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Architecture et Chimie - Mediachimie.org

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Qu’attendl’architecte,l’urbaniste<strong>et</strong> l’artistede la chimie ?Jean-Paul Viguier est architecte, diplômé de l’École nationale supérieuredes beaux-arts de Paris puis de l’Université d’Harvard. Ilobtient le « premier prix du jury » du concours pour l’Opéra Bastilleen 1981, puis pour le proj<strong>et</strong> Tête Défense en 1983. En 1986, ilremporte avec Alain Provost, Patrick Berger <strong>et</strong> Gilles Clément leconcours pour la construction du Parc André-Citroën à Paris, puiscelui du Pavillon de la France à l’Exposition Universelle de Sévillede 1992. Il remporte en 1990 le concours pour la construction del’ensemble Cœur Défense, réalise entre autres le siège de FranceTélévision à Paris. Jean-Paul Viguier est membre de la Commissionsupérieure des monuments historiques (2002-2007), membre del’Académie d’architecture (dont il a été le président de 1999 à 2002),Chevalier de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre des Arts<strong>et</strong> L<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> Chevalier de l’Ordre national du mérite.Jean-Paul Viguier Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?Sublimer la matière…les matériaux dans des situations improbables.Il existe entre l’architecture <strong>et</strong>la chimie un rapport d’ordre àla fois scientifique, artistique,mais aussi poétique. De mêmeil existe une relation entre lamatière, l’architecture, l’espace,l’art mais aussi la sociétécar l’architecture est unart social. Je souhaite, dansles lignes qui suivent, vousfaire découvrir les dimensionspassionnantes de cesrapports à travers quelquesexemples issus de mes travaux,qui donneront un supportà notre exploration <strong>et</strong> illustrerontce lien entre chimie<strong>et</strong> architecture.


La chimie <strong>et</strong> l’habitat141Les trois dimensionsde l’architectureL’architecture est un art del’espace qui, en plus de sadimension sociale, doit êtreutile <strong>et</strong> fonctionnel. Ces dimensionsde l’architecturesont décrites dans l’un desrares ouvrages littéraires surc<strong>et</strong>te discipline : Eupalinosou l’Architecte (1921) de PaulValéry. Le poète, philosophe,parlant du triptyque de l’architecture,écrit : « Ainsi, lecorps nous contraint de désirerce qui est utile, ou simplementcommode ; <strong>et</strong> l’âme nous demandele beau ; mais le restedu monde, <strong>et</strong> ses lois commeses hasards, nous oblige àconsidérer en tout ouvrage, laquestion de sa solidité ». Doncle beau, l’utile <strong>et</strong> le durableconstituent d’une manière assezsommaire, mais en toutcas assez claire, les principalesdimensions de l’architecture.Le beau, l’utile <strong>et</strong> le durableconstituent les principales dimensionsde l’architecture.De ces trois dimensions, lesdeux dernières sont totalementmesurables mais lapremière ne l’est pas. On saiten eff<strong>et</strong> très bien mesurerl’utilité : savoir si un bâtimentsert bien ou sert mal, ou sertun peu ou pas beaucoup ; onpeut aussi savoir si un bâtimentest durable ou pas : ilsuffit de l’observer par tousles temps, d’étudier les nombreusesagressions qu’il subit: le froid, le chaud, la pluie,le vent, l’usure, l’usage desêtres humains, <strong>et</strong>c. L’utilité<strong>et</strong> la durabilité se mesurent…mais pas le beau. Le beau estla dimension qui ancre l’architecturedans l’art, alorsque les architectes – mêmesi certains prétendent lecontraire –, ne sont pas seulementdes artistes.Mais alors, où se situe lelien de l’architecture avec lachimie ?D’abord l’architecture, danssa dimension de durabilité<strong>et</strong> de fonctionnalité, va devoirrépondre à un ensembled’orientations sociales, à unprogramme proposé par descommanditaires ; pour y répondre,l’architecte devraavoir recours à des assemblagesde matériaux qu’ilm<strong>et</strong>tra à l’épreuve dans l’élaborationdu proj<strong>et</strong>. La chimiesera souvent sous-jacentedans c<strong>et</strong>te stimulante miseau point.Il me semble intéressant derappeler que dans la languejaponaise, le mot « architecte» n’existe pas, <strong>et</strong> quele mot qui désigne « l’architecte» en japonais est un motissu de la culture traditionnelle: le kanteguchi, c’est-àdirel’homme qui assemble.Dans la tradition asiatique,<strong>et</strong> en particulier au Japon,l’architecte est décrit commecelui « qui prend certains éléments<strong>et</strong> qui les assemble ».C’est l’art de la charpente, oula sublimation de l’assemblagedes pièces de bois pourfabriquer une structure quidémultiplie les capacités dechaque pièce à tenir les efforts: on prend une simplepièce de bois qui tient à certainsefforts, on en m<strong>et</strong> deux,cela tient plus que deux foisen efforts <strong>et</strong> ainsi de suite.L’intelligence de l’assemblage


