Nana - Lecteurs.com
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– Oui, La Mouche d’or, répondit Daguenet, je ne t’en parlais pas, craignantde te faire de la peine.– De la peine, pourquoi ? Il est très long, son article.Elle était flattée qu’on s’occupât de sa personne dans Le Figaro. Sans lesexplications de son coiffeur, Francis, qui lui avait apporté le journal, ellen’aurait pas compris qu’il s’agissait d’elle. Daguenet l’examinait en dessous,en ricanant de son air blagueur. Enfin, puisqu’elle était contente,tout le monde devait l’être.– Excusez ! cria un garçon, qui les sépara, tenant à deux mains unebombe glacée.Nana avait fait un pas vers le petit salon, où Muffat attendait.– Eh bien ! adieu, reprit Daguenet. Va retrouver ton cocu.De nouveau, elle s’arrêta.– Pourquoi l’appelles-tu cocu ?– Parce que c’est un cocu, parbleu !Elle revint s’adosser au mur, profondément intéressée.– Ah ! dit-elle simplement.– Comment, tu ne savais pas ça ! Sa femme couche avec Fauchery, machère… Ça doit avoir commencé à la campagne… Tout à l’heure, Faucherym’a quitté, comme je venais ici, et je me doute d’un rendez-vouschez lui pour ce soir. Ils ont inventé un voyage, je crois.Nana demeurait muette, sous le coup de l’émotion.– Je m’en doutais ! dit-elle enfin en tapant sur ses cuisses. J’avais deviné,rien qu’à la voir, l’autre fois, sur la route… Si c’est possible, unefemme honnête tromper son mari, et avec cette roulure de Fauchery ! Ilva lui en apprendre de propres.– Oh ! murmura Daguenet méchamment, ce n’est pas son coup d’essai.Elle en sait peut-être autant que lui.Alors, elle eut une exclamation indignée.– Vrai !… Quel joli monde ! c’est trop sale !– Excusez ! cria un garçon chargé de bouteilles, en les séparant.Daguenet la ramena, la retint un instant par la main. Il avait pris savoix de cristal, une voix aux notes d’harmonica qui faisait tout son succèsauprès de ces dames.– Adieu, chérie… Tu sais, je t’aime toujours.Elle se dégagea ; et, souriante, la parole couverte par un tonnerre decris et de bravos, dont la porte du salon tremblait :– Bête, c’est fini… Mais ça ne fait rien. Monte donc un de ces jours.Nous causerons.Puis, redevenant très grave, du ton d’une bourgeoise révoltée :154
– Ah ! il est cocu… Eh bien ! mon cher, c’est embêtant. Moi, ça m’a toujoursdégoûtée, un cocu.Quand elle entra enfin dans le cabinet, elle aperçut Muffat, assis sur unétroit divan, qui se résignait, la face blanche, les mains nerveuses. Il nelui fit aucun reproche. Elle, toute remuée, était partagée entre la pitié etle mépris. Ce pauvre homme, qu’une vilaine femme trompait si indignement! Elle avait envie de se jeter à son cou, pour le consoler. Mais, toutde même, c’était juste, il était idiot avec les femmes ; ça lui apprendrait.Cependant, la pitié l’emporta. Elle ne le lâcha pas, après avoir mangé seshuîtres, comme elle se l’était promis. Ils restèrent à peine un quartd’heure au café Anglais, et rentrèrent ensemble boulevard Haussmann. Ilétait onze heures ; avant minuit, elle aurait bien trouvé un moyen douxde le congédier.Par prudence, dans l’antichambre, elle donna un ordre à Zoé.– Tu le guetteras, tu lui recommanderas de ne pas faire de bruit, sil’autre est encore avec moi.– Mais où le mettrai-je, Madame ?– Garde-le à la cuisine. C’est plus sûr.Muffat, dans la chambre, ôtait déjà sa redingote. Un grand feu brûlait.C’était toujours la même chambre, avec ses meubles de palissandre, sestentures et ses sièges de damas broché, à grandes fleurs bleues sur fondgris. Deux fois, Nana avait rêvé de la refaire, la première tout en veloursnoir, la seconde en satin blanc, avec des nœuds roses ; mais, dès que Steinerconsentait, elle exigeait l’argent que ça coûterait, pour le manger. Elleavait eu seulement le caprice d’une peau de tigre devant la cheminée, etd’une veilleuse de cristal, pendue au plafond.