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Un monde dans notre tête - Palais de la découverte

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24© E. Bastid.Perception,constructionmentale <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité<strong>Un</strong> <strong>mon<strong>de</strong></strong><strong>dans</strong> <strong>notre</strong> <strong>tête</strong>ANNE HERVÉ-MINVIELLE, MARIE CANARD,SOPHIE BARRÉ-NEUVILLE et TANGUY SCHINDLERMédiateurs scientifiques au <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>découverte</strong>


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 625Longtemps les philosophes ontsouscrit au mythe selon lequel« le <strong>mon<strong>de</strong></strong> s'offre aux sens »,c'est-à-dire que <strong>la</strong> perceptiondu <strong>mon<strong>de</strong></strong> ne serait qu'un actesimple qui fournit un accès immédiatau réel. Aujourd'hui, les scientifiquesont montré qu'il ne suffit pas d'ouvrirles yeux pour que « toute <strong>la</strong> richessedu <strong>mon<strong>de</strong></strong> se dévoile miraculeusement». Percevoir ne se réduit pas àun simple examen du <strong>mon<strong>de</strong></strong> : <strong>la</strong> perceptionest un ensemble <strong>de</strong> processusactifs complexes que l'on connaît<strong>de</strong> mieux en mieux. Faisons un pointsur les étapes clés et quelques messagesimportants !Percevoir ce n'est pas voir, ce n'est pasentendre, ce n'est pas sentir… Percevoir, c'esttout ce<strong>la</strong> à <strong>la</strong> fois. Mais percevoir, c'est aussiimaginer, sélectionner et faire <strong>de</strong>s tris, donner<strong>la</strong> priorité à certaines informations et donnerun poids moindre à d'autres…En permanence, le cerveau reçoit <strong>de</strong> multiplesinformations fragmentées, provenant<strong>de</strong> récepteurs spécifiques ou <strong>de</strong> terminaisonsnerveuses sensibles, sur l'état <strong>de</strong> <strong>notre</strong> <strong>mon<strong>de</strong></strong>intérieur et du <strong>mon<strong>de</strong></strong> qui nous entoure.Comme assemb<strong>la</strong>nt les pièces d'un puzzle,le cerveau se construit, grâce à tous ces messages,une représentation unique.À tout moment, en une fraction <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>,il faut évaluer une situation <strong>dans</strong> son contexte,il faut plonger <strong>dans</strong> <strong>notre</strong> mémoire et comparer<strong>la</strong> situation présente à nos expériencespassées pour l'analyser, en faire une interprétation,puis prendre <strong>de</strong>s décisions et agir.Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer,<strong>la</strong> perception n'est pas si facile à définir.Mais osons une définition : <strong>la</strong> perception correspondà l'ensemble <strong>de</strong>s processus cérébrauxqui, à partir d'entrées sensorielles et <strong>de</strong> leurtraitement, permet à l'organisme qui perçoit<strong>de</strong> connaître le <strong>mon<strong>de</strong></strong> qui l'entoure et d'enconstruire une représentation.La perception est multisensorielle : elleintègre les informations <strong>de</strong> tous nos sens, qui,<strong>de</strong> plus, s'influencent les uns les autres. Laperception est indissociable <strong>de</strong> <strong>notre</strong> expérience,<strong>de</strong> <strong>notre</strong> vécu, <strong>de</strong> <strong>notre</strong> mémoire.Percevoir, c'est aussi se souvenir, comparer cequi nous arrive à ce que nous avons déjà vécu.Pour certains spécialistes du domaine, dontl'un <strong>de</strong>s plus célèbres A<strong>la</strong>in Berthoz, (vouspourrez lire un entretien avec lui <strong>dans</strong> ce dossier),<strong>la</strong> perception est également indissociable<strong>de</strong> l'action. Pour lui, percevoir, c'est déjà agir.Percevoir, c'est aussi anticiper, prédire le futurproche en vue <strong>de</strong> p<strong>la</strong>nifier nos actes.Que sait-on aujourd'hui <strong>de</strong> tous ces processus? Quelles sont les étapes qui permettent <strong>de</strong>construire <strong>notre</strong> perception ?Les systèmes sensoriels,première étapevers <strong>la</strong> perceptionLes systèmes sensoriels sont <strong>la</strong> porte d'entréevers le cerveau. Ils sont responsables <strong>de</strong><strong>la</strong> sensibilité individuelle qui varie d'un individuà l'autre. Le traitement <strong>de</strong> l'informationsensorielle commence au niveau <strong>de</strong>s organes<strong>de</strong>s sens : chaque système va traiter unemodalité sensorielle différente selon unschéma général i<strong>de</strong>ntique.Le premier acteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> perception est le stimulus,c'est-à-dire le déclencheur d'une excitation.<strong>Un</strong> stimulus possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>s paramètresphysiques propres, caractéristiques qui vontstructurer <strong>la</strong> perception. Nous distinguons lesstimuli internes, qui proviennent <strong>de</strong> l'intérieurdu corps, <strong>de</strong>s stimuli externes, qui proviennentdu <strong>mon<strong>de</strong></strong> extérieur <strong>dans</strong> lequel nousvivons.Le stimulus va modifier l'activité d'unorgane sensoriel interne ou externe. C'est ce<strong>de</strong>rnier qui, grâce à <strong>de</strong>s cellules réceptricesspécifiques, va capter et transmettre l'informationrecueillie à différents centres nerveuxqui, ensuite, traiteront les messages reçus.


