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DANS LES COULISSES<br />
Pierre Bourgie, mécène<br />
par WAH KEUNG CHAN<br />
L’homme d’affaires et mécène Pierre<br />
Bourgie semble être né sous une<br />
bonne étoile. À deux reprises dans sa<br />
vie, il a su saisir une chance exceptionnelle.<br />
En 1996, à l’âge de 40 ans,<br />
M. Bourgie a vendu l’entreprise familiale de<br />
pompes funèbres Urgel Bourgie et utilisé le produit<br />
de la vente pour investir dans les instruments<br />
financiers et l’immobilier. Il y a six ans,<br />
il est devenu le principal donateur du Pavillon<br />
Bourgie, au Musée des beaux-arts de Montréal,<br />
transformant la scène artistique et musicale de<br />
la ville grâce à sa passion pour les arts.<br />
M. Bourgie attribue sa bonne fortune à une<br />
philosophie très simple, celle de régir sa vie<br />
selon une perspective à long terme, comme<br />
l’ont fait trois générations de sa famille.<br />
L’art et la culture font partie depuis toujours<br />
du legs de la famille Bourgie. Dans la salle d’attente<br />
de ses bureaux, on aperçoit un magnifique<br />
buste de Beethoven, une œuvre de son<br />
grand-père. C’est tout ce qui reste de l’ancien<br />
siège social, ravagé par un incendie en 1956.<br />
Vers l’âge de six ou sept ans, il a commencé<br />
à prendre des leçons de piano avec sœur Thérèse<br />
<strong>La</strong>ramée à Mont-Jésus-Marie. Il a abandonné<br />
au bout de cinq ans, parce qu’il ne<br />
pratiquait pas assez, mais son initiation à<br />
Haendel et à Bach lui a donné l’amour de la<br />
musique. Pendant sa jeunesse, M. Bourgie<br />
trouvait toujours des moyens d’assister gratuitement<br />
à des <strong>concerts</strong>, notamment grâce à sa<br />
petite amie qui était placière à Place des Arts.<br />
Par la suite, étudiant à l’Université d’Ottawa, il<br />
s’est mis à sortir avec une autre placière, au<br />
Centre national des Arts cette fois. Il étudiait la<br />
finance, mais il a particulièrement aimé son<br />
cours en option sur le dadaïsme et le surréalisme.<br />
Un de ses professeurs des beaux-arts lui<br />
a donné à écouter Fais voile vers le soleil, œuvre<br />
de Stockhausen qui lui a donné la piqûre de la<br />
musique contemporaine.<br />
De retour à Montréal, M. Bourgie a travaillé<br />
pour l’entreprise familiale, dont il est devenu président<br />
à l’âge de 32 ans. « Une entreprise de<br />
pompes funèbres est une entreprise comme toute<br />
autre, dit-il. Il faut gérer du personnel, des immeubles,<br />
des services de comptabilité et de marketing,<br />
des voitures et des ateliers de réparation.<br />
Ce sont les commentaires des familles qui nous<br />
motivaient. Nous avions un rôle social à jouer et<br />
je pense que nous l’avons fait comme il faut.»<br />
<strong>La</strong> qualité d’une entreprise dépend de la<br />
qualité de son personnel, d’après lui. « Il faut<br />
travailler avec les gens et, chaque matin, savoir<br />
comment ils se sentent, souligne-t-il. On<br />
est l’entraîneur ou le chef d’une équipe. Il faut<br />
savoir les faire jouer ensemble dans la bonne<br />
16<br />
NOVEMBRE 2011<br />
D À G : Pierre Bourgie, président et Isolde <strong>La</strong>gacé,<br />
directrice générale et artistique de la<br />
Fondation Arte Musica accompagnés du pianiste<br />
André <strong>La</strong>plante. PHOTO MBAM Natacha Gysin<br />
humeur, sinon ça ne marche pas. »<br />
<strong>La</strong> vie de M. Bourgie a pris un autre tournant<br />
en 1996, époque où les fusions se multipliaient.<br />
« Ça faisait des années qu’on y pensait, et je me<br />
suis rendu compte que c’était un moment qui<br />
ne durerait pas très longtemps. » Décision difficile<br />
à prendre pour une entreprise centenaire,<br />
mais le père de M. Bourgie, qui avait alors 70<br />
ans, a confié la décision à son fils. C’était le moment<br />
ou jamais. À l’âge de 40 ans, M. Bourgie<br />
avait déjà une longue feuille de route dans les<br />
affaires, mais il lui restait encore pas mal de<br />
chemin à faire. « Il ne faut pas s’attacher à une<br />
entreprise. Nous avons eu de la chance. Nous<br />
l’avons vendue à un groupe qui l’a ensuite revendue,<br />
quatre ou cinq ans plus tard. »<br />
À présent, l’entreprise de pompes funèbres<br />
