient point besoin dequelque chose de sensible, quand ce ne serait que descaractères tels que sont les figures des lettres et lessons, quoiqu'il n'y ait aucune connexion nécessaireentre tels caractères arbitraires et telles pensées. Etsi les traces sensibles n'étaient point requises, l'harmoniepréétablie entre l'âme et le corps, dont j'auraioccasion de vous entretenir plus amplement, n'auraitpoint lieu. Mais cela n'empêche point que l'esprit neprenne les vérités nécessaires de chez soi. On voitaussi quelquefois combien il peut aller loin sans aucuneaide, par une Logique et Arithmétique purementnaturelles 4, comme co garçon suédois qui, cultivantla sienne, va jusqu'à faire de grands calculs <strong>sur</strong>le-champdans sa tôte, sans avoir appris la manièrevulgairo de compter ni même à lire et à écrire, si jepar un esclave, sans rien lui apprendre,en le dirigeant seulementpar ses questions, le problème dola construction d'un carré doubled'un carré donné. Ce passage cslsouvent cité pfr <strong>Leibniz</strong>, qui y voyaitun exemple frappant à l'appui desa doctrine.1. Celle admirable économie estl'harmonie en vertu de laquelle iln'y a pas d'Ame séparée de toutcorps, et par conséquent aucune notiondans l'esprit qui soit purementIntellectuelle, et ne contienne aucunmélange d'éléments sensibles.Chez Dieu seul l'intelligence cl lavolonté sont absolument pures, c'està-direIndépendantes de la sensibilité.2. Naturelles, que l'esprit découvreen lui-même, sans aucunenseignement.


iM LES NOUVEAUX ESSAIS.me souviens bien de ce qu'on m'a raconté. Il est vraiqu'il ne peut pas venir à bout dos problèmes à rebours,tels que ceux qui demandent les extractions des racines.Mais cela n'empêche point qu'il n'aurait puencore les tirer do son fonds par quelque nouveautour d'esprit. Ainsi cela prouve seulement qu'il y- ades degrés dans la difficulté qu'on a de s'apercevoirde ce qui est en nous. 11 y a des principes innés quisont communs et fort aisés à tous, il y a des théorèmesqu'on découvre aussi d'abord, et qui composent dessciences naturelles ' qui sont plus étendues dans l'unque dans l'autre. Enfin, dans un sens plus ample, qu'ilest bond'employer pour avoir dos notions plus" compréhensiveset plus déterminées, toutes les vérités qu'onpeut tirer des connaissances innées primitives se peuventencore appeler innées, parce que l'esprit les peuttirer de son propre fonds, quoique souvent ce no soitpas uno chose aisée. Mais, si quelqu'un donne unautre sens aux paroles, je no veux point disputor desmots.PHILALÈTHE. JO vous ai accordé qu'on peut avoirdans l'âme co qu'on n'y aperçoit pas, car on no sesouvient pas toujours à point nommé de tout co quel'on sait, mais il faut toujours qu'on l'ait appris, etqu'on l'ait connu autrefois expressément 1. Ainsi, sion pcut'dire qu'une chose est dans l'âme, quoique1. Sciences naturelles, dans losensoù<strong>Leibniz</strong> a parlé tout a l'heured'uno logique et d'une arithmétiquenaturelles.8, t'hllalèlhe a reconnu quo lamepouvait contenir en elle-même desnotions, des idées, sansles apercevoiractuellement, mils a conditiond'en avoir eu autrefois une connaissanceexpresse.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 159l'âme ne l'ait pas encore connue, ce ne peut être qu'àcause qu'elle a la capacité ou faculté de la connaître.THÉOPHILE Ṗourquoi cela no pourrait-il avoir encoreune autre cause, telle qttc serait, que l'âme peutavoir cette chose en elle sans qu'on s'en soit aperçu ?car, puisqu'une connaissanco acquise y peut êtrecachée par la mémoire, commo vous on convenez,pourquoi la nature ne pourrait-elle pas y avoir aussicaché quelque connaissanco originale? Faut-il quetout co qui est naturel à une substance qui se connaît,s'y connaisse d'abord actuellement? Cette substance(telle que notre âme) ne peut et ne doit-elle pas avoirplusieurs propriétés et affections qu'il est impossibled'envisager toutes d'abord et tout à la fois ? C'étaitl'opinion des Platoniciens, que toutes nos connaissancesétaient des réminiscences, et qu'ainsi les véritésque Pâme a apportées avec la naissance del'homme, et qu'on appelle innées, doivent ôtre desrestes d'une connaissanco expresse antérieure 1. Mais1. Voyez lo mylho du Phèdu-{cti. xxvt et suiv., p. 247-48) oùPlaton décrillo voyage desâmesdansla région des idées, qui est placée endehors de la voule du ciel. <strong>Leibniz</strong>croit que l'esprit ne pout jamais êtrepurement réceptif, cl qu'ainsi II lutserait impossible de recevoir du dehorsde» idées telles quo celle duBien, de l'Être, s'il n'y était prélisposéen quetquo façon. <strong>Leibniz</strong> diraplus loin quo nous no pourrionsacquérir l'idée de l'Êtro si nousn'étions nous-mêmes des êtres.On peut rapprocher do coltopensée l'argument quo l'on opposeordinairement a. la théorie de M. doDonald, suivant laquelle Dieu auraitrévélé lo langage au premierhomme.Cet homme, dit-on, n'auraitpu, ni comprendre celte révélation,ni en profiter, s'il n'avait dejl possédécertaines facultés qui luiauraient permis de trouverlui-mémelo langage, L'hypothèse d'uneconnaissance expresso des idéesdans uno existence antérieuro àta vie terre^ro est donc inutil ,comme l'hypothèse de la révélationdu langage.


160 LES NOUVEAUX ESSAIS.cette opinion n'a nul fondement. Et il est aisé déjugerque l'âme devait déjà avoir des connaissances innéesdans l'état précédent (si la préexistence avait lieu),quelque reculé qu'il put ôtre, tout comme ici : ellesdevraient donc aussi venir d'un autre état précédent,où elles seraient enfin innées ou au moins concréées,ou bien il faudrait aller à l'infini et faire lc3 âmeséternelles, auquel cas ces connaissances seraientinnées en effet, parce qu'elles n'auraient jamais decommencement dans l'âme ; et si quelqu'un prétendaitque chaque état antérieur a eu quelque chosed'un autre plus antérieur, qu'il n'a point laissé auxsuivants, on lui répondra qu'il est manifeste que certainesvérités évidentes devraient avoir été do tous cesétats. Et de quelque manière qu'on lo prenne, il esttoujours clair dans tous les états de l'âme, que lesvérités nécessaires sont innées et se prouvent par coqui est interne, ne pouvant point ôtre établies par lesexpériences, comme on établit par là les vérités defait. Pourquoi faudrait-il aussi qu'on ne put rien posséderdans l'âme dont on ne se fût jamais servi? Etavoir une chose sans s'en servir, est-ce la mômo choseque d'avoir seulement la faculté de l'acquérir? Sicela était, nous ne posséderions jamais que des chosesdont nous jouissons : au lieu qu'on sait qu'outre lafaculté'et l'objet il faut souvent quelque dispositiondans la faculté on dans l'objet, ou dans tous les deux,pour quo la faculté s'exerce <strong>sur</strong> l'objet 1.1. La faculté do recevoir du dehors certaines idées ou vérités no


LES NOUVEAUX ESSAIS. 161PHILALÈTHE. A le prendre de cette manière-là, onpourrait dire qu'il y a des vérités gravées dans l'âmoque l'âme n'a pourtant jamais connues, et que mômeelle ne connaîtra jamais. Co qui me paraît étrange.THÉOPHILE. Je n'y vois aucune ab<strong>sur</strong>dité, quoiqueaussi on ne puisse point as<strong>sur</strong>er qu'il y ait de tellesvérités. Car des choses plus relevées que celles quenous pouvons connaître dans ce présent train de viose peuvent développer un jour dans nos âmes, quandelles seront dans un autre état*.PHILALÈTHE. Mais, supposé qu'il y ait des véritésqui puissent ôtre imprimées dans l'entendement sansqu'il les aperçoive, je ne vois pas comment, par rapportà leur origine, elles peuvent différer des véritésqu'il est seulement capable do connaltro 9.THÉOPHILE. L'esprit n'est pas seulement capable doles connaître, mais encoro do les trouver en soi, ets'il n'avait que la simple capacité de recevoir les connaissancesou la puissance passive pour cela, aussiindéterminée quo celle qu'a la cire de recevoir desfigures et la table raso do recevoir des lettres, il nosuffit pas t II faut une dispositionspéciale do l'esprit à former cesIdées et ces vérités, « un rapportparticulier do l'esprit a ces vérités» ; ajoutons t et do ces vérités î\l'etprtt. (Voy. plus loin, g 11.)1. De mémo qu'il y a dans l'âmede l'enfant des vérités qu'il ne connaîtpas encoro, mats qu'il pourraconnaltro en cello vie, Il y a peutêtreaussi dans toutes les Ames desvérités qu'elles no peuvent pas découvriren cclto vio, mais qu'ellesLKIDNI2apercevront dans une ixistcnco future,On sait quo <strong>Leibniz</strong> admet,pour les Monades humaines seulement,une vie fuluro dans laquellel'intclligenco et la volonté atteindrontleur plein développement.2. Philalèthe demande quelle différenceil y a cnlro les vérités quil'esprit trouva en lui cl celles qu'ilreçoit du dehors. <strong>Leibniz</strong> répondquo les premières ont un caraclèroque les secondes ne possèdent jamais,la nécessité.U


mLES NOUVEAUX ESSAIS.'serait pas la source des vérités nécessaires, commeje viens de montrer qu'il l'est : car il est incontestablequo les sens no suffisent pas pour en faire voirla nécessité, et qu'ainsi l'esprit a une disposition (tantactive que passive) pour les tirer lui-même de sonfonds, quoique les sens soient nécessaires pour luidonner de l'occasion et de l'attention pour cela, etpour le porter plutôt aux unes qu'aux autres 8. Vousvoyez donc, Monsieur, quo ces personnes, très habilesd'ailleurs, qui sont d'un autre sentiment, paraissentn'avoir pas assez médité <strong>sur</strong> les suites de la différencequ'il y a entre les vérités nécessaires ou éternelles,et entre les vérités d'expérience, comme jo l'ai déjàremarqué, et comme toute notre contestation le mon*tre. La preuve originaire des vérités nécessaires vientdu seul entendement, et les autres vérités viennentdes expériences ou des observations des sens. Notreesprit est capable de connaître les unes et les autres,mais il est la source des premières, et, quelque nombred'expériences particulières qu'on puisse avoird'une vérité universelle, on no saurait s'en as<strong>sur</strong>erpour toujours, par l'induction, sans en connaître lanécessité par la raison.PHILALÈTHE. Mais n'cst-il pas vrai quo si ces mots,être dans l'entendement, emportent quolquo chosedo positif, ils signifient être aperçu et compris parl'entendement ?THÉOPHILE. Ils nous signifient tout autre chose :c'est assez que co qui est dans l'entendementy puisseôtre trouvé, et que les sources ou preuves originaires


LES NOUVEAUX ESSAIS. 163des vérités dont il s'agit no soient que dans l'entendement:les sens peuvent insinuer, justifier et confirmerces vérités, mais non pas on démontrer la certitudeimmanquable et perpétuelle.§ 11. PHILALÈTHE. Cependant tous ceux qui voudrontprendre la peine do réfléchir avec un peud'attention <strong>sur</strong> les opérations de l'entendement, trouverontque ce consentement quo l'esprit donne sanspeine à certaines vérités, dépend de la faculté dol'esprit humain.. THÉOPHILE. Fort bien : Mais c'est ce rapport particulierdo l'esprit humain à ces vérités qui rend Pexcr*cicc do la faculté aisé et naturel à leur égard, et quifait qu'on les appelle innées. Ce n'est donc pas unofaculté nue qui consiste dans la seule possibilité doles entendre : c'est une disposition, une aptitude, unepréformation qui détermine notre âme et qui faitqu'elles en peuvent être tirées; tout commo il y a de ladifférence entre les figures qu'on donne à la pierre ouau marbre indifféremment, et entre celles que sesveines marquent déjà ou sont disposées à marquer sil'ouvrier en profitePHILALÈTHE. Mais n'est-il point vrai quo les véritéssont postérieures aux idées dont elles naissent? Or lesidées viennentdes sens.THÉOPHILE. Les idées intellectuelles, qui sont lasource des vérités nécessaires, no viennent point dessons : et vous reconnaissez qu'il y a des idées qui sontdues à la réflexion de l'esprit lorsqu'il réfléchit <strong>sur</strong>soi-môinc. Au reste, il est vrai que la connaissance


164 LES NOUVEAUX ESSAIS.expresse des vérités est postérieure (tempore vel na*titra) à la connaissance expresse des idées ; commela nature des vérités dépend de la nature des idées,avant qu'on forme expressément les unes et les autres,et les vérités où entrent les idées qui viennent dessens dépendent des sens, au moins on partie. Mais lesidées qui viennent des sens sont confuses, et les véritésqui en dépendent le sont aussi, au moins en partie ;au lieu que les idées intellectuelles et les vérités quion dépendent sont distinctes, et ni les unes ni lesautres n'ont point leur origine des sens, quoiqu'ilsoit vrai que nous n'y penserions jamais sans lessens 1.PHILALÈTHE. Mais,selon vous, les nombres sont desidées intellectuelles, et cependant il se trouve quo ladifficulté y dépond de la formation expresse des idées:par exemple, un homme sait que 18 et 19 sont égauxà 37, avec la môme évidence qu'il sait que 1 et 2sont égaux à 3; mais pourtant un enfant ne connaîtpas la première proposition sitôt que la seconde, cequi vient do co qu'il n'a pas sitôt formé les idées quoles mots 3.i. Ainsi nous trouvons en nous tesidées des nombres et les véritésquo nous affirmons <strong>sur</strong> les nombres,mais nous no penserions jamais aces idées et à ces vérités sans lesperceptions visuelles qui nous fontconnaltro des objets multiples dansl'espace.2. Selon Locke, si un enfant nosait pas tout d'abord quo 18 cl 10font 37, c'est qu'il n'a pas encoroacquis les idées de ces nombres.<strong>Leibniz</strong> reconnaît qu'il lui faut uncertain temps pour les former,quoiqu'il les tiro do lut-mémo $ et,pour mieux faire voir qu'il les tireeu cllel de lui-même, il fait remarquerque les idées de 18,10 et 37ne so.it pas dos Idées entièrementnouvelles, et se forment par unesimple répétition des Idées plussimples de 10, 8, 0 cl 7.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 105THÉOPHILE.Je puis vous accorder que souvent ladifficulté qu'il y a dans la formation expresse desvérités dépend de celle qu'il y a dans la formationexpresse des idées. Cependant jo crois que dans votreexemple il s'agit de so servir des idées déjà formées.Car ceux qui ont appris à compter jusqu'à 10 et lamanière de passer plus avant par uno certaine réplicationde dizaines, entendent sans peine ce que c'estque 18,19, 37, savoir : une, deux, trois fois 10, avec 8,ou 9, ou 7 : mais, pour en tirer quo 18 plus 19 fait 37,il faut bien plus d'attention que pour connaître que2 plus 1 sont 3, ce qui, dans le fond, n'est que la définitionde trois.§ 18. PHILALÈTHE. Ce n'est pas un privilège attachéaux nombres ou aux idées que vous appelez intellectuellesde fournir des propositions auxquelles on acquiesceinfailliblement dès qu'on les entend. On enrencontre aussi dans la Physique et dans toutes lesautres sciences, et les sens môme en fournissent.Parexemple, cette proposition : Deux corps ne peuventpas être en un même tien à la fois, est une vérité donton n'est pas autroment persuadé quo des maximessuivantes : // est impossible qu'une chose soit et nesoit pas en même temps ; le blanc n'est pas le rouge ;le carré n'est pas un cercle; la couleur jaune n'estpas la douceur.THÉOPHILE. Il y a de la différence entre ces propositions.La première, qui prononce quo la pénétrationdes;corps est impossible, a besoin de preuve. Tousceux qui croient des condensations et des raréfactions


166 LES NOUVEAUX ESSAIS.véritables et prises à la rigueur 1, commo les Péripatéticienset feu Monsieur le Chevalier Digby', la rejettenten offet ; sans parler des Chrétiens, qui croientla plupart quo lo contraire, savoir, la pénétration desdimensions, est possible à Dieu 3. Mais les autrespropositions sont identiques, ou peu s'en faut ; et lesidcnliquos ou immédiates no reçoivent point de preuveColles qui regardent ce que los sens fournissent,commo celle qui dit que la couleur jaune n'est pas ladouceur, ne font qu'appliquer la maxime identiquegénérale- à des cas particuliers.PHILALÈTHE. Chaque proposition qui est composéode doux différentes idées dont l'une est niée de l'autro,par exempta quo le carré n'ost pas un cercle, qu'êtrejaune n'ost pas ôtro doux, fecra aussi certainementreçuo comme indubitable, dès qu'on on comprendrales termes, que cetto maxime générale : II est impossiblequ'une chose soit et ne soit pas en même temps*.i, Les scolasttques croyaient qu'ily avait des condensations ot desraréfactions proprement dites,c'cst-a-dlro que la mallèro d'uncorps pouvait, tout en restant lamême, occuper tantôt moins, tantôtplus d'espace. Solon Doicartes, aucontraire toutes los fols « quo nousvoyons qu'un corps est rarétié,nous devons penser qu'il y n plusieursintervalles entre ses parités,lesquels sont remplis do quelqueautre corps s {commo les porcsd'uno éponge lorsqu'ils se remplissentd'eau) « et que, lorsqu'il estcondensé, ces mêmes partlos toutplus proches les unes des autresqu'elles n'étalent » (comme celles del'épongo lorsqu'on la presso etqu'on en exprlmo l'eau), (VoyezDescaries, Principes, part. Il,g 5 «11)i. Lo chevalier Dlgby, naturalisteet plillosopho anglais, né en 1003,mort en 1CC5. Il "donnait dans lesrêves de l'alchimie, et recourait volontiers,dans ses explications desphénomènes, aux causes occultes,3. Dans l'Eucharistie, ou lo corpsdu Christ est réduit aux dimensionsdo l'hostie consacrée.4. Ptillalèlho pcrslsto à confondreles vérités premières Innées et lesvérités particulières qui tirent touteleur certitude des principes Innés.L'tbsoluo certtludo de propositions


LES NOUVEAUX ESSAIS. 167THÉOPHILE. C'est que l'uno (savoir, la maximegénérale) est le principe, et l'autre (c'est-à-dire lanégation d'une idée d'une autre opposée) en est l'application.PHILALÈTHE. Il me semble plutôt que la maximedépend do cette négation, qui en est lo fondement, etqu'il est encore plus aisé d'entendre que ce qui est lamême chose n'est pas différent, quo la maxime quirejetlo les contradictions. Or, à ce compte, il faudraqu'on reçoive pour vérités innées un nombro infini dopropositions de cette espèce qui nient uno idée dol'autre, sans parler des autres vérités. Ajoutez à colaqu'une proposition no pouvant ôtre innée, à moins quoles idées dont elle est composée no le soient, il faudrasupposer quo toutes les idées quo nous avons descouleurs, des sons, des goûts, des figures, etc., sontinnées.THÉOPHILE. Je ne vois pas bien commentceci : Cequi est la même chose n'est pas diffèrent, soit l'originedu principe de contradiction et plus aisé ; car il meparaît qu'on se donne plus do liberté en avançantqu'A n'est point B, qu'on disant qu'A n'est pointnon-A 1. Et la raison qui empêche A d'être B est queB enveloppe non-A. Au reste celte proposition : Leitou® n'est pas l'amer, n'ost point innée, suivant loparticulières dont les éléments sontempruntés oux sens, commo t Ledoux n'est pis amer, est fondée,selon <strong>Leibniz</strong>, <strong>sur</strong> le principe decontradiction.1. A n'est pas non-A est plusmanifestement évident quo A n'estpas B. On te donne plus de libertésignifie qu'on affirme une chosomoins évidente.


168 LES NOUVEAUX ESSAIS.sens que nous avons donné à ce terme de vérité innée ;car les sentiments du doux et do l'amer viennent dessens externes. Ainsi c'est une conclusion mêlée (hybridaconclusio), où l'axiome est appliqué à uno véritésensible. Mais quant à cette proposition : Le carrén'est pas un cercle, on peut dire qu'elle est innée, car,en l'envisageant, on fait uno subsomption ou applicationdu principe de contradiction à ce que l'entendementfournit lui-môme, dès qu'on s'aperçoit que cesidées, qui sont innées, renferment des notions incompatibles.§ 19. PHILALÈTHE. Quand vous soutenez que ces propositionsparticulières et évidentes par elles-mêmes,dont on reconnaît la vérité dès qu'on les entend prononcer(commo quo lo vert n'est pas le rouge), sontreçues commo des conséquences de ces autres propositionsplus générales, qu'on regarde commo autantde principes innés, il semble que vous ne considérezpoint, Monsieur, que ces propositions particulièressont reçues comme des vérités indubitables de ceuxqui n'ont aucune connaissanco de ces maximes plusgénérales.THÉOPHILE. J'ai déjà répondu à cela ci-dessus: Onso fonde <strong>sur</strong> ces maximes générales, commo on sefonde <strong>sur</strong> les majeures qu'on supprimo lorsqu'onraisonne) par enthymèmes : car, quoique bien souventon ne pense pas distinctement à ce qu'on fait en raisonnant,non plus qu'à ce qu'on fait on marchant eten sautant, il est toujours vrai quo la forco de la conclusionconsiste en partie dans ce qu'on supprime et


LES NOUVEAUX ESSAIS 169ne saurait venir d'ailleurs, ce qu'on trouvera quandon voudra la justifier.§ 20. PHILALÈTHE. Mais il semble quo les idéesgénérales et abstraites sont plus étrangères à notreesprit que les notions et les vérités particulières : doncces vérités particulières seront plus naturelles à l'espritquo lo principe de contradiction, dont vous voulezqu'elles no soient que l'application.THÉOPHILE. Il est vrai que nous commençons plutôtdo nous apercevoir des vérités particulières, commenous commençons par los idées plus composées etplus grossières: mais cela n'empêche point que l'ordrede la nature ne commence par le plus simple, et quela raison des vérités plus particulières ne dépende desplus générales, dont elles ne sont quo les exemples.Et quand on veut considérer ce qui est en nous virtuellementet avant toute aperception, on a raison decommencer par lo plus simple. Car les principesgénéraux entrent dans nos pensées, dont ils font l'âmeet la liaison. Ils y sont nécessaires comme les muscleset les tendons lo sont pour marcher, quoiqu'on n'ypense point. L'esprit s'appuio <strong>sur</strong> ces principes à tousmoments, mais il ne vient pas si souvent à les démêleret à se les représenter distinctement et séparément,parco quo cela demande uno grande attention à cequ'il fait, cl la plupart des gens peu accoutumés àméditer n'en ont guère. Les Chinois n'ont-ils pascomme nous des sons articulés? et cependant, s'étanlattachés à une autre manière d'écrire, ils ne se sontpas encore avisés de faire un Alphabet de ces sons.


