Nana - Lecteurs.com
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– Ah ! si tu t’emportes ! dit Nana. Le calcul est bien facile à faire… Tune comptes pas les meubles ; puis, j’ai dû acheter du linge. Ça va vite,quand on s’installe.Mais, tout en exigeant des explications, il ne voulait pas les entendre.– Oui, ça va trop vite, reprit-il plus calme ; et, vois-tu, ma petite, j’en aiassez, de cette cuisine en commun… Tu sais que ces sept mille francssont à moi. Eh bien ! puisque je les tiens, je les garde… Dame ! du momentque tu es une gâcheuse, je n’ai pas envie d’être ruiné. À chacun sonbien.Et, magistralement, il mit l’argent dans sa poche. Nana le regardait,stupéfaite. Lui, continuait avec complaisance :– Tu comprends, je ne suis pas assez bête pour entretenir des tantes etdes enfants qui ne sont pas à moi… Ça t’a plu de dépenser ton argent, çate regarde ; mais le mien, c’est sacré !… Quand tu feras cuire un gigot,j’en paierai la moitié. Le soir, nous réglerons, voilà !Du coup, Nana fut révoltée. Elle ne put retenir ce cri :– Dis donc, tu as bien mangé mes dix mille francs… C’est cochon, ça !Mais il ne s’attarda pas à discuter davantage. Par-dessus la table, àtoute volée, il lui allongea un soufflet, en disant :– Répète un peu !Elle répéta, malgré la claque, et il tomba sur elle, à coups de pied et àcoups de poing. Bientôt, il l’eut mise dans un tel état, qu’elle finit,comme d’habitude, par se déshabiller et se coucher en pleurant. Lui,soufflait. Il se couchait à son tour, lorsqu’il aperçut, sur la table, la lettrequ’il avait écrite à Georges. Alors, il la plia avec soin, tourné vers le lit, endisant d’un air menaçant :– Elle est très bien, je la mettrai à la poste moi-même, parce que jen’aime pas les caprices… Et ne geins plus, tu m’agaces.Nana, qui pleurait à petits soupirs, retint son souffle. Quand il fut couché,elle étouffa, elle se jeta sur sa poitrine en sanglotant. Leurs batteriesse terminaient toujours par là ; elle tremblait de le perdre, elle avait unlâche besoin de le savoir à elle, malgré tout. À deux reprises, il la repoussad’un geste superbe. Mais l’embrassement tiède de cette femme qui lesuppliait, avec ses grands yeux mouillés de bête fidèle, le chauffa d’undésir. Et il se fit bon prince, sans pourtant s’abaisser à aucune avance ; ilse laissa caresser et prendre de force, en homme dont le pardon vaut lapeine d’être gagné. Puis il fut saisi d’une inquiétude, il craignit que Nanane jouât une comédie pour ravoir la clef de la caisse. La bougie étaitéteinte, lorsqu’il éprouva le besoin de maintenir sa volonté.– Tu sais, ma fille, c’est très sérieux, je garde l’argent.188
Nana, qui s’endormait à son cou, trouva un mot sublime.– Oui, n’aie pas peur… Je travaillerai.Mais, à partir de cette soirée, la vie entre eux devint de plus en plusdifficile. D’un bout de la semaine à l’autre, il y avait un bruit de gifles, unvrai tic-tac d’horloge, qui semblait régler leur existence. Nana, à forced’être battue, prenait une souplesse de linge fin ; et ça la rendait délicatede peau, rose et blanche de teint, si douce au toucher, si claire à l’œil,qu’elle avait encore embelli. Aussi Prullière s’enrageait-il après ses jupes,venant lorsque Fontan n’était pas là, la poussant dans les coins pourl’embrasser. Mais elle se débattait, indignée tout de suite, avec des rougeursde honte ; elle trouvait dégoûtant qu’il voulût tromper un ami.Alors, Prullière ricanait d’un air vexé. Vrai, elle devenait joliment bête !Comment pouvait-elle s’attacher à un pareil singe ? car, enfin, Fontanétait un vrai singe, avec son grand nez toujours en branle. Une sale tête !Et un homme qui l’assommait encore !