26D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6Il existe plusieurs façons <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sser les sens.Par exemple, le c<strong>la</strong>ssement peut reposer sur <strong>la</strong>nature du stimulus et le type <strong>de</strong> récepteurs stimulés.Dans les organes <strong>de</strong>s sens se trouvent<strong>de</strong>s récepteurs spécifiques qui vont convertir ettraduire l'énergie <strong>de</strong>s stimuli en signaux électriques(c'est le phénomène <strong>de</strong> transduction, sereporter à l'encadré du même nom). Si l'onconsidère <strong>la</strong> nature du récepteur qui capte uneforme d'énergie spécifique, on peut alors i<strong>de</strong>ntifierquatre voire cinq types <strong>de</strong> récepteurs.Les photorécepteurs sont sensibles à <strong>la</strong>lumière : ce sont les cônes et les bâtonnetssitués <strong>dans</strong> <strong>la</strong> rétine.Les mécanorécepteurs sont sensibles à <strong>de</strong>sdéformations mécaniques : ce sont les récepteurs<strong>de</strong> <strong>la</strong> peau, les récepteurs muscu<strong>la</strong>ires,les récepteurs <strong>de</strong> l'oreille interne, aussi bienpour le système auditif que pour le systèmevestibu<strong>la</strong>ire.Les thermorécepteurs sont sensibles au froi<strong>de</strong>t/ou au chaud : on trouve <strong>de</strong>s thermorécepteursexternes <strong>dans</strong> <strong>la</strong> peau, d'autres internes,au cœur du cerveau <strong>dans</strong> l'hypotha<strong>la</strong>mus(système qui régule <strong>la</strong> température corporelle).Les chémorécepteurs sont <strong>de</strong>s récepteurschimiques qui sont responsables <strong>de</strong> l'olfactionet <strong>de</strong> <strong>la</strong> gustation pour les récepteurs externes,alors que <strong>de</strong>s chémorécepteurs internes permettentl'homéostasie (maintien <strong>de</strong> l'équilibreinterne du corps) et <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> l'équilibrechimique <strong>de</strong> différents paramètres physiologiques(les barorécepteurs).Enfin, un peu en marge <strong>de</strong> <strong>la</strong> perception, lesnocicepteurs sont responsables <strong>de</strong>s sensationsdouloureuses ; ils sont situés <strong>dans</strong> différentstissus du corps et constituent un systèmed'a<strong>la</strong>rme en cas <strong>de</strong> souffrance cellu<strong>la</strong>ire : ilsréagissent à <strong>de</strong>s lésions, à <strong>de</strong> très fortes pressions,à <strong>de</strong>s températures extrêmes ou à <strong>de</strong>ssubstances chimiques.Mais <strong>la</strong> sensorialité et les sensations perçues© E. Bastid.Le phénomène <strong>de</strong> transductionLa fonction <strong>de</strong>s cellules réceptrices est<strong>de</strong> transformer l'énergie du stimulus enmessage bio-électrique. Ainsi, tous cesrécepteurs sont responsables d'un phénomènetrès spécifique : <strong>la</strong> transductionsensorielle. C'est le processus par lequelles récepteurs sensoriels convertissent,grâce à une casca<strong>de</strong> d'événements intracellu<strong>la</strong>ires,l'énergie <strong>de</strong>s stimuli (lumière,son, o<strong>de</strong>ur…) en signaux électriques.Ceux-là seront véhiculés par les nerfsjusqu'au cerveau et ils seront <strong>la</strong> source<strong>de</strong> nos sensations puis <strong>de</strong>s étatsconscients <strong>de</strong>s stimuli, qu'ils proviennent<strong>de</strong> récepteurs internes ou externes.peuvent aussi être les critères sur lesquelsrepose le c<strong>la</strong>ssement <strong>de</strong>s sens. On opposealors parfois les systèmes sensoriels qui traitentl'information provenant du <strong>mon<strong>de</strong></strong> extérieur(vision, audition, olfaction, gustation) àceux qui traitent <strong>de</strong>s sensations provenant ducorps (extéroception = sensibilité cutanée ;proprioception = sensibilité muscu<strong>la</strong>ire et articu<strong>la</strong>ire; interoception = sensibilité <strong>de</strong>sviscères). À ces trois sens internes regroupéssous le terme <strong>de</strong> somesthésie, vient égalements'ajouter <strong>la</strong> perception vestibu<strong>la</strong>ire (se reporterà l'entretien avec A<strong>la</strong>in Berthoz) qui nous permet<strong>de</strong> connaître <strong>la</strong> position, l'orientation, lesmouvements et les accélérations <strong>de</strong> <strong>notre</strong> <strong>tête</strong>.Quelle que soit <strong>la</strong> c<strong>la</strong>ssification utilisée,nous sommes bien loin <strong>de</strong>s cinq sens que nous