170 LES NOUVEAUX ESSAIS.C'est ainsi qu'on possède bien des choses sans ta savoir.§21. PHILALÈTHE. Si l'esprit acquiesce si promptemontà certaines vérités, cela ne peut-il point venirde la considération môme de la nature des choses,qui ne lui permet pas d'en juger autrement, plutôtque de coque ces propositions sont gravées naturellementdans l'esprit?THÉOPHILE. L'un et l'autre est vrai. La nature deschoses et la nature de l'esprit y concourent. Et puisquevous opposez la considération de la chose à l'apcrceptionde ce qui est gravé dans l'esprit, cette objectionmême fait voir, Monsieur, que ceux dont vous prenezle parti n'entendent par les vérités innées que ce qu'onapprouverait naturellement, comme par instinct etmémo sans le connaltro que confusément. Il y en a docette nature, et nous aurons sujet d'en parler. Mais cequ'on appelle la lumière naturelle suppose uno connaissancodistincte, et bien souvent la considérationdo la nature dos choses n'est autre chose que la connaissancedo la nature de notre esprit' et de ces idéesinnées, qu'on n'a point besoin de chercher au dehors.Ainsi j'appelle innées les vérités qui n'ont besoin quode cette considération pour ôtre vérifiées. J'ai déjàrépondu, § 5, à l'objection, § 22, qui voulait que lorsqu'ondit que les notions innées sont implicitement1. C'est en connaissant l'essencemême de notro esprit quo nousconnaissons l'essence des choses.C'est en effet en réfléchissant <strong>sur</strong>nous-mêmes que nous formons ccrlainesIdées que nous appliquonsensuite aux choses, comme les Idéesde l'Ètro, de la Substance, do laForce. Nous no pourrions pas utilrmerquo les choses sont il nous nesavions paspar nous-mêmes co quec'est qu'être.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 171dans l'esprit, cela doit signifier seulement; qu'il a lafaculté de tas connaltro ; car j'ai fait remarquerqu'outre cela il a la faculté do los trouver en soi, et ladisposition à les approuver quand il y pense commoil faut.§ 23. PHILALÈTHK. Il semble donc que vous voulez,Monsieur, que ceux à qui on proposo ces maximesgénérales pour la première fois n'apprennent rien quileur soit entièrement nouveau. Mais il est clair qu'ilsapprennent premièrement les noms, et puis les véritéset môme les idées dont ces vérités dépendent.THÉOPHILE.Il no s'agit point ici des noms, qui sontarbitraires en quelque façon, au lieu que les idées etles vérités sont naturelles. Mais, quant à ces idées etvérités, vous nous attribuez, Monsiour, uno doctrinedont nous sommes fort éloignés, car je demeure d'accordque nous apprenons les idées et tas vérités innées,soit en prenant garde à leur source, soit en tas vérifiantpar l'expérience. Ainsi je ne fais point la suppositionque vous dites, comme si dans le cas dont vousparlez nous n'apprenions rion do nouveau '. Et je nesaurais admettre cette proposition: tout ce qu'on apprendn'est pas inné. Les vérités des nombres sont ennous, et on ne laisse pas de les apprendre, soit en tastirant do leur source lorsqu'on les apprend par raisondémonstrative (ce qui fait voir qu'elles sont innées),1. Quand on arrive a concevoirclairement, pourla première fois, unovérité dont on n'avait pas rncoro euconscience, bien qu'elle fût Innée,on peut dire qu'on apprend du nouveau.Le plus souvent c'est l'expériencequi nous amène a la découvertedo vérités qui pourtant étalenten nous et quo nous aurions pu ytrouver de nous-mêmes.


172 LES NOUVEAUX ESSAISsoit en les éprouvant dans dos exemples comme fontles Arithméticiens vulgaires, qui, faute do savoir losraisons, n'apprennent leurs règles quo par tradition,et tout au plus, avant que de les enseigner, ils lesjustifient par l'expérience, qu'ils poussent aussi loinqu'ils jugent à propos. Et quelquefois même un forthabile Mathématicien, ne sachant point la source dela découverte d'autrui, est obligé do se contenterde cette méthode de l'induction pour l'examiner,comme fit un célèbre écrivain à Paris, quand j'y étais,qui poussa assez loin l'essai de mon tétragonismearithmétique' en le comparant avec les nombres deLudolphe', croyant d'y trouver quelque faute: et il eutraison de douter jusqu'à co qu'on lui en communiquala démonstration, qui nous dispense de ces <strong>essais</strong>,qu'on pourrait toujours continuer sans être jamaisparfaitement certain. Et c'ost cela môme, savoir, l'imperfectiondes inductions, qu'on peut encore vérifierpar tas instances de l'expérience. Car il y a des progressionsoù l'on peut aller fort loin avant, que deremarquer tas changements et tas lois qui s'y trouvent.PHILALÈTHE. Mais no se peut-il point que, nonseulement les termes ou paroles dont on se sert, maisencore les idées, nous viennentde dehors?THÉOPHILE. 11faudrait donc quo nous fussions nousmêmesJiors do nous, car les idées intellectuelles ouI. <strong>Leibniz</strong> avait abordé lo problèmedo IA quadraturo du cercle.(Cf. Dutens.t. III, p. 110.)S. Ludolphe, orlentalislo distinguéet mathématicien allemand, né& Erfurl en 1010, mort en 1711,s'était particulièrement occupé dumémo problèmo.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 173do réflexion sont tirées de notre esprit. El je voudraisbien savoir comment nous pourrions avoir l'idéo dol'être, si nous n'étions des Êtres nous-mêmes, et netrouvions ainsi l'être en nous»PHILALÈTHE. Mais que dites-vous, Monsieur, à cedéfi d'un de mes amis? Si quelqu'un, dit-il, peuttrouver une proposition dont les idées soient innées,qu'il me la nomme, il ne saurait me faire un plusgrand plaisir.THÉOPHILE. JO lui nommerais les propositions d'Arithmétiqueet do Géométrie, qui sont toutes de cettenature, et en matière de vérités nécessaires on n'ensaurait trouver d'autres.§25. PHILALÈTHE. Cela paraîtra étrange à bien desgens. Peut-on dire que tas sciences les plus difficileset les plus profondes sont innées ?THÉOPHILE. Leur connaissanco actuelle ne l'estpoint, mais bien co qu'on peut appeler la connaissancevirtuelle; comme la figure tracée par les veinesdu marbre est dans le marbreen travaillant.avant qu'onles découvrePHILALÈTHE. Mais est-il possible que des enfantsrecevant des notions qui leur viennent du dehors, ety donnant leur consentement, n'aient aucune connaissancodo colles qu'on suppose être innées aveceux et faire commo partie de leur esprit, où elles sont,dit-on, empreintes en caractères ineffaçables pourservir de fondement ? Si cela était, la nature se seraitdonné do la peine inutilement, ou du moins elle auraitmal gravé ces caractères, puisqu'ils ne sauraient


\U LES NOUVEAUX ESSAIS.'(être aperçus par des yeux qui voient fort bien d'autres \choses 1.THÉOPHILE. L'aperception de ce qui est en nousdépend d'une attention et d'un ordre *. Or, non seulementil.est possible, mais il est môme convenableque les enfants aient plus d'attention aux notions dessens, parce que l'attention est réglée par lo besoin.L'événement cependant fait voir dans la suite que lanature ne s'est point donné inutilement la peine donous imprimer les connaissances innées, puisque sanselles il n'y aurait aucun moyen de parvenir à la connaissancoactuelle des vérités nécessaires dans tassciences démonstratives, et aux raisons des faits; clnous n'aurions rien au-dessus des botes.§ 20. PHILALÈTHE. S'il y a des vérités innées, nofaut-il pas qu'il y ait des pensées innées?THÉOPHILE. Point du tout, car tas pensées sont desactions 3, et les connaissances ou les vérités, en tantqu'elles sont en nous, quand môme on n'y pense point,sont des habitudes ou des dispositions ; et nous savonsbien des choses, auxquelles nous no pensons guère.PHILALÈTHE. Il est bien difficilo de concevoir qu'uno1. Philalèthe continue & croirequ'il s'agit d'idéos et do véritéstoutes faites, quo l'esprit contienten lui-même.2. Pour découvrir les vérités quisont vu nous A l'état do virtualitéil faut t 1* êtro capabled'allcnllon ;8* savoir diriger celle attention.Lcibntz dira plus loin que les personnesquine trouvent pas ces véritésen elles, on n'ont pas d'alleu.(ton, ou en ont pour autre chose.— L'attention, commo foules lesopérations actives de l'esprit, obéità des motifs, et ces motifs sontavant tout d'ordro sensible.3. Il faut distinguer l'acto déjuger,qui n'est pas Inné, et les Idées onvérités qui servent do principe nuJugement,lesquellessont Innées.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 175vérité soit dans l'esprit, si l'esprit n'a jamais pensé àcette vérité.THÉOPHILE. C'est comme si quelqu'un disait qu'ilest difficile de concevoir qu'il y a des veines dans ta*i marbre avant qu'on tas découvre 4. Il semble aussique cette objection approche un peu trop do la pétitiondo principe. Tous ceux qui admettent des véritésinnées, sans les fonder <strong>sur</strong> la réminiscence platonicienne,en admettent auxquelles on n'a pas encorepensé. D'ailleurs ce raisonnement prouve trop: carsi les vérités sont des pensées, on sera privé non seulementdes vérités auxquelles on n'a jamais pensé,mais encoro de celles auxquelles on a pensé et auxquelleson ne pense plus actuellement; et si les véritésne sont pas des pensées, mais des habitudes etaptitudes, naturelles ou acquises, rien n'empêche qu'ily en ait en nous auxquelles on n'ait jamais pensé nine pensera jamais.§ 27. PHILALÈTHE. Si les maximes générales étaientinnées, elles devraient paraître avec plus d'éclat dansl'esprit de certaines personnes, où cependant nousn'envoyons aucune trace; je veux parler des enfants,des idiots et des sauvages, car de tous les hommes cesont ceux qui ont l'esprit lo moins altéré cl corrompupar la coutume et par l'impression des opinions étrangères.I. Toute cette argumentation deviendraitplus saisissante si <strong>Leibniz</strong>parlait de lois de l'esprit cl non donotions et principes innés, car rienn'est plus facile quo de comprendreque l'esprit obéisse h certaines loissans en avoir une connaissanceactuelle.


176 LES NOUVEAUX ESSAIS.THÉOPHILEi Je crois qu'il faut raisonner tout autrementici. Les maximes innées ne paraissent que parl'attention qu'on leur donne; mais ces personnes n'enont guère, ou l'ont pour tout autre chose. Us ne pensentqu'aux, besoins du corps, et il est raisonnable queles.pensées pures et détachées soient le prix des soinsplus nobles. Ils est vrai que tas enfants et les sauvagesont l'esprit moins altéré par les coutumes, maisils l'ont aussi moins élevé par la doctrine qui donnede l'attention. Ce serait bien peu jur.te que tas plusvives lumières dussent mieux briller dans les espritsqui les méritent moins et qui sont enveloppés des plusépais nuages. Je ne voudrais donc pas qu'on fit tropd'honneur à l'ignorance et à la barbarie, quand onest aussi habile que vous l'êtes, Philalèthe, aussi bienque notre excellent Auteur : ce serait rabaisser lesdons do Dieu. Quelqu'un dira que plus on est ignorant,plus on approche de l'avantage d'un bloc demarbre ou d'une pièce de bois, qui sont infaillibles etimpeccables; mais, par malheur, ce n'est pas en celaqu'on y approche; et tant qu'on estcapablo de connaissanceon pèche en négligeant de l'acquérir, et on manquerad'autant plus aisément qu'on eat moins instruit.CHAPITREILQu'il n'y a point do principes do pratique qui soient innés.PHILALÈTHE. La Morale est une Science démonstrative,et cependant elle n'a point do principes innés.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 177Et môme il serait bien difficile do produire une règlede morale qui fût d'uno nature à être résolue d'unconsentement aussi général cl aussi prompt que cetteMaximo : Ce qui est est.THÉOPHILE. Il est absolument impossible qu'il y aildes vérités de raison aussi évidentes que les identiquesou immédiates. Et quoiqu'on puisse dire véritablementque la morale a des principes indémontrables,et qu'un tics premiers et des plus pratiquesest qu'il faut suivre la joie et éviter la tristesse, il fautajouter que ce n'est pas une vérité qui soit connuepurement do raison, puisqu'elle est fondée <strong>sur</strong> l'expérienceinterne, ou <strong>sur</strong> des connaissances confuses,car on ne sait pas ce que c'est que la joie et la tristesse1.PHILALÈTHE. Ce n'estque par des raisonnements,par des discours et par quelque application d'espritqu'on peut s'as<strong>sur</strong>er des vérités de pratique.THÉOPHILE. Quand cela serait, elles n'en seraientpas moins innées. Cependant la maxime que je viensd'alléguer parait d'une autre nature; elle n'est pasconnue par la raison, mais pour ainsi dire par uninstinct*, C'est un principe inné, mais il nefaitnoint1. 11 n'y a pas do notion claireet distincto do phénomènes sensibles,comme la jolo et la tristesse,car ces phénomènes ne sontquo les sentiments confus des mouvementsdu sang et des espritsAnimaux. Connaltro la Jolo et laces mouvements et leurs lois.i. En moralo il no s'agit plusd'unir logiquement des idées, maisdopasserde l'idée a l'action, Ce passagen'est possible qu'à la conditionque l'idéo so manifeste h la consciencepar une tendance, par unotristesse, co serait connaître impulsion ou instinct.LEIBNIZ. 12


178 LES NOUVEAUX ESSAIS.partie de la lumière naturelle, car on ne le connaît ;,point d'une manière lumineuse 1. Cependant, ce prinf icipe posé, on en peut tirer des conséquences scientir..Piques, et j'applaudis extrêmement à ce que vous venez,de dire, Monsieur, de la morale comme d'une science,démonstrative. Aussi voyons-nous qu'elle enseigne^des vérités si évidentes, que les larrons, pirates etbandits sont forcés do les observer entre eux. ,§ 2< PHILALÈTHE. Mais les bandits gardent entroeux tas règles de la justice sans tas considérer commedes principes innés.THÉOPHILE. Qu'importe? Est-ce que le mondessoucie de ces questions Théoriques? ,,.>{,PHILALÈTHE. Ils n'observent les maximes de justfcfliquo commodes règles do convenance, dont la pratique,,est absolument nécessaire pour la conservation de leursociété.THÉOPHILE. Fort bien. On ne saurait rien dire domieux à l'égard de tous tas hommes en général. Etc'est ainsi que ces lois sont gravées dans l'àme, savoir,commo les conséquences de notre conservation et ne'nos vrais biens 9. Est-ce qu'on s'imagine quo nousvoulons que les vérités soient dans l'entendementcomme indépendantes les unes des autres et commetas éditsdu préteur étaient dans son affiche ou album*}1. Onconnaltd'unomanlèrc lumineusecoquo l'on conçoit clairementetdistinctement, commo lo principedocontradiction et ses applications.9. L'idée do Lclbnli est que cequi est conforme à la raison ou ala loi morale est en même temps cequi peut as<strong>sur</strong>er notre bonheur. Cf.Monai.,%%ti1,88, 8911 Les péchésportent leur peineaveceux par l'ordrodelà natureet enverlu mêmedola structure mécaniquedeschoses».


LES NOUVEAUX ESSAIS. 179Je mets à part ici l'instinct qui porto l'homme à aimerl'homme, dont je parlerai tantôt, car maintenant jone Veux parler que des vérités, en tant qu'elles soconnaissent par la raison. Je reconnais aussi que certainesrègles de la justice ne sauraient être démontréesdans toute leur étendue et perfection qu'en supposantl'existence do Dieu et l'immortalité de l'Ame 1, etcelles où l'instinct de l'humanité ne nous poussepoint ne sont gravées dans l'àme que comme d'autresvérités dérivatives. Cependant ceux qui ne fondentla justice quo <strong>sur</strong> les nécessités de celte vie et <strong>sur</strong> lob'ésoin qu'ils en ont, plutôt que <strong>sur</strong> lo plaisir qu'ils ydevraient prendre, qui est des plus grands lorsqueDM' en est le fondement*, ceux-là sont sujets àressembler un peu à la société des bandits.ï«-:*iSit spos fallondi, tniscebunt sacra profaim 3.'*'| 8. PHILALÈTHE. Je vous avoue que la nature amis dans tous tas hommes l'envie d'être heureux ety.ii.1. Cf. Dis coursde Métaphysique,i 84, et De notionibus juris etjUStilist, Erdmann, xxxil, p. 118.<strong>Leibniz</strong> dit quo pour démontrero)nne honestum esse utile et omneturpe esse damnosum, assumendaest tmmortalitas anima: et rectoruniversi Deus. Dieu seul a pu établirl'hariuonio entro l'ordro moralet l'ordro physique.9. Le plaisir quo nous devonsthorcher est celui qui résullo do 1aconformité de notre condulto avecta raison. Dieu en est le fondementparco quô Dieu n'est aulrochose que la raison suprême. Lajustice ou lo bien est donc là recherchedu plaisir qui vient do laraison, cl l'injustice ou le mal, larecherche du plaisir qui vient dessens.3. Vers d'Horace, Ep., I, xvi, 51.Horace a écrit iSU tpet falUndl, wltceblt satra[profanlt.


180 LES NOUVEAUX ESSAIS,une forte aversion pour la misère. Ce sont là dos principesde pratique véritablement innés, et qui, selonla destination de tout principe de pratique, ont uneinfluence continuelle <strong>sur</strong> toutes nos actions. Mais cesont là d.es inclinations de l'àmo vers le bien, et nonpas des impressions de quelque vérité qui soit gravéedans notre entendement.THÉOPHILE. Je suis ravi, Monsieur, de vous voirreconnaître en effet des vérités innées comme je diraitantôt. Ce principe convient assez avec celui que joviens de marquer, qui nous porte à suivre la joie et àéviter la tristesse. Car la félicité n'est autre chosequ'une joie durable. Cependant notre penchant va,non pas à la félicité proprement, mais à la joie, c'està-direau présent; c'est la raison qui porto à l'aveniret iVIa durée. Or le penchant, exprimé par l'on tendement,passe en précepte ou vérité de pratique 4, et sile penchant est inné, la vérité l'est aussi, n'y ayantrien dans l'âme qui ne soit exprimé dans l'entendement,mais non pas toujours par une considérationactuelle distincte, comme j'ai assez fait voir, Lesinstincts aussi ne sont pas toujours de pratique ; il yen a qui contiennent des vérités de théorie, et tolssont tas principes internes des sciences et du raisonnement,lorsque, sans en connaître la raison, nous tasemployons par un instinct naturel; et, dans co sens,vous 110 pouvez pas vous dispenser de reconnaître des1. L'entendement exprime parun précepte lo penchant naturel,cl prononce qu'il faut chercher lobonheur t mais une vérité qui exprimouu penchant Inné peut êtredite Innée,


LES NOUVEAUX ESSAIS. 1S1principes innés : quand même vous voudriez nier quoles vérités dérivatives sont innées* Mais ce seraitune question de nom après l'explication que j'ai donnéede ce quo j'appelle inné. Et si quelqu'un ne veutpas donner cette appellation, qu'aux vérités qu'onreçoit d'abord par instinct,jenele lui contesterai pas.PHILALÈTHE. Voilàquivabien. Mais s'il y avait dansnotre àmo certains caractères qui y fussent gravésnaturellement, commo autant de principes de connaissance,nous ne pourrions que les apercevoir agissanten nous, comme nous sentons l'influence desdeux principes qui agissent constamment en nous,savoir, l'envio d'être heureux et la crainte d'être misérables.THÉOPHILE. 11 y a dos principes de connaissance,qui influent aussi constamment dans nos raisonnementsque ceux de pratique dans nos volontés, parexemple, tout le monde emploie tas règles des conséquencespar uno Logique naturelle, sans s'en apercevoir.§ 4. PHILALÈTHE. Les règles do Morale ont besoind'ôtroprouvées, donc elles ne sont pas innées, commecette règle, qui est la source des vertus qui regardentla société : Ne faites à autrui que ce que vous voudriezqu il vous soit fait à vous-même.THÉOPHILE. VOUSme laites toujours l'objection quej'ai déjà réfutée. Je vous accorde, Monsieur, qu'il y ades règles do morale qui ne sont point des principesinnés, mais cela n'cmpôcho pas que ce ne soient desvérités innées ; car uno vérité dérivalive sera innéo


182 LES NOUVEAUX ESSAIS,lorsque nous la pouvons tirer de notre esprit, Mais ily a des vérités innées que nous trouvons en nous dodeux façons, par lumière et par instinct. Celles quoje viens de marquer se démontrent par nos idées, cequi fait la'lumière naturelle. Mais il y a des conclusionsde la lumière naturelle 1 qui sont des principespar rapport à l'instinct» C'est ainsi que nous sommesportés aux actes d'humanité par instinct, parce quecela nous platt, et par raison* parce que cela est juste.Il y a donc en nous des vérités d'instinct, qui sontdes principes innés, qu'on sent et approuve quandmême on n'en a point la preuve, qu'on obtient pourtantlorsqu'on rend raison de cet instinct. C'est ainsiqu'on se sert dos lois des conséquences suivant unoconnaissance confuse et comme par instinct; mais Ipslogiciens en démontrent la raison, comme los mathématiciensaussi rendent raison de ce qu'on fait sansy penser en marchant et en sautant. Quant à la règlequi porte qu'on ne doit faire aux autres que ce qu'onvoudrait qu'Us nous fissent, elle a besoin non seulementdo preuve, mais encoro de déclaration '. Onvoudrait trop si on en était ta maître, est-ce doncqu'on doit trop aussi aux autres? On me dira que celane s'entend que d'une volonté juste. Mais ainsi cette1. Il y a des règles morales quisont des conclusions par rapport àla lumière naturelle, c'est-à-direqui sont dérlvatives » ou qui ontbesoin de démonstration, et qui sonten mémo temps des principes parrapport A l'instinct, en ce sens quol'instinct nous les dicte avant to.itraisonnement, et nous porto immédiatementaux aclos qu'elles prescrivent.2. Cette règle doit être non seulementjustifiée, mats encore expliquée.Elle deviendrait fausse, selonLi'ibni*, si vouloir était pris danslo sens do désirer.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 183règle, bien loin de suffire à servir de me<strong>sur</strong>e, en auraitbesoin. Le véritable sens de la règle est que la placod'autrui est le vrai point de vue pour juger équitablcmentlorsqu'on s'y met.§ 9. PHILALÈTHE.On commet souvent des actionsmauvaises sans aucun remords de conscience1: parexempta, lorsqu'on prend dos villes d'assaut, les Sol •dats commettent sans scrupule les plus méchantesactions; des nations polies ont exposéleurs enfants;quelques Caribes châtrent les leurs pour les engraisetlos manger. Garcilasso do la Vega* rapporte quocertains peuples du Pérou prenaient des prisonnièrespour en faire des concubines, et nourrissaient lesenfants jusqu'à l'âge de treize ans, après quoi ils lesmangeaient, et traitaient de même les mères dèsqu'elles ne faisaient plus d'enfants.THÉOPHILE.La science Morale (outre les instinctscommo celui qui fait suivre la joie et fuir la tristesse)n'est pas autrement innée que l'Arithmétique, carelle dépend aussi des démonstrations que la lumièreinterne fournit. Et commo les démonstrations nesautent pas d'abord aux yeux, ce n'est pas grandemerveillo si les hommes no s'aperçoivent pastoujourset d'abord do tout co qu'ils possèdent en eux, et nelisent pas assezpromptcmcntlcsiarrtctâm de la loi1. Phllalèllio tiro argument do la âmedilTércncodes opinions moraleschezles difl'érenls peuples. <strong>Leibniz</strong> répondquomillecausespeuventempêcheries hommes d'apercevoir la loinaturelle qui est gravée dans leuret vider leurs penchants innés.9, Gardas Lassodela Vega, hislor,péruvien, né & Cutcoon 1530, mortà Vnlladolld en 1508, écrivit uneHistoire des Incat et uno Histoire,det guerres civiles dam let Indes.


