Nana - Lecteurs.com
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fichant d’être vues ainsi, en dehors des heures de travail ; pendant que,sur les trottoirs, les passants se retournaient, sans qu’une seule daignâtsourire, toutes affairées, avec des airs dédaigneux de ménagères pour quiles hommes n’existaient plus. Justement, comme Satin payait sa botte deradis, un jeune homme, quelque employé attardé, lui jeta un : « Bonjour,chérie », au passage. Du coup, elle se redressa, elle eut une dignité dereine offensée, en disant :– Qu’est-ce qui lui prend, à ce cochon-là ?Puis, elle crut le reconnaître. Trois jours auparavant, vers minuit, remontantseule du boulevard, elle lui avait parlé près d’une demi-heure,au coin de la rue La Bruyère, pour le décider. Mais cela ne fit que la révolterdavantage.– Sont-ils assez mufes de vous crier des choses en plein jour, repritelle.Quand on va à ses affaires, n’est-ce pas ? c’est pour qu’on vousrespecte.Nana avait fini par acheter ses pigeons, bien qu’elle doutât de leur fraîcheur.Alors, Satin voulut lui montrer sa porte ; elle demeurait à côté, rueLa Rochefoucauld. Et, dès qu’elles furent seules, Nana conta sa passionpour Fontan. Arrivée devant chez elle, la petite s’était plantée, ses radissous le bras, allumée par un dernier détail que l’autre donnait, mentant àson tour, jurant que c’était elle qui avait flanqué le comte Muffat dehors,à grands coups de pied dans le derrière.– Oh ! très chic ! répétait Satin, très chic, des coups de pied ! Et il n’arien dit, n’est-ce pas ? C’est si lâche ! J’aurais voulu être là pour voir sagueule… Ma chère, tu as raison. Et zut pour la monnaie ! Moi, quand j’aiun béguin, je m’en fais crever… Hein ? viens me voir, tu me le promets.La porte à gauche. Frappe trois coups, parce qu’il y a un tasd’emmerdeurs.Dès lors, quand Nana s’ennuya trop, elle descendit voir Satin. Elle étaittoujours certaine de la trouver, celle-ci ne sortant jamais avant six heures.Satin occupait deux chambres, qu’un pharmacien lui avait meubléespour la sauver de la police ; mais, en moins de treize mois, elle avait casséles meubles, défoncé les sièges, sali les rideaux, dans une telle raged’ordures et de désordre, que le logement semblait habité par une bandede chattes en folie. Les matins où, dégoûtée elle-même, elle s’avisait devouloir nettoyer, il lui restait aux mains des barreaux de chaise et deslambeaux de tenture, à force de se battre là-dedans avec la crasse. Cesjours-là, c’était plus sale, on ne pouvait plus entrer, parce qu’il y avaitdes choses tombées en travers des portes. Aussi finissait-elle par abandonnerson ménage. À la lampe, l’armoire à glace, la pendule et ce qui180
estait des rideaux faisaient encore illusion aux hommes. D’ailleurs, depuissix mois, son propriétaire menaçait de l’expulser. Alors, pour quiaurait-elle entretenu ses meubles ? pour lui peut-être, plus souvent ! Etquand elle se levait de belle humeur, elle criait : « Hue donc ! » en allongeantde grands coups de pied dans les flancs de l’armoire et de la commode,qui craquaient.Nana, presque toujours, la trouvait couchée. Même les jours où Satindescendait pour ses commissions, elle était si lasse en remontant, qu’ellese rendormait, jetée au bord du lit. Dans la journée, elle se traînait, ellesommeillait sur les chaises, ne sortant de cette langueur que vers le soir,à l’heure du gaz. Et Nana se sentait très bien chez elle, assise à ne rienfaire, au milieu du lit défait, des cuvettes qui traînaient par terre, des juponscrottés de la veille, tachant de boue les fauteuils. C’étaient des bavardages,des confidences sans fin, pendant que Satin, en chemise, vautréeet les pieds plus hauts que la tête, l’écoutait en fumant des cigarettes.Parfois, elles se payaient de l’absinthe, les après-midi où elles avaient deschagrins, pour oublier, disaient-elles ; sans descendre, sans même passerun jupon, Satin allait se pencher au-dessus de la rampe et criait la commandeà la petite de la concierge, une gamine de dix ans qui, en apportantl’absinthe dans un verre, coulait des regards sur les jambes nues dela dame. Toutes les conversations aboutissaient à la saleté des hommes.Nana était assommante avec son Fontan ; elle ne pouvait placer dix parolessans retomber dans des rabâchages sur ce qu’il disait, sur ce qu’ilfaisait. Mais