Nana - Lecteurs.com
Nana - Lecteurs.com Nana - Lecteurs.com
Bordenave n’avait pas desserré les lèvres. Glissé complètement aufond de son fauteuil, il ne montrait plus, dans la lueur louche de la servante,que le haut de son chapeau, rabattu sur ses yeux, tandis que sacanne, abandonnée, lui barrait le ventre ; et l’on aurait pu croire qu’ildormait. Brusquement, il se redressa.– Mon petit, c’est idiot, déclara-t-il à Fauchey, d’un air tranquille.– Comment ! idiot ! s’écria l’auteur devenu très pâle. Idiot vous-même,mon cher !Du coup, Bordenave commença à se fâcher. Il répéta le mot idiot, cherchaquelque chose de plus fort, trouva imbécile et crétin. On sifflerait,l’acte ne finirait pas. Et comme Fauchery, exaspéré, sans d’ailleurs seblesser autrement de ces gros mots qui revenaient entre eux à chaquepièce nouvelle, le traitait carrément de brute, Bordenave perdit toute mesure.Il faisait le moulinet avec sa canne, il soufflait comme un bœuf,criant :– Nom de Dieu ! foutez-moi la paix… Voilà un quart d’heure perdu àdes stupidités… Oui, des stupidités… Ça n’a pas le sens commun… Etc’est si simple pourtant ! Toi, Fontan, tu ne bouges pas. Toi, Rose, tu as cepetit mouvement, vois-tu, pas davantage, et tu descends… Allons, marchez,cette fois. Donnez le baiser, Cossard.Alors, ce fut une confusion. La scène n’allait pas mieux. À son tour,Bordenave mimait, avec des grâces d’éléphant ; pendant que Faucheryricanait, en haussant les épaules de pitié. Puis, Fontan voulut s’en mêler,Bosc lui-même se permit des conseils. Éreintée, Rose avait fini pars’asseoir sur la chaise qui marquait la porte. On ne savait plus où l’on enétait. Pour comble, Simonne, ayant cru entendre sa réplique, fit trop tôtson entrée, au milieu du désordre ; ce qui enragea Bordenave à un telpoint, que, la canne lancée dans un moulinet terrible, il lui en allongeaun grand coup sur le derrière. Souvent, il battait les femmes aux répétitions,quand il avait couché avec elles. Elle se sauva, poursuivie par ce crifurieux :– Mets ça dans ta poche, et, nom de Dieu ! je ferme la baraque, si l’onm’embête encore !Fauchery venait d’enfoncer son chapeau sur sa tête, en faisant mine dequitter le théâtre ; mais il demeura au fond de la scène, et redescendit,lorsqu’il vit Bordenave se rasseoir, en nage. Lui-même reprit sa placedans l’autre fauteuil. Ils restèrent un moment côte à côte, sans bouger,tandis qu’un lourd silence tombait dans l’ombre de la salle. Les acteursattendirent près de deux minutes. Tous avaient un accablement, commes’ils sortaient d’une besogne écrasante.206
– Eh bien ! continuons, dit enfin Bordenave de sa voix ordinaire, parfaitementcalme.– Oui, continuons, répéta Fauchery, nous réglerons la scène demain.Et ils s’allongèrent, la répétition reprenait son train d’ennui et de belleindifférence. Durant l’attrapage entre le directeur et l’auteur, Fontan etles autres s’étaient fait du bon sang, au fond, sur le banc et les chaisesrustiques. Ils avaient de petits rires, des grognements, des mots féroces.Mais, quand Simonne revint, avec son coup de canne sur le derrière, lavoix coupée de larmes, ils tournèrent au drame, ils dirent qu’à sa placeils auraient étranglé ce cochon-là. Elle s’essuyait les yeux, en approuvantde la tête ; c’était fini, elle le lâchait, d’autant plus que Steiner, la veille,lui avait offert de la lancer. Clarisse resta surprise, le banquier n’avaitplus un sou ; mais Prullière se mit à rire et rappela le tour de