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courantalternatifMensuel édité par l’ORGANISATION COMMUNISTE LIBERTAIREN°<strong>199</strong> - avril 2010 - 3 eurosQUE LA PEURCHANGE DE <strong>CA</strong>MP !CONTINENTAL:“ QUAND LA BASE SE REBIFFE ”GRÈVE SAUTE-MOUTON:CELLE DU 23 MARS EN A ÉTÉ UNE !ANTINUCLÉAIRE:DU RIFIFI DANS LE RÉSEAUDOSSIER:RÉPRESSION, PEURSIMMOBILISMELA CONVENTION 66:UN PROJET DE RESTRICTION DU SOCIALAU PROFIT DU <strong>CA</strong>PITALLIBAN:L’ÉTAT DES GAUCHESGRÈCE:“ IL N’Y A QU’UNE CHOSE À RÉGLER:NOS COMPTES AVEC LE <strong>CA</strong>PITAL ET L’ETAT ”RUBRIQUES:LIVRES, CINÉMA, COLLABORATION DE CLASSE...


DITOCertes la claque électorale que vientde prendre la droite française auxélections régionales peut nous fairepouffer. Voire les têtes à claques de la droitedécomplexée se déconfire sur les plateauxde télévision comme un citron qui aurait tropbaigné est un spectacle auquel on auraittord de ne pas gouter, si ce n’est au moinsun peu. Certes le discrédit de ces élections àla con prend des proportions telles qu’il estmême difficile aujourd’hui pour les « spécialistes» politiques ne pas l’évoquer : à l’instardu buzz qui s’est répandu les derniers joursde la campagne électorale sur les réseauxcommunautaires d’internet français : cettefemme qui répondait à un journaleux, « j'enai rien à secouer, jesuis anarchiste etj'aimerais foutre enl'air toute cette sociétécapitaliste ... »Mais à part cesquelques propositionsde ricanements, il n’ya pas grand chose quinous porte à del’optimisme. Même sila victoire de la « goche » est à relativiser, caren nombre de voix, elle ne recueille guèreplus de suffrages que lors des consultationsprécédentes (c’est essentiellement l’électoratde l’UMP qui a fondu dans l’abstentioncomme la neige de janvier sous le soleil demars), dans l’état actuel des choses,l’alternative du retour de la « gauche plusrien » est à considérer comme un enterrementde troisième classe des luttes sociales.A imaginer ces roturiers de la casse populaireau pouvoir, on imagine facilement lechantage qui s’opérerait alors: « Ne protestepas, ne fait pas grève sinon tu vas faire lejeu de la droite », comme on a pu l’entendreavec le même abandon de perspective quandon soutenait dans les années 90 les luttesde sans papiers ou les révoltes en banlieueset que cela ferait « le jeu » du Front National.Cela sera semblable à la lepénisation desesprits (pour reprendre le titre de l’ouvraged’alors de Pierre Tévanian et Sylvie Tissot)qui a pu s’opérer car justement les luttes nesont pas allées assez loin, parce que la gôchede merde a sombré dans l’angélisme de laxénophobie et qu’ainsi le chantage àl’immobilisme a pu avoir lieu. Le statu-quosocial que le décor post-électoral peaufine neprête guère à voir autre chose qu’uneimpasse politique. Une énième manifestationsaute-mouton a eu lieu le 23 mars dernier(Page 5) dont le relatif succès montreque le dynamisme des bureaucraties syndicalesà défaut d’éteindre la flamme de lacontestation, maintient toujours l’illusionque sans elles, rien n’est possible à grandeampleur.Pourtant les foyers de la grogne existentet les raisons de se révolter sont bel et bienvisibles. Au nom de lacrise économique, laguerre de classe quemène la bourgeoisieest impitoyable. Onen arrive à un telpoint que si pour sauverle capitalismemondial, il fallaitréhabiliter le servage,il y aurait bien un decescrétinsd’économistes à la solde du pouvoir quiserait capable de le proposer ! C’est qu’onest dans une période où nos perspectives etnos utopies révolutionnaires sont absentes.On en aurait pourtant bien besoin !Mais l’immobilisme dont notre période estconstituée ne l’est pas uniquement parl’impasse politicienne. Elle l’est aussi par lacrainte de perdre. Perdre quoi ? Vu la situation,à part nos chaînes, on pourrait bien sele demander. Elle le serait aussi parl’intégration de l’idée que la répression detoutes les contestations qui sortiraient desfaibles bandes autorisées serait aujourd’huiimplacable. Que la peur ait vocation à devenirl’alliée de la tyrannie du pouvoir, celan’est pas nouveau ! Mais que cette peur sedissipe à travers celles et ceux qui osentencore espérer que le monde doit changer,voilà bien une opinion à laquelle nous avionsenvie de tordre le cou !<strong>OCL</strong> StrasbourgAVRIL 2010 3


Social« Quand la base se rebiffe »Drôle de pays la Picardie. Plantées au milieu des betteraves, des usines ferment à tour de bras, dessyndicalistes dissidents conspuent leurs grands chefs et des médias en mal d'histoires viennent yannoncer encore une fois la fin du monde ouvrier. En nous installant pendant deux mois sur cetteplate terre, nous cherchions à en savoir plus sur ce qui animait aujourd’hui le monde ouvrier aumoment où les annonces de licenciements se multiplient. Bousculant nos préjugés et nos fantasmes,nous avons partagé, avec ceux qui subissent de plein fouet la désindustrialisation françaiseen cours, des moments de lutte riches en enseignements. C’est à chaque fois une dignité etune solidarité qui se construit parmi ceux qui, face au cynisme et au dédain du gouvernement, dupatronat ou des centrales syndicales, refusent de baisser la tête.CQFD, le Plan B, Fakir..., depuisquelques temps la presse alternativereprend des couleurs.Parmi toutes ces publications unepetite nouvelle nous a tapé dansl’œil, c’est la revue Z.Z c’est d’abord un bel objet (lacouverture du numéro sur Marseilleest magnifique) mais c’estaussi une démarche originale, lacritique sociale itinérante encamion.Bref un journal qui prend sontemps et sort des sentiers battuset qui n’est pas sans rappelerl’esprit des Cahiers de Mai.L'extrait que nous vous proposonsà la lecture est issu du prochainnuméro consacré aux luttesdans les usines d'Amiens et sesalentours.Pour se fournir ce bel objet, pourla somme « modique » de 10 €,contacter-les directement : Z c/ola Parole errante 9, rue FrançoisDebergue 93100 Montreuil-sous-Bois www.zite.frPour soutenir toute cette pressela solution c’est l’abonnement !(en plus de celui à Courant Alternatifbien entendu)CQFD:www.cequilfautdetruire.orgCQFD - Le RIRe BP 70054, 13 192Marseille Cedex 20Le Plan B :www.leplanb.org Le Plan B - Serviceabonnements BP n°159361 Avesnes sur Helpe CedexFakir:www.fakirpresse.info Fakir - 21,rue Eloi Morel - 80000 AmiensLe 21 avril 2009, après le rejet par letribunal de Sarreguemines de leurdemande d’annulation du plansocial, les 1120 ouvriers de l’usineContinental de Clairoix se retrouventsur la paille. Ils avaient pourtantaccepté, un an plus tôt, de repasser aux40 heures pour garantir leurs emploiset permettre à la boîte de générer unbénéfice annuel de 17 millions d’euros.« Quand on a vu que les patrons fermaientl’usine, que l’État nous lâchait et que la Justicesuivait, on a compris qu’il n’y avait plusrien à attendre de qui que ce soit, si ce n’estde nous-mêmes. On n’avait plus qu’à sebattre, et jusqu’au bout »,nous expliqueDidier Bernard, un des piliers du comitéde lutte. Furieux d’avoir été salementroulés par un groupe qui ne finit pas des’enrichir, les ouvriers de Continentalgagnent alors la sous-préfecture deCompiègne. Devant le refus du hautfonctionnaire de les recevoir, la colèremonte et quelques fournitures debureau et autres écrans plats passentpar la fenêtre.Ce coup de sang débloqueimmédiatement la situation. Le secrétaired’État à l’Industrie, Luc Chatel,propose aussitôt une « médiation dugouvernement », et un accord avantageuxse conclut : au minimum 50 000euros d’indemnités de départ et deuxannées de congés formation pourchaque zigue. « On a réussi à obtenir entrecinq et huit années de salaires, calculeXavier Mathieu, délégué CGT de Continental,devenu célèbre pour avoirdénoncé l‘apathie des têtes syndicaleset taxé Bernard Thibault de « racaille ».Même les gens qui ont un travail aujourd’huine sont pas sûrs d’avoir un salairedemain pour pouvoir nourrir leur famille etpayer leur maison. » Pas faux. Et puis,pour ceux qui ne voudraient pas rempilertout de suite, voilà de quoi passerquelques années à l’abri de la galère.Cette victoire n’est pas augoût de tous. En septembre 2009, letribunal de Compiègne condamne sixouvriers à des peines de prison avecsursis et à de lourdes amendes. Pour lesContis, comme l’explique leur communiquédiffusé après la condamnation,le message est sans ambigüité: « Lescondamnations pénales et financières prononcéescontre ces six salariés sont un actede vengeance contre la lutte victorieuse des1120 travailleurs de Continental Clairoix,et une condamnation pour l’exemple quis’adresse à l’ensemble des travailleurs dupays, destinée à faire régner un climat depeur contre tous ceux qui refuseraientl’arbitraire patronal et gouvernemental. »Pour criminaliser encore un peu plus larévolte, l’Etat va jusqu’à réactualiserune loi invalidée depuis 28 ans: « Le tribunal,à la demande du parquet, et donc desautorités gouvernementales, a remis surpied, en toute illégalité, une loi abrogée àcause de son caractère liberticide, commel’avait qualifiée alors le ministre de la justiceRobert Badinter. L’atteinte aux libertéspubliques, par cette réintroduction de la loidite “anticasseurs”, qui permettait, commec’est le cas dans cette affaire, de condamnerdes personnes sans avoir de faits précisà leur reprocher, au nom d’une prétendueresponsabilité collective qui découleraitde leur seule présence à une manifestation,est une menace grave pour les libertéspubliques. D’ailleurs, ceux qui rêvent des’en prendre à toutes les contestations, ontimmédiatement réclamé que soit généraliséeà tout le pays, et pour toutes les manifestations,ce qu’ils ont appelé “la jurisprudenceContinental”. »Au-delà de cette affaire juridique,que s’est-il passé à Continentalpour que cette lutte devienne lesymbole de la résistance des ouvriersface à la vague de délocalisations ?Nous prenons la route de Clairoix. Auxpieds de la grande cheminée flanquéedu logo orange et noir de la multinationale,environ 600 ouvriers sont venusparticiper à l’assemblée générale hebdomadairequi continue à se tenirchaque lundi après-midi. Juché sur unbanc accolé au mur de l’usine, XavierMathieu prend le mégaphone. En guised’introduction, le traditionnel « Gérard? » (prénom du directeur de Continen-6COURANT ALTERNATIF


SocialLa convention 66:un projet de restrictiondu social au profit du capitalDepuis 2005, la rumeur courait dans le milieu du social. Fin 2008, le projet de refonte de la ConventionCollective 1966 (CC66) a été dévoilé. S’il aboutissait, ce projet serait un bouleversement totaldes valeurs que porte ce secteur.Notons que ce projet est patronal et non pas gouvernemental. Malgré tout, la visée politique quecette réforme amène, n’est qu’une preuve de plus de la proximité idéologique qui existe entre lepatronat, quel qu’il soit, et les décideurs politiques. Le projet de la nouvelle convention, telle qu’elleest actuellement proposée et négociée, instaure une cohérence entre l’évolution voulue pour le travailsocial et l’évolution économique et sociétale actuelle induite par le capitalisme.Le but inhérent à cette réforme est uneréduction du coût de l’action sociale.Dans le contexte politique dans lequelnous nous trouvons, il s’agit de transformerce secteur en un marché où l’appel d’offrea déjà fait ses premiers pas. Le milieu dusocial, censé être un milieu du rapporthumain et non de la rentabilité, est ainsiappelé à devenir concurrentiel.Idéologie du profitcontre valeurs socialesLa division du nombre d'associationsgestionnaires permettrait une réduction ducoût global de l'action sociale, tout en assurantun resserrement des pratiques. Eneffet, la politique en cours depuis unedizaine d'années, via les coupes budgétaires,crée d'une part une dégradation desconditions de travail de tous les acteurtricesdu secteur, et d'autre part, force lesprofessionnel-les à recadrer leur pratiquesur une action rudimentaire et cadrée parles dirigeants. L'exigence depuis 2002, de lamise en place du projet personnalisé,validé par les dirigeant-es des structures(aujourd'hui plus gestionnairesque travailleu-ses sociaux-ales) et parles représentant-es locaux-ales desdécideur-euses politiques, est uncadre restrictif qui rend la pratiquede plus en plus normée. Cette viséenormative est d'autant plus visibleque les réformes qui ont touché lesformations et les diplômes du secteurvont dans ce sens.Le projet deréforme de la convention appuie lavolonté des dirigeant-es de saboterles conditions de travail des employéesde terrain. Et ceci afin de répondreà la demande politique de réductiondes coûts, car lorsque l'on peut sepermettre de renflouer les banqueset les financements militaires, c'est« l'humain » qui se doit d'opérer des coupesbudgétaires.Ainsi, le projet prévoit de faire des économiessur les primes de retraite, de licenciementet de supprimer la prime d'internat.Ce dernier point permettrait de lésiner surLes objets du scandale de la convention 66:- unification des associations gestionnaires en grandpôle- repos : seul le 1er mai serait considéré comme un jourférié- seuls 15 dimanches par an seraient obligatoirementen repos- disparition des congés trimestriels au profit de 5 joursde congés par an fixés par l’employeur et uniquementpour « le personnel éducatif et d’intervention social »- introduction de la notion de « travail effectif » qui exclutl’arrêt longue maladie- les salaires :. seraient fixés sur le poste occupé et non plus sur lediplôme. négociés au sein des structures et non plus sur le plannational, il y serait intégré une part individuelle calculéeà partir d’une grille de compétences et d’efficacité- disparition de la prime d’internat- diminution de l’augmentation induite par l’anciennetéles salaires des diplômé-es en les remplaçantpar des veilleur-euses de nuit. Dans lemême sens, la réforme prévoit de rémunérerles employé-es selon la place qu'ils/ellesoccupent et non plus sur les diplômes obtenus.Si cela pouvait aller dans le bon sens,par exemple pour un-e moniteur-rice éducateur-riceoccupant un poste d'éducatuerricespécialisé-e, il paraît plus vraisemblableque cette démarche va aller dans le sens dela disqualification des diplômes. Ainsi, unediplômé-e éducateur-rice pourra occuperune place de moniteur-rice éducateur-rice,avec plus de qualifications et un salairemoindre.Rentabiliser la misèreSur la question des salaires, le projet n'y vapas de mains mortes. Outre la diminutiondu poids de l'ancienneté qui pourrait entraînerune stagnation des salaires dès la 15eannée d'emploi, le projet intègre un processusd'évolution salariale issu du mondemarchand et de l'entreprise. En effet, la nouvelleconvention intègrerait la part variabledans les salaires: une part collective liée auxplans pluriannuels de chaque structure et8COURANT ALTERNATIF


Socialune part individuelle basée sur la notationde chaque travailleur-euse selon une grillede compétences et d'efficacité.En quoi peut-on juger de l'efficacité,voire de la rentabilité, des acteur-rices dusecteur social ? Sur quels critères pourrontils/ellesse baser pour évaluer, expertiser untravail fondé sur la rencontre et l'humain ?La mise en place de ce salaire au mériteest contraire à l'éthique du sociale. Celle-cis'ancre dans le travail d'équipe, et non passur la concurrence entre employé-es. Par cechoix d'introduire des notions individualisteset de compétition, à l'intérieur mêmedes équipes, les dirigeant-es du social serendent complices de la politique gouvernementale.En voulant répondre aux objectifsdéliquescents fixés par l'Etat, ils/ellescherchent à transformer les travailleureusessociaux-ales en agents au service del'idéologie dominante.Mais notre éthique est basée sur le respectet la dignité des personnes. Notre travailc'est l'accompagnement versl'autonomie et l'épanouissement. Cesvaleurs sont en totale contradiction avecl'idéologie capitaliste d'exploitation,d'oppression et de marchandisation deshommes et des femmes.La question qui se pose aujourd'huitourne autour de la mobilisation: resteronsnousacteur-rices de nos pratiques ouallons-nous nous transformer en agents dece système dominant et oppresseur ?Depuis décembre 2008, la mobilisations'est créée dans tous les domaines du secteursocial avec de belles représentationslors des grandes journées de grève de 2009.Mais elle reste dispersée, malgré la créationdu réseau des collectifs locaux contre cetteréforme. Le 10 juin 2009 une journée demobilisation nationale a été organisée àParis. Tous les collectifs étaient présentspour faire entendre leur voix devant le lieudes négociations entre les syndicats patronauxet salariés. La manifestation s'est faiteaccueillir par une vingtaine de bus de gendarmesmobiles qui ont allègrement gazéles premières lignes de manifestant-es.Quand la lutte paie… ou pasLorsque personne ne parle d'une mobilisationet que celle-ci est réprimée, il nefaut pas craindre d'en tirer la conclusionque les dirigeant-es redoutent un grossissementdu mouvement. Dans le climatactuel où tous les secteurs sont touchés parles restrictions budgétaires, les licenciementsmais aussi par les mobilisations etles grèves, l'arrivée du secteur social dansce mouvement global est significatif del'état de notre société où le capitalisme, parle biais des Etats, abandonne certaines deses prérogatives, n’ayant plus besoin de lapaix sociale.En tant que travailleur-euses sociauxalesnous sommes représentant-es du cadreimprimé par le gouvernement. Mais noussommes aussi en devoir de dire NONDéligny, empêcheur d’éduquer en rondlorsque l'on veut faire de nous des gestionnairesdu bétail humain. Il ne tient qu'ànous de remettre en avant les valeurs fondatricesdes métiers du social pour qu'ellesne se perdent pas dans la lie du système enplace.En septembre 2009, le premier projet aété abandonné sous la pression. Mais lanouvelle mouture n’est en fait qu’un changementde forme, le fond étant similaire. Unmédiateur de la république participe maintenantaux cadres des négociations. Ceci al’unique avantage de clarifier le lien entreles syndicats patronaux et le gouvernement.Car finalement c’est bien dans une viséeplus globale que s’inscrit la refonte de laconvention 66 : celle de la refonte complètedu secteur social et hospitalier.Géraldine, graine de crapule,Strasbourg, à un moment clef del’histoire du travail social.« Qu'est ce que tu fais dans la vie? Educatrice spécialisée. » La plupart du temps je meheurte à un silence interrogatif lorsque je donne cette réponse. Qu'est ce que ça peutbien vouloir dire l'éducation spécialisée ? Bonne question. S'agit-il d'aider, d'accompagnerles personnes les plus fragiles comme les enfants, les personnes en situation de handicap,les sans-abris ou de les faire entrer dans le rang coûte que coûte ?Alors que le monde du social est en plein changement, amorcé depuis quelques annéesdéjà, il serait intéressant de se positionner clairement, nous, les travailleurs sociaux, surce que nous souhaitons promouvoir pour les gens dans la marge, ceux que la société arejeté. L'ordre, le contrôle social, la pauvreté et la misère cachées derrière des dispositifset des politiques sociales de plus en plus excluantes ; ou le droit d'exister et l'acceptationde chacun avec ses différences.Dans la tendance actuelle à l'uniformisation du travail social les exceptions sont encoreet toujours le meilleur moyen de voir la situation d'un oeil nouveau et viennent confirmerla singularité de chaque rencontre et la richesse de ce métier. Prenons l'histoire del'éducation spécialisée : quelques personnalités ont marqué les esprits par leur visionnovatrice et parfois incomprise. Fernand Deligny (1913-<strong>199</strong>6) en fait partie. Après avoirété instituteur spécialisé à l'hôpital psychiatrique d'Armentières durant la deuxièmeguerre mondiale, Deligny s'est ensuite impliqué dans des tentatives innovantes de priseen charge des enfants « à problème ». Dès 1945 il ouvre un centre pour jeunes délinquantsoù tous ont la possibilité de circuler librement et d'en sortir à n'importe quelmoment. Les garçons accueillis sont souvent des « évadés » des maisons de correction,et plutôt que de les enfermer de nouveau, Deligny leur ouvre les portes en grand, poury entrer et pour en sortir. En 1948, avec d'autres personnes militant pour une éducationnouvelle, il fonde « La Grande Cordée » association s'occupant d'adolescents venantd'hôpitaux psychiatriques, de services sociaux, sortant de prison, considérés commeinéducables et irrécupérables. L'association est itinérante, les jeunes vont de ville enville, utilisant le réseau des auberges de jeunesse et se confrontent au monde du travailpar des expériences plus ou moins heureuses d'apprentissage.Deligny s'est toujours défié des institutions et du conformisme. Tout au long de ses« tentatives d'éducation » il a écrit des ouvrages et des articles sur son travail, sesréflexions et son quotidien partagé avec ces enfants. Graine de crapule. Conseils aux éducateursqui voudraient la cultiver bouscule la vision de l'éducation spécialisée de l'époqueet continue à déranger et à remettre en questions les pratiques d'aujourd'hui. Il dénoncela sanction et la punition si souvent utilisées comme méthode soi disant éducatives pardes professionnels exténués et à bout de souffle : « Si tu coupes la langue qui a menti et lamain qui a volé tu seras, en quelques jours, maître d'un petit peuple de muets et de manchots ».Au lieu de la répression, Deligny conseille le jeu, le partage, le laisser-vivre : « Sais tu chanter,improviser une histoire de pirates, marcher sur les mains, imiter les cris d'animaux, dessinersur les murs avec un morceau de charbon ? Alors tu auras de la discipline. » Ces citations résonnentétrangement à nos oreilles alors qu'on enferme les enfants délinquants et que lesprisons sont pleines à craquer. Car ce que Deligny nous transmet ce n'est pas seulementun manuel pour éducateurs de jeunes marginalisés mais aussi une alternative à unesociété qui exclue en voulant dresser ses éléments perturbateurs, en coupant systématiquementtout ce qui dépasse.Céline, Strasbourg, le 26/03/2010Conseils de lecture :Fernand Deligny, Graines de crapules. Conseils aux éducateurs qui voudraient lacultiver suivi de Les Vagabons efficaces, 1945, ed. DunodFernand Deligny, Pavillon 3, 1944, ed OpéraFernand Deligny, Les vagabonds efficaces et autres récits, 1947, ed MasperoFernand Deligny, A comme asile, <strong>199</strong>9, ed DunodAVRIL 2010 9