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 627TABLEAU.Résumé <strong>de</strong>s différents sens et <strong>de</strong>s paramètres associés.avons appris à l'école !Le codage <strong>de</strong>s informationsLes informations portées par les stimuli vontêtre codées selon <strong>de</strong>s dimensions complémentairesqui répon<strong>de</strong>nt chacune à une questionspécifique.<strong>Un</strong> type <strong>de</strong> récepteurs donné prend encharge un type d'énergie : on parle alors ducodage <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité qui sera <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> tel outel type d'impression sensitive. Il répond à <strong>la</strong>question « quoi ? » (tableau ci-<strong>de</strong>ssus).Le codage <strong>de</strong> l'intensité <strong>de</strong> <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion estun paramètre important : il permet <strong>de</strong> déterminer<strong>la</strong> quantité d'énergie reçue par le récepteur,responsable <strong>de</strong> l'intensité <strong>de</strong> <strong>la</strong> sensation.Il répond à <strong>la</strong> question « combien ? ».Il est souvent nécessaire <strong>de</strong> localiser <strong>la</strong> source<strong>de</strong> <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion. C'est le codage <strong>de</strong> <strong>la</strong> dimensionspatiale qui répond à <strong>la</strong> question « où ? ».Enfin, il faut situer <strong>dans</strong> le temps <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion,en connaître le début et <strong>la</strong> fin mais aussipouvoir connaître les changements <strong>de</strong> sensibilitédu stimulus au cours du temps. Ce codagetemporel répond à <strong>la</strong> question « quand ? ».


28D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6Lorsqu'une stimu<strong>la</strong>tion est maintenue <strong>dans</strong>le temps, les récepteurs présentent généralementune perte progressive <strong>de</strong> sensibilité :c'est un processus d'adaptation qui permet <strong>de</strong>ne pas encombrer inutilement le systèmelorsque les messages ne sont pas significatifs.En ce qui concerne le codage <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité,il existe au niveau <strong>de</strong> certains sens unedécomposition <strong>de</strong> ce codage en différentesmodalités. C'est le cas <strong>de</strong> <strong>la</strong> vision, systèmele plus complexe qui prédomine <strong>dans</strong> <strong>notre</strong>perception (c'est grâce à <strong>la</strong> vision quel'Homme acquiert l'essentiel <strong>de</strong> ce qu'il saitdu <strong>mon<strong>de</strong></strong> qui l'entoure).Le système sensoriel visuel découpe unescène en objets individuels et décomposechaque objet selon une foule <strong>de</strong> caractéristiquesqui conduiront à l'é<strong>la</strong>boration d'informationsparallèles. Ces caractéristiques sontLe phénomèned’inhibition <strong>la</strong>téraleDès le premier niveau <strong>de</strong> traitementpar les systèmes sensoriels, il existeun pouvoir <strong>de</strong> discrimination juste aprèsles récepteurs sensoriels. En effet,les récepteurs sensoriels ne sont pasindépendants : ils sont connectés entreeux et s'influencent les uns les autres.Cette influence permet d'accroître <strong>la</strong>sensibilité aux contrastes : l'informationprovenant <strong>de</strong>s récepteurs à <strong>la</strong> périphéried'un site <strong>de</strong> stimu<strong>la</strong>tionest inhibée alors que l'information provenantdu centre du site <strong>de</strong> stimu<strong>la</strong>tionest augmentée.C'est ce que l'on appelle le phénomèned'inhibition <strong>la</strong>térale. Ce phénomènese produit tout au long du traitement<strong>de</strong>s informations sensorielles, jusqu'auniveau cortical le plus élevé.