ce sacré juif,lorsqu’il s’était affiché avec Rose, pour poser à la Bourse son affaire desSalines des Landes. Justement il promenait un nouveau projet, un tunnelsous le Bosphore. Simonne écoutait, très intéressée. Quant à Clarisse, ellene dérageait pas depuis une semaine. Est-ce que cet animal de La Faloise,qu’elle avait balancé en le collant dans les bras vénérables de Gaga,n’allait pas hériter d’un oncle très riche ! C’était fait pour elle, toujourselle avait essuyé les plâtres. Puis, cette saleté de Bordenave lui donnaitencore une panne, un rôle de cinquante lignes, comme si elle n’aurait paspu jouer Géraldine ! Elle rêvait de ce rôle, elle espérait bien que Nanarefuserait.– Eh bien ! et moi ? dit Prullière très pincé, je n’ai pas deux centslignes. Je voulais rendre le rôle… C’est indigne de me faire jouer ce Saint-Firmin, une vraie veste. Et quel style, mes enfants ! Vous savez que ça vatomber à plat.Mais Simonne, qui causait avec le père Barillot, revint dire, essoufflée :– À propos de Nana, elle est dans la salle.– Où donc ? demanda vivement Clarisse, en se levant pour voir.Le bruit courut tout de suite. Chacun se penchait. La répétition fut uninstant comme interrompue. Mais Bordenave sortit de son immobilité,criant :– Quoi ? qu’arrive-t-il ? Finissez donc l’acte… Et silence là-bas, c’estinsupportable !Dans la baignoire, Nana suivait toujours la pièce. Deux fois, Labordetteavait voulu causer ; mais elle s’était impatientée, en le poussant ducoude pour le faire taire. On achevait le second acte, lorsque deuxombres parurent, au fond du théâtre. Comme elles descendaient sur la207
- Page 155 and 156: - Ah ! il est cocu… Eh bien ! mon
- Page 157 and 158: d’enfant. Ça la surprenait toujo
- Page 159 and 160: ménager. D’ailleurs, une idée g
- Page 161 and 162: - Ah ! oui, le fruitier et sa femme
- Page 163 and 164: comme une oie, bavant sur tout ce q
- Page 165 and 166: econnaître un chignon de femme. Et
- Page 167 and 168: Alors, il pensa à Dieu. Cette idé
- Page 169 and 170: - Mais c’est dégoûtant !… Com
- Page 171 and 172: donnèrent une poignée de main sil
- Page 173 and 174: Ce mot produisit un effet extraordi
- Page 175 and 176: - Que diable ! mangez, vous avez bi
- Page 177 and 178: Steiner… Comme c’est malin d’
- Page 179 and 180: Un instant, il la menaça d’une a
- Page 181 and 182: estait des rideaux faisaient encore
- Page 183 and 184: Et elle ajouta, en se tournant vers
- Page 185 and 186: - Voyons, quand vous verrai-je ? Si
- Page 187 and 188: éternelle fidélité à ce printem
- Page 189 and 190: Nana, qui s’endormait à son cou,
- Page 191 and 192: Bientôt l’argent devint le gros
- Page 193 and 194: lorsque son père la cherchait pour
- Page 195 and 196: Un soir, en venant prendre Satin, e
- Page 197 and 198: tout le monde était encore stupéf
- Page 199 and 200: Nana rue de Laval, chez une dame qu
- Page 201 and 202: Chapitre 9On répétait aux Variét
- Page 203 and 204: - Ah çà ! voulez-vous vous taire
- Page 205: au duc, très souple, l’air encha
- Page 209 and 210: - Tu vois ce qui se passe ?… Ma p
- Page 211 and 212: M me Bron, dont elle entendait le b
- Page 213 and 214: Nana, à chaque offre, disait non d
- Page 215 and 216: une porte de la rue Taitbout. Mais
- Page 217 and 218: Il se tut, un silence régna. Muffa
- Page 219 and 220: Il se fit un silence embarrassé. B
- Page 221 and 222: de force, d’avoir tiré cette der
- Page 223 and 224: Chapitre 10Alors, Nana devint une f
