Nana - Lecteurs.com
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continuer. Satin l’accompagnait jusqu’à sa porte, restait une heure dansla rue, pour voir s’il ne l’assassinait pas. Et, le lendemain, les deuxfemmes jouissaient toute l’après-midi de la réconciliation, préférantpourtant, sans le dire, les jours où il y avait des raclées dans l’air, parceque ça les passionnait davantage.Elles devinrent inséparables. Pourtant, Satin n’allait jamais chez Nana,Fontan ayant déclaré qu’il ne voulait pas de traînée dans la maison. Ellessortaient ensemble, et c’est ainsi que Satin mena un jour son amie chezune femme, justement cette M me Robert qui préoccupait Nana et lui causaitun certain respect, depuis qu’elle avait refusé de venir à son souper.M me Robert demeurait rue Mosnier, une rue neuve et silencieuse duquartier de l’Europe, sans une boutique, dont les belles maisons, aux petitsappartements étroits, sont peuplées de dames. Il était cinq heures ; lelong des trottoirs déserts, dans la paix aristocratique des hautes maisonsblanches, des coupés de boursiers et de négociants stationnaient, tandisque des hommes filaient vite, levant les yeux vers les fenêtres, où desfemmes en peignoir semblaient attendre. Nana d’abord refusa de monter,disant d’un air pincé qu’elle ne connaissait pas cette dame. Mais Satininsistait. On pouvait toujours bien mener une amie avec soi. Elle voulaitsimplement faire une visite de politesse ; M me Robert, qu’elle avaitrencontrée la veille dans un restaurant, s’était montrée très gentille, enlui faisant jurer de la venir voir. Et Nana finit par céder. En haut, une petitebonne endormie leur dit que Madame n’était pas rentrée. Pourtant,elle voulut bien les introduire dans le salon, où elle les laissa.– Bigre ! c’est chic ! murmura Satin.C’était un appartement sévère et bourgeois tendu d’étoffes sombres,avec le comme il faut d’un boutiquier parisien, retiré après fortune faite.Nana, impressionnée, voulut plaisanter. Mais Satin se fâchait, répondaitde la vertu de M me Robert. On la rencontrait toujours en compagnied’hommes âgés et sérieux, qui lui donnaient le bras. Pour le moment, elleavait un ancien chocolatier, esprit grave. Quand il venait, charmé de labonne tenue de la maison, il se faisait annoncer et l’appelait mon enfant.– Mais tiens, la voilà ! reprit Satin en montrant une photographie poséedevant la pendule.Nana étudia le portrait un instant. Il représentait une femme trèsbrune, au visage allongé, les lèvres pincées dans un sourire discret. Onaurait dit tout à fait une dame du monde avec plus de retenue.– C’est drôle, murmura-t-elle enfin, j’ai certainement vu cette tête-làquelque part. Où ? je ne sais plus. Mais ça ne devait pas être dans un endroitpropre… Oh ! non, bien sûr, ce n’était pas un endroit propre.182
Et elle ajouta, en se tournant vers son amie :– Alors, elle t’a fait promettre de venir la voir. Que te veut-elle ?– Ce qu’elle me veut ? Pardi ! causer sans doute, rester un moment ensemble…C’est de la politesse.Nana regardait Satin fixement ; puis, elle eut un léger claquement delangue. Enfin, ça lui était égal. Mais, comme cette dame les faisait poser,elle déclara qu’elle n’attendrait pas davantage ; et toutes deux partirent.Le lendemain, Fontan ayant averti Nana qu’il ne rentrerait pas dîner,elle descendit de bonne heure chercher Satin, pour lui payer un régaldans un restaurant. Le choix du restaurant fut une grosse question. Satinproposait des brasseries que Nana trouvait infectes. Enfin, elle la décidaà manger chez Laure. C’était une table d’hôte, rue des Martyrs, où le dînercoûtait trois francs.Ennuyées d’attendre l’heure, ne sachant que faire sur les trottoirs, ellesmontèrent chez Laure vingt minutes trop tôt. Les trois salons étaient encorevides. Elles se placèrent à une table, dans le salon même où LaurePiedefer trônait, sur la haute banquette d’un comptoir. Cette Laure étaitune dame de cinquante ans, aux formes débordantes, sanglée dans desceintures et des corsets. Des femmes arrivaient à la file, se haussaientpar-dessus les soucoupes, et baisaient Laure sur la bouche, avec une familiaritétendre ; pendant que ce monstre, les yeux mouillés, tâchait, ense partageant, de