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Nana - Lecteurs.com

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de l’orgue dans une boutique voisine, prise surtout par le goût criard desbibelots à bon marché, des nécessaires dans des coquilles de noix, deshottes de chiffonnier pour les cure-dents, des colonnes Vendôme et desobélisques portant des thermomètres. Mais, ce soir-là, elle était trop secouée,elle regardait sans voir. Ça l’ennuyait, à la fin, de n’être pas libre ;et, dans sa révolte sourde, montait le furieux besoin de faire une bêtise.La belle avance d’avoir des hommes bien ! Elle venait de manger leprince et Steiner à des caprices d’enfant, sans qu’elle sût où l’argent passait.Son appartement du boulevard Haussmann n’était même pas entièrementmeublé ; seul, le salon, tout en satin rouge, détonnait, trop orné ettrop plein. À cette heure, pourtant, les créanciers la tourmentaient plusqu’autrefois, lorsqu’elle n’avait pas le sou ; chose qui lui causait unecontinuelle surprise, car elle se citait <strong>com</strong>me un modèle d’économie. Depuisun mois, ce voleur de Steiner trouvait mille francs à grand-peine, lesjours où elle menaçait de le flanquer dehors, s’il ne les apportait pas.Quant à Muffat, il était idiot, il ignorait ce qu’on donnait, et elle ne pouvaitlui en vouloir de son avarice. Ah ! <strong>com</strong>me elle aurait lâché tout cemonde, si elle ne s’était répété vingt fois par jour des maximes de bonneconduite ! Il fallait être raisonnable, Zoé le disait chaque matin, ellemêmeavait toujours présent un souvenir religieux, la vision royale deChamont, sans cesse évoquée et grandie. Et c’était pourquoi, malgré untremblement de colère contenue, elle se faisait soumise au bras du <strong>com</strong>te,en allant d’une vitrine à l’autre, au milieu des passants plus rares. Dehors,le pavé séchait, un vent frais qui enfilait la galerie balayait l’airchaud sous le vitrage, effarait les lanternes de couleur, les rampes de gaz,l’éventail géant, brûlant <strong>com</strong>me une pièce d’artifice. À la porte du restaurant,un garçon éteignait les globes ; tandis que, dans les boutiques videset flambantes, les dames de <strong>com</strong>ptoir immobiles semblaient s’être endormies,les yeux ouverts.– Oh ! cet amour ! reprit <strong>Nana</strong>, au dernier étalage, revenant dequelques pas pour s’attendrir sur une levrette en biscuit, une patte levéedevant un nid caché dans des roses.Ils quittèrent enfin le passage, et elle ne voulut pas de voiture. Il faisaittrès bon, disait-elle ; d’ailleurs, rien ne les pressait, ce serait charmant derentrer à pied. Puis, arrivée devant le café Anglais, elle eut une envie, elleparla de manger des huîtres, racontant qu’elle n’avait rien pris depuis lematin, à cause de la maladie de Louiset. Muffat n’osa la contrarier. Il nes’affichait pas encore avec elle, il demanda un cabinet, filant vite le longdes corridors. Elle le suivait en femme qui connaissait la maison, et ils allaiententrer dans un cabinet dont un garçon tenait la porte ouverte,152

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