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(Eure) : une création urbaine originale

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Le théâtre est construit au nord de l’agglomération à partir du milieu du I er siècle ou au début duII e siècle de n.è 14 . L’édifice, qui mesure sans doute dès l’origine 106 m de diamètre, est <strong>une</strong>composante majeure de ce grand sanctuaire. Son entrée est en effet aménagée dans l’axe dutemple, traduisant la tenue de cérémonies entre les deux monuments, telles que des processionslors des grandes fêtes religieuses 15 .Deux temples à plan centré et galerie périphérique, localisés au nord des thermes et à l’ouest de laplace publique, viennent enfin compléter cet axe monumental. Ils nous sont connus uniquementpar prospections aérienne et géophysique, mais il est probable qu’ils aient également étéaménagés au II e siècle (fig. 6).L’organisation de la trame viaire et des habitations finalise cette mise en scène urbanistique. Unegrande voie d’environ 5,6 km de long, et d’<strong>une</strong> dizaine de mètres de large en moyenne, établiedans la première moitié du II e siècle, ceinture les monuments publics en formant un polygone auxsections irrégulières. De grands espaces vides sont ainsi ménagés au cœur de l’agglomération.Les habitations s’articulent sur le bord extérieur de la voirie principale et leurs façades sonttournées vers le cœur monumental. Le croisement des données de prospection a permisd’identifier de vastes maisons, équipées parfois de pièces de confort (pièces chauffées,balnéaires), qui se concentrent au sud-ouest de l’agglomération. Au nord et autour des axes decommunication se localisent des habitations plus modestes, composées de quelques pièces enenfilade qui s’alignent et ouvrent sur la voie, et possédant vraisemblablement <strong>une</strong> vaste courarrière. Elles concentrent peut-être des activités artisanales et commerciales (fig. 8).Un système parcellaire régulier, traduisant un aménagement planifié et rapide des quartiersurbains, a également été mis en évidence. Les propriétés font 25 à 30 m de large pour <strong>une</strong>longueur qui varie entre 30 et 50 m. La surface moyenne des parcelles a été estimée à 1250 m²,moyenne très élevée en comparaison d’autres agglomérations secondaires de Gaule romaine, oùles parcelles font généralement 500 à 600 m² (à l’exemple de Bliesbrück ou Mâlain 16 ) 17 .Aux II e et III e siècle, les secteurs d’habitations du Vieil-Evreux couvrent <strong>une</strong> surface d’<strong>une</strong>soixantaine d’hectares, pour <strong>une</strong> surface totale de l’agglomération estimée à 250 ha.Une phase d’agrandissement et d’embellissement à l’époque sévérienneEntre la fin du II e siècle et le début du III e siècle, les édifices publics subissent <strong>une</strong> importantephase d’agrandissement et d’embellissement, particulièrement importante sur le temple central.Le premier complexe cultuel est démoli et massivement remblayé. Trois grands temples de typefanum sont construits sur un podium haut de 5 ou 6 m, et sont reliés entre eux par des galeries àportique. Ils mesurent <strong>une</strong> vingtaine de mètres de hauteur (25 m pour le temple central), pour <strong>une</strong>longueur d’environ 140 m. L’édifice s’inscrit dans un péribole de 6 à 8 ha, ce qui fait de cesanctuaire l’un des plus vastes de Gaule romaine (fig. 9).14 Le monument fait l’objet de fouilles depuis 2009, dans le cadre d’<strong>une</strong> thèse réalisée à l’université Paris IV par F.Ferreira. Ces travaux permettront d’affiner nos connaissances quant à la chronologie de son édification et de sesdifférentes réfections.15 FERREIRA F., Le Vieil-Evreux (<strong>Eure</strong>), Théâtre, Fouille programmée 2010, 68 p.16 PETIT J.-P., MANGIN M. dir., Les agglomérations secondaires, la Gaule Belgique, les Germanies et l’Occidentromain. Actes du colloque de Bliesbrück-Reinheim/Bitche, 21-24 octobre 1992. Paris : Errance, 1994.17 HARTZ C., Habitat et trame <strong>urbaine</strong> dans les agglomérations secondaires de la cité des Aulerques Eburovices,Mémoire de Master 2, Université Paris I, 450 p. dactyl.4


