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VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002VIIe congrès <strong>de</strong> l’<strong>Association</strong> française<strong>de</strong> <strong>science</strong> <strong>politique</strong>Lil<strong>le</strong>, 18, 19, 20 et 21 septembre 2002Tab<strong>le</strong>-ron<strong>de</strong> n°4« La radicalisation en <strong>politique</strong> »Sous la direction <strong>de</strong>Annie Collovald et B. GaïtiLa “ radicalisation ” en <strong>politique</strong> comme modè<strong>le</strong> explicatif en histoire :l’exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’Histoire d’Ang<strong>le</strong>terre <strong>de</strong> D. Hume [1754-1762]Clau<strong>de</strong> GautierUniversité Ju<strong>le</strong>s Verne <strong>de</strong> Picardie, Amiens.I. Enoncé du problèmeDans un rapi<strong>de</strong> propos liminaire je voudrais tout d’abord indiquer comment j’entendsévoquer <strong>le</strong> problème <strong>de</strong> la radicalisation en <strong>politique</strong> ; ensuite, justifier l’intérêt que l’onpeut porter aux historiens <strong>de</strong>s Lumières pour comprendre comment il a pu servir <strong>de</strong>“ modè<strong>le</strong> ” explicatif pour rendre compte <strong>de</strong> situations particulières <strong>de</strong> crise et <strong>de</strong> changement<strong>de</strong> conjoncture <strong>politique</strong>, entre autres lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> décrire <strong>de</strong>s événements comme <strong>le</strong>sguerres civi<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> religion voire la révolution.Ces historiens ont formé ce que l’on appel<strong>le</strong> désormais l’Eco<strong>le</strong> Historique Ecossaise etj’en retiendrais un, tout particulièrement, connu comme philosophe mais célèbre en son tempspour ses écrits historiques ; je veux par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> David Hume et <strong>de</strong> sa monumenta<strong>le</strong> Histoired’Ang<strong>le</strong>terre.Définition provisoire <strong>de</strong> la radicalisationMettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> radicalisation en <strong>politique</strong> revient tout d’abord àprivilégier un type <strong>de</strong> dynamique où <strong>le</strong> temps joue un rô<strong>le</strong> <strong>de</strong> premier plan, un temps p<strong>le</strong>in,concret et producteur d’effets que l’on peut repérer, par exemp<strong>le</strong>, à travers <strong>le</strong>s anticipations,<strong>le</strong>s représentations et <strong>le</strong>s projections <strong>de</strong>s acteurs, mais aussi à travers <strong>le</strong> temps du récit, d’unévénement, sa chronologie.Mais la radicalisation ne suggère pas seu<strong>le</strong>ment un rapport privilégiée au temps ; el<strong>le</strong>indique aussi que <strong>le</strong> type <strong>de</strong> transformations dont il s’agit porte sur <strong>le</strong>s intensités et sur lagénéralisation <strong>de</strong> ses effets. On peut dire que la radicalisation est toujours une affaired’intensité : <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, par exemp<strong>le</strong>, par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> fanatisme n’est pas la même chose quepar<strong>le</strong>r <strong>de</strong> fanatisation. Dans un cas, et ce n’est pas un hasard, <strong>le</strong> fanatisme réduit la comp<strong>le</strong>xité1
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002d’un phénomène en attribuant <strong>de</strong>s “ états ”, <strong>le</strong> fanatique, <strong>le</strong> coléreux, l’intolérant, etc., à <strong>de</strong>sindividus ; substantive et, <strong>le</strong> plus souvent, moralise ce qui est posé comme une détermination<strong>de</strong> la personne ou du caractère. Dans l’autre cas, l’étu<strong>de</strong> empirique permet <strong>de</strong> décrire lafanatisation comme un processus, comme une construction qui joue sur <strong>de</strong>s circonstances, <strong>de</strong>sactions et <strong>de</strong>s événements. On ne naît pas fanatique, on peut <strong>le</strong> <strong>de</strong>venir.“ De nos jours, dit Ju<strong>le</strong>s Miche<strong>le</strong>t, j’ai pu observer dans <strong>le</strong> petit, dans <strong>le</strong> bas, dans <strong>le</strong>ruisseau <strong>de</strong> la rue, comment on travail<strong>le</strong> ecclésiastiquement la haine et l’émeute ” [J. Miche<strong>le</strong>t,1847, 1979 : Histoire <strong>de</strong> la Révolution Française, Paris, p. 64]. Ainsi s’exprimait-il dans sa“ Préface ” à l’édition <strong>de</strong> 1847 <strong>de</strong> l’Histoire <strong>de</strong> la Révolution Française, à propos <strong>de</strong> certains<strong>de</strong>s événements qui avaient marqué <strong>le</strong> déc<strong>le</strong>nchement <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Vendée. La haine, toutcomme <strong>le</strong> fanatisme, qui n’en est jamais qu’une modalité col<strong>le</strong>ctive particulièrement opératoire,sont donc <strong>de</strong>s affects qui se “ travail<strong>le</strong>nt ”. Un travail qui a pour résultat d’intensifier, je diraispresque en un sens physique, <strong>le</strong>s quantités <strong>de</strong> force qui lui sont reliées ; <strong>de</strong> généraliser, c’està-dire<strong>de</strong> faire en sorte que ce qui n’était que discret, discontinu <strong>de</strong>vienne continu et général et,par conséquent se transforme. De tels processus peuvent re<strong>le</strong>ver <strong>de</strong> ce que l’on appel<strong>le</strong>“ radicalisation ”.La radicalisation en <strong>politique</strong> permet donc, entre autres choses, <strong>de</strong> désigner, dans untemps qui est celui <strong>de</strong> l’événement, <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> mobilisation qui supposent <strong>de</strong>s formesd’intensification et <strong>de</strong> généralisation portant sur <strong>de</strong>s propriétés spécifiques, <strong>de</strong>s passions, maispas seu<strong>le</strong>ment, avec pour effet un changement d’état, <strong>de</strong> rapport <strong>de</strong>s forces, etc.Ainsi entendue, mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> radicalisation en <strong>politique</strong> estpeut être un moyen <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> la concaténation d’événements à partir <strong>de</strong>squels senouent <strong>de</strong>s crises comme <strong>le</strong> déc<strong>le</strong>nchement d’une guerre civi<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s dynamiques <strong>de</strong> fanatisationdans <strong>le</strong>s guerres <strong>de</strong> religion, etc. Par<strong>le</strong>r en ces termes <strong>de</strong> radicalisation c’est peut-être se donner<strong>le</strong>s moyens <strong>de</strong> comprendre comment l’agencement <strong>de</strong> certaines circonstances peut permettre à<strong>de</strong>s conduites singulières, à <strong>de</strong>s comportements particuliers d’avoir un poids causalparticulièrement fort.Décrire <strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> radicalisation en <strong>politique</strong> exige alors que l’on prenne ausérieux l’agencement <strong>de</strong>s circonstances et la dynamique <strong>de</strong>s conduites parce que dans laradicalisation se joue <strong>de</strong> manière exemplaire <strong>le</strong>s formes d’une articulation efficace entre cessituations et <strong>de</strong>s conduites <strong>de</strong> rupture ou d’innovation, qu’el<strong>le</strong>s émanent d’individus ou/et <strong>de</strong>groupes.Pourquoi <strong>le</strong>s historiens du XVIIIe sièc<strong>le</strong> ?Je serai bref sur ce point compliqué. Je souhaiterais seu<strong>le</strong>ment rappe<strong>le</strong>r que ceshistoriens <strong>de</strong> l’Eco<strong>le</strong> écossaise ont eu à faire un travail considérab<strong>le</strong>. Il s’agissait, pour laplupart, <strong>de</strong> décrire <strong>le</strong>s consécutions <strong>de</strong> faits qui ont abouti aux guerres civi<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s années 1640,au Protectorat, à la Restauration puis, enfin, à la Glorieuse Révolution <strong>de</strong> 1689. Il s’agissait <strong>de</strong><strong>le</strong> faire en inventant <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s formes <strong>de</strong> narration, <strong>de</strong> nouveaux dispositifs <strong>de</strong> présentationplus objectifs, moins soumis aux attractions partisanes, moins susceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> récupérationsou <strong>de</strong> réductions par <strong>le</strong> pouvoir du souverain.Je ne m’étendrais pas ici sur ce fait que cette pério<strong>de</strong> est majeure pour ceux qui ont àécrire l’histoire <strong>de</strong> la constitution <strong>de</strong> l’histoire en discipline, en un savoir positif au sensmo<strong>de</strong>rne du terme. Parmi <strong>le</strong>s innovations qui, sur <strong>le</strong> plan <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> tout comme sur celui<strong>de</strong>s interprétations, vont permettre une compréhension plus large, moins polémique et plus2
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002rigoureuse, <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> la révolution, il en est une qui nous intéresse iciparticulièrement, et qui joue un rô<strong>le</strong> décisif dans la manière <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> l’agencement<strong>de</strong> certaines conjonctures : je veux par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la radicalisation en <strong>politique</strong>.Rendre compte <strong>de</strong> tels phénomènes d’intensification, <strong>de</strong> généralisation, suppose en effetau moins une condition essentiel<strong>le</strong> : s’interdire <strong>de</strong> confondre déterminations mora<strong>le</strong>s <strong>de</strong>scaractères, <strong>de</strong>s individus, et dynamique objective <strong>de</strong>s événements. Affirmer que certainsévénements trouvent <strong>le</strong>urs raisons dans <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> “ radicalisations ” qui, pour êtrecomprises et correctement décrites, exigent <strong>de</strong> prendre au sérieux <strong>le</strong> jeu <strong>de</strong>s circonstances, <strong>le</strong>stypes <strong>de</strong> conduites émanant <strong>de</strong> groupes spécifiques ou d’individus, c’est, éga<strong>le</strong>ment,démarquer l’histoire comme discours sur la société <strong>politique</strong>, <strong>de</strong> tout ce qui relève <strong>de</strong> la mora<strong>le</strong>,<strong>de</strong> la métaphysique ou <strong>de</strong> l’hagiographie. C’est donner aux faits et à <strong>le</strong>ur dynamique uneimportance <strong>de</strong> tout premier ordre.Pour <strong>le</strong> dire autrement, raisonner en terme <strong>de</strong> radicalisations revient à donner au discoursque l’on tient sur ses objets, <strong>le</strong>s marques d’une véritab<strong>le</strong> positivité. J’ai choisi d’illustrer cesaffirmations à partir d’un auteur dont l’influence, en tant qu’historien, fut considérab<strong>le</strong>, ycompris pour la formation du projet français d’une histoire libéra<strong>le</strong> <strong>de</strong>s années 1820-1850,pour la formation plus tardive <strong>de</strong> l’histoire positive <strong>de</strong>s années 1870-1914, je veux