ItalieRosarno :L’alibi du racismeet de la ‘NdranghetaNous portons à la connaissancede nos lecteurs cet intéressantcommentaire paru dans Il Quotidianodella Calabria. Ce peut êtreune bonne clef de lecture des événementsde Rosarno, mais certainspassages courageux et sansdétour peuvent aussi fournirmatière à réflexion sur le tristephénomène du "business" del’anti-Mafia qui profite largementà certains pseudo-intellectuelsmais en rien à la lutte contre laMafia. En effet, si « de la Mafiaon meurt, de l’anti-Mafia souventon vit ». Et même bien. G.P.De notre point de vue, ces deux explicationscontribuent à obscurcir alorsqu’elles auraient dû, en principe, clarifier.Et toutes les deux débouchent surcette incantation insensée : plus d’Etat dansle Sud ! Comme si, pendant les cent cinquanteans qui nous séparent del'unification de l'Italie, cette stratégie n'avaitpas fait suffisamment de dégâts.Voyons les choses de plus près.La xénophobie (la peur de l’étranger)comme le racisme (le refus de considérercomme de la même nature que soi ceuxdont les traits sont différents) – sentiments,ou ressentiments, que l’on retrouve malheureusementsouvent chez l’Homme –sont évidemment présents chez les habitantsde Rosarno, comme ils le sont à Trévise,à Biella ou dans le canton des Grisons.Mais affirmer que ces préjugés déplorablesont une telle importance qu’ils façonnent lamentalité calabraise est contraire àl’évidence. Depuis des siècles, dans notrerégion vivent côte à côte, réparties en peaude léopard, des minorités diverses parl’origine ethnique, la langue et la religion.Dans les vingts dernières années, quelquescas d’intolérance ont bien été relevés vis-àvisdes forestieri, les gens du dehors, maisbeaucoup plus rarement que dans le restede l’Europe ; et à l’inverse, que ce soit àRosarno à Badolato, à Riace ou à Soverato,les exemples d’accueil et de solidaritéenvers les immigrés n’ont pas manqué,comme le montre très bien le dernier filmde Wenders. Ce qui nous amène à conclureque la clé de lecture du racisme est vague,expéditive et frustrante.Quelques semaines se sont écoulées depuis les événements deRosarno, qui sont maintenant reconstitués en détail et commentésen abondance par les médias. Si bien qu’il devient possible defaire un point, même provisoire, sur ce qui s’est passé et sur sescauses présumées.Disons d’emblée que, à nos yeux, les émeutes de Rosarno sont lesigne précurseur d’un scénario inédit et pervers qui semble se dessinerpour l'agriculture du Sud, en particulier celle des grandesplaines. Or, les faiseurs d’opinion des journaux du Nord ont préféré,eux, chercher la genèse des événements dans la pulsion xénophobe,sinon franchement raciste, qui habiterait l’âme calabraise; quant aux commentateurs des journaux du Sud, ils se sont pourla plupart ralliés à l’idée que tout provient des clans de la ‘Ndrangheta: ce sont leurs chefs qui ont fomenté la révolte, chez lesouvriers agricoles noirs comme chez les citoyens italiens de laPlaine.Quant à l’attribution de la responsabilitédes événements de Rosarno à la ‘Ndrangheta,elle ne s’appuie pas sur des étudesdocumentées, des enquêtes ou des reconstitutions.Elle renvoie plutôt à une façon devoir les choses non étayée, voire mythique,que l’on pourrait formuler ainsi : vul’omnipotence démoniaque de ‘Ndrangheta,tout ce qui se passe à Rosarno, comme toutce qui ne s’y passe pas, s’explique en dernièreanalyse par la stratégie mafieuse. Lescriminels ne pouvant pas ne pas savoir, ilstirent toutes les ficelles. Ici, la ‘Ndranghetaest devenue une sorte de « cause absolue ».Une inversion simplificatrice des causes etdes effets est à l’œuvre dans ce mode de raisonnement: ce ne sont pas les conditionssocio-culturelles des villes de la Plaine quigénèrent et régénèrent la ‘Ndrangheta, maisla criminalité qui crée ces conditions.On remarquera que cette façon de rendrela ‘Ndrangheta responsable de tout, a lafaveur des professionnels de l’anti-Mafia,pour parler comme Sciascia. Ceux-ci, touten s’assurant ainsi quatre salaires pour lepot-au-feu, finissent par absoudre de touteresponsabilité dans la dégradation de la viedes citoyens calabrais, les politiciens nationauxet locaux, ainsi que toute la classe dirigeantede la région, entrepreneurs, journalisteset universitaires compris.Il vaut la peine d’insister sur la véritableinconsistance de ces explications : d’uncôté, le pouvoir de nuisance de la ‘Ndranghetaest démesurément amplifié, on luiattribue une stratégie des plus astucieuseset une efficacité paranoïaque ; de l’autre, onla tient responsable d’actions et de gestesqui se révèlent imbéciles, inconsistants etsuicidaires plus encore que criminels.En effet – pour ne prendre qu’un exemple– quel intérêt pourrait bien avoir la ‘Ndranghetaà fomenter des révoltes dans le territoirequ’elle contrôle ? Vu la dimensioninternationale de son business, il est bienévident qu’elle a intérêt à ce que ses affairesse fassent dans une certaine paix sociale.Ce que ne favorise guère une arrivée massivede magistrats, de forces de l’ordre, dejournalistes et de chercheurs du dimanche.Le miracle économique des jardinset les conditions de vie desimmigrésA nos yeux, la genèse des événements deRosarno est à rechercher certes localement,mais, plutôt que dans l’action de la Mafia,dans la structure socio-économique du lieu.Pour faire ce travail, nous puiserons librementdans les travaux des sociologues del'Université de Calabre, et en particulierdans la thèse d’Antonio Sanguinetti, Laresistenza dei migranti : il caso Rosarno(Unical, 2009).La vie économique de Rosarno (cinq millefamilles) s’organise depuis longtempsautour de la production agricole, d'olives etd’agrumes notamment. Les terres, très fragmentées,sont réparties entre un peu moinsde 2 000 familles propriétaires, dont chacunepossède en moyenne un peu plus d’unhectare – un « jardin », comme on dit là-bas.Jusqu'à il y a quelques années, on comptaitplus de 1 600 exploitations agricoles, soitquasiment une par famille, ce qui donnait10COURANT ALTERNATIF


Italiedu travail plus ou moins en permanence àenviron 3 000 journaliers de Rosarno, soit unpeu moins de deux par exploitation. Dudébut des années 90 à 2008, l'aide financièreeuropéenne pour l'agriculture du Sud étaitoctroyée au prorata de la quantitéd'agrumes produits, ce qui signifiait que,pour chaque hectare, le propriétaire percevaitune sorte de revenu foncier annuel,garanti par la bureaucratie européenne,d'environ 8 000 euros par hectare. Pour les3000 journaliers, il existait la protectionsociale de l’INPS : il leur suffisait de 51 joursde travail, cinq en cas de catastrophe naturelle,pour avoir droit à une allocation dechômage pour l'année entière.De fait, beaucoup de ces travailleursrosarnais préfèrent, hier comme aujourd’hui,percevoir l’allocation de chômage ettrouver ailleurs d’autres boulots, vu que letravail pénible de la cueillette des orangespeut être fait par des travailleurs étrangerstotalement flexibles, et pour un coût dérisoire.Les agrumes de Rosarnorestaient ainsi compétitifssur le marché des produitsalimentaires, compte tenu dela stabilité du prix de vente.Mieux, pendant plus d'unedécennie, la production desjardins n'a cessé de croître,et la ville a connu unehausse générale de ses revenusmonétaires.A vrai dire, cette augmentationrégulière de la quantitéd'oranges, produites enl’absence de toute améliorationdes techniques agricoles,avait quelque chosed’un acte créatif sorti de rien.Pourtant, aucune des autoritésnationales ou locales nesemblait préoccupée parcette « bizarrerie », pas undes nombreux « prêcheursde légalité » ne s’en estinquiété, pas un chercheurne s’est montré curieux, et,même parmi les jeunesreporters à la recherche descoops, il ne s’en est pastrouvé un seul pour y prêterattention.En réalité, le miracle économiquede la plaine tyrrhéniennereposait sur la fraudeet le mensonge public ; toutcomme, à la même période,la production laitière du nordde l'Italie ou comme, aujourd’hui,la finance créative....Cela fonctionnait commesuit : les coopératives depetits propriétaires se chargeaientde la cueillette desoranges puis de leur venteaux grands marchés fruitierset aux industries alimentairesdu Nord. Ces structures, dirigées àégalité par du personnel politique de centregauche et de centre droit, géraient les subventionseuropéennes. Comme celles-ciétaient proportionnelles à la quantitéd'agrumes livrée par les coopératives agricoles,Rosarno produisait des oranges engrande quantité sur les arbres, mais en plusgrande quantité encore sur le papier.Lorsque l'agriculteur apportait une certainequantité d'agrumes à la coopérative, celle-cien déclarait trois fois, cinq fois voire dix foisplus sur la facture. Les propriétaires encaissaientainsi des contributions financièresgonflées, qui revenaient pour une part fortmodeste aux paysans, dont on s’assuraitainsi la complicité collective à peu de frais.Quant à celle des chômeurs de Rosarno,c’était, on l’a vu, l’INPS qui y pensait, avecses listes falsifiées et interminablesd’ouvriers agricoles pour lesquels les contributionsdues n’étaient pas versées.Sur la base de cette fraude massive, plusieursautres fraudes s’étaient développéesautour des fonds européens. De nombreusesentreprises étaient nées qui transformaientles oranges de papier en jus depapier – comme il se doit.A partir des années <strong>199</strong>0 et jusqu’àrécemment, un mode de production insolitea pris forme à Rosarno, oùs’entrecroisent les époques, ou plutôt lestemporalités diverses. Des temporalités qui,dans l’histoire de l’Occident, s’étaient articuléessur le mode de l’avant et de l’aprèsapparaissent à Rosarno toutes en mêmetemps.Il y a la temporalité protocapitaliste, cellede l’accumulation primitive. A celle-ci participentaussi bien les propriétaires de jardinsque les immigrés qui travaillentcomme saisonniers dans ces plantationsd’agrumes. Les premiers, « capitalistesmiséreux » possédés par le funeste désir des’enrichir rapidement, ne font pas vraimentdans la dentelle : ils manifestent sans retenuecette férocité sociale, cet esprit animaltypique du capitalisme dans sa phase nais-AVRIL 2010 11


Italiesante. Ils exercent leur hégémonie sur lesouvriers agricoles rosarnais à travers la pratiquetoute discrétionnaire des embauches– les vraies, mais surtout les fausses.Les autres, les immigrés, africains enmajorité, sont, comme au temps de lamanufacture dans l’Angleterre du début duXIXe siècle, force de travail nue, privée decouverture sociale, de contrat et de protectionsyndicale. Non seulement ils travaillentau noir, comme c’est très souvent le cas enCalabre même pour les citoyens italiens,mais ils perçoivent un salaire inférieur demoitié à celui, au noir lui aussi, de leurshomologues italiens.A cela s’ajoute l’imbroglio de la protectionsociale, dont les règles byzantines nousramènent à la politique agraire corporativedu temps de Bonomi, au régime démocratechrétiendu second après-guerre.Enfin, il y a la temporalité postmoderne,celle de la bureaucratie européenne qui,dans sa lumineuse abstraction, finit parfavoriser l’agriculture créative, de papier,comme elle a rendu possible la finance créative,de papier justement.Cet ensemble économique improbable atenu le coup pendant près de vingt ans ;mais voilà que, il y a quelques années, lespremiers grincements se sont fait sentir.L’un des juges assoupis de la lutte contre laMafia s’est comme réveillé, les premièresenquêtes ont démarré et quelques escroqueriesparticulièrement évidentes ont étémises au jour. Même l’INPS a semblé sortirde sa léthargie : elle s’est mise à revoir leregistre des journaliers enregistrés et en arayé quasiment la moitié. Puis, en 2008, lesbureaucrates de Bruxelles, bons derniers, s’ysont mis à leur tour : allarmés par la découvertedes escroqueries, ils ont brusquementdécidé de changer les critères d’attributiondes subventions ; elles ne se calculeraientplus en fonction de la production mais dela surface exploitée.Du coup, le propriétaire de jardin qui recevait8 000 euros à l’hectare n’en touche plusqu’à peine 1 500. Cela a suffi à provoquerune forte contraction du nombre des entreprises,dans la production agricole et plusencore dans sa transformation et sa commercialisation.La crise globale et la lutte declasse dans la Plaine tyrrhénienneAinsi allaient les choses à Rosarno quand,l’année dernière, la crise financière mondialeest arrivée jusque dans la Plaine : leprix des oranges s’est écroulé sur le marchéinternational tandis que plus d’un millierd’émigrés licenciés des usines du centrenord se rendaient dans les campagnes duSud dans l’espoir d’y trouver une source derevenu, même minimale et au noir.A ce stade, à Rosarno, il a fallu faire faceà trois difficultés en même temps : la réductiondrastique de la contribution européenneà l’agriculture, la baisse globale dela demande en denrées alimentaires, lacroissance du nombre d’immigrés à larecherche d’un travail. La conjonction de cesfacteurs a provoqué un affrontement declasse entre, d’une part, le bloc social organiséautour des petits propriétaires et,d’autre part, des milliers d'immigrés qui,depuis des décennies, avaient l’habitude detravailler comme saisonniers dans ces jardins.Une image pour résumer la situation : àRosarno, cette année, la plupart des orangessont restées sur les arbres, leur prix de ventene couvrant même pas le coût de production.Là où, il y a quelques années, plus dedeux mille immigrés étaient nécessairespour faire la cueillette, il en a suffi cetteannée d’à peine deux cents, alors que lacrise économique en a fait venir près detrois mille dans la Plaine. Ainsi se sontcréées les conditions d'un conflit social : ledroit au profit pour le « capitaliste miséreux» contre l’habitude de « l’immigré maure »de tirer chaque année à Rosarno un revenude survie.Déjà en décembre dernier, en l’espace dequelques semaines, l’ambiance avaitchangé.Les habitants de Rosarno, sous l’influencedominante des propriétaires de jardins, ontcommencé à ressentir la présence desimmigrés comme excédentaire et inutile ;ceux qui jusque-là étaient des manœuvrestravaillant pour eux sont devenus des étrangersvagabonds à renvoyer chez eux ; à renvoyervite, trop vite pour avoir le temps deleur payer ce travail au noir que certainsavaient quand même accompli. Dans uncontexte d’incapacité de la Région ou de lapréfecture de Reggio à jouer un rôle demédiation politique, un malaise croissants’est installé, et même une sorte de hainede classe entre Rosarnais et immigrés,quand il ne s’agissait pas de véritable hostilitéphysique. Dans ces circonstances, il asuffi d’un geste irresponsable ou mêmed’une provocation volontaire, dont la gravitéa été amplifiée par les discours, par lesrumeurs, pour allumer la mèche del’explosion sociale. Mais, répétons-le incidemment,le racisme n’a joué dans tout celaqu’un rôle anecdotique : les immigrésauraient été blonds aux yeux bleus que,dans de telles circonstances, les chosesauraient pris plus ou moins la même tournure: celle d’un affrontement social entreentrepreneurs et salariés journaliers.Tirer la leçon des événementsLes émeutes de Rosarno sont graves, pastant en elles-mêmes que pour ce qu’ellesont mis en lumière d’une situation socioculturellepréexistante ; et qui concernecertes la Plaine tyrrhénienne, mais aussi laplaine de la côte Ionienne et beaucoupd’autres lieux de développement (si l’on oseappeler cela ainsi) de l’agriculture méridionale.Ce qui caractérise cette situation, c’estl’hypocrisie publique. Attention, le problème,ce ne sont pas les comportementsfrauduleux, toujours possibles car la chairest faible ; et pas non plus la dimension collectivede ces comportements, qui à la limitetémoigne d’un certain sens de la coopération.Ce qu’il y a de malsain, c’estl’hommage public qu’ici, en Calabre, toutesles autorités, locales ou nationales, les journaux,les évêques, les directeurs d’école…sans oublier quelques truands notoires, rendentà la légalité. Une légalité invoquée demanière obsessionnelle, comme un exorcisme,bien que le sens commun sache parfaitementde quelles violations banales etsystématiques de toute bonne habitudecette légalité dont on chante les louangesest imprégnée. C’est cette hypocrisiepublique qui a permis que, pendant desannées, les maires, les conseillers régionaux,provinciaux et municipaux, les commissairespréfectoraux, la Protection civile,les magistrats et les policiers, les députés etles sénateurs ignorent les conditions nonseulement illégales mais inhumaines danslesquelles vivaient et vivent des milliersd’immigrés contraints de travailler au noirdans les campagnes méridionales. Commepar un tic nerveux collectif, tous refoulaientla chose, il n’y avait donc pas de responsables.Ainsi, pendant vingt ans, aucune deces multiples autorités n’a trouvé le moyende prendre des mesures d’urgence pourgarantir aux immigrés des logements,l’accès à l’eau, à l’électricité et aux servicesd’hygiène, alors que c’était possible de lefaire et que cela s’est fait dans d’autresrégions.Notons au passage que l’absence de responsabilitésgénérée par cette hypocrisiepublique explique un aspect insolite de cesévénements : malgré l’importance traditionnellementaccordée à la présence physiquedans la représentation méridionale,aucun des leaders politiques régionaux nes’est montré dans les rues de Rosarno pendantles émeutes – à juste titre puisque lesimmigrés ne votent pas.Mais l’hypocrisie n’est pas seulement lefait des autorités locales : les syndicats yparticipent également à plein titre. EnCalabre, on l’a vu, dans le secteur privé, unebonne part du travail salarié se fait au noir.Les grands syndicats ne font rien pour fairevaloir la législation sociale dans le Sud ; lescontrats nationaux n’y sont pas appliqués,peut-être sont-ils inapplicables. Et pourtantc’est bien la négociation contractuelle centraliséedes contrats qui justifie l’existencedes syndicats et fournit leurs moyens matérielsde reproduction à leurs bureaucraties.Voilà l’hypocrisie dont la vie syndicale calabraiseest imprégnée depuis un demi-siècle.Et puis il y en a une autre, brûlante, blessante,apparue dans la dernière décennie etqui peut se décrire ainsi : alors que la massede travail vivant qui valorise l’agriculturecalabraise s’incarne presque exclusivementdans les corps des immigrés noirs, la troïkasyndicale, que le poids des retraités a constipée,ne parvient pas ne serait-ce qu’à parler12COURANT ALTERNATIF


Sans Papieravec ces journaliers aux mains calleuses.Bref, les seuls travailleurs qui peuplent noscampagnes sont des inconnus pour le syndicatdes travailleurs – par choix peut-être,ou par incapacité.Il ne faudrait toutefois pas oublier qu’àl’hypocrisie publique participe un mondebien plus large que le seul milieu politiqueet syndical. Ce triste sentiment s’est logédans l’âme de beaucoup d’entre nous, depresque nous tous, Calabrais. Les seuls à enêtre épargnés sont ceux qui appartiennentau monde des libres associations, au bénévolatcatholique, aux centres sociaux. Etremercions les immigrés de Rosarno d’avoirfait remonter cet état de chose à laconscience de tous.Quelques modestes propositionspour agir ici et maintenantLe monde des associations, ces communautésagissantes, est le seul interlocuteurauthentique des immigrés, le seul quipuisse leur demander pardon, au nom denous tous, pour ce qui s’est passé et sepasse encore.Il va de soi que, dans des cas comme ça,les excuses ne passent pas par les mots,mais par les gestes et les actes. En lançantpar exemple une campagne de dénonciationde la Région pour l’obliger à mettre enœuvre immédiatement un programmed’urgence de construction de logementsdans les plaines et les zones agricoles fréquentéespar les immigrés. Une campagnesimilaire pourrait être lancée en directiondes trois universités calabraises pourqu’elles offrent des accès gratuits et desbourses d’études non pas au hasard, commeelles le font déjà pour les Espagnols et lesChinois, mais plutôt à ces jeunes immigrésinstruits qui, tout en travaillant dans nosplaines, cherchent à faire des études universitaires.Toutefois, il ne fait pas de douteque, pour le monde des associations,l’objectif principal, la grande voie de la solidaritéà offrir aux immigrés, ne consiste pasà revendiquer à leur place, mais à les aiderà construire leur autonomie, à s’auto-organiser.En effet, ce n’est pas par la loi, qu’ellesoit régionale ou nationale, que le travail aunoir peut trouver sa dignité, mais par uneorganisation consciente de ces immigrésqui permette de renverser un rapport deforces qui leur est aujourd’hui nettementdéfavorable.Pour ce faire, il faut, dans l’immédiat,connaître pour agir : il faut ouvrir, en utilisantl’espace des réseaux, une grandeenquête de masse qui éclaire, par des filmset des entretiens, les histoires et les conditionsde vie et de travail des immigrés descampagnes calabraises. Un travail quireprenne la méthode des enquêtesouvrières des années soixante, qui àl’époque étaient des outils de connaissanceet jouaient un rôle d’impulsion, jacobineparfois, en faveur de l’auto-organisation. Sil’enquête démarre immédiatement,l’occasion est bonne de convertir la connaissanceen actes et vice versa. Depuisquelques semaines la belle idée d’une journéede grève générale circule parmi lesimmigrés de toute l’Italie – pour lescalendes de mars, organisée de façon autonome,indépendamment des syndicats etdes partis, comme cela se faisait aux débutsdu capitalisme.Il nous semble que contribuer au succèsde cette grève est une bonne façon d’offrirréparation pour ce qui s’est passé pendantA propos du Collectif Anti-Expulsion Strasbourg :les émeutes de Rosarno. En effet, tout lemonde le comprend, le succès de l’initiativeprovoquerait une prise de conscience en faisantapparaître, en une seule journée, tel unéclair, la puissance coopérative des immigrés– sans lesquels non seulementl’économie mais même la vie civique de lanation apparaît mise à mal.Elisabetta Della Corteet Franco PipernoCette structure informelle s'est constituée il y a deux ans à la suite du mouvementétudiant de la LRU. Il s'agissait de réunir celles et ceux qui désiraients'investir dans le soutien aux sans-papiers. L'idée n'était ni d'apprendre auxsans-papiers à se battre, ni de jouer le rôle de RESF. Il s'agissait d'entamer unelutte sur la revendication d'une régularisation de tous les sans-papiers ainsi quede combattre les CRA (Centre de Rétention Administrative) et non pas de fairedu soutien au cas par cas.Les premiers contacts avec RESF (en Alsace) ou la CIMADE (en Alsace) ont ététrès difficiles, car ces deux structures ne souhaitaient pas s'associer à ce collectiftrop "radical" pour elles. Malgré cela, le collectif a réussi à organiser unemanifestation (une soixantaine de personnes) et un blocage/ralentissementdevant le CRA de Geispolsheim en 2009. Lors de la manifestation des camaradesont réussi à prendre contact avec des "retenus" du CRA. Cette action avait pourobjectif d’ouvrir des alternatives d'actions face aux simples "cercles de silence"organisés par les religieux de Strasbourg. Pour l'anecdote, des groupes fascistesont tenté d'empêcher les "cercles de silence" d'avoir lieu, et il a fallul'intervention "énergique" des camarades "radicaux" pour les en dissuader. LeRESF 67 (noyauté par le PS) et la CIMADE n'ont pas donné de suite, et ont faiblementsoutenu ces diverses actions "non citoyennes". Le résultat a étél'essoufflement du collectif, puis le départ des étudiants (qui composaient unegrande partie du collectif) dans d'autres villes.La préparation du contre sommet de l'OTAN à Strasbourg acheva de plomberle collectif. Celui-ci s'est réactivé, notamment à cause des diverses tentativesde suicides et grèves de la faim qui ont eu lieu dans le CRA. Une nouvelle actionde ralentissement/tractage a été entreprise à la fin du mois de mars (une quinzainede personnes). Le rapport avec les forces de police a cette fois été un peuplus musclé (avec présence de deux idiots des RG en train de photographier lesgens), mais sans gravité pour nous.Cette fois le collectif tente de nouer des liens avec le RUSF (Réseau UniversitaireSans Frontière), avec des anciens de RESF et des membres de la CIMADE.Il faut ajouter que c'est l'ordre de Malte qui s'occupe maintenant du centre deGeispolsheim (le centre est situé dans un ancien fort militaire derrière une zonecommerciale). Le centre dispose de deux parloirs, mais un seul fonctionne, àcause des réductions de personnel (excuse bidon vu le nombre de flics quis'occupent de nous pour empêcher de manifester devant le CRA).Des visites sont aussi organisées par nous et des anciens de RESF, afin d'aiderles gens à l'intérieur. Dans ce centre, véritable enfer aseptisé, les migrants sontdrogués aux médicaments pour mieux accepter leurs conditions sans sedéfendre (sur le plan juridique) et surtout afin qu'ils ne résistent pas lors del'expulsion. Dans le même temps, l'aide des forces politiques locales (véritablepanier de crabe) est très faible. A Strasbourg comme ailleurs, lutter avec dessans-papiers, sera très long et très compliqué, mais reste une lutte incontournablede notre époque.Quelques individus en forme de funambulesContact : collectif.anti.expulsion.strasbg@gmail.comAVRIL 2010 13