181 LES NOUVEAUX ESSAIS.naturelle, que Dieu, selon saint Paul, a gravée dansleur esprit. Cepondant, commo la Morale est plus importantequo l'Arithmétique, Dieu a donné à l'hommodos instincts qui portent d'abord et sans raisonnementà quclquo chose do ce quo la raison ordonne 1. C'estcomme nous marchons suivant les lois do la mécaniquesans penser à ces lois, et commo nous mangeonsnon sculoment parce que cela nous est nécessaire, maisencore et bien plus parce que cola nous fait plaisir.Mais ces instincts ne portent pas à l'action d'unemanière invincible, on y résiste par .des passions, onles obscurcit par des préjugés, et on les altère pardos coutumes contraires. Cependant on convient loplus souvent de ces instincts de la conscience et onles suit même, quand do plus grandes impressions noles <strong>sur</strong>montent. La plus grande et la plussainc partiedu genre humain leur rend témoignage. Les Orientauxet les Grecs ou Romains, la Bible et l'Alcorany conviennent, et il faudrait ôtre aussi abruti que lessauvages Américains pour approuver leurs coutumespleines d'une cruauté, qui passe même celle desbêtes. Cependant ces mêmes sauvages sentent bience quo c'est que la justice en d'autres occasions ; et,quoiqu'il n'y ait point do mauvaise pratique peut-êtrequi ne soit autorisée quelque part et en quelques rencontres,il y en a eu peu pourtant qui île soient condamnéesle plus souvent et par la plus grande partie deshommes. Co qui n'est point arrivé sans raison, et,1. Cetlo phrase résume tout le système de morale exposé dans ce chapitre


LES NOUVEAUX ESSAIS. 185n'étant pas arrivé par lo seul raisonnement, doit ôtrorapporté on partie aux instincts naturel.;. La coutume,la tradition, la discipline s'y est mêlée, mais lo naturelest cause quo la coutume s'est tournéo plus généralementdu bon côté <strong>sur</strong> ces devoirs. C'est comme lonaturel est encoro cause que la tradition do l'cxistcncodoDieuest venue Or la nature donne à l'hommecl môme à la plupart des animaux uno affection etdouceur pour ceux do leur espèce. Le Tigre mômepareil cognatis maculisl : d'où vient co bon mot *d'un Jurisconsulte Romain : Quia inter omneshominesnaturacognationem constitua', inde hominemhomini insidiari nefas esse. Il n'y a presque queles araignées qui fassent exception et qui s'entremangent,jusqu'à ce point que la femelle dévore lemâle après en avoir joui. Après cet instinct généralde société, qui se peut appeler philanthropie dansl'homme, il y en a de plus particuliers, comme l'affectionentre le mâle et la femelle, l'amour que pèreet mère portent aux enfants, quo les Grecs appellentotopyJjv,otautres inclinations semblables, qui font cedroit naturel, ou celte image de droit plutôt, queselon les jurisconsultes Romains la Nature a enseignéaux animaux. Mais, dans l'homme particulièrement,il se trouve un certain soin de la dignité et dela convenance, qui porto à cacher les choses qui nousL.Vers do Juvénal, XV, 159-160 :Scdjam serpenlum major-concor[dia : pareilCognatis maculis similis fera.2. Bon mot : parole juste, profonde, et non plaisante.


.186 LES NOUVEAUX ESSAIS.rabaissent, à ménager la pudeur, à avoir do la répugnancopour des incestes, à ensevelir les cadavres, àno point mangor des hommes du tout ni des bêtesvivantes. On est porté encoro à avoir soin do sa réputation,môme an delà du besoin et do la vie; à ôtre sujetàdesremords do la conscience et à sentir ces laniatuset ictus, ces tortures et gênes dont parle Tacito aprèsPlaton 1; outre la crainto d'un avenir et d'une puissancesuprême qui vient encore asseznaturellement.Il y a de la réalité en tout ecla; mais, dans le fond,ces impressions, quelque naturelles qu'elles puissentêtre, ne sont quo des aides à la raison et des indicesdu conseil de la nature. La coutume, l'éducation, latradition, la raison y contribuent beaucoup, mais lanature humaine ne laisse pas d'y avoir part. Il estvraique sans la raison ces aides ne suffiraient pas pourdonner une certitude entière à la morale. Enfin nicra-t-onque l'homme est porté naturellement, parexemple, à s'éloigner des choses vilaines, sous pré-.-texte qu'on trouve des gens qui aiment à ne parler quod'ordures, qu'il y en a môme dont ta genre de vie lesengage à manier des excréments, et qu'il y a despeuples de Boutan où ceux du Roi passent pour quelquechose d'aromatique? Je m'imagine quo vous êtes,/1. Tacite, Ann., VI, c. vi : Sirecludantur tyrannorum mentes,posse aspici laniatus et ictus :quando, ut corr-ora verberibus, itatxvitia, libidine, molis consultisanimas dilaceretur. Platon, Gorgias,LXXX: *o r«*à|w»«{ tuN»»;tcircr/ia; Oiouai lx£??ov tijv àv/Xiojx trô;»; 6WJ l»ttv. iXki, r.oXkixt;zo'j [AiyiVii» Gci&iuf iicttaSô;Alvs;, »}xattltitv oîiiv Cfi!; ôv TÎ;; ''fs/?,;,4\).à l:«;*t;i«»Tiïu;»t\T,v x*l oi),SWJU*T/,V vis'iitisfxiSvxtù&$ixia;.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 187Monsieur, do mon sentiment dans lo fond à l'égarddo ces instincts naturels au bien honnête; quoiquevous direz peut-être, comme vous avez dit à l'égarddo l'instinct qui porto à la joie et à la félicité, quo cesimpressions ne sont pas dos vérités innées. Mais j'aidéjà répondu que tout sentiment est la perceptiond'une vérité 1, et quo lo sentiment naturel l'est d'unevérité innée, mais bien souvent confuse, comme sontles expériences dos sens externes : ainsi on peut distinguerles vérités innées d'avec h lumière naturelle(qui no contient rien quo do distinctement connaissablé),comme le genre doit être distingué de sonespèce, puisque les vérités innées comprennent tantles instincts que la lumière naturelle.§11. PHILALÈTHE. Une personne qui connaîtraitles bornes naturelles du juste et de l'injuste et nelaisserait pas de les confondre ensemble, ne pourraitêtre regardée que comme l'ennemi déclaré du reposet du bonheur de la société dont il fait partie. Maisles hommes les confondent à tout moment, donc ilsne les connaissent point.TiiÉorniLE. C'est prendre les choses un peu tropthéoriquement. Il arrive tous tas jours que les hommesagissent contre leurs connaissances, en se les cachantà eux-mêmes lorsqu'ils tournent l'esprit ailleurs poursuivre leurs passions ; sans cela nous neverrions pas tasgens manger et boire de ce qu'ils savent leur devoircauser des maladies et même la mort. Ils ne néglige-1. Les perceptions des sens cxernescorrespondent toujours à desmouvements et par conséquent exprimentdes vérités nécessaires..


188 LES NOUVEAUX ESSAIS.raient pas leurs affaires, ils no foraient pas co qiiodesnations entièresont fait à certains égards. L'avenir etloraisonnement frappent rarement autant que lo présentet les sens. Cet Italien lo savait bien, qui, devantôtre mis à la torture, se proposa d'avoir continuellementlo gibet en vue pendant les tourments pour yrésister, et on l'entendit dire quelquefois : lo tivedo,ce qu'il expliqua ensuite quand il fut échappé. Amoins do prendre une ferme résolution d'envisager levrai bien et vrai mal pour les- suivro ou tas éviter, onso trouve emporté, et il arrive encore, par rapportaux besoins les plus importants de celte vie, co quiarrivo par rapport au paradis et à l'enfer chez ceux-làmôme qui les croient le plus :Cnntantur lifoc, laudanlur hoee,Dicuntur, auiliuntur,Scribunlur hoee, Icgiiiilur hoee,Et Iccta ncgliguntur., PHILALÈTHE. Tout principe qu'on suppose inné nepeut qu'être connu d'un chacun comme juste et avantageux.THÉOPHILE. C'est toujours revenir à cette suppositionque j'ai réfutée tant de fois, que toute véritéinnée est connue toujours et de tous.§ 12. PHILALÈTHE. Mais une permission publique devioler la loi prouve que cette loi n'est pas innée : parexemple, la loi d'aimer et do conserver les enfants aété violée chez les anciens lorsqu'ils ont permis de lesexposer.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 189THÉOPHILE. Cotto violation supposée, il s'ensuitsoulomont qu'on n'a pas bien lu ces caractèros do lanature gravés dans nos àmos, mais quelquefois assozonveloppés par nos désordres; outro quo, pourvoir lanécessité dos dovoirs d'une manière invinciblo, il enfaut envisager la démonstration, co qui n'ost pas fortordinaire. Si la Géométrie s'opposait autant à nos passionsetànosintôrôtspréscntsquelaMoralo, nous no lacontosterions et no la violerions guère moins, malgrétoutos los démonstrations d'Euclidc et d'Archimèdo,qu'on traiterait do rôverios et croirait pleines doparalogismes; et Joseph ScaligerJ, Hobbos 3 et autresqui ont écrit contre Euclide et Archimède, no se trouveraientpoint si peu accompagnés qu'ils le sont. Con'était que la passion de la gloire quo ces auteurscroyaient trouvor dans la quadrature du cercle etautros problèmos difficiles, qui ait pu aveuglor jusqu'àun tel point des personnages d'un si grand mérite.Et si d'autrcsavaientlomême intérêt, ils en useraientde même.PHILALÈTHE. Tout devoir emporto l'idée do loi, et1. Joscph-Ji'.slo Scaliger, philologuefrançais, fils de J.-César Scaliger,né en 15101 Agen, mort en 1009a Leydc. Joseph Scaliger est célèbrepouravoir établi lo premier les principesdo la critique des textes. Ilédita les Cutalecta do Virgile, Catulle,Tibullc, Propercc, Feslus. Ona do lui en outre un grand nombrod'ouvrages d'histoire, de sciences,de mathématiques, et des poésies.—Il avait écrit contre Archimède,chez lequel il croyait trouver desfautes.2. Hobbes, philosopho anglais(1588-1079), est <strong>sur</strong>tout connu parses ouvrages do philosophie moraleet sociale, par exemple le De cive,lo Leviathan; mais il avait écrit uncertain nombre d'ouvrages et d'opuscules<strong>sur</strong> des questions mathématiques.11 s'était particulièrementoccupé de la question do la quadraturedu cercle.


190 LES NOUVEAUX ESSAIS.une loi ne saurait ôtro connuo ou supposée, sans unlégislateur qui l'ait prescrite, ou sans récompense etsans peino.THÉOPHILE.11 y peut avoir dos récompenses et de;*peines naturelles sans législateur; l'intempérance,par exempta, est punie par des maladies. Cependantcomme ello no nuit pas à tous d'abord, j'avoue qu'iln'y a guère do précepto à qui on serait oblige indispensablement,s'il n'y avait pas un Dieu qui ne laisseaucun crime sans chàtiment,niaucune bonno actionsans récompense 1.PHILALÈTHE.Il faut donc que les idées d'un Dieuet d'une vio à venir soient aussi innées ?THÉOPHILE.J'en demeure d'accord dans lo sensque j'ai expliqué.PHILALÈTHEṂais ces idées sont si éloignées d'ôtregravées naturellement dans l'esprit do tous leshommes, qu'elles ne paraissent pas mémo fort claireset fort distinctes dans l'esprit de plusieurs hommesd'étude, et quifont profession d'examiner les chosesavec quelque exactitudo : tant il s'en faut qu'ellessoient connues de toute créature humaine.THÉOPHILE.C'est encore revenir à la même supposition,qui prétend que ce qui n'est point connun'est point inné, que j'ai pourtant réfutée tant dofois. Co qui cfetinné n'est pas d'abord connu clairementet distinctement pour cela : il faut souvent beaucoupd'attention et d'ordre pour s'en apercevoir, lesi. C.t, Monadologie, Il &7 cl suiv.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 191gons d'étude n'en apportent pas toujours, et toutocréature humaine encoro moins.§ 13. PHILALÈTHE. Mais si les hommes peuventignorer ou révoquer en doute tout co qui est inné,c'est en vain qu'on nous parle de Principes innéset qu'on on prétend faire voir la nécessité; bien loinqu'ils puissent servir à nous instruire de la véritéet do la certitude des choses, comme on le prétend,nous nous trouverions dans lo même état d'incertitudeavec ces principes que s'ils n'étaient point ennous.THÉOPHILE. On no peut point révoquer en doutetous les principes innés. Vous en êtes demeuré d'accord,Monsieur, à l'égard des identiques ou du Principede contradiction, avouant qu'il y a des Principesincontestables, quoique vous no les reconnaissiez pointalors comme innés; mais il ne s'ensuit point quo toutce qui est inné et lié nécessairement avec ces principesinnés soit aussi d'abord d'une évidonce indubitable.PHILALÈTHE. Personne n'a encore entrepris, queje sache, de nous donner un catalogue exact de cesprincipes.THÉOPHILE. Mais nous a-t-on donné jusqu'ici uncatalogue plein et exact des axiomes de Géométrie?§ 15. PHILALÈTHE. Milord Herbert' a voulu mari.Mylord Herbert. Lord EdwardHerbert de Cherbury (1581-1618),diplomate historien et philosophe.Il avait écrit Un livre intitulé : Deveritate, où il opposait la vérité(connue par la raison) à la révélation.Mais il croyait en Dieu et voulaitque Dieu eût son culte. Le


192 LES NOUVEAUX ESSAIS.quop quelques-uns do ces principes, qui sont : 1° Qu'ily a un Dieu suprême. 2° Qu'il doit ôtro servi. 3° Quela vertu jointe avec la piété est le meilleur culte,4° Qu'il faut se repentir do ses péchés. 5° Qu'il y ades poines* et des récompenses après cette vie. Jetonibo d'accord quo co sont là des vérités évidentes etd'une tollo naturo, qu'étant bien expliquées, unocréaturo raisonnable no peut guèro éviter d'y donnerson consentement. Mais nos amis disent qu'il s'enfaut beaucoup quo co soient autant d'impressionsinnées. Et si ces cinq propositions sont des notionscommunes gravées dans nos Ames par le doigt doDieu, il y en a beaucoup d'autres qu'on doit aussimettre de co rang.THÉOPHILE. J'en demeure d'accord, Monsieur, carje prends toutes les vérités nécessaires pour innées,et j'y joins môme les instincts. Mais jo vous avouoque ces cinq propositions ne sont point des Principesinnés; car je tiens qu'on peut et qu'on doit lesprouver.§ 18. PHILALÈTHE. Dans la proposition troisième,que la vertu est le culte le plus agréable à Dieu, ilest obscur ce qu'on entend par la vertu.'Si on l'entenddans le sens qu'on lui donne le plus communément,je veux dire de ce qui passe pour louable selonles différentes opinions qui régnent en divers pays,tant s'en faut que cette proposition soit évidente,qu'elle n'est pas même véritable. Que si on appellepassage ci té par Locke et par <strong>Leibniz</strong>so trouve dans un petit traité do cetauteur intitulé: De religione laid.Paris, 1624 ; Londres, 1015.


LES NOUVEAUX ESSAIS» 193vertu les actions qui sont conformos à la volonté doDieu, ce sera prosquo idem per idem, et la propositionne nous apprendra pas grand'choso; car ellevoudra diro seulement que Dieu a pour agréable cequi est conforme à sa volonté. Il en est do môme dola notion du péché dans la quatrièmo proposition.THÉOPHILE, JO no me souviens pas d'avoir remarquéqu'on prenno communément la vertu pourquelque chose qui dépende des opinions; au moinsles Philosophes ne le font pas. Il est vrai que le nomdo vertu dépend do l'opinion de ceux qui le donnentà de différentes habitudes ou actions, selon qu'ils jugentbien ou mal et font usage do leur raison; maistous conviennent assez de la notion de la vertu engénéral, quoiqu'ils diffèrent dans l'application. SelonAristote et plusieurs autres la vertu est une habitudede modérer les passions par la raison, et encore plussimplement une habitude d'agir suivant la raison l.Et cela ne peut manquer d'être agréable à celui quiest la suprême et dernière raison des choses; à quirien n'est indifférent, et les actions des créatures raisonnablesmoins que toutes les autres.§ 20. PHILALÈTHE. On a accoutumé de dire que lacoutume, l'éducation et les opinions générales deceux avec qui on converse peuvent obscurcir cesprincipes de morale, qu'on suppose innés. Mais sicette réponse est bonne, elle anéantit la preuve qu'on1. Aristote définit la vertu, d'uncoté : tgif £f'*)f dyaH; £x'f""»îvlmsi (Ut; : direction constante deLEIBNIZ.la volonté, hobitudo), et de l'autre :^uxlî t>ffï«ia X«T4 Xi'o» (Eth. NiC-,II, 5).13


I9iLES NOUVEAUX ESSAIS.prétond tirer du consentement universol. Le raisonnementde bien des gens so réduit à ceci : Los Principesquo tas gens do bon sons reconnaissent sontinnés : Nous et ceux de notre parti sommes des gensde bon sens : donc nos principes sont innés. Plaisantemanière de raisonner, qui va tout droit à l'infaillibilité1!THÉOPHILE.Pour moi, jo me sers du consentementuniversel, non pas commo d'une preuvo principale,mais comme (l'une confirmation : car les vérités innées,prises pour la lumière naturelle de la raison,portent leurs caractères avec elles comme la Géométrie,car elles sont enveloppées dans les principesimmédiats que vous reconnaissez vous-même pourincontestables* Mais j'avoue qu'il est plus difficile dodémêler les instincts, et quelques autres habitudesnaturelles d'avec tas coutumes, quoique cela se puissepourtant, ce semble, le plus souvent. Au reste il meparaît quo tas peuples qui ont cultivé leur esprit ontquelque sujet de s'attribuer l'usage du bon sens préférablementaux barbares, puisqu'on les domptant siaisément, presque comme des bêtes, ils montrentassez leur supériorité. Si on n'en peut pas toujoursvenir à bout, c'est qu'encore comme tas bêtes, ils se1. L'argument do Philalèthe estqu'il n'y a aucun principe do moralo<strong>sur</strong> lequel tous les hommess'accordent, et qu'il est absolumentarbitraire do soutenir quo les principesadoptés par les hommes civiliséssont les seuls bons,Leibnix répond : 1* que l'opiniondes hommes dont la raison est leplus développée a plus de valeurquo cello des sauvages, et 2* que,dans tous les cas, pour déciderquels sont les vrais principes de lamorale, il faut s'appuyer <strong>sur</strong> la raisonet non <strong>sur</strong> le consentement deshommes.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 195sauvent dans les épaisses forêts, où il est difficile dotas forcer, et lo jeu no vaut pas la chandelle. C'estun avantage sans douto d'avoir cultivé l'esprit, et, s'ilest permis de parler pour la barbarie contre la culluro,on aura aussi lo droit d'attaquer la raison enfaveur des bêtes et de prendre sérieusement les sailliesspirituelles de M. Des Préaux dans uno de ses satires,où, pour contester à l'hommo sa prérogativo<strong>sur</strong> les animaux, il demande siL'ours a peur du passant, ou le passant do l'ours JEt si, par un édit dos patres do Libye,Les lions videraient les parcs do Numidio, etc. '.Cependant il faut avouer qu'il y a des points importantsoù les barbares nous passent, <strong>sur</strong>tout à l'égarddé la vigueur du corps, et à l'égard de l'àme mômeon peut dire qu'à certains égards leur morale pratiqueest meilleure que la nôtre, parce qu'ils n'ontpoint l'avarice d'amasser, ni l'ambition de dominer.Et on peut môme ajouter que la conversation * desChrétiens les a rendus pires en bien jlcs choses t onleur a appris l'ivrognerio (en leur apportant de l'eau*de-vie), les jurements, les blasphèmes et d'autresvices qui leur étaient peu connus. Il y a chez nousplus do bien et plus de mal que chez eux : un méchantEuropéen est plus méchant qu'un sauvage : ilraffine <strong>sur</strong> ta mal. Cependant rien n'empêcherait les1. Boilcau (Sat.VlII, vtC2)aécrit:Et si, <strong>sur</strong> un édit des pitres de Nubie,Les lions de Barca videraient la Lvbic-9. Sens latin; Conversari : Vivreavec quelqu'un, fréquenter unopersonne.