des pièces démultiplie lescapacités de la structurecréée. Cela était autrefois réaliséau Japon essentiellementavec le bois, matériau de basedes constructions. Mais maintenant,les architectes, pourcréer les structures, peuventchoisir <strong>et</strong> développer unegamme infinie <strong>et</strong> très large dematériaux qui non seulementpeuvent être utilisés en l’étatmais aussi assemblés les unsavec les autres.Ces matériaux que les architectesassemblent doiventêtres mis à l’épreuve, <strong>et</strong>c’est là que s’établit un lienvraiment intéressant avec lachimie ; se posent alors desquestions dans les situationscréées par le proj<strong>et</strong> <strong>et</strong> desproblèmes sont à résoudresur l’adéquation des matériauxchoisis <strong>et</strong> leur utilisationpour lesquelles ils n’ont pastoujours été conçus.C’est ce point que je voudraisillustrer au moyen dequelques expériences personnelles.2Du carbone, de l’acier<strong>et</strong> de la toile pourla beauté d’une lignedans le ciel <strong>et</strong> d’un cielpour toitExposition Universelleà SévilleParlons de l’usage du carbone,de l’acier <strong>et</strong> de la toileà travers l’exemple du Pavillonde la France que j’aiconstruit à l’Exposition Universellede Séville en 1992(Figure 1). Le président FrançoisMitterrand, qui choisissaitles proj<strong>et</strong>s, m’avait désignécomme lauréat de ceconcours de proj<strong>et</strong>s d’architectur<strong>et</strong>rès disputé. J’avaispourtant pris une option paradoxalerisquée qui pouvaitme faire perdre ce concours…mais qui au final me l’a faitgagner. C<strong>et</strong>te option était quele Pavillon de la France nedevait montrer que son propreespace, dans c<strong>et</strong>te expositionuniverselle où règne un fatrasde discours, de proposdans lesquels on a du mal àtrouver sa voie, empilage desavoir-faire ou de produitsplus ou moins ordonnés, plusou moins intéressants, tournantsouvent en lieu commun.Je voulais que toutes les capacitésde savoir-faire de laFrance, sa technologie, saculture, soient contenues ausein même d’une structured’accueil capable de tout représenterpar un seul gestearchitecural. Je voulais quece lieu soit unique, au centrede l’exposition <strong>et</strong> rassembl<strong>et</strong>outes les énergies.Pour réaliser cela, j’ai travaillésur la notion de vide ; c’est unenotion que j’utilise très souventdans mes travaux <strong>et</strong> quej’appelle parfois l’« absence »,au sens où le manque qu’onressent lorsqu’on regarde unbâtiment est souvent plus intéressantque ce que l’on voit.Ce que vous ne voyez pas ou cesur quoi vous vous interrogezen observant une structurearchitecturale interpelle votreimagination, alors que ce quevous voyez interpelle plutôtvotre capacité d’analyse.C’est la grande différence enarchitecture entre les systèmesstructuralistes <strong>et</strong> lesapproches plus abstraites, quisollicitent l’imagination plusque la vision.Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?15


La chimie <strong>et</strong> l’habitat16Je voulais faire de ce pavillonun bâtiment dont la performance,la structure, la capacitéà créer un espace soientdu domaine de l’impossible.Il me fallait donc trouver lesmatériaux me perm<strong>et</strong>tantd’atteindre c<strong>et</strong> objectif ambitieux.Étant d’origine toulousaine,je regardais les avionsqui se construisaient nonloin de chez moi <strong>et</strong> je voyaisqu’ils utilisaient des matériauxmagnifiques, notammentdu carbone utilisé sousforme de structures en nidd’abeilles assemblées sous laforme de tubes collés les unsaux autres. Avec c<strong>et</strong>te technique,on arrivait à produiredes portées <strong>et</strong> des surfacesabsolument immenses en utilisantun minimum de matière(Encart : « Des nids d’abeilles,solides <strong>et</strong> légers »). Je me suisalors dit : c’est exactement cequ’il me faut !J’ai donc créé le premier liende ma vie d’architecte avecla chimie en travaillant àl’époque avec les ingénieursd’Airbus pour réaliser enquelque sorte un transfert d<strong>et</strong>echnologie <strong>et</strong> de savoir-fairesur les matériaux de l’aviationvers l’architecture. Monbut était de créer une plaquede 50 mètres par 55 mètresde côté, soulevée à 15 mètresde hauteur <strong>et</strong> dont on auraitl’impression qu’elle n’avait pasd’épaisseur. Ces plaques decarbone utilisées en aéronautiqueme semblaient pouvoirêtre adaptées à c<strong>et</strong> objectif ;nous avons dû faire au préalableun véritable proj<strong>et</strong> derecherche-développementpour m<strong>et</strong>tre au point des prototypes.Mais au moment dechiffrer la réalisation finale,le coût est apparu exorbitant.Nous avons donc buté sur cecoût. Le budg<strong>et</strong> de ce pavillonétant limité, nous n’avonspas pu utiliser complètementles possibilités de la technologiepour réaliser le proj<strong>et</strong>d’origine, que j’ai dû adapter.Le financement qui m’étaitalloué ne me perm<strong>et</strong>tait deréaliser en carbone que lapartie inférieure de la plaquede 50 × 55 mètres, le reste devantêtre fait avec des poutresen acier à inertie variable,c’est-à-dire que la sectionde chaque point de la poutredevait être calculée pour correspondreaux efforts qu’elledevait supporter (Figure 1E).La performance architecturalea été cependant atteintepuisqu’en regardant du solc<strong>et</strong>te plaque (dont la riveétait finalement de l’ordre de10 centimètres au total), onavait vraiment l’impressionqu’elle n’avait pas d’épaisseur<strong>et</strong> qu’elle ne formait qu’uneseul ligne. Et le carbone perm<strong>et</strong>taitde réaliser, vue dedessous, une surface absolumentplate, sans aucune déformation,un véritable ciel !On voit sur ce premierexemple du lien entre architecture<strong>et</strong> matière quepour réaliser ce pavillon, il afallu rassembler des compétencesinhabituelles : cellesde chimistes spécialistesdes carbones, celles d’industrielsde l’aéronautique<strong>et</strong> celles de l’architecte poursolliciter ou assembler lesmatériaux dans des conditionsinusuelles <strong>et</strong> difficiles.Le passage des idées du plansur papier aux maqu<strong>et</strong>tesprototypes <strong>et</strong> à la réalisationsur le terrain n’a, de plus,pu se faire qu’avec le travailconjoint des ingénieurs, des