Fondu au noir« Avatar »de James Cameron« Le meilleur film de l’année2009, original et enrichissant,avec des décors somptueux etdes effets spéciaux superbes.On ressort de la salle émerveillé…» Ce commentaire d’unspectateur sur la production àgrand spectacle en 3D d’unJames Cameron déjà réalisateurde Titanic – fait écho auconcert de louanges d’unepresse quasi unanime. Charliehebdo s’est accordé avec leFigaro, Paris-Match, le NouvelObs et les revues de cinémapour attribuer à Avatar un maximumd’étoiles. A peine a-t-on punoter quelques réserves sur sonscénario trop Walt Disney dansLe Monde, La Croix, L’Huma ouMarianne – et une critique vraiment« contre » dans Télérama(1)… mais en pendant d’une critique« pour » dithyrambiquesur la qualité des images.Qu’est-ce donc que ce film dontl’histoire suscite aussi peu de réactions– les prouesses techniquesréussissant même à faire dire dans Marianneque le héros est « creux à pleurer, mais cen’est pas le propos » ?Selon le résumé repris par les médias, en2054, Jake, ex-marine en fauteuil roulantmais « resté un combattant au plus profondde son être », est recruté par l’armée pourse rendre sur la planète Pandora, où de puissantsgroupes industriels exploitent unminerai rarissime destiné à résoudre la criseénergétique sur Terre. Parce quel’atmosphère y est toxique pour leshumains, ceux-ci ont créé le programmeAvatar, qui permet à des « pilotes » terriensde lier leur esprit à un avatar – hybride dontle corps biologique, commandable à distanceet capable de survivre dans cetteatmosphère, est obtenu en croisant l’ADNhumain avec celui des Na’vi, le peupleautochtone. Comme sous sa forme d’avatarJake peut remarcher, on lui confie la missiond’infiltrer les Na’vi, qui gênentl’exploitation du précieux minerai. Maislorsque Neytiri, leur très belle princesse, luisauve la vie, il tombe amoureux d’elle etfinit par respecter le mode de vie de sonpeuple. Il y trouvera sa place à la suite d’unebataille épique contre les Terriens.Pareille présentation ne rend toutefoispas compte de la charge idéologique queporte cette « jolie fable écolo » – tant dupoint de vue des rôles sociaux entre lessexes que de l’impérialisme ou del’écologisme à la mode capitaliste. L’examendes personnages est déjà plus révélateur. Ily a le méchant patron, un capitaliste-technocrate(sans gros cigare, sûrement pourfaire plus « moderne ») juste soucieux deprofits et dépourvu de tout scrupule ; leméchant militaire, fou à la Full Metal Jacket(peut-être aussi pour faire « moderne », etsusciter un rejet de lui non tant pour safonction que pour son attitude) ; les gentilsscientifiques forcément innocents par rapportà leurs recherches et résolus à ne pasvoir maltraiter les indigènes, leur cher objetd’étude, parce que dans le « ravissement »devant tant de naturel parfait ; commehéros, un militaire dans l’âme prêt à toutpour recouvrer l’usage de ses jambes ;comme héroïne, une excellente chasseresse,en apparence assez déterminée – la touchefemme « moderne » là encore, mais quandmême pas féministe… car, très vite subjuguéepar l’avatar de sa vie, elle s’en remettraà lui pour qu’il sauve son monde.Quant aux indigènes respectueux de lanature, ils-elles vivent dans une société hiérarchiséemais qui ignore les conflits parcequ’il y a des sages à sa tête. Que ces « bonssauvages » aient l’air clonés ne retient pas lacritique : pensez, des corps si beaux et élégants– racés, allez… Harmonieux de partout,les Na’vi, dans leur allure comme dansleur comportement individuel et social, ettout ça parce qu’ils respectent la nature,précisément, en se fondant dans un décorjoliment coloré qui tient à la fois de la BD etdes fonds sous-marins.Face aux vilains pourris par la « civilisation» ( ?), notre superhéros tombe donc àpoint nommé, mais on sombre alors dans lereligieux car voici le rédempteur, le Sauveurvenu d’une autre planète pour secourir legentil peuple, alléluia ! En domptant l’oiseau(le Saint-Esprit ?) que respectent les Na’vi,il leur prouve qu’il est le plus fort à toutpoint de vue et les incite à s’en remettre àlui. Vive l’intrusion étrangère quand c’estpour la bonne cause, quoi ! Que ce hérosappartienne à une autre civilisation, qu’ilsoit au hasard bien sûr un Américain et unmilitaire, ne choque pas le public du film quis’exprime dessus : grâce à sa maîtrise de latechnique, tout finira bien – même si on n’apas osé nous proposer ouvertement enhappy end « Ils se marièrent et eurent beaucoupd’enfants » – et c’est ce qui compte.On le voit, on tient là une grossière soupe« écolo » assaisonnée à la mode capitaliste.D’une part, le budget d’Avatar – prévu à 400millions de dollars mais ramené à 300 millions,nous fait-on valoir comme si c’était làune paille – montre une fois de plus que lesproducteurs ont compris les bénéfices àtirer sur le thème de l’« écologie ». D’autrepart, le message général servi via les Na’viest que l’« harmonie » va de pair avec lamodération – régulons les tensions grâce àquelque sage médiateur (ici la mère de laprincesse ou un grand-prêtre). Les coutumesde ces quasi-clones n’ont pourtantpas de quoi faire rêver, en particulier dans lascène où tous se balancent au rythme d’unemusique sirupeuse-lancinante à souhait ense tenant les uns les autres – une espèce degrand-messe certes moins désagréable àregarder que les parades au pas de l’oie,mais la « communion » d’une multitudeuniforme en prière extatique ne devraitguère ravir que les mysticos à la recherched’absolu, non ?La propagande est à dénoncer dans les «démocraties » comme dans les dictatures –et dans les œuvres de fiction comme dans la« vraie vie » car il n’y a qu’un pas entre lesdeux. Pour preuve : devant les records battuspar Avatar au box-office mondial, l’ONGSurvival International a interpellé Cameronafin qu’il vienne en aide à la tribu des DongriaKondh, établie dans l’Orissa, à l’est del’Inde. En effet, la compagnie britanniqueVedanta Resources exploite la bauxite querenferme des collines sacrées aux yeux decette tribu ; et non seulement elle pollue lescours d’eau et dévaste les forêts, mais ellemultiplie menaces et intimidations pourchasser les Indien-ne-s de la région… Si lalutte pour leur survie est évidemment àsoutenir, le recours de l’ONG à un metteuren scène pour la populariser constitue dutrès mauvais cinéma – et que pourrait-ilbien faire, hormis des effets spéciaux supplémentairesdans les médias sur un thèmeporteur ?Vanina(1) « Au cœur de cette interminable transpositionwesternienne (…), la morale pro-Indiens prendra la forme d'un gros gloubiboulgaécolo et d'une exaltation panthéistecrypto-miyazakienne. Les deux sont d'un telsimplisme, d'une telle bêtise qu'on ne craintde vexer aucun croyant (écolo ou panthéiste)en recommandant la fuite ou le fourire. »14COURANT ALTERNATIF


Le Tempsdes Grâcesde Dominique MarchaisLa période est faste. Son titre nele révèle guère, après We feedthe world, La terre des hommesrouges, Food inc., Herbe, voiciun nouveau film sur la destructiondes modes de vie, des campagneset des sociétés par lemépris du peuple et de la vie, lacupidité et le productivisme. Ony voit, on y entend comment despaysans ont cru aux illusionsde la chimie et de la mécanisationà tout va.Comme on entre en religion. Emballésdans une apparence de rationalité, lesmessages propagandistes marteléspar des délégués et des élus détournés leuront inoculé l'espoir d'un progrès magiqueouvrant sur une ère de prospérité et de facilité.C'est ce qui les a fait tomber d'un coupdans tous les pièges des représentants dugrand commerce.Les connaissances acquises durant dessiècles et des siècles d'études et d'essais surle terrain ? Ridiculisées. Les savoir-faire ?Radicalement dévalorisés. Les architectureset les matériaux économes, beaux et sains ?Méprisés. Les bocages, les boqueteaux et lessols ? Détruits. Les chemins, les reliefs ?Rasés. Les cours d'eau, les marécages, lestourbières, les forêts galeries ? Détruits. Lesplantes et les animaux, sauvages ou fruitsde milliers d'années de sélection ? Détruits.L'épouvantable souffrance des animauxdans les "circuits" industriels ? De quoi vousparlez ? L'autonomie alimentaire et industrielle? Détruite. Les places des hommesdans leurs sociétés ? Détruites.Ne pas détruire était devenu mal vu.Cela l'est encore.Il faut voir à quel point les gens de lagénération des "trente glorieuses", désormaisretraités, ont été intoxiqués par lamanipulation. Enfin, il faut relativiser : lefilm montre surtout des "exploitants" quiont "réussi" à profiter de la ruine des autres.Eux sont restés, ont grossi, grossi et comptéles faillites alentour, sans se poser de questions.Devenus ignorants en quelquesdizaines d'années d'application scrupuleusedes modes d'emploi bancaires et industriels,ils n'ont pas grande conscience desconséquences de leur action. Aveuglés parles rendements croissants qu'ils attribuaientuniquement à la chimie et à lamécanisation, ils n'ont même pas encorecompris qu'ils "réussissaient" en épuisantla richesse biologique léguée par les générationsprécédentes ! En tout cas, ilsn'avoueront pas. Dommage que leurbabillage ne soit pas contrebalancé par lestémoignages de ceux qu'ils ont contribué àexclure de leurs métiers et de leurs campagnes.Le bilan du grand démembrementde la paysannerie vu par des exclus du systèmeréfugiés en banlieue, avec des enfantsen difficulté, aurait été plus intéressant.Cela, seul, mériterait une étude et un film.Heureusement, Le temps des grâces comporteaussi quelques belles interventions deLydia et Claude Bourguignon, et Marc Dufumier,qui donnent les éléments essentielspour apprécier l'ensemble de la situation etcorriger les propos inconséquents .Là où l'on peut rejoindre le proposd'exploitants qui, à propos du vivant, parlentde "matière première", de "minerai", etne voient dans les haies et les bosquets quedes décorations paysagistes, c'est sur lemaintien des prix agricoles au plus basniveau. Rappelons que c'est une politiquequi a été ouvertement décidée dès lesdébuts de la Cinquième République pourruiner les campagnes, produire à outranceet exporter en ruinant les autres. Uneconception technocratique de la création derichesses par la dévitalisation généralisée,signée Louis Armand et Jacques Rueff .Fondu au noirLa grande déstructuration dont le filmdonne un aperçu a commencé avecl'interdiction des langues régionales dans laFrance du XIXème siècle. La PremièreGuerre Mondiale a bousculé profondémentla paysannerie et ses cultures tandis qu'auxUSA on commençait à réfléchir àl'établissement d'un ordre capitaliste mondial,ce qui allait donner naissance au CFRen 1921. Avec la Seconde Guerre Mondiales'est vraiment révélée la planification d'unesystématisation de l'exploitation par lemoyen d'une déstructuration sans précédent.Peut-être déjà cette guerre, au moinsen partie, en tout cas toutes celles qui ontsuivi ont servi à maintenir une tension extérieurepour affaiblir et détourner l'attentionafin de déstructurer davantage. La déstructurationdes sociétés et de leurs écosystèmesest aussi une guerre, la guerre ducapitalisme dérégulé contre la vie. Et, là, pasde déclaration de guerre, pas de conventioninternationale pour protéger les populations,pas de casques bleus, pas d'aidehumanitaire... La Seconde Guerre Mondiale,c'est la conférence de Bretton Woods et lelancement des institutions internationalesdont chacun doit connaître, aujourd'hui, letriste bilan, c'est le plan Marshall et laconquête des marchés au détriment deséconomies autonomes, c'est le grand essorde la globalisation de la spéculation.Cette offensive capitaliste généralisée aeu pour conséquences la réification duvivant et sa réduction en matière première,minerai, ressources et marchandises, la dissolutiondes relations sociales nombreuseset complexes, d'innombrables faillites, l'exilvers les banlieues et la désertification descampagnes. Comme le démontre l'histoirede la conférence de Bretton Woods, elle n'apu être réalisée qu'avec le détournementdes fonctionnements démocratiques par leslobbies financiers et industriels, cela à tousles niveaux des Etats, des syndicats professionnels,des coopératives, des médias. C'estpourquoi je l'appelle : la grande déstructuration.Affaiblir pour manipuler et manipulerdavantage pour briser les dernières résistances.La réponse à ce joli programme est venueassez vite. Elle a beaucoup mûri dans lesannées cinquante et a émergé avec les différentesrévoltes qui ont généré le mouvementalternatif ; dont les régionalismes, lecourant autogestionnaire, l'écologisme, leféminisme, etc. C'était le temps de la plusgrande conscience du processus de spoliationen cours, le temps où, en Francecomme partout ailleurs, on pouvait encoresauver l'essentiel et reconstruire avec l'aidede tous ceux qui n'avaient pas encore perduleurs savoir-faire. L'alerte fut chaude pourles prédateurs. Mobilisées pour l'offensivemondialisée et exaltées par son succès, lestroupes de la domination étaient fin prêtespour étouffer toutes les contestations etdétourner l'attention afin qu'elles ne ressurgissentpas avant longtemps. Les émissairesde l'oligarchie du capitalisme mondial("power elite"), et leurs serviteursdisséminés aux postes stratégiques (en particulier,dans les médias), pénétrèrent lemouvement social, en évacuèrent les élémentsactifs et se substituèrent à eux pourpouvoir éteindre l'incendie. C'est sur l'élande ce nouveau sabotage social qui faisaitdéfinitivement place nette aux prédateursque fut lancé, avec l'appui des mêmes, laseconde vague de déstructuration : le néolibéralismequi balaya les années 1980/90,sans plus rencontrer de résistance notable.Le temps des grâces reste dans les campagnes.Il ne dit rien de cette histoire quiéclaire leur destruction et pourquoi il n'apas été possible d'enrayer le processus. Ilsurvole trop vite plusieurs domaines interdépendantssans préciser assez leurs relations.Mais il donne les éléments d'un terribleconstat : les vaches laitières de la filièreindustrielle ne tiennent plus sur leursjambes à 4 ou 5 ans au lieu d'une vie de 25ans entre prairies et étable, les vignes sontépuisées 80 ans à 120 ans avant l'échéance,les sols sont morts, et l'enseignement agricoleporte toujours sur les modes d'emploides lobbies industriels, en oubliant desdétails tels que la vie du sol et l'écologie.C'est l'essentiel pour comprendre où nousen sommes.Alain-ClaudeAVRIL 2010 15


Dossier Peur & ImmobilismeY a-t-il plus de répression qu’avant,comme on l’entend souvent ?Face à l’idée, souvent colportée par la gauche mais fréquente égalementà l’extrême gauche, d’une répression accrue avec l’ère Sarkozy,précisons d’abord ce qu’on appelle « avant »…Certes, le recours aux méthodes brutalespar le pouvoir a augmenté cesdernières années, comparé aux précédentes.Mais on raisonne là sur une trèscourte période, car en 1986-1988 parexemple, soit à l’époque du tandem Pasqua-Pandraud à l’Intérieur – avec Chirac commePremier ministre et Mitterrand comme Président–, entre les innombrables « bavures »policières dans les banlieues, les opérationscontre les mouvements corse et basque (enmême temps que les GAL, Groupes antiterroristesde libération, assassinaient les réfugiésbasques), puis avec le massacre par leGIGN des indépendantistes kanak réfugiésdans la grotte d’Ouvéa, les forces de l’ordreont beaucoup utilisé la violence ; quant auxépisodes de l’Histoire où il en a été faitusage, de par le monde, contre la classeouvrière, ils n’ont jamais manqué.En revanche, on peut dire avec certitudeque sous le règne de Mitterrand, et en particulieravec le gouvernement Jospin de la «gauche plurielle » les pratiques contestatairesont quelque peu mollies etl’engagement militant radical s’est réduit(en se cantonnant pour une bonne part à l’«antifascisme » – contre le FN). Dans l’après-68 et jusqu’à la sinistrose et à la « bof génération» des années 80, on se méfiait davantagede la police – les consignes minimalesétant de ne pas aller aux manifs avec soncarnet d’adresses, de ne pas parler den’importe quoi n’importe où et à n’importequi… – et on croyait davantage en un changementpossible de société.Mais si l’idée de révolution est àl’évidence moins ancrée dans les espritsqu’il y a un demi-siècle, il faut là encorerelativiser l’explication qui en est courammentproposée, à savoir l’« intégration de laclasse ouvrière » – car cet argument étaitdéjà donné… avant Mai 68, où on déploraitque le sentiment d’avoir toujours un petitquelque chose à perdre dissuade cetteclasse de s’engager dans une démarcherévolutionnaire.Enfin, si la droite aujourd’hui au pouvoirrecourt davantage que la gauche auxméthodes musclées, n’ayons garde d’oublierque ladite gauche a largement contribué àlui en donner les moyens. Ainsi la définitionde la « délinquance » a-t-elle évolué sousMitterrand – l’idée se répandant alors qu’iln’y avait plus lieu de s’opposer à l’Etat, dese plaindre ni de parler de lutte des classespuisqu’on était sous un gouvernementsocialiste. Les problèmes économiques etsociaux n’ont plus été considérés commepouvant justifier des actes délictueux et,depuis, nombre de militant-e-s sont taxésde « délinquants ».De multiples facteurs favorisentl’accroissement de la répression enFrance :• La nécessité pour le capitalisme d’uneexpansion. Afin d’augmenter ses profits, ilrecherche sans cesse de nouveaux marchés,mais aussi de nouveaux lieux de production,et la mise en compétition des travailleur-se-sau niveau international,notamment avec les délocalisations,entraîne un durcissement des rapports declasse et de la conflictualité dans la sociétéfrançaise comme ailleurs en Occident.• La volonté de la droite dure décomplexéequi est au gouvernement de stigmatiserles militant-e-s, et d’imposer agressivementson ordre social, en réprimant toutecontestation globale de la société. Sontvisées toutes les personnes qui ne sont pasencore intégrées ou qui refusent de l’être(une certaine jeunesse…), mais aussi cellesqui sont rejetées par le système parce quedevenues inutiles pour lui (ouvrier-ère-s auchômage du fait des délocalisations…).• Le désir qu’a le pouvoir d’obtenir par lapolitique sécuritaire un consensus sur ledos des catégories sociales criminalisées caril doit toujours avoir un ennemi pour renforcerson emprise sur la société. Lestenants du capitalisme n’ayant plus le «communisme » de l’Est à désigner commetel, ils pointent depuis des années un autreennemi, l’islamisme, sur le plan internationalet national, mais aussi, à l’intérieur desfrontières, ces catégories sociales criminalisées.La coercition qui s’exerce a donc pourobjet de maintenir et renforcer une certainecohésion autour de l’Etat, par un effet dissuasifsur les acteurs et actrices des mouvementssociaux mais aussi plus largement,en incitant le reste de la société à ne pasbouger et à se contenter du « consensusmou » qui va de pair avec l’intégration et laconsommation ou l’aspiration à celle-ci. Ils’agit de figer la vie sociale en désignant à lacommunauté un bouc émissaire de tous lesmalheurs et problèmes apparaissant (parexemple, les sans-papiers qui viennentmanger le pain des Français en cette difficilepériode économique). La « crise » aideainsi à faire accepter davantage de répression.• L’extrême latitude laissée à la policepour sévir. Il y a une militarisation desforces de l’ordre, et elles savent que le pouvoirest d’accord avec les interpellations etautres opérations de choc, les tirs au flashball,gardes à vue ou montages de faux dossiers.Dans le même temps, tout un arsenaljuridique permet au gouvernement des’appuyer sur la loi pour agir à sa guise – lerefus de prélèvement d’ADN étant une armede plus. La politique sécuritaire a été testéeau moment des révoltes des banlieues, maisles lois sécuritaires ont été élaborées à lafois par la gauche et la droite – contre les «sauvageons » de Chevènement au départ…–, et la gauche s’est seulement abstenue,lors du vote sur le couvre-feu dans les banlieuesen 2005. Les prostitué-e-s comme lesjeunes font les frais de cette politiquedepuis des années.• Le rôle des différentes institutions –notamment la justice et l’école – et desmédias, qui appuient le discours sécuritaireen le justifiant le plus souvent, et enl’intégrant dans leur campagne de « victimisation» pour infantiliser les gens et lestransformer en assisté-e-s (avec le « soutiend’experts » face au moindre « choc psychologique»…). De même que la météo nationaleincite à rester terré chez soi à l’annonced’une perturbation, il faut convaincre lespopulations de tout déléguer à « leurs » dirigeant-e-s,les rendre de plus en plus dépendantespar rapport à eux ; alors, on leurdonne des jouets à acheter pour les occuperafin qu’elles s’en remettent aveuglément aupouvoir en ce qui concerne la gestion des «affaires publiques ».• L’intégration renforcée des centralessyndicales, qui participent largement au «consensus mou » en planifiant quelquesJournées d’action bidons pour désamorcerla révolte sociale, et ne se soucient guèreaujourd’hui que d’être reconnues commepartenaires à part entière des gouvernantsà l’échelle européenne. A la base, inversement,on voit toujours plus de gens en réactioncontre elles subir les foudres du pouvoir.• Tandis que les anciennes générationsmilitantes sortent peu à peu de leur amnésieà l’égard des pratiques coercitives exerçablespar tout pouvoir, l’absenced’expérience des jeunes générations face àla violence les laisse facilement démunies(en grande partie sans doute parce que lepassage de relais intergénérationnel s’esttrop peu fait). En dehors des cités, beaucoupde jeunes ne sont habitué-e-s qu’à une violencevirtuelle, mise en spectacle dans lesjeux vidéo, les films… Et même cette violence-làest fréquemment critiquée dans lasociété consensuelle, le discours dominantétant qu’il ne faut ni troubles ni dérapages,mais du « soft » partout, pour que chacunedans sa bulle puisse consommer en paix.On s’emploie en tous lieux à nousconvaincre que le « bonheur » doit être16COURANT ALTERNATIF


