Nana - Lecteurs.com
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usque d’écraser quelque chose de vivant, un membre nu étalé parterre.Puis, là, dans cette chambre, un vertige le grisait. Il oubliait tout, la cohuedes mâles qui la traversaient, le deuil qui en fermait la porte. Dehors,parfois, au grand air de la rue, il pleurait de honte et de révolte, en jurantde ne jamais y rentrer. Et, dès que la portière retombait, il était repris, ilse sentait fondre à la tiédeur de la pièce, la chair pénétrée d’un parfum,envahie d’un désir voluptueux d’anéantissement. Lui, dévot, habitué auxextases des chapelles riches, retrouvait exactement ses sensations decroyant, lorsque, agenouillé sous un vitrail, il succombait à l’ivresse desorgues et des encensoirs. La femme le possédait avec le despotisme jalouxd’un Dieu de colère, le terrifiant, lui donnant des secondes de joieaiguës comme des spasmes, pour des heures d’affreux tourments, des visionsd’enfer et d’éternels supplices. C’étaient les mêmes balbutiements,les mêmes prières et les mêmes désespoirs, surtout les mêmes humilitésd’une créature maudite, écrasée sous la boue de son origine. Ses désirsd’homme, ses besoins d’une âme, se confondaient, semblaient monter,du fond obscur de son être, ainsi qu’un seul épanouissement du tronc dela vie. Il s’abandonnait à la force de l’amour et de la foi, dont le doublelevier soulève le monde. Et toujours, malgré les luttes de sa raison, cettechambre de Nana le frappait de folie, il disparaissait en grelottant dans latoute-puissance du sexe, comme il s’évanouissait devant l’inconnu duvaste ciel.Alors, quand elle le sentit si humble, Nana eut le triomphe tyrannique.Elle apportait d’instinct la rage d’avoir. Il ne lui suffisait pas de détruireles choses, elle les salissait. Ses mains si fines laissaient des traces abominables,décomposaient d’elles-mêmes tout ce qu’elles avaient cassé. Etlui, imbécile, se prêtait à ce jeu, avec le vague souvenir des saints dévorésde poux et qui mangeaient leurs excréments. Lorsqu’elle le tenait dans sachambre, les portes closes, elle se donnait le régal de l’infamie del’homme. D’abord, ils avaient plaisanté, elle lui allongeait de légèrestapes, lui imposait des volontés drôles, le faisait zézayer comme un enfant,répéter des fins de phrase.– Dis comme moi : « … Et zut ! Coco s’en fiche ! »Il se montrait docile jusqu’à reproduire son accent.– « … Et zut ! Coco s’en fiche ! »Ou bien elle faisait l’ours, à quatre pattes sur ses fourrures, en chemise,tournant avec des grognements, comme si elle avait voulu le dévorer ; etmême elle lui mordillait les mollets, pour rire. Puis, se relevant :– À toi, fais un peu… Je parie que tu ne fais pas l’ours comme moi.320
C’était encore charmant. Elle l’amusait en ours, avec sa peau blancheet sa crinière de poils roux. Il riait, il se mettait aussi à quatre pattes, grognait,lui mordait les mollets, pendant qu’elle se sauvait, en affectant desmines d’effroi.– Sommes-nous bêtes, hein ? finissait-elle par dire. Tu n’as pas idéecomme tu es laid, mon chat ! Ah bien ! si on te voyait, aux Tuileries !Mais ces petits jeux se gâtèrent bientôt. Ce ne fut pas cruauté chez elle,car elle demeurait bonne fille ; ce fut comme un vent de démence quipassa et grandit peu à peu dans la chambre close. Une luxure les détraquait,les jetait aux imaginations délirantes de la chair. Les anciennesépouvantes dévotes de leur nuit d’insomnie tournaient maintenant enune soif de bestialité, une fureur de se mettre à quatre pattes, de grogneret de mordre. Puis, un jour, comme il faisait l’ours, elle le poussa si rudement,qu’il tomba contre un meuble ; et elle éclata d’un rire involontaire,en lui voyant une bosse au front. Dès lors, mise en goût par son essai surLa Faloise, elle le traita en animal, le fouailla, le poursuivit à coups depied.– Hue donc ! hue donc !… Tu es le cheval… Dia, hue ! sale rosse, veuxtumarcher !D’autres fois, il était un chien. Elle lui jetait son mouchoir parfumé aubout de la pièce, et il devait courir le ramasser avec les dents, en se traînantsur les mains et les genoux.