La chimie <strong>et</strong> l’habitat24Figure 7Détail de la façade lisse FranceTélévisions, Paris 15 e .marbrecoulisseExtérieur4Le marbre :un matériauà mémoire de formequi s’étireSouvenons-nous il y a quelquesannées à Paris desplaques de marbre de bâtimentsrécents tombant dansla rue. Nous avions aussi ététémoins de ces fil<strong>et</strong>s poséssur les façades d’immeublesparisiens pour empêcher lesplaques de marbre de se décrocher<strong>et</strong> de tomber. Nousnous demandions pourquoi2 000 à 3 000 ans après ladécouverte des carrières deCarrare, ce marbre si souventutilisé se m<strong>et</strong> brusquementà se décrocher des façades ?La question a été posée auxchimistes, <strong>et</strong> l’une des explicationsa été que dans cescarrières, explorées depuistellement longtemps, lespierres doivent maintenantêtre prélevées à des profondeursde plus en plus grandes,donc probablement dans desendroits où la pierre, pour seformer, a été soumise à despressions <strong>et</strong> à des températuresplus élevées. QuandIntérieurnous découpons ces plaquesde marbre pour en faire desplaques pour la construction,la matière conserve lamémoire de la pression <strong>et</strong>de la température à laquelleelle a été formée, une sortede mémoire de forme qui luidonnerait l’envie de s’étirercomme nous le faisons au leverdu matin. Et lorsque c<strong>et</strong>tepierre est fixée sur des élémentsmétalliques verticauxqui l’empêchent de s’étirer,son seul choix est de se bomber,de se courber ; arrêtéepar ces éléments métalliques,elle se tend jusqu’à atteindreune courbure tellement exagéréeque la pierre se brise<strong>et</strong> tombe dans la rue.Ce phénomène a été observépar les architectes avec beaucoupd’inquiétude, d’autantque mon client pour FranceTélévisions, m’avait dit : « Jeveux du marbre ». J’ai donc dûtrouver du marbre qui n’ait pastrop l’envie de s’étirer <strong>et</strong> quisoit blanc. J’en ai finalementtrouvé au nord d’Athènes, lecélèbre marbre de Thassosqui a servi à construire l’Acropole<strong>et</strong> qui est beaucoup plusfacile à extraire, car moinsprofond que celui de Carrare.Mais pour néanmoins prévoirune éventuelle dilatation,nous avons préféré imaginerun système qui perm<strong>et</strong>te aumarbre, s’il en avait envie, des’étirer sans se briser : aulieu de le fixer sur des pointsimmobiles, nous l’avons fixésur une régl<strong>et</strong>te coulissante ;ainsi, si le marbre a envie debouger, il glisse <strong>et</strong> coulissesur c<strong>et</strong>te régl<strong>et</strong>te métallique,ce qui lui perm<strong>et</strong>tra de sem<strong>et</strong>tre dans la position quilui convient le mieux sans sebriser (Figure 7).
5Un polymère fluoré,coussin de lumièrepour un toitLyon ConfluenceAprès le marbre, changeonsde siècle <strong>et</strong> abordons l’usagede matériaux nouveaux totalementissus de la chimiecomme l’éthylène tétrafluoroéthylène(EFTE, Encart: « L’EFTE, un matériaumagique pour une architecturemagique »). C’est un polymèreissu de l’industrie du fluor.Il est fabriqué par la sociétéaméricaine DuPont de Nemourssous forme d’une fibr<strong>et</strong>issée qui ressemble un peuà de la toile d’abat-jour. Cematériau très résistant, quiest insensible aux ultra-viol<strong>et</strong>s,ne jaunit pas, <strong>et</strong> si l’on ym<strong>et</strong> le feu, se sublime. C’estdonc un matériau a priori formidablepour l’architecte, àcondition de trouver la formesous laquelle l’utiliser. Maisnous l’avons vu, c’est souventde la rencontre du chimiste <strong>et</strong>de l’architecte dans une perspectivede création que naissentles idées intéressantes.Pour utiliser ce matériau enarchitecture, il faut pouvoirobtenir de grandes surfacesrésistantes. L’idée a été icide faire appel aux techniquesde nos mamans, qui savaientcoudre les matériaux en zigzag,comme sur nos pantalonsautrefois pour résister aux efforts.De la même manière, cematériau a été cousu en zigzagpour lui donner une résistanc<strong>et</strong>rès forte à la traction, puisassemblé sous forme d’uncoussin à l’intérieur duquelest soufflé de l’air à environ1,5 bar avec un simple ventilateur,de façon à le gonfler.Nous avons obtenu uncoussin sublime, beau à voir,avec lequel on peut réaliserainsi une toiture étanche, isolantedu froid, de la pluie <strong>et</strong>du vent, d’une portée de 30à 50 mètres, <strong>et</strong> sur lequel onpeut marcher, ce qui est absolumentmagique (Figure 8) !Nous avions donc découvertune nouvelle façon totalementinattendue de faire lestoitures pour les bâtiments,simplement en assemblantune toile fabriquée aux États-Unis, grâce à une techniquede couture. À partir de c<strong>et</strong>teopération qui au départ devaitêtre expérimentale, ce sontfinalement deux hectares d<strong>et</strong>oitures qui ont été montésavec ce matériau, pour couvrirun espace de commerce <strong>et</strong> deloisirs avec des cinémas, descommerces, des restaurantsconstruits sur la presque-îleentre la Saône <strong>et</strong> le Rhône àLyon, à Lyon Confluence (Figure8). C<strong>et</strong>te toiture d’aspecttout à fait inattendu est trèsludique <strong>et</strong> inscrit ce bâtimentdans les nouvelles normesde durabilité <strong>et</strong> d’écologie : iln’est en eff<strong>et</strong> plus nécessairede fermer ce mail commercial,qui ainsi ne consommeplus d’énergie pour son utilisation<strong>et</strong> n’utilise que desmatériaux recyclables.Mais une fois encore, les bureauxde contrôle sont passéspar là <strong>et</strong> nous ont imposél’ajout d’une structure en métalen dessous, dans l’hypothèseoù la toile s’effondrerait,bien que c<strong>et</strong>te toile gonfléene présente aucun dangerpotentiel car s’il y avait unproblème, elle s’affaisseraittout simplement. De plus, unsimple calcul montre que lesdeux tiers du métal de c<strong>et</strong>teQu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?25