196 LES NOUVEAUX ESSAIS.hommes d'unir les avantages quo la naturo donno àces peuples avec ceux quo nous donno la raison.PHILALÈTHE.Mais que répondrez-vous, Monsieur,à co dilemme d'un do mes amis? Jo voudrais bien,dit-il, quo les partisans des idées innées me dissentsi ces Principes peuvent ou no peuvent pas ôtro effacéspar l'éducation et la coutume ; s'ils ne peuvent l'être,nous devons les trouver dans tous les hommes, et ilfaut qu'ils paraissent clairement dans l'esprit dechaque homme en particulier: quo s'ils peuvent ôtroaltérés par des notions étrangères, ils doivent paraîtreplus distinctement et ayee plus d'éclat lorsqu'ilssont plus près de leur source, je veux dire danstas enfants et les ignorants, <strong>sur</strong> qui les opinionsétrangères ont fait lo moins d'impression. Qu'ilsprennent tel parti qu'ils voudront, ils verront clairement,dit-il, qu'il est démenti par des faits constantset par uno continuelle expérience.THÉOPHILE.Je m'étonne que votre habile ami aconfondu obscurcir et effacer, comme on confonddans votre parti n'être point et ne point paraître.Les idées et vérités innées ne sauraient être effacées,mais elles sont obscurcies dans tous lès hommes(comme ils sont présentement) par leur penchant verstas besoins du corps, et souvent encore plus par lesmauvaises coutumes <strong>sur</strong>venues. Ces caractères delumière interne seraient toujours éclatants dans l'entendementet donneraient de la chaleur dans la volonté,si les perceptions confuses des sens ne s'emparaientde notre attention. C'est le combat dont la


Sainte Écritureancienne et modorno 1.no parlo pas moins quo la PhilosophiePHILALÈTHE. Ainsi donc nous nous trouvons dansdes ténèbres aussi épaisses et dans uno aussi grandeincertitude quo s'il n'y avait point do somblablos lumières.THÉOPHILE. A Dieu no plaise; nous n'aurions nisciences, ni lois, et nous n'aurions pas mômo de laraison.§§21, 22, etc. PHILALÈTHE. J'espôro quo vous conviendrezau moins de la force des préjugés, qui fontsouvent passer pour naturel ce qui est venu des mauvaisenseignements où les enfants ont été exposés, otdes mauvaises coutumes quo l'éducation et la conversationleur ont données.THÉOPHILE. J'avouo quo l'excellent Auteur quovous suivez dit de fort belles choses là-dessus, et quiont leur prix si on les prend comme il faut; mais jene crois pas qu'elles soient contraires à la doctrinebien prise du naturel ou des vérités innées. Et jem'as<strong>sur</strong>e qu'il ne voudra pas étendre ses remarquestrop loin ; car jo suis également persuadé et que biendes opinions passent pour des vérités, qui ne sontque des effets de la coutume et de la crédulité, et1. La philosophie ancienne opposela passion h la raison, et déclareque la vertu consiste à obéir à laraison.Saint Paul dit : BXfxu il ttifovVÔJIOV h WT{ |lftt?( J»»U dvtUT}» TIUO-JMVSV 1$ VO^Ijl TOÏ VflÔ{ JISU *** a'Z"J*«>utitJovtà pi t^l vsjJiy T^j{ ôj*»ytta;,T3 OVTI tv xoïf (UXIT! f*''J."Afa *yn a-ÎT*>; l*w T? JIIV.KO/ ia'j-Xivu vony QIOJ- TÎj Si OOlfXl vojtud;4«}Tt'«;. Ad Rom., ch. vil, v. 23et 95.Voy. aussi Racine, Cantique II :Mon Dieu, quelle guerre cruelle.Je trouve deux hommes en moi, etc.


198 LES NOUVEAUX ESSAIS.j qu'il y en a bien aussi que certains philosophes voudraientfaire passer pour des préjugés, qui sont pourtantfondées dans la droite raison et dans la nature.Il y a autant ou plus de sujet de se garder de ceuxqui, par ambition lo plus souvent, prétendent innover,quo de se défier des impressions anciennes.Et, après avoir assez médité <strong>sur</strong> l'ancien et <strong>sur</strong> lonouveau, j'ai trouvé que la plupart des doctrinesreçues peuvent souffrir un bon sens. De sorte que jevoudrais que les hommes d'esprit cherchassent doquoi satisfaire à leur ambition, en s'occupant plutôtà bâtir et à avancer qu'à reculer et à détruire. Et jesouhaiterais qu'on ressemblât plutôt aux Romainsqui faisaient do beaux ouvrages publics, qu'à ce RoiVandale à qui sa mèro recommanda que, ne pouvantpas espérer la gloire d'égaler ces grands bâtiments,il en cherchât à les détruire 1.PHILALÈTHE.Le but des habitas gens qui ont combattules vérités innées, a été d'empêcher que, sousce beau nom, on no fasse passer des préjugés etcherche à couvrir sa paresse.THÉOPHILE,NOUSsommes d'accord <strong>sur</strong>ce point,car, bien loin quo j'approuve qu'on se fassodos principesdouteux, jo voudrais, moi, qu'on cherchât jusqu'àla démonstration des Axiomes d'Euclide, commoquelques Anciens ont fait aussi. Et lorsqu'on demandele moyen de connaître et d'examiner les principesinnés, je réponds, suivant co quo j'ai dit cii./toi Vandale t Ocnsérie,


LES NOUVEAUX ESSAIS. 190dessus, qu'excepté tas instincts dont la raison estinconnue, il faut tâcher de les réduire aux premiersprincipes, c'est-à-dire aux Axiomes identiques ouimmédiats par le moyen des définitions, qui ne sontautre chose qu'une exposition distincte des idées. Jone doute pas même que vos amis, contraires jusqu'iciaux vérités innées, n'approuvent cette méthode, quiparaît conforme à leur but principal.CHAPITREIIIAutres considérations touchant les principes innés, tant ceuxqui regardent la spéculation que ceux qui appartiennent à lapratique,§ 3. PHILALÈTHE. VOUS voulez qu'on réduise lesvérités aux premiers principes, et je vous avoue ques'il y a quelque principe, c'est sans contredit celui-ci :Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas enmême temps. Cependant il paraît, difficile de soutenirqu'il est inné, puisqu'il faut se persuader en mêmetemps que les idées d'impossibilité et d'identité sontinnées.THÉOPHILE. Il faut bien que ceux qui sont pour lesvérités innées soutiennent et soient persuadés quoces idées ta sont aussi 1 ; et j'avoue que jo suis do leur1. Los idées d'clro et d'Identitésont du nombro do celles quo nousdécouvrons en réfléchissant <strong>sur</strong>no(re nature. L'idéo do possibilitéest dérlvéû du principe docontradiction , car > est posslb!oco qui n'inipltqito pas contradiction.


200 LES NOUVEAUX ESSAIS.avis. Los idées de l'être, du possible, du Même, sontsi bien innées, qu'elles entrent dans toutes nos penséeset raisonnements, et je tas regarde comme deschoses essentielles à notro esprit ; mais j'ai déjà ditqu'on n'y a point toujours une attention particulièreet qu'on no les démêle qu'avec le temps. J'ai déjà ditque nous sommes, pour ainsi dire, innés à nousmêmes;et, puisque nous sommes des êtres, l'êtrenous est innél ; et la connaissance do l'être est enveloppéedans celle que nous avons de nous-mêmes. Ily a quelque chose d'approchant en d'autres notionsgénérales.§ A. PHILALÈTHE.Si l'idée de l'identité est naturelle,et par conséquent si évidente et si présente àl'esprit que nous devions la connaître dès ta berceau,je voudrais bien qu'un enfant de sept ans et mémo unhomme de soixante- lix ans me dit si un homme, quiest une créature composée de corps et d'âme, est lemême lorsque son corps est changé, et si, supposé laMétempsycose, Euphorbe serait lo môme que Pylhagoro8.THÉOPHILE.J'ai assezdit quo co qui nous est naturelne nous est pas connu pour cola dès ta berceau ;et môme uno idée nous peut être connue sans quonous puissions décider d'abord toutes les questions1. Cf. l'Extrait 11eK, A. 8. Euphorbe, fils do Panlhls, nobleIroyen, fut tué parMénélasau slègodo Troie. Pylhagore prétendait quel'âmo d'Euphorbo était passéo dansson propro corps. La preuvo qu'il en.donnait était que, lorsqu'il vit k Argoslo bouclier do cet Euphorbe quoMénélas y avait suspendu, Il so sou*vint do l'avoir déjà vu.quolquo co fûtla prcmlèro fois qu'il vint à Argosclquo ce bouclier n'en (01 pas1ortf,


LES NOUVEAUX ESSAIS. 201qu'on peut former là-dessus. C'est comme si quelqu'unprétendait qu'un enfant ne saurait connaître ceque c'est que le carré et sa diagonale, parce qu'ilaura de la peine à connaître que la diagonale est incommen<strong>sur</strong>ableavec ta côté du carré. Pour ce qui estde la question en elle-même, elle me paraît démonstralivementrésolue par la doctrine des Monades, quoj'ai mise ailleurs dans son jour, et nous parleronsplus amplement de cette matière dans la suite.§ 6. PHILALÈTHE.Je vois bien que je vous objecteraisen vain que l'Axiome qui porto que le tout estplus grand que sa partie, n'est point inné, sousprétexte que les idées de tout et de la partie sont relatives,dépendant de celles du nombre et do l'étendue: puisque vous soutiendrez apparemment qu'il ya des idées innées respectives et que celles des nombreset de l'étendue sont innées aussi.THÉOPHILE.VOUS avez raison, et môme je croisplutôt que l'idée de l'étendue est postérieure à celledu tout et do la partie.§ 7. PHILALÈTHE. Que dites-vous de la vérité quoDieu doit ôtro adoré? est-elle innée?THÉOPHILE.JO crois que ta devoir d'adorer Dieuporto que dans tas occasions on doit marquer qu'onl'honore au delà de tout autre objet, et que c'est uneconséquence nécessaire de son idée et do son existence,ce qui signifie chez moi que cette vérité est innée.§ 8. PHILALÈTHE.Mais les Athées semblent prouverpar leur exemple que l'idéo do Dieu n'est point innée.Et, sans parlerdo ceux dont (es anciens ont fait men-


202 LES NOUVEAUX ESSAIS.i tion, n'a-t-on pas découvert des nations entières quin'avaient aucune idée de Dieu, ni des noms pour marquerDieu et l'âme, commo à la baie de Soldanic,dans le Brésil, dans les îles Caribes, dans le Paraguay?THÉOPHILE. Feu M. Fabricius *, Théologien célèbredo Heidelberg, a fait une Apologie du. genre humainpour lo purger de l'imputation de l'Athéisme. C'était. un auteur de beaucoup d'exactitude et fort au-dessusdo bien des préjugés; cependant je ne prétends pointentrer dans cette discussion des faits. Je yeux quedes peuples entiers n'aient jamais pensé à la substancesuprôme ni à ce que c'est que l'âme. Et je mosouviens que lorsqu'on voulut, à ma prière, favoriséepar l'illustre M. Witsen 9, m'obteuir en Hollande unoversion de l'Oraison Dominicale dans la langue doBarantola, on fut arrêté à cet endroit : ton nom soitsanctifié, parce qu'on ne pouvait point faire entendreaux Barantolais ce que voulait dire saint* Je me souviensaussi que dans le Credo fait pour les Hotten-'lots on fut obligé d'exprimer lo Saint-Esprit pardes mots du pays qui signifient un vent doux etagréable. Co qui n'était pas sans raison, car-nos motsgrecs et latins, itvêOjAw,anima t spiritus, ne signifientoriginairement quo l'air ou vent qu'on respire, commoune des plus subtiles choses qui nous soit connuo par1. Fabricius (Jean-Louis), 103Î-1007, était d'origlno suisse. Il futprofesseur do théologie et de philosophloa l'université do Holdclbcrg.i. Wltson, théologien hollandais,né en 1030, mort en 1709, fut professeurde théologto a Utrccht, ptilà Lcydo.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 20Jles sens : et on commence par les sens pour menerpeu à peu les hommes à ce qui est au-dessus dessens. Cependant toute cette difficulté qu'on trouve àparvenir aux connaissances abstraites ne fait riencontre les connaissances innées. 11 y a des peuplesqui n'ont aucun mot qui réponde à celui d'Être; estcequ'on douto qu'ils ne savent pas ce que c'est qued'être, quoiqu'ils n'y pensent guère à part? Au reste,je trouve si beau et si à mon gré ce que j'ai lu cheznotre excellent Auteur <strong>sur</strong> l'idée de Dieu (Essai <strong>sur</strong>l'Entendement, liv. I, ch. m, § 9), que je ne sauraism'empêcher de le rapporter, le voici : « Les hommes» ne sauraient guère éviter d'avoir quelque espèce» d'idée des chosesdont ceux avec qui ils conversent» ont souvent occasion de les entretenir sous certains» noms, et si c'est une chose qui emporlo avec elle» l'idéo d'excellence, de grandeur ou de quelque quavliiô extraordinaire, qui intéresse par quelque en-» droit ot qui s'imprime dans l'esprit sous l'idée» d'une puissance absolue et irrésistible qu'on no» puisse s'empêchor do craindre » (j'ajoute : et sousl'idéo d'une grandissime bonté qu'on ne saurait s'empêcherd'aimer), « une telle idée doit, suivant toutes» les apparences, faire do plus fortes impressions etse répandre plus loin qu'aucune autre : <strong>sur</strong>tout si» c'est une idée qui s'accorde avec les plus simples» lumières do la raison et qui découle naturellement» de chaque partie de nos connaissances. Or telle est» l'idée de Dieu, car les marques éclatantes d'une> sagesse et d'une puissance extraordinaire paraissent


201 LES NOUVEAUX ESSAIS.» si visiblement dans tous les ouvrages de la création,» que toute créature raisonnable qui voudra y fairo» réflexion ne saurait manquer de découvrir l'Auteur» de toutes ces merveilles : et l'impression que la dé-» couverte d'un tel Être doit faire naturellement <strong>sur</strong>>;l'âme do tous ceux qui en ont entendu parler une» seule fois, est si grande et entraîne avec elle desj» pensées d'un si grand poids et si propres à se ré-» pandre dans le monde, qu'il me paraît tout à fait» étrange qu'il se puisse trouver <strong>sur</strong> la terro une na-» tion entière d'hommes assez stupides pour n'avoir» aucune idée de Dieu. Cela, dis-je, mo semble aussi» <strong>sur</strong>prenant que d'imaginer des hommes qui n'au-» raient aucune idée des nombres ou du feu 1. » Jovoudrais qu'il me fût toujours permis de copier motà mot quantité d'autres excellents endroits do notreAuteur, que nous sommes obligés do passer. Je diraiseulement ici que cet Auteur, parlant des plus simpleslumières de laraison qui s'accordent avec l'idéode Dieu et do ce qui en découlo naturellement, neparaît guère s'éloigner do mon sens <strong>sur</strong> les véritésinnées; et <strong>sur</strong> ce qu'il lui paraît aussi étrango qu'il yait des hommes sans aucune idée de Dieu-qu'il serait<strong>sur</strong>prenant do trouver des hommes qui n'auraient au-1. <strong>Leibniz</strong> lire habilement partides eipressioifs de Locke, nuls losens du passage est que l'idéo deDieu nous vient do l'expérience,commo l'idéo du feu, du soleil, dela chaleur, etc. Il est vrai quo l'onne peut observer Dieu directementpar les sens,comme le f«.u cl le soleil: mais toutes les observationsque nous faisons <strong>sur</strong> le mondo extérieurnous conduisent a l'idéo doDieu. SI l'idéo de Dieu est universelle,c'est quo les observations deshommes sont partout les mimes.(Voy. Eisal do Locke, trad. Cosle,liv. I, ch. lit, $ 0.)


LÈS NOUVEAUX ESSAIS.âD&cune idée des nombres ou du feu, je remarquerai queles habitants des Îles-Mariannes, à qui on a donné lenom de la Reine d'Espagne qui y a favorisé les missions,n'avaient aucune connaissanco du feu lorsqu'onles découvrit, comme il parait par la relation que leR. P. Gobien, Jésuite Français, chargé du soin desmissions éloignées, a donnée au public et m'a envoyée.§ 10. PHILALÈTHE.Si l'on a droit de conclure quel'idée de Dieu soit innée de ce que tous les gens sagesont eu cette idée, la vertu doit aussi être innée, parceque les gens sages en ont toujours eu une véritableidée.THÉOPHILE. Non pas la vertu, mais l'idée dela vertu est innée, et peut-être ne voulez-vous quecela -.PHILALÈTHE.Il est aussi certain qu'il y a un Dieuqu'il est certain que tas angles opposés qui se fontpar l'intersection de deux lignes droites, sont égaux.Et il n'y eut jamais de créature raisonnable qui sesoit appliquée sincèrement à examiner la vérité deces deux propositions, qui ait manqué d'y donner sonconsentement. Cependant il est hors do doute qu'il ya bien des hommes qui, n'ayant point tourné leurspensées do ce côté-là, ignorent également ces deuxvérités.THÉOPHILE.Je l'avoue, mais cela n'empêche point1. L'idée du bien, qui sert do fondementà la vertu, est innée, maisnon la vertu elle-même, qui conslstodans une disposition constante dola volonté à agir conformément àccllo Uéc.


203 LES NOUVEAUX ESSAIS.qu'elles soient innées, c'est-à-dire qu'on ne.tas puissetrouver en soi.§ 18. PHILALÈTHE. Il serait encore avantageuxd'avoir une idée innée de la substance; mais il setrouve que'nous ne l'avons ni innée ni acquise, puisquenous ne l'avons ni par la sensation ni par la réflexion{.THÉOPHILE. Je suis d'opinion que la réflexion suffitpour trouver l'idée de la substance en nous-mêmes,qui sommes des substances. Et celte notion est desplus importantes. Mais nous en parlerons peut-êtreplus amplement dans la suite de notro conférence.PHILALÈTHE. S'il y a des idées innées qui soientdans l'esprit sans que l'esprit y pense actuellement,il faut du moins qu'elles soient dans la mémoiro d'oùelles devaient ôtre tirées par voie de Réminiscence 3,c'est-à-dire être connues lorsqu'on en rappelle lo1. Locke croîl que nous ne pouvonsavJr aucuno connaissancopositive des substances qui serventdo substrat aux phénomènes. Il lerépétera, liv. II, cli. xxm, g i :« Qui voudra prendre la peine doso consullcr soi-même <strong>sur</strong> la notionqu'il a do la pure sutaliineo en général,trouvera qu'il n'en a absolumentpolnl d'autre quo de je ne saisquel sujet qui lui est tout à faitinconnu, et qu'il sitpposo être losoutien des qualités qui sont capablesd'cxcllcr des idées simplesdans notro esprit. » (TraJ. Coste.)— Leibnit pense au contraire quo laréflexion que nous faisons <strong>sur</strong> notrepropre nature nous donne uno connaissancepotitive de la substance.(Voy. Introduction, II* part. H, 5.)2. Locko entend par réminiscencelo souvenir accompagné do la reconnaissancede la perception reproduite.Son argument est que, s'il yavait des idées innées, elles devraientélfo en qitelquo sorte enréserve dans la mémoiro, et qu'ellesdevraient produire, en se présentanta l'esprit, un sentiment doréminiscence, c'est-à-diro qu'ellesdevraient porter avec elles une perceptionqui convaincrait l'espritqu'elles no sont pas nouvelles. (Trad.Costc, liv. I, ch. lit, g 30.) <strong>Leibniz</strong>répond, comme ci-dessus, qu'il n'estpas nécessaire que l'esprit ait jamaispensé actuellement aux Idéesqu'il découvro en lui.


LES NOUVEAUX ESSAtS. 207souvenir, comme autant de perceptions qui ont étéauparavant dans l'âme, à moins que la réminiscencene puisse subsister sans réminiscence. Car cette persuasion,où l'on est intérieurement sûr qu'une telleidée a été auparavant dans notre esprit, est proprementce qui distingue la réminiscence de toute autrevoie de penser.THÉOPHILE. Pour que les connaissances, idées ouvérités soient dans notre esprit, il n'est point nécessaireque nous y ayons jamais pensé actuellement :ce ne sont que des habitudes naturelles, c'est-à-diredes dispositions et aptitudes actives et passives, etplus que Tabula rasa. Il est vrai cependant que lesPlatoniciens croyaient que nous avions déjà penséactuellement à ce que nous retrouvons en nous ; et,pour les réfuter, Une suffit pas de dire que nous nenous en souvenons point, car il est <strong>sur</strong> qu'une infinitédo pensées nous revient que nous avons oublié d'avoireues. Il est arrivé qu'un homme a cru faire un versnouveau qu'il s'est trouvé avoir lu mot pour motlongtemps auparavant dans quelque ancien Poète. Etsouvent nous avons une facilité non commune deconcevoir certaines choses, parce quo nous les avonsconçues autrefois sans que nous nous en souvenions.Il so peut qu'un enfant devenu aveugle oublie d'avoirjamais vu la lumière et les couleurs, comme il arriva,à l'âge do deux ans et demi par la petite vérole, à cecélôbro Ulric SchOnbcrg, natif do Wcidc au Hai|t-Palatinal, qui mourut à KOnigsbcrg en Prusse en 1010,où il avait enseigné la Philosophie et les Malhéma-


203 LES NOUVEAUXESSAIS,tiques avec l'admiration de tout le monde. Il se peutaussi qu'il reste à un tel homme des effets des anciennesimpressions sans qu'il s'en souvienne. Jecrois que les songes nous renouvellent souvent ainsid'anciennes pensées. Jules Scaliger ayant célébré envers les hommes illustres de Vérone, un certain soirdisant Brugnolus, Bavarois. d'origine, mais depuisétabli à Vérone, lui parut en songe et se plaignitd'avoir été oublié. Jutas Scaliger, ne se souvenant pasd'en avoir ouï parler auparavant, ne laissa point defaire des vers élégiaques à son honneur <strong>sur</strong> ce songe.Enfin le fils Joseph Scaliger, passant en Italie, apprit.plus particulièrement qu'il y avait eu autrefois àVérone un célèbre Grammairien ou Critique savantde ce nom qui avait contribué au rétablissement dosbcllcs-lcllres en Italie. Cette histoire se trouve dansles poésies de Scaliger le père avec l'Élégie, et danstas lettres du fils. On la rapporte aussi dans les Scaligeranaqu'on a recueillis des conversations deJoseph Scaliger. Il y a bien de l'apparence que JulesScaliger avait su quelque chose de Brugnol,dont il nose souvenait plus, et quo le songe avait été en partie lerenouvellement d'une ancienne idée, quoiqu'il n'y aitpas eu cette réminiscence proprement appelée ainsi,qui nous fait connaître que nous avons déjà ou cettemême idée. Du moins je ne vois aucune nécessité quinous oblige d'as<strong>sur</strong>er qu'il ne reste aucune trace1. Scallgerana, ou Bons mots,rencontres agréables et remarquesuiicieus't et savantes dej. Scaliger.Cologne, 1095. Il y eut deuxrecueils do Scallgerana, les Scallgeranaprima et tecunda.