ABFigure 1Le Pavillon de la France àl’Exposition Universelle de Séville(1992).Une double poutre métallique àinertie variable de 70 cm poséeselon les diagonales de la forme,revêtue au-dessous de plaquesde polyester bleues <strong>et</strong> au-dessusd’un film monochrome, égalementbleu. Le « ciel » repose auxquatre angles sur des colonnesfines en métal creux d’inox (E).D : Habillage en toile du Pavillon dela France ; G : coupe.Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?CEDFG17


La chimie <strong>et</strong> l’habitatDES NIDS D’ABEILLES, SOLIDES ET LÉGERSOn appelle « nids d’abeilles » des matériaux dont les structures sont comparables auxalvéoles d’abeilles (Figure 2), <strong>et</strong> qui servent à renforcer la résistance d’un élément tout engarantissant une légèr<strong>et</strong>é maximale. Les nids d’abeilles peuvent être constitués de papiercarton, d’aluminium, de matière plastique synthétique (polypropylène), de fibres aramides(voir le Chapitre de G. Némoz), de fibres de verre ou de carbone, ces fibres pouvant êtrerenforcées de résine époxy ou phénolique *, ** .L’âme des avionsDans l’industrie, ces matériaux modernes sont utilisés en sandwich avec d’autres pour formerdes composites ** légers grâce au vide important (95 %), <strong>et</strong> résistants en compression,tout en ayant une grande capacité de déformation. Leur réputation vient de l’industrie aéronautiquequi utilise des panneaux à âme en nid d’abeilles, dont l’excellent rapport légèr<strong>et</strong>é/rigidité perm<strong>et</strong> le maximum d’économie de carburant (Figures 2 <strong>et</strong> 3). À partir de 3 kg/m²,leur rigidité est déjà supérieure à celle d’une tôle d’aluminium cinq fois plus lourde ! Leurrésistance mécanique les rend adaptables à tout niveau de charge <strong>et</strong> sollicitations statiques<strong>et</strong> dynamiques.L’âme des bâtimentsCes performances exceptionnelles trouvent une grande utilité dans de nombreux secteursindustriels pour le remplissage de volumes creux : automobile, nautisme, éolien <strong>et</strong>, depuisles années 1980, dans les travaux publics (structures alvéolaires ultra légères), notammentpour le remblai.Particulièrement appréciés pour leur parfaite planéité quelles que soient leurs épaisseurs,ces nids d’abeilles offrent une esthétique qui en fait un matériau très recherché pour desfaçades <strong>et</strong> grandes cloisons, de même que pour des planchers <strong>et</strong> plafonds. De plus, ils peuventfacilement être revêtus de toutes sortes de peaux : acier, inox, aluminium, composites,bois, voire de fines feuilles de marbre. De ce fait, ils sont très appréciés dans la décorationintérieure ou extérieure des bâtiments.Le carbone, un matériau exceptionnelLa fibre de carbone est un matériau composé d’un alignement de cristaux de carbone trèsfins, d’une dizaine de micromètres de diamètre. C<strong>et</strong> alignement rend la fibre extrêmementrésistante (à la traction <strong>et</strong> à la compression) pour sa taille. De plus, elle présente unebonne tenue en température <strong>et</strong> une grande inertie chimique. Elle est donc un matériaude choix pour renforcer les matériaux composites <strong>et</strong> pour des applications exigeant unegrande résistance <strong>et</strong> un poids réduit. Ces applications couvrent des domaines aussi largesque : l’aérospatial (les nez <strong>et</strong> les bords d’attaque des nav<strong>et</strong>tes spatiales sont en fibres decarbone), l’aéronautique (airbus A380, Figure 3), le sport ** (bateaux <strong>et</strong> rames en aviron,arcs <strong>et</strong> flèches, raqu<strong>et</strong>tes de tennis, planches de snowboard <strong>et</strong> planches à voile, freins deformule 1), mais aussi la musique (en remplacement de l’ébène pour des instruments àvent), …, pour ne pas tout citer.Figure 3Figure 2Structure en nid d’abeilles.L’airbus A380 abénéficié de nombreuxéléments en fibrescarbone qui luiconfèrent à la fois uneremarquable légèr<strong>et</strong>é<strong>et</strong> rigidité.18* Au suj<strong>et</strong> des matériaux composites, voir le Chapitre d’après la conférence de P. Hamelin dans c<strong>et</strong> ouvrage.** Voir l’ouvrage La chimie <strong>et</strong> le sport. Chapitre de N. Pug<strong>et</strong>. Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin,Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier <strong>et</strong> Paul Rigny, EDP Sciences, 2011.


