Nana - Lecteurs.com
Nana - Lecteurs.com Nana - Lecteurs.com
sourire fin, qu’il découvrit tout d’un coup dans son fauteuil, derrière lesdames, fut pour lui un argument plus décisif encore. Il connaissait le personnage,Théophile Venot, un ancien avoué qui avait eu la spécialité desprocès ecclésiastiques ; il s’était retiré avec une belle fortune, il menaitune existence assez mystérieuse, reçu partout, salué très bas, même unpeu craint, comme s’il eût représenté une grande force, une force occultequ’on sentait derrière lui. D’ailleurs, il se montrait très humble, il étaitmarguillier à la Madeleine, et avait simplement accepté une situationd’adjoint à la mairie du neuvième arrondissement, pour occuper sesloisirs, disait-il. Fichtre ! la comtesse était bien entourée ; rien à faire avecelle.– Tu as raison, on crève ici, dit Fauchery à son cousin, lorsqu’il se futéchappé du cercle des dames. Nous allons filer.Mais Steiner, que le comte Muffat et le député venaient de quitter,s’avançait furieux, suant, grognant à demi-voix :– Parbleu ! qu’ils ne disent rien, s’ils veulent ne rien dire… J’en trouveraiqui parleront.Puis, poussant le journaliste dans un coin et changeant de voix, d’unair victorieux :– Hein ! c’est pour demain… J’en suis, mon brave !– Ah ! murmura Fauchery, étonné.– Vous ne saviez pas… Oh ! j’ai eu un mal pour la trouver chez elle !Avec ça, Mignon ne me lâchait plus.– Mais ils en sont, les Mignon.– Oui, elle me l’a dit… Enfin, elle m’a donc reçu, et elle m’a invité…Minuit précis, après le théâtre.Le banquier était rayonnant. Il cligna les yeux, il ajouta, en donnantaux mots une valeur particulière :– Ça y est, vous ?– Quoi donc ? dit Fauchery, qui affecta de ne pas comprendre. Elle avoulu me remercier de mon article. Alors, elle est venue chez moi.– Oui, oui… Vous êtes heureux, vous autres. On vous récompense… Àpropos, qui est-ce qui paie demain ?Le journaliste ouvrit les bras, comme pour déclarer qu’on n’avait jamaispu savoir. Mais Vandeuvres appelait Steiner, qui connaissaitM. de Bismarck. Madame Du Joncquoy était presque convaincue. Elleconclut par ces mots :– Il m’a fait une mauvaise impression, je lui trouve le visage méchant…Mais je veux bien croire qu’il a beaucoup d’esprit. Cela expliqueses succès.52
– Sans doute, dit avec un pâle sourire le banquier, un juif de Francfort.Cependant, La Faloise osait cette fois interroger son cousin, le poursuivant,lui glissant dans le cou :– On soupe donc chez une femme, demain soir ?… Chez qui, hein ?chez qui ?Fauchery fit signe qu’on les écoutait ; il fallait être convenable. De nouveau,la porte venait de s’ouvrir, et une vieille dame entrait, suivie d’unjeune homme, dans lequel le journaliste reconnut l’échappé de collège,qui, le soir de La Blonde Vénus, avait lancé le fameux « très chic ! » donton causait encore. L’arrivée de cette dame remuait le salon. Vivement, lacomtesse Sabine s’était levée, pour s’avancer à sa rencontre ; et elle luiavait pris les deux mains, elle la nommait sa chère Madame Hugon.Voyant son cousin regarder curieusement cette scène, La Faloise, afin dele toucher, le mit au courant, en quelques mots brefs : M me Hugon,veuve d’un notaire, retirée aux Fondettes, une ancienne propriété de safamille, près d’Orléans, conservait un pied-à-terre à Paris, dans une maisonqu’elle possédait, rue de Richelieu ; y passait en ce moment quelquessemaines pour installer son plus jeune fils, qui faisait sa première annéede droit ; était autrefois une grande amie de la marquise de Chouard etavait vu naître la comtesse, qu’elle gardait des mois entiers chez elle,avant son mariage, et qu’elle tutoyait même encore.– Je t’ai amené Georges, disait M me Hugon à Sabine. Il a grandi,j’espère !Le jeune homme, avec ses yeux clairs et ses frisures blondes de fille déguiséeen garçon, saluait la comtesse sans embarras, lui rappelait unepartie de volant qu’ils avaient faite ensemble, deux ans plus tôt, auxFondettes.– Philippe n’est pas à Paris ? demanda le comte Muffat.– Oh ! non, répondit la vieille dame. Il est toujours en garnison àBourges.Elle s’était assise, elle parlait orgueilleusement de son fils aîné, ungrand gaillard qui, après s’être engagé dans un coup de tête, venaitd’arriver très vite au grade de lieutenant. Toutes ces dames l’entouraientd’une respectueuse sympathie. La conversation reprit, plus aimable etplus délicate. Et Fauchery, à voir là cette respectable M me Hugon, cettefigure maternelle éclairée d’un si bon sourire, entre ses larges bandeauxde cheveux blancs, se trouva ridicule d’avoir soupçonné un instant lacomtesse Sabine.Pourtant, la grande chaise de soie rouge capitonnée, où la comtesses’asseyait, venait d’attirer son attention. Il la trouvait d’un ton brutal,53
- Page 1 and 2: NanaZola, EmilePublication: 1879Cat
- Page 3 and 4: Chapitre 1À neuf heures, la salle
