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Nana - Lecteurs.com

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Et une férocité lui retroussait les lèvres, elle serait enfin « Madame »,elle tiendrait à ses pieds, pour quelques louis, ces femmes dont elle rinçaitles cuvettes depuis quinze ans.Mignon voulut se faire annoncer, et Zoé le laissa un instant, aprèsavoir dit que Madame avait passé une bien mauvaise journée. Il était venuune seule fois, il ne connaissait pas l’hôtel. La salle à manger, avec sesGobelins, son dressoir, son argenterie, l’étonna. Il ouvrit familièrementles portes, visita le salon, le jardin d’hiver, retourna dans le vestibule ; etce luxe écrasant, les meubles dorés, les soies et les velours l’emplissaientpeu à peu d’une admiration dont son cœur battait. Quand Zoé redescenditle prendre, elle offrit de lui montrer les autres pièces, le cabinet de toilette,la chambre à coucher. Alors, dans la chambre, le cœur de Mignonéclata ; il était soulevé, jeté à un attendrissement d’enthousiasme. Cettesacrée <strong>Nana</strong> le stupéfiait, lui qui s’y connaissait pourtant. Au milieu de ladébâcle de la maison, dans le coulage, dans le galop de massacre des domestiques,il y avait un entassement de richesses bouchant quand mêmeles trous et débordant par-dessus les ruines. Et Mignon, en face de cemonument magistral, se rappelait de grands travaux. Près de Marseille,on lui avait montré un aqueduc dont les arches de pierre enjambaient unabîme, œuvre cyclopéenne qui coûtait des millions et dix années deluttes. À Cherbourg, il avait vu le nouveau port, un chantier immense,des centaines d’hommes suant au soleil, des machines <strong>com</strong>blant la merde quartiers de roche, dressant une muraille où parfois des ouvriers restaient<strong>com</strong>me une bouillie sanglante. Mais ça lui semblait petit, <strong>Nana</strong>l’exaltait davantage ; et il retrouvait, devant son travail, cette sensationde respect éprouvée par lui un soir de fête, dans le château qu’un raffineurs’était fait construire, un palais dont une matière unique, le sucre,avait payé la splendeur royale. Elle, c’était avec autre chose, une petitebêtise dont on riait, un peu de sa nudité délicate, c’était avec ce rien honteuxet si puissant, dont la force soulevait le monde, que toute seule, sansouvriers, sans machines inventées par des ingénieurs, elle venaitd’ébranler Paris et de bâtir cette fortune où dormaient des cadavres.– Ah ! nom de Dieu ! quel outil ! laissa échapper Mignon dans son ravissement,avec un retour de gratitude personnelle.<strong>Nana</strong> était peu à peu tombée dans un gros chagrin. D’abord, la rencontredu marquis et du <strong>com</strong>te l’avait secouée d’une fièvre nerveuse, oùil entrait presque de la gaieté. Puis, la pensée de ce vieux qui partait dansun fiacre, à moitié mort, et de son pauvre mufe qu’elle ne verrait plus,après l’avoir tant fait enrager, lui causa un <strong>com</strong>mencement de mélancoliesentimentale. Ensuite, elle s’était fâchée en apprenant la maladie de326

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