LES NOUVEAUX ESSAIS. 209d'uno perception, quand il n'y en a pas assez pour sesouvenir qu'on l'a eue.§ 24. PHILALÈTHE. Il faut que je reconnaisse quovous répondez assez naturellement aux difficultés quenous avons formées contre les vérités innées. Peutêtreaussi que nos auteurs ne les combattent pointdans ta sens que vous les soutenez. Ainsi je reviensseulement à vous dire, Monsieur, qu'on a eu quelquesujet de craindre que l'opinion des vérités innées neservît de prétexte aux paresseux de s'exempter de lapeine des recherches, et donnât la commodité auxdocteurs et maîtres do poser pour principe des principesque les principes ne doivent pas être mis enquestion.THÉOPHILE.J'ai déjà dit que si c'est là le dessein devos amis de conseiller qu'on cherche les preuves desvérités qui en peuvent recevoir sans distinguer si ellessont innées ou non, nous sommes entièrement d'accord;et l'opinion des vérités innées, de la manièrequo je les prends, n'en doit détourner personne, car,outre qu'on fait bien de rechercher la raison desinstincts, c'est une de mes grandes maximes qu'il estbon de chercher les démonstrations des Axiomesmômes, et je me souviens qu'à Paris, lorsqu'on semoquait do feu M. Robcrval 4 déjà vieux, parce qu'iloulait démontrer ceux d'Euclido à l'exemple d'Apolonius9 et de Procltts, je fis voir l'utilité de celle1. Hobcrv.il, mathématicien franai«,né en ICOî, mort en 1075.9. Apollonius de Pcrgn, mathéalicicngrec, disciple d'Archlmède,qui vivait à Alrxandrio sousle règno do Ploléméo Philopator. Ilest l'auteur d'un traité célèbre dessections coniques.LEIBNIZ. 14


210 LES NOUVEAUX ESSAIS.recherchel. Pour ce qui est du Principe de ceux quidisent qu'il ne faut point disputer contre celui quinie les principes, il n'a lieu entièrement qu'à l'égardde ces principes qui ne sauraient recevoir ni douteni preuve. Il est vrai que, pour éviter les scandales etles désordres, on peut faire des règlements à l'égarddes disputes publiques et de quelques autres conférences,en vertu desquels il soit défendu de mettreen contestation certaines vérités établies : mais c'estplutôt un point de police que de philosophie.1. Proclus, philosophe néoplatonicien,né i Constaulinople en 413,mort en 485, était mathématicienet astronome.


EXTRAITSEXTRAIT N« 1.SUR L'ESSAI DE L'ENTENDEMENT HUMAIN DE M. LOCKE 1.Je trouve tant de marques d'une pénétration peuordinaire dans ce que M. L\ocke nous a donné <strong>sur</strong>l'entendement de l'homme et <strong>sur</strong> l'éducation, et jejuge la matière si importante, que j'ai cru ne pas malemployer le temps que je donnerais à une lecture siprofitable, d'autant quo j'ai fort médité moi-même<strong>sur</strong> ce qui regarde les fondements de nps connaissances.C'est ce qui m'a fait mettre <strong>sur</strong> cette feuillequelques-unes des remarques qui ino sont venuesen lisant son Essai de l'Entendement.De toutes los recherches,il n'y on a pas de plus importante,puisque c'est la clef de voûte do toutes lesautres. Le premier livre regarde principalement lesprincipes qu'on dit ôtro nés avec nous. M. Locke noles admet pas, non plus qu'ideas innatas. Il a ousans doute de grandes raisons do s'opposer en celaaux préjugés ordinaires; car on abuse extrêmementdu nom des idées et des principes. Les Philosophesvulgaires se font des principes à leur fantaisie; et lesCartésiens, qui font profession de plus d'exactitude,1. Publié par Gcrhardl, Écrits philosophiques de LeibUis, vol, V


«12 EXTRAITS.no laissent pas de faire lour retranchement dos idéesprétenduos do retendue, do la matiôro et do l'âmo,voulant s'oximor par là do la nécossité do prouverco qu'ils avancent, sous prétexte que coux qui méditerontles idées y trouveront la mémo choso qu'eux,c'est-à-dirè quo coux qui s'accoutumeront à leur jargonet à leur manière de penser auront les mômes préventions,ce qui ost très véritable.Mon opinion est donc qu'on ne doit rien prendrepour principe primitif, sinon les expériences, etl'axiomode l'identicité ou (qui est la môme choso) de contradiction,qui est primitif, puisqu'autrement il n'yaurait pas de différence entre la vérité et la faussotô,et que toutes tas recherches cesseraient d'abord, s'ilétait indifférent de dire oui ou non. On ne sauraitdonc s'empêcher de supposer ce principe dès qu'onveut raisonner. Toutes les autres vérités sont prouvables,et j'estime extrêmement la méthode d'Euclide,qui, sans s'arrêtera ce qu'on croirait être assez prouvépar les prétendues idées, a démontré par exemple quedans un triangle un côté est toujours moindre quotas deux autres ensemble. Cependant Enclidc a euraison de prendre quelques axiomes pour accordés,non pas commo s'ils étaient vraiment primitifs et indémontrables,mais parce qu'il se serait arrêté s'iln'avait v,oulu venir aux conclusions qu'après une,discussionexacte des principes. Ainsi il a jugé à proposde se contenter d'avoir poussé les preuves jusqu'à cepetit nombre de propositions, en sorte qu'on peutdire que si elles sont vraies, tout ce qu'il dit l'est


EXTRAITS. 213aussi. Il a laissé à d'autres lo soin de démontrer encorocos principes mômes, qui d'ailleurs sont déjàjustifiés par tas oxpérioncos. Mais c'est do quoi on nose contonte pas en ces matières. C'est pourquoi Apollonius,Proclus et d'autres ont pris la peine de démontrerquelques-uns des axiomes d'Euclide. Cettemanière de procéder doit ôtre imitéodes Philosophes,pour venir enfin à quelques établissements, quand ilsno seraient que provisionnels de la manièro que jeviens do dire.Quant aux idées, j'en ai donné quelque éclaircissementdans un petit écrit imprimé dans les Actes desSavants, do Leipzig, au mois do novembre 1684,p. 537, qui est intitulé : Meditationes de Cognitione,Veritate et ldeis ; et j'aurais souhaité quo M. Lockol'eût vu et-examiné; car je suis des plus dociles, etrien n'est plus propre à avancer nos penséesque lesconsidérations et tas remarques des personnes de mérite,lorsqu'elles sont faites avec attention et avec sincérité.Je dirai seulement ici que les idées vraies ouréelles sont celles dont on est as<strong>sur</strong>é que l'exécutionest possible ; les autres sont douteuses ou (en cas depreuve de l'impossibilité) chimériques. Or la possibilitédes idées se prouve tant a priori par des démonstrations,en se servant de la possibilité d'autres idées'plus simples, qu'a posteriori par tas expériences ; carce qui est ne saurait manquer d'être possible. Maistas idées primitives sont celles dont la possibilité estindémontrable, et qui, en effet, no sont autre choseque tas attributs de Dieu.


214 EXTRAITS.Pour co qui ost do la question, s'il y a des idées etdos vérités nées avec nous, je no trouvo point absolumentnécessaire pour les commencements, ni pour lapratique de l'art do ponser, do la décider; soit qu'ellosnous viennent toutes du dehors ou qu'elles viennentdo nous, on raisonnera juste, pourvu qu'on garde ceque j'ai dit ci-dessus ot qu'on procède par ordro etsans prévention. La question do l'origine de nos idéoset do nos maximes n'est pas préliminaire en philosophie,et il faut avoir fait de grands progrès pour labien résoudre. Je crois cependant pouvoir dire quonos idées, même celles des choses sensibles, viennentde notre propre fonds, dont on pourra mieux jugerpar ce que j'ai publié touchant la nature ot la communicationdes substances, et ce qu'on appelle l'uniondo l'âme et du corps. Car j'ai trouvé quo ces chosesn'avaient pas été bien prises. Je ne suis nullementpour la Tabula rasa d'Aristote, et il y a quelquechose de solido dans ce que Platon appelait la réminiscence.Il y a même quelque chose de plus, carnous n'avons pas seulement une réminiscence detoutes nos penséespassées,mais encoro un pressentimentde toutes nos pensées futures. Il est vrai quec'est confusément et sans les distinguer, à peu prèscommo lorsque j'entends le bruit do la mer, j'entendscelui de toutes les vagues en particulier qui composentle bruit total, quoique ce soit sans discerner unevague de l'autre. Ainsi il est vrai, dans un certainsens que j'ai expliqué, que non seulement nos idéos,mais encore nos sentiments, naissent do notre propre


EXTRAITS. 215fonds, et quo l'âme est plus indépendante qu'on nopense, quoiqu'il soit toujours vrai quo rien no sopasse en elle qui ne soit déterminé, et quo rien ne sotrouvo dans les créatures que Dieu no crée continuellement;Dans le livre II, qui vient au détail des idées, j'avoueque les raisons de M. Locko pour prouvor quol'âme est quelquefois sans penser à rien no me paraissentpas convaincantes, si ce n'est qu'il donne le nomdo pensées aux seules perceptions qui sont asseznotablespour ôtre distinguées et retenues. Je tiens quol'âme et même le corps n'est jamais sans action, etque l'âme n'est jamais sans quelque perception : mémoon dormant sans avoir des songes, on a quelque sentimentconfus et sombre du lieu où l'on est et d'autreschoses. Mais quand l'expérience ne tas confirmeraitpas, je crois qu'il y en a démonstration. C'est à peuprès comme on no saurait prouver absolument par lesexpériences s'il n'y a pas de vide dans l'espace, et s'iln'y a point de repos dans la matière. Et cependant cessortes de questions me paraissent décidées démonstrativement,aussi bien qu'à M. Locke.Je demeure d'accord de la différence qu'il met avecbeaucoup de raison entre la matière et l'espace ; maispour ce qui est du vide, plusieurs personnes habilesl'ont cru. M. Locke est de ce nombre ; j'en étais presquepersuadé moi-môme, mais j'en suis revenu depuislongtemps. Et l'incomparable M. Huygcns, quiétait aussi pour le vide et pour les Atomes, commençaà la fin de taire réflexion <strong>sur</strong> mes raisons, comme ses


216 EXTRAITS.lettres le peuvent témoigner. La prcuvo du vide prisedu mouvement, dont M. Locko so sert, suppose que lecorps est originairement dur et qu'il est composé d'uncertain nombre de parties inflexibles. Car en co casil serait vrai, quelque nombre fini d'Atomes qu'onpourrait prendre, que lo mouvement ne saurait avoirlieu sans vide. Mais toutes los parties de la matièresont divisibles et môme pliables.Il y a encore quelques autres chosesdans ce secondlivre qui m'arrêtent; par exemple lorsqu'il est dit,chapitre xvii, que l'infinité ne se doit attribuer qu'al'espace, au temps et aux nombres. Je crois à la vérité,avec M. Locke, qu'à proprement parler on peutdire qu'il n'y a point d'espace, de temps ni de nombre,qui soit infini, mais qu'il est seulement vrai que pourgrand [que soit un nombre, on peut toujours en trouverun autre qui soit plus grand] que lui, sans fin ; etqu'ainsi le véritable infini ne se trouve point dans untout composéde parties. Cependant il ne laisse pas dese trouver ailleurs, savoir dans l'Absolu, qui est sansparties et qui a influence <strong>sur</strong> les chosescomposées,parce qu'elles résultent de la limitation de l'absolu.Donc l'infini positif, n'étant autre chose que l'absolu,on peut dire qu'il y a en ce sens une idée positive del'infini, et qu'elle est antérieure à celle du fini. Aureste, en rejetant un infini composé, on ne nie pointce que les géomètres démontrent deSeriebus infinitis,et particulièrement ce que nous a donné l'excellentM. Newton, sans parler do co que j'y ai contribuémoi-môme.


EXTRAITS. 217Quant à ce qui C3tdit chapitre xxx, De ideis adoequatis,il est permis do donner aux termes la significationqu'on trouve à propos. Cependant, sans blâmerle sens do M. Locko, jo mots des degrés dans les idées,selon lesquelles j'appelle adéquates celles où il n'y aplus rien à expliquer, à peu près comme dans lesnombres. Or toutes les idées des qualités sensibles,comme do la lumière, couleur, chaleur, n'étant pointde cette nature, je no les compte point parmi tas adéquates.Aussi n'est-ce point par elles-mêmes, ni apriori, mais par l'expérience, que nous en savons laréalité ou la possibilité.Il y a encore bien de bonnes chosesdans le livre III,où il est traité des Mots ou Termes. Il est très vraiqu'on ne saurait tout définir, et que tas qualités sensiblesn'ont point de définition nominale, ainsi onles peut appeler primitives en ce sens-là; mais ellesno laissent pas do pouvoir recevoir une définitionréelle. J'ai montré la différence de ces deux sortes dedéfinitions dans la méditation citée ci-dessus. La définitionnominale explique ta nom par les marques dola chose, mais la définition réelle fait connaître apriori la possibilité du défini. Au reste, j'applaudisfort à la doctrine de M. Locke touchant la démonstrabilitédes vérités morales.Lo quatrième ou dernier livre, où il s'agit de laconnaissance de la vérité, montre l'usage de ce quivient d'être dit. J'y trouve, aussi bien que dans leslivres précédents, une infinité de belles réflexions. Defaire là-dessus les remarques convenables, ce serait


218 EXTRAITS.encore,faite un livre aussi grand que l'ouvrago môme. Il moscmblo quo les Axiomes y sont un peu moins considérésqu'ils no méritent de l'être. C'est apparemmentparce que, excepté ceux des Mathématiciens, on n'entrouve guère ordinairement qui soient importants etsolides; j'ai tâché do remédier à co défaut. Je ne méprisepas les Propositions identiques, et j'ai trouvéqu'elles ont un grand usago, mémo dans l'analyse. Ilest très vrai que nous connaissons notro existence parune intuition immédiate,, et celle de Dieu par démonstration,et qu'une masse de matière, dont lesparties sont sans perception, no saurait faire un toutqui pense. Je ne méprise point l'argument inventé ily a quelques siècles par Anselme, archevêque de Cantorbéry,qui prouve que l'être parfait doit exister,quoique je trouve qu'il manque quelque choso à cetargument, parce qu'il suppose que l'être parfait estpossible. Car si ce seul point so démontraitla démonstration tout entière serait entièrementachevée.Quant à la connaissance des autres choses, il estfort bien dit que la seule expérience ne suffit pas pouravancer assezen physique. Un esprit pénétrant tireraplus de conséquences de quelques expériences assezordinaires, qu'un autre ne saurait tirer des plus choisies,outre qu'il y a un art d'expérimenter et d'interrogerpour ainsi dire la nature. Cependant il est toujoursvrai qu'on ne saurait avancer dans ta détail dela physique qu'à me<strong>sur</strong>e qu'on a des expériences.Notre auteur est de l'opinion de plusieurs habiles


EXTRAITS. 219hommes, qui tiennent que la forme des Logiciens estdo peu d'usage. Je serais quasi d'un autro sentiment,et j'ai trouvé souvent quo tas paralogismes, mémodans les mathématiques, sont des manquements de laforme. M. Huygcns a fait la même romarque. Il yaurait bien à dire là-dessus; et plusieurs choses excellentessont méprisées, parce qu'on n'en fait pasl'usage dont elles sont capables. Nous sommes portésà mépriser ce que nous avons appris dans les écoles.11est vrai quo nous y apprenons bien des inutilités;mais il est bon de faire la fonction délia Crusca, c'està-direde séparer le bon du mauvais.M. Locko lo peut faire autant que qui que co soit,et, do plus, il nous donne des pensées considérablesde son propre cru; sa pénétration et sa droiture paraissentpartout. Il n'est pas seulement essayeur, maisil est encore transmutateur, par l'augmentation qu'ildonne du bon métal. S'il continuait d'en faire présentau public, nous lui en serions fort redevables.EXTRAIT N° 2ÉCHANTILLON DE RÉFLEXIONS SUR LE PREMIER LIVREDE L'ESSAI DE L'ENTENDEMENT DE L'HOMME 1.Pour prouver qu'il n'y a point d'idées nées avecnous, l'excellent Auteur de l'Essai <strong>sur</strong> l'entendement1. Publié par Gcrhardt, Écrits philosophiques de Leibnit, vol. V.


220 EXTRAITS.do l'homme allègue l'oxpérienco, qui fait voir quenous avons besoin d'occasions extérieures, pour pensorà ces idées. J'on domeure d'accord, mais il ne mosemble point qu'il s'ensuit quo les occasions qui losfont envisager, les font naître. Et cette expérience nosaurait déterminer si c'est par immission d'uneespèce ou par l'impression des traces <strong>sur</strong> un tableauvide, ou si c'est par lo développement do co qui estdéjà en nous, que nous nous en apercevons. Il n'estpas extraordinaire qu'il y ait quelque chose en notreesprit dont nous ne nous apercevions point toujours.La réminiscence fait voir que nous avons souvent dela peine à nous souvenir de ce que nous savons, et àattaquer ce qui est déjà dans le clos et dans la possessiondo nçlre entendement. Cela se trouve vrai dansles connaissances acquises, rien n'empêche qu'il nesoit vrai aussi dans celles qui sont nées avec nous.môme il y a encoro plus de difficulté de s'apercevoirde ces dernières, quand elles n'ont pas encoro étémodifiées et circonstanciées par des expériences,comme les acquises le sont, dont souvent les circonstancesnous font souvenir. L'Auteur entreprend defaire voir en particulier que l'impossibilité et l'identité,le tout et la partie, n'ont point d'idées nées avecnous. Mais je ne comprends point la force des preuvesqu'il apporte. J'avoue qu'on a de la peine à faire quoles hommes s'aperçoivent distinctement de ces notionsmétaphysiques, car les abstractions et tas réflexionsleur coûtent. Mais on peut avoir en soi ce qu'on a dola peine à y distinguer. Il faut cependant quelqueEt


EXTRAITS. 221autre choso quo l'idéo do l'identité pour déterminerla question, qu'on propose ici, savoir : si Euphorboot Pythagoro et lo coq mômo, où l'àmo do Pythagorologeait pour quelque temps, ont toujours été lo mêmeindividu, et il ne s'ensuit point quo ceux qui no lapeuvent point rôsoudro, n'ont point d'idéo do l'identité.Qu'y a-t-il do plus clair quo les idées do Géométrio?cependant il y a des questions qu'on n'a pasencoro pu décider. Mais celle qui regarde l'identitéde Pythagoro suivant la fiction de sa métamorphosen'est pas des plus impénétrables.Pour ce qui est de l'idéo do Dieu, on allègue lesoxemplcs do quelques nations, qui n'en ont eu aucuneconnaissance. Mous. Fabritius, théologien fort éclairédu feu Électeur Palatin Charles-Louys, a publiél'Apologie du genre humain contre l'accusation dol'Athéisme, où il répond à des passages tels qu'oncite ici. Mais je n'entre point dans cette discussion.Supposé qu'il y ait des hommes, et même des peuples,qui n'aient jamais pensé à Dieu, on peut dire quocela prouve seulement qu'il n'y a point eu d'occasionsuffisante pour réveiller en eux l'idée do lasubstance suprême.Avant que de passer aux principes complexes ouvérités primitives, je dirai que je demeure d'accordque la connaissance ou bien l'envisagcmont actuel desidées et des vérités n'est point né avec nous, et qu'iln'est point nécessaire que nous les ayons connuesdistinctement autrefois, selon la réminiscence dePlaton. Mais, l'idée étant prise pour l'objet immédiat


222 EXTRAITS.interne d'une notion, ou do co que les Logiciensappellent un Terme incomploxe, rien no l'empêched'être toujours en nous, car ces objets pouvont subsisterlorsqu'on ne s'en aperçoit point. On peutencore diviser les idées et les vérités en primitives etdémotives : tas connaissances dos primitives n'ontpoint besoin d'être formées, il faut tas distinguerseulement; celles des dérivatives se forment parl'entendement et par lo raisonnement dans les occasions.Cependant on peut dire en un sens quo lesobjets internes do cos connaissances, c'est-à-diro loiidées et les vérités mômes, tant primitives quo dérivatives,sont toutes en nous, puisque toutes les idéosdérivatives et toutes los vérités qu'on en déduit résultentdes rapports des idées primitives qui sont ennous. Mais l'usage fait qu'on a coutume d'appelernées avec nous les vérités à qui on donno créanceaussitôt qu'on les entend ; et les idées dont la réalité(c'est-à-dire la possibilité do la chose qu'elle représente)est du nombre do ces vérités et n'a pointbesoin d'être prouvée par l'expérience ou par la raison; il y a donc assez d'équivoque dans cette question,et il suffit dans le fonds do reconnaître qu'il y a unolumière interne née avec nous, qui comprend toutesles idées intelligibles et toutes les vérités nécessairesqui ne sont qu'une suite de ces idées et n'ont pointbesoin de l'expérience pour être prouvées.Pour réduire donc cette discussion à quelque utilité,je crois que le vrai but qu'on y doit avoir est dodéterminer lé fondement des vérités et leur origine.