par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>David Hume et <strong>de</strong> son Histoire d’Ang<strong>le</strong>terre. Cette histoire est rédigée pendant près <strong>de</strong> dixannées, 1754-1762 et el<strong>le</strong> fera l’objet <strong>de</strong> nombreuses modifications jusqu’à sa versiondéfinitive <strong>de</strong> 1778.Je voudrais justifier ce choix à partir d’un ou <strong>de</strong>ux exemp<strong>le</strong>s pour montrer comment cetauteur peut rendre compte <strong>de</strong> la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong> certains événements par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> laradicalisation. Le premier exemp<strong>le</strong> portera sur la <strong>de</strong>scription d’une dynamique <strong>de</strong> fanatisationet, si <strong>le</strong> temps <strong>le</strong> permet, <strong>le</strong> second, portera sur une dynamique <strong>de</strong> montée en généralité par <strong>le</strong>biais <strong>de</strong> l’opinion publique. Dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux cas, ce que Hume tente <strong>de</strong> montrer, c’est que laradicalisation est l’occasion <strong>de</strong> construire un rapport <strong>de</strong> force susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong>bou<strong>le</strong>verser la forme d’une conjoncture <strong>politique</strong> et <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s effets radicauxparticulièrement novateurs.II. Le “ travail ” <strong>de</strong> la haine, la fanatisation comme mouvement <strong>de</strong> radicalisationIl n'y a pas, dans l’Histoire d'Ang<strong>le</strong>terre 1 <strong>de</strong> théorie du fanatisme. Ce <strong>de</strong>rnier esttoujours envisagé comme un effet, tout simp<strong>le</strong>ment parce que Hume part du postulat selon<strong>le</strong>quel il convient <strong>de</strong> renoncer à voir celui-ci comme un attribut. Par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> fanatisme est doncinadéquat ; il conviendra plutôt <strong>de</strong> raisonner en terme <strong>de</strong> fanatisation. Il n'y a pas <strong>de</strong> théoriegénéra<strong>le</strong> mais, au contraire, il y a ce présupposé que l'étu<strong>de</strong> du fanatisme ne peut êtreenvisagée que dans l'univers <strong>de</strong>s pratiques, <strong>de</strong>s conduites et <strong>de</strong>s relations que ces <strong>de</strong>rnièresnouent avec <strong>le</strong>s circonstances qui <strong>le</strong>s ren<strong>de</strong>nt possib<strong>le</strong>s.De tels principes reviennent, sur <strong>le</strong> plan <strong>de</strong> la démarche, à privilégier <strong>le</strong> point <strong>de</strong> vued'une histoire en tant qu'el<strong>le</strong> est <strong>le</strong> discours qui donne toute son importance aux jeux <strong>de</strong>scirconstances, déterminations essentiel<strong>le</strong>s à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits <strong>de</strong> radicalisation. Le volume V <strong>de</strong>cette Histoire d'Ang<strong>le</strong>terre, consacrée à la fin <strong>de</strong> la dynastie <strong>de</strong>s Stuart, commence par <strong>le</strong> règne1- D. Hume [1778] : The History of England, from the Invasion of Julius Caesar to The Revolution in 1688,in six volumes [HE]. On se reporte à l'édition Liberty Classics Edition, Indianapolis 1983. La rédaction <strong>de</strong> cettehistoire s'étend <strong>de</strong> 1754 à 1762.3
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002<strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s Ier et tente <strong>de</strong> comprendre comment il se fait que ce roi, par une série d'erreurs,dans <strong>le</strong>s années 1630, va embraser l'Ecosse presbytérienne et la sou<strong>le</strong>ver, religieusement,<strong>politique</strong>ment bien sûr et, pour finir, militairement, contre son autorité. On peut distinguertrois moments dans cette analyse qu'il convient d'évoquer rapi<strong>de</strong>ment.Premier moment : la qualification du doub<strong>le</strong> niveau d'analyse <strong>de</strong> la dynamique <strong>de</strong>fanatisationCe premier moment repose sur la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la collusion entre <strong>de</strong>ux sériesd'événements : d'une côté, un con<strong>texte</strong> politico-religieux particulièrement tendu ; <strong>de</strong> l'autre, unesérie <strong>de</strong> décisions erronées et arbitraires <strong>de</strong> la part du roi et <strong>de</strong> ses ministres.- Du côté du con<strong>texte</strong> d'abord : <strong>de</strong>s relations diffici<strong>le</strong>s entre l'Anglicanisme menacée <strong>de</strong>l'intérieur par <strong>le</strong>s velléités papistes du Roi et <strong>de</strong> son Archevêque Laud, entre temps <strong>de</strong>venuConseil<strong>le</strong>r, mais aussi <strong>de</strong>s relations agressives entre l'Eglise d'Etat et <strong>le</strong> Presbytère qui refusetoujours l'alignement sur <strong>le</strong>s questions du dogme et <strong>de</strong> la liturgie. A quoi s'ajoute, bien sûr, <strong>le</strong>problème lancinant <strong>de</strong>s rapports <strong>politique</strong>s entre l'Ecosse et l'Ang<strong>le</strong>terre.