L’étude des blocs architecturaux 18 permet de restituer des colonnades corinthiennes de 11,5 à 12m de haut devant la cella du temple central. De nombreux éléments en haut-relief ont été mis aujour, appartenant à la décoration du monument : fragments de personnages masculins (torses,mains, visages), décor végétal etc. Des éléments de statuaire ont également été découverts (têtede Jupiter, animaux), ainsi qu’<strong>une</strong> grande quantité de fragments de placage de calcaire et demarbre. Les études en cours permettront, à terme, de restituer le programme iconographique del’édifice 19 .Les thermes sont également agrandis, avec la <strong>création</strong> de salles tièdes à l’emplacement desanciens frigidaria et l’aménagement de vestiaires chauffés circulaires de part et d’autre des piècesbalnéaires. Immédiatement à l’est, un petit monument en hémicycle de 35 m de diamètre est misen construction dans la première moitié du III e siècle. Il est relié à l’aqueduc par quatre branches,et possède en son centre un canal pour recevoir l’eau. Les fouilles y ont mis au jour de trèsimportants rejets d’huîtres, puis d’os de boucherie, ce qui a conduit à interpréter l’édifice commeun probable macellum 20 .Le théâtre subit également <strong>une</strong> phase d’agrandissement, peut-être à la fin du II e siècle ou au débutdu III e siècle : les maçonneries sont consolidées afin que la conque des gradins puisse êtreexhaussée. La capacité d’accueil du bâtiment est estimée à environ 7 000 spectateurs.Cette phase d’embellissement est également perceptible dans l’architecture privée. Une grandehabitation fouillée au sud des thermes 21 est ainsi reconstruite et se dote de puissantes maçonneriesà la charnière des II e et III e siècles.Régression de l’occupation et abandon de l’agglomérationA partir du dernier quart du III e siècle, l’agglomération commence à être abandonnée. Ceci estparticulièrement visible au sud-ouest, dans le quartier des thermes : le macellum n’est pas achevé.Les thermes, qui connaissent <strong>une</strong> nouvelle phase d’agrandissement, ne sont jamais décorés et sesmaçonneries sont rapidement récupérées. De même, la grande habitation au sud des thermes nereçoit ni décoration, ni sols, et sa récupération débute avant même qu’elle ait été occupée.Le sanctuaire est fermé au milieu du III e siècle et fortifié par un talus précédé d’un fossé. Lesblocs architecturaux sont systématiquement débités, et probablement réutilisés dans laconstruction de l’enceinte d’Evreux édifiée aux alentours de 275. Quelques secteurs del’agglomération semblent encore être occupés au IV e siècle, comme le théâtre, peut-êtreégalement fortifié, et un quartier d’habitation au sud-ouest. Le site est définitivement abandonnéà la fin du IV e siècle 22 .18 Réalisée par S. Cormier (M.A.D.E., docteur en Histoire de l’Université du Maine, spécialiste de l’architectureantique et des décors en pierre)19 BERTAUDIERE S., Le Vieil-Evreux (<strong>Eure</strong>), « Le grand sanctuaire », Rapport de fouilles programmées 2010, 200p.20 Fouilles réalisées en 2003-2004, sous la direction de L. Guyard et S. Bertaudière. GUYARD L., BERTAUDIERES., Un macellum inachevé dans la ville-sanctuaire du Vieil-Evreux (<strong>Eure</strong>), In Caesarodunum, XLIII-XLIV. Paris :Picard, 2009-2010, p.15-41.21 Fouilles de « l’Aubue », 2009-2011, sous la direction de C. Hartz. HARTZ C. Le Vieil-Evreux (<strong>Eure</strong>),L’ « Aubue », habitations de l’agglomération antique. Rapport final d’opération, 2010, 111 p.22GUYARD L., BERTAUDIERE S., Gisacum, ville sanctuaire gallo-romaine. Catalogue de l’expositionpermanente du Centre d’interprétation archéologique du site gallo-romaine de Gisacum (Le Vieil-Evreux).Département de l’<strong>Eure</strong>, 2006. 60 p.5