EXTRAITS. 223J'avoue quo los vérités contingentes ou do fait nousvionnent par l'observation et par l'expérience; maisjo lions quo les vérités nécessaires dérivativos dépondentdo la démonstration, c'est-à-dire des définitionsou idées, jointes aux vérités primitives. Et les véritésprimitives (toiles quo lo principe de la contradiction)no viennent point dos sons ou do l'expérience et n'ensauraient êtro prouvées parfaitement, mais do lalumière naturelle interne, et c'est ce que je veux endisant qu'elles sont nées avec nous. C'est ce quoles Géomètres aussi ont fort bien compris. Ils pouvaientprouver passablement leurs propositions (aumoins les plus importantes) par l'expérience, et je nodoute point que les anciens Égyptiens et les Chinoisn'aient eu une telle géométrie expérimentale. Maisles Géomètres véritables, <strong>sur</strong>tout les Grecs, ont voulumontrer la force de la raison et l'excellence de lascience, en faisant voir qu'on peut tout prévoir en cesmatières par les lumières internes avant l'expérience.Aussi faut-il avouer que l'expérience ne nous as<strong>sur</strong>ejamais d'une parfaite universalité, et encore moinsde la nécessité. Quelques anciens so sont moquéd'Euclide, do ce qu'il a prouvé ce qu'âne mêmen'ignore pas (à ce qu'ils disent), savoir, que dans untriangle les deux côtés ensemble sont plus grandsque le troisième. Mais ceux qui savent ce que c'estque la véritable analyse, savent bon gré à Euclide dosa preuve. Et c'est beaucoup quo tas Grecs, si peuexacts en autre chose, l'ont été tant en Géométrie.Je l'attribue à la Providence, et je crois que sans cela


ITS.nous ne saurions prosquo point co que c'est quo démonstration,Aussi crois-jo quo c'est on cola principalementquo nous sommes supérieurs aux Chinoisjusqu'ici,Mais il faut encoro voir un peu co que dit notrohabita et célèbre Auteur dans les chapitres u ot mpour soutenir qu'il n'y a point do principos nés avecnous. Il s'opposo au consentement universel qu'onallègue en leur faveur, soutenant quo bien dos gensdoutent même de ce fameux principe que deux contradictoiresne sauraient Ôtro vraies ou fausses à lafois, et que la plus grande partie du genre humainl'ignoro tout à fait. Il avoue qu'il y a uno infinité dopersonnes qui n'en ont jamais fait une énonciationexpresse. J'ai vu môme des auteurs qui l'ont vouluréfuter, le prenant sans doute de travers. Mais où entrouvera-t-on qui no s'en serve en pratique et qui nesoit choqué d'un menteur qui se contredit? Cependantjo ne me fonde pas entièrement <strong>sur</strong> ta consentementuniversel : et quant aux propositions qu'onapprouve aussitôt qu'elles sont proposées, j'avouoqu'il n'est point nécessaire qu'elles soient primitivesou prochaines d'elles, car il se peut que ce,.soient desfaits fort communs. Pour ce qui est de cette énonciationqui nous apprend qu'un et un font doux (quel'Auteurapporte comme un exempta), ello n'ost pasun Axiomo, mais une définition. Et lorsqu'on dit quola douceur est autre choso que l'amertume, on norapporte qu'un fait do l'expérience primitive ou de laperception immédiate Ou bien on ne fait quo dire


EXTRAITS, 225quo la perception de ce qu'on entend par lo mot do laDouceur, ost différente do la perception do ce qu'onentend par lo mot do l'Amertume. Jo no distinguepoint ici tas vérités pratiques de celles qui sont spéculatives: c'est toujours la môme choso. Et commoon peut dire quo c'est uno vérité dos plus manifestes,qu'une substance dont la science et la puissance sontinfinies, doit être honorée, on peut dire qu'elloémane d'abord de la lumière qui est née avec nous,pourvu qu'on y puisse donner son attention.ÉCHANTILLON DE RÉFLEXIONS SUR LE DEUXIÈME LIVnE.Il est très vrai que nos perceptions des idées viennentou des sens extérieurs ou dessensinternes qu'onpeut appeler réflexion; mais cette réflexion no soborne pas aux seules opérations de l'esprit, comme ildit chap. i, § 4, cita va jusqu'à l'esprit lui-même,et c'est en s'apercevant de lui que nous nous apercevonsde la substance.J'avoue queje suis du sentiment de ceux qui croientque l'âme pense toujours, quoique ses pensées soientsouvent trop confuses et trop faibles pour qu'elle s'enpuisse souvenir distinctement. Je crois d'avoir despreuves certaines de l'action continuelle de l'âme, etmême je crois quo le corps ne saurait jamais être sansmouvement. Les objections faites par l'Auteur (liv. II,chap. i, §§ 10 jusqu'à 19) se peuvent résoudre facilementpar ce qu'on vient do dire ou qu'on va dire. Onse fonde <strong>sur</strong> l'expérienco du sommeil qui est quel-LEIBN1Z. 15


226 EXTRAITS.qucfois sans aucun songe; et, en effet, il y a despersonnes qui ne savent ce que c'est que songer.Cependant il n'est pas toujours sûr de nier tout cedont on ne s'aperçoit point. Et c'est à peu près commelorsqu'il y a des gens qui nient les petits corps et tasmouvements insensibles, et se moquent des particules,parce qu'on ne les saurait montrer. Mais onme dira qu'il y a des preuves qui nous forcent do lesadmettre. Jo réponds qu'il y en a de môme qui nousobligent d'admettre les perceptions qui no sont pasassez notables pour qu'on s'en souvienne. L'expérienceencore favorise ce sentiment; par exemple,ceux qui ont dormi dans un lieu froid remarquentd'avoir eu quelque sentiment confus et faible en dor*inant. Jo connais une personne qui s'éveille quandla lampe qu'elle lient toujours allumée la nuit danssa chambre, cessed'éclairer. Mais voici quelque chosede plus précis, et qui fait voir quo, si on n'avait pointtoujours des perceptions, on ne pourrait jamais ôtreréveillé du sommeil. Qu'un homme qui dort soitappelé par plusieurs à la fois, et qu'on suppose quela voix do chacun à part ne soit pas assez forte pourl'éveiller, mais que lo bruit do toutes ces voix ensemblel'éveille; prenons-en une : il faut bien qu'il aitété touché do celte voix en particulier, car les partiessont danslo tout, et si chacune à part ne fait rien dutout, lo tout no fera rien non plus. Cependant ilaurait continué de dormir si elle avait été seule, clcela sans se souvenir d'avoir été appelé. Ainsi il y ades perceptions trop faibles pour ôtro remarquées,


EXTRAITS. 227quoiqu'elles soient toujours retenues, mais parmi untas d'une infinité d'autres petites perceptions quonous avons continuellement. Car ni mouvements niperceptions no se perdent jamais, l'un et l'autre continuenttoujours, devenant seulement indistinguablcspar la composition avec beaucoup d'autres. On pourraitrépondre à ce raisonnement qu'effectivementchaque voix à part touche le corps, mais qu'il en fautuno certaine quantité pour que le mouvement ducorps aille à l'âme. Je réponds que la moindre impressionva à tout corps, et par conséquent à celuidont les mouvements répondent aux actions de l'âme.Et après cela on ne saurait trouver aucun principe dolimitation pour qu'il faille uno certaine quantité. Jono veux point insister <strong>sur</strong> l'intérêt quo l'Immortalitéde l'âme a dans cette doctrine. Car si l'âme est sansopération, cita est autant que sans vie, et il semblequ'ollo ne peut être immortelle que par grâce et parmiracle : sentiment qu'on a raison de désapprouver;J'avoue cependant quo notre intérêt n'est pas la rcglodo la vérité; et je ne veux point mêler ici les raisonsThéologiquesavec celles de la Philosophie.


228 EXTRA ITaEXTRAIT N1 3LES PERCEPTIONS INSENSIBLES.— L'AME PËNSË-T-ELLETOUJOURS(<strong>Nouveaux</strong> Essais, liv, II, ch. i, § 9.)§ 9. PHILALÈTHE.Après cela, voyons quand on doitdire que l'âme commence d'avoir de la perception etde penser actuellement aux-idées. Je sais bien qu'il ya une opinion qui pose que l'âme pense toujours, etque la pensée actuelle est aussi inséparable de l'âmeque l'extension actuelle est inséparable du corps(§ 10). Mais je ne saurais concevoir qu'il soit plusnécessaire à l'âme do penser toujours qu'au corpsd'être toujours en mouvement, la perception des idéesétant à l'âme ce que le mouvement est au corps. Celame parait fort raisonnable au moins, je serais bienaise, Monsieur, de savoir votre sentiment là-dessus.THÉOPHILE. Vous l'avez dit, Monsieur, l'actionn'est pas plus attachée à l'âme qu'au corps, un étatsans pensée dans l'âme et un repos absolu dans lecorps me paraissant également contra res a la natureet sans exemple dans le monde. Une substance quisera une fois en action le sera toujours, car toutes lesimpressions demeurent et sont mêlées seulementavec d'autres nouvelles. Frappant un corps, on yexcite ou détermine plutôt une infinité de tourbillonscomme dans une liqueur; car dans ta fond tout solidea un degré de liquidité et tout liquide un degré do


EXTRAITS. 229solidité, et il n'y a pas moyen d'arrêter jamais entièrementces tourbillons internes : maintenant on peutcroire quo si le corps n'est jamais en repos, le corpsqui y répond ne sera jamais non plus sans perception...§ 11. PHILALÈTHE. Il n'est pas aisé de concevoirqu'une chose puisse penser et ne pas sentir qu'ellepense.THÉOPHILE.Vo5là sans doute le noeud do l'affaireet la difficulté qui a embarrassé d'habiles gens; maisvoici le moyen d'en sortir. Il faut considérer quonous pensons à quantité de choses à la fois, maisnous ne prenons garde qu'aux pensées qui sont lesplus distinguées : et la chose ne saurait aller autrement,car, si nous prenions garde à tout, il faudraitpenser avec attention à une infinité do choses enmême temps, que nous sentons toutes et qui fontimpression <strong>sur</strong> nos sens. Je dis bien plus : il restequelque chose de toutes nos pensées passées, etaucune n'en saurait jamais être effacée entièrement.Or, quand nous dormons sans songe et quand noussommes étourdis par quelque coup, chute, syncopeou autre accident, il so forme en nous une infinitéde petits sentiments confus, et la mort mômo nosaurait faire un autre effet <strong>sur</strong> les âmes des animaux,qui doivent sans doulo reprendre tôt ou tard des perceptionsdistinguées, tout va par ordre dans la nature.J'avouo cependant qu'en cet état do confusion l'Ameserait sans plaisir et sans douleur, car ce sont desperceptions notables,


230 EXTRAITS.i. § 12. PHILALÈTHE.N'est-il pas vrai quo ceux avecqui nous avons présentement affaire, c'est-à-dire lesCartésiens, qui croient que l'âme pense toujours,accordent la vie à tous tas animaux différents dol'homme, sang leur donner une âme qui connaisse etqui pense; et que les mômes ne trouvent aucunedifficulté do dire quo l'âme puisse penser sans cirejointe à un corps ?THÉOPHILE.Pour moi, jo suis d'un autre sentiment;car, quoique je sois de celui des Cartésiens ence qu'ils disent que l'âme pense toujours, je ne lesuis dans les deux autres points. Je crois que lesbêtes ont des âmes impérissables et que les âmeshumaines et toutes les autres ne sont jamais sansquelque corps : je tiens même que Dieu seul, commoétant un acte pur, en est entièrement exempt.PHILALÈTHE.Si vous aviez été du sentiment desCartésiens, j'en aurais inféré que le corps de Castorou do Pollux, pouvant être tantôt avec, tantôt sans âme,quoiquo demeurant toujours vivants, et l'âme pouvantaussi être tantôt dans un tel corps et tantôtdehors, n'auraient qu'une seule âme qui agirait alternativementdans le corps de ces deux hommes endormiset éveillés tour à tour : ainsi elle ferait deuxpersonnes aussi distinctes que Castor et Herculepourraient l'être.THÉOPHILE.Je vous ferai une autre supposition àmon tour, qui parait plus naturelle. N'cst-il pas vraiqu'il faut toujours accorder qu'après quelque intervalleou quelque grand changement on peut tomber


EXTRAITS. 231dans un oubli général? Sloidan, dit-on, avant que demourir, oublia tout ce qu'il savait. Et il y a quantitéd'autres exemples de co triste événement. Supposonsqu'un tel homme rajeunisse et apprcnno tout de nouveau.Sera-ce un autre homme pour cela? Ce n'ostdonc pas le souvenir qui fait justement le mémohomnio. Cependant la fiction d'uno âme qui onimodes corps différents tour à tour, sans quo co qui luiarrive dans l'un de ces corps', l'intéresse dans l'autre,est une de ces fictions contraires à la naluro deschoses, qui viennent des notions incomplètes desphilosophes, comme l'espace sans corps et le corpssans mouvement, et qui disparaissent quand on pénètreun peu plus avant; car il faut savoir que chaquoâme gardo toutes los impressions précédentes et nosaurait so mi-parlir de la manière qu'on vient de dire.L'avenir dans chaque substance a une parfaite liaisonavec ta passé. C'est ce qui fait l'identitédo l'individu.Cependant lo souvenir n'est point nécessaire ni mémotoujours possible, à cause de la multitude des impressionsprésentes et passées qui concourent à nos penséesprésentas, car jo no crois point qu'il y ail dansl'homme des pensées dont il n'y ait quelquo effet aumoins confus, ou quelque reste môle avec les penséessuivantes. On peut oublier bien des choses, mais onpourrait aussi se ressouvenir de bien loin si l'on étaitramené commo il faut.PHILALÈTHE. Ceux qui viennent à dormir sans faireaucun songe no peuvent jamais être convaincus quoleurs pensées soient en action.


232 EXTRAITS.THÉOPHILE.On n'est pas sans quelque sentimentfaible pendant qu'on dort, lors môme qu'on est sanssonge. Le réveil môme le marque; et plus on est aiséà être éveillé, plus on ado sentiment do ce qui sepasse au dehors, quoique ce sentiment ne soit pastoujours assezfort pour causer le réveil.§ 14. PHILALÈTHE.Il paraît bien difficile de concevoirque dans co moment l'âme pense dans unhomme endormi, et le moment suivant dans unhomme éveillé, sans qu'elle s'en ressouvienne.THÉOPHILEṆon seulement cela est aisé à concevoir,mais mémo quelque chose de semblable s'observetous les jours pendant qu'on veille ; car nousavons toujours des objets qui frappent nos yeux ounos oreilles, et par conséquent l'âme en est touchéoaussi, - sans que nous y prenions garde : parce quenoire attention est bandée à d'autres objets, jusqu'àce que l'objet devienne assez fort pour l'attirer à soien redoublant son action ou par quelque autre raison ;c'était commo un sommeil particulier à l'égard de cetobjet-là, et ce sommeil devient général lorsque notreattention cesse à l'égard do tous tas objets ensemble.C'est aussi un moyen de s'endormir quand on partagel'attention pour l'affaiblir.PHILALÈTHE.J'ai appris d'un hommo qui dans sajeunesse s'était appliqué à l'étude et avait eu la mémoireassez heureuse, qu'il n'avait jamais eu aucunsonge avant quo d'avoir eu la fièvre, dont il venaitd'être guéri dans le temps qu'il mo parlait, âgé pourlors de vingt-cinq ou vingt-six ans.


EXTRAITS. 233THÉOPHILE.On m'a aussi parlé d'une personned'étude bien plus avancée en âge, qui n'avait jamaiseu aucun songe. Mais ce n'est pas<strong>sur</strong> les songesseulsqu'il faut fonder la perpétuité do la perception dol'âme, puisque j'ai fait voir comment, même en dormant,elle a quelque perception de ce qui se passe audehors.§ 15. PHILALÈTHE.Penser souvent et no pas conserverun seul moment le souvenir de ce qu'on pense,c'est penser d'une matière inutile.THÉOPHILE.Toutes les impressions ont leur effet,mais tous les effets ne sont pas toujours notables ;quand je me tourne d'un côté plutôt que d'un autre,c'est bien souvent par un enchaînement do petitesimpressions dont je ne m'aperçois pas, et qui rendentun mouvement un peu plus malaisé que l'autre.Toutes nos actions indélibérées sont des résultatsd'un concours do petites perceptions, et môme noscoutumes et passions, qui ont tant d'influence dansnos délibérations, en viennent; car ces habitudesnaissent peu à peu, et par conséquent, sans les petitesperceptions, on ne viendrait point à ces dispositionsnotables. J'ai déjà remarqué que celui qui nierait ceseffets dans la morale imiterait des gens mal instruitsqui nient les corpuscules insensibles dans la physique;et cependant je vois qu'il y en a parmi ceux quiparlent de la liberté, qui, ne prenant pas garde à cesimpressions insensibles, capables de faire pencher labalance, s'imaginent une entière indifférence dans losactions morales, comme celle de l'âne de Duridan


234 EXTRAITS.mi-parti entre deux prés. Et c'est de quoi nous parleronsplus amplement dans la suite. J'avoue pourtantque ces impressions font pencher, sans nécessiter.PHILALÈTHE. On dira peut-être quo, dans unhomme éveillé.qui pense, son corps est pour quelquechoso, et que ta souvenir se conserve par tas tracesdu cerveau; mais que, lorsqu'il dort, l'âme a sespensées à part en elle-même.THÉOPHILE.Je suis bien éloigné do dire cela, puisqueje crois qu'il y a toujours uno exacte correspondanceentre le corps et l'âme, et puisque je me sersdes impressions du corps dont on ne s'aperçoit pas,soit en veillant, soit en dormant, pour prouver quol'âme en a de semblables. Je tiens même qu'il sepasse quelque chose dans l'àino qui répond à la circulationdu sang et à tous les mouvements interne;des viscères, dont on no s'aperçoit pourtant point,tout commo ceux qui habitent auprès d'un moulin àeau no s'aperçoivent point du bruit qu'il fait. En effet,s'il y avait des impressions dans le corps, pendant lesommeil ou pendant qu'on veille, dont l'âme ne fûlpoint touchée ou affectée du lotit, il faudrait donnerdes limites à l'union do l'âme et du corps, commo siles impressions corporelles avaient besoin d'une certainefigure et grandeur pour que l'âme s'en pût ressentir;ce qui n'est point soutenable si l'âme estincorporelle, car il n'y a point do proportion entroune substance incorporelle et uno telle ou telle modificationdo la matière. En un mot, c'est une grandesource d'erreurs do croire qu'il n'y a aucune per-


EXTRAITS. 235ccption dans l'âmo que celles dont elle s'aperçoit.§ 16. PHILALÈTHE. La plupart des songes dont nousnous souvenons sont extravagants et mal liés. On dc-. vrait donc dire que l'âme doit la faculté de penserraisonnablement au corps, ou qu'elle ne retient aucunde ses soliloques raisonnables.THÉOPHILE. Le corps répond à toutes les penséesde l'âme, raisonnables ou non. Et les songes ontaussi bien leurs traces dans le cerveau que les penséesde ceux qui veillent.§ 17. PHILALÈTHE. Puisque vous êtes si as<strong>sur</strong>é quel'âme pense toujours actuellement, je voudrais quevous mo puissiez dire quelles sont tas idées qui sontdans l'âme d'un enfant avant que d'être unie au corps,ou justement dans le temps de son union, avantqu'elle ait reçu aucune idée par la voie de la sensation.THÉOPHILE. 11 est aisé de vous satisfaire par nosprincipes.Les perceptions de l'âme répondent toujoursnaturellement à la constitution du corps; etlorsqu'il y a quantité do mouvements confus et peudistingués dans lo cerveau, comme il arrive à ceuxqui ont peu d'expérience, los pensées de l'âme (suivantl'ordro des choses) no sauraient être non plusdistinctes. Cependant l'âme n'est jamais privée dusecours do la sensation, parce qu'elle exprime toujoursson corps; et ce corps est toujours frappé par lesautres qui l'environnent d'une infinité do manières,mais qui souvent no font qu'une impression confuse.


236 XTRA1TS.§ 18. PHILALÈTHE. >u -.A voici encore une autrequestion que fait l'Auteur de l'Essai. Je voudrais bien,dit-il, que ceux qui soutiennent aVectant de confianceque l'âme de l'homme ou (ce qui est la même chose)que l'homme pense toujours, me dissent comment ilsle savent.THÉOPHILE. Je ne sais s'il ne faut pas plus de confiancepour nier qu'il se passe quelque chose dansl'âme dont nous ne nous apercevions pas; car ce quiest remarquable doit être composé de parties qui nota sont pas : rien ne saurait naître tout d'un coup, lapensée non plus que le mouvement. Enfin c'estcomme si quelqu'un demandait aujourd'hui commentnous connaissons les corpuscules insensibles.% 19. PHILALÈTHE. Je ne me souviens pas que ceuxqui nous disent que l'âme pense toujours nous disentjamais que l'hommo pense toujours.THÉOPHILE. Je m'imagine quo c'est parce qu'ilsl'entendent aussi do l'âme séparée. Cependant ilsavoueront volontiers que l'homme pense toujoursdurant l'union. Pour moi, qui ai des raisons pourtenir que l'âme n'est jamais séparée do tout corps, jocrois qu'on peut dire absolument que l'homme penseet pensera toujours.PHILALÈTHE. Dire que le corps est étendu sansavoir des parties, et qu'une chose pense sans {.apercevoirqu'elle pense, ce sont deux assertions quiparaissent également inintelligibles.THÉOPHILE. Pardonnez-moi, Monsieur, je suisobligé de vous dire que lors quo vous avancez qu'il


EXTRAITS. 237n'y a rien dans l'âme dont elle ne s'aperçoive, c'estune pétition de principe qui a déjà régné par toutenotre première conférence, où l'on a voulu s'en servirpour détruire tas idées et les vérités innées. Sinous accordions ce principe, outre que nous croirionschoquer l'expérience et la raison, nous renoncerionssans raison à notre sentiment que je crois avoir renduassez intelligible. Mais outre que nos adversaires,tout habiles qu'ils sont, n'ont point apporté de preuvede ce qu'ils avancent si souvent et si positivementlà-dessus il est aisé de leur montrer le contraire,c'est-à-dire, qu'il n'est pas possible que nous réfléchissionstoujours expressément <strong>sur</strong> toutes nos pensées;autrement l'esprit ferait réflexion <strong>sur</strong> chaque•éflexion à l'infini, sans pouvoir jamais passer à uneîouvello pensée. Par exemple, en m'apercevant dequelque sentiment présent, je devrais toujours penserque j'y pense, et penser encore que je pense d'y penser,et ainsi à l'infini. Mais il faut bien que je cessede réfléchir <strong>sur</strong> toutes ces réflexions, et qu'il y aitenfin quelque pensée qu'on laisse passer sans y penser; autrement on demeurerait toujours <strong>sur</strong> la mémochose.PHILALÈTHE. Mais ne serait-on pas tout aussi bienfondé à soutenir que l'homme a toujours faim, en disantqu'il en peut avoir sans s'en apercevoir ?THÉOPHILE. Il y a bien do la différence; la faim ades raisons particulières qui ne subsistent pas toujours.Cependant il est vrai aussi qu'encore quand ona faim, on n'y pense pas à tout moment; mais quand


238 EXTRAITS.on y pense, on s'en aperçoit : car c'est une dispositionbien notable. Il y a toujours des irritations dans l'estomac,mais il faut qu'elles deviennent assez fortespour causer la faim. La môme distinction se doittoujours faire entre les pensées en général et les penséesnotables. Ainsi, ce qu'on apporte pour tournernotre sentiment en ridicule sert à le confirmer.§ 23. PHILALÈTHE. On peut demander maintenantquand l'homme commence à avoir des idées dans sapensée, et il me semble qu'on doit répondre quo c'estdès qu'il a quelque sensation.THÉOPHILE. Je suis du môme sentiment, mais c'estpar un principe un peu particuliers car je crois quenous no sommes jamais sans pensées, et aussi jamaissans sensations. Je distingue seulement entre sensationset, pensées; car nous avons toujours toutes lesidées pures ou distinctes indépendamment des sens,mais les pensées répondent toujours à quelque sensation.§25. PHILALÈTHE. Mais l'esprit est passif seulementdans la perception des idées simples, qui sont desrudiments ou matériaux de la connaissance, au lieuqu'il est actif quand il forme des idées composées.THÉOPHILE. Comment cela se peut-il qu'il soit passifseulement à l'égard de la perception de toutes tasidées simples, puisque, selon votre propre aveu, ily a des idées simples dont la perception vient do laréflexion, et qu'au moins l'esprit so donne lui-mêmeles pensées do réflexion? car c'est lui qui réfléchit.S'il se peut les refuser, c'est une autre question ; et il


EXTRAITS. 239no ta peut point sans doute, sans quelque raison quil'en détourne quand quelque occasion l'y porte.PHILALÈTHE. Il semble que jusqu'ici nous avonsdisputé ex professe Maintenant, que nous allonsvenir au détail des idées, j'espère que nous seronsplus d'accord, et que nous ne différerons qu'en quelquesparticularités.THÉOPHILE.Je serai ravi de voir d'habiles gens dansles sentiments que je liens vrais, car ils sont propres àtas faire valoir et à tas mettre dans un beau jour.EXTRAIT W iSI L'AME À LA NAISSANCE EST UNE TADLE RASEA (Nouveau® Essais, liv. II, ch. 1).Cette Tabula rasa dont on parle tant n'est à monavis qu'une fiction, que la nature ne souffre point clqui n'est fondée que dans les notions incomplètesdesphilosophes, comme ta vide, les atomes et le reposou absolu ou respectif de doux parties d'un tout entreelles, comme la matière première qu'on conçoit sansaucunes formes. Les choses uniformes et qui ne renfermentaucune variété no sont jamais quo des abstractions,commo le temps, l'espace et les autres êtresdes mathématiques pures. Il n'y a point de corps dontles parties soient en repos, et il n'y a point do substancequi n'ait de quoi se distinguer de toute