architectes, mais aussi desentrepreneurs car l’architectureest l’art de bâtir.La réalisation de la toiturepar exemple a demandé uneffort technologique tout àfait exceptionnel, d’autantqu’elle a été fabriquée dans lesud de l’Espagne, un endroitoù jamais un tel ensemblen’avait été construit. Ce futcompliqué à réaliser, l’impressionde légèr<strong>et</strong>é du pavillonfut atteinte, grâce unensemble de dispositifs dontcelui appelé rostre, colonnesfines en acier inox qui reprenaientà chaque angle de laplaque les efforts à supporter; le poids total étant de500 tonnes, chaque fin poteaud’angle devait supporter del’ordre de 160 à 180 tonnesde charge, réparties sur trèspeu de matière (Figure 1E) !Une fois la toiture terminée, ilne restait plus d’argent pourhabiller le bâtiment, <strong>et</strong> j’ai dûfaire, mais c<strong>et</strong>te fois pour desraisons financières, un nouveaudétournement de matièreen allant trouver le fabricantde toiles « Saint Frère », dontle patron m’avait dit : « Écoutez,je ne peux pas vous aider mais jevous donne un camion de toile, jevous l’envoie, vous en faites ceque vous voulez ». Nous avonsdonc reçu ce camion de toileà Séville <strong>et</strong> avons habillé lebâtiment comme un coussin,comme on le fait sur des vieuxfauteuils avec des boutons quiperm<strong>et</strong>tent de tendre le tissu(Figure 1D). C<strong>et</strong>te expériencefut réussie, <strong>et</strong> j’ai r<strong>et</strong>enu l’idéede l’utilisation de la toile pourconcevoir quelques dizainesd’années plus tard un bâtimentà Lyon dont je parlerai plus loin(voir le paragraphe 5).3Le verre : peau dubâtiment ou élémentde structure ?Un matériau vivant !De tous les matériaux qui serventà construire, le verre estprobablement celui qui depuisvingt ans a fait le plus deprogrès. Le verre aujourd’huin’a plus rien à voir avec celuiutilisé au tout début de monactivité professionnelle d’architecte.Aujourd’hui, on y incorpor<strong>et</strong>oute sorte d’autrescomposés ou matériaux, onle rend sensible à la lumière,on peut le rendre opaque,on le double, on le triple, onl’injecte, on y introduit toutesorte de lumières. Le verreest devenu une matière durable(voir aussi le Chapitrede J. Ruchmann), absolumentmerveilleuse, <strong>et</strong> que j’utiliseabondamment dans les bâtiments.C’est pour moi une manièrede concevoir « la peau du bâtiment», un peu comme pourun corps humain, pour lequelon sait que la peau est essentiellecar c’est par ce p<strong>et</strong>it filmque se font les échanges entrel’intérieur <strong>et</strong> l’extérieur. Leverre joue le même rôle surles bâtiments que la peau surle corps humain, il est doncfascinant de pouvoir travaillersur la question des échangesintérieur/extérieur.Je recherche toujours dansl’architecture l’impressionde vide, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te idée mepousse à croire que je doisêtre capable de toujours faireprogresser les structuresdans ce sens pour susciterdes émotions que l’on doitéprouver lorsqu’on regardeun bâtiment. Comme je suisavide d’expériences, j’ai doncQu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?19


La chimie <strong>et</strong> l’habitat20eu envie d’utiliser le verrepour faire de la structure : leverre ne pourrait-il pas sortirde son rôle de paroi isolantepour devenir un élément destructure ?Deux occasions se sont présentéesme donnant l’occasiond’exploiter deux merveilleusespropriétés de cematériau pour réaliser mesrêves de beauté.3.1. La place Vörösmartyà Budapest (Hongrie)Le verre, que tout le mondeimagine comme un matériauinerte, est en fait un matériauvivant : il flue. Et c<strong>et</strong>tepropriété me fascine depuistrès longtemps : je l’ai découvertequand, encore étudiant,je venais observer l’immeublede la Maison de la Radio del’époque, construit par HenriBernard. Je venais y admirerles feuilles de verre impressionnantes,alors lesplus grandes du monde, certainesplaques atteignant onzemètres de hauteur.Si vous regardez ces plaquesavec attention, comme je l’aifait à l’époque, vous verrezqu’elles n’ont plus la mêmeépaisseur en haut <strong>et</strong> en bas :le verre, que l’on considèrecomme figé dans un état définitif,a « coulé » sous l’eff<strong>et</strong>des forces de gravité, <strong>et</strong>il continue à couler sur sapropre peau <strong>et</strong> à l’intérieurde sa propre matière. Unesorte d’ampoule de verre dontl’épaisseur s’amplifie en permanencedans la partie bassedes plaques.C<strong>et</strong>te observation m’a conduità penser que si le verre a c<strong>et</strong>tecapacité de couler <strong>et</strong> de sedéformer après avoir été refroidi,pourquoi ne pas utiliserc<strong>et</strong>te propriété pour créer<strong>et</strong> maîtriser de nouvellesformes, <strong>et</strong> former une peaude verre sur un bâtiment ?C’est avec c<strong>et</strong> objectif que jesuis parti construire un bâtimentà Budapest ; mais pourle réaliser, j’ai dû travailleren étroite coopération avecdes chimistes <strong>et</strong> des industrielsd’Augsbourg, la ville deMozart. Nous avons décidéde faire fluer le verre à froidafin de donner aux plaques lesformes que je désirais pourréaliser la peau du bâtiment.Après de nombreux essais,nous avons réussi à m<strong>et</strong>treau point un protocole : noustirions sur ces plaques, justeavant la limite où elles se brisentpour obtenir la déformationsouhaitée <strong>et</strong> nous stabilisionsles formes obtenuespar passage à l’autoclave àdes températures <strong>et</strong> des pressionssoigneusement déterminéespar les spécialistes.C’est ainsi que nous avonsfabriqué la peau de verre dec<strong>et</strong> immeuble faite de plaquesde verre flué, où vous voyezque les angles sont magnifiquementcourbes (Figure 4).Certaines plaques ont uneforme de tore conique, géométriquementcompliquée.Mais une fois le protocole d<strong>et</strong>raitement du verre établi,la complexité de la formen’avait plus d’importance :nous étions capables de réaliserdes moules selon lemodèle géométrique choisi,dans lesquels nous appuyionsles plaques de verre, <strong>et</strong> p<strong>et</strong>ità p<strong>et</strong>it en se déformant,ces plaques se fixaient dansla forme choisie. Ces eff<strong>et</strong>stout à fait saisissants sur le


Figure 4Immeuble mixte Vörösmarty,Budapest (Hongrie).Une deuxième double peauemballe l’immeuble sur ses troiscôtés, dont l’armature s’élèvedepuis la rue <strong>et</strong> se galbe entoiture pour former un amplecomble arrondi. La trame de c<strong>et</strong>testructure tubulaire est redoubléeaux niveaux des bureaux poursuspendre les écailles de verre,fixes ou mobiles, qui composentun vitrage respirant.Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?plan visuel ont pu être obtenusavec des verres ordinaires,donc à des coûtsraisonnables, uniquementgrâce au travail de mise aupoint des ingénieurs qui ontaccepté de m’aider : aucuneautre matière n’a été ajoutée,juste des températures <strong>et</strong> despressions bien choisies dansun autoclave <strong>et</strong> beaucoup depatience <strong>et</strong> de savoir-faire.21


