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Nana - Lecteurs.com

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maintenant, elle rêvait autre chose, elle bazarderait tout, un de ces jours.Puis, <strong>com</strong>me il donnait un prétexte à sa visite, en parlant d’une représentationau bénéfice du vieux Bosc, cloué dans un fauteuil par une paralysie,elle s’apitoya beaucoup, elle lui prit deux loges. Cependant, Zoéayant dit que la voiture attendait Madame, elle demanda son chapeau ;et, tout en nouant les brides, elle conta l’aventure de cette pauvre Satin,puis ajouta :– Je vais à l’hôpital… Personne ne m’a aimée <strong>com</strong>me elle. Ah ! on abien raison d’accuser les hommes de manquer de cœur !… Qui sait ? jene la trouverai peut-être plus. N’importe, je demanderai à la voir. Je veuxl’embrasser.Labordette et Mignon eurent un sourire. Elle n’était plus triste, ellesourit également, car ils ne <strong>com</strong>ptaient pas, ces deux-là, ils pouvaient<strong>com</strong>prendre. Et tous deux l’admiraient, dans un silence recueilli, tandisqu’elle achevait de boutonner ses gants. Elle demeurait seule debout, aumilieu des richesses entassées de son hôtel, avec un peuple d’hommesabattus à ses pieds. Comme ces monstres antiques dont le domaine redoutéétait couvert d’ossements, elle posait les pieds sur des crânes, etdes catastrophes l’entouraient, la flambée furieuse de Vandeuvres, la mélancoliede Foucarmont perdu dans les mers de la Chine, le désastre deSteiner réduit à vivre en honnête homme, l’imbécillité satisfaite de La Faloise,et le tragique effondrement des Muffat, et le blanc cadavre deGeorges, veillé par Philippe, sorti la veille de prison. Son œuvre de ruineet de mort était faite, la mouche envolée de l’ordure des faubourgs, apportantle ferment des pourritures sociales, avait empoisonné ceshommes, rien qu’à se poser sur eux. C’était bien, c’était juste, elle avaitvengé son monde, les gueux et les abandonnés. Et tandis que, dans unegloire, son sexe montait et rayonnait sur ses victimes étendues, pareil àun soleil levant qui éclaire un champ de carnage, elle gardait son inconsciencede bête superbe, ignorante de sa besogne, bonne fille toujours. Ellerestait grosse, elle restait grasse, d’une belle santé, d’une belle gaieté.Tout ça ne <strong>com</strong>ptait plus, son hôtel lui semblait idiot, trop petit, plein demeubles qui la gênaient. Une misère, simplement histoire de <strong>com</strong>mencer.Aussi rêvait-elle quelque chose de mieux ; et elle partit en grande toilettepour embrasser Satin une dernière fois, propre, solide, l’air tout neuf,<strong>com</strong>me si elle n’avait pas servi.329

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