– Moi, je n’ai pas sommeil, je ne me couche pas, dit-elle, lorsqu’ils sefurent enfermés.Le comte lui obéissait avec une soumission d’homme qui ne craintplus d’être vu. Son unique souci était de ne pas la fâcher.– Comme tu voudras, murmura-t-il.Pourtant, il retira encore ses bottines, avant de s’asseoir devant le feu.Un des plaisirs de Nana était de se déshabiller en face de son armoire àglace, où elle se voyait en pied. Elle faisait tomber jusqu’à sa chemise ;puis, toute nue, elle s’oubliait, elle se regardait longuement. C’était unepassion de son corps, un ravissement du satin de sa peau et de la lignesouple de sa taille, qui la tenait sérieuse, attentive, absorbée dans unamour d’elle-même. Souvent, le coiffeur la trouvait ainsi, sans qu’elletournât la tête. Alors, Muffat se fâchait, et elle restait surprise. Que luiprenait-il ? Ce n’était pas pour les autres, c’était pour elle.155
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– Ah ! il est cocu… Eh bien ! mon cher, c’est embêtant. Moi, ça m’a toujoursdégoûtée, un cocu.Quand elle entra enfin dans le cabinet, elle aperçut Muffat, assis sur unétroit divan, qui se résignait, la face blanche, les mains nerveuses. Il nelui fit aucun reproche. Elle, toute remuée, était partagée entre la pitié etle mépris. Ce pauvre homme, qu’une vilaine femme trompait si indignement! Elle avait envie de se jeter à son cou, pour le consoler. Mais, toutde même, c’était juste, il était idiot avec les femmes ; ça lui apprendrait.Cependant, la pitié l’emporta. Elle ne le lâcha pas, après avoir mangé seshuîtres, <strong>com</strong>me elle se l’était promis. Ils restèrent à peine un quartd’heure au café Anglais, et rentrèrent ensemble boulevard Haussmann. Ilétait onze heures ; avant minuit, elle aurait bien trouvé un moyen douxde le congédier.Par prudence, dans l’antichambre, elle donna un ordre à Zoé.– Tu le guetteras, tu lui re<strong>com</strong>manderas de ne pas faire de bruit, sil’autre est encore avec moi.– Mais où le mettrai-je, Madame ?– Garde-le à la cuisine. C’est plus sûr.Muffat, dans la chambre, ôtait déjà sa redingote. Un grand feu brûlait.C’était toujours la même chambre, avec ses meubles de palissandre, sestentures et ses sièges de damas broché, à grandes fleurs bleues sur fondgris. Deux fois, <strong>Nana</strong> avait rêvé de la refaire, la première tout en veloursnoir, la seconde en satin blanc, avec des nœuds roses ; mais, dès que Steinerconsentait, elle exigeait l’argent que ça coûterait, pour le manger. Elleavait eu seulement le caprice d’une peau de tigre devant la cheminée, etd’une veilleuse de cristal, pendue au plafond.– Moi, je n’ai pas sommeil, je ne me couche pas, dit-elle, lorsqu’ils sefurent enfermés.Le <strong>com</strong>te lui obéissait avec une soumission d’homme qui ne craintplus d’être vu. Son unique souci était de ne pas la fâcher.– Comme tu voudras, murmura-t-il.Pourtant, il retira encore ses bottines, avant de s’asseoir devant le feu.Un des plaisirs de <strong>Nana</strong> était de se déshabiller en face de son armoire àglace, où elle se voyait en pied. Elle faisait tomber jusqu’à sa chemise ;puis, toute nue, elle s’oubliait, elle se regardait longuement. C’était unepassion de son corps, un ravissement du satin de sa peau et de la lignesouple de sa taille, qui la tenait sérieuse, attentive, absorbée dans unamour d’elle-même. Souvent, le coiffeur la trouvait ainsi, sans qu’elletournât la tête. Alors, Muffat se fâchait, et elle restait surprise. Que luiprenait-il ? Ce n’était pas pour les autres, c’était pour elle.155