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Nana - Lecteurs.com

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dans le coin aux épluchures ! À présent, elle était certaine de l’avoir rencontréeau Papillon, un infect bastringue de la rue des Poissonniers, oùdes hommes la levaient pour trente sous. Et ça empaumait des chefs debureau par des airs modestes et ça refusait des soupers auxquels on luifaisait l’honneur de l’inviter, histoire de se poser en vertu ! Vrai, on lui enflanquerait de la vertu ! C’étaient toujours ces bégueules-là qui s’en donnaientà crever, dans des trous ignobles que personne ne connaissait.Cependant, <strong>Nana</strong>, en roulant ces choses, était arrivée chez elle, rue Véron.Elle fut toute secouée de voir de la lumière. Fontan rentrait maussade,lâché lui aussi par l’ami qui lui avait payé à dîner. Il écouta d’un airfroid les explications qu’elle donnait, craignant des calottes, effarée de letrouver là, lorsqu’elle ne l’attendait pas avant une heure du matin ; ellementait, elle avouait bien avoir dépensé six francs, mais avecM me Maloir. Alors, il resta digne, il lui tendit une lettre à son adresse,qu’il avait tranquillement décachetée. C’était une lettre de Georges, toujoursenfermé aux Fondettes, se soulageant chaque semaine dans despages brûlantes. <strong>Nana</strong> adorait qu’on lui écrivît, surtout de grandesphrases d’amour, avec des serments. Elle lisait ça à tout le monde. Fontanconnaissait le style de Georges et l’appréciait. Mais, ce soir-là, elle redoutaittellement une scène, qu’elle affecta l’indifférence ; elle parcourutla lettre d’un air maussade et la rejeta aussitôt. Fontan s’était mis à battrela retraite sur une vitre, ennuyé de se coucher de si bonne heure, ne sachantplus à quoi occuper sa soirée. Brusquement, il se tourna.– Si l’on répondait tout de suite à ce gamin, dit-il.D’habitude, c’était lui qui écrivait. Il luttait de style. Puis, il était heureux,lorsque <strong>Nana</strong>, enthousiasmée de la lecture de sa lettre, faite touthaut, l’embrassait en criant qu’il n’y avait que lui pour trouver deschoses pareilles. Ça finissait par les allumer, et ils s’adoraient.– Comme tu voudras, répondit-elle. Je vais faire du thé. Nous nouscoucherons ensuite.Alors, Fontan s’installa sur la table, avec un grand déploiement deplume, d’encre et de papier. Il arrondissait les bras, allongeait le menton.– « Mon cœur », <strong>com</strong>mença-t-il à voix haute.Et, pendant plus d’une heure, il s’appliqua, réfléchissant parfois surune phrase, la tête entre les mains, raffinant, se riant à lui-même, quandil avait trouvé une expression tendre. <strong>Nana</strong>, silencieusement, avait déjàpris deux tasses de thé. Enfin, il lut la lettre, <strong>com</strong>me on lit au théâtre,avec une voix blanche, en indiquant quelques gestes. Il parlait là-dedans,en cinq pages, des « heures délicieuses passées à la Mignotte, ces heuresdont le souvenir restait <strong>com</strong>me des parfums subtils », il jurait « une186

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