La chimie <strong>et</strong> l’habitat22C<strong>et</strong> exemple montre combienle verre est pour l’architecteun matériau pleinde promesses pour l’avenir.D’ailleurs Franck Gehry, célèbrearchitecte américain,vient de livrer à New YorkChelsea (2007), en bordurede l’Hudson, un bâtimentdestiné à être le siège deIAC, une grande compagnieaméricaine, <strong>et</strong> qui utilise lemême type de technologie defluage à froid du verre. Maisil est allé encore beaucoupplus loin dans la complexitédes formes puisqu’il a réussià réaliser une série de cônesà double courbure tout à faitpassionnante sur le plan architectural.3.2. Le siège de FranceTélévisions à ParisUne autre occasion d’explorerles possibilités du verrecomme matériau de structures’était présentée quelques annéesavant Budapest, quandj’ai construit le siège de FranceTélévisions à Paris sur lesbords de Seine (Figure 5), <strong>et</strong> àl’intérieur duquel j’avais souhaitéconstruire deux atriumsentièrement bâtis en poutresde verre : l’atrium de France 2<strong>et</strong> celui de France 3 (Figure 6).Mais comme nous avions dumal à calculer la capacité despoutres de verre à tenir lescharges, j’ai dû préalablementrésoudre ces difficultés decalcul par la modélisation dela structure : il m’a fallu fairede nombreux allers <strong>et</strong> r<strong>et</strong>oursentre l’expérimentation surdes maqu<strong>et</strong>tes prototypes <strong>et</strong>le calcul pour cerner peu àpeu les performances d’unepoutre de verre ; ce fut long<strong>et</strong> compliqué.Pour satisfaire ce désir devide, je voulais qu’à l’intérieurdu p<strong>et</strong>it atrium de France 2 onait l’impression qu’il n’y avaitpas de structure, que les passerellestenues dans le verre,regardées du bas, donnentl’impression d’être suspenduesdans le vide (Figure 6) ;effectivement il n’y a aucunélément de structure visiblecar tous les éléments sont enverre. Je n’ai pu réaliser cedéfi qu’en travaillant en étroitecollaboration avec les ingénieursde Saint-Gobain (voirle Chapitre de J. Ruchmann,Encart : « De Louis XIV à nosjours : les origines du verrierSaint-Gobain ») car leurverres n’avaient jamais étéutilisés ni pour c<strong>et</strong> usage, nidans ces conditions. Ce futlong <strong>et</strong> cela nécessita beaucoupde calculs <strong>et</strong> d’expérimentations.Pour atteindrece but, nous avons dû casserbeaucoup de verre pourvérifier la tenue des poutresà la charge. Ce qui est trèsamusant au début sur desmaqu<strong>et</strong>tes devient impressionnantquand il s’agit d’unepoutre de verre d’un mètrede haut que l’on doit faire exploserpour voir jusqu’à quelpoint elle résiste à la charge.Nous avions donc fait tous lestests nécessaires pour fournirdes preuves indiscutablesde la capacité de nos poutresde verre à tenir les efforts quileur seraient imposés. Cestests sont obligatoires pour lebureau de contrôle qui garantitauprès des assurances lasécurité du bâtiment. Je voudraisraconter une anecdotequi montre que les précautionsprises l’ont été de manièreexagérée. Malgré tousles contrôles de solidité de la


structure de verre que nousavions effectués, une fois qu<strong>et</strong>out a été magnifiquement <strong>et</strong>spectaculairement mis enplace, il nous a été demandéde lui rajouter (je dirais plutôtde la dénaturer) une structurede protection métallique,au cas où elle casserait ! Unexemple qui témoigne combienla France, parmi lesautres pays européens, estl’un des seuls à prendre autantde précautions par rapportaux nouvelles technologies.C’est bien dommagepour la beauté de ce bâtimentcar c<strong>et</strong>te structure ajoutéede métal, dont l’observateurne comprend pas la raison,masque l’eff<strong>et</strong> spectaculairede la structure de verre <strong>et</strong> l<strong>et</strong>ravail qui a été investi pourréaliser c<strong>et</strong>te performance.C<strong>et</strong>te question de l’innovation<strong>et</strong> des précautions qui y sontliées est centrale dans le travailde création que nous faisonstous sans doute tous lesjours, <strong>et</strong> nous en verrons unautre exemple avec le Pôle deloisirs <strong>et</strong> de commerces LyonConfluence (paragraphe 5).Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?Figure 5L’esplanade Henri de France <strong>et</strong>le siège de France Télévisions àl’arrière-plan (Paris).Figure 6France Télévisions, atrium.23