porte encore le nom d’Urgel Bourgie, pratique<br />
courante dans l’industrie d’après M. Bourgie.<br />
Mécénat<br />
M. Bourgie s’est lancé dans le service communautaire<br />
en 1986, lorsqu’il a été invité à devenir<br />
président de la Fondation de l’Hôpital<br />
Sainte-Justine. En 1990, il a commencé à siéger<br />
au conseil d’administration du Devoir (dont<br />
il était président durant la crise de 1993), et<br />
trois ans plus tard, il a entamé un mandat de<br />
dix ans au conseil du Musée d’art contemporain.<br />
« Nous avons toujours contribué à différentes<br />
causes. Après la vente de l’entreprise, mon père<br />
a décidé de créer une fondation pour l’éducation<br />
afin de distribuer des bourses; c’est ma<br />
sœur qui s’en occupe », explique M. Bourgie.<br />
Pendant son mandat au conseil de la formation<br />
Les idées heureuses, de 2000 à 2005,<br />
M. Bourgie s’est rendu compte qu’il n’existait<br />
aucune salle de concert vouée à la musique de<br />
chambre à Montréal.<br />
« Il y a cinq ou six ans, j’ai créé ma propre<br />
fondation orientée vers la musique et les arts<br />
visuels, explique-t-il. Je voulais me consacrer<br />
à une cause en particulier afin d’améliorer les<br />
choses, au lieu de me disperser un peu partout.<br />
J’ai commencé à examiner différents projets<br />
visant une nouvelle salle, mais le financement<br />
était difficile à trouver. C’est alors que j’ai entendu<br />
parler de ce projet au Musée. »<br />
Nathalie Bondil, directrice du Musée des<br />
beaux-arts de Montréal, a informé M. Bourgie<br />
de la transformation imminente de l’ancienne<br />
église Erskine and American en pavillon d’art<br />
canadien. À ce moment-là, on ne savait pas<br />
encore exactement ce que deviendrait la nef.<br />
M. Bourgie a alors suggéré de la transformer<br />
en salle de concert, idée qui a plu à Mme Bondil.<br />
« Ensuite, notre famille a décidé de verser<br />
le don principal au pavillon, précise-t-il, et j’ai<br />
créé la fondation Arte Musica, qui est en résidence<br />
dans le Musée et chargée du fonctionnement<br />
de la salle de concert. »<br />
<strong>La</strong> conseillère de M. Bourgie à cette époque<br />
était Isolde <strong>La</strong>gacé. Il lui a confié la gestion<br />
courante de la fondation et de la salle.<br />
Le don de M. Bourgie, dont le montant est<br />
inconnu, a donné le coup de départ de la campagne<br />
de financement de ce projet d’une valeur<br />
de 42,2 millions de dollars, y compris le<br />
fonds d’immobilisations pour faire fonctionner<br />
le pavillon. Les gouvernements au palier<br />
fédéral, provincial et municipal y ont tous<br />
contribué, attirés par le fait que le capital d’exploitation<br />
était garanti par M. Bourgie.<br />
M. Bourgie prend une part active à la fondation<br />
: rencontres avec les architectes et<br />
l’acousticien, contribution à la programmation.<br />
Il a été agréablement surpris par la réaction<br />
des musiciens, des organismes et du public.<br />
« Au départ, nous pensions organiser<br />
40 <strong>concerts</strong> par année, et au lieu de cela, cette<br />
année nous en avons donné 120, et nos programmes<br />
se tiennent bien », dit M. Bourgie,<br />
qui se laisse inspirer par la Cité de la musique.<br />
Il aimerait faire encore mieux à l’avenir et<br />
donner de l’expansion à sa programmation<br />
M. Bourgie conseille volontiers aux gens<br />
d’affaires de s’impliquer. « Nous devons exercer<br />
nos devoirs civiques. Donner à la commu-<br />
nauté est une forme de civisme. Une société<br />
dépend de l’engagement des citoyens. Ce n’est<br />
pas seulement la politique qui doit bouger. Si<br />
tout le monde faisait du bénévolat, que ne<br />
pourrait-on pas réaliser ! Je vois que les gens<br />
sont emballés par mon projet, et cela engage<br />
ma responsabilité. Mais c’est excitant : sans<br />
responsabilité, la vie serait ennuyeuse. »<br />
Et M. Bourgie de conclure : « Ce que je dirais<br />
aux mécènes, c’est de s’engager dans ce<br />
qui les passionne. Pour ma part, ce sont la musique<br />
et les arts visuels. Quelle chance pour<br />
moi de pouvoir réunir mes deux passions sous<br />
le même toit ! »<br />
LSM<br />
TRADUCTION : ANNE STEVENS