Dossier Peur & Immobilismerecherché au niveau individuel, dans lafamille ou le couple, ainsi que par le biaisde petites retouches de la société existantepour l’« améliorer ».• Enfin, la forte diffusion de la peur face àla répression – peur qui découle de tous lesfacteurs énoncés ci-dessus et est l’objet duprésent dossier. Elle tend à faire ou faitnaître l’envie de ne plus bouger. Familles,avocats, amis multiplient les conseils deprudence à l’attention des militant-e-s :Attention, si vous faites quoi que ce soit,vous allez attirer la répression sur vous etprovoquer son aggravation de façon générale.Regardez, le port de cagoules en manifestationa entraîné le vote d’une loi anticagoule; la sortie de mineurs le soir malgréle couvre-feu imposé dans quelques villes,son extension au pays… Bref, se répandl’idée que si l’on ne cède pas aux injonctionsde l’ordre établi on risque d’avoir à en subirun encore plus dur. Cela va donc dans lesens de ce que recherche l’Etat – même sisouvent le discours tenu par les prochesn’est pas de ne rien faire, mais plutôtd’essayer de trouver quelque chose d’autreà faire, de moins dangereux.Mais les mauvais jours finiront !Ces diverses raisons mêlées fontqu’aujourd’hui il n’y a plus guère de toléranceà l’égard de ceux et celles qui troublentla paix sociale en manifestant par desactes leur volonté de la modifier – même sic’est pour s’y intégrer, comme les sanspapiersle plus souvent, alors qu’on ne veutpas leur faire la place.Il ne faut pourtant jamais oublier que lechangement est une question de rapport deforces et que la situation présente demeuremodifiable par nous. Dans le contexte économiqueactuel, ce rapport de forces estfavorable aux tenants du capitalisme, quis’emploient à maintenir dans la populationune soif de plaisir individuel, une quêtehédoniste très égoïste empêchantl’extension des luttes existantes et la constitutionde solidarités entre elles. Ils ne peuventpourtant dissimuler que les rapportsde classes sont de plus en plus antagoniques– avec la paupérisation et la précarisationaccélérée des classes moyennes etouvrières ainsi que l’enrichissementconstant des très riches – et que, face à cetteréalité, les explosions sociales sont appeléesà se multiplier. C’est pourquoi, quel que soitle degré de répression, mettons tout enœuvre pour favoriser les résistances et tisserdes liens entre les luttes menées contrel’ordre établi, partout où c’est possible !VaninaSurveillance totale ou totale paranoïa ?Contrairement à l’idéologie officielle, la répression n’a pas pour vocation d’êtreéducative, elle existe pour faire peur et pour séparer, par tous les moyens, le bongrain de l’ivraie de la société, essentiellement dans les classes laborieuses. Larépression permet aussi de stigmatiser l’ensemble d’une classe laborieuse quia toujours été perçue comme une classe dangereuse. La répression n’a doncpas pour objectif de remettre dans le « droit chemin » mais de mener une véritableguerre de classe.Ainsi, dans le dernier opus législatif français, le délit de solidarité qui condamneraitnotamment les personnes qui hébergent des sans papiers est un outil derépression qui est essentiellement utilisé dans un but de dissuader plutôt quede condamner réellement : les sanctions sont aujourd’hui faibles et les hautessphères du pouvoir rechignent même à l’assumer. Mais en parler déjà, c’est enfaire la publicité, c’est véhiculer la dissuasion, c’est entériner la peur de la répression,bien plus que sa propre réalité.Du côté militant, notre paranoïa est essentiellement alimentée par les rumeursvéhiculées par l’état concernant leurs nouveaux outils de surveillance. Nousaurions ainsi un travail à faire sur les réelles capacités de ces nouveaux appareils.Nous connaissons toutes et tous les débats incessants sur la présence destéléphones portables lors de nos réunions. En sachant qu’un téléphone c’estaussi un micro et un émetteur, les faut-il éteints, séparés de la batteried’alimentation, complètement éloignés ? Face à cette technicisation de la répressionet à l’absence évidente de connaissance réelle, la paranoïa développéecomme élément de radicalité se développe, accentuant les questions de formeplutôt que celles plus intéressantes du fond politique.De toutes les façons, il est important de revenir à ce que nous pouvons quantifierde la surveillance. Il y a ainsi une disproportion indéniable entre les moyensmis en œuvre et la répression réelle. L’Etat n’a pas les moyens humains de traitertoutes les informations de sa surveillance. On le voit actuellement avec levote de la loi Hadopi sur le téléchargement sur internet. La brigade de policequi va se charger de « choper » les pirates n’est constituée que d’une petitedizaine de personnes. Face à une pratique qui concerne plusieurs millions depersonnes, on voit bien que la loi est faite pour faire peur plus que pour réprimer.Quelques lampistes médiatisés viendront renforcer à moment-clef lamachine à faire peur, mais elle n’aura aucune autre efficacité que celle de créerde la crainte et de l’auto-limitation.Une autre disproportion des moyens mis en œuvre est celui des coûts de cettesociété à la Big Brother. Enregistrer une écoute téléphonique est pour l’Etat peucouteux, mais y mettre de l’humain, la retranscrire et la traiter l’est beaucoupplus. Avec la multiplication des appels téléphoniques, l’Etat est incapable desystématiser la pratique. Il en va de même avec les tests de dépistage, de droguenotamment. Seul semble ne pas freiner la surveillance de grande ampleur qu’estla constitution du fichier génétique et donc la systématisation de la prise ADN,car sur cette question, c’est une volonté concertée de tous les Etats qui en ontles moyens.Nous ne pouvons pas oublier que dans les grains de sable de la répressioncontinuent de se dérouler les « guéguerres » historiques des polices et les intérêtscorporatistes divergents des magistrats et des flics.L’augmentation de la peur de la répression s’est aussi développée grâce à unemédiatisation des fonctionnements des agents de la répression. On a ainsi vufleurir ces dernières années une somme impressionnante de documentaires(souvent de la télévision) des différents corps de keufs, de bidas, de matons etc.Alors qu’avant cela était « caché » au nom d’une raison d’Etat, cette communicationde leurs modes de fonctionnement a pour principal but de recruter de lachair à réprimer, mais aussi de démontrer de facto une force invulnérable etefficace en toute situation. Hé hé...Mais comme le disait Sun Tzu dans l’Art dela Guerre, « celui qui montre démesurément sa force, montre avant tout sa faiblesse»…Un autre aspect qui devrait nous épancher à moins de crainte est que toutela logique sécuritaire est avant tout une histoire de marché. La rubrique Big Brotherde Courant Alternatif est richement nourrie d’exemples liant les décideurspolitiques et les marchants en toute sorte.Il y a donc certes de nombreux outils de surveillance (on pourrait rajouter lesmultiples cartes magnétiques qui fliquent notre quotidien : cartes bancaires,cartes de transports, carte vitale, etc.), mais ce qui nous paraît importantd’impulser c’est de l’éducation dans leur usage et de ne pas sombrer dans unfétichisme du refus, sous couvert d’un habit de radicalité. Des fois on fait avecet des fois, quand l’audace de nos actions politiques le nécessite, on fait sans.Même pas peur !CJ de Strasbourg, avril 2010AVRIL 2010 17


Dossier Peur & ImmobilismePeur, conscience de classeet solidaritéCet article est un résumé "étoffé" des diverses discussions de lacommission journal de Strasbourg. L'article tente de mettre enrelation la question de la peur avec la conscience de classe, en lareliant à la question de la solidarité (et du lien social) dans lesmouvements de lutte.La "puissance des luttes" de laclasse ouvrièreUn des aspects les plus frappant duXIXème et du XXème siècle enEurope, est la violence des conflitssociaux, la brutalité de la répression et laforce de la surveillance policière. Ainsi, il nefaut pas s'imaginer que les services de renseignementsavec les faibles moyens de leurtemps étaient incapables de collecter del'information. Il suffit simplement d'allerdans les archives départementales et deconsulter les dossiers des diverses préfecturesfrançaises de cette période, pour voirla précision (noms, impressions, nombredes participants aux réunions et manifestations,amitié avec tel ou tel personne etc.)des détails concernant les luttes sociales(surveillance du PC par exemple) ou les syndicats.Un autre exemple, dans la Russie duXXème siècle, l'analyse de Victor Serge surles services de surveillance du Tsar montreclairement que, malgré des moyens techniquesfaibles, la surveillance était énormedans un pays peu industrialisé. Enfin, en cequi concerne la répression en Europe(XIXème-XXème siècle), celle-ci était sanscommune mesure avec celle d'aujourd'hui.Ainsi, l'épisode de la répression sanguinairede la commune en 1871, le soulèvement descanuts (en 1831 et 1834), ou la répressionorchestrée par Stolypine (surnommé le"pendeur") après la révolution russe de1905, ne sont que des exemples parmi tantd'autres. Sous Vichy (autre exemple), lemouvement ouvrier évolue dans la clandestinité.Autre continent, en Amérique, cesont les Pinkerton qui font régner la terreurchez les ouvriers (assassinats, arrestations,etc.) durant les années 1920. En Europe ouen Russie, il n'est pas rare que les manifestationsse terminent par des morts, des violences"policières" ou des licenciements engrand nombre (voire des patrons quin'hésitent par à fermer l'usine pour fairemourir de faim les ouvriers afin de les fairecéder). Il faut préciser que, lorsque lesouvriers vont manifester, ils mettent leurvie en danger et s'opposent au pouvoir. Eneffet, le "droit" de grève ou le "droit" demanifester ne date pas du Moyen-âge.Manifester c'est imposer un rapport de forceet surtout c'est politique. Bien sûr, aujourd’hui,cela ne veut plus rien dire. Enfin, lagrosse différence avec notre époque c'est,qu'en cette période, la classe ouvrière a uneculture de lutte et une conscience de classeimportante. Les gens ne sont pas isolés, caril existe toute une "sociabilité" (des pratiques,un langage, un comportement etc.)ouvrière ou paysanne qui rapproche et meten relation les individus entre eux. Lesouvriers vivent les mêmes expériences fondatriceset les mêmes formes initiales desocialisation. Enfin, il existe une véritablesolidarité du faite de cette conscienced'appartenir au même groupe social, d'avoirles mêmes intérêts et une histoire commune.Ainsi, des "ouvriers-paysans" duXIXème siècle (en France) mènent des luttesdans les Fabriques puis, ils partent se cacherdans les campagnes (d'où ils harcèlent lesflics de l'époque) pour se protéger dans lesvillages. De plus, la mise en place des premierssyndicats ("caisse de grève") témoignede cette solidarité "spontanée". La pressemilitante va aussi beaucoup jouer en créantdu lien entre les diverses luttes et les zonesgéographiques éloignées. Enfin, la violenceet la puissance des luttes sociales (le"niveau de conflictualité") de cette périodesont le reflet de cette solidarité (et donc dela conscience de classe) ouvrière et paysanne.Les luttes des classes moyennes(aujourd'hui)Actuellement, la situation des mouvementssociaux est radicalement différente.Outre l'analyse psychologique du confort(télévision, téléphone portable, voiture etc.)dans lequel nous vivons dans notre société,il faut ajouter que la classe ouvrière (et lemonde rural) avait une conscience collective.Les classes en "lutte" actuellement sontles classes "moyennes". Celles-ci peuventêtre considérées comme une classemoyenne hétérogène difficilement identifiableet dont l'activité est avant tout technique(suppose la connaissance d'un certainnombre de règles, leurs applicationsexactes, mais rien d'autre). Elle est "commandée"par les grands mouvements économiqueset n'a pas de rôle initiateur dansl'évolution de la société (et les prises dedécisions politiques). C'est une classe nondominante, à la fois proche des ouvriers,mais qui s'en distingue. Actuellement, cetteclasse moyenne lutte car elle a peur deperdre des acquis sociaux et son "pouvoird'achat". Cette classe ne veut pas du frein àla mobilité sociale, car c'est pour elle le seulespoir que ses enfants, s'ils ne peuventmonter l'échelle sociale, ne la redescendent(se mélangeant aux plus pauvres de notresociété). A la différence de la bourgeoisie ellen'est pas entourée de "considération" etpèse de peu de poids dans les décisions économiques.Elle est soumise aux mouvementséconomiques conjoncturels. Cetteclasse intermédiaire est dans une situationde dépendance, trop hétérogène, trop soumiseaux aléas économiques, pour pouvoirse structurer autour de revendicationsclaires. Dans notre période, la classemoyenne n'a pas la vision de pouvoir augmenterson niveau de vie, mais celle d'êtrerattrapée par les classes économiquementinférieures. La culture (issue des trente glorieuses)de la classe moyenne est devenueprédominante chez les salariés, y comprisdans une large frange du prolétariat. C'estd'ailleurs cette culture de "l'individu roi" (etde la consommation de tout, tout le temps)qui est mise en avant par cette classe pourse distinguer de la bourgeoisie et desouvriers. C'est la seule chose qu'elle peutmettre en avant (pour se distinguer etmettre une distance sociale), car, comme lesouvriers, elle n'a pas de position stable (propriétaireou un statut social transmissible)et n'est pas non plus propriétaire desmoyens de productions.Le renouveau d'une conscience declasse et de la solidarité ?Enfin à notre époque, il n'y a pas de devenircollectif dans lequel les gens peuvent seprojeter, on est dans le replis individualiste.Ce devenir collectif a disparu, car il n'y aplus de notion de classes mais une culturede l'individu. Ainsi, la conscienced'appartenir à quelque chose (ou à ungroupe social) permet d'avoir des revendicationscommunes. Même dans les quartierspopulaires, la solidarité n'existepresque plus (il reste le replis dans sa "communauté"ou servir ses intérêts individuels)par manque de culture politique. Il n'y a pasnon plus une "croyance" que la révolutionest pour demain et donc personne n'est plusprêt à prendre des coups. Dans notre sociétémalgré la misère, il n'y a pas de révolte caril y a toujours un échelon inférieur et la peurde perdre le minimum que l'on a. Les mouvementssociaux, outre des revendications,se devront de "resocialiser" les gens pourfaire renaître de la solidarité. Les luttessociales et la solidarité font reculer la peur.Lorsque que les "bras de l'usine" se mettenten grève et se radicalisent, la vie dans le travailet le rapport de force avec le contremaître,le patron et le flic change.Vincent, le 20 mars 201018COURANT ALTERNATIF


Grèce« Il n'y a qu'une chose à régler : noscomptes avec le capital et son Etat »En périodes de crise, commela période actuelle de crisede suraccumulation, lescapitalistes utilisent la politiquede la "dette publique" afin detrouver de nouvelles façonsd'intensifier l'exploitation.Contrairement aux phasesd'expansion capitaliste, lorsquela dette privée augmente, lesrécessions se caractérisent parl'augmentation de la dette"publique".L'investissement privé dansdes obligations d'État garantitque les profits qui sont extraitsde l’exploitation directe et indirectedes travailleurs, en obtenantles gains supplémentairespar les intérêts versés, conduisent,à terme, au renforcementdes capitaux du secteur bancaire.Par conséquent, la dettepublique, contrairement à ce quiest dit généralement, renforce lecapital privé et, à cet égard,devrait être comptabilisée dansses bénéfices.Depuis 2008, les institutionsfinancières avaient décidéd'investir principalement dansdes obligations d'État qui,presque partout se sont multipliéesen raison des politiquesglobales des Etats de renflouerles banques. Après la crise de ladette souveraine de Dubaï enoctobre dernier et l'échec desagences de notation dans leurcapacité à la prévoir, ces mêmesagences ont été amenées à baisserla note de la Grèce, à abaisserla valeur des obligations dugouvernement grec et faire monterles Credit Default Swaps [1].La dette grecque déjà élevée,s’est retrouvée prise dans unedynamique spéculative et unrenchérissement de sa valeur.Les dépenses publiques courantesliées au paiement desintérêts ont donc encore augmentéainsi que les prévisionsconcernant l'augmentation dudéficit public et de la propredette publique.Ainsi, dans un climat de terrorismefinancier, orchestré depuisdes mois maintenant par lesmédias, un état d'urgence a étédécrété en Grèce dans une tentativepour le capital internationalet l'État grec visant à transformerle pays en un laboratoired'une nouvelle politique de choc.L'immense “dette publique” et la“faillite imminente du pays” sontles slogans utilisés comme desDepuis l’annonce des mesures d’austérité prises par le gouvernementsocialiste grec, plusieurs journées de grèves et de manifestations ont eulieu à l’appel des différents syndicats. Les camarades grecs du collectifTPTG (Les enfants de la galère) nous ont fait parvenir les premiers élémentsd’information et d’analyse qu’ils en tirent. Nous publions ici unetrès grande partie de ce texte.outils efficaces afin de terroriseret discipliner le prolétariat et delégitimer la diminution dessalaires directs et indirects, etdonc pour limiter leurs attenteset exigences dans une modaliténéolibérale exemplaire aux proportionsinternationales.Des premières réactionsassez tièdesLes mobilisations ont été plutôttièdes jusqu’à maintenant etne correspondent pas à l’état critiquede la situation et à la férocitéde ces mesures. Il existe unsentimentgénéraliséd'impuissance et de paralysie,mais aussi de colère qui ne parvientpas à trouver un débouchéadéquat. Certes, il y a un mécontentementréel envers la politiquede choc que le gouvernementdu PASOK met en oeuvre(diminutions des salaires, réductionssur les prestations, augmentationdes impôts directs etindirects, allongement de l'âgede départ à la retraite, intensificationdes contrôles de police,etc.). On peut vérifier ce mécontentementdans les conversations,chaque jour, sur les lieuxde travail. Cependant, il y a aussiun silence fragile qui prévautface à la dictature de l'économieet à l'omnipotence des “marchés”.La litanie de l’"unité nationale"est l'un des outils préférésdu gouvernement, comme il estprévisible dans ces moments-là; cependant cela n'a pas encoreatteint un point dangereux.Les confédérations syndicales,la GSEE (la confédération dessyndicats du secteur privé) etl’ADEDY (confédération correspondantau secteur public) sontentièrement contrôlées par legouvernement socialiste et fontde leur mieux pour éviter toutevéritable résistance contre larécente offensive.À l'heure actuelle, il sembleassez improbable que la crise etla pression exercée sur ces dinosaurespar les syndiqués de labase entraîneront des changementsmajeurs dans leur structureet leur fonction, si l'onconsidère le comportementpresque léthargique de la basede la hiérarchie syndicale où lescadres du parti socialiste remportenttoujours la majorité dessuffrages sur la plupart des lieuxde travail.Le 10 février, il y a eu la premièregrève à l'appel de l’ADEDYavec une participation plutôtfaible de grévistes du secteurpublic. Nous allons essayer cidessousde donner une descriptionde la manifestationd’Athènes du 24 février, lors dela première grève généralecontre les mesures d'austérité, àl'appel de la GSEE et de l'ADEDY.L'estimation du nombre de grévistesa été d'environ 2 à 2,5 millions.Dans certains secteurs (lesports, les chantiers navals, lesraffineries de pétrole, l’industriede la construction, les banqueset les sociétés des servicespublics), la participation oscillaitentre 70-100%. Dans le secteurpublic (éducation, santé, servicespublics et ministères, bureaux deposte), la participation était plusfaible, se situant entre 20% à50%.Les estimations sur le nombredes personnes qui ont participéà la manifestation varient beau-Notes de la traduction: [1] Ces CDS sont des “produits financiers” spéculatifs basés sur le risque de la dette publique d’un Etat. Autrement dit, plus le pays risque l’effondrement,plus ces produits prennent de la valeur. Les grandes banques – qui étaient il y a peu au bord du gouffre… – gagnent déjà plus d’argent en prêtant à des taux élevés, liés au risque,mais en plus en gagnent aussi grâce à ces CDS. Tout cela dans un climat visant à spéculer (en dollars) sur la baisse de l’euro.AVRIL 2010 19