La chimie <strong>et</strong> l’habitat24Figure 7Détail de la façade lisse FranceTélévisions, Paris 15 e .marbrecoulisseExtérieur4Le marbre :un matériauà mémoire de formequi s’étireSouvenons-nous il y a quelquesannées à Paris desplaques de marbre de bâtimentsrécents tombant dansla rue. Nous avions aussi ététémoins de ces fil<strong>et</strong>s poséssur les façades d’immeublesparisiens pour empêcher lesplaques de marbre de se décrocher<strong>et</strong> de tomber. Nousnous demandions pourquoi2 000 à 3 000 ans après ladécouverte des carrières deCarrare, ce marbre si souventutilisé se m<strong>et</strong> brusquementà se décrocher des façades ?La question a été posée auxchimistes, <strong>et</strong> l’une des explicationsa été que dans cescarrières, explorées depuistellement longtemps, lespierres doivent maintenantêtre prélevées à des profondeursde plus en plus grandes,donc probablement dans desendroits où la pierre, pour seformer, a été soumise à despressions <strong>et</strong> à des températuresplus élevées. QuandIntérieurnous découpons ces plaquesde marbre pour en faire desplaques pour la construction,la matière conserve lamémoire de la pression <strong>et</strong>de la température à laquelleelle a été formée, une sortede mémoire de forme qui luidonnerait l’envie de s’étirercomme nous le faisons au leverdu matin. Et lorsque c<strong>et</strong>tepierre est fixée sur des élémentsmétalliques verticauxqui l’empêchent de s’étirer,son seul choix est de se bomber,de se courber ; arrêtéepar ces éléments métalliques,elle se tend jusqu’à atteindreune courbure tellement exagéréeque la pierre se brise<strong>et</strong> tombe dans la rue.Ce phénomène a été observépar les architectes avec beaucoupd’inquiétude, d’autantque mon client pour FranceTélévisions, m’avait dit : « Jeveux du marbre ». J’ai donc dûtrouver du marbre qui n’ait pastrop l’envie de s’étirer <strong>et</strong> quisoit blanc. J’en ai finalementtrouvé au nord d’Athènes, lecélèbre marbre de Thassosqui a servi à construire l’Acropole<strong>et</strong> qui est beaucoup plusfacile à extraire, car moinsprofond que celui de Carrare.Mais pour néanmoins prévoirune éventuelle dilatation,nous avons préféré imaginerun système qui perm<strong>et</strong>te aumarbre, s’il en avait envie, des’étirer sans se briser : aulieu de le fixer sur des pointsimmobiles, nous l’avons fixésur une régl<strong>et</strong>te coulissante ;ainsi, si le marbre a envie debouger, il glisse <strong>et</strong> coulissesur c<strong>et</strong>te régl<strong>et</strong>te métallique,ce qui lui perm<strong>et</strong>tra de sem<strong>et</strong>tre dans la position quilui convient le mieux sans sebriser (Figure 7).


5Un polymère fluoré,coussin de lumièrepour un toitLyon ConfluenceAprès le marbre, changeonsde siècle <strong>et</strong> abordons l’usagede matériaux nouveaux totalementissus de la chimiecomme l’éthylène tétrafluoroéthylène(EFTE, Encart: « L’EFTE, un matériaumagique pour une architecturemagique »). C’est un polymèreissu de l’industrie du fluor.Il est fabriqué par la sociétéaméricaine DuPont de Nemourssous forme d’une fibr<strong>et</strong>issée qui ressemble un peuà de la toile d’abat-jour. Cematériau très résistant, quiest insensible aux ultra-viol<strong>et</strong>s,ne jaunit pas, <strong>et</strong> si l’on ym<strong>et</strong> le feu, se sublime. C’estdonc un matériau a priori formidablepour l’architecte, àcondition de trouver la formesous laquelle l’utiliser. Maisnous l’avons vu, c’est souventde la rencontre du chimiste <strong>et</strong>de l’architecte dans une perspectivede création que naissentles idées intéressantes.Pour utiliser ce matériau enarchitecture, il faut pouvoirobtenir de grandes surfacesrésistantes. L’idée a été icide faire appel aux techniquesde nos mamans, qui savaientcoudre les matériaux en zigzag,comme sur nos pantalonsautrefois pour résister aux efforts.De la même manière, cematériau a été cousu en zigzagpour lui donner une résistanc<strong>et</strong>rès forte à la traction, puisassemblé sous forme d’uncoussin à l’intérieur duquelest soufflé de l’air à environ1,5 bar avec un simple ventilateur,de façon à le gonfler.Nous avons obtenu uncoussin sublime, beau à voir,avec lequel on peut réaliserainsi une toiture étanche, isolantedu froid, de la pluie <strong>et</strong>du vent, d’une portée de 30à 50 mètres, <strong>et</strong> sur lequel onpeut marcher, ce qui est absolumentmagique (Figure 8) !Nous avions donc découvertune nouvelle façon totalementinattendue de faire lestoitures pour les bâtiments,simplement en assemblantune toile fabriquée aux États-Unis, grâce à une techniquede couture. À partir de c<strong>et</strong>teopération qui au départ devaitêtre expérimentale, ce sontfinalement deux hectares d<strong>et</strong>oitures qui ont été montésavec ce matériau, pour couvrirun espace de commerce <strong>et</strong> deloisirs avec des cinémas, descommerces, des restaurantsconstruits sur la presque-îleentre la Saône <strong>et</strong> le Rhône àLyon, à Lyon Confluence (Figure8). C<strong>et</strong>te toiture d’aspecttout à fait inattendu est trèsludique <strong>et</strong> inscrit ce bâtimentdans les nouvelles normesde durabilité <strong>et</strong> d’écologie : iln’est en eff<strong>et</strong> plus nécessairede fermer ce mail commercial,qui ainsi ne consommeplus d’énergie pour son utilisation<strong>et</strong> n’utilise que desmatériaux recyclables.Mais une fois encore, les bureauxde contrôle sont passéspar là <strong>et</strong> nous ont imposél’ajout d’une structure en métalen dessous, dans l’hypothèseoù la toile s’effondrerait,bien que c<strong>et</strong>te toile gonfléene présente aucun dangerpotentiel car s’il y avait unproblème, elle s’affaisseraittout simplement. De plus, unsimple calcul montre que lesdeux tiers du métal de c<strong>et</strong>teQu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?25


