Nana - Lecteurs.com
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– Voyons, laissez-la, dit Nana sérieusement. Je ne veux pas qu’on latourmente, vous le savez bien… Et toi, mon chat, pourquoi te fourres-tutoujours avec eux, puisqu’ils sont si peu raisonnables ?Satin, toute rouge, tirant la langue, alla dans le cabinet de toilette, dontla porte grande ouverte laissait voir la pâleur des marbres, éclairée par lalumière laiteuse d’un globe dépoli, où brûlait une flamme de gaz. Alors,Nana causa avec les quatre hommes, en maîtresse de maison pleine decharme. Elle avait lu dans la journée un roman qui faisait grand bruit,l’histoire d’une fille ; et elle se révoltait, elle disait que tout cela était faux,témoignant d’ailleurs une répugnance indignée contre cette littératureimmonde, dont la prétention était de rendre la nature ; comme si l’onpouvait tout montrer ! comme si un roman ne devait pas être écrit pourpasser une heure agréable ! En matière de livres et de drames, Nanaavait des opinions très arrêtées : elle voulait des œuvres tendres etnobles, des choses pour la faire rêver et lui grandir l’âme. Puis, la conversationétant tombée sur les troubles qui agitaient Paris, des articles incendiaires,des commencements d’émeute à la suite d’appels aux armes, lancéschaque soir dans les réunions publiques, elle s’emporta contre les républicains.Que voulaient-ils donc, ces sales gens qui ne se lavaientjamais ? Est-ce qu’on n’était pas heureux, est-ce que l’empereur n’avaitpas tout fait pour le peuple ? Une jolie ordure, le peuple ! Elle le connaissait,elle pouvait en parler ; et, oubliant les respects qu’elle venaitd’exiger à table pour son petit monde de la rue de la Goutte-d’Or, elle tapaitsur les siens avec des dégoûts et des peurs de femme arrivée.L’après-midi, justement, elle avait lu dans Le Figaro le compte rendud’une séance de réunion publique, poussée au comique, dont elle riaitencore, à cause des mots d’argot et de la sale tête d’un pochard qui s’étaitfait expulser.– Oh ! ces ivrognes ! dit-elle d’un air répugné. Non, voyez-vous, ce seraitun grand malheur pour tout le monde, leur république… Ah ! queDieu nous conserve l’empereur le plus longtemps possible !– Dieu vous entendra, ma chère, répondit gravement Muffat. Allez,l’empereur est solide.Il aimait à lui voir ces bons sentiments. Tous deux s’entendaient en politique.Vandeuvres et le capitaine Hugon, eux aussi, ne tarissaient pasen plaisanteries contre « les voyous », des braillards qui fichaient lecamp, dès qu’ils apercevaient une baïonnette. Georges, ce soir-là, restaitpâle, l’air sombre.– Qu’a-t-il donc, ce Bébé ? demanda Nana, en s’apercevant de sonmalaise.242
– Moi, rien, j’écoute, murmura-t-il.Mais il souffrait. Au sortir de table, il avait entendu Philippe plaisanteravec la jeune femme ; et, maintenant, c’était Philippe, ce n’était pas luiqui se trouvait près d’elle. Toute sa poitrine se gonflait et éclatait, sansqu’il sût pourquoi. Il ne pouvait les tolérer l’un près de l’autre, des idéessi vilaines le serraient à la gorge, qu’il éprouvait une honte, dans son angoisse.Lui, qui riait de Satin, qui avait accepté Steiner, puis Muffat, puistous les autres, il se révoltait. Il voyait rouge, à la pensée que Philippepourrait un jour toucher à cette femme.– Tiens ! prends Bijou, dit-elle pour le consoler, en lui passant le petitchien endormi sur sa jupe.Et Georges redevint gai, tenant quelque chose d’elle, cette bête toutechaude de ses genoux.La conversation était tombée sur une perte considérable, éprouvée parVandeuvres, la veille, au Cercle impérial. Muffat n’était pas joueur ets’étonnait. Mais Vandeuvres, souriant, fit une allusion à sa ruine prochaine,dont Paris causait déjà : peu importait le genre de mort, le toutétait de bien mourir. Depuis quelque temps, Nana le voyait nerveux,avec un pli cassé de la bouche et de vacillantes lueurs au fond de sesyeux clairs. Il gardait sa hauteur aristocratique, la fine élégance de sarace appauvrie ; et ce n’était encore, par moments, qu’un court vertigetournant sous ce crâne, vidé par le jeu et les femmes. Une nuit, couchéprès d’elle, il l’avait effrayée en lui contant une histoire atroce : il rêvaitde s’enfermer dans son écurie et de se faire flamber avec ses chevaux,quand il aurait tout mangé. Son unique espérance, à cette heure, étaitdans un cheval, Lusignan, qu’il préparait pour le prix de Paris. Il vivaitsur ce cheval, qui portait son crédit ébranlé. À chaque exigence de Nana,il la remettait au mois de juin, si Lusignan gagnait.