Grècecoup. La police parle de 4.000,selon certains médias le nombrea été de 100.000 participants,tandis que d’autres parlentd'environ 9.000 ou 30.000 manifestants.En tant que participants,nous pouvons dire que lechiffre d’environ 40.000 personnespeut être une estimationfiable.Des traces encore visiblesdes émeutesde décembre 2008Cette manifestation a eu deuxprincipales caractéristiques.La première est la participationnotable de nombreux immigrésnon seulement “sous l’autorité”des organisations de gauche,mais aussi par une présence diffusedans le cortège. Nousdevons mentionner que la participationdes immigrés estactuellement liée à une nouvelleloi pour "la citoyenneté desimmigrés", qui crée des divisionsparmi eux; entre un petitnombre éligible à la citoyennetéet des milliers de condamnés auno man's land de l'illégalité.La deuxième caractéristiqueest que lors des combats de rueentre la police anti-émeute et lesmanifestants ceux-ci ne provenaientpas nécessairement dumilieu antiautoritaire/anarchiste– dans la plupart des cas, ce futun combat rapproché, au corps àcorps, car le gouvernementsocialiste avait ordonné à lapolice anti-émeute de ne pas utilisertrop de gaz lacrymogène. Ily a eu des vitrines d’agencesbancaires brisées, des pillages demagasins commerciaux (librairies,grands magasins, supermarchéset cafés) et, bien quenon généralisées, ces actions ontcertainement donné un tonassez différent de ce qu'on pourraitattendre des habituellesmanifestations de la GSEE-ADEDY. Un incident survenu à lafin de la manifestation peutpeut-être mieux exprimer cechangement de climat. Lesmanifestants se dirigeaient versle bas de la rue Panepistimiou oùse trouve Kolonaki, un quartierhuppé au coeur d'Athènes ; ilsont alors vu dans le Zonar’s (ungrand café bourgeois traditionnelet très cher), des clients biensapés boire du champagne (!) etsavourer leurs coûteuses boissonsaromatisées. La foule encolère a envahi le café, a fracasséles vitres des fenêtres et desgâteaux ont été distribués entreeux à un prix beaucoup plusabordable!Ces caractéristiques, à notreavis, montrent l'impact considérablede la révolte de décembre2008 sur la façon de manifester.Une approbation générale desactes violents contre les flics etles institutions capitalistes tellesque les banques et les magasins,était évidente lors de la manifestation.En fait, dans beaucoupde cas, des manifestants ontattaqué les policiers pour lesempêcher d'arrêter les “fauteursde troubles". Bien sûr, les appelsde la gauche à des "manifestationspacifiques" ne sont pasabsents, mais ils semblent videsde sens aux yeux de la plupartdes prolétaires.Il y avait certainement un sentimentgénéral de joie dans cettelibération de l'indignation contreles flics et en exprimant ainsi lacolère contre les récentesattaques, dans un certain sens,la grève et la manifestation ontfonctionné comme un puissantantidépresseur, malgré son effettemporaire.Activisme du PC etmobilisations plus amplesEnfin, il convient de mentionnerun mouvement spectaculaireopéré par le PC (en réalitépar son front des travailleursappelé PAME [2]) à la veille de lagrève : ils ont occupé le bâtimentde la Bourse au début de la matinéeavec une banderole surréalisteet assez incompréhensibledisant en anglais " La ploutocratiedoit payer la crise". Leur butétait, selon leurs termes, de «montrer aux inspecteurs de laCommission européenne, à laBanque centrale européenne etau FMI où est l’argent», commes'ils ne savaient pas ! En fait, lesservices de la Bourse ont ététransférés dans un autreimmeuble et les manifestantsont quitté le bâtiment à 14 h.Nous reviendrons plus loin dansle texte sur les pratiquesemployées par le PC et leurinfluence.Le 3 mars, le gouvernementsocialiste a annoncé les nouvellesmesures pour le “salut dupays”, y compris une réductionde 30% dans les 13ème et 60%dans le 14ème mois des salairesdes travailleurs du secteurpublic, une réduction de 12% deleurs allocations, une augmentationdes prix de l'essence, del'alcool et du tabac, des impôtsainsi que des réductions budgétairesdans l'éducation et lesdépenses de santé. Les premièresréactions sont venues duPAME qui a intensifié ses actionsspectaculaires de courte durée:occupation du Ministère desFinances et de certaines chaînesde télévision dans les villes deprovince pendant la journée suivante.C’est le PAME qui, une foisde plus, a été le premier à appelerà des manifestations l’aprèsmidià Athènes et dans plusieursautres villes, grandes etmoyennes, pour le 4 mars. Plustard, certains syndicalistes etorganisations de gauche, rejointspar le syndicat des enseignantsdu secondaire et l’ADEDY, ontappelé à une manifestation distincteà Athènes. Étant donné lecourt délai pour appeler à cettemanif et le sentiment générald'impuissance, environ 10.000personnes ont manifesté dansles rues centrales d'Athènes,d’une manière assez terne, cequi allait changer quelque peu lejour suivant.5 mars, première journéede grève généraleUne fois encore, l'initiative dela grève du 5 mars a été prise parle PC qui avait appelé à une“grève générale” ce jour-là et àune manifestation. L’ADEDY et laGSEE ont suivi avec appel à unarrêt de travail de 3 heures, tandisque d'autres syndicats (lessyndicats d’enseignants du primaireet du secondaire, destransports publics) ont appelé àune journée entière de grève. Lamanif de PAME a rassembléautour de 10.000 personnes ets’est terminée avant que l'autren’ait commencé. Cette fois, lesanti-autoritaires et les plusjeunes ont eu une présence plusvisible et l'atmosphère a été tenduedès le début, place Syntagma,à proximité du Parlementoù le Parti Socialiste allait voterles nouvelles mesures.Au bout d’un certain temps, lechef de la GSEE, Panagopoulos, afait l'erreur d'essayer de parler àla foule ; il a seulement obtenuque quelques yaourts atterrissentsur lui, puis de l’eau, du caféet finalement des punchs.L'étonnant était que les attaquesvenaient de différentes directionset rapidement ses hommesde main se sont montrés incapablesd'empêcher une foule (oùcertes les anti-autoritaires et lesgauchistes étaient en majorité)d'exprimer en pratique leur[2] Le PAME, Front de lutte syndical, est une émanation directe du PC.20COURANT ALTERNATIF


Grècehaine contre lui et ce qu'il représente.Il a été poursuivi et frappéjusqu'à l'entrée du Parlement oùil a été protégé par la police antiémeute.Bientôt, une foule encolère s’est rassemblée juste endessous de l'édifice. Les gardesfolkloriques du Parlement ont dûquitter immédiatement les lieuxet quelques affrontements ontcommencé entre des gens encolère et les brigades antiémeute.C'est alors que les députésde la coalition SYRIZA [3] ontchoisi de faire leur propre actionspectaculaire, le déploiementd'une banderole devant l'entréeavec une citation de Breton quidisait «L'être humain est la solutionqu’elle que soit la questionposée», une phrase qui a probablementmis mal à l'aise lesintellectuels anti-humanistesalthussériens appartenant àSYRIZA, bien qu'elle puisse êtrelue de façon social-démocrateselon le slogan actuel favori deSYRISA disant : «le peuple vautplus que les profits». LorsqueGlezos [4], âgé de 88 ans,membre SYRIZA et symbole dela résistance nationale contrel'occupation nazie, a tentéd'empêcher la police antiémeuted'arrêter un jeunehomme, il a été battu et a eu levisage aspergé de gaz : et là, rapidement,les combats avec lapolice se sont généralisés. Environtrois cents personnes ouplus (surtout des anti-autoritaires,mais pas seulement) ontjeté des pierres sur les flics tandisque le reste des manifestantsne bougeait pas, criant des sloganspendant un bon moment,jusqu'à ce que la police antiémeutelance une attaque massivepour essayer de disperser lafoule. Un incident rafraîchissants'est produit lorsque certainespersonnes ont pris les micros dela confédération syndicale pourscander des slogans contrel'esclavage salarié et les flics quiont pu être entendus partout surla place, au milieu des nuages degaz lacrymogène. Dansl'intervalle, Tsipras, le leader deSYRIZA, se précipita à l’intérieurdu Parlement pour informer sescollègues députés, qui venaientjuste de voter les nouvellesmesures, de l'attaque contrePanagopoulos, et s’empressa dela condamner de la manière laplus catégorique.La manif a commencé alors àse diriger vers le ministère duTravail, décision qui a été critiquéepar de nombreux manifestantscomme une tentative de lapart des syndicalistes de fairebaisser la tension à proximité duParlement. Cependant, lesesprits étaient échauffés et doncquand la manifestation a atteintle bâtiment du Conseil d'Etat,des manifestants ont attaqué labrigade anti-émeute qui le protégeait.Bientôt, une fouleimmense a commencé à leursjeter des pierres et divers objetstout en les poursuivant àl'intérieur du bâtiment. L'und'eux, cependant, n’a pas couruet a été capturé et presque lynchépar les gens en colère.L'incident, qui indique à la foisl'acceptation de l'escalade de laviolence, même de la part desgens qui normalement réagissentdifféremment et la hainecroissante contre la police enparticulier en ce moment, a duréun certain temps parce que nonloin de là, la présence des travailleurslicenciés d’Olympic Airwaysa empêché les forces antiémeute,appelées en soutien,d'approcher. Ces travailleurs, peuaprès que les nouvelles mesuresaient été annoncées, ont occupéle bâtiment du Trésor et deComptabilité générale de l'Étatdans la rue Panepistimiou enbloquant également la rue principalejusqu'au 12 mars avec desvoitures et des poubelles.La manifestation s’est dirigéevers le ministère qui avait déjàété évacué lorsque les premiersmanifestants sont arrivés. Bienque la présence policière soitdevenue plus imposante,quelques incidents comme desbris de vitrines ont eu lieu(banques, grandes librairies etgrands magasins), plus tard, lamanifestation s’est terminée àPropylea.Bien que le gouvernementessaie d’accuser les «extrémistes»des partis de gauched'être responsables des mobilisations,il convient de soulignerque SYRIZA a une influence trèsfaible sur les lieux de travail(sauf en ce qui concerne le syndicatdes enseignants du secondaire).Par ailleurs, l'idéologie etla pratique stalinoïde du PCnécessite quelques analyses unpeu plus poussées.Sur les pratiques du PCLa conjoncture actuelle, plus lapropagande du gouvernementlui-même et celle des médiasconcernant l'imposition supposéedes mesures sévères de l'UE,constituent un terrain idéal pourles activités du PC. Les marchésinternationaux et les spéculateurssemblent confirmer la rhétoriquedu PC, sur «la sortie del'UE» et de «résistance auxmonopoles et au grand capital»,qu’il ne cesse de répéter avecune dévotion religieuse depuisles années 80. Le PC, un des principauxreprésentants politiquesde la classe ouvrière (en tant queclasse du mode de productioncapitaliste et de la communication)à l'intérieur de l'État grec etde ses institutions, proclame lamise en place d'une économienationale «populaire» où laclasse ouvrière jouira desmérites d'un capitalisme socialdémocrateavec la saveur du stalinisme.En fin de compte, lesactions du PC prennent au piègeles luttes, dans les filets des institutionscapitalistes et principalement,les plus fétichiséesd'entre elles, les élections et leParlement ; puisque, pour le PC,voter pour le parti et s'organiseren son sein constituentl'aboutissement de la lutte declasse.La caractéristique la plus marquantede l'activisme du PC,reste la séparation complèteentre la mobilisation de son outilsyndical (PAME) et les prolétairesen luttes. Les manifestationsorganisées par PAME et le PC nese coordonnent jamais avec lesmanifestations appelées pard'autres syndicats ou organisationsétudiantes. Bien que nousne sommes pas en mesure desavoir exactement ce qui sepasse à l'intérieur des appareilsà la fois du PC et de PAME en raisonde leur mode d'organisationcomplètement secret,l'expérience que nous avons denotre participation dans lesassemblées syndicales montrequ'ils exercent un contrôle totalsur leurs troupes. Nous sommescertains que les actions sontdécidées par la direction du partisans laisser aucune possibilitéde participation des adhérentsde base dans la prise des décisions,c'est pourquoi aujourd'huiles ex-membres du PC sont plusnombreux que les membresactifs.Il faut admettre que le niveaude mobilisation de classe estfaible : pas de grèves à longterme organisées simultanémentpar de nombreux secteurs,ni de manifestations massivesquotidiennes. Dans ce contexte,les activités du PAME (occupationsde bâtiments publicscomme le Ministère del'économie et la Bourse, manifestationset rassemblementsmassifs, pratiques habituellespour le PC, au moins depuis lemilieu des années 2000) semblentimpressionnantes, surtoutquand il réussit à appeler le premierà une grève ou une manifestationet qu’il oblige la GSEEet l’ADEDY à suivre. Il est possibleque l'éclatement de laGSEE et de l’ADEDY pour la créationd'une troisième "confédération"syndicale indépendantesoit derrière cette stratégie. Biensûr, il va sans dire que si la situationdevient incontrôlable, allantau-delà de quelques grèves de 24heures vers une base hebdomadaire,c'est-à-dire, si à long termel’éclatement des grèvess’accompagnent d’une présenceprolétarienne permanente etune activité militante dans larue, le PC devra à nouveau assumerson rôle de police en discréditantles grèves qu'il ne contrôlepas, en rappelant ses adhérentsde la rue et en essayant de réprimerviolemment toute activitéradicale. Après tout, cela a été sapratique habituelle depuis lachute de la dictature et il a faitexactement la même chose pendantla rébellion de décembre2008.Canalisationdes mouvementsQuant aux petits syndicats debase qui se sont multipliés cesdernières années, qu’ils soientproches de la gauche [radicale]ou des anarchistes, ils sont tropimpuissants pour mobiliser lestravailleurs en général, endehors de leurs militants et ceuxqui leurs sont proches politiquement.Leurs pratiques militantes(blocages d'entreprises, participationà des manifs) reposentessentiellement sur la participationactive des anti-autoritairesqui n’en font pas partie.Le 5 mars, la GSEE et le ADEDY,essayant de conserver une oncede légitimité, ont appelé à uneautre grève de 24 heures pour lejeudi 11 mars, en réponse au climatde mécontentement général,encore passif, face auxmesures d'austérité annoncées.Il n'y a pas de chiffre précis disponiblesur le taux de participationà la grève, mais nous pouvonsdire avec certitude qu'ilétait plus élevé que le précédent(la GSEE affirme que la participationà la grève a atteint les90%). Cela a également étéconfirmé par le nombre demanifestants qui était quasimentle double de celui de lamanif du 24 Février. Selon nosestimations un certain nombre –environ 100.000 personnes – ont[3] Syrisa : Coalition de la gauche dite radicale (environnementalistes, antilibéraux, “anticapitalistes”…)[4] Manolis Glezos, membre de l’un des mouvements faisant partie de Syriza, est une figure très connue et respectée en Grèce. Il est un véritable symbole vivant du courage etde la détermination du combat contre la barbarie. Une nuit de mai 1941, à l’âge de 19 ans, il a en effet, avec un camarade, décroché le drapeau nazi qui flottait sur l’Acropoledepuis un mois seulement. Ce geste est considéré comme l’un des premiers actes de la résistance anti-nazi, en Grèce, mais aussi au-delà.AVRIL 2010 21


Grèceparticipé au deux manifestationsde PAME et de GSEE-ADEDY(PAME ayant organisé une manifestationséparée commed'habitude), même si les médiasestiment ce nombre à environ20-25.000. La composition de lafoule était légèrement différente,du fait de la présence plusimportante d'étudiants, un peude lycéens et plus de jeunes travailleurstandis que les immigrésétaient cette fois absents. Enoutre, cette fois un plus grandnombre de manifestants venantde la quasi-totalité du milieuanti-autoritaire ont participé à lamanif de l'ADEDY-GSEE, se dispersantdans tout le cortège.Une autre caractéristiqueimportante de la manifestationa été le changement de comportementde la police, avec unetactique beaucoup plus offensivecette fois. Plus de cinq mille policiersétaient mobilisés pour prévenirl'escalade de la violenceprolétarienne en encadrant detrès près la manifestation. Leurobjectif a été atteint dans unecertaine mesure, car très peu degens, hormis ceux venant dumilieu anarchiste ou anti-autoritaire,ont soutenu les combatsde rues ou activement participéà des affrontements avec lapolice. Cela peut être lié à la trèsgrande diversité des manifestants(avec la présence de plusd’éléments conservateurs), dontla plupart n'a pas d'expériencesantérieures de ce type. Néanmoins,il y a eu de nombreusesconfrontations avec la police endifférents points du parcours dela manifestation, qui s'est poursuiviejusqu'à son terme avantd'être débordée autourd'Exarchia par de nombreuxmanifestants qui s'y étaient dirigésselon la "tradition" dans depareilles occasions.Collaborationsyndicats/policeEn outre, il convient de noterque cette fois les dirigeants descentrales syndicales n'ont passeulement coopéré ouvertementavec la police mais qu'ils onteffectivement donné des recommandationsspécifiques auxescadrons anti-émeutes pourbloquer les manifestants àl’avenue Patision, afin deprendre la tête de la manif etd’éviter d'éventuels conflits avecles militants de base et la répétitiondes événements de vendredidernier, lorsqu'ils ont reçules énergiques huées qu'ils méritent.Bien que la police ait arrêté etattaqué les premières lignes dela manif (composées des cortègesde certains syndicats degauche de l’enseignement dupremier degré) afin de permettreaux leaders de la GSEE et deADEDY de venir à la tête de lamanif, le comité de coordinationde ces syndicats du primaire etd'autres syndicalistes de gauche(comme un groupe de syndicalistesde l'OTE, l'ancienne entreprisepublique de télécommunications)ont soutenupolitiquement l’initiative de laGSEE et ADEDY en faisant undétour à partir de l'avenue 3 Septembre,leur laissant ainsil'espace libre leur permettantd'être en tête de la manif, puisen rejoignant le cortège derrièrela GSEE et ADEDY ! En outre, laGSEE et ADEDY ont fait tout cequi était en leur pouvoir pouraider la police à fliquer la manif.Arrivés à la place Syntagma, ilsont essayé de dissuader les personnesvenant des rues adjacentesde rejoindre la place. Iln'est pas surprenant que lapolice ait dispersé la manif à Propylea,où des affrontements ontéclaté une fois les cortèges desbureaucrates retournés dansleur quartier général.Il faut aussi noter que les syndicalistesdes forces de sécurité(police, pompiers, etc) qui attendaientsur la place Kolotroni quela manifestation séparée duPAME passe, ont été applaudispar les manifestants du PAME etles ont applaudis à leur tour.Bien sûr, ils ont rapidement disparuaprès cet épisode, car uneexpérience de "Come Together"avec d'autres manifestantsn’aurait pas été très agréablepour eux.Démocratie syndicale !La composition de ces dernièresmanifs est différente decelles de décembre 2008.Comme prévu, les lycéens nesont pas représentés du tout, entout cas pas dans des cortègesreconnaissables, à l'exception dequelques apparitions dans ladernière manif. Par contre, lesétudiants étaient présents dansles deux dernières manifs suiteaux appels répétés des assembléesgénérales organisées précédemment.Globalement, hormisles étudiants, la partiemarginale de la classe qui avaitété l'actrice principale desémeutes de 2008 (les précaires,les exclus, le «lumpen»), n’étaitévidemment pas présente,puisque la préoccupation principale,du moins pour le moment,est le terrorisme financierimposé par les mesures[5] Les salariés fonctionnaires de cette imprimerie nationale (qui édite le JO local)dépendent du ministère de l’Intérieur.d'austérité qui menacent les travailleursaux emplois stablesayant encore quelque chose àperdre.Alors, ce qui nécessite d’êtreexpliqué c'est plutôt l'inertievisible de cette partie du prolétariat,le fait que ces mobilisationsjusqu'à présent n'ont pasconstitué un mouvement et necoïncident pas avec la situationcritique actuelle. Les grèves ontété appelées par les dirigeantsdes confédérations ou des fédérationsde syndicats. Mêmelorsque les organisations syndicalesde l’enseignement primaireont appelé à la grève, il n’ya pas eu d’assemblées extraordinairespréalables, ce qui signifieque les processus de consultationdes militants de base n'ontpas été organisés.L’influence destructrice etparalysante des syndicalistessocialistes et le contrôle qu'ilsexercent encore sur les syndicatsest toujours le principal obstacleet peut être illustré par l'exemplesuivant. Le 5 Mars, l'Imprimerienationale a été occupée par sesemployés, au motif que les nouvellesmesures prévoient unebaisse supplémentaire de 30%du revenu des employés duministère de l'Intérieur [5]. Toutefois,l'occupation, a été interdited’accès à toute personne qui« n'était pas employée au ministère», comme il a été dit auxcamarades qui ont essayé deleurs rendre visite et qui se sonteffectivement faits jeter. Lescadres du syndicat socialiste quicontrôlent l’appareil ont décidéde mettre fin à l'occupation dansla précipitation, sans soumettrecette question en discussion àl’Assemblée des travailleurs enarguant que «le gouvernement apromis » d'abandonner lesmesures particulières. Cettedécision de stopper l’occupationa été reçue avec colère, mais n'apas été remise en cause.L'occupation de la Comptabilitégénérale de l'État [Trésor] par destravailleurs licenciés d'OlympicAirways a eu le même tristedénouement. Ce sont pour laplupart des techniciens qui n'ontpas été payés depuis 3 moisaprès la privatisation d'OlympicAirways ou bien des travailleurslicenciés à qui on a promis unreclassement. Au premier jourde l'occupation, ils ont retenu unfonctionnaire en otage pendantplusieurs heures et le soir même,ils ont frappé et chassé uneescouade anti-émeute venue lesdéloger. Bien qu'ils étaientouverts à la discussion, ils semblaientdéterminés à maintenirl'occupation jusqu'au bout,puisque, selon leurs proprestermes, ils n'avaient «rien àperdre», et n'ont laissé personnepénétrer dans le bâtimentoccupé. Après 10 joursd'occupation, leurs représentantssocialistes (et de droite) ontdécidé d'accepter la ”promesse”du gouvernement de former uncomité spécial pour examiner laquestion ! Dans ce cas, les syndicalistessocialistes ont agicomme courroie de transmissiondes menaces du gouvernementcontre les travailleurs, à savoirordonner au ministère public deles faire arrêter.Comme nous l'avions déjà notél'an dernier au sujet del'incapacité des émeutes dedécembre [2008] à s'étendre auxlieux de travail, le manque deformesautonomesd'organisation et celui de nouveauxcontenus de luttes allantau-delà des revendications syndicalessemblent peser lourdementsur les prolétaires, en cettepériode de terrorisme de la“dette publique”. Qui plus est, leslimites de cette rébellion avecson caractère minoritaire, sontencore plus évidentes aujourd'hui,et bientôt, ceux qui étaientrestés en dehors vont probablementdécouvrir la nécessité decommencer une nouvelle rébellionafin qu’ils puissent par euxmêmessortir de ce pétrin.Agence de NotationFinancière des Pauvres &des Prolos alias TPTG(TA PAIDIATIS GALARIAS :Les gamins de la galère),Le 14 mars 2010La traduction et lesintertitres sont deCourant Alternatif22COURANT ALTERNATIF