- Du côté <strong>de</strong>s décisions, <strong>de</strong>s actes déclancheurs ensuite : en 1637 Char<strong>le</strong>s Ier déci<strong>de</strong> d'imposer,par la menace et <strong>le</strong> recours à la force, l'unification du canon liturgique en Ecosse. Et cettedécision est tout <strong>de</strong> suite qualifiée par Hume d'arbitraire 2 non pas parce qu'il s'agirait là d'unacte tyrannique, mais parce que cette décision trahit la coupure <strong>de</strong>venant <strong>de</strong> plus en plusmanifeste entre l'univers <strong>de</strong>s représentations du roi portant sur ses prérogatives et la nature dulien avec son peup<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s représentants religieux et <strong>politique</strong>s qui préten<strong>de</strong>nt porter <strong>le</strong>sintérêts du peup<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'autre.C'est donc à partir <strong>de</strong> ce doub<strong>le</strong> point <strong>de</strong> vue que Hume va repérer la particularité <strong>de</strong>scirconstances qui déclanchent <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong> haine et <strong>de</strong> fanatisme : d'une part, ce quiappartient au jeu d'une dynamique presque mécanique et plus objective <strong>de</strong> la concaténation<strong>de</strong>s mouvements où <strong>le</strong>s situations et <strong>le</strong>s actes produisent <strong>de</strong>s effets ; d'autre part, ce quiappartient au registre <strong>de</strong> ce qu'on appel<strong>le</strong> aujourd'hui une certaine compréhension par laquel<strong>le</strong>on s'i<strong>de</strong>ntifie aux vues <strong>de</strong> celui qui agit ou déci<strong>de</strong>.Il <strong>de</strong>vient possib<strong>le</strong>, dans ces conditions, <strong>de</strong> rendre compte du caractère arbitraire <strong>de</strong> la<strong>politique</strong> roya<strong>le</strong> en repérant et décrivant la série <strong>de</strong>s actions et réactions qui s'enchaînent etconduisent à l'embrasement. Il s'agit là du second moment <strong>de</strong> l'analyse.Deuxièmement moment : Le mouvement <strong>de</strong> la fanatisationpar <strong>le</strong> jeu <strong>de</strong>s actions et <strong>de</strong>s réactionsIl serait intéressant ici <strong>de</strong> revenir sur la manière dont Hume agence cette <strong>de</strong>scription enmontrant comment la série <strong>de</strong>s actions alimentent <strong>de</strong>s croyances non congruentes quirenforcent, en retour, l'incompréhension réciproque et facilitent l'enrô<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> factions, <strong>de</strong>groupes au service <strong>de</strong> la contestation.Ainsi, pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> écossais, conditionné par <strong>le</strong>s membres du c<strong>le</strong>rgé, la liturgie qu'onvoulait <strong>le</strong>ur imposer n'était jamais qu'une "sorte <strong>de</strong> messe" [HE, liii, 112], par <strong>le</strong> biais <strong>de</strong>laquel<strong>le</strong> on réintroduisait toutes "<strong>le</strong>s abominations du papisme" [HE, liii, 112]. De tel<strong>le</strong>s2- Voir History of England, Chap. liii, p. 112.4
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002impositions ne pouvaient qu'alimenter la prévention contre <strong>le</strong> roi et rendre <strong>le</strong>s écossais encoreplus rétifs à toute exigence <strong>de</strong> soumission.De l'autre côté, refusant <strong>de</strong> surseoir, <strong>le</strong> roi renforçait presque mécaniquement <strong>le</strong>srésistances écossaises et provoquait une augmentation purement circonstanciel<strong>le</strong> du zè<strong>le</strong>presbytérien contre cette “odieuse nouveauté” [HE, liii, 113]. Il s'agissait là, et Hume <strong>le</strong>montre avec gran<strong>de</strong> subtilité, non pas du zè<strong>le</strong> presbytérien en général mais d'une variationmomentanée <strong>de</strong> son intensité qui va rencontrer et faire écho à <strong>de</strong>s discours et à <strong>de</strong>s actes,<strong>le</strong>squels, parés <strong>de</strong> toute vraisemblance, venaient renforcer <strong>de</strong>s croyances et induire <strong>de</strong>s actions.C'est alors que, je cite :“tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> commença à s'unir et à s'encourager mutuel<strong>le</strong>ment contre <strong>le</strong>sreligieuses innovations qu'on voulait introduire en Ecosse" [HE, liii, 113].Cette fédération <strong>de</strong>s actions, en d'autres termes, cette mobilisation est immédiatementdécrite par Hume comme un mouvement d'extension et <strong>de</strong> généralisation. Non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>c<strong>le</strong>rgé “déclama” [114] contre <strong>le</strong> roi, mais toutes <strong>le</strong>s Eglises se mirent à retentir “d'invectivescontre l’antéchrist” [Ibid.]. Bien plus encore, la dynamique <strong>de</strong>s factions <strong>politique</strong>s allaitpouvoir s'adosser à “la cha<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> la religion” [Ibid.]. Les conditions étaient alors réunies pourque se développent <strong>le</strong>s soulèvements <strong>le</strong>s plus dangereux. Insistant sur <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> actif <strong>de</strong>s “chefpopulaires”, <strong>de</strong>s “discours en chaire” [116-sq], Hume met en évi<strong>de</strong>nce cette dimensionessentiel<strong>le</strong> du déploiement du fanatisme par l'incitation à la haine, objet d'un véritab<strong>le</strong> travail<strong>de</strong> production et par la radicalisation <strong>de</strong> ses effets :Aussi n'est-il pas étonnant que Hume accor<strong>de</strong> une attention particulière à la constitutionpuis au dérou<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong> l'“Assemblée <strong>de</strong> l'Eglise d'Ecosse” qui se tiendra àGlasgow en 1639 [118-sq]. Toutes <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> composition <strong>de</strong> ladite assemblée, montreHume, permettaient d'accentuer la représentation et l'impact <strong>de</strong>s plus zélés, <strong>de</strong>s “plus ar<strong>de</strong>nts<strong>de</strong> chaque ordre qui étaient choisis”. Citons Hume :"pour y préparer <strong>le</strong>s esprits, ils