– Bah ! dit-elle en plaisantant, il peut bien perdre, puisqu’il va tous lesnettoyer aux courses.Il se contenta de répondre par un mince sourire mystérieux. Puis,légèrement :– À propos, je me suis permis de donner votre nom à mon outsider,une pouliche… Nana, Nana, cela sonne bien. Vous n’êtes point fâchée ?– Fâchée, pourquoi ? dit-elle, ravie au fond.La causerie continuait, on parlait d’une prochaine exécution capitaleoù la jeune femme brûlait d’aller, lorsque Satin parut à la porte du cabinetde toilette, en l’appelant d’un ton de prière. Elle se leva aussitôt, ellelaissa ces messieurs mollement étendus, achevant leur cigare, discutantune grave question, la part de responsabilité chez un meurtrier atteint243
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– Voyons, laissez-la, dit <strong>Nana</strong> sérieusement. Je ne veux pas qu’on latourmente, vous le savez bien… Et toi, mon chat, pourquoi te fourres-tutoujours avec eux, puisqu’ils sont si peu raisonnables ?Satin, toute rouge, tirant la langue, alla dans le cabinet de toilette, dontla porte grande ouverte laissait voir la pâleur des marbres, éclairée par lalumière laiteuse d’un globe dépoli, où brûlait une flamme de gaz. Alors,<strong>Nana</strong> causa avec les quatre hommes, en maîtresse de maison pleine decharme. Elle avait lu dans la journée un roman qui faisait grand bruit,l’histoire d’une fille ; et elle se révoltait, elle disait que tout cela était faux,témoignant d’ailleurs une répugnance indignée contre cette littératureimmonde, dont la prétention était de rendre la nature ; <strong>com</strong>me si l’onpouvait tout montrer ! <strong>com</strong>me si un roman ne devait pas être écrit pourpasser une heure agréable ! En matière de livres et de drames, <strong>Nana</strong>avait des opinions très arrêtées : elle voulait des œuvres tendres etnobles, des choses pour la faire rêver et lui grandir l’âme. Puis, la conversationétant tombée sur les troubles qui agitaient Paris, des articles incendiaires,des <strong>com</strong>mencements d’émeute à la suite d’appels aux armes, lancéschaque soir dans les réunions publiques, elle s’emporta contre les républicains.Que voulaient-ils donc, ces sales gens qui ne se lavaientjamais ? Est-ce qu’on n’était pas heureux, est-ce que l’empereur n’avaitpas tout fait pour le peuple ? Une jolie ordure, le peuple ! Elle le connaissait,elle pouvait en parler ; et, oubliant les respects qu’elle venaitd’exiger à table pour son petit monde de la rue de la Goutte-d’Or, elle tapaitsur les siens avec des dégoûts et des peurs de femme arrivée.L’après-midi, justement, elle avait lu dans Le Figaro le <strong>com</strong>pte rendud’une séance de réunion publique, poussée au <strong>com</strong>ique, dont elle riaitencore, à cause des mots d’argot et de la sale tête d’un pochard qui s’étaitfait expulser.– Oh ! ces ivrognes ! dit-elle d’un air répugné. Non, voyez-vous, ce seraitun grand malheur pour tout le monde, leur république… Ah ! queDieu nous conserve l’empereur le plus longtemps possible !– Dieu vous entendra, ma chère, répondit gravement Muffat. Allez,l’empereur est solide.Il aimait à lui voir ces bons sentiments. Tous deux s’entendaient en politique.Vandeuvres et le capitaine Hugon, eux aussi, ne tarissaient pasen plaisanteries contre « les voyous », des braillards qui fichaient lecamp, dès qu’ils apercevaient une baïonnette. Georges, ce soir-là, restaitpâle, l’air sombre.– Qu’a-t-il donc, ce Bébé ? demanda <strong>Nana</strong>, en s’apercevant de sonmalaise.242