<strong>la</strong> forme, les contours, <strong>la</strong> texture, <strong>la</strong> taille,l'orientation, <strong>la</strong> luminance, <strong>la</strong> couleur, <strong>la</strong> positionspatiale et le mouvement.Ainsi, les systèmes sensoriels ren<strong>de</strong>nt le<strong>mon<strong>de</strong></strong> physique accessible à <strong>la</strong> pensée. Pource<strong>la</strong>, les récepteurs sensoriels divisent <strong>la</strong> réalitédu <strong>mon<strong>de</strong></strong> selon les différents sens maisaussi en diverses modalités sensorielles. Ilsfournissent à <strong>de</strong>s milliards <strong>de</strong> neurones localisés<strong>dans</strong> différentes zones du cerveau <strong>de</strong>sinformations variées.De l'organe récepteurau cerveauVoies et traitements<strong>de</strong>s informations sensoriellesLes différentes modalités sont traduites auniveau <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong>s sens en influx nerveuxet ces messages sont transmis via <strong>de</strong>s nerfs à<strong>de</strong> nombreuses aires spécifiques du cerveau.Le long <strong>de</strong> ce trajet, ces informations sensoriellessont intégrées à différents niveaux et secomplexifient au fur et à mesure. Dès <strong>la</strong> sortie<strong>de</strong>s organes récepteurs, il existe un traitementé<strong>la</strong>boré du signal (phénomène d'inhibition<strong>la</strong>térale, se reporter à l'encadré du même nom).De l'organe récepteur, les informationsgagnent un premier re<strong>la</strong>is, le tha<strong>la</strong>mus, sorte<strong>de</strong> « gare <strong>de</strong> triage neurosensorielle ». Lesinformations nerveuses sont ensuite envoyéessur <strong>de</strong>s zones du cortex (cortex primaire) quisont spécifiques du type <strong>de</strong> message. Ainsi, lesinformations en provenance <strong>de</strong>s yeux arriventau niveau du cortex visuel primaire situé auniveau occipital, les informations auditives seprojettent au niveau du cortex auditif primairesitué <strong>dans</strong> le lobe temporal, les informationsprovenant du corps convergent au niveau ducortex somesthésique localisé au niveau dulobe pariétal, à <strong>la</strong> limite pariéto-frontal…Le cortex sensoriel primaire est donc unsystème diffus qui se compose <strong>de</strong> nombreusesaires cérébrales distinctes spécialisées <strong>dans</strong> letraitement <strong>de</strong>s différentes modalités senso-


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 629FIGURE 1Illustration <strong>de</strong>s différentes aires corticales.En vert sont représentées les zones du cortex sensoriel primaire, en rouge le cortex moteuret en violet le cortex associatif.Caché <strong>dans</strong> un repli, le cortex olfactif situé <strong>dans</strong> <strong>la</strong> zone insu<strong>la</strong>ire n'est pas visible sur cette vue.Source : Neurosciences - À <strong>la</strong> <strong>découverte</strong> du cerveau (Neuroscience - Exploring the brain), Mark F. Bear,Barry W. Connors, Michael A. Paradiso, 2 e édition (éditions Pra<strong>de</strong>l/Wolters Kluwer France,Rueil-Malmaison, 2002, pour <strong>la</strong> traduction française ; éditions Lippincott Williams and Wilkins, Baltimore,2001, pour l'édition originale américaine). Adaptation <strong>de</strong> l’illustration : E. Bastid.rielles (fig. 1).De plus, selon les sens, les messages sontdécomposés en un plus ou moins grandnombre <strong>de</strong> caractéristiques : ce<strong>la</strong> va du plussimple, comme <strong>dans</strong> le système olfactif oùseuls le type d'o<strong>de</strong>ur et son intensité sontcodés, au plus complexe, <strong>la</strong> vision, où sontcodées <strong>de</strong> nombreuses modalités (forme, couleur,mouvement…). Ce<strong>la</strong> conduit à l'existence<strong>de</strong> voies sensorielles parallèles plus ou moinsnombreuses qui traitent conjointement lesdifférentes caractéristiques <strong>de</strong> l'objet perçu.Mais voir un objet, ce n'est pas avoirconscience <strong>de</strong> toutes ses caractéristiques individuelles,c'est se les représenter simultanémentet les lier correctement entre elles. C'està l'étape suivante, au niveau <strong>de</strong>s neurones <strong>de</strong>scortex sensoriels secondaires, que les