avaient fait présenter au presbytère d'Edimbourg,et lire so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment dans toutes <strong>le</strong>s églises du royaume, une accusation contre <strong>le</strong>sévêques, dans laquel<strong>le</strong> ceux-ci étaient tous chargés d'hérésie, <strong>de</strong> simonie, <strong>de</strong> brigue,<strong>de</strong> parjure, d'adultère, <strong>de</strong> fornication, d'imposture, <strong>de</strong> jurements, d'ivrognerie, <strong>de</strong>passions pour <strong>le</strong> jeu, etc.” [199]Hume ne s'arrête pas là et montre comment l'efficace <strong>de</strong> cet agencement <strong>de</strong>sreprésentations était lui même soutenu par un état donné <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> force objectifs : d'uncôté, un roi sans force armée réglée ; <strong>de</strong> l'autre, un peup<strong>le</strong> qui, enflammé par <strong>de</strong> religieuses“préventions” et par une “aversion nationa<strong>le</strong> pour l'Ang<strong>le</strong>terre”, cette “vieil<strong>le</strong> ennemie” ; qui,en dépit d'un nombre plus faib<strong>le</strong> <strong>de</strong> soldats, allait compenser ce handicap par un surcroît <strong>de</strong>ferveur. Citons encore une fois Hume :"Les chaires avaient été d'un très grand secours aux officier pour <strong>le</strong>ver <strong>de</strong>s troupes,et n'avaient pas manqué <strong>de</strong> lancer <strong>de</strong>s anathèmes sur ceux qui ne partaient paspour assister <strong>le</strong> Seigneur contre <strong>le</strong>s ennemi <strong>de</strong> son nom.” [125].Donc d'un côté, une armée au comportement mercenaire, tributaire du versement <strong>de</strong> lasol<strong>de</strong> et tiè<strong>de</strong> vis-à-vis <strong>de</strong>s motifs <strong>de</strong> guerre ; <strong>de</strong> l'autre, une armée qui se rapprochait <strong>de</strong> plusen plus, par son esprit, <strong>de</strong> la milice, doub<strong>le</strong>ment motivée qu'el<strong>le</strong> étaient à vouloir triompher <strong>de</strong>l'ennemi anglais. Nous parvenons au troisième moment <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription du processus.5
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002Troisième moment : l'autonomisation <strong>de</strong> la dynamique passionnel<strong>le</strong> vis-à-vis <strong>de</strong>scirconstances qui lui ont donnée naissanceEn effet, après avoir constaté son impuissance <strong>de</strong> fait, <strong>le</strong> Roi entre dans une série <strong>de</strong>concessions [116-117] qui, loin <strong>de</strong> satisfaire <strong>le</strong>s opposants, allaient renforcer l’intransigeanceet la vio<strong>le</strong>nce <strong>de</strong>s chefs religieux et populaires écossais.Dès lors, la dynamique change <strong>de</strong> nature ; el<strong>le</strong> parvient à ce moment particulier où <strong>le</strong>sconditions qui lui ont donné naissance, du moins cel<strong>le</strong>s qui l’ont déc<strong>le</strong>nché, cessent <strong>de</strong> porter <strong>le</strong>mouvement d’actions et <strong>de</strong> réactions. Celui-ci s’émancipe, s’autonomise en quelque sorte.Alors, la menace du papisme, par <strong>le</strong> biais <strong>de</strong> la réforme du canon, est relayée par une autredynamique affective. Ce qui <strong>de</strong>vient premier, pour ainsi dire, dans l’ordre <strong>de</strong>s motifs, tenait <strong>de</strong>plus en plus au maintien sinon à la consolidation <strong>de</strong> l’unité du front ainsi constituée. Raisonpour laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s écossais allaient refuser <strong>le</strong>s propositions roya<strong>le</strong>s qui, pensaient-ils, n’auraientpas d’autre effet que <strong>de</strong> <strong>le</strong>s diviser, <strong>le</strong>s affaiblir [118-119].Ce qui <strong>de</strong>venait premier, dans l’ordre <strong>de</strong>s motifs, était alors la construction d’une unité,la lutte contre <strong>le</strong> risque <strong>de</strong> division que la concaténation <strong>de</strong>s passions, par <strong>le</strong> jeu <strong>de</strong> la haine etdu mépris, ne pouvait manquer d’alimenter. Dans un tel con<strong>texte</strong>, la dimension essentiel<strong>le</strong>mentaffective et passionnel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s rapports d’opposition <strong>de</strong>venait susceptib<strong>le</strong> <strong>de</strong> se reproduire et <strong>de</strong>s’amplifier indéfiniment ; el<strong>le</strong> parvenait à se décontextualiser voire à s’autonomiser. Alors <strong>le</strong>jeu <strong>de</strong>s passions <strong>de</strong>vait pouvoir y trouver un nouvel élan et, parce que <strong>le</strong>s circonstances s’yprêtaient, <strong>le</strong> travail <strong>de</strong> fanatisation, <strong>de</strong> généralisation pouvait y produire tous ses effets.Il serait intéressant, ce que je ne ferais pas ici, <strong>de</strong> montrer comment, dans un tel moment,<strong>le</strong>s fabulations, <strong>le</strong>s inventions et <strong>le</strong>s accusations <strong>le</strong>s plus diverses, portant sur <strong>de</strong>s personnes,sur <strong>de</strong>s actes, mais aussi sur <strong>de</strong>s intentions, vont avoir prise sur <strong>le</strong>s croyances populaires, vont<strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s médiations parfaitement efficaces pour orienter <strong>le</strong>s actions et <strong>le</strong>s réactions. En unmot, l’agencement <strong>le</strong>s circonstances était <strong>de</strong>venu tel que <strong>le</strong>s individus, <strong>le</strong>s regroupements dontils étaient susceptib<strong>le</strong>s, pouvaient croire ce qui <strong>le</strong>ur était raconté en chaire, dans <strong>le</strong>s lieuxpublics et trouver ainsi <strong>le</strong>s raisons d’une mobilisation plus généra<strong>le</strong> contre l’Eglised’Ang<strong>le</strong>terre et, par voie d’extension, contre l’Ang<strong>le</strong>terre et tout ce qu’el<strong>le</strong> représentait auxyeux <strong>de</strong>s Ecossais.La mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong>s explications retenues tient, entre autres choses, au souci <strong>de</strong> tenirensemb<strong>le</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s circonstances et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dynamiques affectives. Ces <strong>de</strong>rnières ne sontjamais envisagées pour el<strong>le</strong>s-mêmes mais toujours en relation avec <strong>de</strong>s con<strong>texte</strong>s qui <strong>le</strong>urdonnent une puissance d’action. Si <strong>le</strong> fanatisme est un affect social, si l’expression peut avoirun sens, c’est seu<strong>le</strong>ment parce qu’il désigne quelque chose <strong>de</strong> commun à aux hommes qui,adossé à <strong>de</strong>s circonstances particulières, peut se développer sous la forme <strong>de</strong> conduitesdévastatrices dans <strong>le</strong>urs effets. En ce sens, analyser <strong>le</strong>s conduites <strong>de</strong> “ fanatisation ” relèvelégitimement <strong>de</strong> ces phénomènes <strong>de</strong> radicalisation en <strong>politique</strong> au moyen <strong>de</strong>squels rendrecompte <strong>de</strong> certains changements <strong>de</strong> conjonctures <strong>politique</strong>s.Sur cet exemp<strong>le</strong> précis que j’évoquais, et sans prétendre réduire la comp<strong>le</strong>xité <strong>de</strong>s causesqui conduisent à l’affrontement entre l’Ang<strong>le</strong>terre et l’Ecosse pour <strong>le</strong>quel Hume mobilise unmodè<strong>le</strong> explicatif plus large, il importe <strong>de</strong> voir comment la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> certains dispositifspermet d’éclairer empiriquement la manière dont certaines conduites <strong>de</strong> ruptures peuventacquérir un poids causal et conjoncturel si grand. Ce qui ne veut pas dire, loin s’en faut, etHume ne fait pas la confusion, que ces conduites soient à comprendre comme <strong>le</strong>s causespremières <strong>de</strong> ces événements.6
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002Je voudrais proposer, pour conclure cette présentation, un autre exemp<strong>le</strong> illustrant lafécondité <strong>de</strong> la démarche et qui montre comment la radicalisation peut encore jouer comme unvecteur décisif <strong>de</strong> changement <strong>de</strong> conjoncture, à partir d’une mobilisation particulièrementefficace <strong>de</strong> ce que l’on appel<strong>le</strong>rait, aujourd’hui, l’opinion du public.III. La popularisation d’une controverseentre <strong>le</strong> roi et son par<strong>le</strong>mentIl y a quelque chose <strong>de</strong> résolument mo<strong>de</strong>rne dans la façon humienne <strong>de</strong> déconstruire <strong>le</strong>mouvement à partir duquel se forge la légitimité <strong>de</strong> certaines croyances <strong>politique</strong>s parl’établissement d’un rapport <strong>de</strong> force qui en permet la généralisation.De ce point <strong>de</strong> vue, la manière dont <strong>le</strong> par<strong>le</strong>ment et, plus précisément, la Chambre <strong>de</strong>sCommunes, entendait imposer sur la pério<strong>de</strong> 1625-1649, une définition <strong>de</strong> la représentationlégitime, <strong>de</strong>s croyances en l’existence d’une constitution originel<strong>le</strong> et authentique portant sur <strong>le</strong>gouvernement mixte, cette manière supposait <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> radicalisation qui, dans certainescirconstances, allaient permettre d’inverser <strong>le</strong> rapport <strong>de</strong>s forces entre roi et par<strong>le</strong>ments etcontraindre <strong>le</strong> premier à résipiscence.L’une <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> la radicalisation du conflit à partir <strong>de</strong> quoi obtenir un déséquilibreproducteur d’une conjoncture <strong>politique</strong> favorab<strong>le</strong> était alors l’instrumentation <strong>de</strong> l’opinionpopulaire ou, pour reprendre un terme propre à ces historiens, <strong>de</strong> l’opinion commune. Ils’agissait, en d’autres termes, <strong>de</strong> construire un rapport au “ public ”, c’est-à-dire <strong>de</strong> mobiliser<strong>le</strong> “ public ” au service <strong>de</strong> certaines croyances. Comment, donc, la controverse qui opposait <strong>le</strong>Roi et son Par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années allait-el<strong>le</strong> sortir <strong>de</strong> l’enceinte par<strong>le</strong>mentaire strictosensu pour monter en généralité, c’est-à-dire pour se répandre avec <strong>le</strong>s effets dont el<strong>le</strong> étaitsusceptib<strong>le</strong> parmi <strong>le</strong> plus grand nombre ?En 1641, <strong>le</strong> roi Char<strong>le</strong>s est, une fois <strong>de</strong> plus, contraint <strong>de</strong> convoquer un nouveaupar<strong>le</strong>ment parce qu’il se retrouve sans argent et que la <strong>le</strong>vée <strong>de</strong> certains impôts ainsi quel’octroi <strong>de</strong> divers subsi<strong>de</strong>s ne peuvent se faire sans l’accord du par<strong>le</strong>ment. L’état d’esprit <strong>de</strong> ce<strong>de</strong>rnier, qui s’inscrit dans la lignée <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts par<strong>le</strong>ments convoqués et prorogés, est alorssans ambiguïté. Il s’agissait “ <strong>de</strong> pousser plus loin <strong>le</strong>s innovations ” 3 en matière <strong>de</strong> répartition<strong>de</strong>s attributs <strong>de</strong> la souveraineté entre prérogative roya<strong>le</strong> et privilèges du par<strong>le</strong>ment. Ilimportait, pour cela, <strong>de</strong> construire une confrontation qui lui soit favorab<strong>le</strong> et, dans ce but, <strong>de</strong>profiter <strong>de</strong> l’état d’esprit général qui prévalait en ce début <strong>de</strong>s années 1640.La session s’ouvre, c’était <strong>de</strong>venu une sorte <strong>de</strong> rituel <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> Jacques Ier, surla rédaction d’une remontrance pour énumérer l’ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>s griefs que <strong>le</strong> Par<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong>Peup<strong>le</strong> qu’il affirmait représenter faisaient au roi. Mais ce par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> 41 fait alors uneinnovation particulièrement redoutab<strong>le</strong> : la remontrance, en effet, “ n’était point adressée auroi ; on y déclarait ouvertement que c’était un appel au peup<strong>le</strong> ” 4 . Un appel qui donnait au<strong>texte</strong> une dimension résolument publique, du moins par la nature du <strong>de</strong>stinataire, et réduisait,ipso facto, la position du roi à cel<strong>le</strong> d’un tiers, <strong>le</strong> mettant dans une sorte d’égalité avec <strong>le</strong>peup<strong>le</strong>.3- HA, V, LVII, p. 220 ; HE, V, LV, p. 350.4- HA, V, LVII, p. 221 ; HE, V, LV, p. 351.7
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002La secon<strong>de</strong> étape consistait à diffuser <strong>le</strong> <strong>texte</strong> même <strong>de</strong> cette remontrance : “ Quelquestemps après, un ordre <strong>de</strong> la chambre fit imprimer et publier cette étrange pièce… ” 5 . Hume n’apas <strong>de</strong> mots assez durs pour en dénoncer <strong>le</strong> caractère mensonger : “ un grand nombre <strong>de</strong>faussetés grossières ”, quelques “ vérités évi<strong>de</strong>ntes ”, <strong>de</strong>s “ insinuations malignes ”, <strong>de</strong>s“ invectives ouvertes ”, etc. 6 . Autant d’artifices, <strong>de</strong> mélange insidieux <strong>de</strong> vérités et <strong>de</strong>mensonges qui témoignent <strong>de</strong> l’intention <strong>de</strong>s rédacteurs : il s’agissait <strong>de</strong> pousser <strong>le</strong> public àprendre position ; il s’agissait <strong>de</strong> contraindre <strong>le</strong> roi à réagir. Le résultat ne se fit pas attendre :“ Lorsqu’el<strong>le</strong> fut répandue dans la nation, el<strong>le</strong> y excita partout <strong>le</strong>s mêmes disputes vio<strong>le</strong>ntesqu’el<strong>le</strong> avait fait naître dans la chambre <strong>de</strong>s communes… ” 7 .La médiatisation par <strong>le</strong> public a donc pour premier effet d’étendre <strong>le</strong>s principes <strong>de</strong>division entre factions, entre partis qui s’opposaient jusque-là à l’intérieur <strong>de</strong>s chambres, etd’en faire <strong>de</strong>s divisions plus généra<strong>le</strong>s. Toujours par souci <strong>de</strong> renforcer la capacité à peserdans <strong>le</strong> rapport <strong>de</strong>s forces, <strong>de</strong> construire par la logique <strong>de</strong>s nombres un désavantage irréversib<strong>le</strong>pour <strong>le</strong> roi : “ (a)ussitôt que la remontrance eut été publiée, Char<strong>le</strong>s y fit une réponse qui futrépandue avec <strong>le</strong> même soin ” 8 . Or, dit encore Hume, “ <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s du peup<strong>le</strong> étaientextrêmement prévenues contre lui ”.En déplaçant <strong>le</strong> lieu effectif <strong>de</strong> la controverse <strong>de</strong> l’intérieur du gouvernement versl’extérieur, en contraignant ainsi <strong>le</strong> roi à s’expliquer <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> “ public ”, <strong>le</strong> par<strong>le</strong>ment allaitaugmenter sa capacité à imposer sa conduite au roi ; il allait, éga<strong>le</strong>ment, pouvoir mesurer toutela force <strong>de</strong> sa popularité, cette <strong>de</strong>rnière prenant, en quelque sorte, <strong>le</strong> relais objectif dans lacontestation du roi et <strong>de</strong> son gouvernement : “ L’idolâtrie nationa<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s par<strong>le</strong>ments allaitsi loin, que [Char<strong>le</strong>s] ne pouvait blâmer la conduite <strong>de</strong> ces assemblées sans indisposergénéra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> 9 . ”Jusque-là contenues dans la sphère relativement étroite et circonscrite <strong>de</strong> l’enceinte <strong>de</strong>sassemblées et du gouvernement, <strong>le</strong>s maladresses roya<strong>le</strong>s <strong>de</strong>venaient maintenant publiques etbien plus désastreuses dans <strong>le</strong>urs conséquences : “ Char<strong>le</strong>s avait augmenté <strong>le</strong>s cris quiretentissaient déjà dans toute la nation ” 10 . Le terme du mouvement est presque achevé. Lagénéralisation <strong>de</strong>s divisions, la généralisation <strong>de</strong> la portée <strong>de</strong>s déclarations publiques faites <strong>de</strong>part et d’autre, allaient consacrer l’affaiblissement définitif <strong>de</strong> la position <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s : “ Rien nepeint mieux la pénib<strong>le</strong> situation <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s que <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir obligé <strong>de</strong> se renfermer dans <strong>le</strong>s bornes<strong>de</strong> la politesse, avec <strong>de</strong>s sujets qui avaient transgressé toutes <strong>le</strong>s lois du respect et même <strong>de</strong> labienséance dans <strong>le</strong>urs procédés envers <strong>le</strong>ur souverain 11 . ”5- HA, V, LVII, p. 223 ; HE, V, LV, p. 352.6- Ibi<strong>de</strong>m : “ On retrace, on aggrave, avec une impitoyab<strong>le</strong> adresse, tout ce que <strong>le</strong>s démarches <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s avaientproduit <strong>de</strong> malheureux, d’odieux, <strong>de</strong> suspect <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> commencement <strong>de</strong> son règne. ”7- HA, V, LVII, p. 223, modifié ; HE, V, LV, p. 352 ; on souligne.8- HA, V, LVII, p. 227 ; HE, V, LV, p. 356-357.9- HA, V, LVII, p. 227-228 ; HE, V, LV, p. 357.10- HA, V, LVII, p. 228 ; HE, V, LV, p. 357.11- Ibi<strong>de</strong>m.8
VII congrès <strong>de</strong> l’AFSP – Lil<strong>le</strong>, 18,, 19, 20, 21 septembre 2002ConclusionIl est donc <strong>de</strong>s circonstances particulières et exceptionnel<strong>le</strong>s où la généralisation <strong>de</strong>certaines croyances en <strong>politique</strong> peut apparaître comme <strong>le</strong> résultat d’une mobilisation <strong>de</strong>sforces, d’une radicalisation :- par extension soudaine <strong>de</strong>s capacités discursives à construire <strong>de</strong>s idées et <strong>de</strong>s représentationsinédites ;- par accroissement <strong>de</strong> l’aptitu<strong>de</strong> à garantir ces croyances par <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s autorités, <strong>le</strong>par<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong>s idées <strong>de</strong> liberté par exemp<strong>le</strong> ;- mais aussi par la capacité accrue à discréditer d’anciennes croyances en la monarchie et l’idéed’obéissance passive par exemp<strong>le</strong>.Des généralisations, donc, qui procè<strong>de</strong>nt par mobilisation et extension, et quiempruntent, en <strong>le</strong>s infléchissant, <strong>de</strong>s vecteurs privilégiés <strong>de</strong> radicalisation : par exemp<strong>le</strong>, celui<strong>de</strong>s affects dans <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> la fanatisation et <strong>de</strong>s conflits <strong>politique</strong>-religieux ; mais aussi cet autrecanal <strong>de</strong> diffusion et d’intensification <strong>de</strong>s affects qu’est la “ publicisation ” d’une controversedont l’effet recherché est encore <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s intensités <strong>de</strong> force par <strong>le</strong> jeu sur <strong>de</strong>s passionsspécifiques. Ne s’agissait-il pas, tout à l’heure, d’“ exciter ” <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> ? Or, dit encore Hume,dans “ <strong>le</strong>s gouvernements <strong>de</strong> nature mixte (qui) sont dans une continuel<strong>le</strong> fluctuation ; <strong>le</strong>scaprices du peup<strong>le</strong> flottent sans cesse d’une extrême à l’autre 12 . ”Il y a donc, pour Hume, dans <strong>le</strong>s sociétés <strong>politique</strong>s mo<strong>de</strong>rnes, en l’espèce cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>l’Ang<strong>le</strong>terre du 17 e et du 18 e une instabilité constitutive du régime qui pourra être amplifiée,potentialisée par la radicalisation <strong>de</strong>s principes qui en produisent <strong>le</strong>s divisions. Une instabilitéqui ne manquera pas d’être alimentée par ces autres vecteurs <strong>de</strong> mobilisation affective dupeup<strong>le</strong> que sont <strong>le</strong>s superstitions religieuses et <strong>le</strong>ur corrélat, <strong>le</strong> fanatisme. Dans la narration <strong>de</strong>sévénements conduisant à la guerre civi<strong>le</strong>, au Protectorat puis à la Restauration, ces voiesaffectives <strong>de</strong> la mobilisation <strong>de</strong>s opinions communes y <strong>de</strong>viennent déterminantes, et ilrevient à Hume d’avoir su en mesurer toute l’importance ; d’avoir su <strong>le</strong>s considérerpositivement comme <strong>de</strong>s “ facteurs ” ou <strong>de</strong>s “ causes ”.Désormais, en ce début <strong>de</strong>s années 1640, “ <strong>le</strong>s circonstances étaient [donc] favorab<strong>le</strong>s àl’extension <strong>de</strong>s privilèges ” 13 du Par<strong>le</strong>ment car l’intensification <strong>de</strong>s conflits avec <strong>le</strong> roi, <strong>le</strong>renforcement du caractère public <strong>de</strong>s controverses par généralisation <strong>de</strong>s divisions entre partiscréaient <strong>le</strong>s conditions inédites d’une véritab<strong>le</strong> radicalisation <strong>politique</strong>.Le jeu <strong>de</strong>s actions et <strong>de</strong>s réactions pouvait produire tous ces effets. Et Hume pouvaitaffirmer : “ l’esprit républicain <strong>de</strong>s communes accrut excessivement l’esprit monarchique <strong>de</strong> lacour, ce grand progrès du second servit encore à l’augmentation du premier ; et chaque partiaffectant ainsi <strong>de</strong> donner dans ces extrêmes, par <strong>de</strong>grés, <strong>le</strong> juste milieu où la vérité repose futabandonné <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> 14 . ”Radicalisation par excel<strong>le</strong>nce qui <strong>de</strong>vait éclairer <strong>le</strong> con<strong>texte</strong> dans <strong>le</strong>quel allaient advenir <strong>le</strong>spremiers temps <strong>de</strong> la guerre civi<strong>le</strong>.12- HA, V, LVII, p. 223 ; HE, V, LV, p. 352.13- HA, V, LVII, p. 228 ; HE, V, LV, p.357.14- HA, V, LIII, p. 51 ; HE, V, LI, p. 200.9