La mise en scène exceptionnelle du Vieil-Evreux à partir du II e , dont la forme hexagonale reste àce jour encore inexpliquée, se révèle donc relativement éphémère, puisque l’agglomération estabandonnée 150 ans plus tard. Ce développement hors norme du site et sa scénographiemonumentale ne sont cependant pas uniques en Gaule romaine, et la comparaison avec d’autresgrands sanctuaires nous apporte des éléments de réflexions pour comprendre les modalités del’essor, du développement et du déclin du Vieil-Evreux.Des grands sanctuaires aux caractéristiques comm<strong>une</strong>s ?Le site peut être comparé à d’autres agglomérations, telles que Ribemont-sur-Ancre (80) ouVendeuvre-du-Poitou (86), dont les quartiers urbains s’organisent de part et d’autre d’un axeformé par le temple principal, le théâtre et les thermes (fig. 10). Cette originalité dudéveloppement urbain semble en effet être <strong>une</strong> caractéristique des grands sanctuaires de Gauleromaine. On notera ainsi, à la suite de M. Fincker et F. Tassaux, le lien remarquable qui unit trèssouvent le temple au théâtre, dans <strong>une</strong> relation d’axialité ou de proximité qui s’explique par lesexigences des cérémonies religieuses 23 . Les auteurs considèrent que l’originalité de l’urbanismede ces grands sanctuaires est due à la préexistence du lieu de culte sur les habitations : c’estl’existence du temple qui aurait permis le développement de la trame <strong>urbaine</strong>. Ceci semble être lecas au Vieil-Evreux, où les habitations semblent apparaître après le sanctuaire central, et surtout,semblent en suivre les rythmes de croissance et d’embellissement. Elles paraissent ainsiassujetties au cœur monumental, contrairement aux autres agglomérations de Gaule romaine, etnotamment les chefs-lieux de cité, où les édifices publics sont intégrés dans la trame <strong>urbaine</strong>,généralement en même temps ou après l’édification des habitations.Au-delà des comparaisons qui peuvent être réalisées en Gaule romaine, les modèles qui ontinfluencés cette mise en scène posent encore questions. Ce type de développement urbain n’estpas encore connu dans le monde gaulois, mais trouve certaines similitudes aves les grandssanctuaires italiques, comme Pietrabbondante (Samnium) par exemple, notamment dansl’association du temple et du théâtre 24 .Par ailleurs, nous avons vu que le Vieil-Evreux est caractérisé par <strong>une</strong> formidablemonumentalisation de ces édifices à partir du début du II e siècle puis à l’époque sévérienne. C’estun second point commun de ces grands sanctuaires qui concentrent visiblement, à partir du II esiècle, l’attention des évergètes. Ces ensembles sont des lieux de cultes primordiaux de la cité, oùsont probablement vénérées les grandes divinités territoriales 25 . Au Vieil-Evreux, un dieuGisacus est connu par deux inscriptions et <strong>une</strong> statue de bronze, représentant un Apollon àcouronne crénelée, peut-être Apollon Gisacus ? 26 (fig. 11). Il s’agit ainsi de lieuxparticulièrement propices à la démonstration de son pouvoir et de sa richesse auprès de sacommunauté rassemblée. Si les inscriptions retrouvées au Vieil-Evreux ne nous livrent aucunnom de notable, ceux-ci sont bien présents sur d’autres sites. A Eu-Bois-l’Abbé par exemple, la23 FINCKER M., TASSAUX F., Les grands sanctuaires ruraux d'Aquitaine et le culte impérial. Mélanges de l’EcoleFrançaise de Rome Antiquité, 104, 1, 1992. p.41-76.24 Ces réflexions nécessitent d’être approfondies et argumentées, et font l’objet de nos recherches actuelles.25 VAN ANDRINGA W., La religion en Gaule romaine, piété et politique (Ier-IIIe siècles ap. J.-C.). Paris : Errance,2002. p.232-242.26 CLIQUET D. et. al. , Le Vieil-Evreux, un vaste site gallo-romain. Archéo 27, 1996. 79 p.6