informations<strong>de</strong>s différentes modalités d'un mêmesens convergent pour recréer une image multimodaleconstruite. Ainsi, le cortex visuelsecondaire intègre l'ensemble <strong>de</strong>s caractéristiques: forme, couleur, taille… pour formerun objet visuel cohérent.Ensuite, tous ces messages vont alimenterd'autres aires du cerveau, notamment les cortexassociatifs. Y sont intégrées les informationsprovenant <strong>de</strong> tous les sens, pour créerune représentation multisensorielle (fig. 2).Perception, fonction sous influenceNotre perception est influencée par lecontexte extérieur, <strong>la</strong> situation <strong>dans</strong> <strong>la</strong>quellenous nous trouvons lorsque nous vivons unévénement, mais aussi par le « contexte


30D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6C'est seulement à ce niveau d'intégrationqu'apparaît une perception uniqueconsciente.Que sait-on sur le supportbiologique à l'origine<strong>de</strong> l'expression consciente<strong>de</strong> <strong>la</strong> perception ?FIGURE 2Schéma <strong>de</strong>s étapes <strong>de</strong> <strong>la</strong> perception,<strong>de</strong>puis le stimulus jusqu'à <strong>la</strong> représentation mentale.interne » qui dépend <strong>de</strong> facteurs comme l'étatphysiologique du corps, l'état <strong>de</strong> vigi<strong>la</strong>nce oul'état émotionnel…Ainsi, d'autres structures encore, parexemple celles impliquées <strong>dans</strong> l'éveil et l'attention,<strong>de</strong> même que les zones limbiquesimpliquées <strong>dans</strong> les émotions et <strong>la</strong> mémoireinterviennent <strong>dans</strong> <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> perceptionconsciente. À tout moment, lesystème nerveux traite puis interprète lessignaux provenant <strong>de</strong>s organes <strong>de</strong>s sens entenant compte <strong>de</strong> tous ces états pour en extraire<strong>de</strong>s informations qui seront alorsconfrontées avec les données en mémoire.Au niveau cellu<strong>la</strong>ire, on peut voir <strong>la</strong> perceptioncomme <strong>la</strong> résultante d'un travail d'interprétationqui naît <strong>de</strong> <strong>la</strong> coopération <strong>de</strong>milliards <strong>de</strong> neurones situés <strong>dans</strong> différenteszones cérébrales dont chacune remplit unefonction spécifique.Les scientifiques s'accor<strong>de</strong>nt aujourd'hui àdire que le lien entre tous les attributs d'unmême objet ainsi que <strong>la</strong> cohérence d'unesituation perceptive résulteraient d'une synchronisationdu rythme <strong>de</strong> décharge <strong>de</strong>sneurones situés <strong>dans</strong> les différentes airescérébrales (plus ou moins éloignées) impliquées<strong>dans</strong> le même traitement perceptif.De plus, certains formulent l'hypothèseselon <strong>la</strong>quelle <strong>notre</strong> perception personnelleconsciente émergerait <strong>de</strong> cette coactivationsynchrone couplée avec <strong>la</strong> mise en réseau ducortex frontal (zone responsable, entreautres, <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> décision, du raisonnementet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée abstraite).Mais là s'arrêtent les connaissances scientifiquesactuelles. Les chercheurs s'emploientencore aujourd'hui à aller plus loin <strong>dans</strong> <strong>la</strong> compréhension<strong>de</strong>s mécanismes qui sous-ten<strong>de</strong>nt <strong>la</strong>perception consciente subjective.<strong>Un</strong> cerveaupour donner du sens aux sensLes êtres vivants ont toujours eu besoin <strong>de</strong>reconnaître à tout instant les obstacles, les dangers,les proies, les partenaires ou <strong>la</strong> nourriture