- Page 225 and 226: lits, et des canapés profonds comm
- Page 227 and 228: alors sa fortune dans un coup de fi
- Page 229 and 230: - Je voudrais voir ça, par exemple
- Page 231 and 232: - Bien sûr, c’est arrangé… Ah
- Page 233 and 234: ne gardait guère que le souci de s
- Page 235 and 236: eprenait, sur un ton de plaisanteri
- Page 237 and 238: etraite. Il s’avança avec un sou
- Page 239 and 240: cadeau de sa bonne amie. Et, derri
- Page 241 and 242: morceau de poire, elle le lui prés
- Page 243 and 244: - Moi, rien, j’écoute, murmura-t
- Page 245 and 246: sûrement. En effet, lorsque Philip
- Page 247 and 248: du quartier, pour rire un peu, lui
- Page 249 and 250: Midi sonnait. C’était plus de tr
- Page 251 and 252: jupes de la jeune femme qui remuait
- Page 253 and 254: ookmakers, montés dans des voiture
- Page 255 and 256: - Mais, ma chère, infect, Boum ! P
– Eh bien ! continuons, dit enfin Bordenave de sa voix ordinaire, parfaitementcalme.– Oui, continuons, répéta Fauchery, nous réglerons la scène demain.Et ils s’allongèrent, la répétition reprenait son train d’ennui et de belleindifférence. Durant l’attrapage entre le directeur et l’auteur, Fontan etles autres s’étaient fait du bon sang, au fond, sur le banc et les chaisesrustiques. Ils avaient de petits rires, des grognements, des mots féroces.Mais, quand Simonne revint, avec son coup de canne sur le derrière, lavoix coupée de larmes, ils tournèrent au drame, ils dirent qu’à sa placeils auraient étranglé ce cochon-là. Elle s’essuyait les yeux, en approuvantde la tête ; c’était fini, elle le lâchait, d’autant plus que Steiner, la veille,lui avait offert de la lancer. Clarisse resta surprise, le banquier n’avaitplus un sou ; mais Prullière se mit à rire et rappela le tour de ce sacré juif,lorsqu’il s’était affiché avec Rose, pour poser à la Bourse son affaire desSalines des Landes. Justement il promenait un nouveau projet, un tunnelsous le Bosphore. Simonne écoutait, très intéressée. Quant à Clarisse, ellene dérageait pas depuis une semaine. Est-ce que cet animal de La Faloise,qu’elle avait balancé en le collant dans les bras vénérables de Gaga,n’allait pas hériter d’un oncle très riche ! C’était fait pour elle, toujourselle avait essuyé les plâtres. Puis, cette saleté de Bordenave lui donnaitencore une panne, un rôle de cinquante lignes, <strong>com</strong>me si elle n’aurait paspu jouer Géraldine ! Elle rêvait de ce rôle, elle espérait bien que <strong>Nana</strong>refuserait.– Eh bien ! et moi ? dit Prullière très pincé, je n’ai pas deux centslignes. Je voulais rendre le rôle… C’est indigne de me faire jouer ce Saint-Firmin, une vraie veste. Et quel style, mes enfants ! Vous savez que ça vatomber à plat.Mais Simonne, qui causait avec le père Barillot, revint dire, essoufflée :– À propos de <strong>Nana</strong>, elle est dans la salle.– Où donc ? demanda vivement Clarisse, en se levant pour voir.Le bruit courut tout de suite. Chacun se penchait. La répétition fut uninstant <strong>com</strong>me interrompue. Mais Bordenave sortit de son immobilité,criant :– Quoi ? qu’arrive-t-il ? Finissez donc l’acte… Et silence là-bas, c’estinsupportable !Dans la baignoire, <strong>Nana</strong> suivait toujours la pièce. Deux fois, Labordetteavait voulu causer ; mais elle s’était impatientée, en le poussant ducoude pour le faire taire. On achevait le second acte, lorsque deuxombres parurent, au fond du théâtre. Comme elles descendaient sur la207