240 EXTRAITS.autre. Les âmes humaines diffèrent non seulementdes autres âmes, mais oncoro entre elles, quoiquola différenco no soit point do la nature do colles qu'onappelle spécifiques. Et, selon los démonstrations quoje crois avoir, toute choso substantielle, soit âmo oucorps, a son rapport à chacune des autres qui lui estpropre ; et l'une doit toujours différer de l'autro pardes dénominations intrinsèques, pour ne pas direquo ceux qui partant tant do cette Table rase, aprèslui avoir ôté les idées, no sauraient dire ce qui luireste, commo les philosophes de l'école qui ne laissentrien à leur matière première. On me répondrapeut-être que cette Table rase des philosophes veutdire que l'âme n'a naturellement et originairementque des facultés nues. Mais les facultés sans quelqueacte, en un mot tas pures puissances de l'école, nosont aussi que des fictions que la nature ne connaîtpoint et qu'on n'obtient qu'en faisant des abstractions.Car où trouvera-l-on jamais dans ta monde une facultéqui so renferme dans la seule puissance sans exerceraucun acte? Il y a toujours une disposition particulièreà l'action et à une action plutôt qu'à l'autro; et,outre la disposition, il y a une tendance ù l'action,dont môme il y a toujours une infinité à la fois danschaque sujet, et ces tendances ne sont jamais sansquelque effet. L'expérience est nécessaire, je l'avoue,afin quo l'âme soit déterminée à telles ou telles pensées,et afin qu'elle prenne garde aux idées qui sonten nous; mais le moyen quo l'expérience et les senspuissent donner des idées? L'âme a-t-clle des fenê-


EXTRAITS. 241très? rcssemble-t-ollo à des tablettes? est-elle commode la cire ? Il est visible quo tous ceux qui pensentainsi do l'àmo la rendent corporcllo dans lo fond. Onm'opposora cet axiomo reçu parmi les philosophes :quo rien n'est dans l'âme qui ne vienne des sens;mais il faut oxeepter l'àmo mémo et ses affections :Nihil est in intellecln quod non fuerit in sensu;excipe, nisi ipse intellectus, Or l'âme renferme l'être,la substance, l'un, lo mémo, la cause, la perception,lo raisonnement et quantité d'autres notions quo tassens ne sauraient donner. Cela s'accorde assez avecvotre Auteur de l'Essai, qui cherche une bonne partiedes idées dans la réflexion de l'esprit <strong>sur</strong> sa proprenature.B (<strong>Nouveaux</strong> Essais, liv. II, ch. xn).PHILALÈTHE. L'entendement ne ressemble pas malà un cabinet entièrement obscur, qui n'aurait quoquelques petites ouvertures pour laisser entrer pardehors les images extérieures et visibles; de sorte quosi ces images, venant à se peindre dans ce cabinetobscur, pouvaient y rester et y ôtre placées en ordre,en sorte qu'on pût les trouver dans l'occasion, il yaurait une grande ressemblance entre ce cabinet etl'entendementhumain.THÉOPHILE. Pour rendre la ressemblance plusgrande, il faudrait supposer quo dans la chambreobscure il y eût une. toile pour recevoir tas espèces,qui ne fût pas unie, mais diversifiée par les plis, rctEIDN1Z. 16


243 EXTRAITS.présentant les connaissances innées; que, de plus,cette toile ou membrano étant tenduo eût uno manièredo ressort ou force d'agir, et môme uno action ouréaction accommodée tant aux plis passés qu'auxnouveaux venus des impressions des espèces. Etcetto action consisterait en certaines vibrations' ouoscillations, telles qu'on voit dans une corde tenduequand on la touche, de sorte qu'elle rendrait unemanière do son musical., Car non seulement nousrecevons des images ou traces dans lo cerveau, maisnous en formons encore de nouvelles quand nousenvisageonsdes idées complexes. Ainsi, il faut que latoile qui représente notre cerveau soit active et élastique.Celte comparaison expliquerait tolérablementce qui se passe dans ta cerveau; mais quant à l'âme,qui est une substance simple ou Monade, elle représentesans étendue ces mêmes variétés des massesétendues et en a la perception.EXTRAIT N° 5LE PRINCIPE DE RAISON SUFFISANTE.,.— LES LOISDE LA NATURE ET LA FINALITÉ., A (Théodicée, §§ 349-350).Les lois do la Nature qui règlent les mouvementsne sont ni tout à fait nécessaires ni entièrement arbitraires.Le milieu qu'il ya à prendre est qu'elles sontun choix de la plus parfaite sagesse. Et ce grand


EXTRAITS. 243oxemple des lois du mouvomont fait voir, lo plus clairementdu monde, combien il y a de différence entroces trois cas, savoir, premièrement, uno nécessité absoluemétaphysique ou géométrique, qu'on peut appeleraveuglo et qui no dépend quo des causes efficientes;en second lieu, uno nécessité morale, quivient du choix libre do la sagessepar rapport aux causesfinales; et enfin en troisième lieu, quelque chosed'arbitraire absolument, dépendant d'une indifférenced'équilibre qu'on so figure, mais qui no saurait exister,où il n'y a aucuno raison suffisante ni dans lacause efficiente ni dans la finale. Et par conséquenton a tort de confondre, ou ce qui est absolument nécessaire,avec co qui est déterminé par la raison dumeilleur; ou la liberté qui se détermine par la raisonavec uno indifférence vague.C'est ce qui satisfait justement à la difficulté doM. Bayle, qui craint que si Dieu est toujours déterminé,la Nature se pourrait passer de lui, et faire lemême effet, qui lui est attribué, par la nécessité del'ordre des choses. Cela serait vrai si, par exemple, laloi du mouvement ou tout le reste avait sa sourcedans une nécessité géométrique de causes efficientes;mais il so trouvo que, dans la dernière analyse, onest obligé de recourir à quelque chose qui dépenddes causes finales ou do la convenance.


2« EXTRAITS.L!îS LOIS DE LA NATURE ET LA FINALITÉB (Disc, de Métaph., § 19).§ 19. Commo jo. n'aimé pas do juger des gons, enmauvaise part, je n'accuse pas nos nouveaux philosophesqui prétendent de bannir les causes finales dela physique, mais je suis néanmoins obligé d'avouerque les suites de ce sentiment me paraissaient dangereuses,<strong>sur</strong>tout quand joie joins à celui quo j'ai réfutéau commencement de co discours, qui semble allerà les ôter tout à fait, comme si Dieu ne se proposaitaucune fin ni bien ; ou commo si le bien n'était pasl'objet de sa volonté. Je tiens au contraire que c'estlà où il faut chercher ta principe de toutes les existenceset des lois de la Nature, parce que Dieu se proposetoujours ta meilleur et le plus parfait. Jo veuxbien avouer que nous sommes sujets à nous abusor,quand nous voulons déterminer les fins ou conseilsde Dieu, mais ce n'est que lorsque nous les voulonsbornera quelque dessein particulier,croyant qu'il n'aeu en vue qu'une seule chose, au lieu qu'il a eu enmême temps égard à tout; comme lorsque nouscroyons que Dieu n'a fait lo monde quo pour nous,c'est un grand abus, quoiqu'il soit très véritablequ'il l'a fait tout entier pour nous, et qu'il n'y arien dans l'univers qui ne nous touche et qui nes'accommode aussi aux égards qu'il a pour nous, suivanttas principes posés ci-dessus. Ainsi lorsque nous


EXTRAITS.'2J5voyons quoique bon effet ou quelque perfection quiarrive ou qui s'ensuit des ouvrages de Dieu, nouspouvons dire sûrement quo Dieu se l'est proposée;car il ne fait rien par hasard, et n'est pas semblabloà nous, à qui il échappe quelquefois de bien faire.C'est pourquoi, bien loin qu'on puisse faillir en cola,comme font les politiques outrés qui s'imaginenttrop de raffinement dans les desseins des princes, oucomme font des commentateurs qui cherchent tropd'érudition dans leur auteur, on no saurait attribuertrop de réflexions à cette sagesse infinie, et il n'y aaucune matière où il y ait moins d'erreur a craindrotandis qu'on ne fait qu'affirmer, et pourvu qu'on sogarde ici des propositions négatives qui limitent lesdesseins de Dieu. Tous ceux qui voient l'admirablestructure des animaux se trouvent portés à reconnaîtrela sagessedo l'Auteur des choses, etje conseilleà ceux qui ont quelque sentiment de piété et mémodo la véritaMe philosophie, de s'éloigner des phrasesde quelques esprits forts prétendus, qui disent qu'onvoit parce qu'il se trouve qu'on a des yeux, sans quoles yeux aient été faits pour voir. Quand on est sérieusementdans ces sentiments qui donnent tout àla nécessité do la matière ou à un certain hasard(quoique l'un et l'autre doive paraître ridicule à ceuxqui entendent coque nous avons expliqué ci-dessus),il est dificile qu'on puisse reconnaître un Auteur intelligentde la nature, car l'effet doit répondre à sacause, et môme il reconnaît le mieux par la connaissancedo la cause, et il est déraisonnable d'introduiro


mEXTRAITS.une intelligence souveraine ordonnatrice des choses,et puis, au lieu d'employer sa sagesse, ne se sorvirquo dos propriétés de la matière pour expliquer lesphénomènes, Gomme si pour rendre raison d'uneconquéto qu'un grand prince a faite en prenantquelque place d'importance, un historien voulaitdire que c'est parce que les petits corps do la poudreà canon, étant délivrés à l'attouchement d'une étincelle,se sont échappés avec une vitesse capable depousser un corps dur et pesant contre les muraillesde la place, pendant que les branches des petitscorps qui composent le cuivre du canon étaientassez bien entrelacées pour ne pas se disjoindre parcette vitesse; au lieu de faire voir comment la prévoyancedu conquérant lui a fait choisir le temps etles moyens convenables, et comment sa puissance a<strong>sur</strong>monté tous les obstacles,C (Epistola ad Bierlingium, 1714).,Mechanismi fons est vis primitiva, sed leges motus,secundum quas ex eo nascuntur impetus seu viresderivativaj, profluunt ex perceptione boni et mali,seu ex eo quod est convenientissimum. Ita fit ut efficientescausa) pendeant a finalibus


ÏXTRAIT3. 217EXTRAIT N» C.LE BIEN OU LA RECIJKKCIIE DU BONHEUR RÉGLÉE PARLARAISON.A {<strong>Nouveaux</strong> Essais, liv. II, ch, xxi).THÉOPHILE.Si vous prenez uneasiness ou inquiétudepour un véritable déplaisir, en ce. sens jen'accorde point qu'il soit le seul aiguillon. Ce sontlé plus souvent ces petites perceptions insensiblesqu'on pourrait appeler des douleurs inaperceptibles,si la notion delà douleur ne renfermait l'aperception.Ces petites impulsions consistent à se délivrer continuellementdes petits empêchements, à quoi notrenature travaille sans qu'on y pense. C'est en quoiconsiste véritablement cette inquiétude qu'on sentsans la connaître, qui nous fait agir dans les passionsaussi bien que lorsque nous paraissons le plus tranquilles;car nous ne sommes jamais sans quelqueaction et mouvement, qui ne vient que de ce que lanature travaille toujours à se mettre mieux à sonaise. Et c'est ce qui nous détermine aussi avant touteconsultation dans les cas qui nous paraissent les plusindifférents, parce que nous ne sommes jamais parfaitementen balance et ne saurions être mi-partisexactement entre deux cas. Or, si ces éléments de ladouleur (qui dégénèrent en douleur ou déplaisir véritablequelquefois lorsqu'ils croissent trop) étaient de


248 EXTRAITS.vraies douleurs, nous serions toujours misérables enpoursuivant lo bien que nous cherchons avec inquiétudeet ardeur. Mais c'est tout lo contraire; et, commej'ai dit déjà ci-dessus (§ 0 du chapitre précédent),l'amas do ces petits succès continuels de la Naturequi se met de plus en plus à son aise, en tendant aubien et jouissant do son imago ou diminuant le sentimentde la douleur, est déjà un plaisir considérable,et vaut souvent mieux quo la jouissance même dubien ; et, bien loin qu'on doive regarder cette inquiétudecomme une chose incompatible avec la félicité,je trouve que l'inquiétude est essentielle à la félicitédes créatures, laquelle no consiste jamais dans uneparfaite possession qui les rendrait insensibles etcomme stupides, mais dans un progrès continuel etnon interrompu à de plus grands biens, qui ne peutmanquer d'être accompagné d'un désir ou du moinsd'une inquiétude continuelle, mais telle que je viensd'expliquer, qui ne va pas jusqu'à incommoder, maisqui se borne à ses éléments ou rudiments de la douleur,inaperccptiblcs à part, lesquels ne laissent pasd'ôtro suffisants pour servir d'aiguillon et pour exciterla volonté; comme fait l'appétit dans un-homme quise porte bien, lorsqu'il ne va pas jusqu'à cette incommoditéqui nous rend impatients et nous tourmentepar un trop grand attachement à l'idée de cequi nous manque. Ces appélitions, petites ou grandes,sont ce qui s'appelle dans les écoles motus primopfimif et co sont véritablement les premiers pas quola Nature nous fait faire, non pas tant vers le bonheur


EXTRAITS. 249que vers la joio; car on n'y regardo quo lo présent :mais l'expérience et la raison apprennent à régler cesappétitions et à les modérer pour qu'elles puissentconduire au bonheur. J'en ai déjà dit quelquo chose(liv. I, chap. H, § 3), les appétitions sont comme latendance de la pierre, qui va le plus droit, mais nonpas toujours le meilleur chemin vers lo centre de laterre, ne pouvant pas prévoir qu'elle rencontrera desrochers où cllo so brisera, au lieu qu'elle se seraitapprochée davantage de son but, si elle avait eu l'espritet le moyen de s'en détourner. C'est ainsi qu'allantdroit vers le présent plaisir nous tombons quelquefoisdans le précipice de la misère. C'est pourquoila raison y oppose les images des plus grands biensou maux à venir et une ferme résolution et habitudede penser avant que de faire et puis de suivre cequi aura été reconnu le meilleur, lors même que lesraisons sensibles de nos conclusions ne nous serontplus présentes dans l'esprit et ne consisteront presqueplus qu'en images faibles, ou même dans les penséessourdes que donnent les mots ou signes destituésd'une explication actuelle, de sorte que tout consistedans le pensez-y bien et dans le mémento; le premierpour so faire des lois, et le second pour lessuivre, lors même qu'on ne pense pas à la raison qules a fait naître. Il est pourtant bon d'y penser loplus qu'il se peut, pour avoir l'àme remplie d'unejoie raisonnable et d'un plaisir accompagné de lumière.


350 EXTRAITS., B {<strong>Nouveaux</strong> Essais, liv. II, ch. xxi).THÉOPHILE.Je ne sais si le plus grand plaisir estpossible. Je croirais plutôt qu'il peut croître à l'infini;car nous no savons pas jusqu'où nos connaissanceset nos organes peuvent être portés dans toutecette éternité qui nous attend. Je croirais donc que lebonheur est un plaisir durable, ce qui no sauraitavoir lieu sans une progression continuelle à denouveaux plaisirs, Ainsi de deux, dont l'un ira incomparablementplus vite et par de plus grandsplaisirs que l'autre, chacun sera heureux en soimême,quoique leur bonheur soit fort inégal. Lebonheur est donc pour ainsi dire un chemin par desplaisirs, et le plaisir n'est qu'un pas et un avancementvers lo bonheur, le plus court qui so peut fairesuivant les présentes impressions, mais non pastoujours le meilleur, comme j'ai dit vers la fin du§ 36. On peut manquer lo vrai chemin en voulantsuivre le plus court, comme la pierre allant droitpeut rencontrer trop tôt des obstacles qui l'empêchentd'avancer assez vers lo centre do la terre : cequi fait connaître que c'est la raison et la volontéqui nous mènent vers le bonheur, mais que le sentimentet l'appétit ne nous portent que vers le plaisir.Or, quoique le plaisir ne puisse point recevoir unodéfinition nominale, non plus que la lumière ou lacouleur, il en peut pourtant recevoir une causale


EXTRAITS. 251comme elles ; et je crois quo dans le fond lo plaisir-* est un scntimont do perfection, et la douleur unsentimont d'imperfection, pourvu qu'il soit asseznotablopour faire qu'on s'en puisse apercevoir : car lespetites perceptions insensibles de quelque perfectionou imperfection, qui sont comme les éléments duplaisir et do la douleur, et dont j'ai parlé tant defois, forment des inclinations et des penchants, maisnon pas encore les passions. mêmes. Ainsi il y a desinclinations insensibles et dont on ne s'aperçoit pas;il y en a de sensibles dont on connaît l'existence etl'objet, mais dont on ne sent pas la formation, et cesont des inclinations confuses que nous attribuonsau corps, quoiqu'il y ait toujours quelque chose quiy répond dans l'esprit ; enfin il y a des inclinationsdistinctes quo la raison nous donne, dont nous sentonset la force et la formation ; et les plaisirs de cetteNature qui se trouvent dans la connaissance et laproduction de l'ordre et de l'harmonie sont les plusestimables. On a raison de dire que généralementtoutes ces inclinations, ces passions, ces plaisirs etces douleurs n'appartiennent qu'à l'esprit ou àl'àme;j'ajouterai même que leur origine est dans l'âmemême, en prenant les choses dans une certainerigueur métaphysique, mais que néanmoins on araison de dire que les pensées confuses viennent du. corps : parce que là-dessus la considération du corps,et non pas celle de l'àme, fournit quelque chose dedistinct et d'explicable. Le bien est ce qui sert oucontribue au plaisir, comme le mal ce qui contribue


252 EXTRAITS.à la douleur. Mais, dans la collision avec un plusgrand bion, le bion qui nous on priverait pourraitdevenir véritablement un mal, on tant qu'il contribueraità la douleur qui en devrait naître.EXTRAIT N« 7L'jDÉE DU BIEN ET DE LA VERTU{<strong>Nouveaux</strong> Essais, liv. II, ch. xxvm.)PHILALÈTHE. Relation Morale est la convenance oudisconvenanco qui se trouve entre les actions volontairesdes hommes et une règle qui fait qu'on jugesi elles sont moralement bonnrs ou mauvaises (§ 5) ;et le bien moral ou le mal moral est la conformitéou l'opposition qui se trouve entre les actions volontaireset une certaine loi, ce qui nous attire du bienou du mal (physique) par la volonté et puissance dulégislateur (ou de celui qui veut maintenir la loi), etc'est ce que nous appelons récompense et punition.THÉOPHILE. Il est permis à des auteurs aussi habilesque celui dont vous représentez les sentiments, Monsieur,d'accommoder les termes comme ils le jugent àpropos. Mais il est vrai aussi que, suivant cette notion,une même action serait moralement bonne et moralementmauvaise en même temps sous de différentslégislateurs, tout comme notre habile Auteur prenaitla vertu ci-dessus pour ce qui est loué, et, par consé-


EXTRAITS. «53quont, uno môme action serait vortueuso ou non solonles opinions des hommos. Or, cela n'étant pas losonsordinaire qu'on donne aux actions moralcmont bonneset vertueuses, j'aimerais mieux, pour moi, prondropour la me<strong>sur</strong>e du bien moral et do la vertu la rôgloinvariable do la raison que Dieu s'est chargé do maintenir.Aussi peut-on être as<strong>sur</strong>é que par son moyentout bien moral devient physiquo, ou, comme parlaientles anciens, tout honnête est utile ; au lieu quo,pour exprimer la notion de l'auteur, il faudrait direque le bien ou lo mal moral est un bien ou un mald'imposition ou institutif, que celui qui a le pouvoiren main tâche de faire suivre ou éviter par les peinesou récompenses/Le bon est que ce qui est de l'institutiongénérale de Dieu est conforme à la nature ouà la raison.EXTRAIT N« 8NATURE ET DESTINÉE DES ESPRITS OU MONADESRAISONNABLES ;LEUR PARENTÉ AVEC DIEU{Disc, de Métaph., %%34, 35, 30.)Supposant que les corps qui font unum per seComme l'homme sont des substances, et qu'ils ontdès formes substantielles, cl que les bêtes ont desâïnesj on est obligé d'avouer que ces âmes et cesformes ne sauraient entièrement périr, non plus que


254 EXTRAITS.les atomes ou les dernières parties de la matière dansle sentiment des autres philosophes ; car aucunesubstance ne périt, quoiqu'elle puisse devenir toutautre. Elles expriment aussi tout l'univers, quoiquoplus imparfaitementque les esprits. Maisla principaledifférenceestqu'cllesnoconnaissentpascequ'ellessontni ce qu'elles font, et par conséquent, no pouvant fairede réflexions, elles no sauraient découvrir des véritésnécessairesetuniverselles. C'est aussifaute de réflexion<strong>sur</strong> elles-mêmes qu'elles n'ont point do qualité morale,d'où vient que, passant par mille transformations, àpeu près comme nous voyonsqu'une chenille sechangeen papillon, c'est autant pour la morale ou pratique,comme si on disait qu'elles périssent, et on le peutmême dire physiquement, comme nous disons que lescorps périssent par corruption. MaisPâmeintelligente,connaissant ce qu'elle est, et pouvant dire ce mot quidit beaucoup, ne demeure pas seulement et subsistemétaphysiquement, bien plus que les autres, mais elledemeure encore la même moralement et fait le mêmepersonnage. Car c'est le souvenir ou la connaissancede ce moi qui la rend capable de châtiment et derécompense. Aussi l'immortalité qu'on demande dansla morale et dans la religion ne consiste pas dans cettesubsistance perpétuelle toute seule qui convient àtoutes los substances, car, sansle souvenir de ce qu'ona été»elle n'aurait rien do souhaitable. Supposonsquequelque particulier doive devenir tout d'un coup roide la Chine, mais à condition d'oublier ce qu'il a été,comme s'il venait do naître tout de nouveau ; n'est-ce


EXTRAITS. 255pas autant dans la pratiquo, ou quant aux effets donton se peut apercevoir, quo s'il devait être anéanti, etqu'un roi do la Chine devait être créé dans le mêmeinstant à sa place? Ce quo ce particulier n'a aucuneraisondo souhaiter.35. Mais pour faire juger par des raisons naturellesquo Dieu conservera toujours non seulement notresubstance, mais encoro notro personne, c'est-à-direlo souvenir et la connaissance de ce que nous sommes(quoique la connaissance distincte en soit quelquefoissuspendue dans le sommeil et dans les défaillances),il faut joindre la morale à la métaphysique, c'est-àdireil ne faut pas seulement considérer Dieu commele principo et la cause de toutes les substances et detous les êtres, mais encore comme lo chef de toutesles personnes ou substances intelligentes, et commele monarque absolu do la plus parfaite cité ou république,telle qu'est celle de l'univers composé do tousles esprits ensemble, Dieu lui-même étant aussi bienlo plus accompli do tous les esprits qu'il est lo plusgrand do tous les êtres. Car as<strong>sur</strong>ément les espritssont les créatures les plus parfaites et qui exprimentle mieux la divinité. Et toute la nature, fin, vertu etfonction dos substances, n'étant que d'exprimer Dieucl l'univers, comme il a été assez expliqué, il n'y apas lieu de douter que les substances qui l'exprimentavec connaissance de co qu'ollcs font, et qui sontcapables do connaltro de grandes vérités à l'égard deDieu et do l'univers, no l'expriment mieux sans comparaisonquo ces natures qui sont ou brutes, ou inca-


256 EXTRAITS.pables do connaître ces vérités, ou tout à fait dénuéesde sentiment et de connaissance ; et la différence ontroles substances intelligentes et celles qui ne le sontpas est aussi grande que celle qu'il y a entre lo miroiret celui qui voit. Et comme Dieu lui-même est lo plusgrand et le plus sage des esprits, il est aisé do jugerque les êtres avec lesquels il peut pour ainsi direentrer en conversation et même en société, en leurcommuniquant ses sentiments et ses volontés d'unemanière particulière, et en telle sorte qu'ils puissentconnaître et aimer leur bienfaiteur, le doivent touchorinfiniment plus que le reste des choses, qui ne peuventpasser quo pour les instruments des esprits. Commenous voyons que toutes les personnes sages font infimeritplus d'état d'un homme quo de quelqu'autrechose, quelque précieuse qu'elle soit : et il semble quela plus grande satisfaction qu'une âme, qui d'ailleursest contente, peut avoir, est de se voir aimée desautres : quoiqu'à l'égard de Dieu il y ait cette différenceque sa gloire et notro culte no sauraient rienajouter à sa satisfaction, la connaissance des créaturesn'étant qu'une suite de sa souveraine et parfaite félicité,bien loin d'y contribuer ou d'en être en partie lacause. Cependant ce qui est bon et raisonnable dansles esprits finis setrouve éminemment en lui, et commenous louerions un roi qui aimerait mieux deconserverla vie d'un homme que du plus précieux et du plusrare de ses animaux, nous ne devons point douter quele plus éclairé et le plus juste de tous les monarquesno soit dans lo mémo sentiment.