Livres de FemmesJuana Doña, Depuis la nuit et le brouillard – Femmes dans les prisons franquistes,Aden, 252 p., 20 eurosEcrit en 1967 mais publié seulement après la mort de Franco, ce récit est un témoignageaussi poignant que précis sur les prisons pour femmes pendant la dictature. Son auteure estune figure du Parti communiste de l’époque et, d’après l’éditeur, la dernière femme à avoirété condamnée à mort en Espagne. Sous le prénom de Leonor, elle raconte dans un style trèsdirect les presque vingt ans qu’elle a passés dans l’univers carcéral franquiste, à partir defévrier 1939, et retrace de nombreux itinéraires de personnes (en général militantes) rencontréesde prison en prison. Auparavant, elle a planté le décor de la vie à Madrid après lepronunciamiento ; puis elle a décrit l’exode et la torture qu’elle et ses proches ont subis,ainsi que sa condamnation à mort qui sera commuée à trente ans d’emprisonnement. Si onne trouvera pas là un ouvrage de réflexion sur l’enfermement ou contre la dictature – etmoins encore sur la révolution espagnole, la question n’étant pas abordée et le point de vuerestant strictement celui d’une communiste –, cette réflexion s’opère d’elle-même à traversle quotidien abominable des prisonnières, entre punitions et famine, ou leur exploitationpar un encadrement très souvent religieux, assoiffé de vengeance contre les « rouges »comme de profit. En ressortent aussi à la fois la force que donnent aux « politiques » leursconvictions et l’organisation d’une solidarité entre elles jusque dans les pires geôles (par le regroupement en « communes », les grèvesde la faim contre l’instruction religieuse forcée…). Il y a beaucoup d’humanité chez cette femme qui n’hésite pourtant pas à se décrire,une fois libérée, comme rigidifiée par l’engagement même qui l’a aidée à tenir ; et si les histoires qu’elle rapporte ne manquent pasd’horreurs, celles-ci sont contrebalancées par une volonté de résister qui oppose la vie à la mort, en dépit de tout.VaninaDes Mots Pour Agir contre les violences faites aux femmes, Sous la direction d'Eve Ensleret Mollie Doyle. Traduit de l'anglais par Samia Touhami. Editions des femmes-Antoinette Fouque,326 p., 18 €Ce livre est le nouvel opus dirigé par Eve Ensler, l'icône marketing d'une partie du mouvement féministedepuis la parution, en <strong>199</strong>6, des Monologues du Vagin.Malgré le fait que l’ouvrage ait été édité par Antoinette Fouque, dont le rôle dans le mouvement desfemmes peut prêter à débat, et que la préface de la version française ait été rédigée par Rama Yade ( !),l’ouvrage présente l’intérêt d’offrir une autre perspective sur les violences faites aux femmes.Ce recueil de 50 textes courts et poèmes se présente sous une forme plus artistique que politique.Mais un art qui se veut engagé et dont le but est de mettre des mots, une parole, sur des maux muetsqui traversent continents et classes sociales.Certes, ce livre n'aura, en tant que tel, qu'une portée limitée. Il est difficilement imaginable qu'un telouvrage tombe entre les mains des bourreaux et fasse écho. Mais la plupart de ces textes grondentd'une colère sourde contre cette épitaphe charnelle de la domination patriarcale.A la lecture, certains textes sont plus forts que d'autres, je n'en ferai pas ici une liste exhaustive, caril me semble qu'elle ne serait pas représentative tant ce recueil appel un regard et un ressenti propre à chacun-e.Là où la dynamique de Eve Ensler éveille mon intérêt, c'est au niveau de l'idée plus globale. Des Mots pour Agir Contre la Violence faiteaux Femmes, en tant que livre, n'est qu'une maille du projet. Son envie serait de mettre, par ces textes, la question des violences sur ledevant de la scène. Ainsi, son projet est d'organiser à travers le monde des journées où ces textes, comme les Monologues de Vagin, sontrécités, proclamés. Le but : sensibiliser les masses populaires en posant cette problématique des violences dans l'espace public et ainsi,soutenir les associations qui luttent contre ces violences. C'est ainsi qu'est né le festival « Until the violence stops » (« jusqu'à ce que lesviolences cessent ») qui a déjà eu lieu dans 112 pays sur les 5 continents.En 2010, la question des violences conjugales a été déclarée « grande cause nationale » en France. Du coup, des campagnes de pub ontvaguement défilé sur le petit écran et dans les journaux entre la Saint-Valentin et la journée internationale de lutte pour les droits desfemmes, dite « Journée de la Femme ». Entre temps, rien qu'en France, 22 femmes sont décédées du fait des violences physiques et psychologiquesqu'elles ont subies. Car si officiellement une femme décède tous les 3 jours sous les coups de son compagnon, les associationsde défense des femmes parlent, elles, d'une à plus d'une femme par jour qui meurt du fait de ces violences.Dès le départ, les dés sont pipés, alors quand on ajoute les coupes budgétaires dont pâtissent ces associations et les structuresd'hébergements qui en dépendent, il est normal de s'interroger sur la volonté réelle du gouvernement de lutter contre ce fléau.C'est sans oublier Najlae expulsée vers le Maroc après avoir voulu porter plainte contre son frère qui la battait. Grâce à la mobilisationet à la médiatisation, elle a pu rentrer chez elle. Mais pour une jeune fille sauvée, combien de femmes sont expulsées dans leur paysd'origine ? Combien de femmes se taisent par peur de cette expulsion ?Alors certes, la lecture seule ne sert à rien. Mais en parler toujours plus et toujours plus fort, fera peut-être se délier les langues, mettraà mal les chaînes de la domination patriarcale et sauvera sans doute des vies.« FEMME, POUR EN FINIR AVEC LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES, HISSEZ-VOUS SUR VOS PIEDS PARFAITEMENT LIBRES ! NOUS AVONSPERDU LA TERRE EN VIVANT A GENOUX » Alice WalkerGéraldinePs: pour une lecture plus statistique et factuelle sur cette question des violences subies par les femmes, je conseillerais aussi la lecture du Livre noirde la Condition des Femmes dirigé par Christine Ockrent et Sandrine Treiner.AVRIL 2010 23


KurdistanUn automne kurde?Le 26 février dernier à Draguignan, Marseille, Montpellier et Grenoble, desperquisitions sont effectuées à des domiciles privés et dans des locauxcommunautaires, suite à une enquête lancée en italie à l'encontre de militant-e-skurdes. Cette procédure (menée par la Sous-Division Anti-Terroristede la police judiciaire) donne lieu à dix gardes-à-vue, puis à septséquestrations préventives. Ce procédé est courant : un mois plus tôt, septautres camarades venaient d’être relaché-e-s faute de preuves après un ande prison, sans jugement. Le 4 mars dernier, 300 keufs procèdent à unetrentaine de descentes à travers toute la Belgique, notamment dans deslocaux politiques. Elles débouchent sur une vingtaine d’arrestations deréfugié-e-s politiques, journalistes, militant-e-s... Alors que des affrontementsont lieu devant, les locaux de Roj-TV (qui émet pour la diaspora etjusqu’au Kurdistan, où elle est très suivie bien qu’interdite) sont saccagéset la transmission coupée. Depuis le « sinistre » de l’intérieur CharlesPasqua, les épisodes répressifs se sont succédés à l’encontre du mouvementkurde. L’Etat turc en particulier monnaye en arrestations, censuressonnantes et trébuchantes, sa collaboration aux intérêts impérialistes auMoyen-Orient. Ces derniers mois la traque s’intensifie (perquisitions du20 octobre 2009 au Centre Culturel Ahmet Kaya à Paris...) et démontreune volonté d’écraser cette lutte ici… laquelle fait écho à l'évolution de lasituation politique là-bas.La stratégie habituelle desautorités françaises face àl'immigration kurde mobiliséerelève spontanément plus ducontrôle étroit que de la répressionféroce : cette dernière apparaîtgénéralement sur demandede l'Etat turc, lorsque les relationsdiplomatiques leurs permettentde mendier un relaicontre-insurrectionnel. On invoquepar exemple souventd'étranges coïncidences ; desrafles qui suivent des commandesd'hélicoptères de combatà l'Italie, d'avions de ligne àla France ou des négociationsavec l'Union Européenne concernantle passage de gazoducs... Ilest amusant de souligner lesmesquineries du pouvoir. Maisces explications étroitementpécuniaires paraissent insuffisantessi l'on en croitl'intensification de la collaborationet sa systématisation. Alorsque l'Union Européenne persisteà maintenir le Parti des Travailleursdu Kurdistan (P.K.K.,principale organisation de laguerilla) sur sa liste noire du terrorisme,des flics turcs auraientdirectement participé à l'assautcontre Roj-TV. L'attaque est deplus en plus manifestementorientée contre l'élite des organisations-dans le but de lesdécapiter- et non plus uniquementcontre leurs militant-e-sde base accusé-e-s d'activitésclandestines (comme lesméthodes contestées de récoltede fonds en France).Un pouvoir turc traversépar des rapports de forceLa multiplication de ces agressionslégales illustre une nouvellesstratégie impérialiste,dans le contexte des rapports deforce qui traversent l'Etat et lasociété turque, et plus largementle Moyen-Orient.L'expansionnisme, le militarismeoutrancier de la vieillegarde kémaliste, républicaine etultra-nationaliste a envenimé lesrelations diplomatiques avecpresque tous les Etats frontalierset a enlisé le sud-est du paysdans la guerre. Une guerre de «basse-intensité » qui n'en est pasmoins responsable de milliers demort-e-s, de millions de déplacée-s,et d'une atmosphère politiqueet sociale explosive. Face àcette inflexibilité risquée desélites traditionnelles de la turquie,les libéraux du Parti de laJustice et du Développement(A.K.P.) qui gouvernent aujourd'huiamènent différentes innovationsplus habiles. Elles présententl'avantage de s'assimilerà l'expansion de la « doctrinedémocratique » avec le soutiende l'Union Européenne et del'administration actuelle desEtats-Unis d'Amérique. Et ellesdonnent l'illusion d'un processusde stabilisation et de pacification,cher aux investisseurscapitalistes comme aux idéologuesde la modernisation.Une stratégie de pacification,pas une paix justeL'A.K.P. dépend en partie de laséduction d'une partie del'électorat kurde sur une basereligieuse conservatrice (et largementclientèliste), ce qui permetde détourner cette minoritéde la mobilisation communautaireen rupture avec le pouvoirturc. Simultanément à cettecampagne, le gouvernement semontre favorable à une reconnaissance,extrêmement lente etprudente, des droits culturels...bien qu'il ne s'agisse que de leuravatar folklorique minimal, arrachéà toute l'armature politique,sociale et économique plutôtradicale du mouvement. Cependant,il détourne de cettemanière les électeurs et électricesles plus modéré-e-s del'indépendantisme. Sur la questionde la lutte à proprementparler, qui bénéficie d'un largesoutien populaire, la stratégiegouvernementale repose sur unedialectique très commune. Ontolère une expression civile etpacifique, « citoyenne », de laculture et du mouvement kurdeen attendant qu'elle se diluedans l'acceptabilité. Mais onécrase impitoyablement le P.K.K.et toute velléité de radicalité, derésistance clandestine et deconfrontation avec l'Etat. Ondésamorce. C'est au gouvernementA.K.P. enlacé à ses alliésoccidentaux, que l'on doitl'accroissement de la pressionsur le mouvement indépendantisteà l'extérieur des frontières :en Europe comme nous l'avonssignalé ; mais également dans lenord de l'Irak occupé, où lerégime autorise l'armée turqueà mener des opérations contreles maquis kurdes.Si la testostérone paraît êtrel'unique possibilité d'unionsacrée entre le gouvernement etson opposition nationale-républicaine,la question de sondosage est encore source deduels. Ces deux factions du pouvoirturc sont à couteau tiré surà peu près tous les sujets.Concentrons-nous encore surl'année 2009 au Kurdistan. Auprintemps, les forces sécuritaires(pilier majeur de l'aile kémaliste)veulent infirmer la stratégie dite« d'ouverture » (d'hypnose, enfait) libérale et démocratique.Elles persécutent et emprisonnentavec zèle plusieurs centainesde militant-e-s kurdes,jusqu'aux élu-e-s de communesimportantes du sud-est, accusée-sde collusion avec le terrorisme.Mais le mouvement, bienimplanté et puissant eu égardaux obstacles qu'il rencontre, etfort d'une large victoire aux dernièresélections municipales,continue d'élargir la brèche del'assouplissement revendiquépar le gouvernement et metl'Etat turc face à ses contradictions.Divers évènements publicsse succèdent à l'automne: véritabledémonstration de force decette lutte qui nargue le pouvoiren jouant de ses division, leMezopotamya Sosyal Forumu deAmed/Diyarbakir est une réussitepour les dirigeant-e-s dumouvement. La participation denombreux étrangers limitel'exhibition militaire à quelquesblindés et pelotons désoeuvrésaux carrefours de la ville pendantque des avions de chassesurvolent le camp. Un grand festivalculturel (parler de cultureau Kurdistan annexé prend tout24COURANT ALTERNATIF


Kurdistanson sens politique) se dérouleentre Batman et Hassankeyf, oùun projet étatique de barrage surle Tigre a été temporairementabandonné après le retrait desfinanciers européens qui assumaientmal la submersion desites archéologiques réputés(aucun scrupule en revanchepour les centaines de villagesinondés, alors qu'ils étaienthabités, dans le cadre du développementhydro-électrique etde la désertification volontairedes campagnes kurdes...).Des évènements de ce typeétaient déjà, d'après des observateurskurdes, complètementinimaginables ne serait-ce quequelques mois plus tôt. Maisl'évènement le plus symboliqued'entre tous fait suite à une propositiond'amnistie des maquisardss'ils déposaient les armeset revenaient à la vie civile. Ils'agit d'un véritable séisme dansla gestion de cette guerre et dansl'imaginaire nationaliste turc.Émanant du gouvernement, cetappel empiète totalement sur cequi est considéré comme uneprérogative exclusive par leConseil National de Sécurité,totalement autonome jusque làpour mener la contre-insurrection.Loin d'une mesure deréconciliation désintéressée,l'A.K.P. espérait peut-être égalementsemer de cette façon lasédition dans les rangs du P.K.K..La riposte du mouvement kurde,qui est conscient de son intérêt àsubvertir la stratégie gouvernementalepuisqu'aucune issuevictorieuse n'apparait sur le planmilitaire, a été une surenchèresymbolique. Un petit groupe decombattant-e-s est effectivementdescendu des maquis irakienspour se présenter désarméà la frontière turque. Jouant dustatu quo entre rivaux au sommetdes institutions, leur retouren turquie s'est transformé encortège gigantesque le long desroutes kurdes. Leur passagedéplaçait les foules, dans unmélange d'insolence à l'égard del'Etat et de réels espoirs de paixde la part d'une population épuiséepar un quart de siècle deconflit. D'étape en étape, ce sontdes dizaines de milliers de personnesqui accueilleront cesmembres du P.K.K. à leur arrivéeà Amed/Diyarbakir, alors quetoute la région est rivée à la télévision.Une surenchère deripostesLa tendance des classes dirigeantesturques la plus intraitableà l'égard des kurdes nepouvait indéfiniment laisser sesadversaires repousser les limitesde son autorité, jadis indisputée.Sa réponse ne sera ni plus nimoins qu'un sabotage explicitede la politique gouvernementale.L'année 2009 s'est terminée parla décision d'une haute juridictionsoumise aux kémalistesd'interdire le D.T.P. (parti indépendantistekurde, alter ego légaldu P.K.K., d'une gauche relativementradicale). Cette organisationadministrait la plupart desgrandes villes du sud-est, denombreux villages, et possédaitune vingtaine de sièges au parlement.Elle avait égalementcommencé à attirer la minoritéanti-nationaliste de l'électorat degauche radicale turc et pouvaitménager ainsi une issue fédéraleet autonomiste au conflit. Onpourrait lui faire de très nombreusescritiques. Mais le D.T.P.représentait à la fois une oppositionfrontale aux militaires et àleurs satellites ainsi qu'unealternative à la pacification libéraleet conservatrice de l'A.K.P. Età l'intégration plus profondedans le système impérialiste -pour lequel le destin del'Anatolie est de demeurer labanlieue pauvre de l'EuropeOccidentale en même temps quela courroie de transmission del'O.T.A.N. dans la région. Soninterdiction à la fin de cetautomne kurde a provoqué desmanifestations et des émeutesen de nombreux endroits dupays, accompagnées à plusieursreprises de lynchages de sessympathisants par des nationalistesturcs.Le prolongement ces dernièressemaines, sur le sol européen, dela répression du mouvementkurde, prend place dans cetteconfiguration des rapports deforce au sein du pouvoir turc:entre d'une part une idéologieclairement fascisante héritée dukémalisme et des régimes militaires,qui veut purement et simplementanéantir cette lutte... enmême temps qu'elle souhaiteanéantir ce peuple par le biais dela terreur et de l'ethnocide, dansle but d'affermir la suprématieturque; et d'autre part une idéologiequi, au côté de la métropoleeuropéenne en particulier, segargarise de la « démocratisation» (une libéralisation en fait) de lasociété en amputant tout ce quidépasse d'un cadre idylliquepacifié, tout ce qu'il n'est paspossible d'intégrer. Le mouvementkurde et sa persécutionrévèlent que ce dilemme au seindu pouvoir turc ne faits'affronter que deux visions dela domination et des moyens d'yparvenir: l'une rigide comme lebâton, l'autre souple comme lefouet. Ces deux tendances collaborentchacune à leur manière àl'expansion impérialiste auMoyen-Orient et si l'on croit quel'affaiblissementdel'impérialisme là-bas contribueà affaiblir le pouvoir au sein desmétropoles ici... Cela nousencourage à envisager un soutieneffectif à la diaspora kurdeet à ses militant-e-s. D'autantplus que l'Etat français utilise àleur encontre la même législation,la même rhétorique antiterroristeque contre beaucoupde nos camarades ennemi-e-s del'ordre. L’Union Européenne et laFrance ont choisi d’importercette guerre ici : il serait impolid’ignorer leur invitation…Solidaire :Lié à une ouplusieurs autrespersonnes par uneresponsabilité,des intérêts communs.Se dit de choses quidépendent les unesdes autres dans leurfonctionnement.Pour compléter :oclibertaire.free.fr/spip.php?article673&var_recherche=ahaliAVRIL 2010 25