La chimie <strong>et</strong> l’habitat26Figure 8Le Pôle de loisirs <strong>et</strong> de commercesLyon Confluence.plateforme de sécurité imposéesont inutiles pour tenirc<strong>et</strong>te toiture.Une autre amélioration spectaculairede l’usage de ce toiten EFTE a été, en plaçant surchaque partie basse de lavoûte des p<strong>et</strong>ites lampes LEDqui consomment peu d’électricité,d’éclairer l’ensembledu toit par un véritable bainde lumière <strong>et</strong> de couleurs.Nous avons obtenu c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>en imprimant sur la toile unep<strong>et</strong>ite sérigraphie de pointsblancs qui captent la lumièredes LED, la diffusent <strong>et</strong> ladiffractent à l’intérieur ducoussin, en conduisant à desimages fascinantes. Ce mail <strong>et</strong>le centre commercial serontouverts au public en 2012.Lyon Confluence illustredonc à merveille, à traversl’exemple de l’EFTE, l’intérêtde la rencontre entre lechimiste <strong>et</strong> l’architecte, <strong>et</strong>comment un matériau qui sortbrut des usines de chimie peutêtre détourné en architecturepour en faire des toitures originales,belles <strong>et</strong> durables.6Le renouveau dubois : un matériauvivant auquel on s’attacheLe bois est un matériau fantastiquequi a beaucoup servidans l’architecture, puis qui atotalement disparu <strong>et</strong> que l’onredécouvre aujourd’hui.C’est à Montpellier que j’aitrouvé des clients pour partageravec moi le désir deréutiliser ce matériau pourfaire des structures, <strong>et</strong> prêtspour cela non seulement àinvestir sur le plan financier,mais aussi dans les essais nécessairespour l’adapter auxbesoins <strong>et</strong> aux normes.Nous avons donc décidé delancer la construction d’unimmeuble de neuf étages, lepremier immeuble de France


L’EFTE, UN MATÉRIAU MAGIQUE POUR UNE ARCHITECTURE MAGIQUEL’éthylène tétrafluoroéthylène, plus fréquemment connu sous son abréviation ETFE, est unpolymère fluoré thermoplastique (il se ramollit sous la chaleur) (Figure 9). C’est un copolymèrealterné éthylène/tétrafluoroéthylène.Ce matériau semi-cristallin est utilisé comme alternative au verre. De densité 1,7, il est plusléger que le verre (densité du verre : 2,5) <strong>et</strong> transm<strong>et</strong> de manière plus efficace la lumière.Il est capable de supporter 400 fois son poids. De plus, il a une grande résistance à l’usure<strong>et</strong> est utilisable dans une large gamme de température (de –80 à 155 °C). À la différence duverre, il peut être transformé par injection : la matière plastique est ramollie puis injectéedans un moule, avant d’être refroidie dans la forme souhaitée.Enfin, l’ETFE est recyclable.Figure 9Structure chimique de l’EFTE.Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?réalisé tout en bois. Théoriquement,cela était effectivementpossible car le boisest capable de tenir la chargepour supporter neuf étages,mais en fait cela n’était pas sisimple car le bois est aussi unmatériau qui craque, se tasse<strong>et</strong> s’entr<strong>et</strong>ient.Nous avons dû prévenir lesach<strong>et</strong>eurs que pendant les premiersmois après la construction,les différents élémentsde la structure, les poutres,les solives, les panneaux, allaientdevoir progressivementtrouver leur place avec lesautres matériaux, <strong>et</strong> que leshabitants entendraient l’immeublegentiment craquer ;on pouvait même prévoir qu’ilallait se tasser d’environ deuxcentimètres sans bien sûr lemoindre risque de désordre.Nous leur avons donc proposéde peindre l’immeuble dansune jolie gamme de rouges(Figure 10), la même pal<strong>et</strong>temode que celle des rougesà lèvres <strong>et</strong> rouges à onglesde Guerlain, en utilisant descouleurs permanentes.Et, alors que beaucoup achètentdes logements pour fairedes investissements financiers,parfois même sansregarder où ils sont situés,nous avons observé l’inverse: les ach<strong>et</strong>eurs de nosappartements se sont appropriéleur immeuble de bois,prêts à en accepter toutes lescontraintes ; ils se sont misà l’aimer, prêts à l’entendrecraquer <strong>et</strong> à l’entr<strong>et</strong>enir régulièrement.Et les soixanteappartements se sont tousvendus, avec un succès populaireextraordinaire qui montrel’attachement touchant <strong>et</strong> utiledu public pour l’innovation <strong>et</strong> larecherche de beaux matériaux.Dans c<strong>et</strong> immeuble à structurede bois, l’architecte a jouéle rôle d’assembleur dans ladéfinition japonaise ; le boisest certes le chef d’orchestre,c’est lui qui règle la structure,mais la base de l’immeuble,pour être horizontale, repose27


La chimie <strong>et</strong> l’habitat28Figure 10Immeuble de logements,Montpellier.sur un socle de béton matriciel<strong>et</strong> il y a des contreventementsmétalliques pour tenir <strong>et</strong> raidirla structure (Figure 10).7Le béton : unmatériau de haut<strong>et</strong>echnologie qui peutaussi être un moyend’expression poétique7.1. Cœur DéfenseTout comme le verre, le bétonfait partie des matériauxqui ont fait de grands progrèstechniques depuis ces vingtdernières années. Il y a vingtcinq ans, je travaillais avecdes bétons dont les résistancesà la pression étaientde l’ordre de huit à dix mégapascals,c’est dire qu’il fallaitbeaucoup de béton pourtenir un gros effort. Quandj’ai bâti, en 2001, les tours deCœur Défense (Figure 11), larésistance montait jusqu’à200 méga pascals. Ainsi, en dixà quinze ans, la résistance dubéton avait été multipliée parvingt.Le béton est un assemblagecomplexe : il n’est jamaisutilisé seul. Ce matériau estlui-même un amalgame dedifférentes matières. Sesperformances techniques ontaugmenté parce qu’on a sudiminuer la taille des agrégatsqui le constituent, y incorporerdes fibres, des fumées de silice…(voir aussi les Chapitresd’A. Ehrlacher <strong>et</strong> de J. Méhu).Mais cela ne suffit pas à toutexpliquer ; le béton est un matériauque l’on assemble avecde l’acier, <strong>et</strong> c’est c<strong>et</strong> assemblagede l’acier <strong>et</strong> du bétonqui conduit à l’améliorationdes performances. L’acier travaillantmagnifiquement bienà la traction, <strong>et</strong> le béton magnifiquementbien à la compression,l’assemblage deces deux capacités conduit àdes matériaux magiques pourl’architecture, avec lesquelson peut obtenir des portéesimmenses pour de très faiblessections. Ces sections, grâceaux progrès récents de larecherche, s’affinent de jouren jour puisqu’aujourd’hui onannonce l’arrivée de bétonsrésistants à des pressionsde 400-500 mégapascalsqui pourront être utilisés de


Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?manière courante sur leschantiers.L’architecture est un art d<strong>et</strong>errain, l’esprit d’inventiondoit porter non seulementsur la constitution des matièresqu’elle utilise, maisaussi sur la façon de lesm<strong>et</strong>tre en œuvre, c’est-à-direde construire. Par exemple àCœur Défense, nous construisionsun étage de tour tous lesquatre jours, c’est-à-dire quenous avions à <strong>org</strong>aniser unerotation des machines m<strong>et</strong>tanten œuvre les matériauxqui perm<strong>et</strong>tait tous les quatrejours de monter d’un étage, cequi représente aussi un beleffort technique (Figure 11).7.2. Le site du pont du GardLe béton n’est pas seulementun matériau de haute technologieutilisé pour faire desstructures, c’est aussi un matériauancien qui a une histoire.Le béton était déjà connudes Romains qui savaient parfaitementle travailler. Le bétonromain était de la chauxmélangée avec des agrégatsde marbre.Je me suis intéressé au bétonromain quand on m’a demandéde construire un muséesur le site archéologiquedu pont du Gard (Figure 12). Lepont du Gard est c<strong>et</strong> aqueducspectaculaire, construit parles Romains en 17 après J.-C.pour transporter de l’eau sur50 kilomètres entre Uzès <strong>et</strong>Nîmes, avec 17 mètres de dénivelé.Franchir 50 kilomètresavec si peu de dénivelé représenteun exploit, <strong>et</strong> ce d’autantplus que la topographie deslieux est très compliquée ; ilfaut franchir des collines, traverserdes ravins dont le plusspectaculaire est c<strong>et</strong>te failledu Gardon, de 300 mètresFigure 11Chantier de Cœur Défense, laDéfense.29


pierre posée dans ce site magnifique,<strong>et</strong> que pour mieuxs’intégrer, c<strong>et</strong>te pierre seraitconstituée d’un béton dont lesagrégats seraient pris dansla rivière qui coule sur lesite : le Gardon. Et pour quela couleur de « c<strong>et</strong>te pierre »s’harmonise avec celle despierres naturelles, tous lesautres composants du bétonont été trouvés localement :les sables roux dans le sol dusite, la chaux <strong>et</strong> les autres matièresdans la région. J’ai dûaller au Portugal chercher desouvriers qui savaient encoresabler le béton pour enleverles laitances de surface <strong>et</strong> l<strong>et</strong>ravailler dans la masse defaçon artisanale ; mais nousavons réussi à fabriquer unbéton en harmonie avec lesite, une matière touchantepar son humanité <strong>et</strong> son rapportà la lumière (Figure 12B).C<strong>et</strong> exemple montre que lebéton n’est pas uniquement unmatériau de structure <strong>et</strong> quel’innovation pour l’architectene consiste pas uniquement àvoir augmenter sa résistanceà des portées de plus en plusgrandes. L’innovation dans safabrication peut être aussi unmoyen de lui faire exprimerles qualités de l’âme humaine.7.3. Méditerranée, MarseilleJ’ai eu sur un chantier deMarseille une autre expériencedu même type, où j’aiobtenu un béton blanc symboledes bords de la Méditerranée(Figure 13).7.4. La tour Maroc Telecom,RabatJe voudrais terminer par undernier exemple qui montrece que l’architecte peut faireexprimer à ce matériau : c’estcelui d’une tour actuellementencore en cours de constructiondans le centre de Rabat(Figure 14). Rabat est une villeroyale où d’une part les toursn’y sont en général pas autorisées,où la tour la plusgrande doit rester la tour Hassan,symbole de la légendede la fondation de ce pays.C<strong>et</strong>te tour, dont la réalisationm’a été confiée, a donc faitl’obj<strong>et</strong> de nombreuses discussionspréalables <strong>et</strong> il m’aété demandé de réaliser unouvrage à la fois exemple deperformances technologiquesFigure 13Chantier de Cœur Méditerranée,Marseille.Qu’attend l’architecte, l’urbaniste <strong>et</strong> l’artiste de la chimie ?31


La chimie <strong>et</strong> l’habitatCe chapitre nous montre que les créationsde l’architecte s’enrichissent non seulementdes progrès technologiques, mais aussi deséchanges qu’il peut avoir avec les chimistesqui créent ces matériaux ou qui l’aident à encomprendre <strong>et</strong> en maîtriser les propriétés pourles adapter aux besoins, à sa propre créativité,<strong>et</strong> à les m<strong>et</strong>tre en œuvre pour procurer du plaisiren même temps que de l’usage.L’architecte travaille à exalter la beauté <strong>et</strong> mêmela poésie des matériaux créés par le chimiste,<strong>et</strong> à les pérenniser utilement <strong>et</strong> durablement.La même recherche de la beauté d’une structureanime l’architecte <strong>et</strong> le chimiste. C’est sansdoute pour cela que l’une des plus belles <strong>et</strong> plusrécentes molécules créées par les chimistes,le fullerène, porte ce nom en l’hommage à unarchitecte célèbre, Richard Buckminster Fuller,<strong>et</strong> à son magnifique dôme en forme de gigantesqueballon de football dont les faces sontdes hexagones <strong>et</strong> des pentagones (Encart : « Del’architecture à la chimie : du dôme géodésiqueaux fullerènes »).34

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