EXTRAITS; 257§36. En effet, les esprits sont les substances les plusperfectionnables, et leurs perfections ont cela do particulierqu'elles s'entr'empêchent le moins, ou plutôtqu'elles s'entr'aident, car les plus vertueux pourrontseuls être les plus parfaits amis: d'où il s'ensuit manifestementque Dieu, qui va toujours à la plus grandeperfection en général, aura le plus de soin des esprits,et leur donnera non seulement en général, mais mêmeà chacun en particulier, le plus de perfection quol'harmonie universelle saurait permettre. On peutmême dire que Dieu, en tant qu'il est esprit, est l'originedes existences ; autrement, s'il manquaitde volontépour choisir le meilleur, il n'y aurait aucune raisonpour qu'un possible existât préférablement aux autres.Ainsi la qualité do Dieu qu'il a d'être esprit lui-même,va devant toutes les autres considérations qu'il peutavoir à l'égard des autres créatures : les seuls espritssont faits à son image, et quasi de sa race ou commeenfants de la maison, puisqu'eux seuls peuvent le servirlibrement et agir avec connaissance à l'imitation de lanature divine : un seul esprit vaut tout un monde,puisqu'il ne l'exprime pas seulement, mais le connaîtaussi, et s'y gouverne à la façon de Dieu. Tellementqu'il semble, quoique toute substance exprime toutl'univers, quo néanmoins les autres substances exprimentplutôt le monde quo Dieu, mais que les espritsexpriment plutôt Dieu que le monde. Et cette naturesi noble des esprits, qui les approche do la divinitéautant qu'il est possible aux simples créatures, faitque Dieu tire d'eux infiniment plus de gloire que dul.EIDNÎZ, 17


253 EXTRAITS.-reste des êtres, ou plutôt les autres êtres ne donnent,que de la matière aux esprits pour le glorifier. C'estpourquoi cette qualité morale de Dieu, qui le rendSeigneur ou monarque des esprits, le concerne pourainsi dire personnellement d'une manière toute singulière.C'esten cela qu'il s'humanise, qu'il veut biensouffrir des anthropologies, et qu'il entre en sociétéavec nous comme un prince avec sessujets ; et ccttoconsidération lui est si chère que l'heureux et florissantétat de son empire, qui consiste dans la plusgrande félicité possible des habitants, devient la suprêmedo ses lois. Car la félicité est aux personnes ceque la perfection est aux êtres. Et si le premier principede l'existence du monde physique est le décretde lui donner le plus de perfection qu'il so peut, lepremier dessein du monde moral ou de la cité deDieu, qui est la plus noble partie de l'univers, doitêtre d'y répandre le plus de félicité qu'il sera possible.Il ne faut donc point douter quo Dieu n'ait ordonnétout en sorte que les esprits non seulement puissentvivre toujours, ce qui est immanquable, mais encorequ'ils conservent toujours leur qualité morale, afinque sa cité ne perdo aucune personne, comme lemonde ne perd aucune substance. Et par conséquentils sauront toujours ce qu'ils sont, autrement ils neseraient susceptibles do récompense ni de châtiment,ce qui est pourtant de l'essence d'une république,mais <strong>sur</strong>tout de la plus parfaite où rien ne saurait êtrenégligé. Enfin, Dieu étant en même temps le plusjuste et lo plus débonnaire des monarques, et no


EXTRAITS. 259demandant quo la bonne volonté, pourvu qu'elle soitsincère et sérieuse, ses sujets ne sauraient souhaiterune meilleure condition, et pour les rendre parfaitementheureux il veut seulement qu'on i'a|we»


TABLE DBS MATIÈRESINTRODUCTIONAvant-Propos.— Histoire des <strong>Nouveaux</strong> Essais 1Vie et écrits de <strong>Leibniz</strong> USLA PHILOSOPHIE DE LEIBNIZ.. 8Avant-Propos 8PREMIÈREPARTIE. ESQUISSEDE LA MÉTAPHYSIQUEDE LEIBNIZIII. Aperçu général ilII. Nouvelle théorie do la Substance .. 1III. Les Monades 21lo La Force et lu Perception 212' Les Perceptions do la Monado 253° Lo point de vue do la Monade , 27t* Lo Mondo des corps et la matière ii!)IV. LMIarmonio préétablie. :HV. Le Déterminisme et le sentiment de la Liberté.... I!3VI. L'immortalité des Monades 15DEUXIÈME .PARTIE. THÉORIE DE LA CONNAISSANCĖ... »{,0Avnni-Propos 49I. Connaissance non réfléchie. — Perceptions iiucu- •sibles et perfections claires f.OII. Connaissance réfléchie ....... 56. i* La question des idées innées avant <strong>Leibniz</strong>... £.7


282 TABLE DES MATIERES.1° Les Cartésiens et le Rationalisme...... 572° Locke et l'Empirisme 592' La question des idées innées chez <strong>Leibniz</strong>. —Il y a des idées et vérités innées. 61S' Les idées et les vérités innées suivant <strong>Leibniz</strong>..— Les principes do la Connaissance....... 69•:'"' a. Le Principe de Contradiction 76b. Le Principe de Raison Suffisante. 704'Le fondement de la Morale 775' Les Principesde la Métaphysique 81& L'idée de Dieu ..'.." 83CONCLUSIONS8fiNOUVEAUX ESSAIS SUR L'ENTENDEMENT HUMAINAVANT-PROPOS 91iLIVRE.PREMIER.— DES NOTIONS INNÉKS.......... ...» 130rCHAPITRE I; — S'IL Y A DES PRINCIPES INNÉS DANS•L'ESPRIT DE L'HOMME 133CHAPITRE 11; — QU'IL N'Y A POINT DE PRINCIPES DE PRA-TIQUE QUI SOIENT INNÉS .- 170CHAPITRE III. — AUTRES CONSIDÉRATIONSTOUCHANTLESPRINCIPES INNÉS 199EXTRAITSN* 1. — Sur l'Essai de l'Entendement humain do M. Locke. 211N° 2. — Échantillons do réflexions *ur le premier livro dél'Essai de l'Entendement de l'homme. < 119Echantillons des réflexions <strong>sur</strong> lo deuxième livre.... 215N*3. — Les perceptions sensibles. — L'àmo pense-l-elletoujours..


TABLE DES MATIÈRES. 2G3N° 5. — Le principe de Raison Suffisante. — Les lois dela nature et la finalité 242N» 6. — Le bien ou la recherche du bonheur réglée par araison 247N* 7. — L'idée du bien et do la vertu 252N* 8. — Nature cl destinée des espir!s ou Monades raisonnables;leur parenté avec Dieu..... •.•y*£tft;ff2»#


LibrairieHACHETTE etG10,bout. St-Germain, 79, ParisOUVRAGESA L'USAGE DBSCANDIDATS AU BACCALAURÉATDE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRECLASSIQUEET MODERNEProgrammes des examens du baccalauréat de l'enseignementsecondaire classique. Biochure in-16.. . . SO c.Programmes des examens du baccalauréat de renseignementsecondaire moderne. Brochure in-16.. . . SO c.Mémento du baccalauréat de l'enseignement secondaireclassique et moderne, édition entièrement refondue et conformeaux programmes dernier», format petit in-16, cartonné :'Littérature, par M. Albert Le Roy. Nouvelle édition entièrementrefondue. (Baccalauréat élastique, l" partie.) 1 vol. 8 fr.Histoire et Géographie, par. MM. G. Ducoudray ut AugustinPoux. (Baccal. classique et moderne, ["partie.) 1 vol. 3 IV. 60Partie scientifique, par MM. Bos et Barré, astronome adjoint al'Observatoire de Paris, (liaccal. classique, i"i>art.) 1 vol. 2 fr.Philosophie. Histoire contemporaine, par MM. R. Thaminet G. Ducoudray. (Baccal. classique et moderne, 2* partie,1" série.) 1 vol.. . » 3 fr. KOÉléments de Physique et de Chimie, nouvelle éditionavec la notation atomique, par M. Bancl-Itivct, professeur aulycée Michelel.(Baccal. class., S* partie, 1"série.) 1vol. 2 fr.Histoire naturello, par MM. Mancin, prof, au lycée Louis-Ic-Grand, cl Réitérer, prof, agrégé n la Faculté de médecine. (Baccal.classique et moderne, 2' partie, l" et 2* séries.)\ vol. » »Mathématiques, par MM. Dos, Bczodis.Picliot cl Mascait,agrégésde l'Université. (Baccal. classiquet 2* partie, 2* série. —Baccal. moderne; î* partie, 3* série.) 1 vol 5 fr.Physique et Chimie, nouvelle édition avec la nolaliott atomique,par M. banel4[i\el.(Baccal. classique, 2* pa rtie, 2* série.— Baccal. moderne, 2* partie, 3' série.) i vol. . . 3 fr. bOÉléments dô Philosophie scientifique et morale. Histoirecontemporaine, par MM. Woims cl G. Ducoudray.(Baccal. ctatstqut, 2' partit, 2« série. — Buccal, moderne,v partit,i>tt vsériée.) I vol.; ; ; ; ; ; ; ; ; ; .' 2 fr.


2. , BACCALAURÉAT CLASSIQUEBACCALAURÉAT — PREMIÈRK PARTIEÉPREUVES ÉCRITESVERSION LATINELexique latin-français, rédigA conformément au décret du19 juin 18S0,à l'usage des candidats au baccalauréat, par M. Châtelain,chargé' de cours à la Faculté des lettres de Paris;3 édil., revue et corrigée. 1 vol. in-16. cartonnage toile. G fr.Reconnu conforme à la note officielle du 29 janvier 1881.Cours de versions latines, à l'usage des candidats au baccalauréat.123 textes précédés de notices <strong>sur</strong> les auteurs et accompagnésde notes, par M. Tiidon-l'cronneau, agrégé des classesstipendiées.Textes et traductions. 2 volumes in-16, lirochés. . . . 3 fr. 60On vend séparément :Textes latins. 1 vol. 2 fr. Traductions françaises. 1 vol. 1 fr. 50Recueil de versions latines, dirtées n la Sorbonnc pour lesexamensdu baccalauréat de 1888à 1893.par M. Uri,docletirés lettres,secrétaire des conférences à 4a Faculté îles lettres do Paris. Texteset traductions. 2 volumes ln-16, brochés 3 fr.On vend séparément :Textes latins. 1 vol. 1 fr. 60 Traductions françaises. 1 vol. 1 fr. 60. COMPOSITION FRANÇAISERecueil de compositions françaises, a l'usage des candidatsau baccalauréat,parM.Trldon-Peronnc.iu. 5' éd. lvol. ln-16, br. 2fr.Nouveau reouell des compositions françaises, a l'usage descandidats au baccalauréat, par M. Tridon-Péronncau. 1 vol. in-16,broché.1 fr.Questions de littérature et d'histoiro, réponse* aux questionsles plus difficiles poséesdans les examens oraux du baccalauréat,par M. Tridon-Péronncau. 1 vtl.in-lB, broché ...... i fr.Recueil de compositions françaises, lettres, récits, discourt,dissertations (sujets et développements), a l'usage des c.-indidals nùbaccalauréat et n l'éco'c de Saint-Cyr, par M. Murais, ancien professeurau collège.SaiDtc-Bar.bc. 1 vol. Jn?iC, broché. . . 1 fr. 60Conseils <strong>sur</strong> l'art d'écrire. Principes de composition et de slylc,par M. G. Lanson, mattre du conférences à l'Ecole normale supérieure,i vol. in-16, cari, toile 2 fr. 10Étude pratique de composition française, sujets préparés etcommentés pour servir de complément aux Conseils <strong>sur</strong> l'artd'écrire, pur M. Latison. 1 vol. In-16, tari, toile 2 fr.Histoire do la littérature française depuis les-origines jusqu'ànosjours, par M. G. I.anson, A* édition revue, corrigée et complétée.1 Tolunic in-16, broché . . I fr.Cartonné toile4 fr. fi»Modèles de composition française, empruntés aux écrivainsclassiques; comprenant des descriptions, des portraits, des narrations.Mes dialogues, des lettres, des. discours, des dissertationsinonde* et littéraires, avec des arguments cl des préceptes <strong>sur</strong>chaque genre de composition, a l'usage des classessupérieures etdes candidats au baccalauréat; publiés par M, Chassang, ancieninspecteur général de l'instruction publique. 1 vol. Iti-U cartonnét(t.


PREMIÈRE PARTIE 3Sujets et modèles de composition française, a l'usage desclasses supérieures et des candidats au baccalauréat, publiés parM. Pellissicr,ancien professettrau collège Sainte-Barbe. 1 vol. in-16,cartonné 2 fr. 60La composition française à l'examen de Saint-Cyr, parM. J. Dcrlhct, professeur do rhétorique au lycée Condorcet. 1 vol.in-16, broché 2 fr.LANGUESVIVANTESLexique français-allemand, rédigé conformément au décret du19 juin 1880, a l'usage des candidats au baccalauréat, par M. Koclt,professeur iu lycée Saint-Louis; nouv. édit. 1 vol. in-16, cari. 4 fr.Reconnu conforme a la note officielle du 29 janvier 1881.Cours de thèmes allemands, à l'usage des classes supérieureset des candidats au baccalauréat et à l'école de Saint-Cyr, parM. Schcrdlin, professeur au lycée Charlemagne. 1 vol.. in-16, cartonné.3 fr.Traduction allemande du Cours do thèmes. 1 volume in-16,broché 3 fr. 60Cours de thèmes allemands, accompagnés de vocabulaires, parM. Bacharach. 1 vol. in-16, cartonné 3 fr. 60Cours do thèmes allemands, par M. Iliquiez, professeur airrégéd'allemand au lycée Henri IV. 1 vol. in-16, cartonne. . . 1 fr. 60Lexlquo français-anglais, rédigé conformément au décret du1U itiln 1880, a l'usage des candidats ou baccalauréat,par MM. Batlicret Lcgrand, ugrégésdel'Université; nouv. éJ. 1 vol. in-16,carl, 4 fr.llcconnu conforme à la note officielle du 29 janvier 1881.Cours de thèmes anglais, à l'usage des classes supérieures etdes candidats au baccalauréat, par M. Motel, professeur au lycéoLouis-lc-Grainl. 1 vol. in-16, cartonné 2 fr. 50ÉPREUVESORALESRHETORIQUE ET LITTÉRATURE CLASSIQUEÉtudes littéraires <strong>sur</strong> les classiques français des classessupérieures et du baccalauréat, par M. Mcrlct, nuei n professeur dnilié'oriquc au lycée Louis-lc-Gratid; revues, continuées et mi


4 BACCALAURÉAT CLASSIQUEMorceaux choisis des auteurs français des XVI«, XVIIe,XVIII* et XIX* siècles, publiés conformément aux programmesdu 23 janvier 1890à l'usage de l'enseignement secondaire, avec unaperçu<strong>sur</strong> la littérature française, des notices et des notes, parM. Albert Caheny professeur de rhétorique au lycée Louis-le-Graml,classesdeTroisième, Secondeet Rhétorique. 2 vol. in-16, cart. toile :Prose; 1 vol; i,::: i .'. I : l '.'.'.;.. . 4 fr.Poésie, 1 vol 3 fr. 60Textes classiques de la littérature française, extraits desgrands écrivains, avec notices biographiques et bibliographiques,appréciations littéraires et notes explicatives par M. Demogeot;nouvelle édition. 2 vol. in-16, cartonnés6 fr.1. Moyen âne, seizième et dix-septième siècles, 1 vol. 3 fr.IL Bix-huittème et dix-neuvième siècles, lvol. ... 3 fr.Eléments de rhétorique française, par M. Filon. 1 vol. in-16,broché. . . . \ , T . . 2 fr. 60Principes de rhétorique française, par M. Pcllissier. 1 vol.in-16, cartonné 2 fr. 60Histoire de la littérature française des origines jusqu'à nosjours, par M. Lansou, maître de conférencesâ l'Ecole normale supérieure,4' êdit., revue, corrigée et complétée. 1 fort volume in-l6,broché..4 fr.Cartonné toile 4 fr. 601 Histoire de la littérature latine, desorigines ala (In du V siècleaprès J.-C, par M. Piclion. professeur de rhéloriquo au lycéolloclie. 1 fort volume in-16, broché6 fr.Cartonné toile 8 fr. 60Histoire de la littérature française depuis sesorigines jusqu'ànosjours, par M. Demogeot.1 vol. in-16, broché4 fr.Hlstûire de la littérature grecque, par M. Alexis Pietron.I vol. in-16, broché4 fr.Histoire de la- littérature romaine, par M. Pierron. 1 vol.ln-16, broché. . . . . . 4 fr.HISTOIREET GÉOGRAPHIEHistoire de l'Europe, et particulièrement de la France,de 1610 à 1760, par M. Duruy. Nouvelle édition entièrementrefondue sous la direction de M. Lavissc, par M. Lacour-Gayct, professeurau lycée Saint-Louis. 1 vol. in-16, cart. toile. * . . 6 fr.Géographie de la France, par M. Corlainbert; nouvelle édition, refondue (classe de rhétorique). 1 volume in-16, cart, . 3 fr. 60Allas correspondant (18 cartes). 3 fr. 60Géographie do la France, conforme aux programmes de 1890pour la classe dc'iliéloriquc, par MM. Scbrader et GallouSdec,professeuroirégé ou lycéo d'oibans, 2' édition avec un index alpha*bètique de tous les noms cités. 1 vol. in-16, avec de nombreusescaites ni couleurs et en noir, cartonné. ....... 3 fr. 60Atlas correspondant, par MM. Scbrader, Prudent et Antholne.II cartes in-folio, rai tonné . . ; , 8 fr.Coulommtcrs. — Imp. 1>AUI.IIHODAUD. — 813-97.


Wf CLASSIQUESFRANÇAIS lïllT-rf il etnvtnecrsannotateurtsontentre parenthèses.) \>_JMr BOILEAU : VEufret poe'd'f/»»» (Brunetière). 1 30 NM—\yVoitiet et Extraits des oeuvre» en proie, 3'» \r BOSSUETU-McKonnmiMuce rft.9-M .: iy , ,!i'lfMS Jrfefc»'


INTRODUCTIONAvant-Propos. - Histoire des <strong>Nouveaux</strong> EssaisVie et écrits de <strong>Leibniz</strong>3LA PHILOSOPHIE DE LEIBNIZAvant-ProposPREMIERE PARTIE. ESQUISSE DE LA METAPHYSIQUE DE LEIBNIZI. Aperçu généralII. Nouvelle théorie de la Substance1III. Les Monades1° La Force et la Perception2° Les Perceptions de la Monade3° Le point de vue de la Monade4° Le Monde des corps et la matièreIV. L'Harmonie préétablie3V. Le Déterminisme et le sentiment de la LibertéVI. L'immortalité des MonadesDEUXIEME PARTIE. THEORIE DE LA CONNAISSANCEAvant-ProposI. Connaissance non réfléchie. - Perceptions insensibles et perfections clairesII. Connaissance réfléchie1° La question des idées innées avant <strong>Leibniz</strong>1° Les Cartésiens et le Rationalisme2° Locke et l'Empirisme2° La question des idées innées chez <strong>Leibniz</strong>. - Il y a des idées et vérités innées3° Les idées et les vérités innées suivant <strong>Leibniz</strong>. - Les principes de la Connaissancea. Le Principe de Contradictionb. Le Principe de Raison Suffisante4° Le fondement de la Morale5° Les Principes de la Métaphysique6° L'idée de DieuCONCLUSIONSNOUVEAUX ESSAIS SUR L'ENTENDEMENT HUMAINAVANT-PROPOSLIVRE PREMIER. - DES NOTIONS INNEESCHAPITRE I. - S'IL Y A DES PRINCIPES INNES DANS L'ESPRIT DE L'HOMMECHAPITRE II. - QU'IL N'Y A POINT DE PRINCIPES DE PRATIQUE QUI SOIENT INNES17CHAPITRE III. - AUTRES CONSIDERATIONS TOUCHANT LES PRINCIPES INNESEXTRAITSN° 1. - Sur l'Essai de l'Entendement humain de M. LockeN° 2. - Echantillons de réflexions <strong>sur</strong> le premier livre de l'Essai de l'Entendement de l'hommeEchantillons des réflexions <strong>sur</strong> le deuxième livreN° 3. - Les perceptions sensibles. - L'âme pense-t-elle toujoursN° 4. - Si l'âme à la naissance est une table raseN° 5. - Le principe de Raison Suffisante. - Les lois de la nature et la finalitéN° 6. - Le bien ou la recherche du bonheur réglée par a raisonN° 7. - L'idée du bien et de la vertuN° 8. - Nature et destinée des esprits ou Monades raisonnables; leur parenté avec Dieu

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