Ce qui nous enrichitArmand Gatti à Saint-NazaireDe septembre 1976 à février 1977, Armand Gatti et « La tribu »débarquent à Saint-Nazaire pour un projet de création collective.Durant 6 mois, ils investissent la ville et la presqu’île. Leurs interventionsmultiformes perturbent les discours, les positions, leshabitudes… Un livre retraçant ce projet* a été publié par la Maisondes écrivains et des traducteurs de Saint-Nazaire en novembredernier. Occasion de revenir sur quelques questions autour de l’artet de ses déclinaisons politiques et sociales, à partir d’un objectifrevendiqué par Gatti : « mettre des individus que leur conditionsociale ne prédisposait pas en situation d’inventer, de créer ».Gatti et la Tribu (1) répondent àl’invitation de la MJEP, Maison desJeunes et de l’Education Populaire, etde son directeur Gilles Durupt. Ils obtiennentcarte blanche pour une création collectivearticulant écriture, théâtres, débats,affiches, film, enquêtes, journaux, expositions…Autour d’une fable inspirée d’unGatti à Saint-Nazaire en 2009Je suis allé à une rencontre avec Gatti au Fanal, centre culturelde St Nazaire. Fatigué il était retourné sur Paris. J’airencontré Gilles Durupt, ancien Directeur de La MJEP (Maisondes jeunes et de l’éducation permanente), initiateur dela venue d’Armand Gatti et de la « Tribu » en 1977.Nous avons échangé sur les années soixante dix où il avaitété à l’initiative de la valorisation de cette « maison » pouren faire un lieu de rencontres, de débats, d’initiatives. Il m’adit qu’en 1977 il avait voulu trouver une dynamique plusforte, et c’est Gaby Cohn, partenaire déjà sur d’autres projets(mois de l’antipsychiatrie, mois sur la justice, etc…) quile mit en lien avec Gatti. A la sortie de cette soirée de docus,dont un sur la lutte des paysans, j’ai croisé une collègue decette époque qui m’a demandé qu’est-ce que j’avais retenude l’événement des « Canards sauvages », et si en fin decompte on ne l’avait pas vécu de loin.Je suis allé voir André Daniel (enseignant considérécomme le co-fondateur du lycée expérimental suite àl’initiative de Gaby) pour échanger nos souvenirs. Nousavons parlé de la MJEP avec ce concept de « Maison », termeque l’on retrouve aussi dans la Maison du Peuple, qui à StNazaire regroupait les syndicats et les diverses associations,Maison du Peuple maintenant désossée, les locaux des syndicatsrestant noyés dans un espace commerçant, « LeRuban Bleu » avec un slogan «Une autre vision du monde»,accompagnée d’une création d’une maison des associations.Tout cela pour rappeler que courant 70 se croisaientdans cette maison d’éducation permanente des groupesdivers autogérant leurs activités (sérigraphie, danse bretonne,activités théâtre, tissage, etc.) et des individus diversparticipant aux activités culturelles et sociales (films,débats, rencontres -venue de Vautier- etc.).Un brassage, beaucoup de militants, pas mal de « gauchistes», un directeur favorisant les initiatives : parexemple nous avions été un nombre d’enseignants, deparents et de lycéens à l’initiative d’une fête de l’école encrise et d’une «Quinzaine de la créativité» qui déboucha surla réalisation d’une pièce de théâtre « La planète des sages», créée par des élèves et des enseignants, dont beaucoup seretrouveront plus tard au Lycée Expérimental.Tout cela pour souligner l’importance de ce lieu de rencontres,de croisements, de participations d’acteurs locauxpoème d’Alexandre Galitch, celle du Canardsauvage, celui qui ne peut voler que contrele vent, et autour d’un nom, Vladimir Boukovsky(2), obscur dissident soviétiqueinterné, dont il conviendra d’obtenir la libération.L’aventure bénéficiera d’une couverturenationale par la présence de Marc Kravetz,alors journaliste à Libération,quotidien qui n’est pas encore devenu lenombril de Serge July, ni l’organe de Rotschild.Des maux du pouvoir….Dans une cité ouvrière, au temps del’union de la gauche PS-PCF, moins de 10 ansaprès 68, mettre en cause l’Union soviétiquesous couvert de création artistique, suivantle principe édicté par Nestor Makhno (3)«Prolétaires de tous les pays, descendezdans vos profondeurs, cherchez-y la vérité,vous ne la trouverez nulle part ailleurs», nemanque pas de sel, même en pays guérandais!Le défi est lancé sous une formule « Uneville ouvrière peut-elle changer le cours del’histoire ?»La levée de bouclier contre l’initiative estimmédiate. Elle vient, on pouvait s’yattendre, du côté du PCF et de la CGT qui nesupportent pas que l’on prétende toucheret de la possibilité de prises d’initiative.Alors la venue d’une personnalité envahissante commeGatti, et de sa « Tribu » a placé certains d’entre nous enporte-à-faux, devions-nous être disponibles pour desmaîtres d’œuvre.*André Daniel venait de finir un film avec des lycéens (St-Nazaire pendant la guerre), on lui a proposé de l’intégrer,lui préférait plutôt refaire un projet sur la ville et il a déposéune mouture, et puis il n’en a plus entendu parler.*La forme des débats, où il fallait déposer les questionspar écrit, était un procédé qui nous avait étonnés par rapportà nos échanges enflammés passés, et puis des questionsétaient évacuées.* Au cours de cette période un copain enseignant à St-Nazaire, militant breton au FASAB, fût arrêté suite à uneaction de militants bretons vers Carhaix ; en fin d’aprèsmidinous étions une centaine de militants devant le commissariat.Ainsi se posait le rapport intéressant entre leschoses (répression) qui se passent localement, ici, et cellesqui se passent « là-bas » dans les goulags. Et cela fut dissocié.Peut-être que je fais partie des gens qui avaient du mal àadhérer avec un slogan implicite « une ville qui peut changerl’histoire », car il ne faut pas se fermer les yeux, la libérationde Boukovski en échange d’un dirigeant communistechilien est issue d’une négociation entre le Chili (de Pinochet)et l’URSS (de Brejnev).De même pour nous la vie de la MJEP avait commencé bienavant l’arrivée d’Armand Gatti.Etre à côté, émettre des critiques, ne retire en rienl’importance de ces « Canards sauvages » qui firent parlerd’eux. J’ai simplement une plus grande empathie avec desactions menées, comme celle qui s’est déroulée en 2008,dans le quartier de Méan-Penhoët par la compagnie «HVDZ» de Guy Alloucherie(1) et qui s’est terminée par uneveillée.Joël Quélard, Janvier 2010(1) Compagnie de Théâtre qui recueille images, paroles ettémoignages de la population lors de résidence dans desvilles ou des quartiers populaires, pour en faire des spectacles,« les veillées », où dans des établissements scolairespour faire émerger des paroles d’élèves recueillies dans des« instantanés ». cf http://www.hvdz.org/blog/26COURANT ALTERNATIF


Ce qui nous enrichitRequiem pour une ville qui volait contre le vent(Texte écrit en 1976 pour la revue " Le canard sauvage ")Saint-Nazaire n'est pas une de ces villes, produit d'unerégion, qui sont nées sur place d'un lent grossissement dutissu humain. Elle a été projetée là par une volonté délibérée.C'est une ville parachutée. Elle préexiste à elle-mêmecomme une nécessité du système qui va la créer.Qui a besoin de cette ville au moment où elle va surgir surles rives de l'estuaire et de l'Océan, à côté du vieux bourg deSaint-Nazaire ?D'abord les " négriers " nantais. Nantes, grande place commercialeet financière à l'époque du grand commerce atlantique,est en perte de vitesses au XIXème siècle. Un avantport? Oui. Peut-être ! Mais qui va payer ? Le capitalismenantais n'a plus les moyens de prendre en charge une telleopération.Faisons appel à l'État ! Mais, sous le Second Empire, l'Étatest déjà l'agent des grandes sociétés privées qui ont leursiège à Paris, et avec les frères Pereire de la CompagnieGénérale Transatlantique, avec la Compagnie du chemin defer d'Orléans, Saint-Nazaire sera une colonie parisienne etnon pas une succursale nantaise. Capitalisme local contrecapitalisme national !Les nantais n'en sont pas encore revenus.Rêve de violenceLe développement de cet outil sera remarquable : bassinsà flot, grande gare terminus, chantiers de constructionnavale. En peu de temps, les compagnies privées, avecl'argent de l'État, édifient là de gigantesques moyens de production.Les populations affluent, venues des campagnes bretonnessurtout, arrachées à leur village presque de force, etconcentrées là pour satisfaire les besoins de puissance etde développement du grand capitalisme industriel. Villeouvrière ? Plus que cela, villeprolétaire ! Créée et exploitée par des chefs d'industrie quitrônent ailleurs et qui abandonnent volontiers les pouvoirslocaux. Créée pour être exploitée ! A Nantes, il y a des quartiersouvriers, Saint-Nazaire reste une ville prolétaire.D'où cette tradition révolutionnaire, cette vision globalede la lutte des classes qui a permis au prolétariat nazairiende produire des Fernand Pelloutier et des Henri Gauthier.Travailleurs immigrés, les ouvriers nazairiens des premiersâges ont en eux une formidable frustration. Cette révoltetotale mêlée à la solidarité brièronne va produire à certainsmoments un mélange explosif. Il fut un temps où l'oncroyait en France que tout commencerait à Saint-Nazaire.Mais les contradictions d'une ville prolétaire, portée par levent de l'histoire capitaliste qui déchaîne des forces de productionillimitées peuvent être mortelles.Voler contre le vent, c'est s'attaquer au système qui a créélà ces forces de production pour satisfaire ses propresbesoins et non pas ceux des populations déportées. Volercontre le vent, c'est, à la limite, refuser d'exister, d'où desmontées de violences irraisonnées et irrationnelles.Les enfants du bon DieuMais réclamer sans cesse de nouvelles productions, denouveaux moyens de production, c'est négocier avec Parisl'accroissement de cet outil qui est à la fois la base de lapuissance des princes de ce temps et l'instrument del'aliénation des populations, c'est construire soi- même lesmurs de son propre enfermement.Etrange destinée, les descendants des révoltés qui étaienthabités par un rêve inconscient de destruction et de libérationseraient aujourd'hui les instruments inconscients durenforcement du système qui a créé la ville et ses chantiers.On a su inculquer aux travailleurs nazairiens la fierté etl'orgueil d'avoir construit pour d'autres ces géants de la merque sont paquebots et pétroliers. On essaie de leur fairecroire qu'ils ne sont pas habités par un rêve de violencelibertaire mais qu'ilsveulent simplement du travail.Ô, ces hymnes à l'Ouvre et au Travail qu'on compose poureux ! Et comme " on " aimerait les entendre chanter, en bonsprolos, comme des enfants du bon Dieu !André Daniel, Professeur d'histoire, Membrefondateur du Lycée expérimental de Saint-NazaireTexte écrit en 1976 pour la revue " Le canard sauvage "qu'Armand Gatti publiait à Saint-Nazaire à l'occasion d'uneopération en faveur du dissident soviétique Bukovski.pour faire émerger des paroles d’élèves recueillies dansdes « instantanés ». cf http://www.hvdz.org/blog/au monopole stalinien sur la classeouvrière, de surcroît en ciblant la naturetotalitaire de la mère de toutes les patriesprolétaires, l’URSS.Poser la question de la dissidence, de lanature psychiatrique de la répression soviétique,de la libération de l’homme à traverscelle de prisonniers du goulag, et rompreavec l’aliénation idéologique du Parti, nepouvaient pas ne pas faire de vagues.Il y en aura, le PCF-nazairien et la CGTdénonceront le financement public d’uneopération anti-soviétique par une municipalitéde gauche, mais seront finalementdésavoués par le PCF national. Mais lesvagues viendront également de l’extrêmegauche nazairienne, anarchistes inclus,qui s’estimera dépossédée de sa libertéd’action, de dire et de faire, par une opérationparisienne « hors sol ». La questionsera finalement de savoir s’il est questionde « mettre l’art au service du Peuple »,ou bien plutôt « le peuple au service del’art ». Qui dirige, qui contrôle, par quelsmoyens et pour quelles fins ?Dans une société où la conflictualitén’était pas encore anesthésiée par le politiquementcorrecte, l’affrontement sera* Ces canards qui volaient contre le vent Armand Gatti à Saint-Nazaire. Septembre 1976 - février 1977.MEET – novembre 2009. 320 pages. 35 euros(1) La tribu est en quelque sorte la troupe qui accompagne Gatti. Loin de se limiter à des comédiens,il s’agit bien plutôt d’une communauté artistique regroupant une trentaine d’hommes et femmesacteurs, plasticiens, dessinateurs, auteurs, cinéastes et techniciens, qui se pensent pour certains enavant-garde : «une nouvelle Makhnovtchina œuvrant certes dans le domaine culturel, mais dansune forme de culture qui était viscéralement politique».(2)Vladimir Boukovski avait 17 ans lorsqu’il fut expulsé de son collège de Moscou pour y avoir crééun magazine non autorisé ; il enchaînera alors les séjours en hôpitaux psychiatriques, prisons etautres camps de rééducation, entrecoupés de brèves périodes de liberté surveillée qu’il consacreraà la création de Sazmizdat. Il rédigera avec Sémion Gluzman un “Guide de la psychiatrie à l’usagedes dissidents”, dédié au mathématicien Leonid Plioutch. En 1976 il est malade et au cachot à Moscou,mais sans attache avec quelque élite artistique, scientifique ou intellectuelle, il ne bénéficie pasde campagne internationale contrairement à d’autres figures de la dissidence. Sur la signification dela dissidence en Union Soviétique, indépendamment de l’idéologie politique des dissidents, lire letexte de Claude Orsoni « De la dissidence », Editions nautilus.(3) Anarchiste-communiste ukrainien, militant et stratège qui contribuera aux réalisations révolutionnairesles plus avancées durant la Révolution «russe» de 1917-1921 tout en menant une guerrecivile contre les Russes Blancs, l’armée Allemande, puis l’Armée rouge à la tête d’une insurrectionpaysanne. Voir le livre Nestor Makhno, qui vient de paraître chez Allia, et les travaux d’AlexandreSkirda sur la Makhnovtchina.AVRIL 2010 27


Ce qui nous enrichitBiographie [sommaire]d'Armand GattiGATTI Dante, Sauveur,né le 26 janvier 1924 à la maternité del'hôpital de Monaco, fils d'AugusteRainier, balayeur, et de Letizia Luzona,femme de ménage.Bon élève (dissipé) du petit séminaire; résistant, condamné à mort(gracié en raison de son âge) ; déporté(évadé) ; parachutiste (médaillé) ; journaliste(couronné du Prix AlbertLondres) au Parisien Libéré puis àParis-Match, France Observateur,L'Express (ancienne formule) et Libération(l'autre, celui de la Résistance); cinéaste (consacré dès son premierfilm - L'enclos -, ignoré dès le second- L'autre Cristobal -, exilé pour le troisième- Le passage de l'Ébre -, interditde caméra pour beaucoup d'autres -une dizaine) ; écrivain-dramaturgemetteuren scène (célèbre et célébré :La vie imaginaire de l'éboueurAuguste G., Chant public devant deuxchaises électriques, V comme Vietnam,Les treize soleils de la rue Saint-Blaise, Le cheval qui se suicide par lefeu, plus un nombre considérable depièces, le tout joué un peu partout surla planète et quelques rares fois enFrance) ; voyageur (Sibérie, Chine,Corée, Japon, Guatemala, Nicaragua,Costa-Rica, Allemagne, Irlande) - ici ons'en tient aux déplacements qui ontdonné lieu ensuite à des reportages,livres, pièces de théâtre ou films ; écrivainpublic itinérant et vidéographe(en compagnie de la Tribu, du Brabant-Wallon à Montbéliard, de Ris-Orangisà l'Isle d'Abeau avec crochet par Saint-Nazaire prolongé d'une pointe en Avignonet Marseille avant un rebond àStrasbourg.Signe particulier : refuse des'enfermer dans sa fiche de police.Plus difficile de raconter Gatti que depeindre l'oiseau de Prévert. (…)Marc KravetzSource : http://armand-gatti.org/voir aussi : http://www.la-paroleerrante.org/parfois violent, dans les mots et dans lesactes. Les bombages vengeurs fleurirontdans la ville « Gati-Cohn liquidation prochaine(sic) » « Mort aux cultureux » « Notreprison c’est le monde libre : Boukovskycasse-toi », et le canard géant, sculpture detubes et de plumes ornant la devanture dela MJEP finira rôti par quelques incendiairesvengeurs… Gatti n’écrira pas à Saintnazaire,mais son spectacle créé à Avignonpar la suite s’intitulera « Le cheval qui sesuicide par le feu», où il affirme que «l’histoire ne laisse pas de trace. Elle ne laisseque des conséquences qui ne ressemblenten rien aux causes qui les ont fait naître.».Boukovsky sera finalement libéré endécembre, lot d’un marchandage entre Pinochetet Brejnev pour les uns, consécrationde la victoire de la ville ouvrière sur la possibilitéd’infléchir le sens de l’histoire pourles autres. D'un coté le désir et l’utopie seréalisent dans l’action de création libératriceet de l'autre, le déterminisme et lesmanœuvres obscures balisent une libertéd’agir illusoire. La confrontation de ces analysesà Saint-Nazaire il y a 30 ans, n’en finitpas de se décliner en tous lieux jusqu’àaujourd’hui…aux pouvoirs des motsAu-delà de la dissidence, de la psychiatrieet de la répression, Gatti et la Tribu consacrerontleurs expériences de création à unemultitude de thèmes. Aux paysans de LoireAtlantique, ceux qui participent de la luttedes classes (4), avec l’action directe commemoyen et la perspective collectiviste commefin. L’immigration, comme avec cet itinéraired’un enfant d’Algérie devenu gardiende phare breton. L’école et les études avecla chasse au diplôme du côté de l’IUT. Aumonde ouvrier, son passé, sa constructionet son devenir, grâce à l’intervention de PaulMalnoé (5), leader local de Force ouvrière,trop content de damer le pion à la CGT enréhabilitant la figure de Fernand Pelloutier(6), le nazairien artisan infatigable de lafédération des bourses du travail. Le militarismeet les institutions disciplinaires,l’opposition… Mais aussi des créationsludiques comme l’écriture collective et spatialeavec des cerfs-volants construits etpilotés par des enfants de collèges. Au totalplus d’une cinquantaine de pièces, films,débats, forums, expositions, foisonnementcréatif qu’il est impossible d’énumérer icipar le détail, le tout annoncé, prolongé, pardes centaines de lettres, tracts, affiches,journaux, une explosion de mots !Cette expérience de Gatti à Saint-Nazaireà la fin des années soixante-dix marque larupture d’une époque, consacre une évolutiondans la façon de penser l’art, la culture,le théâtre, l’action sociale et politique. Il nes’agit plus de mettre en scène une cultureouvrière ou populaire, de donner une représentationde la classe, ainsi que pouvaient ladonner à voir jusqu’ici la plupart des avantgardesartistiques.La création collective prend le pas sur lacréation artistique. L’artiste ne donne pas laparole, il contribue à sa révélation et participede son élaboration. Il n’y a plus de spécialistesde la création quand chacundevient créateur. L’art devient une expérience,une aventure où chacun peut semettre en jeu, sans forcément d’objectif,mais avec une multitude d’enjeux.Au centre de cette dynamique se retrouvele mot, le mot qui est «l’arme décisive duguérillero» selon Gatti, qui permet derenouer l’indéfectible lien entre Politique etPoésie, en dévoilant la mort du «langageprétendant conduire les hommes au bonheurde tous [qui] a tiré un trait sur le bonheurde chacun». Une fin des modèles et desidéologies de gauche, qu’il faut accepter,pour mieux élaborer de nouvelles utopiesen acte, dans un langage dont les structuresseraient :« Accepter de se laisser porterdans les dimensions inconnuesde l’espace et du tempsEntrer dans un dialogue où l’on ne saitjamaisoù s’arrêtent les questionsoù commencent les réponsesoù placer les guillemetsoù chercher les repères » [A. Gatti]Un langage pour un art et une culture quiintègrent une certitude : la parole ne donnepas.Parce qu’une parole « donnée » est gauchie,pipée par celui qui la donne, car on nedonne jamais que la parole dont on espèreun rapport –sous forme de retour, de répétition.La parole se prend. La parole se crée.Selon une pratique et une théorie de desmots-cratieen quelque sorte !Philippe(4) cf Bernard Lambert, Les paysans dans la lutte des Classes, réédition CHT -Centre d’histoire du travailde Nantes. Plusieurs films et pièces de théâtre révèleront et livreront des paroles de résistancepaysanne(5) Paul Malnoé, De toutes mes forces, Edition Siloé, 2001. Trois films d’une heures seront réalisés avec etpar des ouvriers : Le canard noir, sur les révolutionnaires espagnols réfugiés à St-nazaire ; L’avant postesur le St-Nazaire de l’avant garde technologique (navale, aérospatiale) et combattante (Résistancedans la poche, combativité ouvrière des grèves de 55…) ; Hier et aujourd’hui sur la mémoire des luttesouvrières et leurs velléités révolutionnaires.(6) cf Fernand Pelloutier, Histoire des bourses du travail, Phénix édition – CHT, 2001.28COURANT ALTERNATIF


RubriqueMarika Kovacs, L'Octobre hongrois de 1956 – La révolution des conseils, L'Harmattan, 2009.Bien avant que la Tchécoslovaquie neconnaisse son Printemps, la Hongrieconnût son automne. Un automned'espoir et de sang. C'est cette histoireque nous conte Marika Kovacs, jeuneétudiante stalinienne au moment desfaits, emportée par le souffle révolutionnaire,dans L'Octobre hongrois de1956 – La révolution des Conseils(L'Harmattan).Après un long et judicieux premierchapitre sur l'histoire de la Hongrie dumoyen-âge à la sortie de la PremièreGuerre mondiale, Marika Kovacs, épauléede l'historienne Liliane Fraysse,retrace ce formidable soulèvementpopulaire qui a fait vaciller, un temps,le bloc soviétique, trois ans après la mort de Staline, et quelquesmois après le XXè congrès du PCUS marqué par le rapport Khrouchtchevet sa dénonciation du stalinisme. Au sein du Parti communistehongrois, les bouches s'ouvrent, tout comme chez les étudiants etles ouvriers : on condamne la politique économique du régime etson autoritarisme, on défend l'idée d'une voie hongroise au socialisme,on exige un changement de direction à la tête du pays, onconspue Matias Rakosi, le stalinien, et on acclame Imre Nagy leréformateur, qui, en 1954-1955, avait fait souffler un vent nouveausur le pays avant d'être exclu du parti pour sa politique« droitière ».En ce mois d'octobre 1956, les manifestations prennent un tourinsurrectionnel quand la police politique tire sur la foule. Des barricadessont érigées dans Budapest, et les troupes soviétiques interviennentune première fois. Le comité central remet le sort du paysentre les mains d'Imre Nagy alors que fleurissent sur tout le territoiredes conseils ouvriers, largement autonomes, qui réclamentl'instauration d'un régime socialiste démocratique ou, plus précisément,« l'édification d'une Hongrie libre, souveraine, indépendante,démocratique et socialiste ». Imre Nagy est coincé, ses jourssont comptés : le peuple veut qu'il transforme le pays profondément; les Soviétiques veulent qu'il ramène l'ordre. Début novembre,une seconde intervention militaire soviétique expulse Nagy du pouvoiret installe à sa place Janos Kadar, réformateur lui aussi, figuretrès populaire, mais ralliée aux Soviétiques. La répression s'abat surtout le pays, car les conseils ouvriers résistent et la population se batdans les rues. Au bout de dix jours de combats acharnés, on relèveprès de trois mille morts ; et plus de 200000 Hongrois, dont MarikaKovacs, sont contraints à l'exil. L'espoir d'un socialisme démocratiquea vécu. L'automne prend la couleur du sang.Ce récit de la crise hongroise de 1956, concis et éclairant, se lit avecplaisir et intérêt. Je lui ferai cependant trois reproches.Le premier reproche prendra la forme d'un regret. Si Marika Kovacsnous parle de sa jeunesse dans la Hongrie rurale, de ses études, deson militantisme au sein du parti communiste, de son exil enFrance, elle évoque trop peu souvent son rôle, qu'elle qualifie demineur, dans le mouvement révolutionnaire hongrois. J'aurais aiméqu'elle délaisse la relation des faits pour nous faire pénétrer plusprofondément dans « sa » révolution hongroise ; comment ensomme une jeune communiste élevée au biberon stalinien peutelleaussi rapidement se jeter dans un mouvement remettant encause tout ce à quoi elle croyait, comme le parti unique, son rôledirigeant et son infaillibilité ? Comment fonctionnait au quotidienun conseil ouvrier ou le conseil révolutionnaire dans lequel ellemilitait ?Le second reproche a l'allure d'une vieille querelle idéologique.Marika Kovacs est devenue trotskyste en exil en découvrant La révolutiontrahie de Trotsky. Et c'est cette lecture qui l'a convaincue que« la trahison du communisme au nom du communisme pouvaitêtre caractérisée politiquement et portait un nom : le stalinisme ».Fort bien. Mais à quel Trotsky entend-elle se référer ? Au Trotskyvaincu des années 1930 analysant la nature du régime soviétique,ou à celui qui, au nom de la construction du socialisme, aux côtésde Lénine, liquidait les soviets, se gaussait des libertés de la presseet d'agitation, prônait la militarisation des usines, la soumissiondes ouvriers aux spécialistes et aux bureaucrates, et organisait larépression sanglante de l'insurrection de Cronstadt ? Le lien quej'établis avec Cronstadt n'est pas anodin, car les Hongrois de 1956comme les révoltés russes de 1921 ont avancé des revendicationssimilaires : défense du pouvoir ouvrier, rejet du bureaucratisme,élections libres et pluralistes, liberté de parole et de presse, contrôleouvrier dans les usines, politique plus souple à l'égard des massespaysannes ; et ils furent tous deux catalogués de mouvements réactionnaires,contre-révolutionnaires. En 1921, c'est Trotsky qui donnale coup de grâce ; en 1956, ce fut Khrouchtchev.Malgré les oscillations de sa pensée, Trotsky n'a jamais eu beaucoupd'égard pour la forme « conseils ». Pour les bolcheviks, lessoviets ne devaient avoir qu'un rôle précis : permettre par leur agitationla prise de pouvoir du parti incarnant les intérêts véritablesdu prolétariat. Concrètement : l'avant-garde et son marxisme-léninismeau pouvoir, les ouvriers et leur mentalité trade-unioniste àl'usine ! La « trahison du communisme au nom du communisme »n'a pas démarré à la prise de pouvoir de Staline ; elle est inhérenteau projet léniniste de soumission du prolétariat, organisé ou non,à l'élite dirigeant le parti. Trotsky avait fustigé en son temps lesconceptions organisationnelles de Lénine (cf. Nos tâches politiqueset Rapport de la délégation sibérienne). Nous étions au début du20e siècle. Après 1917, le révolutionnaire, fugitivement menchevik,devenu bolchevik et homme d'Etat, se montra tout aussi impitoyableavec les révolutionnaires qui refusaient de se soumettre que Lénine.Le dernier reproche est dans la continuité du second. MarikaKovacs considère que le mouvement hongrois a échoué car il luimanquait « une véritable direction révolutionnaire, un parti ouvrier(...) une force capable de centraliser tous les conseils ouvriers en unorgane national unique qui les représente. » Je ne discuterais pasde cette analyse de façon idéologique. Je crois seulement que lemouvement a échoué parce que les conditions lui étaient profondémentdéfavorables. Les Hongrois ne pouvaient compter que sureux-mêmes : les chancelleries de l'Ouest avaient leur regard portésur le Canal de Suez, les Américains n'entendaient pas fragiliser lebloc soviétique, Tito était revenu en odeur de sainteté ; quant auxclasses ouvrières occidentales, dominées par le stalinisme, ellesvoyaient en eux des agents de l'impérialisme et des fascistes. Une« véritable direction révolutionnaire » n'aurait rien changé au faitque l'URSS n'aurait pas permis qu'après la Yougoslavie titiste et ladéstalinisation opérée en Pologne par Gomulka, une autre démocratiepopulaire s'émancipe de sa tutelle. Sans oublier enfin, que la« véritable direction révolutionnaire » aurait eu à arbitrer rapidemententre les tendances, pas toutes socialistes ou socialisantes,que l'on retrouvait actives dans une lutte marquée par un fort nationalisme.Les Hongrois étaient condamnés à échouer. Mais cet échecne doit pas faire oublier, comme l'écrit Marika Kovacs que «l'expérience de la révolution des conseils s'inscrit comme unmoment essentiel dans le combat de l'humanité pour son émancipation.»Pour un récit plus détaillé des événements, je vous conseille la lecturedu libre de Victor Sebestyen, Budapest 56 – Les douze jours quiébranlèrent l'empire soviétique, Calmann-Lévy, 2005. Sur les conseilsouvriers, il doit toujours être possible de trouver le travail de AndyAnderson, Hongrie 1956 – Les conseils ouvriers, Spartacus, 1986. Sur lebloc de l'Est, la référence demeure le travail de François Fejtö, Histoiredes démocraties populaires (2 tomes), Seuil, 1952. Enfin, sur lecommunisme hongrois, il faut lire l'ouvrage de Miklos Molnar, DeBela Kun à Janos Kadar – 70 ans de communisme hongrois, Presses FNSP,1987.AVRIL 2010 29