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 631© E. Bastid.Percevoir <strong>la</strong> beautédu <strong>mon<strong>de</strong></strong> n'est en faitqu'une succession<strong>de</strong> mécanismes purementélectriques et chimiques.Hallucinant, non ?qu'ils doivent éviter ou atteindre. Ainsi, lessystèmes perceptifs ont été sélectionnés parl'évolution, puis se sont complexifiés au fil <strong>de</strong>ssiècles et <strong>de</strong>s millénaires.Les systèmes perceptifs humains sont sisophistiqués et complexes, qu'il n'est pas possibled'intégrer à chaque instant en temps réell'ensemble <strong>de</strong>s informations sensorielles quiproviennent <strong>de</strong> <strong>notre</strong> environnement et <strong>de</strong>sévénements qui s'y déroulent.Pour pallier cette impossibilité, <strong>de</strong>ssystèmes <strong>de</strong> filtrage et <strong>de</strong> simplification sesont mis en p<strong>la</strong>ce au hasard <strong>de</strong> l'évolution etont été conservés lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> sélection naturelle.On l'aura compris, le fonctionnement <strong>de</strong> <strong>la</strong>perception ne se réduit donc pas à un simpleexamen <strong>de</strong>s données sensorielles, mais relève<strong>de</strong> processus séquentiels actifs qui reposentsur <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d'un certain nombre <strong>de</strong>mécanismes biologiques.Au regard <strong>de</strong>s données scientifiques expérimentales,les chercheurs en sciences cognitivesont défini quelques principes surlesquels repose <strong>la</strong> perception humaine.La perception est rendue possible grâce à uncâb<strong>la</strong>ge neuronal qui se met en p<strong>la</strong>ce lors dudéveloppement embryonnaire. Le cerveaupeut avoir très tôt une première perception du<strong>mon<strong>de</strong></strong> à partir d'un ensemble <strong>de</strong> schémasconceptuels prédéfinis (schèmes innés). Cesstructures seront ensuite à <strong>la</strong> base <strong>de</strong> schèmesqui découleront d'un apprentissage et quiviendront enrichir <strong>la</strong> préperception innée.Le cerveau humain possè<strong>de</strong> donc <strong>de</strong>smodèles internes du <strong>mon<strong>de</strong></strong> et du corps quicorrespon<strong>de</strong>nt à une sorte <strong>de</strong> bibliothèque <strong>de</strong>représentations, bibliothèque remplie parl'expérience individuelle tout au long <strong>de</strong> <strong>la</strong>vie. Ainsi, percevoir est aussi le résultat d'unapprentissage : le cerveau stocke les informations,les interprète et s'en sert pour agir efficacementet <strong>de</strong> façon appropriée.Le cerveau procè<strong>de</strong> également en permanenceà une sélection parmi les informationssensorielles qu'il reçoit. Le cerveau peut faireconfiance à tel ou tel sens, à telle ou tellemodalité selon <strong>la</strong> situation et selon son intentiond'action. En d'autres termes, percevoir,c'est également faire <strong>de</strong>s choix, sélectionnerune interprétation plutôt qu'une autre.Percevoir, c'est encore réduire les ambiguïtéset lever les indéterminations véhiculées parles informations provenant du <strong>mon<strong>de</strong></strong>.Plus encore, grâce à ses modèles internes, lecerveau est capable <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s hypothèses.En simu<strong>la</strong>nt le <strong>mon<strong>de</strong></strong> <strong>dans</strong> sa <strong>tête</strong>, lecerveau peut, à partir d'un petit nombre d'informationsqui lui servent d'amorces sensorielles,compléter les éléments manquant <strong>de</strong>ces indices perceptifs et reconstruire un tout.Pour vérifier ses hypothèses, le cerveau lesconfronte à <strong>la</strong> réalité. Il crée ainsi une perceptioninterprétative qui lui permet <strong>de</strong> prédire etanticiper une réponse comportementaleadaptée à <strong>la</strong> situation.C'est l'ensemble <strong>de</strong> ces processus quiconduira à <strong>notre</strong> perception, c'est-à-dire à êtreconscient d'un objet, d'un événement, d'unesituation. Grâce à tous ces mécanismes, lecerveau a <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> projeter sur le <strong>mon<strong>de</strong></strong>ses propres préperceptions construites à partir