dédicace du théâtre indique ainsi que Lucius Cerialius Rectus, magistrat de la cité, a financé laréfection du bâtiment 27 .Le déclin généralisé de ces sites peut sans doute être expliqué par l’arrêt des financements del’entretien et de la réfection des monuments par ces élites locales, au cœur de la crise économiquede la fin du III e siècle.Quelques questions restent néanmoins en suspens pour comprendre la nature du site du Vieil-Evreux. Hormis sa vocation essentiellement religieuse, qui explique son émergence, il faut sedemander si l’agglomération ne possède pas d’autres fonctions. Elle comprend en effet desateliers et des boutiques, qui sont probablement actifs tout l’année, et pas uniquement lors desfêtes religieuses. L’agglomération se développe en outre de façon concomitante avec le chef-lieudont elle est distante de 6 km seulement. Nous pouvons ainsi nous interroger sur les causes del’essor d’un si vaste complexe urbain, à côté de la capitale de cité, et peut-être pouvons-nousévoquer ici l’existence d’<strong>une</strong> ville-double. Par ailleurs, il faut noter que ces grands sanctuairespossèdent parfois des fonctions d’échanges et de commerce évidentes, à l’exemple de Chassenonou St-Cybardeaux (16), qui se localisent sur <strong>une</strong> des voies principales de la provinced’Aquitaine 28 . Ceci pose la question de la place de ces lieux de culte dans le réseau desagglomérations de la cité. Il semble ainsi que, en dehors de leur vocation cultuelle incontestable,ils aient pu également constituer des centres d’échanges et de productions artisanales essentielsdans le cadre du territoire.Concluons en rappelant que les grands sanctuaires de Gaule romaine sont caractérisés par leurorganisation remarquable à partir du II e siècle, dont le Vieil-Evreux est sans doute l’exemple leplus extrême. L’agencement spécifique de leurs édifices publics, qui présentent souvent <strong>une</strong>architecture <strong>originale</strong> et <strong>une</strong> décoration luxueuse, a été noté dès le XIX e siècle. Mais lesrecherches des trente dernières années ont permis de comprendre que les habitations et le systèmeviaire participent également pleinement de leur monumentalisation. La découverte de quartiersurbains autour des complexes cultuels a profondément renouvelé les problématiques concernantleurs fonctions dans la cité. Il semble aujourd’hui apparaître que ces grands sanctuaires sont despôles majeurs d’activités et d’échanges dans le réseau des agglomérations des territoires antiques,dont la nature réelle et la place en leurs seins restent encore à déterminer.27 DONDIN-PAYRE M., Sanctuaires publics et territoires civiques : réflexions à partir de l’exemple du Bois l’Abbé(cité des Ambiens). In DONDIN-PAYRE M., RAPSAET-CHARLIER M.-Th., Sanctuaires, pratiques cultuelles etterritoires civiques dans l'occident romain. Bruxelles : Le Livre Timperman, 2006. p.135-15828 AUPERT P., FINCKER M., TASSAUX F., Agglomérations secondaires de l’Aquitaine atlantique. In Gros (dir.) –Villes et campagnes en Gaule romaine, 120 e congrès C.T.H.S., Aix-en-Provence, 23-29 octobre 1995. Paris :C.T.H.S., 1998, p.45-69.7

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