ne pas faire de jalouses. La bonne, au contraire, étaitune grande maigre, ravagée, qui servait ces dames, les paupières noires,les regards flambant d’un feu sombre. Rapidement, les trois salonss’emplirent. Il y avait là une centaine de clientes, mêlées au hasard destables, la plupart touchant à la quarantaine, énormes, avec des empâtementsde chair, des bouffissures de vice noyant les bouches molles ; et,au milieu de ces ballonnements de gorges et de ventres, apparaissaientquelques jolies filles minces, l’air encore ingénu sous l’effronterie dugeste, des débutantes levées dans un bastringue et amenées par unecliente chez Laure, où le peuple des grosses femmes, mis en l’air àl’odeur de leur jeunesse, se bousculait, faisait autour d’elles une cour devieux garçons inquiets, en leur payant des gourmandises. Quant auxhommes, ils étaient peu nombreux, dix à quinze au plus, l’attitudehumble sous le flot envahissant des jupes, sauf quatre gaillards qui blaguaient,très à l’aise, venus pour voir ça.– N’est-ce pas ? disait Satin, c’est très bon, leur fricot.Nana hochait la tête, satisfaite. C’était l’ancien dîner solide d’un hôtelde province : vol-au-vent à la financière, poule au riz, haricots au jus,crème à la vanille glacée de caramel. Ces dames tombaient183
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continuer. Satin l’ac<strong>com</strong>pagnait jusqu’à sa porte, restait une heure dansla rue, pour voir s’il ne l’assassinait pas. Et, le lendemain, les deuxfemmes jouissaient toute l’après-midi de la réconciliation, préférantpourtant, sans le dire, les jours où il y avait des raclées dans l’air, parceque ça les passionnait davantage.Elles devinrent inséparables. Pourtant, Satin n’allait jamais chez <strong>Nana</strong>,Fontan ayant déclaré qu’il ne voulait pas de traînée dans la maison. Ellessortaient ensemble, et c’est ainsi que Satin mena un jour son amie chezune femme, justement cette M me Robert qui préoccupait <strong>Nana</strong> et lui causaitun certain respect, depuis qu’elle avait refusé de venir à son souper.M me Robert demeurait rue Mosnier, une rue neuve et silencieuse duquartier de l’Europe, sans une boutique, dont les belles maisons, aux petitsappartements étroits, sont peuplées de dames. Il était cinq heures ; lelong des trottoirs déserts, dans la paix aristocratique des hautes maisonsblanches, des coupés de boursiers et de négociants stationnaient, tandisque des hommes filaient vite, levant les yeux vers les fenêtres, où desfemmes en peignoir semblaient attendre. <strong>Nana</strong> d’abord refusa de monter,disant d’un air pincé qu’elle ne connaissait pas cette dame. Mais Satininsistait. On pouvait toujours bien mener une amie avec soi. Elle voulaitsimplement faire une visite de politesse ; M me Robert, qu’elle avaitrencontrée la veille dans un restaurant, s’était montrée très gentille, enlui faisant jurer de la venir voir. Et <strong>Nana</strong> finit par céder. En haut, une petitebonne endormie leur dit que Madame n’était pas rentrée. Pourtant,elle voulut bien les introduire dans le salon, où elle les laissa.– Bigre ! c’est chic ! murmura Satin.C’était un appartement sévère et bourgeois tendu d’étoffes sombres,avec le <strong>com</strong>me il faut d’un boutiquier parisien, retiré après fortune faite.<strong>Nana</strong>, impressionnée, voulut plaisanter. Mais Satin se fâchait, répondaitde la vertu de M me Robert. On la rencontrait toujours en <strong>com</strong>pagnied’hommes âgés et sérieux, qui lui donnaient le bras. Pour le moment, elleavait un ancien chocolatier, esprit grave. Quand il venait, charmé de labonne tenue de la maison, il se faisait annoncer et l’appelait mon enfant.– Mais tiens, la voilà ! reprit Satin en montrant une photographie poséedevant la pendule.<strong>Nana</strong> étudia le portrait un instant. Il représentait une femme trèsbrune, au visage allongé, les lèvres pincées dans un sourire discret. Onaurait dit tout à fait une dame du monde avec plus de retenue.– C’est drôle, murmura-t-elle enfin, j’ai certainement vu cette tête-làquelque part. Où ? je ne sais plus. Mais ça ne devait pas être dans un endroitpropre… Oh ! non, bien sûr, ce n’était pas un endroit propre.182