- Page 5 and 6: - Attendez donc ! répondit Faucher
- Page 7 and 8: - Ah ! c’était elle, s’écria
- Page 9 and 10: ce fut une bousculade, chacun voula
- Page 11 and 12: egardait la comtesse, une brune à
- Page 13 and 14: vraiment leurs femmes de trop d’a
- Page 15 and 16: On piétinait, on se bousculait, se
- Page 17 and 18: Une sonnerie tinta longuement, le f
- Page 19 and 20: - Il faut que j’aille saluer la c
- Page 21 and 22: Cependant Mignon venait d’entraî
- Page 23 and 24: hommes, sérieuses, se tendaient, a
- Page 25 and 26: coup à un lourd sommeil, pendant q
- Page 27 and 28: - Demain, demain, répétait Nana m
- Page 29 and 30: - Elle m’a dit son nom… Madame
- Page 31 and 32: toujours vécu proprement. À prés
- Page 33 and 34: Certainement, il lui arriverait une
- Page 35 and 36: - Nous avons dit trois cent quarant
- Page 37 and 38: - Madame n’est pas raisonnable, v
- Page 39 and 40: - Ah ! ouiche ! répondit Nana crû
- Page 41 and 42: éclata. Le marquis ne put cacher u
- Page 43 and 44: - Oui, répondit le petit d’une v
- Page 45 and 46: Une queue dans l’escalier ! Franc
- Page 47 and 48: - Est ce que vous êtes souffrante,
- Page 49 and 50: Hector de La Faloise parut. Faucher
- Page 51: - Ma foi, il a une tête à ça, mu
- Page 55 and 56: par être surpris de la voir là ;
- Page 57 and 58: Alors, ils ricanèrent, les yeux lu
- Page 59 and 60: - Moi, madame ? répondit-il tranqu
- Page 61 and 62: - Boulevard Haussmann, entre la rue
- Page 63 and 64: - Attendez, dit Vandeuvres, il nous
- Page 65 and 66: Chapitre 4Depuis le matin, Zoé ava
- Page 67 and 68: - Asseyez-vous donc… Vous n’ave
- Page 69 and 70: Simonne avait fait un pas trop vite
- Page 71 and 72: pleines d’apitoiement. Bordenave
- Page 73 and 74: Son fils Ollivier, dont elle parlai
- Page 75 and 76: autres : Clarisse Besnus, ramenée
- Page 77 and 78: pauvre petite, s’enterrer comme
- Page 79 and 80: sais. Alors, vous comprenez, il lui
- Page 81 and 82: Vandeuvres dut intervenir pour lui
- Page 83 and 84: Mignon, qui jouait avec la chaîne
- Page 85 and 86: encore du tintouin, histoire de se
- Page 87 and 88: - Voyons, Nana, l’autre soir, che
- Page 89 and 90: taille de Simonne, qu’il tâchait
- Page 91 and 92: conviendrons des heures… Vite, em
- Page 93 and 94: - Quel cochon de temps ! grogna-t-i
- Page 95 and 96: De nouveau, une paix lourde régnai
- Page 97 and 98: - Dites-lui que je descends après
- Page 99 and 100: Alors, Simonne, en blanchisseuse d
- Page 101 and 102: - Chargez ! cria tout à coup le ch
sourire fin, qu’il découvrit tout d’un coup dans son fauteuil, derrière lesdames, fut pour lui un argument plus décisif encore. Il connaissait le personnage,Théophile Venot, un ancien avoué qui avait eu la spécialité desprocès ecclésiastiques ; il s’était retiré avec une belle fortune, il menaitune existence assez mystérieuse, reçu partout, salué très bas, même unpeu craint, <strong>com</strong>me s’il eût représenté une grande force, une force occultequ’on sentait derrière lui. D’ailleurs, il se montrait très humble, il étaitmarguillier à la Madeleine, et avait simplement accepté une situationd’adjoint à la mairie du neuvième arrondissement, pour occuper sesloisirs, disait-il. Fichtre ! la <strong>com</strong>tesse était bien entourée ; rien à faire avecelle.– Tu as raison, on crève ici, dit Fauchery à son cousin, lorsqu’il se futéchappé du cercle des dames. Nous allons filer.Mais Steiner, que le <strong>com</strong>te Muffat et le député venaient de quitter,s’avançait furieux, suant, grognant à demi-voix :– Parbleu ! qu’ils ne disent rien, s’ils veulent ne rien dire… J’en trouveraiqui parleront.Puis, poussant le journaliste dans un coin et changeant de voix, d’unair victorieux :– Hein ! c’est pour demain… J’en suis, mon brave !– Ah ! murmura Fauchery, étonné.– Vous ne saviez pas… Oh ! j’ai eu un mal pour la trouver chez elle !Avec ça, Mignon ne me lâchait plus.– Mais ils en sont, les Mignon.– Oui, elle me l’a dit… Enfin, elle m’a donc reçu, et elle m’a invité…Minuit précis, après le théâtre.Le banquier était rayonnant. Il cligna les yeux, il ajouta, en donnantaux mots une valeur particulière :– Ça y est, vous ?– Quoi donc ? dit Fauchery, qui affecta de ne pas <strong>com</strong>prendre. Elle avoulu me remercier de mon article. Alors, elle est venue chez moi.– Oui, oui… Vous êtes heureux, vous autres. On vous ré<strong>com</strong>pense… Àpropos, qui est-ce qui paie demain ?Le journaliste ouvrit les bras, <strong>com</strong>me pour déclarer qu’on n’avait jamaispu savoir. Mais Vandeuvres appelait Steiner, qui connaissaitM. de Bismarck. Madame Du Joncquoy était presque convaincue. Elleconclut par ces mots :– Il m’a fait une mauvaise impression, je lui trouve le visage méchant…Mais je veux bien croire qu’il a beaucoup d’esprit. Cela expliqueses succès.52