InternationalL'Etat des Gauches au LibanAu sein de la corruptionpolitique et économiqueperpétrée depuis le débutdu XXème siècle par la droitelibanaise, qu'elle soit musulmaneou chrétienne, l'idée dechangement est, dans les esprits,directement lié à la gauche. Parde nombreuses causes interneset externes, cette gauche vit, elleaussi, une crise aiguë qui s'estintensifiée durant la guerre civileet qui culmine ces dernièresannées.Les forces de gaucheau LibanBien que ses responsables s'efforcent de présenterau monde un visage moderne du Liban, celuicireste un pays caractérisé par un système politiqueet judiciaire arriéré encore bati sur unféodalisme, principalement réligieux ou régional,comme il l'était sous l'Empire Ottoman.De plus, le Liban est également soumis à unegrave crise économique essentiellement causéepar la politique des gouvernements successifsvisant à abandonner l'industrie et l'agriculture auprofit de la conversion de l'ensemble du pays ausecteur du tertiaire et au tourisme. La balancedes paiements est ainsi en permanence déficitaire.La plus ancienne des organisationspolitiques de la gauchelibanaise est le Parti CommunisteLibanais (PCL). Il avait étéfondé sous le nom de Parti Populaire,puis a pris celui de PartiCommuniste Syrien (avant laséparation du Liban et de laSyrie) pour rejoindre le camp del'Union Soviétique. Après un travail« caché » de longue alène, leParti Communiste Libanaisdevenu officiel s'est illustré parde nombreuses actions socialess'attirant ainsi la sympatie de lapopulation. Sa popularité vas'accroitre jusqu'aux années 60et 70 où il contrôle étroitementles syndicats et unions étudiantes.Au début de la guerrecivile (1975) il est encore l'un despartis les plus influents mais sonrôle dans le conflit sera rapidementmarginalisé notammentaprès le retrait de son allié AbouAmmar principal soutien politiqueet financier de la gauchelibanaise. A ce stade, déchiré pardes divergences internes, le PartiCommuniste se fractionne petità petit via plusieurs phases descission -dont les trois plusrécentes datent de ces dernièresannées- sous pretexte de choixpolitiques divergents mais égalementd'accusations de vol etde corruption. Le PCL souffreaujourd'hui d'un irrémédiableémiettement - débuté au milieudes années 80 suite aux tensionsau sein de l'Union Soviétique -accompagné d'une forte corruptionqui ne cesse d'éloigner lesdirigeants et la base populaire.Enfin, ce qui a anéanti les dernièresforces de ce Parti, ce sontles assassinats de ses dirigeantsainsi que d'intellectuels communistes(Mehdi Amel, Mir ElAyoubi, Hussein Mrouwi, MichelWaked, Souheil Tawila...) perpétrésprincipalement par lesforces religieuses et ceci dansl'ensemble des régions du Liban.Dans les années 90 la corruptioncontinue au sein du PCLdont les dirigeants quis'opposent à l'autocritique et àla révision des erreurs, ne soutiennentpas les différents mouvementssyndicaux de plus enplus vastes et actifs. Par la suite,ces dirigeants ne s'opposerontd'ailleurs même pas à la destructionde ces syndicats par lesservices de renseignements libanaiset syriens.Après l'assassinat du premierministre Rafic Hariri le 14 février2005, les libanais se divisent endeux camps, les pro-syriensdénommés « mouvement du 8mars » (à cause de leur manifestationce jour) et les anti-syriens(qui sont en fait des pro-américainsdéguisés) dits « mouvementdu 14 mars » (date où leurmobilisation a culminé par la« révolution du cèdre » (1)). Aumilieu de l'agitation, le PCL estun peu perdu: il a du mal à choisirson camp et n'a même pas lavolonté de créer une troisièmesphère d'influence. Ceci a eupour conséquence directe dedémotiver ses membres notammentles jeunes dont la déceptiona été amplifiée par lescarences dans la formation politiqueet idéologique et surtoutpar l'absence de formation militairenécessaire dans un paysoccupé et en conflit tel que leLiban. De plus, la vente et le voldes biens du PCL ainsi que ledéficit financier qu'il subit, àcause du manque d'autocontrôle,n'arrangent pas lasituation. Affaibli, le PCLn'essaye pas de peser dans lesinstitutions de l'Etat ni même defaire de la propagande médiatiqueet son histoire s'achèveavec une perte d'influence spectaculaireet une décrédibilisationtotale: le peuple ne lui fait plusconfiance.Parmi les partis néoformés dissidentsdu PCL, le Parti de laGauche Démocratique fondé en2004 a suscité un grand nombred'interrogations. Les leaders decette tendance sont NadimAbdel-Samad et Elias Attallahanciens leaders du PCL, un jeuneintellectuel nommé Zyad Majedet un journaliste (assassiné en2006) Samir Kasir. Ce parti a crééun nouveau courant au Libancelui de la gauche modérée biendémarquée des principesmarxiste-léninistes. Il s'est entreautre illustré par sa participationà la « révolution du Cèdre » (1)bénificiant de l'appui des Etats-Unis, mais également de laFrance. Le manque de clartédans la position de ce parti aucours de la guerre de Juillet 2006opposant le Liban à Israël a suscitédes tensions au sein de ceparti; la confusion (et les démissions)atteignant son comble lorsde la décision des dirigeants des'abstenir de soutenir la résistance.Parmi les partis scissionnés degauche, il y a l'Organisation del'Action Communiste (OAC),organisation issue du nationalismearabe et ayant adopté ladoctrine marxiste au milieu desannées 60. Connu pour son radicalismeet sa lutte armée, ceparti était extrêmement influentdans la lutte contre le fascismeet le sionisme. Lorsqu'au débutde la guerre civile libanaise, sonleader Mohsen Ibrahim, unhomme charismatique et denotoriété historique, a annoncéla dissolution de l'OAC, ses principauxdirigeants se sont engagésdans d'autres partis libanaispolitico-religieux et sectairesdans un but purement arrivisteleur permettant d'assurer leursintérêts propres et leur maintiensur la scène politique libanaise.Quant aux militants de base dece parti en voie d'extinction, ilsse sont retrouvés marginalisésde la vie politique.Les organisations palestiniennesde gauche rassembléesau sein de l'Organisation deLibération de la Palestine (OLP)peuvent être considéréescomme faisant partie de lagauche libanaise, notammentpar leur implication -reconnueau niveau populaire- dansl'histoire du pays. Au Liban, legroupe le plus présent est leFront Populaire pour la Libérationde la Palestine (FPLP) dirigépar George Habache. Il s'agitd'une organisation marxiste,radicale et révolutionnaire ayantévolué du nationalisme arabevers l'internationalisme. Connuepour des opérations secrètes auniveau mondial, cette organisationa attiré les jeunes libanaisen demandent d'actions contrel'impérialisme. Mais l'assassinatpar le Mossad de l'un de sesprincipaux dirigeants, Wadi Haddad,ainsi que la chute de Beyrouthen 1982 a entrainé ledépart de la majeure partie desmembres libanais de l'OLP.Citons encore les diverses organisationsdites nassériennes (enrapport à l'idéologie du présidentégyptien Gamal Abdel-Nasser),difficiles à cerner politiquementà cause de leur proximité àl'idéologie nationaliste arabe etleur rejet du marxisme. La principalede ces organisations,l’Organisation Populaire Nassériennea été fondée par MaaroufSaad dont l'assassinat en 1975par la droite libanaise est unecause indirecte de la guerrecivile. La famille Saad a hérité dece Parti qu'elle continue à dirigeret qui reste influent sur la scènede Saïda. Parmi les partisproches des nationalistes arabeset du parti d'Abdel Nasser, il y aégalement le « MouvementPopulaire » fondé par l'anciendéputé Najah Wakim. Ce mouvementn'a pas pour objectifd'obtenir des changements parla mobilisation populaire, sonleader défendant seul, au sein duparlement, les droits des pauvrescontre la politique de capitalismede monopole de RaficHarirri. Ce mouvement estencore jeune et manque de projetclair ainsi que d'une structureefficace.Il faut mentionner le parti leplus actif et présent sur la scènepolitique libanaise: l'Union de la30COURANT ALTERNATIF


InternationalJeunesse Démocratique Libanaise(UJDL) -membres de laFédération Internationale de laJeunesse. Proche du PCL, l'UJDLlui est en partie indépendant etse présente comme libertaire.Impliqué dans les mouvementssociaux, même si ses membressont peu nombreux et encorejeunes (agés de moins de 30 anspour la grande majorité), on leretrouve partout et il essaye dese faire une place dans lesmédias.les problèmesde la Gauche libanaiseLa crise qu'endure actuellementles partis de la Gauchelibanaise repose d'abord sur unecause externe: l'absence d'unesolidarité internationale quiassurerait une couverture financièreet un appui politique.Auparavant ce rôle était remplipar l'URSS ou encore la Libye oul'Egypte, mais actuellement, iln'existe plus aucun soutien. Lespartis de gauche se retrouventmarginalisés dans un pays continuellementsous influence -voiredomination- d'Etats étrangers(voisins ou éloignés). D'autrepart, cette crise est aussi liée àdes causes internes telles que lamain-mise sur le pays de partisreligieux sectaires majoritairesau Liban, qui défendent uniquementleurs intérêts (voire ceuxd'une famille) sans se préocuperde l'intérêt national. Ainsi, lespartis laïcs se retrouvent impuissantsface au prosélytisme religieuxet sectaire pratiqué parl'ensemble des autres partis. Deplus, les médias sont, au Liban,dirigés par les leaders de ces partisreligieux et encouragent lességrégations, l'isolement et lahaine de l'autre; ils militentcontre les partis de gauche discréditantet calomniant les laïcs,les athées, les organisationsanti-religieuses et également lesdéfenseurs des idées socialistes.La gauche vit de surcroît unecrise interne: elle est dévorée parla corruption, ne fait preuved'aucune auto-critique à causede la bureaucratie et est paralyséepar la centralisation detoutes les décisions. De plus, onassiste à une marginalisation,par les dirigeants, du rôle desjeunes dans les partis politiques,ainsi qu'à l'exclusion de toutepersonne manifestant des opinionsdivergentes. Autre problème,mais non des moindres,tous les biens des partis politiquesappartiennent à des personnesphysiques à cause desrègles de fonctionnement réactionnairesdes partis libanais -datant de l'empire Ottoman- quiinterdisent toute possessionmatérielle et manipulationfinancière aux partis. On peutégalement ajouter aux causes dela crise de la gauche les diversassassinats de dirigeants communistesainsi quel'organisation économique libanaiseorchestrée par la BanqueMondiale et appliquée par RaficHariri. Celle-ci a mené à la destructionde l'industrie et del'agriculture -au profit du tertiaire-et par voie de conséquenceà la disparition des syndicatsqui y étaient représentés.Rien ne peut être attendu ducôté de l'Université libanaise quia été saisie par les dirigeantssectaires et religieux, lesquelstuent dans l'oeuf toute action àvisée nationale. Enfin, la gauchelibanaise ne possède à ce stade,aucun média qui lui est favorableni personnalité charismatiquequi créerait une dynamiqueet qui s'imposeraitcomme une figure d'union pourla gauche.Y a t-il une solution?Nous ne pouvons aujourd'huiproposer qu'une seule piste desolution à la gauche libanaise àsavoir, une réforme de sonmode de fonctionnement fondéesur une auto-critique et surtoutl'analyse de la situation libanaise.En effet, tout doit êtreremis à plat afin de pouvoirespérer un positionnementcohérent et d'union. Il faut pouvoirmettre à jour tous les dérèglementset malversations dus àla corruption omniprésente etavoir une vision claire sur tout cequi se passe sur la scène libanaise,comme par exemple, laposition des partis sectaires etreligieux, l'alliance avec la Syrie,la position de l'Iran, le rapportavec la Palestine et le rôle joué età jouer par les partis de Gauchedans tout ça. En effet, les avancéessociales sont directementtributaires de ces enjeux politiques.De plus, au Liban, lespriorités se portent actuellementsur la lutte pour la libération etcontre l'oppression des peuples,les luttes sociales ne pouvantvenir qu'en second temps. Il faudraitégalement créer des organisationsconvenant aux jeunesafin qu'ils ne soient plus attiréspar les dirigeants sectaires etreligieux qui les séduisent par letravail et l'argent. Tout ceci, toujoursen parallèle du contrôle etde la condamnation des actionsdes dirigeants actuels et anciensresponsables de vol, de dissimulationde crimes; qui méprisentles luttes passées, leurs acteurset le sang versé ; achètent lesoposants et sont prêts à tous lesrevirements de ligne politique sicela peut satisfaire leurs intérêtspersonnels et rapporter del'argent.La Gauche libanaise semble endemande d'un cadre communistesolide au niveau mondial,elle compte toujours sur larenaissance d'un Parti Communistequi, purgé des erreurs dupassé, reprendrait son rôle formateuret protecteur, proche dupeuple et des plus démunis quise rapprocherait des campagneset ne focaliserait pas sa présencedans les villes. Elle espère ceParti Communiste qui permettraitla réconciliation de tous lesacteurs de la gauche libanaisesans entrenir la guerre froide àlaquelle ils sont soumis depuisla guerre civile pour des raisonspersonnelles et des arrangementspourris.Espérons la construction d'unegauche saine pour un pays sainqui défende les pauvres et lesopprimés et lutte contre le capitalqui a détruit la classemoyenne libanaise ainsi que lasituation économique. Car enbénéficiant de l'absence de touteopposition organisée, le projetHariri soutenu par le pétro-dollara transformé le Liban en unejungle de blanchissementd'argent, de prostitution et decomissions dans l'immobilier etdans les casinos au détriment deplus de 70% de la population duLiban.Khodor Salameh(1) nous ne nous étendrons pasdans cet article sur cette « révolution» qui pourrait à elle seulefaire l'objet d'un article entier.NOVEMBRE 2009 31


32Chronique de la collaboration de classeEx-gauchos à la pointe de la répressionLycée Pierre Brossolette de Villeurbanne le 16décembre. Lors d’un blocage à 7 h du matin, le BACmenotte et emmène pour 12 h de garde à vue 5lycéens. L’un d’entre eux subit un interrogatoire musclé,il est frappé à la tête, son domicile perquisitionné.Le 5 janvier Chris Laroche, directrice du lycée fait passerces élèves en conseil de discipline (2 sont exclusdéfinitivement, 3 pour 4 jours). Un collectif indépendantde lutte lycéenne est ensuite créé pour dénoncer« le climat de terreur » que la provis-heureuse instauredans son établissement et faire stopper « touterépression administrative et sociale ».La bonne dame en question vaut le détour : dans lesannées 60, oppositionnelle de gauche dans l’UEC etvirée en 65 dans la charrette krivinienne. Celle quimaintenant empêche les rassemblements de lycéensa donc été membre de la JCR qui fut à la pointe desluttes en 66-67-68 pour la formation des « comitésd’action lycéens ». En 2005 elle cosigne un livre Proviseureà Vault-en-Velin dont l’objectif est de montrerque, dans un lycée «sensible», on peut propulserdes talents à Sciences Po Paris, saper des tabous etfaire vivre les lois de la République. Rien que du socialen somme ! Le coauteur du bouquin est Luc Rosenzweig,ex-gaucho lui aussi devenu un croisé du sionisme,journaliste à Libé et au Monde, qui passe sontemps à traquer les « pro-palestiniens » et à crachersur la gauche et l’extrême gauche… c’est à dire surson passé, c’est à dire sur lui-même.La FCPE confond lutte et délation !La fédération des conseils de parents d’élèves desécoles publique, plus connue sous le nom de FCPE estde gauche. A ce titre elle est partie en guerre contre lenon remplacement des enseignants absents. Et lafaçon dont elle mène cette guerre en dit très long sursa conception de ce qu’est une lutte. Au lieu de s’enprendre directement à l’Etat qui organise la pénurie,elle décide de jouer les auxiliaires de ce dernier. Ellea ouvert un site sur lequel les parents peuvent «signaler » l’établissement, la ville, la classe et lamatière d’un prof absent… ce qui permet de retrouverle nom du prof absent et de le livrer à la vindicteparentale soucieuse d’encadrer du mieux possible seschères têtes blondes. En plus, afin certes d’écarter leprojet du ministère visant à utiliser des étudiantssous payés, elle réclame un « enseignant réellementformé », sans plus de précision, alors que la revendicationsyndicale est « un enseignant titulaire ». Leministère a trouvé en la FCPE un allié de choix….L’alliance objective Sarkozy-CGT.« La pitoyable affaire Total récemment, la nominationd’Henri Proglio (le candidat de la CGT) à la tête d’EDF, laréforme des régimes spéciaux de retraite réalisée avecde très avantageux accommodements cédés aux bastionsde la CGT, le changement de la représentation syndicalequi favorise les organisations les plus grosses,donc la CGT : la liste de cette connivence est longue. […]« Cette grande alliance Sarkozy-Thibault est évidemmentni officielle (surtout pas) ni permanente, elle a sesheurts nombreux. Mais elle s’ancre dans la durée carelle est légitime. On l’a vu dans la crise, au cours delaquelle les concessions faites par le gouvernement, ily a un an, en faveur des chômeurs et des démunis ontdéminé le terrain social devenu très dangereux. Le dialoguea permis d’éviter des embrasements et, sur le terrain,les SUD et autres représentants de l’extrêmegauche ont été repoussés des usines occupées.L’anticapitalisme ne donne pas du travail, la CGT et laCFDT, en position de négociation, si. La crise de 2009aura été une sorte de <strong>199</strong>5 à l’envers, une défaite desthèses de la lutte radicale et la victoire du réformisme.La logique sarkozyenne est de favoriser le réformismeau sein de la CGT, il n’est pas sans y parvenir. C’est, pourla France, à mettre à son crédit. »Mais il y a un inconvénient : « Le choix fait de moderniserla France avec le premier des syndicats, et non pascontre, relève d’une tactique légitime, mais elle éclaireaussi un certain type de modernisation que veut engagerNicolas Sarkozy. La CGT occupe des bastions que leprésident doit forcément ménager quand il faudrait lesbousculer. Les raffineries de Total en sont un exempletrès malheureux. La campagne pour les régionales nejustifiait pas que la CGT soit défendue sur une ligneaussi archaïque de sauvetage de raffineries surcapacitaireset déficitaires. Sauf à penser que le président est,plus encore qu’on ne le dit ici, d’accord au fond avec laCGT sur l’avenir industriel du pays. Ce serait alors trèsinquiétant. L’alliance Sarkozy-Thibault ne serait alorspas modernisante mais rétrogradante. »Cette analyse est du directeur de la rédaction d’EnjeuxLes échos, Eric Boucher. On n’écoute jamais assez sesennemis !M 01292 - <strong>199</strong> - F: 3,00 E3:HIKLMJ=WUXUU\:?a@l@j@t@a;

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