– Possible, je l’aime comme ça, répondit-elle, un jour, de l’air tranquilled’une femme avouant un goût abominable.Bosc se contentait de dîner le plus souvent possible. Il haussait lesépaules derrière Prullière ; un joli garçon, mais un garçon pas sérieux.Lui, plusieurs fois, avait assisté à des scènes dans le ménage ; au dessert,lorsque Fontan giflait Nana, il continuait à mâcher gravement, trouvantça naturel. Pour payer son dîner, il s’extasiait toujours sur leur bonheur.Il se proclamait philosophe, il avait renoncé à tout, même à la gloire.Prullière et Fontan, parfois, renversés sur leur chaise, s’oubliaient devantla table desservie, se racontaient leurs succès jusqu’à deux heures du matin,avec leurs gestes et leur voix de théâtre ; tandis que lui, absorbé, nelâchant de loin en loin qu’un petit souffle de dédain, achevait silencieusementla bouteille de cognac. Qu’est-ce qu’il restait de Talma ? Rien,alors qu’on lui fichât la paix, c’était trop bête !Un soir, il trouva Nana en larmes. Elle ôta sa camisole pour montrerson dos et ses bras noirs de coups. Il lui regarda la peau, sans être tentéd’abuser de la situation, comme l’aurait fait cet imbécile de Prullière.Puis, sentencieusement :– Ma fille, où il y a des femmes, il y a des claques. C’est Napoléon quia dit ça, je crois… Lave-toi avec de l’eau salée. Excellent, l’eau salée, pources bobos. Va, tu en recevras d’autres ; et ne te plains pas, tant que tun’auras rien de cassé… Tu sais, je m’invite, j’ai vu un gigot.Mais M me Lerat n’avait pas cette philosophie. Chaque fois que Nanalui montrait un nouveau bleu sur sa peau blanche, elle poussait les hautscris. On lui tuait sa nièce, ça ne pouvait pas durer. À la vérité, Fontan189
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<strong>Nana</strong>, qui s’endormait à son cou, trouva un mot sublime.– Oui, n’aie pas peur… Je travaillerai.Mais, à partir de cette soirée, la vie entre eux devint de plus en plusdifficile. D’un bout de la semaine à l’autre, il y avait un bruit de gifles, unvrai tic-tac d’horloge, qui semblait régler leur existence. <strong>Nana</strong>, à forced’être battue, prenait une souplesse de linge fin ; et ça la rendait délicatede peau, rose et blanche de teint, si douce au toucher, si claire à l’œil,qu’elle avait encore embelli. Aussi Prullière s’enrageait-il après ses jupes,venant lorsque Fontan n’était pas là, la poussant dans les coins pourl’embrasser. Mais elle se débattait, indignée tout de suite, avec des rougeursde honte ; elle trouvait dégoûtant qu’il voulût tromper un ami.Alors, Prullière ricanait d’un air vexé. Vrai, elle devenait joliment bête !Comment pouvait-elle s’attacher à un pareil singe ? car, enfin, Fontanétait un vrai singe, avec son grand nez toujours en branle. Une sale tête !Et un homme qui l’assommait encore !– Possible, je l’aime <strong>com</strong>me ça, répondit-elle, un jour, de l’air tranquilled’une femme avouant un goût abominable.Bosc se contentait de dîner le plus souvent possible. Il haussait lesépaules derrière Prullière ; un joli garçon, mais un garçon pas sérieux.Lui, plusieurs fois, avait assisté à des scènes dans le ménage ; au dessert,lorsque Fontan giflait <strong>Nana</strong>, il continuait à mâcher gravement, trouvantça naturel. Pour payer son dîner, il s’extasiait toujours sur leur bonheur.Il se proclamait philosophe, il avait renoncé à tout, même à la gloire.Prullière et Fontan, parfois, renversés sur leur chaise, s’oubliaient devantla table desservie, se racontaient leurs succès jusqu’à deux heures du matin,avec leurs gestes et leur voix de théâtre ; tandis que lui, absorbé, nelâchant de loin en loin qu’un petit souffle de dédain, achevait silencieusementla bouteille de cognac. Qu’est-ce qu’il restait de Talma ? Rien,alors qu’on lui fichât la paix, c’était trop bête !Un soir, il trouva <strong>Nana</strong> en larmes. Elle ôta sa camisole pour montrerson dos et ses bras noirs de coups. Il lui regarda la peau, sans être tentéd’abuser de la situation, <strong>com</strong>me l’aurait fait cet imbécile de Prullière.Puis, sentencieusement :– Ma fille, où il y a des femmes, il y a des claques. C’est Napoléon quia dit ça, je crois… Lave-toi avec de l’eau salée. Excellent, l’eau salée, pources bobos. Va, tu en recevras d’autres ; et ne te plains pas, tant que tun’auras rien de cassé… Tu sais, je m’invite, j’ai vu un gigot.Mais M me Lerat n’avait pas cette philosophie. Chaque fois que <strong>Nana</strong>lui montrait un nouveau bleu sur sa peau blanche, elle poussait les hautscris. On lui tuait sa nièce, ça ne pouvait pas durer. À la vérité, Fontan189