32D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6<strong>de</strong> structures internes du cerveau. On pourraitdire, en quelque sorte, que le cerveau imposeau <strong>mon<strong>de</strong></strong> sa propre interprétation.Le pouvoir projectif du cerveau fait qu'iln'assemble pas seulement les données du<strong>mon<strong>de</strong></strong> mais qu'il construit le <strong>mon<strong>de</strong></strong> sensibleen fonction <strong>de</strong> ses projets. Donc percevoir,c'est déjà s'engager <strong>dans</strong> un processus <strong>de</strong> décision,c'est déjà prendre une direction plutôtqu'une autre.À chacun sa perceptionLa perception est le produit final d'un acte <strong>de</strong>construction complexe qui reflète <strong>la</strong> réalitémais qui n'est pas <strong>la</strong> réalité.En effet, d'une part <strong>la</strong> perception se construità partir d'un grand nombre d'éléments, <strong>de</strong>paramètres à partir <strong>de</strong>squels les systèmes etles mécanismes cérébraux permettent <strong>de</strong> faireémerger une unité perceptive. Mais d'autrepart, <strong>la</strong> perception reconstruit <strong>dans</strong> <strong>notre</strong> cerveauune sorte <strong>de</strong> <strong>mon<strong>de</strong></strong> modélisé ou unmodèle <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité.Le <strong>mon<strong>de</strong></strong> <strong>dans</strong> lequel nous vivons est tellementriche qu'il serait impossible <strong>de</strong> traitertoutes les informations qu'il contient. Ainsi,l'évolution a permis <strong>de</strong> faire en sorte que lessystèmes perceptifs puissent effectuer <strong>de</strong>s triset <strong>de</strong>s sélections qui dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> nosbesoins, <strong>de</strong> nos désirs et <strong>de</strong> nos objectifs maisaussi <strong>de</strong> nos expériences passées.Dans <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s cas, l'interprétationque nous faisons du <strong>mon<strong>de</strong></strong> est remarquablementfidèle, reproductible, stable etsuffisamment exacte pour nous permettred'avoir une représentation pertinente <strong>de</strong> <strong>notre</strong>environnement. Mais parfois, ce que nous percevonsne correspond pas à ce qui est physiquementprésent <strong>dans</strong> le <strong>mon<strong>de</strong></strong>, et n'est pas lereflet véridique d'une situation. Ce sont cessituations que l'on regroupe sous le termed'illusions et que l'on qualifie souvent d'erreurs<strong>de</strong>s sens. En fait, rien ne nous trompe, nile cerveau ni nos sens ; nos systèmes perceptifssont induits en erreur par le réel.Percevoir, c'est aussi prédire le futur proche,en tout cas faire <strong>de</strong>s prédictions sur le déroulementet <strong>la</strong> suite <strong>de</strong>s événements que l'onperçoit à un instant donné. Ce<strong>la</strong> est indispensablepour p<strong>la</strong>nifier nos actions. Car il fautgar<strong>de</strong>r à l'esprit que <strong>la</strong> perception est au service<strong>de</strong> l'action et que <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion entre perceptionet action est à l'origine <strong>de</strong>s fonctionscognitives les plus complexes du cerveau.Et si <strong>notre</strong> cerveau nous permet uniquementd'avoir accès à un point <strong>de</strong> vue restreint sur le<strong>mon<strong>de</strong></strong>, n'oublions jamais que <strong>la</strong> confrontation<strong>de</strong> nos représentations personnelles nous enrichitles uns les autres. C'est d'ailleurs souventà partir <strong>de</strong> cette confrontation <strong>de</strong> points <strong>de</strong>vue différents que naissent les <strong>découverte</strong>sscientifiques.Ainsi, c'est <strong>la</strong> perception <strong>de</strong> chacun qui fait<strong>la</strong> richesse du <strong>mon<strong>de</strong></strong> humain.A. H.-M., M. C., S. B.-N. et T. S.L'équipe <strong>de</strong> biologistes qui a participé àl'é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s messages scientifiques<strong>de</strong> l'exposition est composée <strong>de</strong> médiateursscientifiques du <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong><strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>découverte</strong>.Pour aller plus loin <strong>dans</strong> l'explicationscientifique concernant <strong>la</strong> perception etles illusions, nous vous invitons à venirassister à l'un <strong>de</strong>s nombreux exposésprésentés chaque jour au <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>découverte</strong>.

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