– Rapporte, César !… Attends, je vais te régaler, si tu flânes !… Trèsbien, César ! obéissant ! gentil !… Fais le beau !Et lui aimait sa bassesse, goûtait la jouissance d’être une brute. Il aspiraitencore à descendre, il criait :– Tape plus fort… Hou ! hou ! je suis enragé, tape donc !Elle fut prise d’un caprice ; elle exigea qu’il vint un soir vêtu de songrand costume de chambellan. Alors, ce furent des rires, des moqueries,quand elle l’eut, dans son apparat, avec l’épée, le chapeau, la culotteblanche, le frac de drap rouge chamarré d’or, portant la clef symboliquependue sur la basque gauche. Cette clef surtout l’égayait, la lançait à unefantaisie folle d’explications ordurières. Riant toujours, emportée parl’irrespect des grandeurs, par la joie de l’avilir sous la pompe officielle dece costume, elle le secoua, le pinça, en lui jetant des : « Eh ! va donc,chambellan ! » qu’elle accompagna enfin de longs coups de pied dans lederrière ; et, ces coups de pied, elle les allongeait de si bon cœur dans lesTuileries, dans la majesté de la cour impériale, trônant au sommet, sur lapeur et l’aplatissement de tous. Voilà ce qu’elle pensait de la société !C’était sa revanche, une rancune inconsciente de famille, léguée avec le321
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C’était encore charmant. Elle l’amusait en ours, avec sa peau blancheet sa crinière de poils roux. Il riait, il se mettait aussi à quatre pattes, grognait,lui mordait les mollets, pendant qu’elle se sauvait, en affectant desmines d’effroi.– Sommes-nous bêtes, hein ? finissait-elle par dire. Tu n’as pas idée<strong>com</strong>me tu es laid, mon chat ! Ah bien ! si on te voyait, aux Tuileries !Mais ces petits jeux se gâtèrent bientôt. Ce ne fut pas cruauté chez elle,car elle demeurait bonne fille ; ce fut <strong>com</strong>me un vent de démence quipassa et grandit peu à peu dans la chambre close. Une luxure les détraquait,les jetait aux imaginations délirantes de la chair. Les anciennesépouvantes dévotes de leur nuit d’insomnie tournaient maintenant enune soif de bestialité, une fureur de se mettre à quatre pattes, de grogneret de mordre. Puis, un jour, <strong>com</strong>me il faisait l’ours, elle le poussa si rudement,qu’il tomba contre un meuble ; et elle éclata d’un rire involontaire,en lui voyant une bosse au front. Dès lors, mise en goût par son essai surLa Faloise, elle le traita en animal, le fouailla, le poursuivit à coups depied.– Hue donc ! hue donc !… Tu es le cheval… Dia, hue ! sale rosse, veuxtumarcher !D’autres fois, il était un chien. Elle lui jetait son mouchoir parfumé aubout de la pièce, et il devait courir le ramasser avec les dents, en se traînantsur les mains et les genoux.– Rapporte, César !… Attends, je vais te régaler, si tu flânes !… Trèsbien, César ! obéissant ! gentil !… Fais le beau !Et lui aimait sa bassesse, goûtait la jouissance d’être une brute. Il aspiraitencore à descendre, il criait :– Tape plus fort… Hou ! hou ! je suis enragé, tape donc !Elle fut prise d’un caprice ; elle exigea qu’il vint un soir vêtu de songrand costume de chambellan. Alors, ce furent des rires, des moqueries,quand elle l’eut, dans son apparat, avec l’épée, le chapeau, la culotteblanche, le frac de drap rouge chamarré d’or, portant la clef symboliquependue sur la basque gauche. Cette clef surtout l’égayait, la lançait à unefantaisie folle d’explications ordurières. Riant toujours, emportée parl’irrespect des grandeurs, par la joie de l’avilir sous la pompe officielle dece costume, elle le secoua, le pinça, en lui jetant des : « Eh ! va donc,chambellan ! » qu’elle ac<strong>com</strong>pagna enfin de longs coups de pied dans lederrière ; et, ces coups de pied, elle les allongeait de si bon cœur dans lesTuileries, dans la majesté de la cour impériale, trônant au sommet, sur lapeur et l’aplatissement de tous. Voilà ce qu’elle pensait de la société !C’était sa revanche, une rancune inconsciente de famille, léguée avec le321