Satin, bonne fille, écoutait sans ennui ces éternelles histoiresd’attentes à la fenêtre, de querelles pour un ragoût brûlé, de raccommodementsau lit, après des heures de bouderie muette. Par un besoin deparler de ça, Nana en était arrivée à lui conter toutes les claques qu’ellerecevait ; la semaine passée, il lui avait fait enfler l’œil ; la veille encore, àpropos de ses pantoufles qu’il ne trouvait pas, il l’avait jetée d’une calottedans la table de nuit ; et l’autre ne s’étonnait point, soufflant la fuméede sa cigarette, s’interrompant seulement pour dire que, elle, toujoursse baissait, ce qui envoyait promener le monsieur avec sa gifle.Toutes deux se tassaient dans ces histoires de coups, heureuses, étourdiesdes mêmes faits imbéciles cent fois répétés, cédant à la moue etchaude lassitude des roulées indignes dont elles parlaient. C’était cettejoie de remâcher les claques de Fontan, d’expliquer Fontan jusque danssa façon d’ôter ses bottes, qui ramenait chaque jour Nana, d’autant plusque Satin finissait par sympathiser : elle citait des faits plus forts, un pâtissierqui la laissait par terre, morte, et qu’elle aimait quand même. Puis,venaient les jours où Nana pleurait, en déclarant que ça ne pouvait pas181
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estait des rideaux faisaient encore illusion aux hommes. D’ailleurs, depuissix mois, son propriétaire menaçait de l’expulser. Alors, pour quiaurait-elle entretenu ses meubles ? pour lui peut-être, plus souvent ! Etquand elle se levait de belle humeur, elle criait : « Hue donc ! » en allongeantde grands coups de pied dans les flancs de l’armoire et de la <strong>com</strong>mode,qui craquaient.<strong>Nana</strong>, presque toujours, la trouvait couchée. Même les jours où Satindescendait pour ses <strong>com</strong>missions, elle était si lasse en remontant, qu’ellese rendormait, jetée au bord du lit. Dans la journée, elle se traînait, ellesommeillait sur les chaises, ne sortant de cette langueur que vers le soir,à l’heure du gaz. Et <strong>Nana</strong> se sentait très bien chez elle, assise à ne rienfaire, au milieu du lit défait, des cuvettes qui traînaient par terre, des juponscrottés de la veille, tachant de boue les fauteuils. C’étaient des bavardages,des confidences sans fin, pendant que Satin, en chemise, vautréeet les pieds plus hauts que la tête, l’écoutait en fumant des cigarettes.Parfois, elles se payaient de l’absinthe, les après-midi où elles avaient deschagrins, pour oublier, disaient-elles ; sans descendre, sans même passerun jupon, Satin allait se pencher au-dessus de la rampe et criait la <strong>com</strong>mandeà la petite de la concierge, une gamine de dix ans qui, en apportantl’absinthe dans un verre, coulait des regards sur les jambes nues dela dame. Toutes les conversations aboutissaient à la saleté des hommes.<strong>Nana</strong> était assommante avec son Fontan ; elle ne pouvait placer dix parolessans retomber dans des rabâchages sur ce qu’il disait, sur ce qu’ilfaisait. Mais Satin, bonne fille, écoutait sans ennui ces éternelles histoiresd’attentes à la fenêtre, de querelles pour un ragoût brûlé, de rac<strong>com</strong>modementsau lit, après des heures de bouderie muette. Par un besoin deparler de ça, <strong>Nana</strong> en était arrivée à lui conter toutes les claques qu’ellerecevait ; la semaine passée, il lui avait fait enfler l’œil ; la veille encore, àpropos de ses pantoufles qu’il ne trouvait pas, il l’avait jetée d’une calottedans la table de nuit ; et l’autre ne s’étonnait point, soufflant la fuméede sa cigarette, s’interrompant seulement pour dire que, elle, toujoursse baissait, ce qui envoyait promener le monsieur avec sa gifle.Toutes deux se tassaient dans ces histoires de coups, heureuses, étourdiesdes mêmes faits imbéciles cent fois répétés, cédant à la moue etchaude lassitude des roulées indignes dont elles parlaient. C’était cettejoie de remâcher les claques de Fontan, d’expliquer Fontan jusque danssa façon d’ôter ses bottes, qui ramenait chaque jour <strong>Nana</strong>, d’autant plusque Satin finissait par sympathiser : elle citait des faits plus forts, un pâtissierqui la laissait par terre, morte, et qu’elle aimait quand même. Puis,venaient les jours où <strong>Nana</strong> pleurait, en déclarant que ça ne pouvait pas181